Les Trois Mousquetaires

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INTRODUCTION

DANS LAQUELLE IL EST ÉTABLI QUE MALGRÉ LEURS NOMS EN OS ET EN IS, LES HÉROS DE L’HISTOIRE QUE NOUS ALLONS AVOIR L’HONNEUR DE RACONTER À NOS LECTEURS N’ONT RIEN DE MYTHOLOGIQUE.

Il y a un an à peu près, qu’en faisant à la Bibliothèque royale des recherches pour mon histoire de Louis XIV, je tombai par hasard sur les Mémoires de M. d’Artagnan[1], imprimés – comme la plus grande partie des ouvrages de cette époque, où les auteurs tenaient à dire la vérité sans aller faire un tour plus ou moins long à la Bastille – à Amsterdam, chez Pierre Rouge. Le titre me séduisit : je les emportai chez moi, avec la permission de M. le conservateur, bien entendu, et je les dévorai.

Mon intention n’est pas de faire ici une analyse de ce curieux ouvrage, et je me contenterai d’y renvoyer ceux de mes lecteurs qui apprécient les tableaux d’époques. Ils y trouveront des portraits crayonnés de main de maître ; et, quoique les esquisses soient, pour la plupart du temps, tracées sur des portes de caserne et sur des murs de cabaret, ils n’y reconnaîtront pas moins, aussi ressemblantes que dans l’histoire de M. Anquetil, les images de Louis XIII, d’Anne d’Autriche, de Richelieu, de Mazarin et de la plupart des courtisans de l’époque.

Mais, comme on le sait, ce qui frappe l’esprit capricieux du poète n’est pas toujours ce qui impressionne la masse des lecteurs. Or, tout en admirant, comme les autres admireront sans doute, les détails que nous avons signalés, la chose qui nous préoccupa le plus est une chose à laquelle bien certainement personne avant nous n’avait fait la moindre attention.

D’Artagnan raconte qu’à sa première visite à M. de Tréville, le capitaine des mousquetaires du roi, il rencontra dans son antichambre trois jeunes gens servant dans l’illustre corps où il sollicitait l’honneur d’être reçu, et ayant nom Athos, Porthos et Aramis.

Nous l’avouons, ces trois noms étrangers nous frappèrent, et il nous vint aussitôt à l’esprit qu’ils n’étaient que des pseudonymes à l’aide desquels d’Artagnan avait déguisé des noms peut-être illustres, si toutefois les porteurs de ces noms d’emprunt ne les avaient pas choisis eux-mêmes le jour où, par caprice, par mécontentement ou par défaut de fortune, ils avaient endossé la simple casaque de mousquetaire.

Dès lors nous n’eûmes plus de repos que nous n’eussions retrouvé, dans les ouvrages contemporains, une trace quelconque de ces noms extraordinaires qui avaient fort éveillé notre curiosité.

Le seul catalogue des livres que nous lûmes pour arriver à ce but remplirait un feuilleton tout entier, ce qui serait peut-être fort instructif, mais à coup sûr peu amusant pour nos lecteurs. Nous nous contenterons donc de leur dire qu’au moment où, découragé de tant d’investigations infructueuses, nous allions abandonner notre recherche, nous trouvâmes enfin, guidé par les conseils de notre illustre et savant ami Paulin Paris, un manuscrit in-folio, coté le n° 4772 ou 4773, nous ne nous le rappelons plus bien, ayant pour titre :

« Mémoires de M. le comte de La Fère, concernant quelques-uns des événements qui se passèrent en France vers la fin du règne du roi Louis XIII et le commencement du règne du roi Louis XIV. »

On devine si notre joie fut grande, lorsqu’en feuilletant ce manuscrit, notre dernier espoir, nous trouvâmes à la vingtième page le nom d’Athos, à la vingt-septième le nom de Porthos, et à la trente et unième le nom d’Aramis.

La découverte d’un manuscrit complètement inconnu, dans une époque où la science historique est poussée à un si haut degré, nous parut une trouvaille presque miraculeuse. Aussi nous hâtâmes-nous de solliciter la permission de le faire imprimer, dans le but de nous présenter un jour avec le bagage des autres à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, si nous n’arrivions, chose fort probable, à entrer à l’Académie française avec notre propre bagage.

Cette permission, nous devons le dire, nous fut gracieusement accordée ; ce que nous consignons ici pour donner un démenti public aux malveillants qui prétendent que nous vivons sous un gouvernement assez médiocrement disposé à l’endroit des gens de lettres. Or, c’est la première partie de ce précieux manuscrit que nous offrons aujourd’hui à nos lecteurs, en changeant son titre en celui des Trois Mousquetaires ; prenant l’engagement, si, comme nous n’en doutons pas, cette première partie obtient le succès qu’elle mérite, de publier incessamment la seconde.

En attendant, comme le parrain est un second père, nous invitons le lecteur à s’en prendre à nous, et non au comte de La Fère, de son plaisir ou de son ennui.

Cela posé, passons à notre histoire.

LES TROIS PRÉSENTS DE M. D’ARTAGNAN PÈRE

Le premier lundi du mois d’avril 1626, le bourg de Meung, où naquit l’auteur du Roman de la Rose, semblait être dans une révolution aussi entière que si les huguenots en fussent venus faire une seconde Rochelle. Plusieurs bourgeois, voyant s’enfuir les femmes du côté de la grande rue, entendant les enfants crier sur le seuil des portes, se hâtaient d’endosser la cuirasse et, appuyant leur contenance quelque peu incertaine d’un mousquet ou d’une pertuisane, se dirigeaient vers l’hôtellerie du Franc Meunier, devant laquelle s’empressait, en grossissant de minute en minute, un groupe compact, bruyant et plein de curiosité.

En ce temps-là les paniques étaient fréquentes, et peu de jours se passaient sans qu’une ville ou l’autre enregistrât sur ses archives quelque événement de ce genre. Il y avait les seigneurs qui guerroyaient entre eux ; il y avait le roi qui faisait la guerre au cardinal ; il y avait l’Espagnol qui faisait la guerre au roi. Puis, outre ces guerres sourdes ou publiques, secrètes ou patentes, il y avait encore les voleurs, les mendiants, les huguenots, les loups et les laquais, qui faisaient la guerre à tout le monde. Les bourgeois s’armaient toujours contre les voleurs, contre les loups, contre les laquais, – souvent contre les seigneurs et les huguenots, – quelquefois contre le roi, – mais jamais contre le cardinal et l’Espagnol. Il résulta donc de cette habitude prise, que, ce susdit premier lundi du mois d’avril 1626, les bourgeois, entendant du bruit, et ne voyant ni le guidon jaune et rouge, ni la livrée du duc de Richelieu, se précipitèrent du côté de l’hôtel du Franc Meunier.

Arrivé là, chacun put voir et reconnaître la cause de cette rumeur.

Un jeune homme… – traçons son portrait d’un seul trait de plume : — figurez-vous don Quichotte à dix-huit ans, don Quichotte décorcelé, sans haubert et sans cuissard, don Quichotte revêtu d’un pourpoint de laine dont la couleur bleue s’était transformée en une nuance insaisissable de lie-de-vin et d’azur céleste. Visage long et brun ; la pommette des joues saillante, signe d’astuce ; les muscles maxillaires énormément développés, indice infaillible auquel on reconnaît le Gascon, même sans béret, et notre jeune homme portait un béret orné d’une espèce de plume ; l’œil ouvert et intelligent ; le nez crochu, mais finement dessiné ; trop grand pour un adolescent, trop petit pour un homme fait, et qu’un œil peu exercé eût pris pour un fils de fermier en voyage, sans sa longue épée qui, pendue à un baudrier de peau, battait les mollets de son propriétaire quand il était à pied, et le poil hérissé de sa monture quand il était à cheval.

Car notre jeune homme avait une monture, et cette monture était même si remarquable, qu’elle fut remarquée : c’était un bidet du Béarn, âgé de douze ou quatorze ans, jaune de robe, sans crins à la queue, mais non pas sans javarts aux jambes, et qui, tout en marchant la tête plus bas que les genoux, ce qui rendait inutile l’application de la martingale, faisait encore également ses huit lieues par jour. Malheureusement les qualités de ce cheval étaient si bien cachées sous son poil étrange et son allure incongrue, que dans un temps où tout le monde se connaissait en chevaux, l’apparition du susdit bidet à Meung, où il était entré il y avait un quart d’heure à peu près par la porte de Beaugency, produisit une sensation dont la défaveur rejaillit jusqu’à son cavalier.

Et cette sensation avait été d’autant plus pénible au jeune d’Artagnan (ainsi s’appelait le don Quichotte de cette autre Rossinante), qu’il ne se cachait pas le côté ridicule que lui donnait, si bon cavalier qu’il fût, une pareille monture ; aussi avait-il fort soupiré en acceptant le don que lui en avait fait M. d’Artagnan père. Il n’ignorait pas qu’une pareille bête valait au moins vingt livres : il est vrai que les paroles dont le présent avait été accompagné n’avaient pas de prix.

— Mon fils, avait dit le gentilhomme gascon, dans ce pur patois de Béarn dont Henri IV n’avait jamais pu parvenir à se défaire, – mon fils, ce cheval est né dans la maison de votre père, il y a tantôt treize ans, et y est resté depuis ce temps-là, ce qui doit vous porter à l’aimer. Ne le vendez jamais, laissez-le mourir tranquillement et honorablement de vieillesse, et si vous faites campagne avec lui, ménagez-le comme vous ménageriez un vieux serviteur. À la cour, continua M. d’Artagnan père, si toutefois vous avez l’honneur d’y aller, honneur auquel, du reste, votre vieille noblesse vous donne des droits, soutenez dignement votre nom de gentilhomme, qui a été porté dignement par vos ancêtres depuis plus de cinq cents ans. Pour vous et pour les vôtres – par les vôtres, j’entends vos parents et vos amis, – ne supportez jamais rien que de M. le cardinal et du roi. C’est par son courage, entendez-vous bien, par son courage seul, qu’un gentilhomme fait son chemin aujourd’hui. Quiconque tremble une seconde laisse peut-être échapper l’appât que, pendant cette seconde justement, la fortune lui tendait. Vous êtes jeune, vous devez être brave par deux raisons : la première, c’est que vous êtes Gascon, et la seconde, c’est que vous êtes mon fils. Ne craignez pas les occasions et cherchez les aventures. Je vous ai fait apprendre à manier l’épée ; vous avez un jarret de fer, un poignet d’acier ; battez-vous à tout propos ; battez-vous d’autant plus que les duels sont défendus, et que, par conséquent, il y a deux fois du courage à se battre. Je n’ai, mon fils, à vous donner que quinze écus, mon cheval et les conseils que vous venez d’entendre. Votre mère y ajoutera la recette d’un certain baume qu’elle tient d’une bohémienne, et qui a une vertu miraculeuse pour guérir toute blessure qui n’atteint pas le cœur. Faites votre profit du tout, et vivez heureusement et longtemps.

Je n’ai plus qu’un mot à ajouter, et c’est un exemple que je vous propose, non pas le mien, car je n’ai, moi, jamais paru à la cour et n’ai fait que les guerres de religion en volontaire ; je veux parler de M. de Tréville, qui était mon voisin autrefois, et qui a eu l’honneur de jouer tout enfant avec notre roi Louis treizième, que Dieu conserve ! Quelquefois leurs jeux dégénéraient en bataille et dans ces batailles le roi n’était pas toujours le plus fort. Les coups qu’il en reçut lui donnèrent beaucoup d’estime et d’amitié pour M. de Tréville. Plus tard, M. de Tréville se battit contre d’autres dans son premier voyage à Paris, cinq fois ; depuis la mort du feu roi jusqu’à la majorité du jeune sans compter les guerres et les sièges, sept fois ; et depuis cette majorité jusqu’aujourd’hui, cent fois peut-être ! – Aussi, malgré les édits, les ordonnances et les arrêts, le voilà capitaine des mousquetaires, c’est-à-dire chef d’une légion de Césars, dont le roi fait un très grand cas, et que M. le cardinal redoute, lui qui ne redoute pas grand-chose, comme chacun sait. De plus, M. de Tréville gagne dix mille écus par an ; c’est donc un fort grand seigneur. – Il a commencé comme vous, allez le voir avec cette lettre, et réglez-vous sur lui, afin de faire comme lui. « »

Sur quoi, M. d’Artagnan père ceignit à son fils sa propre épée, l’embrassa tendrement sur les deux joues et lui donna sa bénédiction.

En sortant de la chambre paternelle, le jeune homme trouva sa mère qui l’attendait avec la fameuse recette dont les conseils que nous venons de rapporter devaient nécessiter un assez fréquent emploi. Les adieux furent de ce côté plus longs et plus tendres qu’ils ne l’avaient été de l’autre, non pas que M. d’Artagnan n’aimât son fils, qui était sa seule progéniture, mais M. d’Artagnan était un homme, et il eût regardé comme indigne d’un homme de se laisser aller à son émotion, tandis que madame d’Artagnan était femme et, de plus, était mère. – Elle pleura abondamment, et, disons-le à la louange de M. d’Artagnan fils, quelques efforts qu’il tentât pour rester ferme comme le devait être un futur mousquetaire, la nature l’emporta et il versa force larmes, dont il parvint à grand-peine à cacher la moitié.

Le même jour le jeune homme se mit en route, muni des trois présents paternels et qui se composaient, comme nous l’avons dit, de quinze écus, du cheval et de la lettre pour M. de Tréville ; comme on le pense bien, les conseils avaient été donnés par-dessus le marché.

Avec un pareil vade mecum, d’Artagnan se trouva, au moral comme au physique, une copie exacte du héros de Cervantes, auquel nous l’avons si heureusement comparé lorsque nos devoirs d’historien nous ont fait une nécessité de tracer son portrait. Don Quichotte prenait les moulins à vent pour des géants et les moutons pour des armées, d’Artagnan prit chaque sourire pour une insulte et chaque regard pour une provocation. Il en résulta qu’il eut toujours le poing fermé depuis Tarbes jusqu’à Meung, et que l’un dans l’autre il porta la main au pommeau de son épée dix fois par jour ; toutefois le poing ne descendit sur aucune mâchoire, et l’épée ne sortit point de son fourreau. Ce n’est pas que la vue du malencontreux bidet jaune n’épanouît bien des sourires sur les visages des passants ; mais, comme au-dessus du bidet sonnait une épée de taille respectable et qu’au-dessus de cette épée brillait un œil plutôt féroce que fier, les passants réprimaient leur hilarité, ou, si l’hilarité l’emportait sur la prudence, ils tâchaient au moins de ne rire que d’un seul côté, comme les masques antiques. D’Artagnan demeura donc majestueux et intact dans sa susceptibilité jusqu’à cette malheureuse ville de Meung.

Mais là, comme il descendait de cheval à la porte du Franc-Meunier sans que personne, hôte, garçon ou palefrenier, fût venu prendre l’étrier au montoir, d’Artagnan avisa à une fenêtre entrouverte du rez-de-chaussée un gentilhomme de belle taille et de haute mine, quoique au visage légèrement renfrogné, lequel causait avec deux personnes qui paraissaient l’écouter avec déférence. D’Artagnan crut tout naturellement, selon son habitude, être l’objet de la conversation et écouta. Cette fois, d’Artagnan ne s’était trompé qu’à moitié : ce n’était pas de lui qu’il était question, mais de son cheval. Le gentilhomme paraissait énumérer à ses auditeurs toutes ses qualités, et comme, ainsi que je l’ai dit, les auditeurs paraissaient avoir une grande déférence pour le narrateur, ils éclataient de rire à tout moment. Or, comme un demi-sourire suffisait pour éveiller l’irascibilité du jeune homme, on comprend quel effet produisit sur lui tant de bruyante hilarité.

Cependant d’Artagnan voulut d’abord se rendre compte de la physionomie de l’impertinent qui se moquait de lui. Il fixa son regard fier sur l’étranger et reconnut un homme de quarante à quarante-cinq ans, aux yeux noirs et perçants, au teint pâle, au nez fortement accentué, à la moustache noire et parfaitement taillée ; il était vêtu d’un pourpoint et d’un haut-de-chausses violet avec des aiguillettes de même couleur, sans aucun ornement que les crevés habituels par lesquels passait la chemise. Ce haut-de-chausses et ce pourpoint, quoique neufs, paraissaient froissés comme des habits de voyage longtemps renfermés dans un portemanteau. D’Artagnan fit toutes ces remarques avec la rapidité de l’observateur le plus minutieux, et sans doute par un sentiment instinctif qui lui disait que cet inconnu devait avoir une grande influence sur sa vie à venir.

Or, comme au moment où d’Artagnan fixait son regard sur le gentilhomme au pourpoint violet, le gentilhomme faisait à l’endroit du bidet béarnais une de ses plus savantes et de ses plus profondes démonstrations, ses deux auditeurs éclatèrent de rire, et lui-même laissa visiblement, contre son habitude, errer, si l’on peut parler ainsi, un pâle sourire sur son visage. Cette fois, il n’y avait plus de doute, d’Artagnan était réellement insulté. Aussi, plein de cette conviction, enfonça-t-il son béret sur ses yeux, et, tâchant de copier quelques-uns des airs de cour qu’il avait surpris en Gascogne chez des seigneurs en voyage, il s’avança, une main sur la garde de son épée et l’autre appuyée sur la hanche. Malheureusement, au fur et à mesure qu’il avançait, la colère l’aveuglant de plus en plus, au lieu du discours digne et hautain qu’il avait préparé pour formuler sa provocation, il ne trouva plus au bout de sa langue qu’une personnalité grossière qu’il accompagna d’un geste furieux.

— Eh ! Monsieur, s’écria-t-il, monsieur, qui vous cachez derrière ce volet ! oui, vous, dites-moi donc un peu de quoi vous riez, et nous rirons ensemble.

Le gentilhomme ramena lentement les yeux de la monture au cavalier, comme s’il lui eût fallu un certain temps pour comprendre que c’était à lui que s’adressaient de si étranges reproches ; puis, lorsqu’il ne put plus conserver aucun doute, ses sourcils se froncèrent légèrement, et après une assez longue pause, avec un accent d’ironie et d’insolence impossible à décrire, il répondit à d’Artagnan :

— Je ne vous parle pas, monsieur.

— Mais je vous parle, moi ! s’écria le jeune homme exaspéré de ce mélange d’insolence et de bonnes manières, de convenances et de dédains.

L’inconnu le regarda encore un instant avec son léger sourire, et, se retirant de la fenêtre, sortit lentement de l’hôtellerie pour venir à deux pas de d’Artagnan se planter en face du cheval. Sa contenance tranquille et sa physionomie railleuse avaient redoublé l’hilarité de ceux avec lesquels il causait et qui, eux, étaient restés à la fenêtre.

D’Artagnan, le voyant arriver, tira son épée d’un pied hors du fourreau.

— Ce cheval est décidément ou plutôt a été dans sa jeunesse bouton d’or, reprit l’inconnu continuant les investigations commencées et s’adressant à ses auditeurs de la fenêtre, sans paraître aucunement remarquer l’exaspération de d’Artagnan, qui cependant se redressait entre lui et eux. C’est une couleur fort connue en botanique, mais jusqu’à présent fort rare chez les chevaux.

— Tel rit du cheval qui n’oserait pas rire du maître ! s’écria l’émule de Tréville, furieux.

— Je ne ris pas souvent, monsieur, reprit l’inconnu, ainsi que vous pouvez le voir vous-même à l’air de mon visage ; mais je tiens cependant à conserver le privilège de rire quand il me plaît.

— Et moi, s’écria d’Artagnan, je ne veux pas qu’on rie quand il me déplaît !

— En vérité, monsieur ? continua l’inconnu plus calme que jamais, eh bien, c’est parfaitement juste. Et tournant sur ses talons, il s’apprêta à rentrer dans l’hôtellerie par la grande porte, sous laquelle d’Artagnan en arrivant avait remarqué un cheval tout sellé.

Mais d’Artagnan n’était pas de caractère à lâcher ainsi un homme qui avait eu l’insolence de se moquer de lui. Il tira son épée entièrement du fourreau et se mit à sa poursuite en criant :

— Tournez, tournez donc, monsieur le railleur, que je ne vous frappe point par-derrière.

— Me frapper, moi ! dit l’autre en pivotant sur ses talons et en regardant le jeune homme avec autant d’étonnement que de mépris. Allons, allons donc, mon cher, vous êtes fou !

Puis, à demi-voix, et comme s’il se fût parlé à lui-même :

— C’est fâcheux, continua-t-il, quelle trouvaille pour Sa Majesté, qui cherche des braves de tous côtés pour recruter ses mousquetaires !

Il achevait à peine, que d’Artagnan lui allongea un si furieux coup de pointe, que, s’il n’eût fait vivement un bond en arrière, il est probable qu’il eût plaisanté pour la dernière fois. L’inconnu vit alors que la chose passait la raillerie, tira son épée, salua son adversaire et se mit gravement en garde. Mais au même moment ses deux auditeurs, accompagnés de l’hôte, tombèrent sur d’Artagnan à grands coups de bâtons, de pelles et de pincettes. Cela fit une diversion si rapide et si complète à l’attaque, que l’adversaire de d’Artagnan, pendant que celui-ci se retournait pour faire face à cette grêle de coups, rengainait avec la même précision, et, d’acteur qu’il avait manqué d’être, redevenait spectateur du combat, rôle dont il s’acquitta avec son impassibilité ordinaire, tout en marmottant néanmoins :

— La peste soit des Gascons ! Remettez-le sur son cheval orange, et qu’il s’en aille !

— Pas avant de t’avoir tué, lâche ! criait d’Artagnan tout en faisant face du mieux qu’il pouvait et sans reculer d’un pas à ses trois ennemis, qui le moulaient de coups.

— Encore une gasconnade, murmura le gentilhomme. Sur mon honneur, ces Gascons sont incorrigibles ! Continuez donc la danse, puisqu’il le veut absolument. Quand il sera las, il dira qu’il en a assez.

Mais l’inconnu ne savait pas encore à quel genre d’entêté il avait affaire ; d’Artagnan n’était pas homme à jamais demander merci. Le combat continua donc quelques secondes encore ; enfin d’Artagnan, épuisé, laissa échapper son épée qu’un coup de bâton brisa en deux morceaux. Un autre coup, qui lui entama le front, le renversa presque en même temps tout sanglant et presque évanoui.

C’est à ce moment que de tous côtés on accourut sur le lieu de la scène. L’hôte, craignant du scandale, emporta, avec l’aide de ses garçons, le blessé dans la cuisine où quelques soins lui furent accordés.

Quant au gentilhomme, il était revenu prendre sa place à la fenêtre et regardait avec une certaine impatience toute cette foule, qui semblait en demeurant là lui causer une vive contrariété.

— Eh bien, comment va cet enragé ? reprit-il en se retournant au bruit de la porte qui s’ouvrit et en s’adressant à l’hôte qui venait s’informer de sa santé.

— Votre Excellence est saine et sauve ? demanda l’hôte.

— Oui, parfaitement saine et sauve, mon cher hôtelier, et c’est moi qui vous demande ce qu’est devenu notre jeune homme.

— Il va mieux, dit l’hôte, il s’est évanoui tout à fait.

— Vraiment ? fit le gentilhomme.

— Mais avant de s’évanouir il a rassemblé toutes ses forces pour vous appeler et vous défier en vous appelant.

— Mais c’est donc le diable en personne que ce gaillard-là ! s’écria l’inconnu.

— Oh ! non, Votre Excellence, ce n’est pas le diable, reprit l’hôte avec une grimace de mépris, car pendant son évanouissement nous l’avons fouillé, et il n’a dans son paquet qu’une chemise et dans sa bourse que onze écus, ce qui ne l’a pas empêché de dire en s’évanouissant que si pareille chose était arrivée à Paris, vous vous en repentiriez tout de suite, tandis qu’ici vous ne vous en repentirez que plus tard.

— Alors, dit froidement l’inconnu, c’est quelque prince du sang déguisé.

— Je vous dis cela, mon gentilhomme, reprit l’hôte, afin que vous vous teniez sur vos gardes.

— Et il n’a nommé personne dans sa colère ?

— Si fait, il frappait sur sa poche, et il disait : — Nous verrons ce que M. de Tréville pensera de cette insulte faite à son protégé.

— M. de Tréville ? dit l’inconnu en devenant attentif ; il frappait sur sa poche en prononçant le nom de M. de Tréville !… Voyons, mon cher hôte, pendant que votre jeune homme était évanoui, vous n’avez pas été, j’en suis bien sûr, sans regarder aussi cette poche-là. Qu’y avait-il ?

— Une lettre adressée à M. de Tréville, capitaine des mousquetaires.

— En vérité !

— C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire, Excellence.

L’hôte, qui n’était pas doué d’une grande perspicacité, ne remarqua point l’expression que ses paroles avaient donnée à la physionomie de l’inconnu. Celui-ci quitta le rebord de la croisée sur lequel il était toujours resté appuyé du bout du coude, et fronça le sourcil en homme inquiet.

— Diable ! murmura-t-il entre ses dents, Tréville m’aurait-il envoyé ce Gascon ? il est bien jeune ! Mais un coup d’épée est un coup d’épée, quel que soit l’âge de celui qui le donne, et l’on se défie moins d’un enfant que de tout autre ; il suffit parfois d’un faible obstacle pour contrarier un grand dessein.

Et l’inconnu tomba dans une réflexion qui dura quelques minutes.

— Voyons, l’hôte, dit-il, est-ce que vous ne me débarrasserez pas de ce frénétique ? En conscience, je ne puis le tuer, et cependant, ajouta-t-il avec une expression froidement menaçante, cependant il me gêne. Où est-il ?

— Dans la chambre de ma femme, où on le panse, au premier étage.

— Ses hardes et son sac sont avec lui ? il n’a pas quitté son pourpoint ?

— Tout cela, au contraire, est en bas dans la cuisine. Mais puisqu’il vous gêne, ce jeune fou…

— Sans doute. Il cause dans votre hôtellerie un scandale auquel d’honnêtes gens ne sauraient résister. Montez chez vous, faites mon compte et avertissez mon laquais.

— Quoi ! monsieur nous quitte déjà ?

— Vous le savez bien, puisque je vous avais donné l’ordre de seller mon cheval. Ne m’a-t-on point obéi ?

— Si fait, et comme Votre Excellence a pu le voir, son cheval est sous la grande porte, tout appareillé pour partir.

— C’est bien, faites ce que je vous ai dit alors.

— Ouais ! se dit l’hôte, aurait-il peur du petit garçon ?

Mais un coup d’œil impératif de l’inconnu vint l’arrêter court. Il salua humblement et sortit.

— Il ne faut pas que milady [1] soit aperçue de ce drôle, continua l’étranger : elle ne doit pas tarder à passer : déjà même elle est en retard. Décidément, mieux vaut que je monte à cheval et que j’aille au-devant d’elle… Si seulement je pouvais savoir ce que contient cette lettre adressée à Tréville !

Et l’inconnu, tout en marmottant, se dirigea vers la cuisine.

Pendant ce temps, l’hôte, qui ne doutait pas que ce ne fût la présence du jeune garçon qui chassât l’inconnu de son hôtellerie, était remonté chez sa femme et avait trouvé d’Artagnan maître enfin de ses esprits. Alors, tout en lui faisant comprendre que la police pourrait bien lui faire un mauvais parti pour avoir été chercher querelle à un grand seigneur, car, à l’avis de l’hôte, l’inconnu ne pouvait être qu’un grand seigneur, il le détermina, malgré sa faiblesse, à se lever et à continuer son chemin. D’Artagnan à moitié abasourdi, sans pourpoint et la tête tout emmaillotée de linges, se leva donc et, poussé par l’hôte, commença de descendre ; mais, en arrivant à la cuisine, la première chose qu’il aperçut fut son provocateur qui causait tranquillement au marchepied d’un lourd carrosse attelé de deux gros chevaux normands.

Son interlocutrice, dont la tête apparaissait encadrée par la portière, était une femme de vingt à vingt-deux ans. Nous avons déjà dit avec quelle rapidité d’investigation d’Artagnan embrassait toute une physionomie ; il vit donc du premier coup d’œil que la femme était jeune et belle. Or cette beauté le frappa d’autant plus qu’elle était parfaitement étrangère aux pays méridionaux que jusque-là d’Artagnan avait habités. C’était une pâle et blonde personne, aux longs cheveux bouclés tombant sur ses épaules, aux grands yeux bleus languissants, aux lèvres rosées et aux mains d’albâtre. Elle causait très vivement avec l’inconnu.

— Ainsi, Son Éminence m’ordonne… disait la dame.

— De retourner à l’instant même en Angleterre, et de la prévenir directement si le duc quittait Londres.

— Et quant à mes autres instructions ? demanda la belle voyageuse.

— Elles sont renfermées dans cette boîte, que vous n’ouvrirez que de l’autre côté de la Manche.

— Très-bien ; et vous, que faites-vous ?

— Moi, je retourne à Paris.

— Sans châtier cet insolent petit garçon ? demanda la dame.

L’inconnu allait répondre ; mais, au moment où il ouvrait la bouche, d’Artagnan, qui avait tout entendu, s’élança sur le seuil de la porte.

— C’est cet insolent petit garçon qui châtie les autres, s’écria-t-il, et j’espère bien que cette fois-ci celui qu’il doit châtier ne lui échappera pas comme la première.

— Ne lui échappera pas ? reprit l’inconnu en fronçant le sourcil.

— Non, devant une femme, vous n’oseriez pas fuir, je présume.

— Songez, s’écria milady en voyant le gentilhomme porter la main à son épée, songez que le moindre retard peut tout perdre.

— Vous avez raison, s’écria le gentilhomme ; partez donc de votre côté, moi, je pars du mien.

Et, saluant la dame d’un signe de tête, il s’élança sur son cheval, tandis que le cocher du carrosse fouettait vigoureusement son attelage. Les deux interlocuteurs partirent donc au galop, s’éloignant chacun par un côté opposé de la rue.

— Eh ! votre dépense, vociféra l’hôte, dont l’affection pour son voyageur se changeait en un profond dédain en voyant qu’il s’éloignait sans solder ses comptes.

— Paie, maroufle, s’écria le voyageur toujours galopant à son laquais, lequel jeta aux pieds de l’hôte deux ou trois pièces d’argent et se mit à galoper après son maître.

— Ah ! lâche, ah ! misérable, ah ! faux gentilhomme ! cria d’Artagnan s’élançant à son tour après le laquais.

Mais le blessé était trop faible encore pour supporter une pareille secousse. À peine eut-il fait dix pas, que ses oreilles tintèrent, qu’un éblouissement le prit, qu’un nuage de sang passa sur ses yeux et qu’il tomba au milieu de la rue, en criant encore :

— Lâche ! lâche ! lâche !

— Il est en effet bien lâche, murmura l’hôte en s’approchant de d’Artagnan, et essayant par cette flatterie de se raccommoder avec le pauvre garçon, comme le héron de la fable avec son limaçon du soir.

— Oui, bien lâche, murmura d’Artagnan ; mais elle, bien belle !

— Qui, elle ? demanda l’hôte.

— Milady, balbutia d’Artagnan, qui avait entendu le gentilhomme prononcer ce nom ; et il s’évanouit une seconde fois.

— C’est égal, dit l’hôte, j’en perds deux, mais il me reste celui-là, que je suis sûr de conserver au moins quelques jours. C’est toujours onze écus de gagnés.

On sait que onze écus faisaient juste la somme qui restait dans la bourse de d’Artagnan.

L’hôte avait compté sur onze jours de maladie à un écu par jour ; mais il avait compté sans son voyageur. Le lendemain, dès cinq heures du matin, d’Artagnan se leva, descendit lui-même à la cuisine, demanda, outre quelques autres ingrédients dont la liste n’est pas parvenue jusqu’à nous, du vin, de l’huile, du romarin, et, la recette de sa mère à la main, se composa un baume dont il oignit ses nombreuses blessures, renouvelant ses compresses lui-même et ne voulant admettre l’adjonction d’aucun médecin. Grâce sans doute à l’efficacité du baume de Bohême, et peut-être aussi grâce à l’absence de tout docteur, d’Artagnan se trouva sur pied dès le soir même, et à peu près guéri le lendemain.

Mais, au moment de payer ce romarin, cette huile et ce vin, seule dépense du maître qui avait gardé une diète absolue, tandis qu’au contraire le cheval jaune, au dire de l’hôtelier du moins, avait mangé trois fois plus qu’on n’eût raisonnablement pu le supposer pour sa taille, d’Artagnan ne trouva dans sa poche que sa petite bourse de velours râpé ainsi que les onze écus qu’elle contenait ; mais quant à la lettre adressée à M. de Tréville, elle avait disparu.

Le jeune homme commença par chercher cette lettre avec une grande patience, tournant et retournant vingt fois ses poches et ses goussets, fouillant et refouillant dans son sac, ouvrant et refermant sa bourse ; mais lorsqu’il eut acquis la conviction que la lettre était introuvable, il entra dans un troisième accès de rage, qui faillit lui occasionner une nouvelle consommation de vin et d’huile aromatisés : car, en voyant cette jeune mauvaise tête s’échauffer et menacer de tout casser dans l’établissement si l’on ne retrouvait pas sa lettre, l’hôte s’était déjà saisi d’un épieu, sa femme d’un manche à balai, et ses garçons des mêmes bâtons qui avaient servi la surveille.

— Ma lettre de recommandation ! s’écria d’Artagnan, ma lettre de recommandation, ou, sangdieu ! ou je vous embroche tous comme des ortolans !

Malheureusement une circonstance s’opposait à ce que le jeune homme accomplît sa menace : c’est que, comme nous l’avons dit, son épée avait été, dans sa première lutte, brisée en deux morceaux, ce qu’il avait parfaitement oublié. Il en résulta que, lorsque d’Artagnan voulut en effet dégainer, il se trouva purement et simplement armé d’un tronçon d’épée de huit ou dix pouces à peu près, que l’hôte avait soigneusement renfoncé dans le fourreau. Quant au reste de la lame, le chef l’avait adroitement détourné pour s’en faire une lardoire.

Cependant cette déception n’eût probablement pas arrêté notre fougueux jeune homme, si l’hôte n’avait réfléchi que la réclamation que lui adressait son voyageur était parfaitement juste.

— Mais, au fait, dit-il en abaissant son épieu, où est cette lettre ?

— Oui, où est cette lettre ? cria d’Artagnan. D’abord, je vous en préviens, cette lettre est pour M. de Tréville, et il faut qu’elle se retrouve ; ou si elle ne se retrouve pas, il saura bien la faire retrouver, lui !

Cette menace acheva d’intimider l’hôte. Après le roi et M. le cardinal, M. de Tréville était l’homme dont le nom peut-être était le plus souvent répété par les militaires et même par les bourgeois. Il y avait bien le père Joseph, c’est vrai ; mais son nom à lui n’était jamais prononcé que tout bas, tant était grande la terreur qu’inspirait l’Éminence grise, comme on appelait le familier du cardinal.

Aussi, jetant son épieu loin de lui, et ordonnant à sa femme d’en faire autant de son manche à balai et à ses valets de leurs bâtons, il donna le premier l’exemple en se mettant lui-même à la recherche de la lettre perdue.

— Est-ce que cette lettre renfermait quelque chose de précieux ? demanda l’hôte au bout d’un instant d’investigations inutiles.

— Mordioux ! je le crois bien, s’écria le Gascon qui comptait sur cette lettre pour faire son chemin à la cour ; elle contenait ma fortune.

— Des bons sur l’épargne ? demanda l’hôte inquiet.

— Des bons sur la trésorerie particulière de Sa Majesté, répondit d’Artagnan, qui, comptant entrer au service du roi grâce à cette recommandation, croyait pouvoir faire sans mentir cette réponse quelque peu hasardée.

— Diable ! fit l’hôte tout à fait désespéré.

— Mais il n’importe, continua d’Artagnan avec l’aplomb national, il n’importe, et l’argent n’est rien : – cette lettre était tout. J’eusse mieux aimé perdre mille pistoles que de la perdre.

Il ne risquait pas davantage à dire vingt mille, mais une certaine pudeur juvénile le retint.

Un trait de lumière frappa tout à coup l’esprit de l’hôte qui se donnait au diable en ne trouvant rien.

— Cette lettre n’est point perdue, s’écria-t-il.

— Ah ! fit d’Artagnan.

— Non : elle vous a été prise.

— Prise ! et par qui ?

— Par le gentilhomme d’hier. Il est descendu à la cuisine, où était votre pourpoint. Il y est resté seul. Je gagerais que c’est lui qui l’a volée.

— Vous croyez ? répondit d’Artagnan peu convaincu, car il savait mieux que personne l’importance toute personnelle de cette lettre, et n’y voyait rien qui pût tenter la cupidité. Le fait est qu’aucun des valets, aucun des voyageurs présents n’eût rien gagné à posséder ce papier.

— Vous dites donc, reprit d’Artagnan, que vous soupçonnez cet impertinent gentilhomme.

— Je vous dis que j’en suis sûr, continua l’hôte ; lorsque je lui ai annoncé que Votre Seigneurie était le protégé de M. de Tréville, et que vous aviez même une lettre pour cet illustre gentilhomme, il a paru fort inquiet, m’a demandé où était cette lettre, et est descendu immédiatement à la cuisine où il savait qu’était votre pourpoint.

— Alors c’est mon voleur, répondit d’Artagnan ; je m’en plaindrai à M. de Tréville, et M. de Tréville s’en plaindra au roi. Puis il tira majestueusement deux écus de sa poche, les donna à l’hôte, qui l’accompagna, le chapeau à la main, jusqu’à la porte, remonta sur son cheval jaune, qui le conduisit sans autre incident jusqu’à la porte Saint-Antoine à Paris, où son propriétaire le vendit trois écus, ce qui était fort bien payé, attendu que d’Artagnan l’avait fort surmené pendant la dernière étape. Aussi le maquignon auquel d’Artagnan le céda moyennant les neuf livres susdites ne cacha-t-il point au jeune homme qu’il n’en donnait cette somme exorbitante qu’à cause de l’originalité de sa couleur.

D’Artagnan entra donc dans Paris à pied, portant son petit paquet sous son bras, et marcha tant qu’il trouvât à louer une chambre qui convînt à l’exiguïté de ses ressources. Cette chambre fut une espèce de mansarde, sise rue des Fossoyeurs, près le Luxembourg.

Aussitôt le denier à Dieu donné, d’Artagnan prit possession de son logement, passa le reste de la journée à coudre à son pourpoint et à ses chausses des passementeries que sa mère avait détachées d’un pourpoint presque neuf de M. d’Artagnan père, et qu’elle lui avait données en cachette ; puis il alla quai de la Ferraille, faire remettre une lame à son épée ; puis il revint au Louvre s’informer, au premier mousquetaire qu’il rencontra, de la situation de l’hôtel de M. de Tréville, lequel était situé rue du Vieux-Colombier, c’est-à-dire justement dans le voisinage de la chambre arrêtée par d’Artagnan : circonstance qui lui parut d’un heureux augure pour le succès de son voyage.

Après quoi, content de la façon dont il s’était conduit à Meung, sans remords dans le passé, confiant dans le présent et plein d’espérance dans l’avenir, il se coucha et s’endormit du sommeil du brave.

Ce sommeil, tout provincial encore, le conduisit jusqu’à neuf heures du matin, heure à laquelle il se leva pour se rendre chez ce fameux M. de Tréville, le troisième personnage du royaume d’après l’estimation paternelle.

L’ANTICHAMBRE DE M. DE TRÉVILLE

M. de Troisvilles, comme s’appelait encore sa famille en Gascogne, ou M. de Tréville, comme il avait fini par s’appeler lui-même à Paris, avait réellement commencé comme d’Artagnan, c’est-à-dire sans un sou vaillant, mais avec ce fonds d’audace, d’esprit et d’entendement qui fait que le plus pauvre gentillâtre gascon reçoit souvent plus en ses espérances de l’héritage paternel que le plus riche gentilhomme périgourdin ou berrichon ne reçoit en réalité. Sa bravoure insolente, son bonheur plus insolent encore dans un temps où les coups pleuvaient comme grêle, l’avaient hissé au sommet de cette échelle difficile qu’on appelle la faveur de cour, et dont il avait escaladé quatre à quatre les échelons.

Il était l’ami du roi, lequel honorait fort, comme chacun sait, la mémoire de son père Henri IV. Le père de M. de Tréville l’avait si fidèlement servi dans ses guerres contre la Ligue, qu’à défaut d’argent comptant – chose qui toute la vie manqua au Béarnais, lequel paya constamment ses dettes avec la seule chose qu’il n’eût jamais besoin d’emprunter, c’est-à-dire avec de l’esprit, – qu’à défaut d’argent comptant, disons-nous, il l’avait autorisé, après la reddition de Paris, à prendre pour armes un lion d’or passant sur gueules avec cette devise : Fidelis et fortis. C’était beaucoup pour l’honneur, mais c’était médiocre pour le bien-être. Aussi, quand l’illustre compagnon du grand Henri mourut, il laissa pour seul héritage à monsieur son fils son épée et sa devise. Grâce à ce double don et au nom sans tache qui l’accompagnait, M. de Tréville fut admis dans la maison du jeune prince, où il servit si bien de son épée et fut si fidèle à sa devise, que Louis XIII, une des bonnes lames du royaume, avait l’habitude de dire que, s’il avait un ami qui se battît, il lui donnerait le conseil de prendre pour second, lui d’abord, et Tréville après, et peut-être même Tréville avant lui.

Aussi Louis XIII avait-il un attachement réel pour Tréville, attachement royal, attachement égoïste, c’est vrai, mais qui n’en était pas moins un attachement. C’est que, dans ces temps malheureux, on cherchait fort à s’entourer d’hommes de la trempe de Tréville. Beaucoup pouvaient prendre pour devise l’épithète de forts, qui faisait la seconde partie de son exergue ; mais peu de gentilshommes pouvaient réclamer l’épithète de fidèles, qui en formait la première. Tréville était un de ces derniers ; c’était une de ces rares organisations, à l’intelligence obéissante comme celle du dogue, à la valeur aveugle, à l’œil rapide, à la main prompte, à qui l’œil n’avait été donné que pour voir si le roi était mécontent de quelqu’un et la main que pour frapper ce déplaisant quelqu’un, un Besme, un Maurevers, un Poltrot de Méré, un Vitry. Enfin à Tréville, il n’avait manqué jusque-là que l’occasion ; mais il la guettait, et il se promettait bien de la saisir par ses trois cheveux si jamais elle passait à la portée de sa main. Aussi Louis XIII fit-il de Tréville le capitaine de ses mousquetaires, lesquels étaient à Louis XIII, pour le dévouement ou plutôt pour le fanatisme, ce que ses ordinaires étaient à Henri III et ce que sa garde écossaise était à Louis XI.

De son côté, et sous ce rapport, le cardinal n’était pas en reste avec le roi. Quand il avait vu la formidable élite dont Louis XIII s’entourait, ce second ou plutôt ce premier roi de France avait voulu, lui aussi, avoir sa garde. Il eut donc ses mousquetaires comme Louis XIII avait les siens et l’on voyait ces deux puissances rivales trier pour leur service, dans toutes les provinces de France et même dans tous les États étrangers, les hommes célèbres pour les grands coups d’épée. Aussi Richelieu et Louis XIII se disputaient souvent, en faisant leur partie d’échecs, le soir, au sujet du mérite de leurs serviteurs. Chacun vantait la tenue et le courage des siens, et tout en se prononçant tout haut contre les duels et contre les rixes, ils les excitaient tout bas à en venir aux mains, et concevaient un véritable chagrin ou une joie immodérée de la défaite ou de la victoire des leurs. Ainsi, du moins, le disent les mémoires d’un homme qui fut dans quelques-unes de ces défaites et dans beaucoup de ces victoires.

Tréville avait pris le côté faible de son maître, et c’est à cette adresse qu’il devait la longue et constante faveur d’un roi qui n’a pas laissé la réputation d’avoir été très fidèle à ses amitiés. Il faisait parader ses mousquetaires devant le cardinal Armand Duplessis avec un air narquois qui hérissait de colère la moustache grise de Son Éminence. Tréville entendait admirablement bien la guerre de cette époque, où, quand on ne vivait pas aux dépens de l’ennemi, on vivait aux dépens de ses compatriotes : ses soldats formaient une légion de diables à quatre, indisciplinée pour tout autre que pour lui.

Débraillés, avinés, écorchés, les mousquetaires du roi, ou plutôt ceux de M. de Tréville, s’épandaient dans les cabarets, dans les promenades, dans les jeux publics, criant fort et retroussant leurs moustaches, faisant sonner leurs épées, heurtant avec volupté les gardes de M. le cardinal quand ils les rencontraient ; puis dégainant en pleine rue, avec mille plaisanteries ; tués quelquefois, mais sûrs en ce cas d’être pleurés et vengés ; tuant souvent, et sûrs alors de ne pas moisir en prison, M. de Tréville étant là pour les réclamer. Aussi M. de Tréville était-il loué sur tous les tons, chanté sur toutes les gammes par ces hommes qui l’adoraient, et qui, tout gens de sac et de corde qu’ils étaient, tremblaient devant lui comme des écoliers devant leur maître, obéissant au moindre mot, et prêts à se faire tuer pour laver le moindre reproche.

M. de Tréville avait usé de ce levier puissant, pour le roi d’abord et les amis du roi, – puis pour lui-même et pour ses amis. Au reste, dans aucun des mémoires de ce temps, qui a laissé tant de mémoires, on ne voit que ce digne gentilhomme ait été accusé, même par ses ennemis, et il en avait autant parmi les gens de plume que chez les gens d’épée ; nulle part on ne voit, disons-nous, que ce digne gentilhomme ait été accusé de se faire payer la coopération de ses séides. Avec un rare génie d’intrigue, qui le rendait l’égal des plus forts intrigants, il était resté honnête homme. Bien plus, en dépit des grandes estocades qui déhanchent et des exercices pénibles qui fatiguent, il était devenu un des plus galants coureurs de ruelles, un des plus fins damerets, un des plus alambiqués diseurs de Phébus de son époque ; on parlait des bonnes fortunes de Tréville comme on avait parlé vingt ans auparavant de celles de Bassompierre – et ce n’était pas peu dire. Le capitaine des mousquetaires était donc admiré, craint et aimé, ce qui constitue l’apogée des fortunes humaines.

Louis XIV absorba tous les petits astres de sa cour dans son vaste rayonnement ; mais son père, soleil pluribus impar, laissa sa splendeur personnelle à chacun de ses favoris, sa valeur individuelle à chacun de ses courtisans. Outre le lever du roi et celui du cardinal, on comptait alors à Paris plus de deux cents petits levers, un peu recherchés. Parmi les deux cents petits levers celui de M. de Tréville était un des plus courus.

La cour de son hôtel, situé rue du Vieux-Colombier, ressemblait à un camp, et cela dès six heures du matin en été et dès huit heures en hiver. Cinquante à soixante mousquetaires, qui semblaient s’y relayer pour présenter un nombre toujours imposant, s’y promenaient sans cesse, armés en guerre et prêts à tout. Le long d’un de ses grands escaliers sur l’emplacement desquels notre civilisation bâtirait une maison tout entière, montaient et descendaient les solliciteurs de Paris qui couraient après une faveur quelconque, les gentilshommes de province avides d’être enrôlés, et les laquais chamarrés de toutes couleurs, qui venaient apporter à M. de Tréville les messages de leurs maîtres. Dans l’antichambre, sur de longues banquettes circulaires, reposaient les élus, c’est-à-dire ceux qui étaient convoqués. Un bourdonnement durait là depuis le matin jusqu’au soir, tandis que M. de Tréville, dans son cabinet contigu à cette antichambre, recevait les visites, écoutait les plaintes, donnait ses ordres et, comme le roi à son balcon du Louvre, n’avait qu’à se mettre à sa fenêtre pour passer la revue des hommes et des armes.

Le jour où d’Artagnan se présenta, l’assemblée était imposante, surtout pour un provincial arrivant de sa province : il est vrai que ce provincial était Gascon, et que surtout à cette époque les compatriotes de d’Artagnan avaient la réputation de ne point facilement se laisser intimider. En effet, une fois qu’on avait franchi la porte massive, chevillée de longs clous à tête quadrangulaire, on tombait au milieu d’une troupe de gens d’épée qui se croisaient dans la cour, s’interpellant, se querellant et jouant entre eux. Pour se frayer un passage au milieu de toutes ces vagues tourbillonnantes, il eût fallu être officier, grand seigneur ou jolie femme.

Ce fut donc au milieu de cette cohue et de ce désordre que notre jeune homme s’avança, le cœur palpitant, rangeant sa longue rapière le long de ses jambes maigres, et tenant une main au rebord de son feutre avec ce demi-sourire du provincial embarrassé qui veut faire bonne contenance. Avait-il dépassé un groupe, alors il respirait plus librement, mais il comprenait qu’on se retournait pour le regarder, et pour la première fois de sa vie, d’Artagnan, qui jusqu’à ce jour avait une assez bonne opinion de lui-même, se trouva ridicule.

Arrivé à l’escalier, ce fut pis encore : il y avait sur les premières marches quatre mousquetaires qui se divertissaient à l’exercice suivant, tandis que dix ou douze de leurs camarades attendaient sur le palier que leur tour vînt de prendre place à la partie.

Un d’eux, placé sur le degré supérieur, l’épée nue à la main, empêchait ou du moins s’efforçait d’empêcher les trois autres de monter.

Ces trois autres s’escrimaient contre lui de leurs épées fort agiles. D’Artagnan prit d’abord ces fers pour des fleurets d’escrime, il les crut boutonnés : mais il reconnut bientôt à certaines égratignures que chaque arme, au contraire, était affilée et aiguisée à souhait, et à chacune de ces égratignures, non seulement les spectateurs, mais encore les acteurs riaient comme des fous.

Celui qui occupait le degré en ce moment tenait merveilleusement ses adversaires en respect. On faisait cercle autour d’eux : la condition portait qu’à chaque coup le touché quitterait la partie, en perdant son tour d’audience au profit du toucheur. En cinq minutes trois furent effleurés, l’un au poignet, l’autre au menton, l’autre à l’oreille par le défenseur du degré, qui lui-même ne fut pas atteint : adresse qui lui valut, selon les conventions arrêtées, trois tours de faveur.

Si difficile non pas qu’il fût, mais qu’il voulût être à étonner, ce passe-temps étonna notre jeune voyageur ; il avait vu dans sa province, cette terre où s’échauffent cependant si promptement les têtes, un peu plus de préliminaires aux duels, et la gasconnade de ces quatre joueurs lui parut la plus forte de toutes celles qu’il avait ouïes jusqu’alors, même en Gascogne. Il se crut transporté dans ce fameux pays des géants où Gulliver alla depuis et eut si grand-peur ; et cependant il n’était pas au bout : restaient le palier et l’antichambre.

Sur le palier on ne se battait plus, on racontait des histoires de femmes, et dans l’antichambre des histoires de cour. Sur le palier, d’Artagnan rougit ; dans l’antichambre, il frissonna. Son imagination éveillée et vagabonde, qui en Gascogne le rendait redoutable aux jeunes femmes de chambre et même quelquefois aux jeunes maîtresses, n’avait jamais rêvé, même dans ces moments de délire, la moitié de ces merveilles amoureuses et le quart de ces prouesses galantes, rehaussées des noms les plus connus et des détails les moins voilés. Mais si son amour pour les bonnes mœurs fut choqué sur le palier, son respect pour le cardinal fut scandalisé dans l’antichambre. Là, à son grand étonnement, d’Artagnan entendait critiquer tout haut la politique qui faisait trembler l’Europe, et la vie privée du cardinal, que tant de hauts et puissants seigneurs avaient été punis d’avoir tenté d’approfondir : ce grand homme, révéré par M. d’Artagnan père, servait de risée aux mousquetaires de M. de Tréville, qui raillaient ses jambes cagneuses et son dos voûté ; quelques-uns chantaient des Noëls sur Mme d’Aiguillon, sa maîtresse, et Mme de Combalet, sa nièce, tandis que les autres liaient des parties contre les pages et les gardes du cardinal-duc, toutes choses qui paraissaient à d’Artagnan de monstrueuses impossibilités.

Cependant, quand le nom du roi intervenait parfois tout à coup à l’improviste au milieu de tous ces quolibets cardinalesques, une espèce de bâillon calfeutrait pour un moment toutes ces bouches moqueuses ; on regardait avec hésitation autour de soi, et l’on semblait craindre l’indiscrétion de la cloison du cabinet de M. de Tréville ; mais bientôt une allusion ramenait la conversation sur Son Éminence, et alors les éclats reprenaient de plus belle, et la lumière n’était ménagée sur aucune de ses actions.

— Certes, voilà des gens qui vont être embastillés et pendus, pensa d’Artagnan avec terreur, et moi sans aucun doute avec eux, car du moment où je les ai écoutés et entendus, je serai tenu pour leur complice. Que dirait monsieur mon père, qui m’a si fort recommandé le respect du cardinal, s’il me savait dans la société de tels païens ?

Aussi, comme on s’en doute sans que je le dise, d’Artagnan n’osait se livrer à la conversation ; seulement il regardait de tous ses yeux, écoutant de toutes ses oreilles, tendant avidement ses cinq sens pour ne rien perdre, et malgré sa confiance dans les recommandations paternelles, il se sentait porté par ses goûts et entraîné par ses instincts à louer plutôt qu’à blâmer les choses inouïes qui se passaient là.

Cependant, comme il était absolument étranger à la foule des courtisans de M. de Tréville, et que c’était la première fois qu’on l’apercevait en ce lieu, on vint lui demander ce qu’il désirait. À cette demande, d’Artagnan se nomma fort humblement, s’appuya du titre de compatriote, et pria le valet de chambre qui était venu lui faire cette question de demander pour lui à M. de Tréville un moment d’audience, demande que celui-ci promit d’un ton protecteur de transmettre en temps et lieu.

D’Artagnan, un peu revenu de sa surprise première, eut donc le loisir d’étudier un peu les costumes et les physionomies.

Au centre du groupe le plus animé était un mousquetaire de grande taille, d’une figure hautaine et d’une bizarrerie de costume qui attirait sur lui l’attention générale. Il ne portait pas, pour le moment, la casaque d’uniforme, qui, au reste, n’était pas absolument obligatoire dans cette époque de liberté moindre mais d’indépendance plus grande, mais un justaucorps bleu de ciel, tant soit peu fané et râpé, et sur cet habit un baudrier magnifique, en broderies d’or, et qui reluisait comme les écailles dont l’eau se couvre au grand soleil. Un manteau long de velours cramoisi tombait avec grâce sur ses épaules découvrant par-devant seulement le splendide baudrier auquel pendait une gigantesque rapière.

Ce mousquetaire venait de descendre de garde à l’instant même, se plaignait d’être enrhumé et toussait de temps en temps avec affectation. Aussi avait-il pris le manteau, à ce qu’il disait autour de lui, et tandis qu’il parlait du haut de sa tête, en frisant dédaigneusement sa moustache, on admirait avec enthousiasme le baudrier brodé, et d’Artagnan plus que tout autre.

— Que voulez-vous, disait le mousquetaire, la mode en vient ; c’est une folie, je le sais bien, mais c’est la mode. D’ailleurs, il faut bien employer à quelque chose l’argent de sa légitime.

— Ah ! Porthos ! s’écria un des assistants, n’essaie pas de nous faire croire que ce baudrier te vient de la générosité paternelle : il t’aura été donné par la dame voilée avec laquelle je t’ai rencontré l’autre dimanche vers la porte Saint-Honoré.

— Non, sur mon honneur et foi de gentilhomme, je l’ai acheté moi-même, et de mes propres deniers, répondit celui qu’on venait de désigner sous le nom de Porthos.

— Oui, comme j’ai acheté, moi, dit un autre mousquetaire, cette bourse neuve, avec ce que ma maîtresse avait mis dans la vieille.

— Vrai, dit Porthos, et la preuve c’est que je l’ai payé douze pistoles.

L’admiration redoubla, quoique le doute continuât d’exister.

— N’est-ce pas, Aramis ? dit Porthos se tournant vers un autre mousquetaire.

Cet autre mousquetaire formait un contraste parfait avec celui qui l’interrogeait et qui venait de le désigner sous le nom d’Aramis : c’était un jeune homme de vingt-deux à vingt-trois ans à peine, à la figure naïve et doucereuse, à l’œil noir et doux et aux joues roses et veloutées comme une pêche en automne ; sa moustache fine dessinait sur sa lèvre supérieure une ligne d’une rectitude parfaite ; ses mains semblaient craindre de s’abaisser, de peur que leurs veines ne se gonflassent, et de temps en temps il se pinçait le bout des oreilles pour les maintenir d’un incarnat tendre et transparent. D’habitude il parlait peu et lentement, saluait beaucoup, riait sans bruit en montrant ses dents, qu’il avait belles et dont, comme du reste de sa personne, il semblait prendre le plus grand soin. Il répondit par un signe de tête affirmatif à l’interpellation de son ami.

Cette affirmation parut avoir fixé tous les doutes à l’endroit du baudrier ; on continua donc de l’admirer, mais on n’en parla plus ; et par un de ces revirements rapides de la pensée, la conversation passa tout à coup à un autre sujet.

— Que pensez-vous de ce que raconte l’écuyer de Chalais ? demanda un autre mousquetaire sans interpeller directement personne, mais s’adressant au contraire à tout le monde.

— Et que raconte-t-il ? demanda Porthos d’un ton suffisant.

— Il raconte qu’il a trouvé à Bruxelles Rochefort, l’âme damnée du cardinal, déguisé en capucin ; ce Rochefort maudit, grâce à ce déguisement, avait joué M. de Laigues comme un niais qu’il est.

— Comme un vrai niais, dit Porthos ; mais la chose est-elle sûre ?

— Je la tiens d’Aramis, répondit le mousquetaire.

— Vraiment ?

— Eh ! vous le savez bien, Porthos, dit Aramis ; je vous l’ai racontée à vous-même hier, n’en parlons donc plus.

— N’en parlons plus, voilà votre opinion à vous, reprit Porthos. N’en parlons plus ! peste ! comme vous concluez vite. Comment ! le cardinal fait espionner un gentilhomme, fait voler sa correspondance par un traître, un brigand, un pendard ; fait, avec l’aide de cet espion et grâce à cette correspondance, couper le cou à Chalais, sous le stupide prétexte qu’il a voulu tuer le roi et marier Monsieur avec la reine ! Personne ne savait un mot de cette énigme, vous nous l’apprenez hier, à la grande satisfaction de tous, et quand nous sommes encore tout ébahis de cette nouvelle, vous venez nous dire aujourd’hui : N’en parlons plus !

— Parlons-en donc, voyons, puisque vous le désirez, reprit Aramis avec patience.

— Ce Rochefort, s’écria Porthos, si j’étais l’écuyer du pauvre Chalais, passerait avec moi un vilain moment.

— Et vous, vous passeriez un triste quart d’heure avec le duc Rouge, reprit Aramis.

— Ah ! le duc Rouge ! bravo, bravo, le duc Rouge ! répondit Porthos en battant des mains et en approuvant de la tête. Le duc Rouge est charmant. Je répandrai le mot, mon cher, soyez tranquille. A-t-il de l’esprit, cet Aramis ! Quel malheur que vous n’ayez pas pu suivre votre vocation, mon cher ! quel délicieux abbé vous eussiez fait !

— Oh ! ce n’est qu’un retard momentané, reprit Aramis ; un jour, je le serai. Vous savez bien, Porthos, que je continue d’étudier la théologie pour cela.

— Il le fera comme il le dit, reprit Porthos, il le fera tôt ou tard.

— Tôt, dit Aramis.

— Il n’attend qu’une chose pour le décider tout à fait et pour reprendre sa soutane, qui est pendue derrière son uniforme, reprit un mousquetaire.

— Et quelle chose attend-il ? demanda un autre.

— Il attend que la reine ait donné un héritier à la couronne de France.

— Ne plaisantons pas là-dessus, messieurs, dit Porthos ; grâce à Dieu, la reine est encore d’âge à le donner.

— On dit que M. de Buckingham est en France, reprit Aramis avec un rire narquois qui donnait à cette phrase, si simple en apparence, une signification passablement scandaleuse.

— Aramis, mon ami, pour cette fois vous avez tort, interrompit Porthos, et votre manie d’esprit vous entraîne toujours au-delà des bornes ; si M. de Tréville vous entendait, vous seriez mal venu de parler ainsi.

— Allez-vous me faire la leçon, Porthos ? s’écria Aramis, dans l’œil doux duquel on vit passer comme un éclair.

— Mon cher, soyez mousquetaire ou abbé. Soyez l’un ou l’autre, mais pas l’un et l’autre, reprit Porthos. Tenez, Athos vous l’a dit encore l’autre jour : vous mangez à tous les râteliers. Ah ! ne nous fâchons pas, je vous prie, ce serait inutile, vous savez bien ce qui est convenu entre vous, Athos et moi. Vous allez chez madame d’Aiguillon, et vous lui faites la cour ; vous allez chez madame de Bois-Tracy, la cousine de madame de Chevreuse, et vous passez pour être fort en avant dans les bonnes grâces de la dame. Oh ! mon Dieu, n’avouez pas votre bonheur, on ne vous demande pas votre secret, on connaît votre discrétion. Mais puisque vous possédez cette vertu, que diable ! Faites-en usage à l’endroit de Sa Majesté. S’occupe qui voudra et comme on voudra du roi et du cardinal ; mais la reine est sacrée, et si l’on en parle, que ce soit en bien.

— Porthos, vous êtes prétentieux comme Narcisse, je vous en préviens, répondit Aramis ; vous savez que je hais la morale, excepté quand elle est faite par Athos. Quant à vous, mon cher, vous avez un trop magnifique baudrier pour être bien fort là-dessus. Je serai abbé s’il me convient ; en attendant, je suis mousquetaire : en cette qualité, je dis ce qu’il me plaît, et en ce moment il me plaît de vous dire que vous m’impatientez.

— Aramis !

— Porthos !

— Eh ! messieurs ! messieurs ! s’écria-t-on autour d’eux.

— M. de Tréville attend M. d’Artagnan, interrompit le laquais en ouvrant la porte du cabinet.

À cette annonce, pendant laquelle la porte demeurait ouverte, chacun se tut, et au milieu du silence général le jeune Gascon traversa l’antichambre dans une partie de sa longueur et entra chez le capitaine des mousquetaires, se félicitant de tout son cœur d’échapper aussi à point à la fin de cette bizarre querelle.

L’AUDIENCE

M. de Tréville était pour le moment de fort méchante humeur ; néanmoins il salua poliment le jeune homme, qui s’inclina jusqu’à terre, et il sourit en recevant son compliment, dont l’accent béarnais lui rappela à la fois sa jeunesse et son pays, double souvenir qui fait sourire l’homme à tous les âges. Mais, se rapprochant presque aussitôt de l’antichambre et faisant à d’Artagnan un signe de la main, comme pour lui demander la permission d’en finir avec les autres avant de commencer avec lui, il appela trois fois, en grossissant la voix à chaque fois, de sorte qu’il parcourut tous les tons intervallaires entre l’accent impératif et l’accent irrité :

— Athos ! Porthos ! Aramis !

Les deux mousquetaires avec lesquels nous avons déjà fait connaissance, et qui répondaient aux deux derniers de ces trois noms, quittèrent aussitôt les groupes dont ils faisaient partie et s’avancèrent vers le cabinet, dont la porte se referma derrière eux dès qu’ils en eurent franchi le seuil. Leur contenance, bien qu’elle ne fût pas tout à fait tranquille, excita cependant par son laisser-aller à la fois plein de dignité et de soumission, l’admiration de d’Artagnan, qui voyait dans ces hommes des demi-dieux, et dans leur chef un Jupiter olympien armé de tous ses foudres.

Quand les deux mousquetaires furent entrés, quand la porte fut refermée derrière eux, quand le murmure bourdonnant de l’antichambre, auquel l’appel qui venait d’être fait avait sans doute donné un nouvel aliment eut recommencé, quand enfin M. de Tréville eut trois ou quatre fois arpenté, silencieux et le sourcil froncé, toute la longueur de son cabinet, passant chaque fois devant Porthos et Aramis, roides et muets comme à la parade, il s’arrêta tout à coup en face d’eux, et les couvrant des pieds à la tête d’un regard irrité :

— Savez-vous ce que m’a dit le roi, s’écria-t-il, et cela pas plus tard qu’hier au soir ? le savez-vous, messieurs ?

— Non, répondirent après un instant de silence les deux mousquetaires ; non, monsieur, nous l’ignorons.

— Mais j’espère que vous nous ferez l’honneur de nous le dire, ajouta Aramis de son ton le plus poli et avec la plus gracieuse révérence.

— Il m’a dit qu’il recruterait désormais ses mousquetaires parmi les gardes de M. le cardinal !

— Parmi les gardes de M. le cardinal ! et pourquoi cela ? demanda vivement Porthos.

— Parce qu’il voyait bien que sa piquette avait besoin d’être ragaillardie par un mélange de bon vin. »

Les deux mousquetaires rougirent jusqu’au blanc des yeux. D’Artagnan ne savait où il en était et eût voulu être à cent pieds sous terre.

— Oui, oui, continua M. de Tréville en s’animant, oui, et Sa Majesté avait raison, car, sur mon honneur, il est vrai que les mousquetaires font triste figure à la cour. M. le cardinal racontait hier au jeu du roi, avec un air de condoléance qui me déplut fort, qu’avant-hier ces damnés mousquetaires, ces diables-à-quatre, et il appuyait sur ces mots avec un accent ironique qui me déplut encore davantage ; ces pourfendeurs, ajoutait-il en me regardant de son œil de chat-tigre, s’étaient attardés rue Férou, dans un cabaret, et qu’une ronde de ses gardes, j’ai cru qu’il allait me rire au nez, avait été forcée d’arrêter les perturbateurs. Morbleu ! vous devez en savoir quelque chose ! Arrêter des mousquetaires ! Vous en étiez, vous autres, ne vous en défendez pas, on vous a reconnus, et le cardinal vous a nommés. Voilà bien ma faute, oui, ma faute, puisque c’est moi qui choisis mes hommes. Voyons, vous, Aramis, pourquoi diable m’avez-vous demandé la casaque quand vous alliez être si bien sous la soutane ! Voyons, vous, Porthos, n’avez-vous un si beau baudrier d’or que pour y suspendre une épée de paille ? Et Athos ? je ne vois pas Athos. Où est-il ?

— Monsieur, répondit tristement Aramis, il est malade, fort malade.

— Malade, fort malade, dites-vous ? et de quelle maladie ?

— On craint que ce ne soit de la petite vérole, monsieur, répondit Porthos voulant mêler à son tour un mot à la conversation, et ce qui serait fâcheux en ce que très certainement cela gâterait son visage.

— De la petite vérole ! Voilà encore une glorieuse histoire que vous me contez là, Porthos ! — Malade de la petite vérole, à son âge ? — Non pas !… mais blessé sans doute, tué peut-être. — Ah ! si je le savais !… Sangdieu ! messieurs les mousquetaires, je n’entends pas que l’on hante ainsi les mauvais lieux, qu’on se prenne de querelle dans la rue et qu’on joue de l’épée dans les carrefours. Je ne veux pas enfin qu’on prête à rire aux gardes de M. le cardinal, qui sont de braves gens, tranquilles, adroits, qui ne se mettent jamais dans le cas d’être arrêtés, et qui d’ailleurs ne se laisseraient pas arrêter, eux ! — j’en suis sûr. — Ils aimeraient mieux mourir sur la place que de faire un pas en arrière. — Se sauver, détaler, fuir, c’est bon pour les mousquetaires du roi, cela !

Porthos et Aramis frémissaient de rage. Ils auraient volontiers étranglé M. de Tréville, si au fond de tout cela ils n’avaient pas senti que c’était le grand amour qu’il leur portait qui le faisait leur parler ainsi. Ils frappaient le tapis du pied, se mordaient les lèvres jusqu’au sang et serraient de toute leur force la garde de leur épée. Au-dehors on avait entendu appeler, comme nous l’avons dit, Athos, Porthos et Aramis, et l’on avait deviné, à l’accent de la voix de M. de Tréville, qu’il était parfaitement en colère. Dix têtes curieuses étaient appuyées à la tapisserie et pâlissaient de fureur, car leurs oreilles collées à la porte ne perdaient pas une syllabe de ce qui se disait, tandis que leurs bouches répétaient au fur et à mesure les paroles insultantes du capitaine à toute la population de l’antichambre. En un instant depuis la porte du cabinet jusqu’à la porte de la rue, tout l’hôtel fut en ébullition.

— Ah ! les mousquetaires du roi se font arrêter par les gardes de M. le cardinal, continua M. de Tréville aussi furieux à l’intérieur que ses soldats, mais saccadant ses paroles et les plongeant une à une pour ainsi dire et comme autant de coups de stylet dans la poitrine de ses auditeurs. Ah ! six gardes de Son Éminence arrêtent six mousquetaires de Sa Majesté ! Morbleu ! j’ai pris mon parti. Je vais de ce pas au Louvre ; je donne ma démission de capitaine des mousquetaires du roi pour demander une lieutenance dans les gardes du cardinal, et s’il me refuse, morbleu ! je me fais abbé.

À ces paroles, le murmure de l’extérieur devint une explosion : partout on n’entendait que jurons et blasphèmes. Les morbleu ! les sangdieu ! les morts de tous les diables ! se croisaient dans l’air. D’Artagnan cherchait une tapisserie derrière laquelle se cacher, et se sentait une envie démesurée de se fourrer sous la table.

— Eh bien, mon capitaine, dit Porthos hors de lui, la vérité est que nous étions six contre six, mais nous avons été pris en traître, et avant que nous eussions eu le temps de tirer nos épées, deux d’entre nous étaient tombés morts, et Athos, blessé grièvement, ne valait guère mieux. Car vous le connaissez, Athos ; eh bien, capitaine, il a essayé de se relever deux fois, et il est retombé deux fois. Cependant nous ne nous sommes pas rendus, non ! l’on nous a entraînés de force. En chemin, nous nous sommes sauvés. Quant à Athos, on l’avait cru mort, et on l’a laissé bien tranquillement sur le champ de bataille, ne pensant pas qu’il valût la peine d’être emporté. Voilà l’histoire. Que diable, capitaine ! on ne gagne pas toutes les batailles. Le grand Pompée a perdu celle de Pharsale, et le roi François Ier, qui, à ce que j’ai entendu dire, en valait bien un autre, a perdu cependant celle de Pavie.

— Et j’ai l’honneur de vous assurer que j’en ai tué un avec sa propre épée, dit Aramis, car la mienne s’est brisée à la première parade ; — tué ou poignardé, monsieur, comme il vous sera agréable.

— Je ne savais pas cela, reprit M. de Tréville d’un ton un peu radouci. M. le cardinal avait exagéré, à ce que je vois.

— Mais de grâce, monsieur, continua Aramis, qui, voyant son capitaine s’apaiser, osait hasarder une prière, de grâce, monsieur, ne dites pas qu’Athos lui-même est blessé. Il serait au désespoir que cela parvînt aux oreilles du roi, et comme la blessure est des plus graves, attendu qu’après avoir traversé l’épaule elle pénètre dans la poitrine, il serait à craindre…

Au même instant la portière se souleva, et une tête noble et belle, mais affreusement pâle, parut sous la frange.

— Athos ! s’écrièrent les deux mousquetaires.

— Athos ! répéta M. de Tréville lui-même.

— Vous m’avez mandé, monsieur, dit Athos à M. de Tréville d’une voix affaiblie mais parfaitement calme, vous m’avez demandé, à ce que m’ont dit nos camarades, et je m’empresse de me rendre à vos ordres. Me voilà, monsieur, que me voulez-vous ?

Et à ces mots le mousquetaire, en tenue irréprochable, sanglé comme de coutume, entra d’un pas ferme dans le cabinet. M. de Tréville, ému jusqu’au fond du cœur de cette preuve de courage, se précipita vers lui.

— J’étais en train de dire à ces messieurs, ajouta-t-il, que je défends à mes mousquetaires d’exposer leurs jours sans nécessité, car les braves gens sont bien chers au roi, et le roi sait que ses mousquetaires sont les plus braves gens de la terre. Votre main, Athos.

Et, sans attendre que le nouveau venu répondît de lui-même à cette preuve d’affection, M. de Tréville saisissait sa main droite et la lui serrait de toutes ses forces, sans s’apercevoir qu’Athos, quel que fût son empire sur lui-même, laissait échapper un mouvement de douleur et pâlissait encore, ce que l’on aurait pu croire impossible.

La porte était restée entrouverte, tant l’arrivée d’Athos, dont, malgré le secret gardé, la blessure était connue de tous, avait produit de sensation. Un brouhaha de satisfaction accueillit les derniers mots du capitaine et deux ou trois têtes, entraînées par l’enthousiasme, apparurent par les ouvertures de la tapisserie. Sans doute, M. de Tréville allait réprimer par de vives paroles cette infraction aux lois de l’étiquette, lorsqu’il sentit tout à coup la main d’Athos se crisper dans la sienne, et qu’en portant les yeux sur lui il s’aperçut qu’il allait s’évanouir. Au même instant Athos, qui avait rassemblé toutes ses forces pour lutter contre la douleur, vaincu enfin par elle, tomba sur le parquet comme s’il fût mort.

— Un chirurgien ! cria M. de Tréville. Le mien, celui du roi, le meilleur ! Un chirurgien ! ou, sangdieu ! mon brave Athos va trépasser.

Aux cris de M. de Tréville, tout le monde se précipita dans son cabinet sans qu’il songeât à en fermer la porte à personne, chacun s’empressant autour du blessé. Mais tout cet empressement eût été inutile, si le docteur demandé ne se fût trouvé dans l’hôtel même ; il fendit la foule, s’approcha d’Athos toujours évanoui, et, comme tout ce bruit et tout ce mouvement le gênait fort, il demanda comme première chose et comme la plus urgente que le mousquetaire fût emporté dans une chambre voisine. Aussitôt M. de Tréville ouvrit une porte et montra le chemin à Porthos et à Aramis, qui emportèrent leur camarade dans leurs bras. Derrière ce groupe marchait le chirurgien, et derrière le chirurgien, la porte se referma.

Alors le cabinet de M. de Tréville, ce lieu ordinairement si respecté, devint momentanément une succursale de l’antichambre. Chacun discourait, pérorait, parlait haut, jurant, sacrant, donnant le cardinal et ses gardes à tous les diables.

Un instant après, Porthos et Aramis rentrèrent ; le chirurgien et M. de Tréville seuls étaient restés près du blessé.

Enfin M. de Tréville rentra à son tour. Le blessé avait repris connaissance ; le chirurgien déclarait que l’état du mousquetaire n’avait rien qui pût inquiéter ses amis, sa faiblesse ayant été purement et simplement occasionnée par la perte de son sang.

Puis M. de Tréville fit un signe de la main, et chacun se retira, excepté d’Artagnan, qui n’oubliait point qu’il avait audience et qui, avec sa ténacité de Gascon, était demeuré à la même place.

Lorsque tout le monde fut sorti et que la porte fut refermée, M. de Tréville se retourna et se trouva seul avec le jeune homme. L’événement qui venait d’arriver lui avait quelque peu fait perdre le fil de ses idées. Il s’informa de ce que lui voulait l’obstiné solliciteur. D’Artagnan alors se nomma, et M. de Tréville, se rappelant d’un seul coup tous ses souvenirs du présent et du passé, se trouva au courant de sa situation.

— Pardon lui dit-il en souriant, pardon, mon cher compatriote, mais je vous avais parfaitement oublié. Que voulez-vous ! un capitaine n’est rien qu’un père de famille chargé d’une plus grande responsabilité qu’un père de famille ordinaire. Les soldats sont de grands enfants ; mais comme je tiens à ce que les ordres du roi, et surtout ceux de M. le cardinal, soient exécutés…

D’Artagnan ne put dissimuler un sourire. À ce sourire, M. de Tréville jugea qu’il n’avait point affaire à un sot, et venant droit au fait, tout en changeant de conversation :

— J’ai beaucoup aimé monsieur votre père, dit-il. Que puis-je faire pour son fils ? Hâtez-vous, mon temps n’est pas à moi.

— Monsieur, dit d’Artagnan, en quittant Tarbes et en venant ici, je me proposais de vous demander, en souvenir de cette amitié dont vous n’avez pas perdu mémoire, une casaque de mousquetaire ; mais, après tout ce que je vois depuis deux heures, je comprends qu’une telle faveur serait énorme, et je tremble de ne point la mériter.

— C’est une faveur en effet, jeune homme, répondit M. de Tréville ; mais elle peut ne pas être si fort au-dessus de vous que vous le croyez ou que vous avez l’air de le croire. Toutefois une décision de Sa Majesté a prévu ce cas, et je vous annonce avec regret qu’on ne reçoit personne mousquetaire avant l’épreuve préalable de quelques campagnes, de certaines actions d’éclat, ou d’un service de deux ans dans quelque autre régiment moins favorisé que le nôtre.

D’Artagnan s’inclina sans rien répondre. Il se sentait encore plus avide d’endosser l’uniforme de mousquetaire depuis qu’il y avait de si grandes difficultés à l’obtenir.

— Mais, continua Tréville en fixant sur son compatriote un regard si perçant qu’on eût dit qu’il voulait lire jusqu’au fond de son cœur, mais, en faveur de votre père, mon ancien compagnon, comme je vous l’ai dit, je veux faire quelque chose pour vous, jeune homme. Nos cadets de Béarn ne sont ordinairement pas riches, et je doute que les choses aient fort changé de face depuis mon départ de la province. Vous ne devez donc pas avoir de trop, pour vivre, de l’argent que vous avez apporté avec vous.

D’Artagnan se redressa d’un air fier qui voulait dire qu’il ne demandait l’aumône à personne.

— C’est bien, jeune homme, c’est bien, continua Tréville, je connais ces airs-là, je suis venu à Paris avec quatre écus dans ma poche, et je me serais battu avec quiconque m’aurait dit que je n’étais pas en état d’acheter le Louvre.

D’Artagnan se redressa de plus en plus ; grâce à la vente de son cheval, il commençait sa carrière avec quatre écus de plus que M. de Tréville n’avait commencé la sienne.

— Vous devez donc, disais-je, avoir besoin de conserver ce que vous avez, si forte que soit cette somme ; mais vous devez avoir besoin aussi de vous perfectionner dans les exercices qui conviennent à un gentilhomme. J’écrirai dès aujourd’hui une lettre au directeur de l’académie royale, et dès demain il vous recevra sans rétribution aucune. Ne refusez pas cette petite douceur. Nos gentilshommes les mieux nés et les plus riches la sollicitent quelquefois, sans pouvoir l’obtenir. Vous apprendrez le manège du cheval, l’escrime et la danse ; vous y ferez de bonnes connaissances, et de temps en temps vous reviendrez me voir pour me dire où vous en êtes et si je puis faire quelque chose pour vous.

D’Artagnan, tout étranger qu’il fût encore aux façons de cour, s’aperçut de la froideur de cet accueil.

— Hélas, monsieur, dit-il, je vois combien la lettre de recommandation que mon père m’avait remise pour vous me fait défaut aujourd’hui !

— En effet, répondit M. de Tréville, je m’étonne que vous ayez entrepris un aussi long voyage sans ce viatique obligé, notre seule ressource à nous autres Béarnais.

— Je l’avais, monsieur, et, Dieu merci, en bonne forme, s’écria d’Artagnan, mais on me l’a perfidement dérobé.

Et il raconta toute la scène de Meung, dépeignit le gentilhomme inconnu dans ses moindres détails, le tout avec une chaleur, une vérité qui charmèrent M. de Tréville.

— Voilà qui est étrange, dit ce dernier en méditant ; vous aviez donc parlé de moi tout haut ?

— Oui, monsieur, sans doute j’avais commis cette imprudence ; que voulez-vous, un nom comme le vôtre devait me servir de bouclier en route. Jugez si je me suis mis souvent à couvert !

La flatterie était fort de mise alors, et M. de Tréville aimait l’encens comme un roi ou comme un cardinal. Il ne put donc s’empêcher de sourire avec une visible satisfaction, mais ce sourire s’effaça bientôt, et revenant de lui-même à l’aventure de Meung :

— Dites-moi, continua-t-il, ce gentilhomme n’avait-il pas une légère cicatrice à la tempe ?

— Oui, comme le ferait l’éraflure d’une balle.

— N’était-ce pas un homme de belle mine ?

— Oui.

— De haute taille ?

— Oui.

— Pâle de teint et brun de poil ?

— Oui, oui, c’est cela. Comment se fait-il, monsieur, que vous connaissiez cet homme ? Ah ! si jamais je le retrouve, et je le retrouverai, je vous le jure, fût-ce en enfer…

— Il attendait une femme ? continua Tréville.

— Il est du moins parti après avoir causé un instant avec celle qu’il attendait.

— Vous ne savez pas quel était le sujet de leur conversation ?

— Il lui remettait une boîte, lui disait que cette boîte contenait ses instructions, et lui recommandait de ne l’ouvrir qu’à Londres.

— Cette femme était anglaise ?

— Il l’appelait milady.

— C’est lui ! murmura Tréville, c’est lui ! je le croyais encore à Bruxelles !

— Oh ! monsieur, si vous savez quel est cet homme, s’écria d’Artagnan, indiquez-moi qui il est et d’où il est, puis je vous tiens quitte de tout, même de votre promesse de me faire entrer dans les mousquetaires ; car avant toute chose je veux me venger.

— Gardez-vous-en bien, jeune homme, s’écria Tréville ; si vous le voyez venir, au contraire, d’un côté de la rue, passez de l’autre ! Ne vous heurtez pas à un pareil rocher : il vous briserait comme verre.

— Cela n’empêche pas, dit d’Artagnan, que si jamais je le retrouve…

— En attendant, reprit Tréville, ne le cherchez pas, si j’ai un conseil à vous donner.

Tout à coup Tréville s’arrêta, frappé d’un soupçon subit. Cette grande haine que manifestait si hautement le jeune voyageur pour cet homme, qui, chose assez peu vraisemblable, lui avait dérobé la lettre de son père, cette haine ne cachait-elle pas quelque perfidie ? ce jeune homme n’était-il pas envoyé par Son Éminence ? ne venait-il pas pour lui tendre quelque piège ? ce prétendu d’Artagnan n’était-il pas un émissaire du cardinal qu’on cherchait à introduire dans sa maison, et qu’on avait placé près de lui pour surprendre sa confiance et pour le perdre plus tard, comme cela s’était mille fois pratiqué ? Il regarda d’Artagnan plus fixement encore cette seconde fois que la première. Il fut médiocrement rassuré par l’aspect de cette physionomie pétillante d’esprit astucieux et d’humilité affectée.

— Je sais bien qu’il est Gascon, pensa-t-il ; mais il peut l’être aussi bien pour le cardinal que pour moi. Voyons, éprouvons-le.

— Mon ami, lui dit-il lentement, je veux, comme au fils de mon ancien ami, car je tiens pour vraie l’histoire de cette lettre perdue, je veux, dis-je, pour réparer la froideur que vous avez d’abord remarquée dans mon accueil, vous découvrir les secrets de notre politique. Le roi et le cardinal sont les meilleurs amis ; leurs apparents démêlés ne sont que pour tromper les sots. Je ne prétends pas qu’un compatriote, un joli cavalier, un brave garçon, fait pour avancer, soit la dupe de toutes ces feintises et donne comme un niais dans le panneau, à la suite de tant d’autres qui s’y sont perdus. Songez bien que je suis dévoué à ces deux maîtres tout-puissants, et que jamais mes démarches sérieuses n’auront d’autre but que le service du roi et celui de M. le cardinal, un des plus illustres génies que la France ait produits. Maintenant, jeune homme, réglez-vous là-dessus, et si vous avez, soit de famille, soit par relations, soit d’instinct même, quelqu’une de ces inimitiés contre le cardinal telles que nous les voyons éclater chez les gentilshommes, dites-moi adieu, et quittons-nous. Je vous aiderai en mille circonstances, mais sans vous attacher à ma personne. J’espère que ma franchise, en tout cas, vous fera mon ami ; car vous êtes jusqu’à présent le seul jeune homme à qui j’aie parlé comme je le fais.

Tréville se disait à part lui :

— Si le cardinal m’a dépêché ce jeune renard, il n’aura certes pas manqué, lui qui sait à quel point je l’exècre, de dire à son espion que le meilleur moyen de me faire la cour est de me dire pis que pendre de lui ; aussi, malgré mes protestations, le rusé compère va-t-il me répondre bien certainement qu’il a l’Éminence en horreur.

Il en fut tout autrement que s’y attendait Tréville. D’Artagnan répondit avec la plus grande simplicité :

— Monsieur, j’arrive à Paris avec des intentions toutes semblables. Mon père m’a recommandé de ne souffrir rien du roi, de M. le cardinal et de vous, qu’il tient pour les trois premiers de France.

D’Artagnan ajoutait M. de Tréville aux deux autres, comme on peut s’en apercevoir, mais il pensait que cette adjonction ne devait rien gâter.

— J’ai donc la plus grande vénération pour M. le cardinal, continua-t-il, et le plus profond respect pour ses actes. Tant mieux pour moi, monsieur, si vous me parlez, comme vous le dites, avec franchise ; car alors vous me ferez l’honneur d’estimer cette ressemblance de goût ; mais si vous avez eu quelque défiance, bien naturelle d’ailleurs, je sens que je me perds en disant la vérité ; mais, tant pis, vous ne laisserez pas que de m’estimer, et c’est à quoi je tiens plus qu’à toute chose au monde.

M. de Tréville fut surpris au dernier point. Tant de pénétration, tant de franchise enfin, lui causait de l’admiration, mais ne levait pas entièrement ses doutes. Plus ce jeune homme était supérieur aux autres jeunes gens, plus il était à redouter s’il se trompait. Néanmoins il serra la main à d’Artagnan, et lui dit :

— Vous êtes un honnête garçon, mais dans ce moment je ne puis faire que ce que je vous ai offert tout à l’heure. Mon hôtel vous sera toujours ouvert. Plus tard, pouvant me demander à toute heure et par conséquent saisir toutes les occasions, vous obtiendrez probablement ce que vous désirez obtenir.

— C’est-à-dire, monsieur, reprit d’Artagnan, que vous attendez que je m’en sois rendu digne. Eh bien, soyez tranquille, ajouta-t-il avec la familiarité du Gascon, vous n’attendrez pas longtemps. Et il salua pour se retirer, comme si désormais le reste le regardait.

— Mais attendez donc, dit M. de Tréville en l’arrêtant, je vous ai promis une lettre pour le directeur de l’académie. Êtes-vous trop fier pour l’accepter, mon jeune gentilhomme ?

— Non, monsieur, dit d’Artagnan ; je vous réponds qu’il n’en sera pas de celle-ci comme de l’autre. Je la garderai si bien qu’elle arrivera, je vous le jure, à son adresse, et malheur à celui qui tenterait de me l’enlever !

M. de Tréville sourit à cette fanfaronnade, et, laissant son jeune compatriote dans l’embrasure de la fenêtre où ils se trouvaient et où ils avaient causé ensemble, il alla s’asseoir à une table et se mit à écrire la lettre de recommandation promise. Pendant ce temps, d’Artagnan, qui n’avait rien de mieux à faire, se mit à battre une marche contre les carreaux, regardant les mousquetaires qui s’en allaient les uns après les autres, et les suivant du regard jusqu’à ce qu’ils eussent disparu au tournant de la rue.

M. de Tréville, après avoir écrit la lettre, la cacheta et, se levant, s’approcha du jeune homme pour la lui donner ; mais au moment même où d’Artagnan étendait la main pour la recevoir, M. de Tréville fut bien étonné de voir son protégé faire un soubresaut, rougir de colère et s’élancer hors du cabinet en criant : — Ah ! sangdieu ! il ne m’échappera pas, cette fois.

— Et qui cela ? demanda M. de Tréville.

— Lui, mon voleur ! répondit d’Artagnan. Ah ! traître !

Et il disparut.

— Diable de fou ! murmura M. de Tréville. À moins toutefois, ajouta-t-il, que ce ne soit une manière adroite de s’esquiver, en voyant qu’il a manqué son coup.

L’ÉPAULE D’ATHOS, LE BAUDRIER DE PORTHOS ET LE MOUCHOIR D’ARAMIS

D’Artagnan, furieux, avait traversé l’antichambre en trois bonds et s’élançait sur l’escalier, dont il comptait descendre les degrés quatre à quatre, lorsque, emporté par sa course, il alla donner tête baissée dans un mousquetaire qui sortait de chez M. de Tréville par une porte de dégagement, et, le heurtant du front à l’épaule, lui fit pousser un cri ou plutôt un hurlement.

— Excusez-moi, dit d’Artagnan, essayant de reprendre sa course, excusez-moi, mais je suis pressé.

À peine avait-il descendu le premier escalier, qu’un poignet de fer le saisit par son écharpe et l’arrêta.

— Vous êtes pressé ! s’écria le mousquetaire, pâle comme un linceul ; sous ce prétexte, vous me heurtez, vous dites : « Excusez-moi », et vous croyez que cela suffit ? Pas tout à fait, mon jeune homme. Croyez-vous, parce que vous avez entendu M. de Tréville nous parler un peu cavalièrement aujourd’hui, que l’on peut nous traiter comme il nous parle ? Détrompez-vous, compagnon, vous n’êtes pas M. de Tréville, vous.

— Ma foi, répliqua d’Artagnan, qui reconnut Athos, lequel, après le pansement opéré par le docteur, regagnait son appartement, ma foi, je ne l’ai pas fait exprès, j’ai dit : « Excusez-moi. » Il me semble donc que c’est assez. Je vous répète cependant, et cette fois c’est trop peut-être, parole d’honneur, je suis pressé, très-pressé. Lâchez-moi donc, je vous prie, et laissez-moi aller où j’ai affaire.

— Monsieur, dit Athos en le lâchant, vous n’êtes pas poli. On voit que vous venez de loin.

D’Artagnan avait déjà enjambé trois ou quatre degrés, mais à la remarque d’Athos il s’arrêta court.

— Morbleu, monsieur ! dit-il, de si loin que je vienne, ce n’est pas vous qui me donnerez une leçon de belles manières, je vous préviens.

— Peut-être, dit Athos.

— Ah ! si je n’étais pas si pressé, s’écria d’Artagnan, et si je ne courais pas après quelqu’un…

— Monsieur l’homme pressé, vous me trouverez sans courir, moi, entendez-vous ?

— Et où cela, s’il vous plaît ?

— Près des Carmes-Deschaux.

— À quelle heure ?

— Vers midi.

— Vers midi, c’est bien, j’y serai.

— Tâchez de ne pas me faire attendre, car à midi un quart je vous préviens que c’est moi qui courrai après vous et vous couperai les oreilles à la course.

— Bon ! lui cria d’Artagnan ; on y sera à midi moins dix minutes.

Et il se mit à courir comme si le diable l’emportait, espérant retrouver encore son inconnu, que son pas tranquille ne devait pas avoir conduit bien loin.

Mais, à la porte de la rue, causait Porthos avec un soldat aux gardes. Entre les deux causeurs, il y avait juste l’espace d’un homme. D’Artagnan crut que cet espace lui suffirait, et il s’élança pour passer comme une flèche entre eux deux. Mais d’Artagnan avait compté sans le vent. Comme il allait passer, le vent s’engouffra dans le long manteau de Porthos, et d’Artagnan vint donner droit dans le manteau. Sans doute, Porthos avait des raisons de ne pas abandonner cette partie essentielle de son vêtement car, au lieu de laisser aller le pan qu’il tenait, il tira à lui, de sorte que d’Artagnan s’enroula dans le velours par un mouvement de rotation qu’explique la résistance de l’obstiné Porthos.

D’Artagnan, entendant jurer le mousquetaire, voulut sortir de dessous le manteau qui l’aveuglait, et chercha son chemin dans le pli. Il redoutait surtout d’avoir porté atteinte à la fraîcheur du magnifique baudrier que nous connaissons ; mais, en ouvrant timidement les yeux, il se trouva le nez collé entre les deux épaules de Porthos c’est-à-dire précisément sur le baudrier. Hélas ! comme la plupart des choses de ce monde qui n’ont pour elles que l’apparence, le baudrier était d’or par-devant et de simple buffle par-derrière. Porthos, en vrai glorieux qu’il était, ne pouvant avoir un baudrier d’or tout entier, en avait au moins la moitié : on comprenait dès lors la nécessité du rhume et l’urgence du manteau.

— Vertubleu ! cria Porthos faisant tous ses efforts pour se débarrasser de d’Artagnan qui lui grouillait dans le dos, vous êtes donc enragé de vous jeter comme cela sur les gens !

— Excusez-moi, dit d’Artagnan reparaissant sous l’épaule du géant, mais je suis très-pressé, je cours après quelqu’un, et…

— Est-ce que vous oubliez vos yeux quand vous courez, par hasard ? demanda Porthos.

— Non, répondit d’Artagnan piqué, non, et grâce à mes yeux je vois même ce que ne voient pas les autres.

Porthos comprit ou ne comprit pas ; toujours est-il que, se laissant aller à sa colère :

— Monsieur, dit-il, vous vous ferez étriller, je vous en préviens, si vous vous frottez ainsi aux mousquetaires.

— Étriller, monsieur ! dit d’Artagnan, le mot est dur.

— C’est celui qui convient à un homme habitué à regarder en face ses ennemis.

— Ah ! pardieu ! je sais bien que vous ne tournez pas le dos aux vôtres, vous.

Et le jeune homme, enchanté de son espièglerie, s’éloigna en riant à gorge déployée.

Porthos écuma de rage et fit un mouvement pour se précipiter sur d’Artagnan.

— Plus tard, plus tard, lui cria celui-ci, quand vous n’aurez plus votre manteau.

— À une heure donc, derrière le Luxembourg.

— Très bien, à une heure, répondit d’Artagnan en tournant l’angle de la rue.

Mais ni dans la rue qu’il venait de parcourir, ni dans celle qu’il embrassait maintenant du regard, il ne vit personne. Si doucement qu’eût marché l’inconnu, il avait gagné du chemin : peut-être aussi était-il entré dans quelque maison. D’Artagnan s’informa de lui à tous ceux qu’il rencontra, descendit jusqu’au bac, remonta par la rue de Seine et la Croix-Rouge ; mais rien, absolument rien. Cependant cette course lui fut profitable en ce sens qu’à mesure que la sueur inondait son front, son cœur se refroidissait.

Il se mit alors à réfléchir sur les événements qui venaient de se passer ; ils étaient nombreux et néfastes : il était onze heures du matin à peine, et déjà la matinée lui avait apporté la disgrâce de M. de Tréville, qui ne pouvait manquer de trouver un peu cavalière la façon dont d’Artagnan l’avait quitté.

En outre, il avait ramassé deux bons duels avec deux hommes capables de tuer chacun trois d’Artagnan, avec deux mousquetaires enfin, c’est-à-dire avec deux de ces êtres qu’il estimait si fort qu’il les mettait, dans sa pensée et dans son cœur, au-dessus de tous les autres hommes.

La conjecture était triste. Sûr d’être tué par Athos, on comprend que le jeune homme ne s’inquiétait pas beaucoup de Porthos. Pourtant, comme l’espérance est la dernière chose qui s’éteint dans le cœur de l’homme, il en arriva à espérer qu’il pourrait survivre, avec des blessures terribles, bien entendu, à ces deux duels, et, en cas de survivance, il se fit pour l’avenir les réprimandes suivantes :

— Quel écervelé je fais, et quel butor je suis ! Ce brave et malheureux Athos était blessé juste à l’épaule contre laquelle je m’en vais, moi, donner de la tête comme un bélier. La seule chose qui m’étonne, c’est qu’il ne m’ait pas tué roide ; il en avait le droit, et la douleur que je lui ai causée a dû être atroce. Quant à Porthos ! Oh ! quant à Porthos, ma foi, c’est plus drôle. — Et malgré lui le jeune homme se mit à rire, tout en regardant néanmoins si ce rire isolé, et sans cause aux yeux de ceux qui le voyaient rire, n’allait pas blesser quelque passant. — Quant à Porthos, c’est plus drôle ; mais je n’en suis pas moins un misérable étourdi. Se jette-t-on ainsi sur les gens sans dire gare ! non ! et va-t-on leur regarder sous le manteau pour y voir ce qui n’y est pas ! Il m’eût pardonné bien certainement ; il m’eût pardonné si je n’eusse pas été lui parler de ce maudit baudrier, à mots couverts, c’est vrai ; oui, couverts joliment ! Ah ! maudit Gascon que je suis, je ferais de l’esprit dans la poêle à frire. Allons, d’Artagnan mon ami, continua-t-il, se parlant à lui-même avec toute l’aménité qu’il croyait se devoir, si tu en réchappes, ce qui n’est pas probable, il s’agit d’être à l’avenir d’une politesse parfaite. Désormais il faut qu’on t’admire, qu’on te cite comme modèle. Être prévenant et poli, ce n’est pas être lâche. Regardez plutôt Aramis : Aramis, c’est la douceur, c’est la grâce en personne. Eh bien, personne s’est-il jamais avisé de dire qu’Aramis était un lâche ? Non, bien certainement, et désormais je veux en tout point me modeler sur lui. Ah ! justement le voici.

D’Artagnan, tout en marchant et en monologuant, était arrivé à quelques pas de l’hôtel d’Aiguillon, et devant cet hôtel il avait aperçu Aramis causant gaiement avec trois gentilshommes des gardes du roi. De son côté, Aramis aperçut d’Artagnan ; mais comme il n’oubliait point que c’était devant ce jeune homme que M. de Tréville s’était si fort emporté le matin, et qu’un témoin des reproches que les mousquetaires avaient reçus ne lui était d’aucune façon agréable, il fit semblant de ne pas le voir. D’Artagnan, tout entier au contraire à ses plans de conciliation et de courtoisie, s’approcha des quatre jeunes gens en leur faisant un grand salut accompagné du plus gracieux sourire. Aramis inclina légèrement la tête, mais ne sourit point. Tous quatre, au reste, interrompirent à l’instant même leur conversation.

D’Artagnan n’était pas assez niais pour ne point s’apercevoir qu’il était de trop ; mais il n’était pas encore assez rompu aux façons du beau monde pour se tirer galamment d’une situation fausse comme l’est, en général, celle d’un homme qui est venu se mêler à des gens qu’il connaît à peine et à une conversation qui ne le regarde pas. Il cherchait donc en lui-même un moyen de faire sa retraite le moins gauchement possible, lorsqu’il remarqua qu’Aramis avait laissé tomber son mouchoir et, par mégarde sans doute, avait mis le pied dessus ; le moment lui parut arrivé de réparer son inconvenance : il se baissa, et de l’air le plus gracieux qu’il pût trouver, il tira le mouchoir de dessous le pied du mousquetaire, quelques efforts que celui-ci fît pour le retenir, et lui dit en le lui remettant :

— Je crois, monsieur que voici un mouchoir que vous seriez fâché de perdre.

Le mouchoir était en effet richement brodé et portait une couronne et des armes à l’un de ses coins. Aramis rougit excessivement et arracha plutôt qu’il ne prit le mouchoir des mains du Gascon.

— Ah ! Ah ! s’écria un des gardes, diras-tu encore, discret Aramis, que tu es mal avec madame de Bois-Tracy, quand cette gracieuse dame a l’obligeance de te prêter ses mouchoirs ?

Aramis lança à d’Artagnan un de ces regards qui font comprendre à un homme qu’il vient de s’acquérir un ennemi mortel ; puis, reprenant son air doucereux :

— Vous vous trompez, messieurs, dit-il, ce mouchoir n’est pas à moi, et je ne sais pourquoi monsieur a eu la fantaisie de me le remettre plutôt qu’à l’un de vous, et la preuve de ce que je dis, c’est que voici le mien dans ma poche.

À ces mots, il tira son propre mouchoir, mouchoir fort élégant aussi, et de fine batiste, quoique la batiste fût chère à cette époque, mais mouchoir sans broderie, sans armes et orné d’un seul chiffre, celui de son propriétaire.

Cette fois, d’Artagnan ne souffla pas mot, il avait reconnu sa bévue ; mais les amis d’Aramis ne se laissèrent pas convaincre par ses dénégations, et l’un d’eux, s’adressant au jeune mousquetaire avec un sérieux affecté :

— Si cela était, dit-il, ainsi que tu le prétends, je serais forcé, mon cher Aramis, de te le redemander ; car, comme tu le sais, Bois-Tracy est de mes intimes, et je ne veux pas qu’on fasse trophée des effets de sa femme.

— Tu demandes cela mal, répondit Aramis, et tout en reconnaissant la justesse de ta réclamation quant au fond, je refuserais à cause de la forme.

— Le fait est, hasarda timidement d’Artagnan, que je n’ai pas vu sortir le mouchoir de la poche de M. Aramis. Il avait le pied dessus, voilà tout, et j’ai pensé que, puisqu’il avait le pied dessus, le mouchoir était à lui.

— Et vous vous êtes trompé, mon cher monsieur, répondit froidement Aramis, peu sensible à la réparation ; puis, se retournant vers celui des gardes qui s’était déclaré l’ami de Bois-Tracy : — D’ailleurs, continua-t-il, je réfléchis, mon cher intime de Bois-Tracy, que je suis son ami non moins tendre que tu peux l’être toi-même ; de sorte qu’à la rigueur ce mouchoir peut aussi bien être sorti de ta poche que de la mienne.

— Non, sur mon honneur ! s’écria le garde de Sa Majesté.

— Tu vas jurer sur ton honneur et moi sur ma parole et alors il y aura évidemment un de nous deux qui mentira. Tiens, faisons mieux, Montaran, prenons-en chacun la moitié.

— Du mouchoir ?

— Oui.

— Parfaitement, s’écrièrent les deux autres gardes, le jugement du roi Salomon. Décidément, Aramis, tu es plein de sagesse.

Les jeunes gens éclatèrent de rire, et comme on le pense bien, l’affaire n’eut pas d’autre suite. Au bout d’un instant, la conversation cessa, et les trois gardes et le mousquetaire, après s’être cordialement serré la main, tirèrent, les trois gardes de leur côté et Aramis du sien.

— Voilà le moment de faire ma paix avec ce galant homme, se dit à part lui d’Artagnan, qui s’était tenu un peu à l’écart pendant toute la dernière partie de cette conversation. Et, sur ce bon sentiment, se rapprochant d’Aramis, qui s’éloignait sans faire autrement attention à lui :

— Monsieur, lui dit-il, vous m’excuserez, je l’espère.

— Ah ! monsieur, interrompit Aramis, permettez-moi de vous faire observer que vous n’avez point agi en cette circonstance comme un galant homme le devait faire.

— Quoi, monsieur ! s’écria d’Artagnan, vous supposez…

— Je suppose, monsieur, que vous n’êtes pas un sot, et que vous savez bien, quoique arrivant de Gascogne, qu’on ne marche pas sans cause sur les mouchoirs de poche. Que diable ! Paris n’est point pavé en batiste.

— Monsieur, vous avez tort de chercher à m’humilier, dit d’Artagnan, chez qui le naturel querelleur commençait à parler plus haut que les résolutions pacifiques. Je suis de Gascogne, c’est vrai, et puisque vous le savez, je n’aurai pas besoin de vous dire que les Gascons sont peu endurants ; de sorte que, lorsqu’ils se sont excusés une fois, fût-ce d’une sottise, ils sont convaincus qu’ils ont déjà fait moitié plus qu’ils ne devaient faire.

— Monsieur, ce que je vous en dis, répondit Aramis, n’est point pour vous chercher une querelle. Dieu merci ! je ne suis pas un spadassin, et n’étant mousquetaire que par intérim, je ne me bats que lorsque j’y suis forcé, et toujours avec une grande répugnance ; mais cette fois l’affaire est grave, car voici une dame compromise par vous.

— Par nous, c’est-à-dire, s’écria d’Artagnan.

— Pourquoi avez-vous eu la maladresse de me rendre le mouchoir ?

— Pourquoi avez-vous eu celle de le laisser tomber ?

— J’ai dit et je répète, monsieur, que ce mouchoir n’est point sorti de ma poche.

— Eh bien, vous en avez menti deux fois, monsieur, car je l’en ai vu sortir, moi !

— Ah ! vous le prenez sur ce ton, monsieur le Gascon ! eh bien, je vous apprendrai à vivre.

— Et moi je vous renverrai à votre messe, monsieur l’abbé ! Dégainez, s’il vous plaît, et à l’instant même.

— Non pas, s’il vous plaît, mon bel ami ; non, pas ici, du moins. Ne voyez-vous pas que nous sommes en face de l’hôtel d’Aiguillon, lequel est plein de créatures du cardinal ? Qui me dit que ce n’est pas Son Éminence qui vous a chargé de lui procurer ma tête ? Or j’y tiens ridiculement, à ma tête, attendu qu’elle me semble aller assez correctement à mes épaules. Je veux donc vous tuer, soyez tranquille, mais vous tuer tout doucement, dans un endroit clos et couvert, là où vous ne puissiez vous vanter de votre mort à personne.

— Je le veux bien, mais ne vous y fiez pas, et emportez votre mouchoir, qu’il vous appartienne ou non ; peut-être aurez-vous l’occasion de vous en servir.

— Monsieur est Gascon ? demanda Aramis.

— Oui ; mais monsieur ne remet pas un rendez-vous par prudence ?

— La prudence, monsieur, est une vertu assez inutile aux mousquetaires, je le sais, mais indispensable aux gens d’Église, et comme je ne suis mousquetaire que provisoirement, je tiens à rester prudent. À deux heures, j’aurai l’honneur de vous attendre à l’hôtel de M. de Tréville. Là je vous indiquerai les bons endroits.

Les deux jeunes gens se saluèrent, puis Aramis s’éloigna en remontant la rue qui remontait au Luxembourg, tandis que d’Artagnan, voyant que l’heure s’avançait, prenait le chemin des Carmes-Deschaux, tout en disant à part soi : — Décidément, je n’en puis pas revenir ; mais au moins, si je suis tué, je serai tué par un mousquetaire.

LES MOUSQUETAIRES DU ROI ET LES GARDES DE M. LE CARDINAL

D’Artagnan ne connaissait personne à Paris. Il alla donc au rendez-vous d’Athos sans amener de second, résolu de se contenter de ceux qu’aurait choisis son adversaire. D’ailleurs son intention était formelle de faire au brave mousquetaire toutes les excuses convenables, mais sans faiblesse, craignant qu’il ne résultât de ce duel ce qui résulte toujours de fâcheux, dans une affaire de ce genre, quand un homme jeune et vigoureux se bat contre un adversaire blessé et affaibli : vaincu, il double le triomphe de son antagoniste ; vainqueur, il est accusé de forfaiture et de facile audace.

Au reste, ou nous avons mal exposé le caractère de notre chercheur d’aventures, ou notre lecteur a déjà dû remarquer que d’Artagnan n’était point un homme ordinaire. Aussi, tout en se répétant à lui-même que sa mort était inévitable, il ne se résigna point à mourir tout doucettement, comme un autre moins courageux et moins modéré que lui eût fait à sa place. Il réfléchit aux différents caractères de ceux avec lesquels il allait se battre, et commença à voir plus clair dans sa situation. Il espérait, grâce aux excuses loyales qu’il lui réservait, se faire un ami d’Athos, dont l’air grand seigneur et la mine austère lui agréaient fort. Il se flattait de faire peur à Porthos avec l’aventure du baudrier, qu’il pouvait, s’il n’était pas tué sur le coup, raconter à tout le monde, récit qui, poussé adroitement à l’effet, devait couvrir Porthos de ridicule ; enfin, quant au sournois Aramis, il n’en avait pas très grand-peur, et en supposant qu’il arrivât jusqu’à lui, il se chargeait de l’expédier bel et bien, ou du moins en le frappant au visage, comme César avait recommandé de faire aux soldats de Pompée, d’endommager à tout jamais cette beauté dont il était si fier.

Ensuite il y avait chez d’Artagnan ce fonds inébranlable de résolution qu’avaient déposé dans son cœur les conseils de son père, conseils dont la substance était — Ne rien souffrir de personne que du roi, du cardinal et de M. de Tréville. Il vola donc plutôt qu’il ne marcha vers le couvent des Carmes Déchaussés, ou plutôt Deschaux, comme on disait à cette époque, sorte de bâtiment sans fenêtres, bordé de prés arides, succursale du Pré-aux-Clercs, et qui servait d’ordinaire aux rencontres des gens qui n’avaient pas de temps à perdre.

Lorsque d’Artagnan arriva en vue du petit terrain vague qui s’étendait au pied de ce monastère, Athos attendait depuis cinq minutes seulement, et midi sonnait. Il était donc ponctuel comme la Samaritaine, et le plus rigoureux casuiste à l’égard des duels n’avait rien à dire.

Athos, qui souffrait toujours cruellement de sa blessure, quoiqu’elle eût été pansée à neuf par le chirurgien de M. de Tréville, s’était assis sur une borne et attendait son adversaire avec cette contenance paisible et cet air digne qui ne l’abandonnaient jamais. À l’aspect de d’Artagnan, il se leva et fit poliment quelques pas au-devant de lui. Celui-ci, de son côté, n’aborda son adversaire que le chapeau à la main et sa plume traînant jusqu’à terre.

— Monsieur, dit Athos, j’ai fait prévenir deux de mes amis qui me serviront de seconds, mais ces deux amis ne sont point encore arrivés. Je m’étonne qu’ils tardent : ce n’est pas leur habitude.

— Je n’ai pas de seconds, moi, monsieur, dit d’Artagnan, car arrivé d’hier seulement à Paris, je n’y connais encore personne que M. de Tréville, auquel j’ai été recommandé par mon père qui a l’honneur d’être quelque peu de ses amis.

Athos réfléchit un instant.

— Vous ne connaissez que M. de Tréville ? demanda-t-il.

— Oui, monsieur, je ne connais que lui.

— Ah çà, mais, continua Athos parlant moitié à lui-même, moitié à d’Artagnan, ah… çà, mais si je vous tue, j’aurai l’air d’un mangeur d’enfants, moi !

— Pas trop, monsieur, répondit d’Artagnan avec un salut qui ne manquait pas de dignité ; pas trop, puisque vous me faites l’honneur de tirer l’épée contre moi avec une blessure dont vous devez être fort incommodé.

— Très incommodé, sur ma parole, et vous m’avez fait un mal du diable, je dois le dire ; mais je prendrai la main gauche, c’est mon habitude en pareille circonstance. Ne croyez donc pas que je vous fasse une grâce, je tire proprement des deux mains ; et il y aura même désavantage pour vous : un gaucher est très gênant pour les gens qui ne sont pas prévenus. Je regrette de ne pas vous avoir fait part plus tôt de cette circonstance.

— Vous êtes vraiment, monsieur, dit d’Artagnan en s’inclinant de nouveau, d’une courtoisie dont je vous suis on ne peut plus reconnaissant.

— Vous me rendez confus, répondit Athos avec son air de gentilhomme ; causons donc d’autre chose, je vous prie, à moins que cela ne vous soit désagréable. Ah ! sangbleu ! que vous m’avez fait mal ! l’épaule me brûle.

— Si vous vouliez permettre… dit d’Artagnan avec timidité.

— Quoi, monsieur ?

— J’ai un baume miraculeux pour les blessures, un baume qui me vient de ma mère, et dont j’ai fait l’épreuve sur moi-même.

— Eh bien ?

— Eh bien, je suis sûr qu’en moins de trois jours ce baume vous guérirait, et au bout de trois jours, quand vous seriez guéri : eh bien, monsieur, ce me serait toujours un grand honneur d’être votre homme.

D’Artagnan dit ces mots avec une simplicité qui faisait honneur à sa courtoisie, sans porter aucunement atteinte à son courage.

— Pardieu, monsieur, dit Athos, voici une proposition qui me plaît, non pas que je l’accepte, mais elle sent son gentilhomme d’une lieue. C’est ainsi que parlaient et faisaient ces preux du temps de Charlemagne, sur lesquels tout cavalier doit chercher à se modeler. Malheureusement, nous ne sommes plus au temps du grand empereur. Nous sommes au temps de M. le cardinal, et d’ici à trois jours on saurait, si bien gardé que soit le secret, on saurait, dis-je, que nous devons nous battre, et l’on s’opposerait à notre combat. Ah çà mais, ces flâneurs ne viendront donc pas ?

— Si vous êtes pressé, monsieur, dit d’Artagnan à Athos avec la même simplicité qu’un instant auparavant il lui avait proposé de remettre le duel à trois jours, si vous êtes pressé et qu’il vous plaise de m’expédier tout de suite, ne vous gênez pas, je vous en prie.

— Voilà encore un mot qui me plaît, dit Athos en faisant un gracieux signe de tête à d’Artagnan, il n’est point d’un homme sans cervelle, et il est à coup sûr d’un homme de cœur. Monsieur, j’aime les hommes de votre trempe, et je vois que si nous ne nous tuons pas l’un l’autre, j’aurai plus tard un vrai plaisir dans votre conversation. Attendons ces messieurs, je vous prie, j’ai tout le temps, et cela sera plus correct. Ah ! en voici un, je crois.

En effet, au bout de la rue de Vaugirard commençait à apparaître le gigantesque Porthos.

— Quoi ! s’écria d’Artagnan, votre premier témoin est M. Porthos ?

— Oui, cela vous contrarie-t-il ?

— Non, aucunement.

— Et voici le second.

D’Artagnan se retourna du côté indiqué par Athos, et reconnut Aramis.

— Quoi ! s’écria-t-il d’un accent plus étonné que la première fois, votre second témoin est M. Aramis ?

— Sans doute, ne savez-vous pas qu’on ne nous voit jamais l’un sans l’autre, et qu’on nous appelle, dans les mousquetaires et dans les gardes, à la cour et à la ville, Athos, Porthos et Aramis ou les trois inséparables ? Après cela, comme vous arrivez de Dax ou de Pau…

— De Tarbes, dit d’Artagnan.

— … Il vous est permis d’ignorer ce détail, dit Athos.

— Ma foi, dit d’Artagnan, vous êtes bien nommés, messieurs, et mon aventure, si elle fait quelque bruit, prouvera du moins que votre union n’est point fondée sur les contrastes.

Pendant ce temps, Porthos s’était rapproché, avait salué de la main Athos ; puis, se retournant vers d’Artagnan, il était resté tout étonné.

Disons, en passant, qu’il avait changé de baudrier et quitté son manteau.

— Ah ! ah ! fit-il, qu’est-ce que cela ?

— C’est avec monsieur que je me bats, dit Athos en montrant de la main d’Artagnan, et en le saluant du même geste.

— C’est avec lui que je me bats aussi, dit Porthos.

— Mais à une heure seulement, répondit d’Artagnan.

— Et moi aussi, c’est avec monsieur que je me bats, dit Aramis en arrivant à son tour sur le terrain.

— Mais à deux heures seulement, fit d’Artagnan avec le même calme.

— Mais à propos de quoi te bats-tu, toi, Athos ? demanda Aramis.

— Ma foi, je ne sais pas trop, il m’a fait mal à l’épaule ; et toi, Porthos ?

— Ma foi, je me bats parce que je me bats, répondit Porthos en rougissant.

Athos, qui ne perdait rien, vit passer un fin sourire sur les lèvres du Gascon.

— Nous avons eu une discussion sur la toilette, dit le jeune homme.

— Et toi, Aramis ? demanda Athos.

— Moi, je me bats pour cause de théologie, répondit Aramis tout en faisant signe à d’Artagnan qu’il le priait de tenir secrète la cause de son duel.

Athos vit passer un second sourire sur les lèvres de d’Artagnan.

— Vraiment ? dit Athos.

— Oui, un point de saint Augustin sur lequel nous ne sommes pas d’accord, dit le Gascon.

— Décidément c’est un homme d’esprit, murmura Athos.

— Et maintenant que vous êtes rassemblés, messieurs, dit d’Artagnan, permettez-moi de vous faire mes excuses.

À ce mot d’excuses, un nuage passa sur le front d’Athos, un sourire hautain glissa sur les lèvres de Porthos, et un signe négatif fut la réponse d’Aramis.

— Vous ne me comprenez pas, messieurs, dit d’Artagnan en relevant sa tête, sur laquelle jouait en ce moment un rayon de soleil qui en dorait les lignes fines et hardies : je vous demande excuse dans le cas où je ne pourrais vous payer ma dette à tous trois, car M. Athos a le droit de me tuer le premier, ce qui ôte beaucoup de sa valeur à votre créance, monsieur Porthos, et ce qui rend la vôtre à peu près nulle, monsieur Aramis. Et maintenant, messieurs, je vous le répète, excusez-moi, mais de cela seulement, et en garde !

À ces mots, du geste le plus cavalier qui se puisse voir, d’Artagnan tira son épée.

Le sang était monté à la tête de d’Artagnan, et dans ce moment il eût tiré son épée contre tous les mousquetaires du royaume, comme il venait de faire contre Athos, Porthos et Aramis.

Il était midi et un quart. Le soleil était à son zénith et l’emplacement choisi pour être le théâtre du duel se trouvait exposé à toute son ardeur.

— Il fait très chaud, dit Athos en tirant son épée à son tour, et cependant je ne saurais ôter mon pourpoint ; car, tout à l’heure encore, j’ai senti que ma blessure saignait, et je craindrais de gêner monsieur en lui montrant du sang qu’il ne m’aurait pas tiré lui-même.

— C’est vrai, monsieur, dit d’Artagnan, et tiré par un autre ou par moi, je vous assure que je verrai toujours avec bien du regret le sang d’un aussi brave gentilhomme ; je me battrai donc en pourpoint comme vous.

— Voyons, voyons, dit Porthos, assez de compliments comme cela, et songez que nous attendons notre tour.

— Parlez pour vous seul, Porthos, quand vous aurez à dire de pareilles incongruités, interrompit Aramis. Quant à moi, je trouve les choses que ces messieurs se disent fort bien dites et tout à fait dignes de deux gentilshommes.

— Quand vous voudrez, monsieur, dit Athos en se mettant en garde.

— J’attendais vos ordres, dit d’Artagnan en croisant le fer.

Mais les deux rapières avaient à peine résonné en se touchant, qu’une escouade des gardes de Son Éminence, commandée par M. de Jussac, se montra à l’angle du couvent.

— Les gardes du cardinal ! s’écrièrent à la fois Porthos et Aramis. L’épée au fourreau, messieurs ! l’épée au fourreau !

Mais il était trop tard. Les deux combattants avaient été vus dans une pose qui ne permettait pas de douter de leurs intentions.

— Holà ! cria Jussac en s’avançant vers eux et en faisant signe à ses hommes d’en faire autant, holà ! mousquetaires, on se bat donc ici ? Et les édits, qu’en faisons-nous ?

— Vous êtes bien généreux, messieurs les gardes, dit Athos plein de rancune, car Jussac était l’un des agresseurs de l’avant-veille. Si nous vous voyions battre, je vous réponds, moi, que nous nous garderions bien de vous en empêcher. Laissez-nous donc faire, et vous allez avoir du plaisir sans prendre aucune peine.

— Messieurs, dit Jussac, c’est avec grand regret que je vous déclare que la chose est impossible. Notre devoir avant tout. Rengainez donc, s’il vous plaît, et nous suivez.

— Monsieur, dit Aramis parodiant Jussac, ce serait avec un grand plaisir que nous obéirions à votre gracieuse invitation, si cela dépendait de nous ; mais, malheureusement la chose est impossible : M. de Tréville nous l’a défendu. Passez donc votre chemin, c’est ce que vous avez de mieux à faire.

Cette raillerie exaspéra Jussac.

— Nous vous chargerons donc, dit-il, si vous désobéissez.

— Ils sont cinq, dit Athos à demi-voix, et nous ne sommes que trois ; nous serons encore battus, et il nous faudra mourir ici, car je le déclare, je ne reparais pas vaincu devant le capitaine.

Alors Porthos et Aramis se rapprochèrent à l’instant les uns des autres, pendant que Jussac alignait ses soldats.

Ce seul moment suffit à d’Artagnan pour prendre son parti : c’était là un de ces événements qui décident de la vie d’un homme, c’était un choix à faire entre le roi et le cardinal ; ce choix fait, il allait y persévérer. Se battre, c’est-à-dire désobéir à la loi, c’est-à-dire risquer sa tête, c’est-à-dire se faire d’un seul coup l’ennemi d’un ministre plus puissant que le roi lui-même : voilà ce qu’entrevit le jeune homme, et, disons-le à sa louange, il n’hésita point une seconde. Se tournant donc vers Athos et ses amis :

— Messieurs, dit-il, je reprendrai, s’il vous plaît, quelque chose à vos paroles. Vous avez dit que vous n’étiez que trois, mais il me semble, à moi, que nous sommes quatre.

— Mais vous n’êtes pas des nôtres, dit Porthos.

— C’est vrai, répondit d’Artagnan ; je n’ai pas l’habit, mais j’ai l’âme. Mon cœur est mousquetaire, je le sens bien, monsieur, et cela m’entraîne.

— Écartez-vous, jeune homme, cria Jussac, qui sans doute à ses gestes et à l’expression de son visage avait deviné le dessein de d’Artagnan. Vous pouvez vous retirer, nous y consentons. Sauvez votre peau ; allez vite.

D’Artagnan ne bougea point.

— Décidément vous êtes un joli garçon, dit Athos en serrant la main du jeune homme.

— Allons ! allons ! prenons un parti, reprit Jussac.

— Voyons, dirent Porthos et Aramis, faisons quelque chose.

— Monsieur est plein de générosité, dit Athos.

Mais tous trois pensaient à la jeunesse de d’Artagnan et redoutaient son inexpérience.

— Nous ne serons que trois, dont un blessé, plus un enfant, reprit Athos, et l’on n’en dira pas moins que nous étions quatre hommes.

— Oui, mais reculer ! dit Porthos.

— C’est difficile, reprit Athos.

D’Artagnan comprit leur irrésolution.

— Messieurs, essayez-moi toujours, dit-il, et je vous jure sur l’honneur que je ne veux pas m’en aller d’ici si nous sommes vaincus.

— Comment vous appelle-t-on, mon brave ? dit Athos.

— D’Artagnan, monsieur.

— Eh bien, Athos, Porthos, Aramis et d’Artagnan, en avant ! cria Athos.

— Eh bien, voyons, messieurs, vous décidez-vous à vous décider ? cria pour la troisième fois Jussac.

— C’est fait, messieurs, dit Athos.

— Et quel parti prenez-vous ? demanda Jussac.

— Nous allons avoir l’honneur de vous charger, répondit Aramis en levant son chapeau d’une main et tirant son épée de l’autre.

— Ah ! vous résistez ! s’écria Jussac.

— Sangdieu ! cela vous étonne ? dit Porthos.

Et les neuf combattants se précipitèrent les uns sur les autres avec une furie qui n’excluait pas une certaine méthode.

Athos prit un certain Cahusac, favori du cardinal ; Porthos eut Biscarat, et Aramis se vit en face de deux adversaires.

Quant à d’Artagnan, il se trouva lancé contre Jussac lui-même.

Le cœur du jeune Gascon battait à lui briser la poitrine, non pas de peur, Dieu merci ! il n’en avait pas l’ombre, mais d’émulation ; il se battait comme un tigre en fureur, tournant dix fois autour de son adversaire, changeant vingt fois ses gardes et son terrain. Jussac était, comme on le disait alors, friand de la lame, et avait fort pratiqué ; cependant il avait toutes les peines du monde à se défendre contre un adversaire qui, agile et bondissant, s’écartait à tout moment des règles reçues, attaquant de tous côtés à la fois, et tout cela en parant en homme qui a le plus grand respect pour son épiderme.

Enfin cette lutte finit par faire perdre patience à Jussac. Furieux d’être tenu en échec par celui qu’il avait regardé comme un enfant, il s’échauffa et commença à faire des fautes. D’Artagnan, qui, à défaut de la pratique, avait une profonde théorie, redoubla d’agilité. Jussac, voulant en finir, porta un coup terrible à son adversaire en se fendant à fond ; mais celui-ci para prime, et tandis que Jussac se relevait, se glissant comme un serpent sous son fer, il lui passa son épée au travers du corps. Jussac tomba comme une masse.

D’Artagnan jeta alors un coup d’œil inquiet et rapide sur le champ de bataille.

Aramis avait déjà tué un de ses adversaires ; mais l’autre le pressait vivement. Cependant Aramis était en bonne situation et pouvait encore se défendre.

Biscarat et Porthos venaient de faire coup fourré : Porthos avait reçu un coup d’épée au travers du bras, et Biscarat au travers de la cuisse. Mais comme ni l’une ni l’autre des deux blessures n’était grave, ils ne s’en escrimaient qu’avec plus d’acharnement.

Athos, blessé de nouveau par Cahusac, pâlissait à vue d’œil, mais il ne reculait pas d’une semelle : il avait seulement changé son épée de main, et se battait de la main gauche.

D’Artagnan, selon les lois du duel de cette époque, pouvait secourir quelqu’un ; pendant qu’il cherchait du regard celui de ses compagnons qui avait besoin de son aide, il surprit un coup d’œil d’Athos. Ce coup d’œil était d’une éloquence sublime. Athos serait mort plutôt que d’appeler au secours ; mais il pouvait regarder, et du regard demander un appui. D’Artagnan le devina, fit un bond terrible et tomba sur le flanc de Cahusac en criant :

— À moi, monsieur le garde ou je vous tue.

Cahusac se retourna ; il était temps. Athos, que son extrême courage soutenait seul, tomba sur un genou.

— Sangdieu ! criait-il à d’Artagnan, ne le tuez pas, jeune homme, je vous en prie ; j’ai une vieille affaire à terminer avec lui, quand je serai guéri et bien portant. Désarmez-le seulement, liez-lui l’épée. C’est cela. Bien ! très-bien !

Cette exclamation était arrachée à Athos par l’épée de Cahusac qui sautait à vingt pas de lui. D’Artagnan et Cahusac s’élancèrent ensemble, l’un pour la ressaisir, l’autre pour s’en emparer ; mais d’Artagnan, plus leste, arriva le premier et mit le pied dessus.

Cahusac courut à celui des gardes qu’avait tué Aramis, s’empara de sa rapière, et voulut revenir à d’Artagnan ; mais sur son chemin il rencontra Athos, qui, pendant cette pause d’un instant que lui avait procurée d’Artagnan, avait repris haleine, et qui, de crainte que d’Artagnan ne lui tuât son ennemi, voulait recommencer le combat.

D’Artagnan comprit que ce serait désobliger Athos que de ne pas le laisser faire. En effet, quelques secondes après, Cahusac tomba la gorge traversée d’un coup d’épée.

Au même instant, Aramis appuyait son épée contre la poitrine de son adversaire renversé, et le forçait à demander merci.

Restaient Porthos et Biscarat. Porthos faisait mille fanfaronnades, demandant à Biscarat quelle heure il pouvait bien être, et lui faisait ses compliments sur la compagnie que venait d’obtenir son frère dans le régiment de Navarre ; mais tout en raillant, il ne gagnait rien. Biscarat était un de ces hommes de fer qui ne tombent que morts.

Cependant il fallait en finir. Le guet pouvait arriver et prendre tous les combattants, blessés ou non, royalistes ou cardinalistes. Athos, Aramis et d’Artagnan entourèrent Biscarat et le sommèrent de se rendre. Quoique seul contre tous, et avec un coup d’épée qui lui traversait la cuisse, Biscarat voulait tenir ; mais Jussac, qui s’était élevé sur son coude, lui cria de se rendre. Biscarat était un Gascon comme d’Artagnan ; il fit la sourde oreille et se contenta de rire, et entre deux parades, trouvant le temps de désigner, du bout de son épée, une place à terre :

— Ici, dit-il, parodiant un verset de la Bible, ici mourra Biscarat, seul de ceux qui sont avec lui.

— Mais ils sont quatre contre toi ; finis-en, je te l’ordonne.

— Ah ! si tu l’ordonnes, c’est autre chose, dit Biscarat, comme tu es mon brigadier, je dois obéir.

Et, faisant un bond en arrière, il cassa son épée sur son genou pour ne pas la rendre, en jeta les morceaux pardessus le mur du couvent et se croisa les bras en sifflant un air cardinaliste.

La bravoure est toujours respectée, même dans un ennemi. Les mousquetaires saluèrent Biscarat de leurs épées et les remirent au fourreau. D’Artagnan en fit autant, puis, aidé de Biscarat, le seul qui fut resté debout, il porta sous le porche du couvent Jussac, Cahusac et celui des adversaires d’Aramis qui n’était que blessé. Le quatrième, comme nous l’avons dit, était mort. Puis ils sonnèrent la cloche, et, emportant quatre épées sur cinq, ils s’acheminèrent ivres de joie vers l’hôtel de M. de Tréville. On les voyait entrelacés, tenant toute la largeur de la rue, et accostant chaque mousquetaire qu’ils rencontraient, si bien qu’à la fin ce fut une marche triomphale. Le cœur de d’Artagnan nageait dans l’ivresse, il marchait entre Athos et Porthos en les étreignant tendrement.

— Si je ne suis pas encore mousquetaire, dit-il à ses nouveaux amis en franchissant la porte de l’hôtel de M. de Tréville, au moins me voilà reçu apprenti, n’est-ce pas ?

SA MAJESTÉ LE ROI LOUIS TREIZIÈME

L’affaire fit grand bruit. M. de Tréville gronda beaucoup tout haut contre ses mousquetaires, et les félicita tout bas ; mais comme il n’y avait pas de temps à perdre pour prévenir le roi, M. de Tréville s’empressa de se rendre au Louvre. Il était déjà trop tard, le roi était enfermé avec le cardinal, et l’on dit à M. de Tréville que le roi travaillait et ne pouvait recevoir en ce moment. Le soir, M. de Tréville vint au jeu du roi. Le roi gagnait, et comme Sa Majesté était fort avare, elle était d’excellente humeur ; aussi, du plus loin que le roi aperçut Tréville :

— Venez ici, monsieur le capitaine, dit-il, venez que je vous gronde ; savez-vous que Son Éminence est venue me faire des plaintes sur vos mousquetaires, et cela avec une telle émotion, que ce soir Son Éminence en est malade ? Ah çà, mais ce sont des diables-à-quatre, des gens à pendre, que vos mousquetaires !

— Non, Sire, répondit Tréville, qui vit du premier coup d’œil comment la chose allait tourner ; non, tout au contraire, ce sont de bonnes créatures, douces comme des agneaux, et qui n’ont qu’un désir, je m’en ferais garant : c’est que leur épée ne sorte du fourreau que pour le service de Votre Majesté. Mais, que voulez-vous, les gardes de M. le cardinal sont sans cesse à leur chercher querelle, et, pour l’honneur même du corps, les pauvres jeunes gens sont obligés de se défendre.

— Écoutez M. de Tréville ! dit le roi, écoutez-le ! ne dirait-on pas qu’il parle d’une communauté religieuse ! En vérité, mon cher capitaine, j’ai envie de vous ôter votre brevet et de le donner à mademoiselle de Chémerault, à laquelle j’ai promis une abbaye. Mais ne pensez pas que je vous croirai ainsi sur parole. On m’appelle Louis le Juste, monsieur de Tréville, et tout à l’heure, tout à l’heure nous verrons.

— Ah ! c’est parce que je me fie à cette justice, Sire, que j’attendrai patiemment et tranquillement le bon plaisir de Votre Majesté.

— Attendez donc, monsieur, attendez donc, dit le roi, je ne vous ferai pas longtemps attendre.

En effet, la chance tournait, et comme le roi commençait à perdre ce qu’il avait gagné, il n’était pas fâché de trouver un prétexte pour faire – qu’on nous passe cette expression de joueur, dont, nous l’avouons, nous ne connaissons pas l’origine, – pour faire Charlemagne. Le roi se leva donc au bout d’un instant, et mettant dans sa poche l’argent qui était devant lui et dont la majeure partie venait de son gain :

— La Vieuville, dit-il, prenez ma place, il faut que je parle à M. de Tréville pour affaire d’importance. Ah !… j’avais quatre-vingts louis devant moi ; mettez la même somme, afin que ceux qui ont perdu n’aient point à se plaindre. La justice avant tout.

Puis, se retournant vers M. de Tréville et marchant avec lui vers l’embrasure d’une fenêtre :

— Eh bien, monsieur, continua-t-il, vous dites que ce sont les gardes de l’Éminentissime qui ont été chercher querelle à vos mousquetaires ?

— Oui, Sire, comme toujours.

— Et comment la chose est-elle venue, voyons ? car, vous le savez, mon cher capitaine, il faut qu’un juge écoute les deux parties.

— Ah ! mon Dieu ! de la façon la plus simple et la plus naturelle. Trois de mes meilleurs soldats, que Votre Majesté connaît de nom et dont elle a plus d’une fois apprécié le dévouement, et qui ont, je puis l’affirmer au roi, son service fort à cœur ; – trois de mes meilleurs soldats, dis-je, MM. Athos, Porthos et Aramis, avaient fait une partie de plaisir avec un jeune cadet de Gascogne que je leur avais recommandé le matin même. La partie allait avoir lieu à Saint-Germain, je crois, et ils s’étaient donné rendez-vous aux Carmes-Deschaux, lorsqu’elle fut troublée par M. de Jussac et MM. Cahusac, Biscarat, et deux autres gardes qui ne venaient certes pas là en si nombreuse compagnie sans mauvaise intention contre les édits.

— Ah ! ah ! vous m’y faites penser, dit le roi, sans doute, ils venaient pour se battre eux-mêmes.

— Je ne les accuse pas, Sire, mais je laisse Votre Majesté apprécier ce que peuvent aller faire cinq hommes armés dans un lieu aussi désert que le sont les environs du couvent des Carmes.

— Oui, vous avez raison, Tréville, vous avez raison.

— Alors, quand ils ont vu mes mousquetaires, ils ont changé d’idée et ils ont oublié leur haine particulière pour la haine de corps ; car Votre Majesté n’ignore pas que les mousquetaires, qui sont au roi et rien qu’au roi, sont les ennemis naturels des gardes, qui sont à M. le cardinal.

— Oui, Tréville, oui, dit le roi mélancoliquement, et c’est bien triste, croyez-moi, de voir ainsi deux partis en France, deux têtes à la royauté ; mais tout cela finira, Tréville, tout cela finira. Vous dites donc que les gardes ont cherché querelle aux mousquetaires.

— Je dis qu’il est probable que les choses se sont passées ainsi, mais je n’en jure pas, Sire. Vous savez combien la vérité est difficile à connaître, et à moins d’être doué de cet instinct admirable qui a fait nommer Louis XIII le Juste…

— Et vous avez raison, Tréville ; mais ils n’étaient pas seuls, vos mousquetaires, il y avait avec eux un enfant ?

— Oui, Sire, et un homme blessé, de sorte que trois mousquetaires du roi, dont un blessé, et un enfant, non seulement ont tenu tête à cinq des plus terribles gardes de M. le cardinal, mais encore en ont porté quatre à terre.

— Mais c’est une victoire, cela ! s’écria le roi tout rayonnant ; une victoire complète !

— Oui, Sire, aussi complète que celle du pont de Cé.

— Quatre hommes ! dont un blessé, et un enfant, dites-vous ?

— Un jeune homme à peine ; lequel s’est même si parfaitement conduit en cette occasion, que je prendrai la liberté de le recommander à Votre Majesté.

— Comment s’appelle-t-il ?

— D’Artagnan, Sire. C’est le fils d’un de mes plus anciens amis ; le fils d’un homme qui a fait avec le roi votre père, de glorieuse mémoire, la guerre de partisan.

— Et vous dites qu’il s’est bien conduit, ce jeune homme ? Racontez-moi cela, Tréville ; vous savez que j’aime les récits de guerre et de combat.

Et le roi Louis XIII releva fièrement sa moustache en se posant sur la hanche.

— Sire, reprit Tréville, comme je vous l’ai dit M. d’Artagnan est presque un enfant, et comme il n’a pas l’honneur d’être mousquetaire, il était en habit bourgeois ; les gardes de M. le cardinal, reconnaissant sa grande jeunesse et, de plus, qu’il était étranger au corps, l’invitèrent donc à se retirer avant qu’ils n’attaquassent.

— Alors, vous voyez bien, Tréville, interrompit le roi, que ce sont eux qui ont attaqué.

— C’est juste, Sire : ainsi, plus de doute ; ils le sommèrent donc de se retirer ; mais il répondit qu’il était mousquetaire de cœur et tout à Sa Majesté, qu’ainsi donc il resterait avec messieurs les mousquetaires.

— Brave jeune homme ! murmura le roi.

— En effet, il demeura avec eux ; et Votre Majesté a là un si ferme champion, que ce fut lui qui donna à Jussac ce terrible coup d’épée qui met si fort en colère M. le cardinal.

— C’est lui qui a blessé Jussac ? s’écria le roi ; lui, un enfant ? Ceci, Tréville, c’est impossible.

— C’est comme j’ai l’honneur de le dire à Votre Majesté.

— Jussac, une des premières lames du royaume !

— Eh bien ! sire, il a trouvé son maître.

— Je veux voir ce jeune homme, Tréville, je veux le voir, et si l’on peut faire quelque chose, eh bien, nous nous en occuperons.

— Quand Votre Majesté daignera-t-elle le recevoir ?

— Demain à midi, Tréville.

— L’amènerai-je seul ?

— Non, amenez-les-moi tous les quatre ensemble. Je veux les remercier tous à la fois ; les hommes dévoués sont rares, Tréville, et il faut récompenser le dévouement.

— À midi, Sire, nous serons au Louvre.

— Ah ! par le petit escalier, Tréville, par le petit escalier. Il est inutile que le cardinal sache…

— Oui, sire.

— Vous comprenez, Tréville, un édit est toujours un édit ; il est défendu de se battre, au bout du compte.

— Mais cette rencontre, sire, sort tout à fait des conditions ordinaires d’un duel : c’est une rixe, et la preuve, c’est qu’ils étaient cinq gardes du cardinal contre mes trois mousquetaires et M. d’Artagnan.

— C’est juste, dit le roi, mais n’importe, Tréville, venez toujours par le petit escalier.

Tréville sourit. Mais comme c’était déjà beaucoup pour lui d’avoir obtenu de cet enfant qu’il se révoltât contre son maître, il salua respectueusement le roi, et avec son agrément prit congé de lui.

Dès le soir même, les trois mousquetaires furent prévenus de l’honneur qui leur était accordé. Comme ils connaissaient depuis longtemps le roi, ils n’en furent pas trop échauffés, mais d’Artagnan, avec son imagination gasconne, y vit sa fortune à venir, et passa la nuit à faire des rêves d’or. Aussi, dès huit heures du matin, était-il chez Athos.

D’Artagnan trouva le mousquetaire tout habillé et prêt à sortir. Comme on n’avait rendez-vous chez le roi qu’à midi, il avait formé le projet, avec Porthos et Aramis, d’aller faire une partie de paume dans un tripot situé tout près des écuries du Luxembourg. Athos invita d’Artagnan à les suivre, et malgré son ignorance de ce jeu, auquel il n’avait jamais joué, celui-ci accepta, ne sachant que faire de son temps, depuis neuf heures du matin, qu’il était à peine, jusqu’à midi.

Les deux mousquetaires étaient déjà arrivés et pelotaient ensemble. Athos, qui était très fort à tous les exercices du corps, passa avec d’Artagnan du côté opposé, et leur fit défi. Mais au premier mouvement qu’il essaya, quoiqu’il jouât de la main gauche, il comprit que sa blessure était encore trop récente pour lui permettre un pareil exercice. D’Artagnan resta donc seul, et comme il déclara qu’il était trop maladroit pour soutenir une partie en règle, on continua seulement à s’envoyer des balles sans compter le jeu. Mais une de ces balles, lancée par le poignet herculéen de Porthos, passa si près du visage de d’Artagnan, qu’il pensa que si, au lieu de passer à côté, elle eût donné dedans, son audience était probablement perdue, attendu qu’il lui eût été de toute impossibilité de se présenter chez le roi. Or, comme de cette audience, dans son imagination gasconne, dépendait tout son avenir, il salua poliment Porthos et Aramis, déclarant qu’il ne reprendrait la partie que lorsqu’il serait en état de leur tenir tête, et il s’en revint prendre place près de la corde et dans la galerie.

Malheureusement pour d’Artagnan, parmi les spectateurs se trouvait un garde de Son Éminence, lequel, tout échauffé encore de la défaite de ses compagnons, arrivée la veille seulement, s’était promis de saisir la première occasion de la venger. Il crut donc que cette occasion était venue, et s’adressant à son voisin :

— Il n’est pas étonnant, dit-il, que ce jeune homme ait eu peur d’une balle, c’est sans doute un apprenti mousquetaire.

D’Artagnan se retourna comme si un serpent l’eût mordu, et regarda fixement le garde qui venait de tenir cet insolent propos.

— Pardieu ! reprit celui-ci en frisant insolemment sa moustache, regardez-moi tant que vous voudrez, mon petit monsieur, j’ai dit ce que j’ai dit.

— Et comme ce que vous avez dit est trop clair pour que vos paroles aient besoin d’explication, répondit d’Artagnan à voix basse, je vous prierai de me suivre.

— Et quand cela ? demanda le garde avec le même air railleur.

— Tout de suite, s’il vous plaît.

— Ah !… Vous savez qui je suis, sans doute ?

— Moi ? je l’ignore complètement, et je ne m’en inquiète guère.

— Et vous avez tort, car, si vous saviez mon nom, peut-être seriez-vous moins pressé.

— Comment vous appelez-vous ?

— Bernajoux, pour vous servir.

— Eh bien, monsieur Bernajoux, dit tranquillement d’Artagnan, je vais vous attendre sur la porte.

— Allez, monsieur, je vous suis.

— Ne vous pressez pas trop, monsieur, qu’on ne s’aperçoive pas que nous sortons ensemble ; vous comprenez que pour ce que nous allons faire, trop de monde nous gênerait.

— C’est bien, répondit le garde, étonné que son nom n’eût pas produit plus d’effet sur le jeune homme.

En effet, le nom de Bernajoux était connu de tout le monde, de d’Artagnan seul excepté, peut-être ; car c’était un de ceux qui figuraient le plus souvent dans les rixes journalières que tous les édits du roi et du cardinal n’avaient pu réprimer.

Porthos et Aramis étaient si occupés de leur partie, et Athos les regardait avec tant d’attention, qu’ils ne virent pas même sortir leur jeune compagnon, lequel, ainsi qu’il l’avait dit au garde de Son Éminence, s’arrêta sur la porte ; un instant après, celui-ci descendit à son tour. Comme d’Artagnan n’avait pas de temps à perdre, vu l’audience du roi qui était fixée à midi, il jeta les yeux autour de lui, et voyant que la rue était déserte :

— Ma foi, dit-il à son adversaire, il est bien heureux pour vous, quoique vous vous appeliez Bernajoux, de n’avoir affaire qu’à un apprenti mousquetaire ; cependant, soyez tranquille, je ferai de mon mieux. En garde !

— Mais, dit celui que d’Artagnan provoquait ainsi, il me semble que le lieu est assez mal choisi, et que nous serions mieux derrière l’abbaye de Saint-Germain ou dans le Pré-aux-Clercs.

— Ce que vous dites est plein de sens, répondit d’Artagnan ; malheureusement j’ai peu de temps à moi, ayant un rendez-vous à midi juste. En garde donc, monsieur, en garde !

Bernajoux n’était pas homme à se faire répéter deux fois un pareil compliment. Au même instant son épée brilla à sa main, et il fondit sur son adversaire que, grâce à sa grande jeunesse, il espérait intimider.

Mais d’Artagnan avait fait la veille son apprentissage, et tout frais émoulu de sa victoire, tout gonflé de sa future faveur, il était résolu à ne pas reculer d’un pas : aussi les deux fers se trouvèrent-ils engagés jusqu’à la garde, et comme d’Artagnan tenait ferme à sa place, ce fut son adversaire qui fit un pas de retraite. Mais d’Artagnan saisit le moment où, dans ce mouvement, le fer de Bernajoux déviait de la ligne, il dégagea, se fendit et toucha son adversaire à l’épaule. Aussitôt d’Artagnan, à son tour, fit un pas de retraite et releva son épée ; mais Bernajoux lui cria que ce n’était rien, et se fendant aveuglément sur lui, il s’enferra de lui-même. Cependant, comme il ne tombait pas, comme il ne se déclarait pas vaincu, mais que seulement il rompait du côté de l’hôtel de M. de La Trémouille au service duquel il avait un parent, d’Artagnan, ignorant lui-même la gravité de la dernière blessure que son adversaire avait reçue, le pressait vivement, et sans doute allait l’achever d’un troisième coup, lorsque la rumeur qui s’élevait de la rue s’étant étendue jusqu’au jeu de paume, deux des amis du garde, qui l’avaient entendu échanger quelques paroles avec d’Artagnan et qui l’avaient vu sortir à la suite de ces paroles, se précipitèrent l’épée à la main hors du tripot et tombèrent sur le vainqueur. Mais aussitôt Athos, Porthos et Aramis parurent à leur tour et au moment où les deux gardes attaquaient leur jeune camarade, les forcèrent à se retourner. En ce moment Bernajoux tomba ; et comme les gardes étaient seulement deux contre quatre, ils se mirent à crier : « À nous, l’hôtel de La Trémouille ! » À ces cris, tout ce qui était dans l’hôtel sortit, se ruant sur les quatre compagnons, qui de leur côté se mirent à crier : « À nous, mousquetaires ! »

Ce cri était ordinairement entendu ; car on savait les mousquetaires ennemis de Son Éminence, et on les aimait pour la haine qu’ils portaient au cardinal. Aussi les gardes des autres compagnies que celles appartenant au duc Rouge, comme l’avait appelé Aramis, prenaient-ils en général parti dans ces sortes de querelles pour les mousquetaires du roi. De trois gardes de la compagnie de M. des Essarts qui passaient, deux vinrent donc en aide aux quatre compagnons, tandis que l’autre courait à l’hôtel de M. de Tréville, criant : « À nous, mousquetaires, à nous ! » Comme d’habitude, l’hôtel de M. de Tréville était plein de soldats de cette arme, qui accoururent au secours de leurs camarades ; la mêlée devint générale, mais la force était aux mousquetaires : les gardes du cardinal et les gens de M. de La Trémouille se retirèrent dans l’hôtel, dont ils fermèrent les portes assez à temps pour empêcher que leurs ennemis n’y fissent irruption en même temps qu’eux. Quant au blessé, il y avait été tout d’abord transporté et, comme nous l’avons dit, en fort mauvais état.

L’agitation était à son comble parmi les mousquetaires et leurs alliés, et l’on délibérait déjà si, pour punir l’insolence qu’avaient eue les domestiques de M. de La Trémouille de faire une sortie sur les mousquetaires du roi, on ne mettrait pas le feu à son hôtel. La proposition en avait été faite et accueillie avec enthousiasme, lorsque heureusement onze heures sonnèrent ; d’Artagnan et ses compagnons se souvinrent de leur audience, et comme ils eussent regretté que l’on fît un si beau coup sans eux, ils parvinrent à calmer les têtes. On se contenta donc de jeter quelques pavés dans les portes, mais les portes résistèrent : alors on se lassa ; d’ailleurs ceux qui devaient être regardés comme les chefs de l’entreprise avaient depuis un instant quitté le groupe et s’acheminaient vers l’hôtel de M. de Tréville, qui les attendait, déjà au courant de cette algarade.

— Vite, au Louvre, dit-il, au Louvre sans perdre un instant, et tâchons de voir le roi avant qu’il soit prévenu par le cardinal ; nous lui raconterons la chose comme une suite de l’affaire d’hier, et les deux passeront ensemble.

M. de Tréville, accompagné des quatre jeunes gens, s’achemina donc vers le Louvre ; mais, au grand étonnement du capitaine des mousquetaires, on lui annonça que le roi était allé courre le cerf dans la forêt de Saint-Germain. M. de Tréville se fit répéter deux fois cette nouvelle, et à chaque fois ses compagnons virent son visage se rembrunir.

— Est-ce que Sa Majesté, demanda-t-il, avait dès hier le projet de faire cette chasse ?

— Non, Votre Excellence, répondit le valet de chambre, c’est le grand veneur qui est venu lui annoncer ce matin qu’on avait détourné cette nuit un cerf à son intention. Il a d’abord répondu qu’il n’irait pas, puis il n’a pas su résister au plaisir que lui promettait cette chasse, et après le dîner il est parti.

— Et le roi a-t-il vu le cardinal ? demanda M. de Tréville.

— Selon toute probabilité, répondit le valet de chambre, car j’ai vu ce matin les chevaux au carrosse de Son Éminence, j’ai demandé où elle allait, et l’on m’a répondu : À Saint-Germain.

— Nous sommes prévenus, dit M. de Tréville, messieurs, je verrai le roi ce soir ; mais quant à vous, je ne vous conseille pas de vous y hasarder.

L’avis était trop raisonnable et surtout venait d’un homme qui connaissait trop bien le roi, pour que les quatre jeunes gens essayassent de le combattre. M. de Tréville les invita donc à rentrer chacun chez eux et à attendre de ses nouvelles.

En entrant à son hôtel, M. de Tréville songea qu’il fallait prendre date en portant plainte le premier. Il envoya un de ses domestiques chez M. de La Trémouille avec une lettre dans laquelle il le priait de mettre hors de chez lui le garde de M. le cardinal, et de réprimander ses gens de l’audace qu’ils avaient eue de faire leur sortie contre les mousquetaires. Mais M. de La Trémouille, déjà prévenu par son écuyer dont, comme on le sait, Bernajoux était le parent, lui fit répondre que ce n’était ni à M. de Tréville, ni à ses mousquetaires de se plaindre, mais bien au contraire à lui dont les mousquetaires avaient chargé les gens et voulu brûler l’hôtel. Or, comme le débat entre ces deux seigneurs eût pu durer longtemps, chacun devant naturellement s’entêter dans son opinion, M. de Tréville avisa un expédient qui avait pour but de tout terminer : c’était d’aller trouver lui-même M. de La Trémouille.

Il se rendit donc aussitôt à son hôtel et se fit annoncer.

Les deux seigneurs se saluèrent poliment, car, s’il n’y avait pas amitié entre eux, il y avait du moins estime. Tous deux étaient gens de cœur et d’honneur ; et comme M. de La Trémouille, protestant, et voyant rarement le roi, n’était d’aucun parti, il n’apportait en général dans ses relations sociales aucune prévention. Cette fois, néanmoins, son accueil quoique poli fut plus froid que d’habitude.

— Monsieur, dit M. de Tréville, nous croyons avoir à nous plaindre chacun l’un de l’autre, et je suis venu moi-même pour que nous tirions de compagnie cette affaire au clair.

— Volontiers, répondit M. de La Trémouille ; mais je vous préviens que je suis bien renseigné, et tout le tort est à vos mousquetaires.

— Vous êtes un homme trop juste et trop raisonnable, monsieur, dit M. de Tréville, pour ne pas accepter la proposition que je vais faire.

— Faites, monsieur, j’écoute.

— Comment se trouve M. Bernajoux, le parent de votre écuyer ?

— Mais, monsieur, fort mal. Outre le coup d’épée qu’il a reçu dans le bras, et qui n’est pas autrement dangereux, il en a encore ramassé un autre qui lui a traversé le poumon, de sorte que le médecin en dit de pauvres choses.

— Mais le blessé a-t-il conservé sa connaissance ?

— Parfaitement.

— Parle-t-il ?

— Avec difficulté, mais il parle.

— Eh bien, monsieur ! rendons-nous près de lui ; adjurons-le, au nom du Dieu devant lequel il va être appelé peut-être, de dire la vérité. Je le prends pour juge dans sa propre cause, monsieur, et ce qu’il dira je le croirai.

M. de La Trémouille réfléchit un instant, puis, comme il était difficile de faire une proposition plus raisonnable, il accepta.

Tous deux descendirent dans la chambre où était le blessé. Celui-ci, en voyant entrer ces deux nobles seigneurs qui venaient lui faire visite, essaya de se relever sur son lit, mais il était trop faible, et, épuisé par l’effort qu’il avait fait, il retomba presque sans connaissance.

M. de La Trémouille s’approcha de lui et lui fit respirer des sels qui le rappelèrent à la vie. Alors M. de Tréville, ne voulant pas qu’on pût l’accuser d’avoir influencé le malade, invita M. de La Trémouille à l’interroger lui-même.

Ce qu’avait prévu M. de Tréville arriva. Placé entre la vie et la mort comme l’était Bernajoux, il n’eut pas même l’idée de taire un instant la vérité, et il raconta aux deux seigneurs les choses exactement, telles qu’elles s’étaient passées.

C’était tout ce que voulait M. de Tréville ; il souhaita à Bernajoux une prompte convalescence, prit congé de M. de La Trémouille, rentra à son hôtel et fit aussitôt prévenir les quatre amis qu’il les attendait à dîner.

M. de Tréville recevait fort bonne compagnie, toute anti-cardinaliste d’ailleurs. On comprend donc que la conversation roula pendant tout le dîner sur les deux échecs que venaient d’éprouver les gardes de Son Éminence. Or, comme d’Artagnan avait été le héros de ces deux journées, ce fut sur lui que tombèrent toutes les félicitations, qu’Athos, Porthos et Aramis lui abandonnèrent non seulement en bons camarades, mais en hommes qui avaient eu assez souvent leur tour pour qu’ils lui laissassent le sien.

Vers six heures, M. de Tréville annonça qu’il était tenu d’aller au Louvre ; mais comme l’heure de l’audience accordée par Sa Majesté était passée, au lieu de réclamer l’entrée par le petit escalier, il se plaça avec les quatre jeunes gens dans l’antichambre. Le roi n’était pas encore revenu de la chasse. Nos jeunes gens attendaient depuis une demi-heure à peine, mêlés à la foule des courtisans, lorsque toutes les portes s’ouvrirent et qu’on annonça Sa Majesté.

À cette annonce, d’Artagnan se sentit frémir jusqu’à la moelle des os. L’instant qui allait suivre devait, selon toute probabilité, décider du reste de sa vie. Aussi ses yeux se fixèrent-ils avec angoisse sur la porte par laquelle devait entrer le roi.

Louis XIII parut, marchant le premier ; il était en costume de chasse, encore tout poudreux, ayant de grandes bottes et tenant un fouet à la main. Au premier coup d’œil, d’Artagnan jugea que l’esprit du roi était à l’orage.

Cette disposition, toute visible qu’elle était chez Sa Majesté, n’empêcha pas les courtisans de se ranger sur son passage : dans les antichambres royales, mieux vaut encore être vu d’un œil irrité que de n’être pas vu du tout. Les trois mousquetaires n’hésitèrent donc pas, et firent un pas en avant, tandis que d’Artagnan au contraire restait caché derrière eux ; mais quoique le roi connût personnellement Athos, Porthos et Aramis, il passa devant eux sans les regarder, sans leur parler et comme s’il ne les avait jamais vus. Quant à M. de Tréville, lorsque les yeux du roi s’arrêtèrent un instant sur lui, il soutint ce regard avec tant de fermeté, que ce fut le roi qui détourna la vue ; après quoi, tout en grommelant, Sa Majesté rentra dans son appartement.

— Les affaires vont mal, dit Athos en souriant, et nous ne serons pas encore fait chevaliers de l’ordre cette fois-ci.

— Attendez ici dix minutes, dit M. de Tréville ; et si au bout de dix minutes vous ne me voyez pas sortir, retournez à mon hôtel : car il sera inutile que vous m’attendiez plus longtemps.

Les quatre jeunes gens attendirent dix minutes, un quart d’heure, vingt minutes ; et voyant que M. de Tréville ne reparaissait point, ils sortirent fort inquiets de ce qui allait arriver.

M. de Tréville était entré hardiment dans le cabinet du roi, et avait trouvé Sa Majesté de très méchante humeur, assise sur un fauteuil et battant ses bottes du manche de son fouet, ce qui ne l’avait pas empêché de lui demander avec le plus grand flegme des nouvelles de sa santé.

— Mauvaise, monsieur, mauvaise, répondit le roi, je m’ennuie.

C’était, en effet, la pire maladie de Louis XIII, qui souvent prenait un de ses courtisans, l’attirait à une fenêtre et lui disait : — Monsieur un tel, ennuyons-nous ensemble.

— Comment ! Votre Majesté s’ennuie ! dit M. de Tréville. N’a-t-elle donc pas pris aujourd’hui le plaisir de la chasse ?

— Beau plaisir, monsieur ! Tout dégénère, sur mon âme, et je ne sais si c’est le gibier qui n’a plus de voie ou les chiens qui n’ont plus de nez. Nous lançons un cerf dix cors, nous le courons six heures, et quand il est prêt à tenir, quand Saint-Simon met déjà le cor à sa bouche pour sonner l’hallali, crac ! toute la meute prend le change et s’emporte sur un daguet. Vous verrez que je serai obligé de renoncer à la chasse à courre comme j’ai renoncé à la chasse au vol. Ah ! je suis un roi bien malheureux, monsieur de Tréville ! je n’avais plus qu’un gerfaut, et il est mort avant-hier.

— En effet, Sire, je comprends votre désespoir, et le malheur est grand ; mais il vous reste encore, ce me semble, bon nombre de faucons, d’éperviers et de tiercelets.

— Et pas un homme pour les instruire, les fauconniers s’en vont, il n’y a plus que moi qui connaisse l’art de la vénerie. Après moi tout sera dit, et l’on chassera avec des traquenards, des pièges, des trappes. Si j’avais le temps encore de former des élèves ! mais oui, M. le cardinal est là qui ne me laisse pas un instant de repos, qui me parle de l’Espagne, qui me parle de l’Autriche, qui me parle de l’Angleterre ! Ah ! à propos de M. le cardinal, monsieur de Tréville, je suis mécontent de vous.

M. de Tréville attendait le roi à cette chute. Il connaissait le roi de longue main ; il avait compris que toutes ses plaintes n’étaient qu’une préface, une espèce d’excitation pour s’encourager lui-même, et que c’était où il était arrivé enfin qu’il en voulait venir.

— Et en quoi ai-je été assez malheureux pour déplaire à Votre Majesté ? demanda M. de Tréville en feignant le plus profond étonnement.

— Est-ce ainsi que vous faites votre charge, monsieur ? continua le roi sans répondre directement à la question de M. de Tréville ; est-ce pour cela que je vous ai nommé capitaine de mes mousquetaires, que ceux-ci assassinent un homme, émeuvent tout un quartier et veulent brûler Paris sans que vous en disiez un mot ? Mais, au reste, continua le roi, sans doute que je me hâte de vous accuser, sans doute que les perturbateurs sont en prison et que vous venez m’annoncer que justice est faite.

— Sire, répondit tranquillement M. de Tréville, je viens vous la demander au contraire.

— Et contre qui ? s’écria le roi.

— Contre les calomniateurs, dit M. de Tréville.

— Ah ! voilà qui est nouveau, reprit le roi. N’allez-vous pas dire que vos trois mousquetaires damnés, Athos, Porthos et Aramis et votre cadet de Béarn, ne se sont pas jetés comme des furieux sur le pauvre Bernajoux, et ne l’ont pas maltraité de telle façon qu’il est probable qu’il est en train de trépasser à cette heure ! N’allez-vous pas dire qu’ensuite ils n’ont pas fait le siège de l’hôtel du duc de La Trémouille, et qu’ils n’ont point voulu le brûler ! ce qui n’aurait peut-être pas été un très grand malheur en temps de guerre, vu que c’est un nid de huguenots, mais ce qui, en temps de paix, est un fâcheux exemple. Dites, n’allez-vous pas nier tout cela ?

— Et qui vous a fait ce beau récit, sire ? demanda tranquillement M. de Tréville.

— Qui m’a fait ce beau récit, monsieur ? et qui voulez-vous que ce soit, si ce n’est celui qui veille quand je dors, qui travaille quand je m’amuse, qui mène tout au-dedans et au-dehors du royaume, en France comme en Europe ?

— Sa Majesté veut parler de Dieu, sans doute, dit M. de Tréville, car je ne connais que Dieu qui soit si fort au-dessus de Sa Majesté.

— Non, monsieur ; je veux parler du soutien de l’État, de mon seul serviteur, de mon seul ami, de M. le cardinal.

— Son Éminence n’est pas Sa Sainteté, sire.

— Qu’entendez-vous par là, monsieur ?

— Qu’il n’y a que le pape qui soit infaillible, et que cette infaillibilité ne s’étend pas aux cardinaux.

— Vous voulez dire qu’il me trompe, vous voulez dire qu’il me trahit. Vous l’accusez alors. Voyons, dites, avouez franchement que vous l’accusez.

— Non, sire ; mais je dis qu’il se trompe lui-même, je dis qu’il a été mal renseigné ; je dis qu’il a eu hâte d’accuser les mousquetaires de Votre Majesté, pour lesquels il est injuste, et qu’il n’a pas été puiser ses renseignements aux bonnes sources.

— L’accusation vient de M. de La Trémouille, du duc lui-même. Que répondrez-vous à cela ?

— Je pourrais répondre, sire, qu’il est trop intéressé dans la question pour être un témoin bien impartial ; mais loin de là, sire, je connais le duc pour un loyal gentilhomme, et je m’en rapporterai à lui, mais à une condition, sire.

— Laquelle ?

— C’est que Votre Majesté le fera venir, l’interrogera, mais elle-même, en tête-à-tête, sans témoins, et que je reverrai Votre Majesté aussitôt qu’elle aura reçu le duc.

— Oui-da ! fit le roi, et vous vous en rapporterez à ce que dira M. de La Trémouille ?

— Oui, sire.

— Vous accepterez son jugement ?

— Sans doute.

— Et vous vous soumettrez aux réparations qu’il exigera ?

— Parfaitement.

— La Chesnaye ! fit le roi. La Chesnaye !

Le valet de chambre de confiance de Louis XIII, qui se tenait toujours à la porte, entra.

— La Chesnaye, dit le roi, qu’on aille à l’instant même me quérir M. de La Trémouille ; je veux lui parler ce soir.

— Votre Majesté me donne sa parole qu’elle ne verra personne entre M. de La Trémouille et moi ?

— Personne, foi de gentilhomme.

— À demain, Sire, alors.

— À demain, monsieur.

— À quelle heure, s’il plaît à Votre Majesté ?

— À l’heure que vous voudrez.

— Mais, en venant par trop matin, je crains de réveiller votre Majesté.

— Me réveiller ? Est-ce que je dors ? Je ne dors plus, monsieur ; je rêve quelquefois, voilà tout. Venez donc d’aussi bon matin que vous voudrez, à sept heures ; mais gare à vous, si vos mousquetaires sont coupables !

— Si mes mousquetaires sont coupables, sire, les coupables seront remis aux mains de Votre Majesté, qui ordonnera d’eux selon son bon plaisir. Votre Majesté exige-t-elle quelque chose de plus ? qu’elle parle, je suis prêt à lui obéir.

— Non, monsieur, non, et ce n’est pas sans raison qu’on m’a appelé Louis le Juste. À demain donc, monsieur, à demain.

— Dieu garde jusque-là Votre Majesté !

Si peu que dormit le roi, M. de Tréville dormit plus mal encore ; il avait fait prévenir dès le soir même ses trois mousquetaires et leur compagnon de se trouver chez lui à six heures et demie du matin. Il les emmena avec lui sans rien leur affirmer, sans leur rien promettre, et ne leur cachant pas que leur faveur et même la sienne tenaient à un coup de dé.

Arrivé au bas du petit escalier, il les fit attendre. Si le roi était toujours irrité contre eux, ils s’éloigneraient sans être vus ; si le roi consentait à les recevoir, on n’aurait qu’à les faire appeler.

En arrivant dans l’antichambre particulière du roi, M. de Tréville trouva La Chesnaye, qui lui apprit qu’on n’avait pas rencontré le duc de La Trémouille la veille au soir à son hôtel, qu’il était rentré trop tard pour se présenter au Louvre, qu’il venait seulement d’arriver, et qu’il était à cette heure chez le roi.

Cette circonstance plut beaucoup à M. de Tréville, qui, de cette façon, fut certain qu’aucune suggestion étrangère ne se glisserait entre la déposition de M. de La Trémouille et lui.

En effet, dix minutes s’étaient à peine écoulées, que la porte du cabinet s’ouvrit et que M. de Tréville en vit sortir le duc de La Trémouille, lequel vint à lui et lui dit :

— Monsieur de Tréville, Sa Majesté vient de m’envoyer quérir pour savoir comment les choses s’étaient passées hier matin à mon hôtel. Je lui ai dit la vérité, c’est-à-dire que la faute était à mes gens, et que j’étais prêt à vous en faire mes excuses. Puisque je vous rencontre, veuillez les recevoir, et me tenir toujours pour un de vos amis.

— Monsieur le duc, dit M. de Tréville, j’étais si plein de confiance dans votre loyauté, que je n’avais pas voulu près de Sa Majesté d’autre défenseur que vous-même. Je vois que je ne m’étais pas abusé, et je vous remercie de ce qu’il y a encore en France un homme de qui on puisse dire sans se tromper ce que j’ai dit de vous.

— C’est bien ! c’est bien ! dit le roi qui avait écouté tous ces compliments entre les deux portes ; seulement, dites-lui, Tréville, puisqu’il se prétend un de vos amis, que moi aussi je voudrais être des siens, mais qu’il me néglige ; qu’il y a tantôt trois ans que je ne l’ai vu, et que je ne le vois que quand je l’envoie chercher. Dites-lui tout cela de ma part, car ce sont de ces choses qu’un roi ne peut dire lui-même.

— Merci, sire, merci, dit le duc ; mais que Votre Majesté croie bien que ce ne sont pas ceux, je ne dis point cela pour M. de Tréville, que ce ne sont point ceux qu’elle voit à toute heure du jour qui lui sont le plus dévoués.

— Ah ! vous avez entendu ce que j’ai dit ; tant mieux, duc, tant mieux, dit le roi en s’avançant jusque sur la porte. Ah ! c’est vous, Tréville ! où sont vos mousquetaires ? Je vous avais dit avant-hier de me les amener, pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?

— Ils sont en bas, sire, et avec votre congé La Chesnaye va leur dire de monter.

— Oui, oui, qu’ils viennent tout de suite ; il va être huit heures, et à neuf heures j’attends une visite. Allez, monsieur le duc, et revenez surtout. Entrez, Tréville.

Le duc salua et sortit. Au moment où il ouvrait la porte, les trois mousquetaires et d’Artagnan, conduits par La Chesnaye, apparaissaient au haut de l’escalier.

— Venez, mes braves, dit le roi, venez ; j’ai à vous gronder.

Les mousquetaires s’approchèrent en s’inclinant ; d’Artagnan les suivait par-derrière.

— Comment diable ! continua le roi ; à vous quatre, sept gardes de Son Éminence mis hors de combat en deux jours ! C’est trop, messieurs, c’est trop. À ce compte-là, Son Éminence serait forcée de renouveler sa compagnie dans trois semaines, et moi de faire appliquer les édits dans toute leur rigueur. Un par hasard, je ne dis pas ; mais sept en deux jours, je le répète, c’est trop, c’est beaucoup trop.

— Aussi, sire, Votre Majesté voit qu’ils viennent tout contrits et tout repentants lui faire leurs excuses.

— Tout contrits et tout repentants ! Hum ! fit le roi, je ne me fie point à leurs faces hypocrites ; il y a surtout là-bas une figure de Gascon. Venez ici, monsieur.

D’Artagnan, qui comprit que c’était à lui que le compliment s’adressait, s’approcha en prenant son air le plus désespéré.

— Eh bien ! que me disiez-vous donc que c’était un jeune homme ? c’est un enfant, monsieur de Tréville, un véritable enfant ! Et c’est celui-là qui a donné ce rude coup d’épée à Jussac ?

— Et ces deux beaux coups d’épée à Bernajoux.

— Véritablement !

— Sans compter, dit Athos, que s’il ne m’avait pas tiré des mains de Biscarat, je n’aurais très certainement pas l’honneur de faire en ce moment-ci ma très humble révérence à Votre Majesté.

— Mais c’est donc un véritable démon que ce Béarnais, ventre-saint-gris ! monsieur de Tréville comme eût dit le roi mon père. À ce métier-là, on doit trouer force pourpoints et briser force épées. Or les Gascons sont toujours pauvres, n’est-ce pas ?

— Sire, je dois dire qu’on n’a pas encore trouvé des mines d’or dans leurs montagnes, quoique le Seigneur dût bien ce miracle en récompense de la manière dont ils ont soutenu les prétentions du roi votre père.

— Ce qui veut dire que ce sont les Gascons qui m’ont fait roi moi-même, n’est-ce pas, Tréville, puisque je suis le fils de mon père ? Eh bien, à la bonne heure, je ne dis pas non. La Chesnaye, allez voir si, en fouillant dans toutes mes poches, vous trouverez quarante pistoles ; et si vous les trouvez, apportez-les-moi. Et maintenant, voyons, jeune homme, la main sur la conscience, comment cela s’est-il passé ?

D’Artagnan raconta l’aventure de la veille dans tous ses détails : comment, n’ayant pas pu dormir de la joie qu’il éprouvait à voir Sa Majesté, il était arrivé chez ses amis trois heures avant l’heure de l’audience ; comment ils étaient allés ensemble au tripot, et comment, sur la crainte qu’il avait manifestée de recevoir une balle au visage, il avait été raillé par Bernajoux, lequel avait failli payer cette raillerie de la perte de la vie, et M. de La Trémouille, qui n’y était pour rien, de la perte de son hôtel.

— C’est bien cela, murmurait le roi ; oui, c’est ainsi que le duc m’a raconté la chose. Pauvre cardinal ! sept hommes en deux jours, et de ses plus chers ; mais c’est assez comme cela, messieurs, entendez-vous ! c’est assez : vous avez pris votre revanche de la rue Férou, et au-delà ; vous devez être satisfaits.

— Si Votre Majesté l’est, dit Tréville, nous le sommes.

— Oui, je le suis, ajouta le roi en prenant une poignée d’or de la main de La Chesnaye, et la mettant dans celle de d’Artagnan. Voici, dit-il, une preuve de ma satisfaction.

À cette époque, les idées de fierté qui sont de mise de nos jours n’étaient point encore de mode. Un gentilhomme recevait de la main à la main de l’argent du roi, et n’en était pas le moins du monde humilié. D’Artagnan mit donc les quarante pistoles dans sa poche sans faire aucune façon, et en remerciant tout au contraire grandement Sa Majesté.

— Là, dit le roi en regardant sa pendule, là, et maintenant qu’il est huit heures et demie, retirez-vous ; car, je vous l’ai dit, j’attends quelqu’un à neuf heures. Merci de votre dévouement, messieurs. J’y puis compter, n’est-ce pas ?

— Oh ! sire, s’écrièrent d’une même voix les quatre compagnons, nous nous ferions couper en morceaux pour Votre Majesté.

— Bien, bien ; mais restez entiers : cela vaut mieux, et vous me serez plus utiles. Tréville, ajouta le roi à demi-voix pendant que les autres se retiraient, comme vous n’avez pas de place dans les mousquetaires et que d’ailleurs pour entrer dans ce corps nous avons décidé qu’il fallait faire un noviciat, placez ce jeune homme dans la compagnie des gardes de M. des Essarts, votre beau-frère. Ah ! pardieu ! Tréville, je me réjouis de la grimace que va faire le cardinal : il sera furieux, mais cela m’est égal ; je suis dans mon droit.

Et le roi salua de la main Tréville, qui sortit et s’en vint rejoindre ses mousquetaires, qu’il trouva partageant avec d’Artagnan les quarante pistoles.

Et le cardinal, comme l’avait dit Sa Majesté, fut effectivement furieux, si furieux que pendant huit jours il abandonna le jeu du roi, ce qui n’empêchait pas le roi de lui faire la plus charmante mine du monde, et toutes les fois qu’il le rencontrait de lui demander de sa voix la plus caressante :

— Eh bien ! monsieur le cardinal, comment vont ce pauvre Bernajoux et ce pauvre Jussac, qui sont à vous ?

L’INTÉRIEUR DES MOUSQUETAIRES

Lorsque d’Artagnan fut hors du Louvre, et qu’il consulta ses amis sur l’emploi qu’il devait faire de sa part des quarante pistoles, Athos lui conseilla de commander un bon repas à la Pomme-du-Pin, Porthos de prendre un laquais, et Aramis de se faire une maîtresse convenable.

Le repas fut exécuté le jour même, et le laquais y servit à table. Le repas avait été commandé par Athos, et le laquais fourni par Porthos. C’était un Picard que le glorieux mousquetaire avait embauché le jour même et à cette occasion sur le pont de la Tournelle, pendant qu’il faisait des ronds en crachant dans l’eau. Porthos avait prétendu que cette occupation était la preuve d’une organisation réfléchie et contemplative, et il l’avait emmené sans autre recommandation. La grande mine de ce gentilhomme, pour le compte duquel il se crut engagé, avait séduit Planchet – c’était le nom du Picard ; – il y eut chez lui un léger désappointement lorsqu’il vit que la place était déjà prise par un confrère nommé Mousqueton, et lorsque Porthos lui eut signifié que son état de maison, quoi que grand, ne comportait pas deux domestiques, et qu’il lui fallait entrer au service de d’Artagnan. Cependant, lorsqu’il assista au dîner que donnait son maître et qu’il vit celui-ci tirer en payant une poignée d’or de sa poche, il crut sa fortune faite et remercia le Ciel d’être tombé en la possession d’un pareil Crésus ; il persévéra dans cette opinion jusqu’après le festin, des reliefs duquel il répara de longues abstinences. Mais en faisant, le soir, le lit de son maître, les chimères de Planchet s’évanouirent. Le lit était le seul de l’appartement, qui se composait d’une antichambre et d’une chambre à coucher. Planchet coucha dans l’antichambre sur une couverture tirée du lit de d’Artagnan, et dont d’Artagnan se passa depuis.

Athos, de son côté, avait un valet qu’il avait dressé à son service d’une façon toute particulière, et que l’on appelait Grimaud. Il était fort silencieux, ce digne seigneur. Nous parlons d’Athos, bien entendu. Depuis cinq ou six ans qu’il vivait dans la plus profonde intimité avec ses compagnons Porthos et Aramis, ceux-ci se rappelaient l’avoir vu sourire souvent, mais jamais ils ne l’avaient entendu rire. Ses paroles étaient brèves et expressives, disant toujours ce qu’elles voulaient dire, rien de plus : pas d’enjolivements, pas de broderies, pas d’arabesques. Sa conversation était un fait sans aucun épisode.

Quoique Athos eût à peine trente ans et fût d’une grande beauté de corps et d’esprit, personne ne lui connaissait de maîtresse. Jamais il ne parlait de femmes. Seulement il n’empêchait pas qu’on en parlât devant lui, quoiqu’il fût facile de voir que ce genre de conversation, auquel il ne se mêlait que par des mots amers et des aperçus misanthropiques, lui était parfaitement désagréable. Sa réserve, sa sauvagerie et son mutisme en faisaient presque un vieillard ; il avait donc, pour ne point déroger à ses habitudes, habitué Grimaud à lui obéir sur un simple geste ou sur un simple mouvement des lèvres. Il ne lui parlait que dans des circonstances suprêmes. Quelquefois Grimaud, qui craignait son maître comme le feu, tout en ayant pour sa personne un grand attachement et pour son génie une grande vénération, croyait avoir parfaitement compris ce qu’il désirait, s’élançait pour exécuter l’ordre reçu, et faisait précisément le contraire. Alors Athos haussait les épaules et, sans se mettre en colère, rossait Grimaud. Ces jours-là, il parlait un peu.

Porthos, comme on a pu le voir, avait un caractère tout opposé à celui d’Athos : non seulement il parlait beaucoup, mais il parlait haut ; peu lui importait au reste, il faut lui rendre cette justice, qu’on l’écoutât ou non ; il parlait pour le plaisir de parler et pour le plaisir de s’entendre ; il parlait de toutes choses excepté de sciences, excipant à cet endroit de la haine invétérée que depuis son enfance il portait, disait-il, aux savants. Il avait moins grand air qu’Athos, et le sentiment de son infériorité à ce sujet l’avait, dans le commencement de leur liaison, rendu souvent injuste pour ce gentilhomme, qu’il s’était alors efforcé de dépasser par ses splendides toilettes. Mais, avec sa simple casaque de mousquetaire et rien que par la façon dont il rejetait la tête en arrière et avançait le pied, Athos prenait à l’instant même la place qui lui était due et reléguait le fastueux Porthos au second rang. Porthos s’en consolait en remplissant l’antichambre de M. de Tréville et les corps de garde du Louvre du bruit de ses bonnes fortunes, dont Athos ne parlait jamais, et pour le moment, après avoir passé de la noblesse de robe à la noblesse d’épée, de la robine à la baronne, il n’était question de rien de moins pour Porthos que d’une princesse étrangère qui lui voulait un bien énorme.

Un vieux proverbe dit : « Tel maître, tel valet. » Passons donc du valet d’Athos au valet de Porthos, de Grimaud à Mousqueton.

Mousqueton était un Normand dont son maître avait changé le nom pacifique de Boniface en celui infiniment plus sonore et plus belliqueux de Mousqueton. Il était entré au service de Porthos à la condition qu’il serait habillé et logé seulement, mais d’une façon magnifique ; il ne réclamait que deux heures par jour pour les consacrer à une industrie qui devait suffire à pourvoir à ses autres besoins. Porthos avait accepté le marché ; la chose lui allait à merveille. Il faisait tailler à Mousqueton des pourpoints dans ses vieux habits et dans ses manteaux de rechange, et, grâce à un tailleur fort intelligent qui lui remettait ses hardes à neuf en les retournant, et dont la femme était soupçonnée de vouloir faire descendre Porthos de ses habitudes aristocratiques, Mousqueton faisait à la suite de son maître fort bonne figure.

Quant à Aramis, dont nous croyons avoir suffisamment exposé le caractère, caractère du reste que, comme celui de ses compagnons, nous pourrons suivre dans son développement, son laquais s’appelait Bazin. Grâce à l’espérance qu’avait son maître d’entrer un jour dans les ordres, il était toujours vêtu de noir, comme doit l’être le serviteur d’un homme d’Église. C’était un Berrichon de trente-cinq à quarante ans, doux, paisible, grassouillet, occupant à lire de pieux ouvrages les loisirs que lui laissait son maître, faisant à la rigueur pour deux un dîner de peu de plats, mais excellent. Au reste, muet, aveugle, sourd et d’une fidélité à toute épreuve.

Maintenant que nous connaissons, superficiellement du moins, les maîtres et les valets, passons aux demeures occupées par chacun d’eux.

Athos habitait rue Férou, à deux pas du Luxembourg ; son appartement se composait de deux petites chambres, fort proprement meublées, dans une maison garnie dont l’hôtesse encore jeune et véritablement encore belle lui faisait inutilement les doux yeux. Quelques fragments d’une grande splendeur passée éclataient çà et là aux murailles de ce modeste logement : c’était une épée, par exemple, richement damasquinée, qui remontait pour la façon à l’époque de François Ier, et dont la poignée seule, incrustée de pierres précieuses, pouvait valoir deux cents pistoles, et que cependant, dans ses moments de plus grande détresse, Athos n’avait jamais consenti à engager ni à vendre. Cette épée avait longtemps fait l’ambition de Porthos. Porthos aurait donné dix années de sa vie pour posséder cette épée.

Un jour qu’il avait rendez-vous avec une duchesse, il essaya même de l’emprunter à Athos. — Athos, sans rien dire, vida ses poches, ramassa tous ses bijoux : bourses, aiguillettes et chaînes d’or, il offrit tout à Porthos ; mais quant à l’épée, lui dit-il, elle était scellée à sa place et ne devait la quitter que lorsque son maître quitterait lui-même son logement. Outre son épée, il y avait encore un portrait représentant un seigneur du temps de Henri III vêtu avec la plus grande élégance, et qui portait l’ordre du Saint-Esprit, et ce portrait avait avec Athos certaines ressemblances de lignes, certaines similitudes de famille, qui indiquaient que ce grand seigneur, chevalier des ordres du roi, était son ancêtre. Enfin, un coffre de magnifique orfèvrerie, aux mêmes armes que l’épée et le portrait, faisait un milieu de cheminée qui jurait effroyablement avec le reste de la garniture. Athos portait toujours la clef de ce coffre sur lui. Mais un jour il l’avait ouvert devant Porthos, et Porthos avait pu s’assurer que ce coffre ne contenait que des lettres et des papiers : — des lettres d’amour et des papiers de famille, sans doute.

Porthos habitait un appartement très vaste et d’une très somptueuse apparence, rue du Vieux-Colombier. Chaque fois qu’il passait avec quelque ami devant ses fenêtres, à l’une desquelles Mousqueton se tenait toujours en grande livrée, Porthos levait la tête et la main, et disait : Voilà ma demeure. Mais jamais on ne le trouvait chez lui, jamais il n’invitait personne à y monter, et nul ne pouvait se faire une idée de ce que cette somptueuse apparence renfermait de richesses réelles.

Quant à Aramis, il habitait un petit logement composé d’un boudoir, d’une salle à manger et d’une chambre à coucher, laquelle chambre, située comme le reste de l’appartement au rez-de-chaussée, donnait sur un petit jardin frais, vert, ombreux et impénétrable aux yeux du voisinage.

Quant à d’Artagnan, nous savons comment il était logé, et nous avons déjà fait connaissance avec son laquais, maître Planchet.

D’Artagnan, qui était fort curieux de sa nature, comme sont les gens, du reste, qui ont le génie de l’intrigue, fit tous ses efforts pour savoir ce qu’étaient au juste Athos, Porthos et Aramis ; car, sous ces noms de guerre, chacun des jeunes gens cachait son nom de gentilhomme, Athos surtout, qui sentait son grand seigneur d’une lieue. Il s’adressa donc à Porthos pour avoir des renseignements sur Athos et Aramis, et à Aramis pour connaître Porthos.

Malheureusement, Porthos lui-même ne savait de la vie de son silencieux camarade que ce qui en avait transpiré. On disait qu’il avait eu de grands malheurs dans ses affaires amoureuses, et qu’une affreuse trahison avait empoisonné à jamais la vie de ce galant homme. Quelle était cette trahison ? Tout le monde l’ignorait.

Quant à Porthos, excepté son véritable nom, que M. de Tréville savait seul, ainsi que celui de ses deux camarades, sa vie était facile à connaître. Vaniteux et indiscret, on voyait à travers lui comme à travers un cristal. La seule chose qui eût pu égarer l’investigateur eût été que l’on eût cru tout le bien qu’il disait de lui.

Quant à Aramis, tout en ayant l’air de n’avoir aucun secret, c’était un garçon tout confit de mystères, répondant peu aux questions qu’on lui faisait sur les autres, et éludant celles que l’on faisait sur lui-même. Un jour, d’Artagnan, après l’avoir longtemps interrogé sur Porthos et en avoir appris ce bruit qui courait de la bonne fortune du mousquetaire avec une princesse, voulut savoir aussi à quoi s’en tenir sur les aventures amoureuses de son interlocuteur.

— Et vous, mon cher compagnon, lui dit-il, vous qui parlez des baronnes, des comtesses et des princesses des autres ?

— Pardon, interrompit Aramis, j’ai parlé parce que Porthos en parle lui-même, parce qu’il a crié toutes ces belles choses devant moi. Mais croyez bien, mon cher monsieur d’Artagnan, que si je les tenais d’une autre source ou qu’il me les eût confiées, il n’y aurait pas eu de confesseur plus discret que moi.

— Je n’en doute pas, reprit d’Artagnan ; mais enfin, il me semble que vous-même vous êtes assez familier avec les armoiries, témoin certain mouchoir brodé auquel je dois l’honneur de votre connaissance.

Aramis, cette fois, ne se fâcha point, mais il prit son air le plus modeste et répondit affectueusement :

— Mon cher, n’oubliez pas que je veux être d’Église, et que je fuis toutes les occasions mondaines. Ce mouchoir que vous avez vu ne m’avait point été confié, mais il avait été oublié chez moi par un de mes amis. J’ai dû le recueillir pour ne pas les compromettre, lui et la dame qu’il aime. Quant à moi, je n’ai point et ne veux point avoir de maîtresse, suivant en cela l’exemple très judicieux d’Athos, qui n’en a pas plus que moi.

— Mais, que diable ! vous n’êtes pas abbé, puisque vous êtes mousquetaire.

— Mousquetaire par intérim, mon cher, comme dit le cardinal, mousquetaire contre mon gré, mais homme Église dans le cœur, croyez-moi. Athos et Porthos m’ont fourré là-dedans pour m’occuper : j’ai eu, au moment d’être ordonné, une petite difficulté avec… Mais cela ne vous intéresse guère, et je vous prends un temps précieux.

— Point du tout, cela m’intéresse fort, s’écria d’Artagnan, et je n’ai pour le moment absolument rien à faire.

— Oui, mais moi j’ai mon bréviaire à dire, répondit Aramis, puis quelques vers à composer que m’a demandés madame d’Aiguillon ; ensuite je dois passer rue Saint-Honoré afin d’acheter du rouge pour madame de Chevreuse. Vous voyez, mon cher ami, que si rien ne vous presse, je suis très pressé, moi.

Et Aramis tendit affectueusement la main à son compagnon, et prit congé de lui.

D’Artagnan ne put, quelque peine qu’il se donnât, en savoir davantage sur ses trois nouveaux amis. Il prit donc son parti de croire dans le présent tout ce qu’on disait de leur passé, — espérant des révélations plus sûres et plus étendues de l’avenir. — En attendant, il considéra Athos comme un Achille, Porthos comme un Ajax, et Aramis comme un Joseph.

Au reste, la vie des quatre jeunes gens était joyeuse : Athos jouait, et toujours malheureusement. Cependant il n’empruntait jamais un sou à ses amis, quoique sa bourse fût sans cesse à leur service, et lorsqu’il avait joué sur parole, il faisait toujours réveiller son créancier à six heures du matin pour lui payer sa dette de la veille. Porthos avait des fougues : ces jours-là, s’il gagnait, on le voyait insolent et splendide ; s’il perdait, il disparaissait complètement pendant quelques jours, après lesquels il reparaissait le visage blême et la mine allongée, mais avec de l’argent dans ses poches. Quant à Aramis, il ne jouait jamais. C’était bien le plus mauvais mousquetaire et le plus méchant convive qui se pût voir… Il avait toujours besoin de travailler. Quelquefois au milieu d’un dîner, quand chacun, dans l’entraînement du vin et dans la chaleur de la conversation, croyait que l’on en avait encore pour deux ou trois heures à rester à table, Aramis regardait sa montre, se levait avec un gracieux sourire et prenait congé de la société, pour aller, disait-il, consulter un casuiste avec lequel il avait rendez-vous ; d’autres fois, il retournait à son logis pour écrire une thèse, et priait ses amis de ne pas le distraire. Cependant Athos souriait de ce charmant sourire mélancolique, si bien séant à sa noble figure, et Porthos buvait en jurant qu’Aramis ne serait jamais qu’un curé de village.

Maintenant que nous avons jeté un coup d’œil sur les quatre amis, reprenons le cours de notre narration.

Planchet, le valet de d’Artagnan, supporta noblement la bonne fortune ; il recevait trente sous par jour, et pendant un mois il revenait au logis gai comme pinson et affable envers son maître. Quand le vent de l’adversité commença à souffler sur le ménage de la rue des Fossoyeurs, c’est-à-dire quand les quarante pistoles du roi Louis XIII furent mangées ou à peu près, il commença des plaintes qu’Athos trouva nauséabondes, Porthos indécentes, et Aramis ridicules. Athos conseilla donc à d’Artagnan de congédier le drôle, Porthos voulait qu’on le bâtonnât auparavant, et Aramis prétendit qu’un maître ne devait entendre que les compliments qu’on fait de lui.

— Cela vous est bien aisé à dire, reprit d’Artagnan, à vous, Athos, qui vivez muet avec Grimaud, qui lui défendez de parler, et qui, par conséquent, n’avez jamais de mauvaises paroles avec lui ; à vous, Porthos, qui menez un train magnifique et qui êtes un dieu pour votre valet Mousqueton ; à vous enfin, Aramis, qui, toujours distrait par vos études théologiques, inspirez un profond respect à votre serviteur Bazin, homme doux et religieux ; mais moi qui suis sans consistance et sans ressources, moi qui ne suis pas mousquetaire ni même garde, moi, que ferai-je pour inspirer de l’affection, de la terreur ou du respect, à Planchet ?

— La chose est grave, répondirent les trois amis, c’est une affaire d’intérieur ; il en est des valets comme des femmes, il faut les mettre tout de suite sur le pied où l’on désire qu’ils restent. Réfléchissez donc.

D’Artagnan réfléchit et se résolut à rouer Planchet par provision, ce qui fut exécuté avec la conscience que d’Artagnan mettait en toutes choses ; puis, après l’avoir bien rossé, il lui défendit de quitter son service sans sa permission ; car, ajouta-t-il, l’avenir ne peut me faire faute ; j’attends inévitablement des temps meilleurs. Ta fortune est donc faite si tu restes près de moi, et je suis trop bon maître pour te faire manquer ta fortune en t’accordant le congé que tu me demandes.

Cette manière d’agir donna beaucoup de respect aux mousquetaires pour la politique de d’Artagnan. Planchet fut également saisi d’admiration et ne parla plus de s’en aller.

La vie des quatre jeunes gens était devenue commune ; d’Artagnan, qui n’avait aucune habitude, puisqu’il arrivait de sa province et tombait au milieu d’un monde tout nouveau pour lui, prit aussitôt les habitudes de ses amis.

On se levait vers huit heures en hiver, vers six heures en été, et l’on allait prendre le mot d’ordre et l’air des affaires chez M. de Tréville. D’Artagnan, bien qu’il ne fût pas mousquetaire, en faisait le service avec une ponctualité touchante : il était toujours de garde, parce qu’il tenait toujours compagnie à celui de ses trois amis qui montait la sienne. On le connaissait à l’hôtel des mousquetaires, et chacun le tenait pour un bon camarade ; M. de Tréville, qui l’avait apprécié du premier coup d’œil, et qui lui portait une véritable affection, ne cessait de le recommander au roi.

De leur côté, les trois mousquetaires aimaient fort leur jeune camarade. L’amitié qui unissait ces quatre hommes, et le besoin de se voir trois ou quatre fois par jour, soit pour duel, soit pour affaires, soit pour plaisir, les faisaient sans cesse courir l’un après l’autre comme des ombres ; et l’on rencontrait toujours les inséparables se cherchant du Luxembourg à la place Saint-Sulpice, ou de la rue du Vieux-Colombier au Luxembourg.

En attendant, les promesses de M. de Tréville allaient leur train. Un beau jour, le roi commanda à M. le chevalier des Essarts de prendre d’Artagnan comme cadet dans sa compagnie des gardes. D’Artagnan endossa en soupirant cet habit, qu’il eût voulu, au prix de dix années de son existence, troquer contre la casaque de mousquetaire. Mais M. de Tréville promit cette faveur après un noviciat de deux ans, noviciat qui pouvait être abrégé au reste, si l’occasion se présentait pour d’Artagnan de rendre quelque service au roi ou de faire quelque action d’éclat. D’Artagnan se retira sur cette promesse et, dès le lendemain, commença son service.

Alors ce fut le tour d’Athos, de Porthos et d’Aramis de monter la garde avec d’Artagnan quand il était de garde. La compagnie de M. le chevalier des Essarts prit ainsi quatre hommes au lieu d’un, le jour où elle prit d’Artagnan.

UNE INTRIGUE DE COUR

Cependant les quarante pistoles du roi Louis XIII, ainsi que toutes les choses de ce monde, après avoir eu un commencement avaient eu une fin, et depuis cette fin nos quatre compagnons étaient tombés dans la gêne. D’abord Athos avait soutenu pendant quelque temps l’association de ses propres deniers. Porthos lui avait succédé, et, grâce à une de ces disparitions auxquelles on était habitué, il avait pendant près de quinze jours encore subvenu aux besoins de tout le monde ; enfin était arrivé le tour d’Aramis, qui s’était exécuté de bonne grâce, et qui était parvenu, disait-il, en vendant ses livres de théologie, à se procurer quelques pistoles.

On eut alors, comme d’habitude, recours à M. de Tréville, qui fit quelques avances sur la solde ; mais ces avances ne pouvaient conduire bien loin trois mousquetaires qui avaient déjà force comptes arriérés, et un garde qui n’en avait pas encore.

Enfin, quand on vit qu’on allait manquer tout à fait, on rassembla par un dernier effort huit ou dix pistoles que Porthos joua. Malheureusement, il était dans une mauvaise veine : il perdit tout, plus vingt-cinq pistoles sur parole.

Alors la gêne devint de la détresse, on vit les affamés suivis de leurs laquais courir les quais et les corps de garde, ramassant chez leurs amis du dehors tous les dîners qu’ils purent trouver ; car, suivant l’avis d’Aramis, on devait dans la prospérité semer des repas à droite et à gauche pour en récolter quelques-uns dans la disgrâce.

Athos fut invité quatre fois et mena chaque fois ses amis avec leurs laquais. Porthos eut six occasions et en fit également jouir ses camarades ; Aramis en eut huit. C’était un homme, comme on a déjà pu s’en apercevoir, qui faisait peu de bruit et beaucoup de besogne. Quant à d’Artagnan, qui ne connaissait encore personne dans la capitale, il ne trouva qu’un déjeuner de chocolat chez un prêtre de son pays, et un dîner chez un cornette des gardes. Il mena son armée chez le prêtre, auquel on dévora sa provision de deux mois, et chez le cornette, qui fit des merveilles ; mais, comme le disait Planchet, on ne mange toujours qu’une fois, même quand on mange beaucoup.

D’Artagnan se trouva donc assez humilié de n’avoir eu qu’un repas et demi, — car le déjeuner chez le prêtre ne pouvait compter que pour un demi-repas, — à offrir à ses compagnons en échange des festins que s’étaient procurés Athos, Porthos et Aramis. Il se croyait à charge à la société, oubliant dans sa bonne foi toute juvénile qu’il avait nourri cette société pendant un mois, et son esprit préoccupé se mit à travailler activement. Il réfléchit que cette coalition de quatre hommes jeunes, braves, entreprenants et actifs devait avoir un autre but que des promenades déhanchées, des leçons d’escrime et des lazzi plus ou moins spirituels.

En effet, quatre hommes comme eux, quatre hommes dévoués les uns aux autres depuis la bourse jusqu’à la vie, quatre hommes se soutenant toujours, ne reculant jamais, exécutant isolément ou ensemble les résolutions prises en commun ; quatre bras menaçant les quatre points cardinaux ou se tournant vers un seul point, devaient inévitablement, soit souterrainement, soit au jour, soit par la mine, soit par la tranchée, soit par la ruse, soit par la force, s’ouvrir un chemin vers le but qu’ils voulaient atteindre, si bien défendu ou si éloigné qu’il fût. La seule chose qui étonnât d’Artagnan, c’est que ses compagnons n’eussent point songé à cela.

Il y songeait, lui, et sérieusement même, se creusant la cervelle pour trouver une direction à cette force unique quatre fois multipliée avec laquelle il ne doutait pas que, comme avec le levier que cherchait Archimède, on ne parvînt à soulever le monde, lorsque l’on frappa doucement à la porte. D’Artagnan réveilla Planchet et lui ordonna d’aller ouvrir.

Que de cette phrase : d’Artagnan réveilla Planchet, le lecteur n’aille pas augurer qu’il faisait nuit ou que le jour n’était point encore venu. Non ! quatre heures venaient de sonner. Planchet, deux heures auparavant, était venu demander à dîner à son maître, lequel lui avait répondu par le proverbe : « Qui dort dîne. » Et Planchet dînait en dormant.

Un homme fut introduit, de mine assez simple et qui avait l’air d’un bourgeois.

Planchet, pour son dessert, eût bien voulu entendre la conversation ; mais le bourgeois déclara à d’Artagnan que ce qu’il avait à lui dire étant important et confidentiel, il désirait demeurer en tête-à-tête avec lui.

D’Artagnan congédia Planchet et fit asseoir son visiteur.

Il y eut un moment de silence pendant lequel les deux hommes se regardèrent comme pour faire une connaissance préalable, après quoi d’Artagnan s’inclina en signe qu’il écoutait.

— J’ai entendu parler de M. d’Artagnan comme d’un jeune homme fort brave, dit le bourgeois, et cette réputation dont il jouit à juste titre m’a décidé à lui confier un secret.

— Parlez, monsieur, parlez, dit d’Artagnan, qui d’instinct flaira quelque chose d’avantageux.

Le bourgeois fit une nouvelle pause et continua :

— J’ai ma femme qui est lingère chez la reine, monsieur, et qui ne manque ni de sagesse, ni de beauté. On me l’a fait épouser voilà bientôt trois ans, quoiqu’elle n’eût qu’un petit avoir, parce que M. de La Porte, le porte-manteau de la reine, est son parrain et la protège…

— Eh bien, monsieur ? demanda d’Artagnan.

— Eh bien, reprit le bourgeois, eh bien, monsieur, ma femme a été enlevée hier matin, comme elle sortait de sa chambre de travail.

— Et par qui votre femme a-t-elle été enlevée ?

— Je n’en sais rien sûrement, monsieur, mais je soupçonne quelqu’un.

— Et quelle est cette personne que vous soupçonnez ?

— Un homme qui la poursuivait depuis longtemps.

— Diable !

— Mais voulez-vous que je vous dise, monsieur, continua le bourgeois, je suis convaincu, moi, qu’il y a moins d’amour que de politique dans tout cela.

— Moins d’amour que de politique, reprit d’Artagnan d’un air fort réfléchi, et que soupçonnez-vous ?

— Je ne sais pas si je devrais vous dire ce que je soupçonne…

— Monsieur, je vous ferai observer que je ne vous demande absolument rien, moi. C’est vous qui êtes venu. C’est vous qui m’avez dit que vous aviez un secret à me confier. Faites donc à votre guise, il est encore temps de vous retirer.

— Non, monsieur, non ; vous m’avez l’air d’un honnête jeune homme, et j’aurai confiance en vous. Je crois donc que ce n’est pas à cause de ses amours que ma femme a été arrêtée, mais à cause de celles d’une plus grande dame qu’elle.

— Ah ! ah ! serait-ce à cause des amours de madame de Bois-Tracy ? fit d’Artagnan, qui voulut avoir l’air, vis-à-vis de son bourgeois, d’être au courant des affaires de la cour.

— Plus haut, monsieur, plus haut.

— De madame d’Aiguillon ?

— Plus haut encore.

— De madame de Chevreuse ?

— Plus haut, beaucoup plus haut !

— De la…

D’Artagnan s’arrêta.

— Oui, monsieur, répondit si bas, qu’à peine si on put l’entendre, le bourgeois épouvanté.

— Et avec qui ?

— Avec qui cela peut-il être, si ce n’est avec le duc de…

— Le duc de…

— Oui, monsieur ! répondit le bourgeois, en donnant à sa voix une intonation plus sourde encore.

— Mais comment savez-vous tout cela, vous ?

— Ah ! comment je le sais ?

— Oui, comment le savez-vous ? Pas de demi-confidence, ou… vous comprenez…

— Je le sais par ma femme, monsieur, par ma femme elle-même.

— Qui le sait, elle, par qui ?

— Par M. de La Porte. Ne vous ai-je pas dit qu’elle était la filleule de M. de La Porte, l’homme de confiance de la reine ? Eh bien, M. de La Porte l’avait mise près de Sa Majesté pour que notre pauvre reine au moins eût quelqu’un à qui se fier, abandonnée comme elle l’est par le roi, espionnée comme elle l’est par le cardinal, trahie comme elle l’est par tous.

— Ah ! ah ! voilà qui se dessine, dit d’Artagnan.

— Or ma femme est venue il y a quatre jours, monsieur. Une de ses conditions était qu’elle devait me venir voir deux fois la semaine, car, ainsi que j’ai eu l’honneur de vous le dire, ma femme m’aime beaucoup. Ma femme est donc venue, et m’a confié que la reine, en ce moment-ci, avait de grandes craintes.

— Vraiment ?

— Oui, M. le cardinal, à ce qu’il paraît, la poursuit et la persécute plus que jamais. Il ne peut pas lui pardonner l’histoire de la sarabande. Vous savez l’histoire de la sarabande ?

— Pardieu, si je la sais ! répondit d’Artagnan, qui ne savait rien du tout, mais qui voulait avoir l’air d’être au courant.

— De sorte que, maintenant, ce n’est plus de la haine, c’est de la vengeance.

— Vraiment ?

— Et la reine croit…

— Eh bien ! que croit la reine ?

— Elle croit qu’on a écrit à Buckingham en son nom.

— Au nom de la reine ?

— Oui, pour le faire venir à Paris, et une fois venu à Paris, pour l’attirer dans quelque piège.

— Diable ! mais votre femme, mon cher monsieur, qu’a-t-elle à faire dans tout cela ?

— On connaît son dévouement pour la reine, et l’on veut ou l’éloigner de sa maîtresse, ou l’intimider pour avoir les secrets de Sa Majesté, ou la séduire pour se servir d’elle comme d’un espion.

— C’est probable, dit d’Artagnan ; mais l’homme qui l’a enlevée, le connaissez-vous ?

— Je vous ai dit que je croyais le connaître.

— Son nom ?

— Je ne le sais pas ; ce que je sais seulement, c’est que c’est une créature du cardinal, son âme damnée.

— Mais vous l’avez vu ?

— Oui, ma femme me l’a montré un jour.

— A-t-il un signalement auquel on puisse le reconnaître ?

— Oh ! certainement : c’est un seigneur de haute mine, poil noir, teint basané, œil perçant, dents blanches et une cicatrice à la tempe.

— Une cicatrice à la tempe ! s’écria d’Artagnan, et avec cela dents blanches, œil perçant, teint basané, poil noir, et haute mine : c’est mon homme de Meung.

— C’est votre homme, dites-vous ?

— Oui, oui ; mais cela ne fait rien à la chose. Non, je me trompe, cela la simplifie beaucoup, au contraire : si votre homme est le mien, je ferai d’un coup deux vengeances, voilà tout ; mais où rejoindre cet homme ?

— Je n’en sais rien.

— Vous n’avez aucun renseignement sur sa demeure ?

— Aucun ; un jour que je reconduisais ma femme au Louvre, il en sortait comme elle allait y entrer, et elle me l’a fait voir.

— Diable ! diable ! murmura d’Artagnan, tout ceci est bien vague ; par qui avez-vous su l’enlèvement de votre femme ?

— Par M. de La Porte.

— Vous a-t-il donné quelque détail ?

— Il n’en avait aucun.

— Et vous n’avez rien appris d’un autre côté ?

— Si fait, j’ai reçu…

— Quoi ?

— Mais je ne sais pas si je ne commets pas une grande imprudence ?

— Vous revenez encore là-dessus ? Cependant je vous ferai observer que, cette fois, il est un peu tard pour reculer.

— Aussi je ne recule pas, mordieu ! s’écria le bourgeois en jurant pour se monter la tête. D’ailleurs, foi de Bonacieux…

— Vous vous appelez Bonacieux ? interrompit d’Artagnan.

— Oui, c’est mon nom.

— Vous disiez donc : Foi de Bonacieux… Pardon si je vous ai interrompu ; mais il me semblait que ce nom ne m’était pas inconnu.

— C’est possible, monsieur : je suis votre propriétaire.

— Ah ! ah ! fit d’Artagnan en se soulevant à demi et en saluant, vous êtes mon propriétaire ?

— Oui, monsieur, oui. Et comme depuis trois mois que vous êtes chez moi, et que distrait sans doute par vos grandes occupations vous avez oublié de me payer mon loyer ; comme, dis-je, je ne vous ai pas tourmenté un seul instant, j’ai pensé que vous auriez égard à ma délicatesse.

— Comment donc ! mon cher monsieur Bonacieux, reprit d’Artagnan, croyez que je suis plein de reconnaissance pour un pareil procédé, et que, comme je vous l’ai dit, si je puis vous être bon à quelque chose…

— Je vous crois, monsieur, je vous crois, et comme j’allais vous le dire, foi de Bonacieux, j’ai confiance en vous.

— Achevez donc ce que vous avez commencé à me dire.

Le bourgeois tira un papier de sa poche, et le présenta à d’Artagnan.

— Une lettre ! fit le jeune homme.

— Que j’ai reçue ce matin.

D’Artagnan l’ouvrit, et comme le jour commençait à baisser, il s’approcha de la fenêtre. Le bourgeois le suivit.

« Ne cherchez pas votre femme, lut d’Artagnan, elle vous sera rendue quand on n’aura plus besoin d’elle. Si vous faites une seule démarche pour la retrouver, vous êtes perdu. »

— Voilà qui est positif, continua d’Artagnan ; mais après tout, ce n’est qu’une menace.

— Oui, mais cette menace m’épouvante, moi, monsieur ; je ne suis pas homme d’épée du tout, et j’ai peur de la Bastille.

— Hum ! fit d’Artagnan ; mais c’est que je ne me soucie pas plus de la Bastille que vous, moi. S’il ne s’agissait que d’un coup d’épée, passe encore.

— Cependant, monsieur, j’avais bien compté sur vous dans cette occasion.

— Oui ?

— Vous voyant sans cesse entouré de mousquetaires à l’air fort superbe, et reconnaissant que ces mousquetaires étaient ceux de M. de Tréville, et par conséquent des ennemis du cardinal, j’avais pensé que vous et vos amis, tout en rendant justice à notre pauvre reine, seriez enchantés de jouer un mauvais tour à Son Éminence.

— Sans doute.

— Et puis j’avais pensé que, me devant trois mois de loyer dont je ne vous ai jamais parlé…

— Oui, oui, vous m’avez déjà donné cette raison, et je la trouve excellente.

— Comptant de plus, tant que vous me ferez l’honneur de rester chez moi, ne jamais vous parler de votre loyer à venir…

— Très bien.

— Et ajoutez à cela, si besoin est, comptant vous offrir une cinquantaine de pistoles si, contre toute probabilité, vous vous trouviez gêné en ce moment.

— À merveille ; mais vous êtes donc riche, mon cher monsieur Bonacieux ?

— Je suis à mon aise, monsieur, c’est le mot ; j’ai amassé quelque chose comme deux ou trois mille écus de rente dans le commerce de la mercerie, et surtout en plaçant quelques fonds sur le dernier voyage du célèbre navigateur Jean Mocquet ; de sorte que, vous comprenez, monsieur… Ah ! mais… s’écria le bourgeois.

— Quoi ? demanda d’Artagnan.

— Que vois-je là ?

— Où ?

— Dans la rue, en face de vos fenêtres, dans l’embrasure de cette porte : un homme enveloppé dans un manteau.

— C’est lui ! s’écrièrent à la fois d’Artagnan et le bourgeois, chacun d’eux en même temps ayant reconnu son homme.

— Ah ! cette fois-ci, s’écria d’Artagnan en sautant sur son épée, cette fois-ci, il ne m’échappera pas.

Et, tirant son épée du fourreau, il se précipita hors de l’appartement.

Sur l’escalier, il rencontra Athos et Porthos qui le venaient voir. Ils s’écartèrent, d’Artagnan passa entre eux comme un trait.

— Ah çà, où cours-tu ainsi ? lui crièrent à la fois les deux mousquetaires.

— L’homme de Meung ! répondit d’Artagnan, et il disparut.

D’Artagnan avait plus d’une fois raconté à ses amis son aventure avec l’inconnu, ainsi que l’apparition de la belle voyageuse à laquelle cet homme avait paru confier une si importante missive.

L’avis d’Athos avait été que d’Artagnan avait perdu sa lettre dans la bagarre. Un gentilhomme, selon lui – et, au portrait que d’Artagnan avait fait de l’inconnu, ce ne pouvait être qu’un gentilhomme, – un gentilhomme devait être incapable de cette bassesse, de voler une lettre.

Porthos n’avait vu dans tout cela qu’un rendez-vous amoureux donné par une dame à un cavalier ou par un cavalier à une dame, et qu’était venu troubler la présence de d’Artagnan et de son cheval jaune.

Aramis avait dit que ces sortes de choses étant mystérieuses, mieux valait ne les point approfondir.

Ils comprirent donc, sur les quelques mots échappés à d’Artagnan, de quelle affaire il était question, et comme ils pensèrent qu’après avoir rejoint son homme ou l’avoir perdu de vue, d’Artagnan finirait toujours par remonter chez lui, ils continuèrent leur chemin.

Lorsqu’ils entrèrent dans la chambre de d’Artagnan, la chambre était vide ; le propriétaire, craignant les suites de la rencontre qui allait sans doute avoir lieu entre le jeune homme et l’inconnu, avait, par suite de l’exposition qu’il avait faite lui-même de son caractère, jugé qu’il était prudent de décamper.

D’ARTAGNAN SE DESSINE

Comme l’avaient prévu Athos et Porthos, au bout d’une demi-heure d’Artagnan rentra. Cette fois encore il avait manqué son homme, qui avait disparu comme par enchantement. D’Artagnan avait couru, l’épée à la main, toutes les rues environnantes, mais il n’avait rien trouvé qui ressemblât à celui qu’il cherchait, puis enfin il en était revenu à la chose par laquelle il aurait dû commencer peut-être, et qui était de frapper à la porte contre laquelle l’inconnu était appuyé ; mais c’était inutilement qu’il avait dix ou douze fois de suite fait résonner le marteau, personne n’avait répondu, et des voisins qui, attirés par le bruit, étaient accourus sur le seuil de leur porte ou avaient mis le nez à leurs fenêtres, lui avaient assuré que cette maison, dont au reste toutes les ouvertures étaient closes, était depuis six mois complètement inhabitée.

Pendant que d’Artagnan courait les rues et frappait aux portes, Aramis avait rejoint ses deux compagnons, de sorte qu’en revenant chez lui, d’Artagnan trouva la réunion au grand complet.

— Eh bien ? dirent ensemble les trois mousquetaires en voyant entrer d’Artagnan, la sueur sur le front et la figure bouleversée par la colère.

— Eh bien ! s’écria celui-ci en jetant son épée sur le lit, il faut que cet homme soit le diable en personne ; il a disparu comme un fantôme, comme une ombre, comme un spectre.

— Croyez-vous aux apparitions ? demanda Athos à Porthos.

— Moi, je ne crois que ce que j’ai vu, et comme je n’ai jamais vu d’apparitions, je n’y crois pas.

— La Bible, dit Aramis, nous fait une loi d’y croire : l’ombre de Samuel apparut à Saül, et c’est un article de foi que je serais fâché de voir mettre en doute, Porthos.

— Dans tous les cas, homme ou diable, corps ou ombre, illusion ou réalité, cet homme est né pour ma damnation, car sa fuite nous fait manquer une affaire superbe, messieurs, une affaire dans laquelle il y avait cent pistoles et peut-être plus à gagner.

— Comment cela ? dirent à la fois Porthos et Aramis.

Quant à Athos, fidèle à son système de mutisme, il se contenta d’interroger d’Artagnan du regard.

— Planchet, dit d’Artagnan à son domestique, qui passait en ce moment la tête par la porte entrebâillée pour tâcher de surprendre quelques bribes de la conversation, descendez chez mon propriétaire, M. Bonacieux, et dites-lui de nous envoyer une demi-douzaine de bouteilles de vin de Beaugency ; c’est celui que je préfère.

— Ah çà ! mais vous avez donc crédit ouvert chez votre propriétaire ? demanda Porthos.

— Oui, répondit d’Artagnan, à compter d’aujourd’hui, et soyez tranquilles, si son vin est mauvais, nous lui en enverrons quérir d’autre.

— Il faut user et non abuser, dit sentencieusement Aramis.

— J’ai toujours dit que d’Artagnan était la forte tête de nous quatre, fit Athos, qui, après avoir émis cette opinion à laquelle d’Artagnan répondit par un salut, retomba aussitôt dans son silence accoutumé.

— Mais enfin, voyons, qu’y a-t-il ? demanda Porthos.

— Oui, dit Aramis, confiez-nous cela, mon cher ami, à moins que l’honneur de quelque dame ne se trouve intéressé à cette confidence, à ce quel cas vous feriez mieux de la garder pour vous.

— Soyez tranquilles, répondit d’Artagnan, l’honneur de personne n’aura à se plaindre de ce que j’ai à vous dire.

Et alors il raconta mot à mot à ses amis ce qui venait de se passer entre lui et son hôte, et comment l’homme qui avait enlevé la femme du digne propriétaire était le même avec lequel il avait eu maille à partir à l’hôtellerie du Franc Meunier.

— Votre affaire n’est pas mauvaise, dit Athos après avoir goûté le vin en connaisseur et indiqué d’un signe de tête qu’il le trouvait bon, et l’on pourra tirer de ce brave homme cinquante à soixante pistoles. Maintenant, reste à savoir si cinquante à soixante pistoles valent la peine de risquer quatre têtes.

— Mais faites attention, s’écria d’Artagnan, qu’il y a une femme dans cette affaire, une femme enlevée, une femme qu’on menace sans doute, qu’on torture peut-être, et tout cela parce qu’elle est fidèle à sa maîtresse !

— Prenez garde, d’Artagnan, prenez garde, dit Aramis, vous vous échauffez un peu trop, à mon avis, sur le sort de madame Bonacieux. La femme a été créée pour notre perte, et c’est d’elle que nous viennent toutes nos misères.

Athos, à cette sentence d’Aramis, fronça le sourcil et se mordit les lèvres.

— Ce n’est point de madame Bonacieux que je m’inquiète, s’écria d’Artagnan, mais de la reine, que le roi abandonne, que le cardinal persécute, et qui voit tomber, les unes après les autres, les têtes de tous ses amis.

— Pourquoi aime-t-elle ce que nous détestons le plus au monde, les Espagnols et les Anglais ?

— L’Espagne est sa patrie, répondit d’Artagnan, et il est tout simple qu’elle aime les Espagnols, qui sont enfants de la même terre qu’elle. Quant au second reproche que vous lui faites, j’ai entendu dire qu’elle aimait non pas les Anglais, mais un Anglais.

— Eh ! ma foi ! dit Athos, il faut avouer que cet Anglais était bien digne d’être aimé. Je n’ai jamais vu un plus grand air que le sien.

— Sans compter qu’il s’habille comme personne, dit Porthos. J’étais au Louvre le jour où il a semé ses perles, et pardieu ! j’en ai ramassé deux que j’ai bien vendues dix pistoles pièce. Et vous, Aramis, le connaissez-vous ?

— Aussi bien que vous, messieurs, car j’étais de ceux qui l’ont arrêté dans le jardin d’Amiens, où m’avait introduit M. de Putange, l’écuyer de la reine. J’étais au séminaire à cette époque, et l’aventure me parut cruelle pour le roi.

— Ce qui ne m’empêcherait pas, dit d’Artagnan, si je savais où est le duc de Buckingham, de le prendre par la main et de le conduire près de la reine, ne fût-ce que pour faire enrager M. le cardinal ; car notre véritable, notre seul, notre éternel ennemi, messieurs, c’est le cardinal, et si nous pouvions trouver moyen de lui jouer quelque tour bien cruel, j’avoue que j’y engagerais volontiers ma tête.

— Et, reprit Athos, le mercier vous a dit, d’Artagnan, que la reine pensait qu’on avait fait venir Buckingham sur un faux avis ?

— Elle en a peur.

— Attendez donc, dit Aramis.

— Quoi ? demanda Porthos.

— Allez toujours, je cherche à me rappeler des circonstances.

— Et maintenant je suis convaincu, dit d’Artagnan, que l’enlèvement de cette femme de la reine se rattache aux événements dont nous parlons, et peut-être à la présence de M. de Buckingham à Paris.

— Le Gascon est plein d’idées, dit Porthos avec admiration.

— J’aime beaucoup l’entendre parler, dit Athos, son patois m’amuse.

— Messieurs, reprit Aramis, écoutez ceci.

— Écoutons Aramis, dirent les trois amis.

— Hier je me trouvais chez un savant docteur en théologie que je consulte quelquefois pour mes études…

Athos sourit.

— Il habite un quartier désert, continua Aramis : ses goûts, sa profession l’exigent. Or, au moment où je sortais de chez lui…

Ici Aramis s’arrêta.

— Eh bien ! demandèrent ses auditeurs, au moment où vous sortiez de chez lui ?

Aramis parut faire un effort sur lui-même, comme un homme qui, en plein courant de mensonge, se voit arrêter par quelque obstacle imprévu ; mais les yeux de ses trois compagnons étaient fixés sur lui, leurs oreilles attendaient béantes, il n’y avait pas moyen de reculer.

— Ce docteur a une nièce, continua Aramis.

— Ah ! il a une nièce ! interrompit Porthos.

— Dame fort respectable, dit Aramis.

Les trois amis se mirent à rire.

— Ah ! si vous riez ou si vous doutez, reprit Aramis, vous ne saurez rien.

— Nous sommes croyants comme des mahométistes et muets comme des catafalques, dit Athos.

— Je continue donc, reprit Aramis. Cette nièce vient quelquefois voir son oncle ; or elle s’y trouvait hier en même temps que moi, par hasard, et je dus m’offrir pour la conduire à son carrosse.

— Ah ! elle a un carrosse, la nièce du docteur ? interrompit Porthos, dont un des défauts était une grande incontinence de langue ; — belle connaissance, mon ami.

— Porthos, reprit Aramis, je vous ai déjà fait observer plus d’une fois que vous êtes fort indiscret, et que cela vous nuit près des femmes.

— Messieurs ! messieurs ! s’écria d’Artagnan, qui entrevoyait le fond de l’aventure, la chose est sérieuse ; tâchons donc de ne pas plaisanter si nous pouvons. Allez, Aramis, allez.

— Tout à coup, un homme grand, brun, aux manières de gentilhomme… tenez, dans le genre du vôtre, d’Artagnan.

— Le même peut-être, dit celui-ci.

— C’est possible, continua Aramis… s’approcha de moi, accompagné de cinq ou six hommes qui le suivaient à dix pas en arrière, et du ton le plus poli : « Monsieur le duc, me dit-il, et vous, madame, » continua-t-il en s’adressant à la dame que j’avais sous le bras.

— À la nièce du docteur ?

— Silence donc, Porthos ! dit Athos, vous êtes insupportable.

— Veuillez monter dans ce carrosse, et cela sans essayer la moindre résistance, sans faire le moindre bruit.

— Il vous avait pris pour Buckingham ! s’écria d’Artagnan.

— Je le crois, répondit Aramis.

— Mais cette dame ? demanda Porthos.

— Il l’avait prise pour la reine ! dit d’Artagnan.

— Justement, répondit Aramis.

— Le Gascon est le diable ! s’écria Athos, rien ne lui échappe.

— Le fait est, dit Porthos, qu’Aramis est de la taille et a quelque chose de la tournure du beau duc ; mais cependant, il me semble que l’habit de mousquetaire…

— J’avais un manteau énorme, dit Aramis.

— Au mois de juillet ? diable ! fit Porthos, est-ce que le docteur craint que tu ne sois reconnu ?

— Je comprends encore, dit Athos, que l’espion se soit laissé prendre par la tournure, mais le visage…

— J’avais un grand chapeau, dit Aramis.

— Ô mon Dieu ! s’écria Porthos, que de précautions pour étudier la théologie !

— Messieurs, messieurs, dit d’Artagnan, ne perdons pas notre temps à badiner ; éparpillons-nous et cherchons la femme du mercier : c’est la clef de l’intrigue.

— Une femme de condition si inférieure ! vous croyez, d’Artagnan ? fit Porthos en allongeant les lèvres avec mépris.

— C’est la filleule de La Porte, le valet de confiance de la reine. Ne vous l’ai-je pas dit, messieurs ? Et d’ailleurs, c’est peut-être un calcul de Sa Majesté d’avoir été, cette fois, chercher ses appuis si bas. Les hautes têtes se voient de loin, et le cardinal a bonne vue.

— Eh bien ! dit Porthos, faites d’abord prix avec le mercier, et bon prix.

— C’est inutile, dit d’Artagnan, car je crois que s’il ne nous paie pas, nous serons assez payés d’un autre côté.

En ce moment, un bruit précipité de pas retentit dans l’escalier, la porte s’ouvrit avec fracas, et le malheureux mercier s’élança dans la chambre où se tenait le conseil.

— Ah ! messieurs, s’écria-t-il, sauvez-moi ! au nom du Ciel, sauvez-moi ! Il y a quatre hommes qui viennent pour m’arrêter, sauvez-moi ! sauvez-moi !

Porthos et Aramis se levèrent.

— Un moment, s’écria d’Artagnan en leur faisant signe de repousser au fourreau leurs épées à demi tirées ; un moment, ce n’est pas du courage qu’il faut ici, c’est de la prudence.

— Cependant, s’écria Porthos, nous ne laisserons pas…

— Vous laisserez faire d’Artagnan, dit Athos, c’est, je le répète, la forte tête de nous tous, et moi, pour mon compte, je déclare que je lui obéis. Fais ce que tu voudras, d’Artagnan.

En ce moment, les quatre gardes apparurent à la porte de l’antichambre, et voyant quatre mousquetaires debout et l’épée au côté, hésitèrent à aller plus loin.

— Entrez, messieurs, entrez, cria d’Artagnan ; vous êtes ici chez moi, et nous sommes tous de fidèles serviteurs du roi et de M. le cardinal.

— Alors, messieurs, vous ne vous opposerez pas à ce que nous exécutions les ordres que nous avons reçus ? demanda celui qui paraissait le chef de l’escouade.

— Au contraire, messieurs, et nous vous prêterions main-forte, si besoin était.

— Mais que dit-il donc ? marmotta Porthos.

— Tu es un niais, dit Athos, silence !

— Mais vous m’avez promis… dit tout bas le pauvre mercier.

— Nous ne pouvons vous sauver qu’en restant libres, répondit rapidement et tout bas d’Artagnan, et si nous faisons mine de vous défendre, on nous arrête avec vous.

— Il me semble cependant…

— Venez, messieurs, venez, dit tout haut d’Artagnan ; je n’ai aucun motif de défendre monsieur. Je l’ai vu aujourd’hui pour la première fois, et encore à quelle occasion, il vous le dira lui-même, pour me venir réclamer le prix de mon loyer. Est-ce vrai, monsieur Bonacieux ? Répondez !

— C’est la vérité pure, s’écria le mercier, mais monsieur ne vous dit pas…

— Silence sur moi, silence sur mes amis, silence sur la reine surtout, ou vous perdriez tout le monde sans vous sauver. Allez, allez, messieurs, emmenez cet homme !

Et d’Artagnan poussa le mercier tout étourdi aux mains des gardes, en lui disant :

— Vous êtes un maraud, mon cher ; vous venez me demander de l’argent, à moi ! à un mousquetaire ! En prison, messieurs, encore une fois, emmenez- le en prison et gardez-le sous clef le plus longtemps possible, cela me donnera du temps pour payer.

Les sbires se confondirent en remerciements et emmenèrent leur proie.

Au moment où ils descendaient, d’Artagnan frappa sur l’épaule du chef :

— Ne boirai-je pas à votre santé et vous à la mienne ? dit-il, en remplissant deux verres du vin de Beaugency qu’il tenait de la libéralité de M. Bonacieux.

— Ce sera bien de l’honneur pour moi, dit le chef des sbires, et j’accepte avec reconnaissance.

— Donc, à la vôtre, monsieur… comment vous nommez-vous ?

— Boisrenard.

— Monsieur Boisrenard !

— À la vôtre, mon gentilhomme : comment vous nommez-vous, à votre tour, s’il vous plaît ?

— D’Artagnan.

— À la vôtre, monsieur d’Artagnan !

— Et par-dessus toutes celles-là, s’écria d’Artagnan comme emporté par son enthousiasme, à celle du roi et du cardinal.

Le chef des sbires eût peut-être douté de la sincérité de d’Artagnan, si le vin eût été mauvais ; mais le vin était bon, il fut convaincu.

— Mais quelle diable de vilenie avez-vous donc faite là ? dit Porthos lorsque l’alguazil en chef eut rejoint ses compagnons, et que les quatre amis se retrouvèrent seuls. Fi donc ! quatre mousquetaires laisser arrêter au milieu d’eux un malheureux qui crie à l’aide ! Un gentilhomme trinquer avec un recors !

— Porthos, dit Aramis, Athos t’a déjà prévenu que tu étais un niais, et je me range de son avis. D’Artagnan, tu es un grand homme, et quand tu seras à la place de M. de Tréville, je te demande ta protection pour me faire avoir une abbaye.

— Ah çà ! je m’y perds, dit Porthos, vous approuvez ce que d’Artagnan vient de faire ?

— Je le crois parbleu bien, dit Athos ; non seulement j’approuve ce qu’il vient de faire, mais encore je l’en félicite.

— Et maintenant, messieurs, dit d’Artagnan sans se donner la peine d’expliquer sa conduite à Porthos, tous pour un, un pour tous, c’est notre devise, n’est-ce pas ?

— Cependant, dit Porthos.

— Étends la main et jure ! s’écrièrent à la fois Athos et Aramis.

Vaincu par l’exemple, maugréant tout bas, Porthos étendit la main, et les quatre amis répétèrent d’une seule voix la formule dictée par d’Artagnan :

« Tous pour un, un pour tous. »

— C’est bien, que chacun se retire maintenant chez soi, dit d’Artagnan comme s’il n’avait fait autre chose que de commander toute sa vie, et attention, car à partir de ce moment, nous voilà aux prises avec le cardinal.

UNE SOURICIÈRE AU DIX-SEPTIÈME SIÈCLE

L’invention de la souricière ne date pas de nos jours ; dès que les sociétés, en se formant, eurent inventé une police quelconque, cette police, à son tour, inventa les souricières.

Comme peut-être nos lecteurs ne sont pas familiarisés encore avec l’argot de la rue de Jérusalem, et que c’est, depuis que nous écrivons, et il y a quelque quinze ans de cela, la première fois que nous employons ce mot appliqué à cette chose, expliquons-leur ce que c’est qu’une souricière.

Quand, dans une maison quelle qu’elle soit, on a arrêté un individu soupçonné d’un crime quelconque, on tient secrète l’arrestation ; on place quatre ou cinq hommes en embuscade dans la première pièce, on ouvre la porte à tous ceux qui frappent, on la referme sur eux et on les arrête ; de cette façon, au bout de deux ou trois jours, on tient à peu près tous les familiers de l’établissement.

Voilà ce que c’est qu’une souricière.

On fit donc une souricière de l’appartement de maître Bonacieux, et quiconque y apparut fut pris et interrogé par les gens de M. le cardinal. Il va sans dire que, comme une allée particulière conduisait au premier étage qu’habitait d’Artagnan, ceux qui venaient chez lui étaient exemptés de toutes visites.

D’ailleurs, les trois mousquetaires y venaient seuls ; ils s’étaient mis en quête chacun de son côté, et n’avaient rien trouvé, rien découvert. Athos avait été même jusqu’à questionner M. de Tréville, chose qui, vu le mutisme habituel du digne mousquetaire, avait fort étonné son capitaine. Mais M. de Tréville ne savait rien, sinon que, la dernière fois qu’il avait vu le cardinal, le roi et la reine, le cardinal avait l’air fort soucieux, que le roi était inquiet, et que les yeux rouges de la reine indiquaient qu’elle avait veillé ou pleuré. Mais cette dernière circonstance l’avait peu frappé, la reine, depuis son mariage, veillant et pleurant beaucoup.

M. de Tréville recommanda en tout cas à Athos le service du roi et surtout celui de la reine, le priant de faire la même recommandation à ses camarades.

Quant à d’Artagnan, il ne bougeait pas de chez lui. Il avait converti sa chambre en observatoire. Des fenêtres il voyait arriver ceux qui venaient se faire prendre ; puis, comme il avait ôté les carreaux du plancher, qu’il avait creusé le parquet et qu’un simple plafond le séparait de la chambre au-dessous, où se faisaient les interrogatoires, il entendait tout ce qui se passait entre les inquisiteurs et les accusés.

Les interrogatoires, précédés d’une perquisition minutieuse opérée sur la personne arrêtée, étaient presque toujours ainsi conçus :

— Madame Bonacieux vous a-t-elle remis quelque chose pour son mari ou pour quelque autre personne ?

— M. Bonacieux vous a-t-il remis quelque chose pour sa femme ou pour quelque autre personne ?

— L’un et l’autre vous ont-ils fait quelque confidence de vive voix ?

— S’ils savaient quelque chose, ils ne questionneraient pas ainsi, se dit à lui-même d’Artagnan. Maintenant, que cherchent-ils à savoir ? Si le duc de Buckingham ne se trouve point à Paris et s’il n’a pas eu ou s’il ne doit point avoir quelque entrevue avec la reine.

D’Artagnan s’arrêta à cette idée, qui, d’après tout ce qu’il avait entendu, ne manquait pas de probabilité.

En attendant, la souricière était en permanence, et la vigilance de d’Artagnan aussi.

Le soir du lendemain de l’arrestation du pauvre Bonacieux, comme Athos venait de quitter d’Artagnan pour se rendre chez M. de Tréville, comme neuf heures venaient de sonner, et comme Planchet, qui n’avait pas encore fait le lit, commençait sa besogne, on entendit frapper à la porte de la rue ; aussitôt cette porte s’ouvrit et se referma : quelqu’un venait de se prendre à la souricière.

D’Artagnan s’élança vers l’endroit décarrelé, se coucha ventre à terre et écouta.

Des cris retentirent bientôt, puis des gémissements qu’on cherchait à étouffer. D’interrogatoire, il n’en était pas question.

— Diable ! se dit d’Artagnan, il me semble que c’est une femme : on la fouille, elle résiste, – on la violente, – les misérables !

Et d’Artagnan, malgré sa prudence, se tenait à quatre pour ne pas se mêler à la scène qui se passait au-dessous de lui.

— Mais je vous dis que je suis la maîtresse de la maison, messieurs ; je vous dis que je suis madame Bonacieux, je vous dis que j’appartiens à la reine ! s’écriait la malheureuse femme.

— Madame Bonacieux ! murmura d’Artagnan ; serais-je assez heureux pour avoir trouvé ce que tout le monde cherche ?

— C’est justement vous que nous attendions, reprirent les interrogateurs.

La voix devint de plus en plus étouffée : un mouvement tumultueux fit retentir les boiseries. La victime résistait autant qu’une femme peut résister à quatre hommes.

— Pardon, messieurs, par…, murmura la voix, qui ne fit plus entendre que des sons inarticulés.

— Ils la bâillonnent, ils vont l’entraîner, s’écria d’Artagnan en se redressant comme par un ressort. Mon épée ! Bon, elle est à mon côté. Planchet !

— Monsieur ?

— Cours chercher Athos, Porthos et Aramis. L’un des trois sera sûrement chez lui, peut-être tous les trois seront-ils rentrés. Qu’ils prennent des armes, qu’ils viennent, qu’ils accourent. Ah ! je me souviens, Athos est chez M. de Tréville.

— Mais où allez-vous, monsieur, où allez-vous ?

— Je descends par la fenêtre, s’écria d’Artagnan, afin d’être plus tôt arrivé ; toi, remets les carreaux, balaie le plancher, sors par la porte et cours où je te dis.

— Oh ! monsieur, monsieur, vous allez vous tuer ! s’écria Planchet.

— Tais-toi, imbécile, dit d’Artagnan. Et s’accrochant de la main au rebord de sa fenêtre, il se laissa tomber du premier étage, qui heureusement n’était pas élevé, sans se faire une écorchure.

Puis il alla aussitôt frapper à la porte en murmurant :

— Je vais me faire prendre à mon tour dans la souricière, et malheur aux chats qui se frotteront à pareille souris.

À peine le marteau eut-il résonné sous la main du jeune homme, que le tumulte cessa, que des pas s’approchèrent, que la porte s’ouvrit, et que d’Artagnan, l’épée nue, s’élança dans l’appartement de maître Bonacieux, dont la porte, sans doute mue par un ressort, se referma d’elle-même sur lui.

Alors ceux qui habitaient encore la malheureuse maison de Bonacieux et les voisins les plus proches entendirent de grands cris, des trépignements, un cliquetis d’épées et un bruit prolongé de meubles. Puis, un moment après, ceux qui, surpris par ce bruit, s’étaient mis aux fenêtres pour en connaître la cause, purent voir la porte se rouvrir et quatre hommes vêtus de noir non pas en sortir, mais s’envoler comme des corbeaux effarouchés, laissant par terre et aux angles des tables des plumes de leurs ailes, c’est-à-dire des loques de leurs habits et des bribes de leurs manteaux.

D’Artagnan était vainqueur sans beaucoup de peine, il faut le dire, car un seul des alguazils était armé, encore se défendit-il pour la forme. Il est vrai que les trois autres avaient essayé d’assommer le jeune homme avec les chaises, les tabourets et les poteries ; mais deux ou trois égratignures faites par la flamberge du Gascon les avaient épouvantés. Dix minutes avaient suffi à leur défaite et d’Artagnan était resté maître du champ de bataille.

Les voisins, qui avaient ouvert leurs fenêtres avec le sang-froid particulier aux habitants de Paris dans ces temps d’émeutes et de rixes perpétuelles, les refermèrent dès qu’ils eurent vu s’enfuir les quatre hommes noirs ; leur instinct leur disait que, pour le moment, tout était fini.

D’ailleurs il se faisait tard, et alors comme aujourd’hui on se couchait de bonne heure dans le quartier du Luxembourg.

D’Artagnan, resté seul avec madame Bonacieux, se retourna vers elle ; la pauvre femme était renversée sur un fauteuil et à demi évanouie. D’Artagnan l’examina d’un coup d’œil rapide.

C’était une charmante femme de vingt-cinq à vingt-six ans, brune avec des yeux bleus, ayant un nez légèrement retroussé, des dents admirables, un teint marbré de rose et d’opale. Là cependant s’arrêtaient les signes qui pouvaient la faire confondre avec une grande dame. Les mains étaient blanches, mais sans finesse : les pieds n’annonçaient pas la femme de qualité. Heureusement d’Artagnan n’en était pas encore à se préoccuper de ces détails.

Tandis que d’Artagnan examinait madame Bonacieux, et en était aux pieds, comme nous l’avons dit, il vit à terre un fin mouchoir de batiste, qu’il ramassa selon son habitude, et au coin duquel il reconnut le même chiffre qu’il avait vu au mouchoir qui avait failli lui faire couper la gorge avec Aramis.

Depuis ce temps, d’Artagnan se méfiait des mouchoirs armoriés ; il remit donc sans rien dire celui qu’il avait ramassé dans la poche de madame Bonacieux.

En ce moment, madame Bonacieux reprenait ses sens. Elle ouvrit les yeux, regarda avec terreur autour d’elle, vit que l’appartement était vide, et qu’elle était seule avec son libérateur. Elle lui tendit aussitôt les mains en souriant. — Madame Bonacieux avait le plus charmant sourire du monde.

— Ah ! monsieur, dit-elle, c’est vous qui m’avez sauvée ; permettez-moi que je vous remercie.

— Madame, dit d’Artagnan, je n’ai fait que ce que tout gentilhomme eût fait à ma place, vous ne me devez donc aucun remerciement.

— Si fait, monsieur, si fait, et j’espère vous prouver que vous n’avez pas rendu service à une ingrate. Mais que me voulaient donc ces hommes, que j’ai pris d’abord pour des voleurs, et pourquoi M. Bonacieux n’est-il point ici ?

— Madame, ces hommes étaient bien autrement dangereux que ne pourraient être des voleurs, car ce sont des agents de M. le cardinal, et quant à votre mari, M. Bonacieux, il n’est point ici parce qu’hier on est venu le prendre pour le conduire à la Bastille.

— Mon mari ! à la Bastille ! s’écria madame Bonacieux ; ah ! mon Dieu ! qu’a-t-il donc fait ? pauvre cher homme ! lui, l’innocence même !

Et quelque chose comme un sourire perçait sur la figure encore tout effrayée de la jeune femme.

— Ce qu’il a fait, madame ? dit d’Artagnan. Je crois que son seul crime est d’avoir à la fois le bonheur et le malheur d’être votre mari.

— Mais, monsieur, vous savez donc…

— Je sais que vous avez été enlevée, madame.

— Et par qui ? Le savez-vous ? Oh ! si vous le savez, dites-le-moi.

— Par un homme de quarante à quarante-cinq ans, aux cheveux noirs, au teint basané, avec une cicatrice à la tempe gauche.

— C’est cela, c’est cela ; mais son nom ?

— Ah ! son nom ? c’est ce que j’ignore.

— Et mon mari savait-il que j’avais été enlevée ?

— Il en avait été prévenu par une lettre que lui avait écrite le ravisseur lui-même.

— Et soupçonne-t-il, demanda madame Bonacieux avec embarras, la cause de cet événement ?

— Il l’attribuait, je crois, à une cause politique.

— J’en ai douté d’abord, et maintenant je le pense comme lui. Ainsi donc, ce cher M. Bonacieux ne m’a pas soupçonnée un seul instant ?

— Ah ! loin de là, madame, il était trop fier de votre sagesse et surtout de votre amour.

Un second sourire presque imperceptible effleura les lèvres rosées de la belle jeune femme.

— Mais, continua d’Artagnan, comment vous êtes-vous enfuie ?

— J’ai profité d’un moment où l’on m’a laissée seule, et comme je savais depuis ce matin à quoi m’en tenir sur mon enlèvement, à l’aide de mes draps je suis descendue par la fenêtre ; alors, comme je croyais mon mari ici, je suis accourue.

— Pour vous mettre sous sa protection ?

— Oh ! non, pauvre cher homme, je savais bien qu’il était incapable de me défendre ; mais comme il pouvait nous servir à autre chose, je voulais le prévenir.

— De quoi ?

— Oh ! ceci n’est pas mon secret, je ne puis donc pas vous le dire.

— D’ailleurs, dit d’Artagnan (pardon, madame, si, tout garde que je suis, je vous rappelle à la prudence), d’ailleurs, je crois que nous ne sommes pas ici en lieu opportun pour faire des confidences. Les hommes que j’ai mis en fuite vont revenir avec main-forte ; s’ils nous retrouvent ici nous sommes perdus. J’ai bien fait prévenir trois de mes amis, mais qui sait si on les aura trouvés chez eux !

— Oui, oui, vous avez raison, s’écria madame Bonacieux effrayée ; fuyons, sauvons-nous.

À ces mots, elle passa son bras sous celui de d’Artagnan et l’entraîna vivement.

— Mais où fuir ? dit d’Artagnan, où nous sauver ?

— Éloignons-nous d’abord de cette maison, puis après nous verrons.

Et la jeune femme et le jeune homme, sans se donner la peine de refermer la porte, descendirent rapidement la rue des Fossoyeurs, s’engagèrent dans la rue des Fossés-Monsieur-le-Prince et ne s’arrêtèrent qu’à la place Saint-Sulpice.

— Et maintenant, qu’allons-nous faire, demanda d’Artagnan, et où voulez-vous que je vous conduise ?

— Je suis fort embarrassée de vous répondre, je vous l’avoue, dit madame Bonacieux ; mon intention était de faire prévenir M. de La Porte par mon mari, afin que M. de La Porte pût nous dire précisément ce qui s’était passé au Louvre depuis trois jours, et s’il n’y avait pas danger pour moi de m’y présenter.

— Mais moi, dit d’Artagnan, je puis aller prévenir M. de La Porte.

— Sans doute ; seulement il n’y a qu’un malheur : c’est qu’on connaît M. Bonacieux au Louvre et qu’on le laisserait passer, lui, tandis qu’on ne vous connaît pas, vous, et que l’on vous fermera la porte.

— Ah bah, dit d’Artagnan, vous avez bien à quelque guichet du Louvre un concierge qui vous est dévoué, et qui, grâce à un mot d’ordre…

Madame Bonacieux regarda fixement le jeune homme.

— Et si je vous donnais ce mot d’ordre, dit-elle, l’oublieriez-vous aussitôt que vous vous en seriez servi ?

— Parole d’honneur, foi de gentilhomme ! dit d’Artagnan avec un accent à la vérité duquel il n’y avait pas à se tromper.

— Tenez, je vous crois ; vous avez l’air d’un brave jeune homme, d’ailleurs votre fortune est peut-être au bout de votre dévouement.

— Je ferai sans promesse et de conscience tout ce que je pourrai pour servir le roi et être agréable à la reine, dit d’Artagnan ; disposez donc de moi comme d’un ami.

— Mais moi, où me mettrez-vous pendant ce temps-là ?

— N’avez-vous pas une personne chez laquelle M. de La Porte puisse revenir vous prendre ?

— Non, je ne veux me fier à personne.

— Attendez, dit d’Artagnan ; nous sommes à la porte d’Athos. Oui, c’est cela.

— Qu’est-ce qu’Athos ?

— Un de mes amis.

— Mais s’il est chez lui et qu’il me voie ?

— Il n’y est pas, et j’emporterai la clef après vous avoir fait entrer dans son appartement.

— Mais s’il revient ?

— Il ne reviendra pas ; d’ailleurs on lui dirait que j’ai amené une femme, et que cette femme est chez lui.

— Mais cela me compromettra très-fort, savez-vous !

— Que vous importe ! on ne vous connaît pas ; d’ailleurs nous sommes dans une situation à passer par-dessus quelques convenances !

— Allons donc chez votre ami. Où demeure-t-il ?

— Rue Férou, à deux pas d’ici.

— Allons.

Et tous deux reprirent leur course. Comme l’avait prévu d’Artagnan, Athos n’était pas chez lui ; il prit la clef, qu’on avait l’habitude de lui donner comme à un ami de la maison, monta l’escalier et introduisit madame Bonacieux dans le petit appartement dont nous avons déjà fait la description.

— Vous êtes chez vous, dit-il ; attendez, fermez la porte en dedans et n’ouvrez à personne, à moins que vous n’entendiez frapper trois coups ainsi : tenez ; et il frappa trois fois deux coups rapprochés l’un de l’autre et assez forts, un coup plus distant et plus léger.

— C’est bien, dit madame Bonacieux, maintenant, à mon tour de vous donner mes instructions.

— J’écoute.

— Présentez-vous au guichet du Louvre, du côté de la rue de l’Échelle, et demandez Germain.

— C’est bien. Après ?

— Il vous demandera ce que vous voulez, et alors vous lui répondrez par ces deux mots : — Tours et Bruxelles. — Aussitôt il se mettra à vos ordres.

— Et que lui ordonnerai-je ?

— D’aller chercher M. de La Porte, le porte-manteau de la reine.

— Et quand il l’aura été chercher et que M. de La Porte sera venu ?

— Vous me l’enverrez.

— C’est bien, mais où et comment vous reverrai-je ?

— Y tenez-vous beaucoup à me revoir ?

— Certainement.

— Eh bien, reposez-vous sur moi de ce soin, et soyez tranquille.

— Je compte sur votre parole.

— Comptez-y.

D’Artagnan salua madame Bonacieux en lui lançant le coup d’œil le plus amoureux qu’il lui fût possible de concentrer sur sa charmante petite personne, et tandis qu’il descendait l’escalier, il entendit la porte se fermer derrière lui à double tour. En deux bonds il fut au Louvre ; comme il entrait au guichet de l’Échelle, dix heures sonnaient. Tous les événements que nous venons de raconter s’étaient succédé en une demi-heure.

Tout s’exécuta comme l’avait annoncé madame Bonacieux. Au mot d’ordre convenu, Germain s’inclina ; dix minutes après, La Porte était dans la loge ; en deux mots, d’Artagnan le mit au fait et lui indiqua où était madame Bonacieux. La Porte s’assura par deux fois de l’exactitude de l’adresse, et partit en courant. Cependant, à peine eut-il fait dix pas, qu’il revint.

— Jeune homme, dit-il à d’Artagnan, un conseil.

— Lequel ?

— Vous pourriez être inquiété pour ce qui vient de se passer.

— Vous croyez ?

— Oui. Avez-vous quelque ami dont la pendule retarde ?

— Eh bien ?

— Allez le voir pour qu’il puisse témoigner que vous étiez chez lui à neuf heures et demie. En justice, cela s’appelle un alibi.

D’Artagnan trouva le conseil prudent, il prit ses jambes à son cou, il arriva chez M. de Tréville, mais, au lieu de passer au salon avec tout le monde, il demanda à entrer dans son cabinet. Comme d’Artagnan était un des habitués de l’hôtel, on ne fit aucune difficulté d’accéder à sa demande ; et l’on alla prévenir M. de Tréville que son jeune compatriote, ayant quelque chose d’important à lui dire, sollicitait une audience particulière. Cinq minutes après, M. de Tréville demandait à d’Artagnan ce qu’il pouvait faire pour son service et ce qui lui valait sa visite à une heure si avancée.

— Pardon, monsieur ! dit d’Artagnan, qui avait profité du moment où il était resté seul pour retarder l’horloge de trois quarts d’heure ; j’ai pensé que, comme il n’était que neuf heures vingt-cinq minutes, il était encore temps de me présenter chez vous.

— Neuf heures vingt-cinq minutes ! s’écria M. de Tréville en regardant sa pendule ; mais c’est impossible !

— Voyez plutôt, monsieur, dit d’Artagnan, voilà qui fait foi.

— C’est juste, dit M. de Tréville, j’aurais cru qu’il était plus tard. Mais voyons, que me voulez-vous ?

Alors d’Artagnan fit à M. de Tréville une longue histoire sur la reine. Il lui exposa les craintes qu’il avait conçues à l’égard de Sa Majesté ; il lui raconta ce qu’il avait entendu dire des projets du cardinal à l’endroit de Buckingham, et tout cela avec une tranquillité et un aplomb dont M. de Tréville fut d’autant mieux la dupe, que lui-même, comme nous l’avons dit, avait remarqué quelque chose de nouveau entre le cardinal, le roi et la reine.

À dix heures sonnant, d’Artagnan quitta M. de Tréville, qui le remercia de ses renseignements, lui recommanda d’avoir toujours à cœur le service du roi et de la reine, et qui rentra dans le salon. Mais, au bas de l’escalier, d’Artagnan se souvint qu’il avait oublié sa canne : en conséquence, il remonta précipitamment, rentra dans le cabinet, d’un tour de doigt remit la pendule à son heure, pour qu’on ne pût pas s’apercevoir, le lendemain, qu’elle avait été dérangée, et sûr désormais qu’il y avait un témoin pour prouver son alibi, il descendit l’escalier et se trouva bientôt dans la rue.

L’INTRIGUE SE NOUE

Sa visite faite à M. de Tréville, d’Artagnan prit, tout pensif, le plus long pour rentrer chez lui.

À quoi pensait d’Artagnan, qu’il s’écartait ainsi de sa route, regardant les étoiles du ciel, et tantôt soupirant tantôt souriant ?

Il pensait à madame Bonacieux. Pour un apprenti mousquetaire, la jeune femme était presque une idéalité amoureuse. Jolie, mystérieuse, initiée à presque tous les secrets de cour, qui reflétaient tant de charmante gravité sur ses traits gracieux, elle était soupçonnée de n’être pas insensible, ce qui est un attrait irrésistible pour les amants novices ; de plus, d’Artagnan l’avait délivrée des mains de ces démons qui voulaient la fouiller et la maltraiter, et cet important service avait établi entre elle et lui un de ces sentiments de reconnaissance qui prennent si facilement un plus tendre caractère.

D’Artagnan se voyait déjà, tant les rêves marchent vite sur les ailes de l’imagination, accosté par un messager de la jeune femme qui lui remettait quelque billet de rendez-vous, une chaîne d’or ou un diamant. Nous avons dit que les jeunes cavaliers recevaient sans honte de leur roi ; ajoutons qu’en ce temps de facile morale, ils n’avaient pas plus de vergogne à l’endroit de leurs maîtresses, et que celles-ci leur laissaient presque toujours de précieux et durables souvenirs, comme si elles eussent essayé de conquérir la fragilité de leurs sentiments par la solidité de leurs dons.

On faisait alors son chemin par les femmes, sans en rougir. Celles qui n’étaient que belles donnaient leur beauté, et de là vient sans doute le proverbe, que la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a. Celles qui étaient riches donnaient en outre une partie de leur argent, et l’on pourrait citer bon nombre de héros de cette galante époque qui n’eussent gagné ni leurs éperons d’abord, ni leurs batailles ensuite, sans la bourse plus ou moins garnie que leur maîtresse attachait à l’arçon de leur selle.

D’Artagnan ne possédait rien ; l’hésitation du provincial, vernis léger, fleur éphémère, duvet de la pêche, s’était évaporée au vent des conseils peu orthodoxes que les trois mousquetaires donnaient à leur ami. D’Artagnan, suivant l’étrange coutume du temps, se regardait à Paris comme en campagne, et cela ni plus ni moins que dans les Flandres : l’Espagnol là-bas, la femme ici. — C’était partout un ennemi à combattre, des contributions à frapper.

Mais, disons-le, pour le moment d’Artagnan était mû d’un sentiment plus noble et plus désintéressé. Le mercier lui avait dit qu’il était riche ; le jeune homme avait pu deviner qu’avec un niais comme l’était M. Bonacieux, ce devait être la femme qui tenait la clef de la bourse. Mais tout cela n’avait influé en rien sur le sentiment produit par la vue de madame Bonacieux, et l’intérêt était resté à peu près étranger à ce commencement d’amour qui en avait été la suite. Nous disons : à peu près, car l’idée qu’une jeune femme, belle, gracieuse, spirituelle, est riche en même temps, n’ôte rien à ce commencement d’amour, et tout au contraire le corrobore.

Il y a dans l’aisance une foule de soins et de caprices aristocratiques qui vont bien à la beauté. Un bas fin et blanc, une robe de soie, une guimpe de dentelle, un joli soulier au pied, un frais ruban sur la tête, ne font point jolie une femme laide, mais font belle une femme jolie, sans compter les mains qui gagnent à tout cela ; les mains, chez les femmes surtout, ont besoin de rester oisives pour rester belles.

Puis d’Artagnan, comme le sait bien le lecteur, auquel nous n’avons pas caché l’état de sa fortune, d’Artagnan n’était pas un millionnaire ; il espérait bien le devenir un jour, mais le temps qu’il se fixait lui-même pour cet heureux changement était assez éloigné. En attendant, quel désespoir que de voir une femme qu’on aime désirer ces mille riens dont les femmes composent leur bonheur, et de ne pouvoir lui donner ces mille riens ! Au moins, quand la femme est riche et que l’amant ne l’est pas, ce qu’il ne peut lui offrir elle se l’offre elle-même ; et quoique ce soit ordinairement avec l’argent du mari qu’elle se passe cette jouissance, il est rare que ce soit à lui qu’en revienne la reconnaissance.

Puis d’Artagnan, disposé à être l’amant le plus tendre, était en attendant un ami très dévoué. Au milieu de ses projets amoureux sur la femme du mercier, il n’oubliait pas les siens. La jolie madame Bonacieux était femme à promener dans la plaine Saint-Denis ou dans la foire Saint-Germain en compagnie d’Athos, de Porthos et d’Aramis, auxquels d’Artagnan serait fier de montrer une telle conquête. Puis, quand on a marché longtemps, la faim arrive ; d’Artagnan depuis quelque temps avait remarqué cela. On ferait de ces petits dîners charmants où l’on touche d’un côté la main d’un ami, et de l’autre le pied d’une maîtresse. Enfin, dans les moments pressants, dans les positions extrêmes, d’Artagnan serait le sauveur de ses amis.

Et M. Bonacieux, que d’Artagnan avait poussé dans les mains des sbires en le reniant bien haut et à qui il avait promis tout bas de le sauver ? Nous devons avouer à nos lecteurs que d’Artagnan n’y songeait en aucune façon, ou que, s’il y songeait, c’était pour se dire qu’il était bien où il était, quelque part qu’il fût. L’amour est la plus égoïste de toutes les passions.

Cependant, que nos lecteurs se rassurent : si d’Artagnan oublie son hôte ou fait semblant de l’oublier, sous prétexte qu’il ne sait pas où on l’a conduit, nous ne l’oublions pas, nous, et nous savons où il est. Mais pour le moment faisons comme le Gascon amoureux. Quant au digne mercier, nous reviendrons à lui plus tard.

D’Artagnan, tout en réfléchissant à ses futures amours, tout en parlant à la nuit, tout en souriant aux étoiles, remontait la rue du Cherche-Midi ou Chasse-Midi, ainsi qu’on l’appelait alors. Comme il se trouvait dans le quartier d’Aramis, l’idée lui était venue d’aller faire une visite à son ami, pour lui donner quelques explications sur les motifs qui lui avaient fait envoyer Planchet avec invitation de se rendre immédiatement à la souricière. Or, si Aramis s’était trouvé chez lui lorsque Planchet y était venu, il avait sans aucun doute couru rue des Fossoyeurs, et n’y trouvant personne que ses deux autres compagnons peut-être, ils n’avaient dû savoir, ni les uns ni les autres, ce que cela voulait dire. Ce dérangement méritait donc une explication, voilà ce que disait tout haut d’Artagnan.

Puis, tout bas, il pensait que c’était pour lui une occasion de parler de la jolie petite madame Bonacieux, dont son esprit, sinon son cœur, était déjà tout plein. Ce n’est pas à propos d’un premier amour qu’il faut demander de la discrétion. Ce premier amour est accompagné d’une si grande joie, qu’il faut que cette joie déborde, sans cela elle vous étoufferait.

Paris depuis deux heures était sombre et commençait à se faire désert. Onze heures sonnaient à toutes les horloges du faubourg Saint-Germain, il faisait un temps doux. D’Artagnan suivait une ruelle située sur l’emplacement où passe aujourd’hui la rue d’Assas, respirant les émanations embaumées qui venaient avec le vent de la rue de Vaugirard et qu’envoyaient les jardins rafraîchis par la rosée du soir et par la brise de la nuit. Au loin résonnaient, assourdis cependant par de bons volets, les chants des buveurs dans quelques cabarets perdus dans la plaine. Arrivé au bout de la ruelle, d’Artagnan tourna à gauche. La maison qu’habitait Aramis se trouvait située entre la rue Cassette et la rue des Jardins-Saint-Sulpice.

D’Artagnan venait de dépasser la rue Cassette et reconnaissait déjà la porte de la maison de son ami, enfouie sous un massif de sycomores et de clématites qui formaient un vaste bourrelet au-dessus d’elle lorsqu’il aperçut quelque chose comme une ombre qui sortait de la rue des Jardins. Ce quelque chose était enveloppé d’un manteau, et d’Artagnan crut d’abord que c’était un homme ; mais, à la petitesse de la taille, à l’incertitude de la démarche, à l’embarras du pas, il reconnut bientôt une femme. De plus, cette femme, comme si elle n’eût pas été bien sûre de la maison qu’elle cherchait, levait les yeux pour se reconnaître, s’arrêtait, retournait en arrière, puis revenait encore. D’Artagnan fut intrigué.

— Si j’allais lui offrir mes services ! pensa-t-il. À son allure, on voit qu’elle est jeune ; peut-être jolie. Oh ! oui. Mais une femme qui court les rues à cette heure ne sort guère que pour aller rejoindre son amant. Peste ! si j’allais troubler les rendez-vous, ce serait une mauvaise porte pour entrer en relations.

Cependant, la jeune femme s’avançait toujours, comptant les maisons et les fenêtres. Ce n’était, au reste, chose ni longue, ni difficile. Il n’y avait que trois hôtels dans cette partie de la rue, et deux fenêtres ayant vue sur cette rue ; l’une était celle d’un pavillon parallèle à celui qu’occupait Aramis, l’autre était celle d’Aramis lui-même.

— Pardieu ! se dit d’Artagnan, auquel la nièce du théologien revenait à l’esprit ; pardieu ! il serait drôle que cette colombe attardée cherchât la maison de notre ami. Mais sur mon âme, cela y ressemble fort. Ah ! mon cher Aramis, pour cette fois, j’en veux avoir le cœur net.

Et d’Artagnan, se faisant le plus mince qu’il put, s’abrita dans le côté le plus obscur de la rue, près d’un banc de pierre situé au fond d’une niche.

La jeune femme continua de s’avancer, car outre la légèreté de son allure, qui l’avait trahie, elle venait de faire entendre une petite toux qui dénonçait une voix des plus fraîches. D’Artagnan pensa que cette toux était un signal.

Cependant, soit qu’on eût répondu à cette toux par un signe équivalent qui avait fixé les irrésolutions de la nocturne chercheuse, soit que sans secours étranger elle eût reconnu qu’elle était arrivée au bout de sa course, elle s’approcha résolument du volet d’Aramis et frappa à trois intervalles égaux avec son doigt recourbé.

— C’est bien chez Aramis, murmura d’Artagnan. Ah ! monsieur l’hypocrite ! je vous y prends à faire de la théologie !

Les trois coups étaient à peine frappés, que la croisée intérieure s’ouvrit et qu’une lumière parut à travers les vitres du volet.

— Ah ! ah ! fit l’écouteur non pas aux portes, mais aux fenêtres, ah ! la visite était attendue. Allons, le volet va s’ouvrir et la dame entrera par escalade. Très-bien !

Mais, au grand étonnement de d’Artagnan, le volet resta fermé. De plus, la lumière qui avait flamboyé un instant, disparut, et tout rentra dans l’obscurité.

D’Artagnan pensa que cela ne pouvait durer ainsi, et continua de regarder de tous ses yeux et d’écouter de toutes ses oreilles.

Il avait raison : au bout de quelques secondes, deux coups secs retentirent dans l’intérieur.

La jeune femme de la rue répondit par un seul coup, et le volet s’entrouvrit.

On juge si d’Artagnan regardait et écoutait avec avidité.

Malheureusement, la lumière avait été transportée dans un autre appartement. Mais les yeux du jeune homme s’étaient habitués à la nuit. D’ailleurs les yeux des Gascons ont, à ce qu’on assure, comme ceux des chats, la propriété de voir pendant la nuit.

D’Artagnan vit donc que la jeune femme tirait de sa poche un objet blanc qu’elle déploya vivement et qui prit la forme d’un mouchoir. Cet objet déployé, elle en fit remarquer le coin à son interlocuteur.

Cela rappela à d’Artagnan ce mouchoir qu’il avait trouvé aux pieds de madame Bonacieux, lequel lui avait rappelé celui qu’il avait trouvé aux pieds d’Aramis.

Que diable pouvait donc signifier ce mouchoir ?

Placé où il était, d’Artagnan ne pouvait voir le visage d’Aramis, nous disons d’Aramis, parce que le jeune homme ne faisait aucun doute que ce fût son ami qui dialoguât de l’intérieur avec la dame de l’extérieur ; la curiosité l’emporta donc sur la prudence, et, profitant de la préoccupation dans laquelle la vue du mouchoir paraissait plonger les deux personnages que nous avons mis en scène, il sortit de sa cachette, et prompt comme l’éclair, mais étouffant le bruit de ses pas, il alla se coller à un angle de la muraille, d’où son œil pouvait parfaitement plonger dans l’intérieur de l’appartement d’Aramis.

Arrivé là, d’Artagnan pensa jeter un cri de surprise : ce n’était pas Aramis qui causait avec la nocturne visiteuse, c’était une femme. Seulement, d’Artagnan y voyait assez pour reconnaître la forme de ses vêtements, mais pas assez pour distinguer ses traits.

Au même instant, la femme de l’appartement tira un second mouchoir de sa poche, et l’échangea avec celui qu’on venait de lui montrer. Puis, quelques mots furent prononcés entre les deux femmes. Enfin le volet se referma ; la femme qui se trouvait à l’extérieur de la fenêtre se retourna, et vint passer à quatre pas de d’Artagnan en abaissant la coiffe de sa mante ; mais la précaution avait été prise trop tard, d’Artagnan avait déjà reconnu madame Bonacieux.

Madame Bonacieux ! Le soupçon que c’était elle lui avait déjà traversé l’esprit quand elle avait tiré le mouchoir de sa poche ; mais quelle probabilité que madame Bonacieux qui avait envoyé chercher M. de La Porte pour se faire reconduire par lui au Louvre, courût les rues de Paris seule à onze heures et demie du soir, au risque de se faire enlever une seconde fois ?

Il fallait donc que ce fût pour une affaire bien importante ; et quelle est l’affaire importante d’une femme de vingt-cinq ans ? L’amour.

Mais était-ce pour son compte ou pour le compte d’une autre personne qu’elle s’exposait à de semblables hasards ? Voilà ce que se demandait à lui-même le jeune homme, que le démon de la jalousie mordait au cœur ni plus ni moins qu’un amant en titre.

Il y avait, au reste, un moyen bien simple de s’assurer où allait madame Bonacieux : c’était de la suivre. Ce moyen était si simple, que d’Artagnan l’employa tout naturellement et d’instinct.

Mais, à la vue du jeune homme qui se détachait de la muraille comme une statue de sa niche, et au bruit des pas qu’elle entendit retentir derrière elle, madame Bonacieux jeta un petit cri et s’enfuit.

D’Artagnan courut après elle. Ce n’était pas une chose difficile pour lui que de rejoindre une femme embarrassée dans son manteau. Il la rejoignit donc au tiers de la rue dans laquelle elle s’était engagée. La malheureuse était épuisée, non pas de fatigue, mais de terreur, et quand d’Artagnan lui posa la main sur l’épaule, elle tomba sur un genou en criant d’une voix étranglée :

— Tuez-moi si vous voulez, mais vous ne saurez rien.

D’Artagnan la releva en lui passant le bras autour de la taille ; mais comme il sentait à son poids qu’elle était sur le point de se trouver mal, il s’empressa de la rassurer par des protestations de dévouement. Ces protestations n’étaient rien pour madame Bonacieux ; car de pareilles protestations peuvent se faire avec les plus mauvaises intentions du monde ; mais la voix était tout. La jeune femme crut reconnaître le son de cette voix : elle rouvrit les yeux, jeta un regard sur l’homme qui lui avait fait si grand-peur, et, reconnaissant d’Artagnan, elle poussa un cri de joie.

— Oh ! c’est vous, c’est vous ! dit-elle ; merci, mon Dieu !

— Oui, c’est moi, dit d’Artagnan, moi que Dieu a envoyé pour veiller sur vous.

— Était-ce dans cette intention que vous me suiviez ? demanda avec un sourire plein de coquetterie la jeune femme, dont le caractère un peu railleur reprenait le dessus, et chez laquelle toute crainte avait disparu du moment où elle avait reconnu un ami dans celui qu’elle avait pris pour un ennemi.

— Non, dit d’Artagnan, non, je l’avoue ; c’est le hasard qui m’a mis sur votre route ; j’ai vu une femme frapper à la fenêtre d’un de mes amis.

— D’un de vos amis ? interrompit madame Bonacieux.

— Sans doute ; Aramis est de mes meilleurs amis.

— Aramis ? qu’est-ce que cela ?

— Bon ! allez-vous me dire que vous ne connaissez pas Aramis ?

— C’est la première fois que j’entends prononcer ce nom.

— C’est donc la première fois que vous venez à cette maison ?

— Sans doute.

— Et vous ne saviez pas qu’elle fût habitée par un jeune homme ?

— Non.

— Par un mousquetaire ?

— Nullement.

— Ce n’est donc pas lui que vous veniez chercher ?

— Pas le moins du monde. D’ailleurs, vous l’avez bien vu, la personne à qui j’ai parlé est une femme.

— C’est vrai : mais cette femme est des amies d’Aramis.

— Je n’en sais rien.

— Puisqu’elle loge chez lui.

— Cela ne me regarde pas.

— Mais qui est-elle ?

— Oh ! cela n’est point mon secret.

— Chère madame Bonacieux, vous êtes charmante ; mais en même temps vous êtes la femme la plus mystérieuse…

— Est-ce que je perds à cela ?

— Non, vous êtes, au contraire, adorable.

— Alors, donnez-moi le bras.

— Bien volontiers. Et maintenant ?

— Maintenant, conduisez-moi.

— Où cela ?

— Où je vais.

— Mais où allez-vous ?

— Vous le verrez, puisque vous me laisserez à la porte.

— Faudra-t-il vous attendre ?

— Ce sera inutile.

— Vous reviendrez donc seule ?

— Peut-être oui, peut-être non.

— Mais la personne qui vous accompagnera ensuite sera-t-elle un homme, sera-t-elle une femme ?

— Je n’en sais rien encore.

— Je le saurai bien, moi !

— Comment cela ?

— Je vous attendrai pour vous voir sortir.

— En ce cas, adieu !

— Comment cela ?

— Je n’ai pas besoin de vous.

— Mais vous aviez réclamé…

— L’aide d’un gentilhomme, et non la surveillance d’un espion.

— Le mot est un peu dur !

— Comment appelle-t-on ceux qui suivent les gens malgré eux ?

— Des indiscrets.

— Le mot est trop doux.

— Allons, madame, je vois bien qu’il faut faire tout ce que vous voulez.

— Pourquoi vous être privé du mérite de le faire tout de suite ?

— N’y en a-t-il donc aucun à se repentir ?

— Et vous repentez-vous réellement ?

— Je n’en sais rien moi-même. Mais ce que je sais, c’est que je vous promets de faire tout ce que vous voudrez si vous me laissez vous accompagner jusqu’où vous allez.

— Et vous me quitterez après ?

— Oui.

— Sans m’épier à ma sortie ?

— Non.

— Parole d’honneur ?

— Foi de gentilhomme !

— Prenez mon bras et marchons alors.

D’Artagnan offrit son bras à madame Bonacieux, qui s’y suspendit, moitié rieuse, moitié tremblante, et tous deux gagnèrent le haut de la rue de La Harpe. Arrivée là, la jeune femme parut hésiter, comme elle avait déjà fait dans la rue de Vaugirard. Cependant, à de certains signes, elle sembla reconnaître une porte ; et s’approchant de cette porte :

— Et maintenant, monsieur, dit-elle, c’est ici que j’ai affaire ; mille fois merci de votre honorable compagnie, qui m’a sauvée de tous les dangers auxquels, seule, j’eusse été exposée. Mais le moment est venu de tenir votre parole : je suis arrivée à ma destination.

— Et vous n’aurez plus rien à craindre en revenant ?

— Je n’aurai à craindre que les voleurs.

— N’est-ce donc rien ?

— Que pourraient-ils me prendre ? je n’ai pas un denier sur moi.

— Vous oubliez ce beau mouchoir brodé, armorié.

— Lequel ?

— Celui que j’ai trouvé à vos pieds et que j’ai remis dans votre poche.

— Taisez-vous, taisez-vous, malheureux ! s’écria la jeune femme, voulez-vous me perdre ?

— Vous voyez bien qu’il y a encore du danger pour vous, puisqu’un seul mot vous fait trembler, et que vous avouez que, si on entendait ce mot, vous seriez perdue. Ah ! tenez, madame, s’écria d’Artagnan en lui saisissant la main et la couvrant d’un ardent regard, tenez ! soyez plus généreuse, confiez-vous à moi ; n’avez-vous donc pas lu dans mes yeux qu’il n’y a que dévouement et sympathie dans mon cœur ?

— Si fait, répondit madame Bonacieux ; aussi demandez-moi mes secrets, et je vous les dirai ; mais ceux des autres, c’est différent.

— C’est bien, dit d’Artagnan, je les découvrirai ; puisque ces secrets peuvent avoir une influence sur votre vie, il faut que ces secrets deviennent les miens.

— Gardez-vous-en bien, s’écria la jeune femme avec un sérieux qui fit frissonner d’Artagnan malgré lui. Oh ! ne vous mêlez en rien de ce qui me regarde, ne cherchez point à m’aider dans ce que j’accomplis ; et cela, je vous le demande au nom de l’intérêt que je vous inspire, au nom du service que vous m’avez rendu ! et que je n’oublierai de ma vie. Croyez bien plutôt à ce que je vous dis. Ne vous occupez plus de moi, je n’existe plus pour vous, que ce soit comme si vous ne m’aviez jamais vue.

— Aramis doit-il en faire autant que moi, madame ? dit d’Artagnan piqué.

— Voilà deux ou trois fois que vous avez prononcé ce nom, monsieur, et cependant je vous ai dit que je ne le connaissais pas.

— Vous ne connaissez pas l’homme au volet duquel vous avez été frapper ? Allons donc, madame, vous me croyez par trop crédule, aussi !

— Avouez que c’est pour me faire parler que vous inventez cette histoire, et que vous créez ce personnage.

— Je n’invente rien, madame, je ne crée rien, je dis l’exacte vérité.

— Et vous dites qu’un de vos amis demeure dans cette maison ?

— Je le dis et je le répète pour la troisième fois, cette maison est celle qu’habite mon ami, et cet ami est Aramis.

— Tout cela s’éclaircira plus tard, murmura la jeune femme ; maintenant, monsieur, taisez-vous.

— Si vous pouviez voir mon cœur tout à découvert, dit d’Artagnan, vous y liriez tant de curiosité, que vous auriez pitié de moi, et tant d’amour, que vous satisferiez à l’instant même ma curiosité. On n’a rien à craindre de ceux qui vous aiment.

— Vous parlez bien vite d’amour, monsieur, dit la jeune femme en secouant la tête.

— C’est que l’amour m’est venu vite et pour la première fois, et que je n’ai pas vingt ans.

La jeune femme le regarda à la dérobée.

— Écoutez, je suis déjà sur la trace, dit d’Artagnan. Il y a trois mois, j’ai manqué avoir un duel avec Aramis pour un mouchoir pareil à celui que vous avez montré à cette femme qui était chez lui, pour un mouchoir marqué de la même manière, j’en suis sûr.

— Monsieur, dit la jeune femme, vous me fatiguez fort, je vous le jure, avec ces questions.

— Mais vous, si prudente, madame, songez-y, si vous étiez arrêtée avec ce mouchoir, et que ce mouchoir fût saisi, ne seriez-vous pas compromise ?

— Pourquoi cela, les initiales ne sont-elles pas les miennes : C.B., Constance Bonacieux ?

— Ou Camille de Bois-Tracy.

— Silence, monsieur, encore une fois silence ! Ah ! puisque les dangers que je cours pour moi-même ne vous arrêtent pas, songez à ceux que vous pouvez courir, vous !

— Moi ?

— Oui, vous. Il y a danger de la prison, il y a danger de la vie à me connaître.

— Alors, je ne vous quitte plus.

— Monsieur, dit la jeune femme suppliant et joignant les mains, monsieur, au nom du Ciel, au nom de l’honneur d’un militaire, au nom de la courtoisie d’un gentilhomme, éloignez-vous ; tenez, voilà minuit qui sonne, c’est l’heure où l’on m’attend.

— Madame, dit le jeune homme en s’inclinant, je ne sais rien refuser à qui me demande ainsi ; soyez contente, je m’éloigne.

— Mais vous ne me suivrez pas, vous ne m’épierez pas ?

— Je rentre chez moi à l’instant.

— Ah ! je le savais bien, que vous étiez un brave jeune homme ! s’écria madame Bonacieux en lui tendant une main et en posant l’autre sur le marteau d’une petite porte presque perdue dans la muraille.

D’Artagnan saisit la main qu’on lui tendait et la baisa ardemment.

— Ah ! j’aimerais mieux ne vous avoir jamais vue, s’écria d’Artagnan avec cette brutalité naïve que les femmes préfèrent souvent aux afféteries de la politesse, parce qu’elle découvre le fond de la pensée et qu’elle prouve que le sentiment l’emporte sur la raison.

— Eh bien ! reprit madame Bonacieux d’une voix presque caressante, et en serrant la main de d’Artagnan qui n’avait pas abandonné la sienne ; eh bien ! je n’en dirai pas autant que vous : ce qui est perdu pour aujourd’hui n’est pas perdu pour l’avenir. Qui sait, si lorsque je serai déliée un jour, je ne satisferai pas votre curiosité ?

— Et faites-vous la même promesse à mon amour ? s’écria d’Artagnan au comble de la joie.

— Oh ! de ce côté, je ne veux point m’engager, cela dépendra des sentiments que vous saurez m’inspirer.

— Ainsi, aujourd’hui, madame…

— Aujourd’hui, monsieur, je n’en suis encore qu’à la reconnaissance.

— Ah ! vous êtes trop charmante, dit d’Artagnan avec tristesse, et vous abusez de mon amour.

— Non, j’use de votre générosité, voilà tout. Mais croyez-le bien, avec certaines gens tout se retrouve.

— Oh ! vous me rendez le plus heureux des hommes. N’oubliez pas cette soirée, n’oubliez pas cette promesse.

— Soyez tranquille, en temps et lieu je me souviendrai de tout. Eh bien ! partez donc, partez, au nom du Ciel ! On m’attendait à minuit juste, et je suis en retard.

— De cinq minutes.

— Oui ; mais dans certaines circonstances, cinq minutes sont cinq siècles.

— Quand on aime.

— Eh bien, qui vous dit que je n’ai pas affaire à un amoureux ?

— C’est un homme qui vous attend ! s’écria d’Artagnan, — un homme !

— Allons, voilà la discussion qui va recommencer, fit madame Bonacieux avec un demi-sourire qui n’était pas exempt d’une certaine teinte d’impatience.

— Non, non, je m’en vais, je pars ; je crois en vous, je veux avoir tout le mérite de mon dévouement, ce dévouement dût-il être une stupidité. Adieu ! madame, adieu !

Et comme s’il ne se fût senti la force de se détacher de la main qu’il tenait que par une secousse, il s’éloigna tout courant, tandis que madame Bonacieux frappait, comme au volet, trois coups lents et réguliers ; puis, arrivé à l’angle de la rue, il se retourna : la porte s’était ouverte et refermée, la jolie mercière avait disparu.

D’Artagnan continua son chemin, il avait donné sa parole de ne pas épier madame Bonacieux, et sa vie eût-elle dépendu de l’endroit où elle allait se rendre, ou de la personne qui devait l’accompagner, d’Artagnan serait rentré chez lui, puisqu’il avait dit qu’il y rentrait. Cinq minutes après, il était dans la rue des Fossoyeurs.

— Pauvre Athos, disait-il, il ne saura pas ce que cela veut dire. Il se sera endormi en m’attendant, ou il sera retourné chez lui, et en rentrant il aura appris qu’une femme y était venue. Une femme chez Athos ! Après tout, continua d’Artagnan, il y en avait bien une chez Aramis. Tout cela est fort étrange, et je serais bien curieux de savoir comment cela finira.

— Mal, monsieur, mal, répondit une voix que le jeune homme reconnut pour celle de Planchet ; car tout en monologuant tout haut, à la manière des gens très préoccupés, il s’était engagé dans l’allée au fond de laquelle était l’escalier qui conduisait à sa chambre.

— Comment, mal ? que veux-tu dire, imbécile ? demanda d’Artagnan, et qu’est-il donc arrivé ?

— Toutes sortes de malheurs.

— Lesquels ?

— D’abord, M. Athos est arrêté.

— Arrêté ! Athos ! arrêté ! pourquoi ?

— On l’a trouvé chez vous ; on l’a pris pour vous.

— Et par qui a-t-il été arrêté ?

— Par la garde qu’ont été chercher les hommes noirs que vous avez mis en fuite.

— Pourquoi ne s’est-il pas nommé ? pourquoi n’a-t-il pas dit qu’il était étranger à cette affaire ?

— Il s’en est bien gardé, monsieur ; il s’est au contraire approché de moi et m’a dit : « C’est ton maître qui a besoin de sa liberté en ce moment, et non pas moi, puisqu’il sait tout et que je ne sais rien. On le croira arrêté, et cela lui donnera du temps ; dans trois jours je dirai qui je suis, et il faudra bien qu’on me fasse sortir. »

— Brave Athos ! noble cœur, murmura d’Artagnan, je le reconnais bien là ! Et qu’ont fait les sbires ?

— Quatre l’ont emmené je ne sais où, à la Bastille ou au Fort-l’Évêque ; deux sont restés avec les hommes noirs, qui ont fouillé partout et qui ont pris tous les papiers. Enfin les deux derniers, pendant cette expédition, montaient la garde à la porte ; puis, quand tout a été fini, ils sont partis, laissant la maison vide et tout ouvert.

— Et Porthos et Aramis ?

— Je ne les avais pas trouvés, ils ne sont pas venus.

— Mais ils peuvent venir d’un moment à l’autre, car tu leur as fait dire que je les attendais ?

— Oui, monsieur.

— Eh bien, ne bouge pas d’ici ; s’ils viennent, préviens-les de ce qui m’est arrivé, qu’ils m’attendent au cabaret de la Pomme-du-Pin ; ici il y aurait danger, la maison peut être espionnée. Je cours chez M. de Tréville pour lui annoncer tout cela, et je les y rejoins.

— C’est bien, monsieur, dit Planchet.

— Mais tu resteras, tu n’auras pas peur ? dit d’Artagnan en revenant sur ses pas pour recommander le courage à son laquais.

— Soyez tranquille, monsieur, dit Planchet, vous ne me connaissez pas encore ; je suis brave quand je m’y mets, allez ; c’est le tout de m’y mettre ; d’ailleurs, je suis Picard.

— Alors, c’est convenu, dit d’Artagnan, tu te fais tuer plutôt que de quitter ton poste.

— Oui, monsieur, et il n’y a rien que je ne fasse pour prouver à monsieur que je lui suis attaché.

— Bon, dit en lui-même d’Artagnan, il paraît que la méthode que j’ai employée à l’égard de ce garçon est décidément la bonne : j’en userai dans l’occasion.

Et de toute la vitesse de ses jambes, déjà quelque peu fatiguées cependant par les courses de la journée, d’Artagnan se dirigea vers la rue du Colombier.

M. de Tréville n’était point à son hôtel ; sa compagnie était de garde au Louvre ; il était au Louvre avec sa compagnie.

Il fallait arriver jusqu’à M. de Tréville ; il était important qu’il fût prévenu de ce qui se passait. D’Artagnan résolut d’essayer d’entrer au Louvre. Son costume de garde dans la compagnie de M. des Essarts lui devait être un passeport.

Il descendit donc la rue des Petits-Augustins, et remonta le quai pour prendre le Pont-Neuf. Il avait eu un instant l’idée de passer le bac ; mais en arrivant au bord de l’eau, il avait machinalement introduit sa main dans sa poche et s’était aperçu qu’il n’avait pas de quoi payer le passeur.

Comme il arrivait à la hauteur de la rue Guénégaud, il vit déboucher de la rue Dauphine un groupe composé de deux personnes et dont l’allure le frappa.

Les deux personnes qui composaient le groupe étaient : l’une, un homme ; l’autre, une femme.

La femme avait la tournure de madame Bonacieux, et l’homme ressemblait à s’y méprendre à Aramis.

En outre, la femme avait cette mante noire que d’Artagnan voyait encore se dessiner sur le volet de la rue de Vaugirard et sur la porte de la rue de La Harpe.

De plus, l’homme portait l’uniforme des mousquetaires.

Le capuchon de la femme était rabattu, l’homme tenait son mouchoir sur son visage ; tous deux, cette double précaution l’indiquait, tous deux avaient donc intérêt à n’être point reconnus.

Ils prirent le pont : c’était le chemin de d’Artagnan, puisque d’Artagnan se rendait au Louvre ; d’Artagnan les suivit.

D’Artagnan n’avait pas fait vingt pas, qu’il fut convaincu que cette femme, c’était madame Bonacieux, et que cet homme, c’était Aramis.

Il sentit à l’instant même tous les soupçons de la jalousie qui s’agitaient dans son cœur.

Il était doublement trahi et par son ami et par celle qu’il aimait déjà comme une maîtresse. Madame Bonacieux lui avait juré ses grands dieux qu’elle ne connaissait pas Aramis, et un quart d’heure après qu’elle lui avait fait ce serment, il la retrouvait au bras d’Aramis.

D’Artagnan ne réfléchit pas seulement qu’il connaissait la jolie mercière depuis trois heures seulement, qu’elle ne lui devait rien qu’un peu de reconnaissance pour l’avoir délivrée des hommes noirs qui voulaient l’enlever, et qu’elle ne lui avait rien promis. Il se regarda comme un amant outragé, trahi, bafoué ; le sang et la colère lui montèrent au visage, il résolut de tout éclaircir.

La jeune femme et le jeune homme s’étaient aperçus qu’ils étaient suivis, et ils avaient doublé le pas. D’Artagnan prit sa course, les dépassa, puis revint sur eux au moment où ils se trouvaient devant la Samaritaine, éclairée par un réverbère qui projetait sa lueur sur toute cette partie du pont.

D’Artagnan s’arrêta devant eux, et ils s’arrêtèrent devant lui.

— Que voulez-vous, monsieur ? demanda le mousquetaire en reculant d’un pas et avec un accent étranger qui prouvait à d’Artagnan qu’il s’était trompé dans une partie de ses conjectures.

— Ce n’est pas Aramis ! s’écria-t-il.

— Non, monsieur, ce n’est point Aramis, et à votre exclamation je vois que vous m’avez pris pour un autre, et je vous pardonne.

— Vous me pardonnez ! s’écria d’Artagnan.

— Oui, répondit l’inconnu. Laissez-moi donc passer, puisque ce n’est pas à moi que vous avez affaire.

— Vous avez raison, monsieur, dit d’Artagnan, ce n’est pas à vous que j’ai affaire, c’est à madame.

— À madame ! vous ne la connaissez pas, dit l’étranger.

— Vous vous trompez, monsieur, je la connais.

— Ah ! fit madame Bonacieux d’un ton de reproche ; ah ! monsieur, j’avais votre parole de militaire et votre foi de gentilhomme : j’espérais pouvoir compter dessus.

— Et moi, madame, dit d’Artagnan embarrassé, vous m’aviez promis…

— Prenez mon bras, madame, dit l’étranger, et continuons notre chemin.

Cependant d’Artagnan, étourdi, atterré, anéanti par tout ce qui lui arrivait, restait debout et les bras croisés devant le mousquetaire et madame Bonacieux.

Le mousquetaire fit deux pas en avant et écarta d’Artagnan avec la main.

D’Artagnan fit un bond en arrière et tira son épée.

En même temps et avec la rapidité de l’éclair, l’inconnu tira la sienne.

— Au nom du Ciel, Milord ! s’écria madame Bonacieux en se jetant entre les combattants et prenant les épées à pleines mains.

— Milord ! s’écria d’Artagnan illuminé d’une idée subite, Milord ! pardon, monsieur ; mais est-ce que vous seriez…

— Milord duc de Buckingham, dit madame Bonacieux à demi-voix ; et maintenant vous pouvez nous perdre tous.

— Milord, madame, pardon, cent fois pardon ; mais je l’aimais, Milord, et j’étais jaloux ; vous savez ce que c’est que d’aimer, Milord ; pardonnez-moi, et dites-moi comment je puis me faire tuer pour Votre Grâce.

— Vous êtes un brave jeune homme, dit Buckingham en tendant à d’Artagnan une main que celui-ci serra respectueusement ; vous m’offrez vos services, je les accepte ; suivez-nous à vingt pas jusqu’au Louvre ; et si quelqu’un nous épie, tuez-le !

D’Artagnan mit son épée nue sous son bras, laissa prendre à madame Bonacieux et au duc vingt pas d’avance et les suivit, prêt à exécuter à la lettre les instructions du noble et élégant ministre de Charles Ier.

Mais heureusement le jeune séide n’eut aucune occasion de donner au duc cette preuve de son dévouement, et la jeune femme et le beau mousquetaire rentrèrent au Louvre par le guichet de l’Échelle sans avoir été inquiétés…

Quant à d’Artagnan, il se rendit aussitôt au cabaret de la Pomme-du-Pin, où il trouva Porthos et Aramis qui l’attendaient.

Mais, sans leur donner d’autre explication sur le dérangement qu’il leur avait causé, il leur dit qu’il avait terminé seul l’affaire pour laquelle il avait cru un instant avoir besoin de leur intervention. Et maintenant, emportés que nous sommes par notre récit, laissons nos trois amis rentrer chacun chez soi, et suivons, dans les détours du Louvre, le duc de Buckingham et son guide.

GEORGES VILLIERS, DUC DE BUCKINGHAM

Madame Bonacieux et le duc entrèrent au Louvre sans difficulté ; madame Bonacieux était connue pour appartenir à la reine ; le duc portait l’uniforme des mousquetaires de M. de Tréville, qui, comme nous l’avons dit, était de garde ce soir-là. D’ailleurs Germain était dans les intérêts de la reine, et si quelque chose arrivait, madame Bonacieux serait accusée d’avoir introduit son amant au Louvre, voilà tout ; elle prenait sur elle le crime : sa réputation était perdue, il est vrai, mais de quelle valeur était dans le monde la réputation d’une petite mercière.

Une fois entrés dans l’intérieur de la cour, le duc et la jeune femme suivirent le pied de la muraille pendant l’espace d’environ vingt-cinq pas ; cet espace parcouru, madame Bonacieux poussa une petite porte de service, ouverte le jour, mais ordinairement fermée la nuit ; la porte céda ; tous deux entrèrent et se trouvèrent dans l’obscurité, mais madame Bonacieux connaissait tous les tours et détours de cette partie du Louvre, destinée aux gens de la suite. Elle referma les portes derrière elle, prit le duc par la main, fit quelques pas en tâtonnant, saisit une rampe, toucha du pied un degré, et commença de monter un escalier : le duc compta deux étages. Alors elle prit à droite, suivit un long corridor, redescendit un étage, fit quelques pas encore, introduisit une clef dans une serrure, ouvrit une porte et poussa le duc dans un appartement éclairé seulement par une lampe de nuit, en disant : « Restez ici, Milord duc, on va venir. » Puis elle sortit par la même porte, qu’elle ferma à la clef, de sorte que le duc se trouva littéralement prisonnier.

Cependant, tout isolé qu’il se trouvait, il faut le dire, le duc de Buckingham n’éprouva pas un instant de crainte ; un des côtés saillants de son caractère était la recherche de l’aventure et l’amour du romanesque. Brave, hardi, entreprenant, ce n’était pas la première fois qu’il risquait sa vie dans de pareilles tentatives ; il avait appris que ce prétendu message d’Anne d’Autriche, sur la foi duquel il était venu à Paris, était un piège, et au lieu de regagner l’Angleterre, il avait, abusant de la position qu’on lui avait faite, déclaré à la reine qu’il ne partirait pas sans l’avoir vue. La reine avait positivement refusé d’abord, puis enfin elle avait craint que le duc, exaspéré, ne fît quelque folie. Déjà elle était décidée à le recevoir et à le supplier de partir aussitôt, lorsque, le soir même de cette décision, madame Bonacieux, qui était chargée d’aller chercher le duc et de le conduire au Louvre, fut enlevée. Pendant deux jours on ignora complètement ce qu’elle était devenue, et tout resta en suspens. Mais une fois libre, une fois remise en rapport avec La Porte, les choses avaient repris leur cours, et elle venait d’accomplir la périlleuse entreprise que, sans son arrestation, elle eût exécutée trois jours plus tôt.

Buckingham, resté seul, s’approcha d’une glace. Cet habit de mousquetaire lui allait à merveille. À trente-cinq ans qu’il avait alors, il passait à juste titre pour le plus beau gentilhomme et pour le plus élégant cavalier de France et d’Angleterre. Favori de deux rois, riche à millions, tout-puissant dans un royaume qu’il bouleversait à sa fantaisie et calmait à son caprice, Georges Villiers, duc de Buckingham, avait entrepris une de ces existences fabuleuses qui restent dans le cours des siècles comme un étonnement pour la postérité. Aussi, sûr de lui-même, convaincu de sa puissance, certain que les lois qui régissent les autres hommes ne pouvaient l’atteindre, allait-il droit au but qu’il s’était fixé, ce but fût-il si élevé et si éblouissant que c’eût été folie pour un autre que de l’envisager seulement. C’est ainsi qu’il était arrivé à s’approcher plusieurs fois de la belle et fière Anne d’Autriche et à s’en faire aimer, à force d’éblouissement.

Georges Villiers se plaça donc devant une glace, comme nous l’avons dit, rendit à sa belle chevelure blonde les ondulations que le poids de son chapeau lui avait fait perdre, retroussa sa moustache, et le cœur tout gonflé de joie, heureux et fier de toucher au moment qu’il avait si longtemps désiré, se sourit à lui-même d’orgueil et d’espoir.

En ce moment, une porte cachée dans la tapisserie s’ouvrit et une femme apparut. Buckingham vit cette apparition dans la glace ; il jeta un cri, c’était la reine.

Anne d’Autriche avait alors vingt-six ou vingt-sept ans, c’est-à-dire qu’elle se trouvait dans tout l’éclat de sa beauté. Sa démarche était celle d’une reine ou d’une déesse ; ses yeux, qui jetaient des reflets d’émeraude, étaient parfaitement beaux, et tout à la fois pleins de douceur et de majesté. Sa bouche était petite et vermeille, et quoique sa lèvre inférieure, comme celle des princes de la maison d’Autriche, avançât légèrement sur l’autre, elle était éminemment gracieuse dans le sourire, mais aussi profondément dédaigneuse dans le mépris. Sa peau était citée pour sa douceur et son velouté, sa main et ses bras étaient d’une beauté surprenante, et tous les poètes du temps les chantaient comme incomparables. Enfin ses cheveux, qui, de blonds qu’ils étaient dans sa jeunesse, étaient devenus châtains, et qu’elle portait frisés très clair et avec beaucoup de poudre, encadraient admirablement son visage, auquel le censeur le plus rigide n’eût pu souhaiter qu’un peu moins de rouge, et le statuaire le plus exigeant qu’un peu plus de finesse dans le nez.

Buckingham resta un instant ébloui ; jamais Anne d’Autriche ne lui était apparue aussi belle, au milieu des bals, des fêtes, des carrousels, qu’elle lui apparut en ce moment, vêtue d’une simple robe de satin blanc et accompagnée de dona Estefania, la seule de ses femmes espagnoles qui n’eût pas été chassée par la jalousie du roi et par les persécutions de Richelieu.

Anne d’Autriche fit deux pas en avant ; Buckingham se précipita à ses genoux, et avant que la reine eût pu l’en empêcher, il baisa le bas de sa robe.

— Duc, vous savez déjà que ce n’est pas moi qui vous ai fait écrire.

— Oh ! oui, madame, oui, Votre Majesté, s’écria le duc ; je sais que j’ai été un fou, un insensé de croire que la neige s’animerait, que le marbre s’échaufferait ; mais, que voulez-vous, quand on aime, on croit facilement à l’amour ; d’ailleurs je n’ai pas tout perdu à ce voyage, puisque je vous vois.

— Oui, répondit Anne, mais vous savez pourquoi et comment je vous vois, Milord. Je vous vois par pitié pour vous-même ; je vous vois parce qu’insensible à toutes mes peines, vous vous êtes obstiné à rester dans une ville où, en restant, vous courez risque de la vie et me faites courir risque de mon honneur ; je vous vois pour vous dire que tout nous sépare, les profondeurs de la mer, l’inimitié des royaumes, la sainteté des serments. Il est sacrilège de lutter contre tant de choses, Milord. Je vous vois enfin pour vous dire qu’il ne faut plus nous voir.

— Parlez, madame, parlez, reine, dit Buckingham, la douceur de votre voix couvre la dureté de vos paroles. Vous parlez de sacrilège ! mais le sacrilège est dans la séparation des cœurs que Dieu avait formés l’un pour l’autre.

— Milord, s’écria la reine, vous oubliez que je ne vous ai jamais dit que je vous aimais.

— Mais vous ne m’avez jamais dit non plus que vous ne m’aimiez point, et vraiment, me dire de semblables paroles, ce serait de la part de Votre Majesté une trop grande ingratitude. Car, dites-moi, où trouvez-vous un amour pareil au mien, un amour que ni le temps, ni l’absence, ni le désespoir ne peuvent éteindre ; un amour qui se contente d’un ruban égaré, d’un regard perdu, d’une parole échappée ? Il y a trois ans, madame, que je vous ai vue pour la première fois, et depuis trois ans je vous aime ainsi. Voulez-vous que je vous dise comment vous étiez vêtue la première fois que je vous vis ? voulez-vous que je détaille chacun des ornements de votre toilette ? Tenez, je vous vois encore : vous étiez assise sur des carreaux, à la mode d’Espagne ; vous aviez une robe de satin vert avec des broderies d’or et d’argent ; des manches pendantes et renouées sur vos beaux bras, sur ces bras admirables, avec de gros diamants ; vous aviez une fraise fermée, un petit bonnet sur votre tête, de la couleur de votre robe, et sur ce bonnet une plume de héron. Oh ! tenez, tenez, je ferme les yeux, et je vous vois telle que vous étiez alors ; je les rouvre, et je vous vois telle que vous êtes maintenant, c’est-à-dire cent fois plus belle encore !

— Quelle folie ! murmura Anne d’Autriche, qui n’avait pas le courage d’en vouloir au duc d’avoir si bien conservé son portrait dans son cœur ; quelle folie de nourrir une passion inutile avec de pareils souvenirs !

— Et avec quoi voulez-vous donc que je vive ? je n’ai que des souvenirs, moi. C’est mon bonheur, mon trésor, mon espérance. Chaque fois que je vous vois, c’est un diamant de plus que je renferme dans l’écrin de mon cœur. Celui-ci est le quatrième que vous laissez tomber et que je ramasse ; car en trois ans, madame, je ne vous ai vue que quatre fois : cette première que je viens de vous dire, la seconde chez madame de Chevreuse, la troisième dans les jardins d’Amiens…

— Duc, dit la reine en rougissant, ne parlez pas de cette soirée.

— Oh ! parlons-en, au contraire, madame, parlons-en : c’est la soirée heureuse et rayonnante de ma vie. Vous rappelez-vous la belle nuit qu’il faisait ? Comme l’air était doux et parfumé, comme le ciel était bleu et tout émaillé d’étoiles ! Ah ! cette fois, madame, j’avais pu être un instant seul avec vous ; cette fois, vous étiez prête à tout me dire, l’isolement de votre vie, les chagrins de votre cœur. Vous étiez appuyée à mon bras, tenez, à celui-ci. Je sentais, en inclinant ma tête à votre côté, vos beaux cheveux effleurer mon visage, et chaque fois qu’ils l’effleuraient je frissonnais de la tête aux pieds. Oh ! reine, reine ! oh ! vous ne savez pas tout ce qu’il y a de félicités du ciel, de joies du paradis enfermées dans un moment pareil. Tenez, mes biens, ma fortune, ma gloire, tout ce qu’il me reste de jours à vivre, pour un pareil instant et pour une semblable nuit ; car, cette nuit-là, madame, cette nuit-là vous m’aimiez, je vous le jure.

— Milord, il est possible, oui, que l’influence du lieu, que le charme de cette belle soirée, que la fascination de votre regard, que ces mille circonstances enfin qui se réunissent parfois pour perdre une femme se soient groupées autour de moi dans cette fatale soirée ; mais vous l’avez vu, Milord, la reine est venue au secours de la femme qui faiblissait : au premier mot que vous avez osé dire, à la première hardiesse à laquelle j’ai eu à répondre, j’ai appelé.

— Oh ! oui, oui, cela est vrai, et un autre amour que le mien aurait succombé à cette épreuve ; mais mon amour, à moi, en est sorti plus ardent et plus éternel. Vous avez cru me fuir en revenant à Paris, vous avez cru que je n’oserais quitter le trésor sur lequel mon maître m’avait chargé de veiller. Ah ! que m’importent à moi tous les trésors du monde et tous les rois de la terre ! Huit jours après, j’étais de retour, madame. Cette fois, vous n’avez rien eu à me dire ; j’avais risqué ma faveur, ma vie, pour vous voir une seconde, je n’ai pas même touché votre main ; et vous m’avez pardonné en me voyant si soumis et si repentant.

— Oui, mais la calomnie s’est emparée de toutes ces folies dans lesquelles je n’étais pour rien, vous le savez bien, Milord. Le roi, excité par M. le cardinal, a fait un éclat terrible : madame de Vernet a été chassée, Putange exilé, madame de Chevreuse est tombée en défaveur, et lorsque vous avez voulu revenir comme ambassadeur en France, le roi lui-même, souvenez-vous-en, Milord, le roi lui-même s’y est opposé.

— Oui, et la France va payer d’une guerre le refus de son roi. Je ne puis plus vous voir, madame ; eh bien, je veux chaque jour que vous entendiez parler de moi. Quel but pensez-vous qu’aient eu cette expédition de Ré et cette ligue avec les protestants de La Rochelle que je projette ? Le plaisir de vous voir ! Je n’ai pas l’espoir de pénétrer à main armée jusqu’à Paris, je le sais bien, mais cette guerre pourra amener une paix, cette paix nécessitera un négociateur, ce négociateur ce sera moi. On n’osera plus me refuser alors, et je reviendrai à Paris, et je vous reverrai, et je serai heureux un instant. Des milliers d’hommes, il est vrai, auront payé mon bonheur de leur vie ; mais que m’importera, à moi, pourvu que je vous revoie ! Tout cela est peut-être bien fou, peut-être bien insensé ; mais, dites-moi, quelle femme a un amant plus amoureux ? quelle reine a eu un serviteur plus ardent ?

— Milord, Milord, vous invoquez pour votre défense des choses qui vous accusent encore ; Milord, toutes ces preuves d’amour que vous voulez me donner sont presque des crimes.

— Parce que vous ne m’aimez pas, madame ; si vous m’aimiez, vous verriez tout cela autrement, si vous m’aimiez, oh ! mais, si vous m’aimiez, ce serait trop de bonheur et je deviendrais fou. Ah ! madame de Chevreuse dont vous parliez tout à l’heure, madame de Chevreuse a été moins cruelle que vous ; Holland l’a aimée, et elle a répondu à son amour.

— Madame de Chevreuse n’était pas reine, murmura Anne d’Autriche, vaincue malgré elle par l’expression d’un amour si profond.

— Vous m’aimeriez donc si vous ne l’étiez pas, vous, madame, dites, vous m’aimeriez donc ? Je puis donc croire que c’est la dignité seule de votre rang qui vous fait cruelle pour moi ; je puis donc croire que si vous eussiez été madame de Chevreuse, le pauvre Buckingham aurait pu espérer ? Merci de ces douces paroles, ô ma belle Majesté, cent fois merci.

— Ah ! Milord, vous avez mal entendu, mal interprété ; je n’ai pas voulu dire…

— Silence ! Silence ! dit le duc, si je suis heureux d’une erreur, n’ayez pas la cruauté de me l’enlever. Vous l’avez dit vous-même, on m’a attiré dans un piège, j’y laisserai ma vie peut-être, car, tenez, c’est étrange, depuis quelque temps j’ai des pressentiments que je vais mourir. Et le duc sourit d’un sourire triste et charmant à la fois.

— Oh ! mon Dieu ! s’écria Anne d’Autriche avec un accent d’effroi qui prouvait quel intérêt plus grand qu’elle ne le voulait dire elle prenait au duc.

— Je ne vous dis point cela pour vous effrayer, madame, non ; c’est même ridicule ce que je vous dis, et croyez que je ne me préoccupe point de pareils rêves. Mais ce mot que vous venez de dire, cette espérance que vous m’avez presque donnée, aura tout payé, fût-ce même ma vie.

— Eh bien, dit Anne d’Autriche, moi aussi, duc, moi, j’ai des pressentiments, moi aussi j’ai des rêves. J’ai songé que je vous voyais couché sanglant, frappé d’une blessure.

— Au côté gauche, n’est-ce pas, avec un couteau ? interrompit Buckingham.

— Oui, c’est cela, Milord, c’est cela, au côté gauche avec un couteau. Qui a pu vous dire que j’avais fait ce rêve ? Je ne l’ai confié qu’à Dieu, et encore dans mes prières.

— Je n’en veux pas davantage, et vous m’aimez, madame ; c’est bien.

— Je vous aime, moi ?

— Oui, vous. Dieu vous enverrait-il les mêmes rêves qu’à moi, si vous ne m’aimiez pas ? Aurions-nous les mêmes pressentiments, si nos deux existences ne se touchaient pas par le cœur ? Vous m’aimez, ô reine, et vous me pleurerez !

— Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria Anne d’Autriche, c’est plus que je n’en puis supporter. Tenez, duc, au nom du Ciel, partez, retirez-vous ; je ne sais si je vous aime, ou si je ne vous aime pas ; mais ce que je sais, c’est que je ne serai point parjure. Prenez donc pitié de moi, et partez. Oh ! si vous êtes frappé en France, si vous mourez en France, si je pouvais supposer que votre amour pour moi fût cause de votre mort, je ne me consolerais jamais, j’en deviendrais folle. Partez donc, partez, je vous en supplie.

— Oh ! que vous êtes belle ainsi ! Oh ! que je vous aime ! dit Buckingham.

— Partez ! partez ! je vous en supplie, et revenez plus tard ; — revenez comme ambassadeur, revenez comme ministre, revenez entouré de gardes qui vous défendront, de serviteurs qui veilleront sur vous, et alors je ne craindrai plus pour vos jours, et j’aurai du bonheur à vous revoir.

— Oh ! est-ce bien vrai ce que vous me dites ?

— Oui…

— Eh bien, un gage de votre indulgence, un objet qui vienne de vous et qui me rappelle que je n’ai point fait un rêve ; quelque chose que vous ayez porté et que je puisse porter à mon tour, une bague, un collier, une chaîne.

— Et partirez-vous, partirez-vous, si je vous donne ce que vous me demandez ?

— Oui.

— À l’instant même ?

— Oui.

— Vous quitterez la France, vous retournerez en Angleterre ?

— Oui, je vous le jure !

— Attendez, alors, attendez.

Et Anne d’Autriche rentra dans son appartement et en sortit presque aussitôt, tenant à la main un petit coffret en bois de rose à son chiffre, tout incrusté d’or.

— Tenez, Milord duc, tenez, dit-elle, gardez cela en mémoire de moi.

Buckingham prit le coffret et tomba une seconde fois à genoux.

— Vous m’avez promis de partir, dit la reine.

— Et je tiens ma parole. Votre main, votre main, madame, et je pars.

Anne d’Autriche tendit sa main en fermant les yeux et en s’appuyant de l’autre sur Estefania, car elle sentait que les forces allaient lui manquer.

Buckingham appuya avec passion ses lèvres sur cette belle main, puis se relevant :

— Avant six mois, dit-il, si je ne suis pas mort, je vous aurai revue, madame, dussé-je bouleverser le monde pour cela.

Et, fidèle à la promesse qu’il avait faite, il s’élança hors de l’appartement.

Dans le corridor, il rencontra madame Bonacieux qui l’attendait, et qui, avec les mêmes précautions et le même bonheur, le reconduisit hors du Louvre.

MONSIEUR BONACIEUX

Il y avait dans tout cela, comme on a pu le remarquer, un personnage dont, malgré sa position précaire, on n’avait paru s’inquiéter que fort médiocrement ; ce personnage était M. Bonacieux, respectable martyr des intrigues politiques et amoureuses qui s’enchevêtraient si bien les unes aux autres, dans cette époque à la fois si chevaleresque et si galante.

Heureusement, le lecteur se le rappelle ou ne se le rappelle pas, heureusement que nous avons promis de ne pas le perdre de vue.

Les estafiers qui l’avaient arrêté le conduisirent droit à la Bastille, où on le fit passer tout tremblant devant un peloton de soldats qui chargeaient leurs mousquets.

De là, introduit dans une galerie demi-souterraine, il fut, de la part de ceux qui l’avaient amené, l’objet des plus grossières injures et des plus farouches traitements. Les sbires voyaient qu’ils n’avaient pas affaire à un gentilhomme, et ils le traitaient en véritable croquant.

Au bout d’une demi-heure à peu près, un greffier vint mettre fin à ses tortures, mais non pas à ses inquiétudes, en donnant l’ordre de conduire M. Bonacieux dans la chambre des interrogatoires. Ordinairement on interrogeait les prisonniers chez eux, mais avec M. Bonacieux on n’y faisait pas tant de façons.

Deux gardes s’emparèrent du mercier, lui firent traverser une cour, le firent entrer dans un corridor où il y avait trois sentinelles, ouvrirent une porte et le poussèrent dans une chambre basse, où il n’y avait pour tous meubles qu’une table, une chaise et un commissaire. Le commissaire était assis sur la chaise et occupé à écrire sur la table.

Les deux gardes conduisirent le prisonnier devant la table et, sur un signe du commissaire, s’éloignèrent hors de la portée de la voix.

Le commissaire, qui jusque-là avait tenu sa tête baissée sur ses papiers, la releva pour voir à qui il avait affaire. Ce commissaire était un homme à la mine rébarbative, au nez pointu, aux pommettes jaunes et saillantes, aux yeux petits mais investigateurs et vifs, à la physionomie tenant à la fois de la fouine et du renard. Sa tête, supportée par un cou long et mobile, sortait de sa large robe noire en se balançant avec un mouvement à peu près pareil à celui de la tortue tirant sa tête hors de sa carapace.

Il commença par demander à M. Bonacieux ses nom et prénoms, son âge, son état et son domicile.

L’accusé répondit qu’il s’appelait Jacques-Michel Bonacieux, qu’il était âgé de cinquante et un ans, mercier retiré et qu’il demeurait rue des Fossoyeurs, n° 11.

Le commissaire alors, au lieu de continuer à l’interroger, lui fit un grand discours sur le danger qu’il y a pour un bourgeois obscur à se mêler des choses publiques.

Il compliqua cet exorde d’une exposition dans laquelle il raconta la puissance et les actes de M. le cardinal, ce ministre incomparable, ce vainqueur des ministres passés, cet exemple des ministres à venir : actes et puissance que nul ne contrecarrait impunément.

Après cette deuxième partie de son discours, fixant son regard d’épervier sur le pauvre Bonacieux, il l’invita à réfléchir à la gravité de sa situation.

Les réflexions du mercier étaient toutes faites : il donnait au diable l’instant où M. de La Porte avait eu l’idée de le marier avec sa filleule, et l’instant surtout où cette filleule avait été reçue dame de la lingerie chez la reine.

Le fond du caractère de maître Bonacieux était un profond égoïsme mêlé à une avarice sordide, le tout assaisonné d’une poltronnerie extrême. L’amour que lui avait inspiré sa jeune femme, étant un sentiment tout secondaire, ne pouvait lutter avec les sentiments primitifs que nous venons d’énumérer.

Bonacieux réfléchit, en effet, sur ce qu’on venait de lui dire.

— Mais, monsieur le commissaire, dit-il timidement, croyez bien que je connais et que j’apprécie plus que personne le mérite de l’incomparable Éminence par laquelle nous avons l’honneur d’être gouvernés.

— Vraiment ? demanda le commissaire d’un air de doute ; mais s’il en était véritablement ainsi, comment seriez-vous à la Bastille ?

— Comment j’y suis, ou plutôt pourquoi j’y suis, répliqua M. Bonacieux, voilà ce qu’il m’est parfaitement impossible de vous dire, vu que je l’ignore moi-même ; mais, à coup sûr, ce n’est pas pour avoir désobligé, sciemment du moins, M. le cardinal.

— Il faut cependant que vous ayez commis un crime, puisque vous êtes ici accusé de haute trahison.

— De haute trahison ! s’écria Bonacieux épouvanté, de haute trahison ! et comment voulez-vous qu’un pauvre mercier qui déteste les huguenots et qui abhorre les Espagnols soit accusé de haute trahison ? Réfléchissez, monsieur, la chose est matériellement impossible.

— Monsieur Bonacieux, dit le commissaire en regardant l’accusé comme si ses petits yeux avaient la faculté de lire jusqu’au plus profond des cœurs, monsieur Bonacieux, vous avez une femme ?

— Oui, monsieur, répondit le mercier tout tremblant, sentant que c’était là où les affaires allaient s’embrouiller ; c’est-à-dire, j’en avais une.

— Comment ? vous en aviez une ! qu’en avez-vous fait, si vous ne l’avez plus ?

— On me l’a enlevée, monsieur.

— On vous l’a enlevée ? dit le commissaire. Ah !

Bonacieux sentit à ce ah ! que l’affaire s’embrouillait de plus en plus.

— On vous l’a enlevée ! reprit le commissaire, et savez-vous quel est l’homme qui a commis ce rapt ?

— Je crois le connaître.

— Quel est-il ?

— Songez que je n’affirme rien, monsieur le commissaire, et que je soupçonne seulement.

— Qui soupçonnez-vous ? Voyons, répondez franchement.

M. Bonacieux était dans la plus grande perplexité : devait-il tout nier ou tout dire ? En niant tout, on pouvait croire qu’il en savait trop long pour avouer ; en disant tout, il faisait preuve de bonne volonté. Il se décida donc à tout dire.

— Je soupçonne, dit-il, un grand brun, de haute mine, lequel a tout à fait l’air d’un grand seigneur ; il nous a suivis plusieurs fois, à ce qu’il m’a semblé, quand j’attendais ma femme devant le guichet du Louvre pour la ramener chez moi.

Le commissaire parut éprouver quelque inquiétude.

— Et son nom ? dit-il.

— Oh ! quant à son nom, je n’en sais rien, mais si je le rencontre jamais, je le reconnaîtrai à l’instant même, je vous en réponds, fût-il entre mille personnes.

Le front du commissaire se rembrunit.

— Vous le reconnaîtriez entre mille, dites-vous ? continua-t-il…

— C’est-à-dire, reprit Bonacieux, qui vit qu’il avait fait fausse route, c’est-à-dire…

— Vous avez répondu que vous le reconnaîtriez, dit le commissaire ; c’est bien, en voici assez pour aujourd’hui ; il faut, avant que nous allions plus loin, que quelqu’un soit prévenu que vous connaissez le ravisseur de votre femme.

— Mais je ne vous ai pas dit que je le connaissais ! s’écria Bonacieux au désespoir. Je vous ai dit au contraire…

— Emmenez le prisonnier, dit le commissaire aux deux gardes.

— Et où faut-il le conduire ? demanda le greffier.

— Dans un cachot.

— Dans lequel ?

— Oh ! mon Dieu, dans le premier venu, pourvu qu’il ferme bien, répondit le commissaire avec une indifférence qui pénétra d’horreur le pauvre Bonacieux.

— Hélas ! hélas ! se dit-il, le malheur est sur ma tête ; ma femme aura commis quelque crime effroyable ; on me croit son complice, et l’on me punira avec elle : elle en aura parlé, elle aura avoué qu’elle m’avait tout dit ; une femme, c’est si faible ! Un cachot, le premier venu ! c’est cela ! une nuit est bientôt passée ; et demain, à la roue, à la potence ! Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! ayez pitié de moi !

Sans écouter le moins du monde les lamentations de maître Bonacieux, lamentations auxquelles d’ailleurs ils devaient être habitués, les deux gardes prirent le prisonnier par un bras, et l’emmenèrent, tandis que le commissaire écrivait en hâte une lettre que son greffier attendait.

Bonacieux ne ferma pas l’œil, non pas que son cachot fût par trop désagréable, mais parce que ses inquiétudes étaient trop grandes. Il resta toute la nuit sur son escabeau, tressaillant au moindre bruit ; et quand les premiers rayons du jour se glissèrent dans sa chambre, l’aurore lui parut avoir pris des teintes funèbres.

Tout à coup, il entendit tirer les verrous, et il fit un soubresaut terrible. Il croyait qu’on venait le chercher pour le conduire à l’échafaud ; aussi, lorsqu’il vit purement et simplement paraître, au lieu de l’exécuteur qu’il attendait, son commissaire et son greffier de la veille, il fut tout près de leur sauter au cou.

— Votre affaire s’est fort compliquée depuis hier au soir, mon brave homme, lui dit le commissaire, et je vous conseille de dire toute la vérité ; car votre repentir peut seul conjurer la colère du cardinal.

— Mais je suis prêt à tout dire, s’écria Bonacieux, du moins tout ce que je sais. Interrogez, je vous prie.

— Où est votre femme, d’abord ?

— Mais puisque je vous ai dit qu’on me l’avait enlevée.

— Oui, mais depuis hier cinq heures de l’après-midi, grâce à vous, elle s’est échappée.

— Ma femme s’est échappée ! s’écria Bonacieux. Oh ! la malheureuse ! monsieur, si elle s’est échappée, ce n’est pas ma faute, je vous le jure.

— Qu’alliez-vous donc alors faire chez M. d’Artagnan votre voisin, avec lequel vous avez eu une longue conférence dans la journée ?

— Ah ! oui, monsieur le commissaire, oui, cela est vrai, et j’avoue que j’ai eu tort. J’ai été chez M. d’Artagnan.

— Quel était le but de cette visite ?

— De le prier de m’aider à retrouver ma femme. Je croyais que j’avais droit de la réclamer ; je me trompais, à ce qu’il paraît, et je vous en demande bien pardon.

— Et qu’a répondu M. d’Artagnan ?

— M. d’Artagnan m’a promis son aide ; mais je me suis bientôt aperçu qu’il me trahissait.

— Vous en imposez à la justice ! M. d’Artagnan a fait un pacte avec vous, et en vertu de ce pacte il a mis en fuite les hommes de police qui avaient arrêté votre femme, et l’a soustraite à toutes les recherches.

— M. d’Artagnan a enlevé ma femme ! Ah çà, mais que me dites-vous là ?

— Heureusement M. d’Artagnan est entre nos mains, et vous allez lui être confronté.

— Ah ! ma foi, je ne demande pas mieux, s’écria Bonacieux ; je ne serais pas fâché de voir une figure de connaissance.

— Faites entrer M. d’Artagnan, dit le commissaire aux deux gardes.

Les deux gardes firent entrer Athos.

— Monsieur d’Artagnan, dit le commissaire en s’adressant à Athos, déclarez ce qui s’est passé entre vous et monsieur.

— Mais ! s’écria Bonacieux, ce n’est pas M. d’Artagnan que vous me montrez là !

— Comment ! ce n’est pas M. d’Artagnan ? s’écria le commissaire.

— Pas le moins du monde, répondit Bonacieux.

— Comment se nomme monsieur ? demanda le commissaire.

— Je ne puis vous le dire, je ne le connais pas.

— Comment ! vous ne le connaissez pas ?

— Non.

— Vous ne l’avez jamais vu ?

— Si fait ; mais je ne sais comment il s’appelle.

— Votre nom ? demanda le commissaire.

— Athos, répondit le mousquetaire.

— Mais ce n’est pas un nom d’homme, ça, c’est un nom de montagne ! s’écria le pauvre interrogateur qui commençait à perdre la tête.

— C’est mon nom, dit tranquillement Athos.

— Mais vous avez dit que vous vous nommiez d’Artagnan.

— Moi ?

— Oui, vous.

— C’est-à-dire que c’est à moi qu’on a dit : Vous êtes M. d’Artagnan ? J’ai répondu : Vous croyez ? Mes gardes se sont écriés qu’ils en étaient sûrs. Je n’ai pas voulu les contrarier. D’ailleurs, je pouvais me tromper.

— Monsieur, vous insultez à la majesté de la justice.

— Aucunement, fit tranquillement Athos.

— Vous êtes M. d’Artagnan.

— Vous voyez bien que vous me le dites encore.

— Mais, s’écria à son tour M. Bonacieux, je vous dis, monsieur le commissaire, qu’il n’y a pas un instant de doute à avoir. M. d’Artagnan est mon hôte, et par conséquent, quoiqu’il ne me paie pas mes loyers, et justement même à cause de cela, je dois le connaître. M. d’Artagnan est un jeune homme de dix-neuf à vingt ans à peine, et monsieur en a trente au moins. M. d’Artagnan est dans les gardes de M. des Essarts, et monsieur est dans la compagnie des mousquetaires de M. de Tréville : regardez l’uniforme, monsieur le commissaire, regardez l’uniforme.

— C’est vrai, murmura le commissaire ; c’est pardieu vrai.

En ce moment la porte s’ouvrit vivement, et un messager, introduit par un des guichetiers de la Bastille, remit une lettre au commissaire.

— Oh ! la malheureuse ! s’écria le commissaire.

— Comment ? que dites-vous ? de qui parlez-vous ? Ce n’est pas de ma femme, j’espère !

— Au contraire, c’est d’elle. Votre affaire est bonne, allez.

— Ah çà, s’écria le mercier exaspéré, faites-moi le plaisir de me dire, monsieur, comment mon affaire à moi peut s’empirer de ce que fait ma femme pendant que je suis en prison !

— Parce que ce qu’elle fait est la suite d’un plan arrêté entre vous, plan infernal !

— Je vous jure, monsieur le commissaire, que vous êtes dans la plus profonde erreur, que je ne sais rien au monde de ce que devait faire ma femme, que je suis entièrement étranger à ce qu’elle a fait, et que, si elle a fait des sottises, je la renie, je la démens, je la maudis.

— Ah çà, dit Athos au commissaire, si vous n’avez plus besoin de moi ici, renvoyez-moi quelque part, il est très ennuyeux, votre monsieur Bonacieux.

— Reconduisez les prisonniers dans leurs cachots, dit le commissaire en désignant d’un même geste Athos et Bonacieux, et qu’ils soient gardés plus sévèrement que jamais.

— Cependant, dit Athos avec son calme habituel, si c’est à M. d’Artagnan que vous avez affaire, je ne vois pas trop en quoi je puis le remplacer.

— Faites ce que j’ai dit ! s’écria le commissaire, et le secret le plus absolu. Vous entendez !

Athos suivit ses gardes en levant les épaules, et M. Bonacieux en poussant des lamentations à fendre le cœur d’un tigre.

On ramena le mercier dans le même cachot où il avait passé la nuit, et l’on l’y laissa toute la journée. Toute la journée Bonacieux pleura comme un véritable mercier, n’étant pas du tout homme d’épée, il nous l’a dit lui-même.

Le soir, vers les neuf heures, au moment où il allait se décider à se mettre au lit, il entendit des pas dans son corridor. Ces pas se rapprochèrent de son cachot, sa porte s’ouvrit, des gardes parurent.

— Suivez-moi, dit un exempt qui venait à la suite des gardes.

— Vous suivre ! s’écria Bonacieux ; vous suivre à cette heure-ci ! et où cela, mon Dieu ?

— Où nous avons l’ordre de vous conduire.

— Mais ce n’est pas une réponse, cela.

— C’est cependant la seule que nous puissions vous faire.

— Ah ! mon Dieu, mon Dieu, murmura le pauvre mercier, pour cette fois je suis perdu !

Et il suivit machinalement et sans résistance les gardes qui venaient le quérir.

Il prit le même corridor qu’il avait déjà pris, traversa une première cour, puis un second corps de logis ; enfin, à la porte de la cour d’entrée, il trouva une voiture entourée de quatre gardes à cheval. On le fit monter dans cette voiture, l’exempt se plaça près de lui, on ferma la portière à clef, et tous deux se trouvèrent dans une prison roulante.

La voiture se mit en mouvement, lente comme un char funèbre. À travers la grille cadenassée, le prisonnier apercevait les maisons et le pavé, voilà tout ; mais, en véritable Parisien qu’il était, Bonacieux reconnaissait chaque rue aux bornes, aux enseignes, aux réverbères. Au moment d’arriver à Saint-Paul, lieu où l’on exécutait les condamnés de la Bastille, il faillit s’évanouir et se signa deux fois. Il avait cru que la voiture devait s’arrêter là. La voiture passa cependant.

Plus loin, une grande terreur le prit encore, ce fut en côtoyant le cimetière Saint-Jean où on enterrait les criminels d’État. Une seule chose le rassura un peu, c’est qu’avant de les enterrer on leur coupait généralement la tête, et que sa tête à lui était encore sur ses épaules. Mais lorsqu’il vit que la voiture prenait la route de la Grève, qu’il aperçut les toits aigus de l’Hôtel de Ville, que la voiture s’engagea sous l’arcade, il crut que tout était fini pour lui, voulut se confesser à l’exempt, et, sur son refus, poussa des cris si pitoyables que l’exempt annonça que, s’il continuait à l’assourdir ainsi, il lui mettrait un bâillon. Cette menace rassura quelque peu Bonacieux : si l’on eût dû l’exécuter en Grève, ce n’était pas la peine de le bâillonner, puisqu’on était presque arrivé au lieu de l’exécution. En effet, la voiture traversa la place fatale sans s’arrêter. Il ne restait plus à craindre que la Croix-du-Trahoir : la voiture en prit justement le chemin.

Cette fois, il n’y avait plus de doute, c’était à la Croix-du-Trahoir qu’on exécutait les criminels subalternes. Bonacieux s’était flatté en se croyant digne de Saint-Paul ou de la place de Grève. C’était à la Croix-du-Trahoir qu’allaient finir son voyage et sa destinée ! Il ne pouvait voir encore cette malheureuse croix, mais il la sentait en quelque sorte venir au-devant de lui. Lorsqu’il n’en fut plus qu’à une vingtaine de pas, il entendit une rumeur, et la voiture s’arrêta. C’était plus que n’en pouvait supporter le pauvre Bonacieux, déjà écrasé par les émotions successives qu’il avait éprouvées ; il poussa un faible gémissement, qu’on eût pu prendre pour le dernier soupir d’un moribond, et il s’évanouit.

L’HOMME DE MEUNG

Ce rassemblement était produit non point par l’attente d’un homme qu’on devait pendre, mais par la contemplation d’un pendu. La voiture, arrêtée un instant, reprit donc sa marche, traversa la foule, continua son chemin, enfila la rue Saint-Honoré, tourna la rue des Bons-Enfants et s’arrêta devant une porte basse.

La porte s’ouvrit ; deux gardes reçurent dans leurs bras Bonacieux, soutenu par l’exempt ; on le poussa dans une allée, on lui fit monter un escalier, et on le déposa dans une antichambre. Tous ces mouvements s’étaient opérés pour lui d’une façon machinale. Il avait marché comme on marche en rêve ; il avait entrevu les objets à travers un brouillard ; ses oreilles avaient perçu des sons sans les comprendre ; on eût pu l’exécuter dans ce moment qu’il n’eût pas fait un geste pour entreprendre sa défense, qu’il n’eût pas poussé un cri pour implorer la pitié.

Il resta donc ainsi sur la banquette, le dos appuyé au mur et les bras pendants, à l’endroit même où les gardes l’avaient déposé.

Cependant, comme, en regardant autour de lui, il ne voyait aucun objet menaçant, comme rien n’indiquait qu’il courût un danger réel, comme la banquette était convenablement rembourrée, comme la muraille était recouverte d’un beau cuir de Cordoue, comme de grands rideaux de damas rouge flottaient devant la fenêtre, retenus par des embrasses d’or, il comprit peu à peu que sa frayeur était exagérée, et il commença de remuer la tête à droite et à gauche et de bas en haut. À ce mouvement, auquel personne ne s’opposa, il reprit un peu de courage et se risqua à ramener une jambe, puis l’autre ; enfin, en s’aidant de ses deux mains, il se souleva sur sa banquette et se trouva sur ses pieds.

En ce moment, un officier de bonne mine ouvrit une portière, continua d’échanger encore quelques paroles avec une personne qui se trouvait dans la pièce voisine, et se retournant vers le prisonnier :

— C’est vous qui vous nommez Bonacieux ? dit-il.

— Oui, monsieur l’officier, balbutia le mercier, plus mort que vif, pour vous servir.

— Entrez, dit l’officier.

Et il s’effaça pour que le mercier pût passer. Celui-ci obéit sans réplique, et entra dans la chambre où il paraissait être attendu.

C’était un grand cabinet, aux murailles garnies d’armes offensives et défensives, clos et étouffé, et dans lequel il y avait déjà du feu, quoique l’on fût à peine à la fin du mois de septembre. Une table carrée, couverte de livres et de papiers sur lesquels était déroulé un plan immense de la ville de La Rochelle, tenait le milieu de l’appartement. Debout devant la cheminée était un homme de moyenne taille, à la mine haute et fière, aux yeux perçants, au front large, à la figure amaigrie qu’allongeait encore une royale surmontée d’une paire de moustaches. Quoique cet homme eût trente-six à trente-sept ans à peine, cheveux, moustache et royale s’en allaient grisonnant. Cet homme, moins l’épée, avait toute la mine d’un homme de guerre, et ses bottes de buffle encore légèrement couvertes de poussière indiquaient qu’il avait monté à cheval dans la journée.

Cet homme, c’était Armand-Jean Duplessis, cardinal de Richelieu, non point tel qu’on nous le représente, cassé comme un vieillard, souffrant comme un martyr, le corps brisé, la voix éteinte, enterré dans un grand fauteuil comme dans une tombe anticipée, ne vivant plus que par la force de son génie, et ne soutenant plus la lutte avec l’Europe que par l’éternelle application de sa pensée, mais tel qu’il était réellement à cette époque, c’est-à-dire adroit et galant cavalier, faible de corps déjà, mais soutenu par cette puissance morale qui a fait de lui un des hommes les plus extraordinaires qui aient existé ; se préparant enfin, après avoir soutenu le duc de Nevers dans son duché de Mantoue, après avoir pris Nîmes, Castres et Uzès, à chasser les Anglais de l’île de Ré et à faire le siège de La Rochelle.

À la première vue, rien ne dénotait donc le cardinal, et il était impossible à ceux-là qui ne connaissaient point son visage de deviner devant qui ils se trouvaient.

Le pauvre mercier demeura debout à la porte, tandis que les yeux du personnage que nous venons de décrire se fixaient sur lui, et semblaient vouloir pénétrer jusqu’au fond du passé.

— C’est là ce Bonacieux ? demanda-t-il après un moment de silence.

— Oui, Monseigneur, reprit l’officier.

— C’est bien, donnez-moi ces papiers et laissez-nous.

L’officier prit sur la table les papiers désignés, les remit à celui qui les demandait, s’inclina jusqu’à terre, et sortit.

Bonacieux reconnut dans ces papiers ses interrogatoires de la Bastille. De temps en temps, l’homme de la cheminée levait les yeux de dessus les écritures, et les plongeait comme deux poignards jusqu’au fond du cœur du pauvre mercier.

Au bout de dix minutes de lecture et dix secondes d’examen, le cardinal était fixé.

— Cette tête-là n’a jamais conspiré, murmura-t-il ; mais n’importe, voyons toujours.

— Vous êtes accusé de haute trahison, dit lentement le cardinal.

— C’est ce qu’on m’a déjà appris, Monseigneur, s’écria Bonacieux, donnant à son interrogateur le titre qu’il avait entendu l’officier lui donner ; mais je vous jure que je n’en savais rien.

Le cardinal réprima un sourire.

— Vous avez conspiré avec votre femme, avec madame de Chevreuse et avec Milord duc de Buckingham.

— En effet, Monseigneur, répondit le mercier, je l’ai entendue prononcer tous ces noms-là.

— Et à quelle occasion ?

— Elle disait que le cardinal de Richelieu avait attiré le duc de Buckingham à Paris pour le perdre et pour perdre la reine avec lui.

— Elle disait cela ? s’écria le cardinal avec violence.

— Oui, Monseigneur ; mais moi je lui ai dit qu’elle avait tort de tenir de pareils propos, et que Son Éminence était incapable…

— Taisez-vous, vous êtes un imbécile, reprit le cardinal.

— C’est justement ce que ma femme m’a répondu, Monseigneur.

— Savez-vous qui a enlevé votre femme ?

— Non, Monseigneur.

— Vous avez des soupçons, cependant ?

— Oui, Monseigneur ; mais ces soupçons ont paru contrarier M. le commissaire, et je ne les ai plus.

— Votre femme s’est échappée, le saviez-vous ?

— Non, Monseigneur, je l’ai appris depuis que je suis en prison, et toujours par l’entremise de M. le commissaire, un homme bien aimable !

Le cardinal réprima un second sourire.

— Alors vous ignorez ce que votre femme est devenue depuis sa fuite ?

— Absolument, Monseigneur ; mais elle a dû rentrer au Louvre.

— À une heure du matin elle n’y était pas rentrée encore.

— Ah ! mon Dieu ! mais qu’est-elle devenue alors ?

— On le saura, soyez tranquille ; on ne cache rien au cardinal ; le cardinal sait tout.

— En ce cas, Monseigneur, est-ce que vous croyez que le cardinal consentira à me dire ce qu’est devenue ma femme ?

— Peut-être ; mais il faut d’abord que vous avouiez tout ce que vous savez relativement aux relations de votre femme avec madame de Chevreuse.

— Mais, Monseigneur, je n’en sais rien ; je ne l’ai jamais vue.

— Quand vous alliez chercher votre femme au Louvre, revenait-elle directement chez vous ?

— Presque jamais, elle avait affaire à des marchands de toile, chez lesquels je la conduisais.

— Et combien y en avait-il de marchands de toile ?

— Deux, Monseigneur.

— Où demeurent-ils ?

— Un, rue de Vaugirard ; l’autre, rue de La Harpe.

— Entriez-vous chez eux avec elle ?

— Jamais, monseigneur, je l’attendais à la porte.

— Et quel prétexte vous donnait-elle pour entrer ainsi toute seule ?

— Elle ne m’en donnait pas, elle me disait d’attendre, et j’attendais.

— Vous êtes un mari complaisant, mon cher monsieur Bonacieux, dit le cardinal

— Il m’appelle son cher monsieur ! dit en lui-même le mercier. Peste ! les affaires vont bien !

— Reconnaîtriez-vous ces portes ?

— Oui.

— Savez-vous les numéros ?

— Oui.

— Quels sont-ils ?

— N° 25, dans la rue de Vaugirard ; n° 75, dans la rue de La Harpe.

— C’est bien, dit le cardinal.

À ces mots, il prit une sonnette d’argent, et sonna ; l’officier rentra.

— Allez, dit-il à demi-voix, me chercher Rochefort ; et qu’il vienne à l’instant même, s’il est rentré.

— Le comte est là, dit l’officier, il demande instamment à parler à Votre Éminence !

— À Votre Éminence ! murmura Bonacieux, qui savait que tel était le titre qu’on donnait d’ordinaire au cardinal : à Votre Éminence !

— Qu’il vienne alors, qu’il vienne ! dit vivement Richelieu.

L’officier s’élança hors de l’appartement, avec cette rapidité que mettaient d’ordinaire tous les serviteurs du cardinal à lui obéir.

— À Votre Éminence ! murmurait Bonacieux en roulant des yeux égarés.

Cinq secondes ne s’étaient pas écoulées depuis la disparition de l’officier, que la porte s’ouvrit et qu’un nouveau personnage entra.

— C’est lui, s’écria Bonacieux.

— Qui lui ? demanda le cardinal.

— Celui qui m’a enlevé ma femme.

Le cardinal sonna une seconde fois. L’officier reparut.

— Remettez cet homme aux mains de ses deux gardes, et qu’il attende que je le rappelle devant moi.

— Non, Monseigneur ! non, ce n’est pas lui ! s’écria Bonacieux ; non, je m’étais trompé, c’est un autre qui ne lui ressemble pas du tout ! Monsieur est un honnête homme.

— Emmenez cet imbécile ! dit le cardinal.

L’officier prit Bonacieux sous le bras, et le reconduisit dans l’antichambre où il trouva ses deux gardes.

Le nouveau personnage qu’on venait d’introduire suivit des yeux avec impatience Bonacieux jusqu’à ce qu’il fût sorti, et dès que la porte se fut refermée sur lui :

— Ils se sont vus, dit-il en s’approchant vivement du cardinal.

— Qui ? demanda Son Éminence.

— Elle et lui.

— La reine et le duc ? s’écria Richelieu.

— Oui.

— Et où cela ?

— Au Louvre.

— Vous en êtes sûr ?

— Parfaitement sûr.

— Qui vous l’a dit ?

— Madame de Lannoy, qui est toute à Votre Éminence, comme vous le savez.

— Pourquoi ne l’a-t-elle pas dit plus tôt ?

— Soit hasard, soit défiance, la reine a fait coucher madame de Surgis dans sa chambre, et l’a gardée toute la journée.

— C’est bien, nous sommes battus. Tâchons de prendre notre revanche.

— Je vous y aiderai de toute mon âme, monseigneur, soyez tranquille.

— Comment cela s’est-il passé ?

— À minuit et demi, la reine était avec ses femmes.

— Où cela ?

— Dans sa chambre à coucher.

— Bien.

— Lorsqu’on est venu lui remettre un mouchoir de la part de sa dame de lingerie.

— Après ?

— Aussitôt la reine a manifesté une grande émotion, et, malgré le rouge dont elle avait le visage couvert, elle a pâli.

— Après, après ?

— Cependant, elle s’est levée, et d’une voix altérée : « Mesdames, a-t-elle dit, attendez-moi dix minutes, puis je reviens. » Et elle a ouvert la porte de son alcôve, puis elle est sortie.

— Pourquoi madame de Lannoy n’est-elle pas venue vous prévenir à l’instant même ?

— Rien n’était bien certain encore ; d’ailleurs, la reine avait dit : « Mesdames, attendez-moi, » et elle n’osait désobéir à la reine.

— Et combien de temps la reine est-elle restée hors de la chambre ?

— Trois quarts d’heure.

— Aucune de ses femmes ne l’accompagnait ?

— Dona Estefana seulement.

— Et elle est rentrée ensuite ?

— Oui, mais pour prendre un petit coffret de bois de rose à son chiffre, et sortir aussitôt.

— Et quand elle est rentrée, plus tard, a-t-elle rapporté le coffret ?

— Non.

— Madame de Lannoy savait-elle ce qu’il y avait dans ce coffret ?

— Oui : les ferrets en diamants que Sa Majesté a donnés à la reine.

— Et elle est rentrée sans ce coffret ?

— Oui.

— L’opinion de madame de Lannoy est qu’elle les a remis alors à Buckingham ?

— Elle en est sûre.

— Comment cela ?

— Pendant la journée, madame de Lannoy, en sa qualité de dame d’atour de la reine, a cherché ce coffret, a paru inquiète de ne pas le trouver et a fini par en demander des nouvelles à la reine.

— Et alors, la reine…

— La reine est devenue fort rouge et a répondu qu’ayant brisé la veille un de ses ferrets, elle l’avait envoyé raccommoder chez son orfèvre.

— Il faut y passer et s’assurer si la chose est vraie ou non.

— J’y suis passé.

— Eh bien ! l’orfèvre…

— L’orfèvre n’a entendu parler de rien.

— Bien ! bien ! Rochefort, tout n’est pas perdu, et peut-être… peut-être tout est-il pour le mieux !

— Le fait est que je ne doute pas que le génie de Votre Éminence…

— Ne répare les bêtises de mon agent, n’est-ce pas ?

— C’est justement ce que j’allais dire, si Votre Éminence m’avait laissé achever ma phrase.

— Maintenant, savez-vous où se cachaient la duchesse de Chevreuse et le duc de Buckingham ?

— Non, Monseigneur, mes gens n’ont pu rien me dire de positif là-dessus.

— Je le sais, moi.

— Vous, Monseigneur ?

— Oui, ou du moins je m’en doute. Ils se tenaient, l’un rue de Vaugirard, n° 25, et l’autre rue de La Harpe, n° 75.

— Votre Éminence veut-elle que je les fasse arrêter tous deux ?

— Il sera trop tard, ils seront partis.

— N’importe, on peut s’en assurer.

— Prenez dix hommes de mes gardes, et fouillez les deux maisons.

— J’y vais, monseigneur.

Et Rochefort s’élança hors de l’appartement.

Le cardinal, resté seul, réfléchit un instant et sonna une troisième fois.

Le même officier reparut.

— Faites entrer le prisonnier, dit le cardinal.

Maître Bonacieux fut introduit de nouveau, et, sur un signe du cardinal, l’officier se retira.

— Vous m’avez trompé, dit sévèrement le cardinal.

— Moi, s’écria Bonacieux, moi, tromper Votre Éminence !

— Votre femme, en allant rue de Vaugirard et rue de La Harpe, n’allait pas chez des marchands de toile.

— Et où allait-elle, juste Dieu ?

— Elle allait chez la duchesse de Chevreuse et chez le duc de Buckingham.

— Oui, dit Bonacieux rappelant tous ses souvenirs ; oui, c’est cela, Votre Éminence a raison. J’ai dit plusieurs fois à ma femme qu’il était étonnant que des marchands de toile demeurassent dans des maisons pareilles, dans des maisons qui n’avaient pas d’enseignes, et chaque fois ma femme s’est mise à rire. Ah ! monseigneur, continua Bonacieux en se jetant aux pieds de l’Éminence, ah ! que vous êtes bien le cardinal, le grand cardinal, l’homme de génie que tout le monde révère !

Le cardinal, tout médiocre qu’était le triomphe remporté sur un être aussi vulgaire que l’était Bonacieux, n’en jouit pas moins un instant ; puis, presque aussitôt, comme si une nouvelle pensée se présentait à son esprit, un sourire plissa ses lèvres, et tendant la main au mercier :

— Relevez-vous, mon ami, lui dit-il, vous êtes un brave homme.

— Le cardinal m’a touché la main ! j’ai touché la main du grand homme ! s’écria Bonacieux. Le grand homme m’a appelé son ami !

— Oui, mon ami ; oui ! dit le cardinal avec ce ton paterne qu’il savait prendre quelquefois, mais qui ne trompait que les gens qui ne le connaissaient pas ; et comme on vous a soupçonné injustement, eh bien, il vous faut une indemnité : tenez ! prenez ce sac de cent pistoles, et pardonnez-moi.

— Que je vous pardonne, monseigneur ! dit Bonacieux hésitant à prendre le sac, craignant sans doute que ce prétendu don ne fût qu’une plaisanterie. Mais vous étiez bien libre de me faire arrêter, vous êtes bien libre de me faire torturer, vous êtes bien libre de me faire pendre : vous êtes le maître, et je n’aurais pas eu le plus petit mot à dire. Vous pardonner, monseigneur ! Allons donc, vous n’y pensez pas !

— Ah ! mon cher monsieur Bonacieux ! vous y mettez de la générosité, je le vois, et je vous en remercie. Ainsi donc, vous prenez ce sac, et vous vous en allez sans être trop mécontent ?

— Je m’en vais enchanté, monseigneur.

— Adieu donc, ou plutôt à revoir, car j’espère que nous nous reverrons.

— Tant que monseigneur voudra, et je suis bien aux ordres de Son Éminence.

— Ce sera souvent, soyez tranquille, car j’ai trouvé un charme extrême à votre conversation.

— Oh ! monseigneur !

— Au revoir, monsieur Bonacieux, au revoir.

Et le cardinal lui fit un signe de la main, auquel Bonacieux répondit en s’inclinant jusqu’à terre ; puis il sortit à reculons, et quand il fut dans l’antichambre, le cardinal l’entendit qui, dans son enthousiasme, criait à tue-tête : Vive monseigneur ! vive Son Éminence ! vive le grand cardinal !

Le cardinal écouta en souriant cette brillante manifestation des sentiments enthousiastes de maître Bonacieux ; puis, quand les cris de Bonacieux se furent perdus dans l’éloignement :

— Bien, dit-il, voici désormais un homme qui se fera tuer pour moi.

Et le cardinal se mit à examiner avec la plus grande attention la carte de La Rochelle qui, ainsi que nous l’avons dit, était étendue sur son bureau, traçant avec un crayon la ligne où devait passer la fameuse digue qui, dix-huit mois plus tard, fermait le port de la cité assiégée.

Comme il en était au plus profond de ses méditations stratégiques, la porte se rouvrit, et Rochefort rentra.

— Eh bien ? dit vivement le cardinal en se levant avec une promptitude qui prouvait le degré d’importance qu’il attachait à la commission dont il avait chargé le comte.

— Eh bien, dit celui-ci, une jeune femme de vingt-six à vingt-huit ans et un homme de trente-cinq à quarante ans ont logé effectivement, l’un quatre jours et l’autre cinq, dans les maisons indiquées par Votre Éminence : mais la femme est partie cette nuit et l’homme ce matin.

— C’étaient eux ! s’écria le cardinal, qui regardait à la pendule ; et maintenant, continua-t-il, il est trop tard pour faire courir après ; la duchesse est à Tours, et le duc à Boulogne. C’est à Londres qu’il faut les rejoindre.

— Quels sont les ordres de Votre Éminence ?

— Pas un mot de ce qui s’est passé ; que la reine reste dans une sécurité parfaite ; qu’elle ignore que nous savons son secret ; qu’elle croie que nous sommes à la recherche d’une conspiration quelconque. Envoyez-moi le garde des sceaux Séguier.

— Et cet homme, qu’en a fait Votre Éminence ?

— Quel homme ? demanda le cardinal.

— Ce Bonacieux ?

— J’en ai fait tout ce qu’on pouvait en faire. J’en ai fait l’espion de sa femme.

Le comte de Rochefort s’inclina en homme qui reconnaît la grande supériorité du maître, et se retira.

Resté seul, le cardinal s’assit de nouveau, écrivit une lettre qu’il cacheta de son sceau particulier, puis il sonna. L’officier entra pour la quatrième fois.

— Faites-moi venir Vitray, dit-il, et dites-lui de s’apprêter pour un voyage.

Un instant après, l’homme qu’il avait demandé était debout devant lui, tout botté et tout éperonné.

— Vitray, dit-il, vous allez partir tout courant pour Londres. Vous ne vous arrêterez pas un instant en route. Vous remettrez cette lettre à milady. Voici un bon de deux cents pistoles, passez chez mon trésorier et faites-vous payer. Il y en a autant à toucher si vous êtes ici de retour dans six jours et si vous avez bien fait ma commission.

Le messager, sans répondre un seul mot, s’inclina, prit la lettre, le bon de deux cents pistoles, et sortit.

Voici ce que contenait la lettre :

« Milady,

« Trouvez-vous au premier bal où se trouvera le duc de Buckingham. Il aura à son pourpoint douze ferrets de diamants, approchez-vous de lui et coupez-en deux.

« Aussitôt que ces ferrets seront en votre possession, prévenez-moi. »

GENS DE ROBE ET GENS D’ÉPÉE

Le lendemain du jour où ces événements étaient arrivés, Athos n’ayant point reparu, M. de Tréville avait été prévenu par d’Artagnan et par Porthos de sa disparition.

Quant à Aramis, il avait demandé un congé de cinq jours, et il était à Rouen, disait-on, pour affaires de famille.

M. de Tréville était le père de ses soldats. Le moindre et le plus inconnu d’entre eux, dès qu’il portait l’uniforme de la compagnie, était aussi certain de son aide et de son appui qu’aurait pu l’être son frère lui-même.

Il se rendit donc à l’instant chez le lieutenant criminel. On fit venir l’officier qui commandait le poste de la Croix-Rouge, et les renseignements successifs apprirent qu’Athos était momentanément logé au Fort-l’Évêque.

Athos avait passé par toutes les épreuves que nous avons vu Bonacieux subir.

Nous avons assisté à la scène de confrontation entre les deux captifs. Athos, qui n’avait rien dit jusque-là de peur que d’Artagnan, inquiété à son tour, n’eût point le temps qu’il lui fallait, Athos déclara, à partir de ce moment, qu’il se nommait Athos et non d’Artagnan.

Il ajouta qu’il ne connaissait ni monsieur, ni madame Bonacieux, qu’il n’avait jamais parlé ni à l’un, ni à l’autre ; qu’il était venu vers les dix heures du soir pour faire visite à M. d’Artagnan, son ami, mais que jusqu’à cette heure il était resté chez M. de Tréville, où il avait dîné ; vingt témoins, ajouta-t-il, pouvaient attester le fait, et il nomma plusieurs gentilshommes distingués, entre autres M. le duc de La Trémouille.

Le second commissaire fut aussi étourdi que le premier de la déclaration simple et ferme de ce mousquetaire, sur lequel il aurait bien voulu prendre la revanche que les gens de robe aiment tant à gagner sur les gens d’épée ; mais le nom de M. de Tréville et celui de M. le duc de La Trémouille méritaient réflexion.

Athos fut aussi envoyé au cardinal, mais malheureusement le cardinal était au Louvre chez le roi.

C’était précisément le moment où M. de Tréville, sortant de chez le lieutenant criminel et de chez le gouverneur du Fort-l’Évêque, sans avoir pu trouver Athos, arriva chez Sa Majesté.

Comme capitaine des mousquetaires, M. de Tréville avait à toute heure ses entrées chez le roi.

On sait quelles étaient les préventions du roi contre la reine, préventions habilement entretenues par le cardinal, qui, en fait d’intrigues, se défiait infiniment plus des femmes que des hommes. Une des grandes causes surtout de cette prévention était l’amitié d’Anne d’Autriche pour madame de Chevreuse. Ces deux femmes l’inquiétaient plus que les guerres avec l’Espagne, les démêlés avec l’Angleterre et l’embarras des finances. À ses yeux et dans sa conviction, madame de Chevreuse servait la reine non seulement dans ses intrigues politiques, mais, ce qui le tourmentait bien plus encore, dans ses intrigues amoureuses.

Au premier mot de ce qu’avait dit M. le cardinal, que madame de Chevreuse, exilée à Tours et qu’on croyait dans cette ville, était venue à Paris et, pendant cinq jours qu’elle y était restée, avait dépisté la police, le roi était entré dans une furieuse colère. Capricieux et infidèle, le roi voulait être appelé Louis le Juste et Louis le Chaste. La postérité comprendra difficilement ce caractère, que l’histoire n’explique que par des faits et jamais par des raisonnements.

Mais lorsque le cardinal ajouta que non seulement madame de Chevreuse était venue à Paris, mais encore que la reine avait renoué avec elle à l’aide d’une de ces correspondances mystérieuses qu’à cette époque on nommait une cabale ; lorsqu’il affirma que lui, le cardinal, allait démêler les fils les plus obscurs de cette intrigue, quand, au moment d’arrêter sur le fait, en flagrant délit, nanti de toutes les preuves, l’émissaire de la reine près de l’exilée, un mousquetaire avait osé interrompre violemment le cours de la justice en tombant, l’épée à la main, sur d’honnêtes gens de loi chargés d’examiner avec impartialité toute l’affaire pour la mettre sous les yeux du roi, Louis XIII ne se contint plus, il fit un pas vers l’appartement de la reine avec cette pâle et muette indignation qui, lorsqu’elle éclatait, conduisait ce prince jusqu’à la plus froide cruauté.

Et cependant, dans tout cela, le cardinal n’avait pas encore dit un mot du duc de Buckingham.

Ce fut alors que M. de Tréville entra, froid, poli et dans une tenue irréprochable.

Averti de ce qui venait de se passer par la présence du cardinal et par l’altération de la figure du roi, M. de Tréville se sentit fort comme Samson devant les Philistins.

Louis XIII mettait déjà la main sur le bouton de la porte ; au bruit que fit M. de Tréville en entrant, il se retourna.

— Vous arrivez bien, monsieur, dit le roi, qui, lorsque ses passions étaient montées à un certain point, ne savait pas dissimuler, et j’en apprends de belles sur le compte de vos mousquetaires.

— Et moi, dit froidement M. de Tréville, j’en ai de belles à apprendre à Votre Majesté sur ses gens de robe.

— Plaît-il ? dit le roi avec hauteur.

— J’ai l’honneur d’apprendre à Votre Majesté, continua M. de Tréville du même ton, qu’un parti de procureurs, de commissaires et de gens de police, gens fort estimables mais fort acharnés, à ce qu’il paraît, contre l’uniforme, s’est permis d’arrêter dans une maison, d’emmener en pleine rue et de jeter au Fort-l’Évêque, tout cela sur un ordre que l’on a refusé de me représenter, un de mes mousquetaires, ou plutôt des vôtres, sire, d’une conduite irréprochable, d’une réputation presque illustre, et que Votre Majesté connaît favorablement, M. Athos.

— Athos, dit le roi machinalement ; oui, au fait, je connais ce nom.

— Que Votre Majesté se le rappelle, dit M. de Tréville ; M. Athos est ce mousquetaire qui, dans le fâcheux duel que vous savez, a eu le malheur de blesser grièvement M. de Cahusac. – À propos, Monseigneur, continua Tréville en s’adressant au cardinal, M. de Cahusac est tout à fait rétabli, n’est-ce pas ?

— Merci ! dit le cardinal en se pinçant les lèvres de colère.

— M. Athos était donc allé rendre visite à l’un de ses amis alors absent, continua M. de Tréville, à un jeune Béarnais, cadet aux gardes de Sa Majesté, compagnie des Essarts ; mais à peine venait-il de s’installer chez son ami et de prendre un livre en l’attendant, qu’une nuée de recors et de soldats mêlés ensemble vint faire le siège de la maison, enfonça plusieurs portes…

Le cardinal fit au roi un signe qui signifiait : « C’est pour l’affaire dont je vous ai parlé. »

— Nous savons tout cela, répliqua le roi, car tout cela s’est fait pour notre service.

— Alors, dit Tréville, c’est aussi pour le service de Votre Majesté qu’on a saisi un de mes mousquetaires innocent, qu’on l’a placé entre deux gardes comme un malfaiteur, et qu’on a promené au milieu d’une populace insolente ce galant homme, qui a versé dix fois son sang pour le service de Votre Majesté et qui est prêt à le répandre encore.

— Bah ! dit le roi ébranlé, les choses se sont passées ainsi ?

— M. de Tréville ne dit pas, reprit le cardinal avec le plus grand flegme, que ce mousquetaire innocent, que ce galant homme venait, une heure auparavant, de frapper à coups d’épée quatre commissaires instructeurs délégués par moi afin d’instruire une affaire de la plus haute importance.

— Je défie Votre Éminence de le prouver, s’écria M. de Tréville avec sa franchise toute gasconne et sa rudesse toute militaire, car, une heure auparavant M. Athos, qui, je le confierai à Votre Majesté, est un homme de la plus haute qualité, me faisait l’honneur, après avoir dîné chez moi, de causer dans le salon de mon hôtel avec M. le duc de La Trémouille et M. le comte de Châlus, qui s’y trouvaient.

Le roi regarda le cardinal.

— Un procès-verbal fait foi, dit le cardinal répondant tout haut à l’interrogation muette de Sa Majesté, et les gens maltraités ont dressé le suivant, que j’ai l’honneur de présenter à Votre Majesté.

— Procès-verbal de gens de robe vaut-il la parole d’honneur, répondit fièrement Tréville, d’homme d’épée ?

— Allons, allons, Tréville, taisez-vous, dit le roi.

— Si Son Éminence a quelque soupçon contre un de mes mousquetaires, dit Tréville, la justice de M. le cardinal est assez connue pour que je demande moi-même une enquête.

— Dans la maison où cette descente de justice a été faite, continua le cardinal impassible, loge, je crois, un Béarnais ami du mousquetaire.

— Votre Éminence veut parler de M. d’Artagnan ?

— Je veux parler d’un jeune homme que vous protégez, monsieur de Tréville.

— Oui, Votre Éminence, c’est cela même.

— Ne soupçonnez-vous pas ce jeune homme d’avoir donné de mauvais conseils…

— À M. Athos, à un homme qui a le double de son âge ? interrompit M. de Tréville ; non, monseigneur. D’ailleurs, M. d’Artagnan a passé la soirée chez moi.

— Ah çà mais, dit le cardinal, tout le monde a donc passé la soirée chez vous ?

— Son Éminence douterait-elle de ma parole ? dit Tréville, le rouge de la colère au front.

— Non, Dieu m’en garde ! dit le cardinal ; mais, seulement, à quelle heure était-il chez vous ?

— Oh ! cela je puis le dire sciemment à Votre Éminence, car, comme il entrait, je remarquai qu’il était neuf heures et demie à la pendule, quoique j’eusse cru qu’il était plus tard.

— Et à quelle heure est-il sorti de votre hôtel ?

— À dix heures et demie : une heure après l’événement.

— Mais, enfin, répondit le cardinal, qui ne soupçonnait pas un instant la loyauté de Tréville, et qui sentait que la victoire lui échappait, mais, enfin, Athos a été pris dans cette maison de la rue des Fossoyeurs.

— Est-il défendu à un ami de visiter un ami, à un mousquetaire de ma compagnie de fraterniser avec un garde de la compagnie de M. des Essarts ?

— Oui, quand la maison où il fraternise avec cet ami est suspecte.

— C’est que cette maison est suspecte, Tréville, dit le roi ; peut-être ne le saviez-vous pas ?

— En effet, sire, je l’ignorais. En tout cas, elle peut être suspecte partout ; mais je nie qu’elle le soit dans la partie qu’habite M. d’Artagnan ; car je puis vous affirmer, sire, que, si j’en crois ce qu’il a dit, il n’existe pas un plus dévoué serviteur de Sa Majesté, un admirateur plus profond de M. le cardinal.

— N’est-ce pas ce d’Artagnan qui a blessé un jour Jussac dans cette malheureuse rencontre qui a eu lieu près du couvent des Carmes-Déchaussés ? demanda le roi en regardant le cardinal, qui rougit de dépit.

— Et le lendemain, Bernajoux. Oui Sire, oui, c’est bien cela, et Votre Majesté a bonne mémoire.

— Allons, que résolvons-nous ? dit le roi.

— Cela regarde Votre Majesté plus que moi, dit le cardinal. J’affirmerais la culpabilité.

— Et moi je la nie, dit Tréville. Mais Sa Majesté a des juges, et ses juges décideront.

— C’est cela, dit le roi, renvoyons la cause devant les juges : c’est leur affaire de juger, et ils jugeront.

— Seulement, reprit Tréville, il est bien triste qu’en ce temps malheureux où nous sommes, la vie la plus pure, la vertu la plus incontestable n’exemptent pas un homme de l’infamie et de la persécution. Aussi l’armée sera-t-elle peu contente, je puis en répondre, d’être en butte à des traitements rigoureux à propos d’affaires de police.

Le mot était imprudent ; mais M. de Tréville l’avait lancé avec connaissance de cause. Il voulait une explosion, parce qu’en cela la mine fait du feu, et que le feu éclaire.

— Affaires de police ! s’écria le roi, relevant les paroles de M. de Tréville ; affaires de police ! et qu’en savez-vous, monsieur ? Mêlez-vous de vos mousquetaires, et ne me rompez pas la tête. Il semble, à vous entendre, que, si par malheur on arrête un mousquetaire, la France est en danger. Eh ! que de bruit pour un mousquetaire ! J’en ferai arrêter dix, ventrebleu ! cent, même… toute la compagnie… et je ne veux pas que l’on souffle mot.

— Du moment où ils sont suspects à Votre Majesté, dit Tréville, les mousquetaires sont coupables ; aussi, me voyez-vous, sire, prêt à vous rendre mon épée ; car après avoir accusé mes soldats, M. le cardinal, je n’en doute pas, finira par m’accuser moi-même ; ainsi mieux vaut que je me constitue prisonnier avec M. Athos, qui est arrêté déjà, et M. d’Artagnan, qu’on va arrêter sans doute.

— Tête gasconne, en finirez-vous ? dit le roi.

— Sire, répondit Tréville sans baisser le moindrement la voix, ordonnez qu’on me rende mon mousquetaire, ou qu’il soit jugé.

— On le jugera, dit le cardinal.

— Eh bien, tant mieux ; car, dans ce cas, je demanderai à Sa Majesté la permission de plaider pour lui.

Le roi craignit un éclat.

— Si Son Éminence, dit-il, n’avait pas personnellement des motifs…

Le cardinal vit venir le roi, et alla au-devant de lui.

— Pardon, dit-il, mais du moment où Votre Majesté voit en moi un juge prévenu, je me retire.

— Voyons, dit le roi, me jurez-vous, par mon père, que M. Athos était chez vous pendant l’événement, et qu’il n’y a point pris part ?

— Par votre glorieux père et par vous-même, qui êtes ce que j’aime et ce que je vénère le plus au monde, je le jure !

— Veuillez réfléchir, sire, dit le cardinal. Si nous relâchons ainsi le prisonnier, on ne pourra plus connaître la vérité.

— M. Athos sera toujours là, reprit M. de Tréville, prêt à répondre quand il plaira aux gens de robe de l’interroger. Il ne désertera pas, monsieur le cardinal ; soyez tranquille, je réponds de lui, moi.

— Au fait, il ne désertera pas, dit le roi ; on le retrouvera toujours, comme dit M. de Tréville. D’ailleurs, ajouta-t-il en baissant la voix et en regardant d’un air suppliant Son Éminence, donnons-leur de la sécurité ; cela est politique.

Cette politique de Louis XIII fit sourire Richelieu.

— Ordonnez, sire, dit-il, vous avez le droit de grâce.

— Le droit de grâce ne s’applique qu’aux coupables, dit Tréville, qui voulait avoir le dernier mot, et mon mousquetaire est innocent. Ce n’est donc pas grâce que vous allez faire, sire, c’est justice.

— Et il est au Fort-l’Évêque ? dit le roi.

— Oui, sire, et au secret, dans un cachot, comme le dernier des criminels.

— Diable ! diable ! murmura le roi, que faut-il faire ?

— Signer l’ordre de mise en liberté, et tout sera dit, reprit le cardinal ; je crois, comme Votre Majesté, que la garantie de M. de Tréville est plus que suffisante.

Tréville s’inclina respectueusement avec une joie qui n’était pas sans mélange de crainte ; il eût préféré une résistance opiniâtre du cardinal à cette soudaine facilité.

Le roi signa l’ordre d’élargissement, et Tréville l’emporta sans retard.

Au moment où il allait sortir, le cardinal lui fit un sourire amical, et dit au roi :

— Une bonne harmonie règne entre les chefs et les soldats, dans vos mousquetaires, sire ; voilà qui est bien profitable au service et bien honorable pour tous.

— Il me jouera quelque mauvais tour incessamment, se disait Tréville ; on n’a jamais le dernier mot avec un pareil homme. Mais hâtons-nous, car le roi peut changer d’avis tout à l’heure ; et au bout du compte, il est plus difficile de remettre à la Bastille ou au Fort-l’Évêque un homme qui en est sorti, que d’y garder un prisonnier qu’on y tient.

M. de Tréville fit triomphalement son entrée au Fort-l’Évêque, où il délivra le mousquetaire, que sa paisible indifférence n’avait pas abandonné.

Puis, la première fois qu’il revit d’Artagnan : — Vous l’échappez belle, lui dit-il ; voilà votre coup d’épée à Jussac payé. Reste bien encore celui de Bernajoux, mais il ne faudrait pas trop vous y fier.

Au reste, M. de Tréville avait raison de se défier du cardinal et de penser que tout n’était pas fini, car à peine le capitaine des mousquetaires eut-il fermé la porte derrière lui, que Son Éminence dit au roi :

— Maintenant que nous ne sommes plus que nous deux, nous allons causer sérieusement, s’il plaît à Votre Majesté. Sire, M. de Buckingham était à Paris depuis cinq jours et n’en est parti que ce matin.

OÙ MONSIEUR LE GARDE DES SCEAUX SÉGUIER CHERCHA PLUS D’UNE FOIS LA CLOCHE POUR LA SONNER, COMME IL LE FAISAIT AUTREFOIS

Il est impossible de se faire une idée de l’impression que ces quelques mots produisirent sur Louis XIII. Il rougit et pâlit successivement, et le cardinal vit tout d’abord qu’il venait de conquérir d’un seul coup tout le terrain qu’il avait perdu.

— M. de Buckingham à Paris ! s’écria-t-il ; et qu’y vient-il faire ?

— Sans doute conspirer avec nos ennemis les huguenots et les Espagnols.

— Non, pardieu, non ! conspirer contre mon honneur avec madame de Chevreuse, madame de Longueville et les Condé !

— Oh ! sire, quelle idée ! La reine est trop sage, et surtout aime trop Votre Majesté.

— La femme est faible, monsieur le cardinal, dit le roi ; et quant à m’aimer beaucoup, j’ai mon opinion faite sur cet amour.

— Je n’en maintiens pas moins, dit le cardinal, que le duc de Buckingham est venu à Paris pour un projet tout politique.

— Et moi je suis sûr qu’il est venu pour autre chose, monsieur le cardinal ; mais si la reine est coupable, qu’elle tremble !

— Au fait, dit le cardinal, quelque répugnance que j’aie à arrêter mon esprit sur une pareille trahison, Votre Majesté m’y fait penser : madame de Lannoy, que, d’après l’ordre de Votre Majesté, j’ai interrogée plusieurs fois, m’a dit ce matin que la nuit avant celle-ci Sa Majesté avait veillé fort tard, que ce matin elle avait beaucoup pleuré et que toute la journée elle avait écrit.

— C’est cela, dit le roi ; à lui sans doute, Cardinal, il me faut les papiers de la reine.

— Mais comment les prendre, sire ? Il me semble que ce n’est ni moi, ni Votre Majesté qui pouvons nous charger d’une pareille mission.

— Comment s’y est-on pris pour la maréchale d’Ancre ? s’écria le roi au plus haut degré de la colère ; on a fouillé ses armoires, et enfin on l’a fouillée elle-même.

— La maréchale d’Ancre n’était que la maréchale d’Ancre, une aventurière florentine, sire, voilà tout ; tandis que l’auguste épouse de Votre Majesté est Anne d’Autriche, reine de France, c’est-à-dire une des plus grandes princesses du monde.

— Elle n’en est que plus coupable, monsieur le duc ! Plus elle a oublié la haute position où elle était placée, plus elle est bas descendue. Il y a longtemps d’ailleurs que je suis décidé à en finir avec toutes ces petites intrigues de politique et d’amour. Elle a aussi près d’elle un certain La Porte…

— Que je crois la cheville ouvrière de tout cela, je l’avoue, dit le cardinal.

— Vous pensez donc, comme moi, qu’elle me trompe ? dit le roi.

— Je crois, et je le répète à Votre Majesté, que la reine conspire contre la puissance de son roi, mais je n’ai point dit contre son honneur.

— Et moi je vous dis contre tous deux ; moi je vous dis que la reine ne m’aime pas ; je vous dis qu’elle en aime un autre ; je vous dis qu’elle aime cet infâme duc de Buckingham ! Pourquoi ne l’avez-vous pas fait arrêter pendant qu’il était à Paris ?

— Arrêter le duc ! arrêter le premier ministre du roi Charles Ier ! Y pensez-vous, sire ? Quel éclat ! et si alors les soupçons de Votre Majesté, ce dont je continue à douter, avaient quelque consistance, quel éclat terrible ! quel scandale désespérant !

— Mais puisqu’il s’exposait comme un vagabond et un larronneur, il fallait…

Louis XIII s’arrêta lui-même, effrayé de ce qu’il allait dire, tandis que Richelieu, allongeant le cou, attendait inutilement la parole qui était restée sur les lèvres du roi.

— Il fallait ?

— Rien, dit le roi, rien. Mais, pendant tout le temps qu’il a été à Paris, vous ne l’avez pas perdu de vue ?

— Non, sire.

— Où logeait-il ?

— Rue de La Harpe, n° 75.

— Où est-ce, cela ?

— Du côté du Luxembourg.

— Et vous êtes sûr que la reine et lui ne se sont pas vus ?

— Je crois la reine trop attachée à ses devoirs, sire.

— Mais ils ont correspondu, c’est à lui que la reine a écrit toute la journée ; monsieur le duc, il me faut ces lettres !

— Sire, cependant…

— Monsieur le duc, à quelque prix que ce soit, je les veux.

— Je ferai pourtant observer à Votre Majesté…

— Me trahissez-vous donc aussi, monsieur le cardinal, pour vous opposer toujours ainsi à mes volontés ? êtes-vous aussi d’accord avec l’Espagnol et avec l’Anglais, avec madame de Chevreuse et avec la reine ?

— Sire, répondit en soupirant le cardinal, je croyais être à l’abri d’un pareil soupçon.

— Monsieur le cardinal, vous m’avez entendu : je veux ces lettres.

— Il n’y aurait qu’un moyen.

— Lequel ?

— Ce serait de charger de cette mission M. le garde des sceaux Séguier. La chose rentre complètement dans les devoirs de sa charge.

— Qu’on l’envoie chercher à l’instant même !

— Il doit être chez moi, sire ; je l’avais fait prier de passer, et lorsque je suis venu au Louvre, j’ai laissé l’ordre, s’il se présentait, de le faire attendre.

— Qu’on aille le chercher à l’instant même.

— Les ordres de Votre Majesté seront exécutés ; mais…

— Mais quoi ?

— Mais la reine se refusera peut-être à obéir.

— À mes ordres ?

— Oui, si elle ignore que ces ordres viennent du roi.

— Eh bien, pour qu’elle n’en doute pas, je vais la prévenir moi-même.

— Votre Majesté n’oubliera pas que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour prévenir une rupture.

— Oui, duc, je sais que vous êtes fort indulgent pour la reine, trop indulgent peut-être ; et nous aurons, je vous en préviens, à parler plus tard de cela.

— Quand il plaira à Votre Majesté ; mais je serai toujours heureux et fier, sire, de me sacrifier à la bonne harmonie que je désire voir régner entre vous et la reine de France.

— Bien, cardinal, bien ; mais en attendant envoyez chercher M. le garde des sceaux ; moi, j’entre chez la reine.

Et Louis XIII, ouvrant la porte de communication, s’engagea dans le corridor qui conduisait de chez lui chez Anne d’Autriche.

La reine était au milieu de ses femmes, madame de Guitaut, madame de Sablé, madame de Montbazon et madame de Guéménée. Dans un coin était cette camériste espagnole dona Estefana, qui l’avait suivie de Madrid. Madame de Guéménée faisait la lecture, et tout le monde écoutait avec attention la lectrice, à l’exception de la reine, qui, au contraire, avait provoqué cette lecture afin de pouvoir, tout en feignant d’écouter, suivre le fil de ses propres pensées.

Ces pensées, toutes dorées qu’elles étaient par un dernier reflet d’amour, n’en étaient pas moins tristes. Anne d’Autriche, privée de la confiance de son mari, poursuivie par la haine du cardinal, qui ne pouvait lui pardonner d’avoir repoussé un sentiment plus doux, ayant sous les yeux l’exemple de la reine mère, que cette haine avait tourmentée toute sa vie, quoique Marie de Médicis, s’il faut en croire les mémoires du temps, eût commencé par accorder au cardinal le sentiment qu’Anne d’Autriche finit toujours par lui refuser ; Anne d’Autriche avait vu tomber autour d’elle ses serviteurs les plus dévoués, ses confidents les plus intimes, ses favoris les plus chers. Comme ces malheureux doués d’un don funeste, elle portait malheur à tout ce qu’elle touchait, son amitié était un signe fatal qui appelait la persécution. Madame de Chevreuse et madame de Vernel étaient exilées ; enfin La Porte ne cachait pas à sa maîtresse qu’il s’attendait à être arrêté d’un instant à l’autre.

C’est au moment où elle était plongée au plus profond et au plus sombre de ces réflexions, que la porte de la chambre s’ouvrit et que le roi entra.

La lectrice se tut à l’instant même, toutes les dames se levèrent, et il se fit un profond silence.

Quant au roi, il ne fit aucune démonstration de politesse ; seulement, s’arrêtant devant la reine :

— Madame, dit-il d’une voix altérée, vous allez recevoir la visite de M. le chancelier, qui vous communiquera certaines affaires dont je l’ai chargé.

La malheureuse reine, qu’on menaçait sans cesse de divorce, d’exil et de jugement même, pâlit sous son rouge et ne put s’empêcher de dire :

— Mais pourquoi cette visite, sire ? Que me dira M. le chancelier que Votre Majesté ne puisse me dire elle-même ?

Le roi tourna sur ses talons sans répondre, et presque au même instant le capitaine des gardes, M. de Guitaut, annonça la visite de M. le chancelier.

Lorsque le chancelier parut, le roi était déjà sorti par une autre porte.

Le chancelier entra demi-souriant, demi-rougissant. Comme nous le retrouverons probablement dans le cours de cette histoire, il n’y a pas de mal à ce que nos lecteurs fassent dès à présent connaissance avec lui.

Ce chancelier était un plaisant homme. Ce fut Des Roches le Masle, chanoine à Notre-Dame, et qui avait été autrefois valet de chambre du cardinal, qui le proposa à Son Éminence comme un homme tout dévoué. Le cardinal s’y fia et s’en trouva bien.

On racontait de lui certaines histoires, entre autres celle-ci :

Après une jeunesse orageuse, il s’était retiré dans un couvent pour y expier au moins pendant quelque temps les folies de l’adolescence.

Mais, en entrant dans ce saint lieu, le pauvre pénitent n’avait pu refermer si vite la porte, que les passions qu’il fuyait n’y entrassent avec lui. Il en était obsédé sans relâche, et le supérieur, auquel il avait confié cette disgrâce, voulant autant qu’il était en lui l’en garantir, lui avait recommandé pour conjurer le démon tentateur de recourir à la corde de la cloche et de sonner à toute volée. Au bruit dénonciateur, les moines seraient prévenus que la tentation assiégeait un frère, et toute la communauté se mettrait en prières.

Le conseil parut bon au futur chancelier. Il conjura l’esprit malin à grand renfort de prières faites par les moines ; mais le diable ne se laisse pas déposséder facilement d’une place où il a mis garnison ; à mesure qu’on redoublait les exorcismes, il redoublait les tentations, de sorte que jour et nuit la cloche sonnait à toute volée, annonçant l’extrême désir de mortification qu’éprouvait le pénitent.

Les moines n’avaient plus un instant de repos. Le jour, ils ne faisaient que monter et descendre les escaliers qui conduisaient à la chapelle ; la nuit, outre complies et matines, ils étaient encore obligés de sauter vingt fois à bas de leurs lits et de se prosterner sur le carreau de leurs cellules.

On ignore si ce fut le diable qui lâcha prise ou les moines qui se lassèrent ; mais, au bout de trois mois, le pénitent reparut dans le monde avec la réputation du plus terrible possédé qui eût jamais existé.

En sortant du couvent, il entra dans la magistrature, devint président à mortier à la place de son oncle, embrassa le parti du cardinal, ce qui ne prouvait pas peu de sagacité ; devint chancelier, servit Son Éminence avec zèle dans sa haine contre la reine mère et sa vengeance contre Anne d’Autriche ; stimula les juges dans l’affaire de Chalais, encouragea les essais de M. de Laffemas, grand gibecier de France ; puis enfin, investi de toute la confiance du cardinal, confiance qu’il avait si bien gagnée, il en vint à recevoir la singulière commission pour l’exécution de laquelle il se présentait chez la reine.

La reine était encore debout quand il entra, mais à peine l’eut-elle aperçu, qu’elle se rassit sur son fauteuil et fit signe à ses femmes de se rasseoir sur leurs coussins et leurs tabourets, et, d’un ton de suprême hauteur :

— Que désirez-vous, monsieur, demanda Anne d’Autriche, et dans quel but vous présentez-vous ici ?

— Pour y faire au nom du roi, madame, et sauf tout le respect que j’ai l’honneur de devoir à Votre Majesté, une perquisition exacte dans vos papiers.

— Comment, monsieur ! une perquisition dans mes papiers… à moi ! mais voilà une chose indigne !

— Veuillez me le pardonner, madame, mais, dans cette circonstance, je ne suis que l’instrument dont le roi se sert. Sa Majesté ne sort-elle pas d’ici, et ne vous a-t-elle pas invitée elle-même à vous préparer à cette visite ?

— Fouillez donc, monsieur ; je suis une criminelle, à ce qu’il paraît. Estefania, donnez les clefs de mes tables et de mes secrétaires.

Le chancelier fit pour la forme une visite dans les meubles, mais il savait bien que ce n’était pas dans un meuble que la reine avait dû serrer la lettre importante qu’elle avait écrite dans la journée.

Quand le chancelier eut rouvert et refermé vingt fois les tiroirs du secrétaire, il fallut bien, quelque hésitation qu’il éprouvât, il fallut bien, dis-je, en venir à la conclusion de l’affaire, c’est-à-dire à fouiller la reine elle-même. Le chancelier s’avança donc vers Anne d’Autriche, et d’un ton très perplexe et d’un air fort embarrassé :

— Et maintenant, dit-il, il me reste à faire la perquisition principale.

— Laquelle ? demanda la reine, qui ne comprenait pas ou plutôt qui ne voulait pas comprendre.

— Sa Majesté est certaine qu’une lettre a été écrite par vous dans la journée ; elle sait qu’elle n’a pas encore été envoyée à son adresse. Cette lettre ne se trouve ni dans votre table, ni dans votre secrétaire, et cependant cette lettre est quelque part.

— Oserez-vous porter la main sur votre reine ? dit Anne d’Autriche en se dressant de toute sa hauteur et en fixant sur le chancelier ses yeux, dont l’expression était devenue presque menaçante.

— Je suis un fidèle sujet du roi, madame, et tout ce que Sa Majesté ordonnera, je le ferai.

— Eh bien, c’est vrai, dit Anne d’Autriche, et les espions de M. le cardinal l’ont bien servi. J’ai écrit aujourd’hui une lettre, cette lettre n’est point partie. La lettre est là.

Et la reine ramena sa belle main à son corsage.

— Alors donnez-moi cette lettre, madame, dit le chancelier.

— Je ne la donnerai qu’au roi, monsieur, dit Anne.

— Si le roi eût voulu que cette lettre lui fût remise, madame, il vous l’eût demandée lui-même. Mais, je vous le répète, c’est moi qu’il a chargé de vous la réclamer, et si vous ne la rendiez pas…

— Eh bien ?

— C’est encore moi qu’il a chargé de vous la prendre.

— Comment, que voulez-vous dire ?

— Que mes ordres vont loin, madame, et que je suis autorisé à chercher le papier suspect sur la personne même de Votre Majesté.

— Quelle horreur ! s’écria la reine.

— Veuillez donc, madame, agir plus facilement.

— Cette conduite est d’une violence infâme ; savez-vous cela, monsieur ?

— Le roi commande, madame, excusez-moi.

— Je ne le souffrirai pas ; non, non, plutôt mourir ! s’écria la reine, chez laquelle se révoltait le sang impérieux de l’Espagnole et de l’Autrichienne.

Le chancelier fit une profonde révérence, puis avec l’intention bien patente de ne pas reculer d’une semelle dans l’accomplissement de la commission dont il s’était chargé, et comme eût pu le faire un valet de bourreau dans la chambre de la question, il s’approcha d’Anne d’Autriche des yeux de laquelle on vit à l’instant même jaillir des pleurs de rage.

La reine était, comme nous l’avons dit, d’une grande beauté. La commission pouvait donc passer pour délicate, et le roi en était arrivé, à force de jalousie contre Buckingham, à n’être plus jaloux de personne.

Sans doute le chancelier Séguier chercha des yeux à ce moment le cordon de la fameuse cloche ; mais, ne le trouvant pas, il en prit son parti et tendit la main vers l’endroit où la reine avait avoué que se trouvait le papier.

Anne d’Autriche fit un pas en arrière, si pâle qu’on eût dit qu’elle allait mourir ; et, s’appuyant de la main gauche, pour ne pas tomber, à une table qui se trouvait derrière elle, elle tira de la droite un papier de sa poitrine et le tendit au garde des sceaux.

— Tenez, monsieur, la voilà, cette lettre, s’écria la reine d’une voix entrecoupée et frémissante, prenez-la, et me délivrez de votre odieuse présence.

Le chancelier, qui de son côté tremblait d’une émotion facile à concevoir, prit la lettre, salua jusqu’à terre et se retira.

À peine la porte se fut-elle refermée sur lui, que la reine tomba à demi évanouie dans les bras de ses femmes.

Le chancelier alla porter la lettre au roi sans en avoir lu un seul mot. Le roi la prit d’une main tremblante, chercha l’adresse, qui manquait, devint très pâle, l’ouvrit lentement, puis, voyant par les premiers mots qu’elle était adressée au roi d’Espagne, il lut très-rapidement.

C’était tout un plan d’attaque contre le cardinal. La reine invitait son frère et l’empereur d’Autriche à faire semblant, blessés qu’ils étaient par la politique de Richelieu, dont l’éternelle préoccupation fut l’abaissement de la maison d’Autriche, de déclarer la guerre à la France et d’imposer comme condition de la paix le renvoi du cardinal : mais d’amour, il n’y en avait pas un seul mot dans toute cette lettre.

Le roi, tout joyeux, s’informa si le cardinal était encore au Louvre. On lui dit que Son Éminence attendait, dans le cabinet de travail, les ordres de Sa Majesté.

Le roi se rendit aussitôt près de lui.

— Tenez, duc, lui dit-il, vous aviez raison, et c’est moi qui avais tort ; toute l’intrigue est politique, et il n’était aucunement question d’amour dans cette lettre, que voici. En échange, il y est fort question de vous.

Le cardinal prit la lettre et la lut avec la plus grande attention ; puis, lorsqu’il fut arrivé au bout, il la relut une seconde fois.

— Eh bien, Votre Majesté, dit-il, vous voyez jusqu’où vont mes ennemis : on vous menace de deux guerres, si vous ne me renvoyez pas. À votre place, en vérité, Sire, je céderais à de si puissantes instances, et ce serait de mon côté avec un véritable bonheur que je me retirerais des affaires.

— Que dites-vous là, duc ?

— Je dis, sire, que ma santé se perd dans ces luttes excessives et dans ces travaux éternels. Je dis que, selon toute probabilité, je ne pourrai pas soutenir les fatigues du siège de La Rochelle, et que mieux vaut que vous nommiez là ou M. de Condé, ou M. de Bassompierre, ou enfin quelque vaillant homme dont c’est l’état de mener la guerre, et non pas moi qui suis homme d’Église et qu’on détourne sans cesse de ma vocation pour m’appliquer à des choses auxquelles je n’ai aucune aptitude. Vous en serez plus heureux à l’intérieur, sire, et je ne doute pas que vous n’en soyez plus grand à l’étranger.

— Monsieur le duc, dit le roi, je comprends, soyez tranquille ; tous ceux qui sont nommés dans cette lettre seront punis comme ils le méritent, et la reine elle-même.

— Que dites-vous là, sire ? Dieu me garde que, pour moi, la reine éprouve la moindre contrariété ! elle m’a toujours cru son ennemi, sire, quoique Votre Majesté puisse attester que j’ai toujours pris chaudement son parti, même contre vous. Oh ! si elle trahissait Votre Majesté à l’endroit de son honneur, ce serait autre chose, et je serais le premier à dire : Pas de grâce, sire, pas de grâce pour la coupable ! Heureusement il n’en est rien, et Votre Majesté vient d’en acquérir une nouvelle preuve.

— C’est vrai, monsieur le cardinal, dit le roi, et vous aviez raison, comme toujours ; mais la reine n’en mérite pas moins toute ma colère.

— C’est vous, sire, qui avez encouru la sienne ; et véritablement, quand elle bouderait sérieusement Votre Majesté, je le comprendrais ; Votre Majesté l’a traitée avec une sévérité…

— C’est ainsi que je traiterai toujours mes ennemis et les vôtres, duc, si haut placés qu’ils soient et quelque péril que je coure à agir sévèrement avec eux.

— La reine est mon ennemie, mais n’est pas la vôtre, sire ; au contraire, elle est épouse dévouée, soumise et irréprochable ; laissez-moi donc, sire, intercéder pour elle près de Votre Majesté.

— Qu’elle s’humilie alors, et qu’elle revienne à moi la première !

— Au contraire, sire, donnez l’exemple ; vous avez eu le premier tort, puisque c’est vous qui avez soupçonné la reine.

— Moi, revenir le premier ? dit le roi ; jamais !

— Sire, je vous en supplie.

— D’ailleurs, comment reviendrais-je le premier ?

— En faisant une chose que vous sauriez lui être agréable.

— Laquelle ?

— Donnez un bal ; vous savez combien la reine aime la danse ; je vous réponds que sa rancune ne tiendra point à une pareille attention.

— Monsieur le cardinal, vous savez que je n’aime pas tous les plaisirs mondains.

— La reine ne vous en sera que plus reconnaissante, puisqu’elle sait votre antipathie pour ce plaisir ; d’ailleurs ce sera une occasion pour elle de mettre ces beaux ferrets de diamants que vous lui avez donnés l’autre jour à sa fête, et dont elle n’a pas encore eu le temps de se parer.

— Nous verrons, monsieur le cardinal, nous verrons, dit le roi, qui, dans sa joie de trouver la reine coupable d’un crime dont il se souciait peu, et innocente d’une faute qu’il redoutait fort, était tout prêt à se raccommoder avec elle ; nous verrons, mais, sur mon honneur, vous êtes trop indulgent.

— Sire, dit le cardinal, laissez la sévérité aux ministres, l’indulgence est la vertu royale ; usez-en, et vous verrez que vous vous en trouverez bien.

Sur quoi le cardinal, entendant la pendule sonner onze heures, s’inclina profondément, demandant congé au roi pour se retirer, et le suppliant de se raccommoder avec la reine.

Anne d’Autriche, qui, à la suite de la saisie de sa lettre, s’attendait à quelque reproche, fut fort étonnée de voir le lendemain le roi faire près d’elle des tentatives de rapprochement. Son premier mouvement fut répulsif, son orgueil de femme et sa dignité de reine avaient été tous deux si cruellement offensés, qu’elle ne pouvait revenir ainsi du premier coup ; mais, vaincue par le conseil de ses femmes, elle eut enfin l’air de commencer à oublier. Le roi profita de ce premier moment de retour pour lui dire qu’incessamment il comptait donner une fête.

C’était une chose si rare qu’une fête pour la pauvre Anne d’Autriche, qu’à cette annonce, ainsi que l’avait pensé le cardinal, la dernière trace de ses ressentiments disparut sinon dans son cœur, du moins sur son visage. Elle demanda quel jour cette fête devait avoir lieu, mais le roi répondit qu’il fallait qu’il s’entendît sur ce point avec le cardinal.

En effet, chaque jour le roi demandait au cardinal à quelle époque cette fête aurait lieu, et chaque jour le cardinal, sous un prétexte quelconque, différait de la fixer.

Dix jours s’écoulèrent ainsi.

Le huitième jour après la scène que nous avons racontée, le cardinal reçut une lettre, au timbre de Londres, qui contenait seulement ces quelques lignes :

« Je les ai ; mais je ne puis quitter Londres, attendu que je manque d’argent ; envoyez-moi cinq cents pistoles, et quatre ou cinq jours après les avoir reçues, je serai à Paris. »

Le jour même où le cardinal avait reçu cette lettre, le roi lui adressa sa question habituelle.

Richelieu compta sur ses doigts et se dit tout bas :

« Elle arrivera, dit-elle, quatre ou cinq jours après avoir reçu l’argent ; il faut quatre ou cinq jours à l’argent pour aller, quatre ou cinq jours à elle pour revenir, cela fait dix jours ; maintenant faisons la part des vents contraires, des mauvais hasards, des faiblesses de femme, et mettons cela à douze jours.

— Eh bien ! monsieur le duc, dit le roi, vous avez calculé ?

— Oui, sire ; nous sommes aujourd’hui le 20 septembre ; les échevins de la ville donnent une fête le 3 octobre. Cela s’arrangera à merveille, car vous n’aurez pas l’air de faire un retour vers la reine.

Puis le cardinal ajouta :

— À propos, Sire, n’oubliez pas de dire à Sa Majesté, la veille de cette fête, que vous désirez voir comment lui vont ses ferrets de diamants.

LE MÉNAGE BONACIEUX

C’était la seconde fois que le cardinal revenait sur ce point des ferrets de diamants avec le roi. Louis XIII fut donc frappé de cette insistance, et pensa que cette recommandation cachait un mystère.

Plus d’une fois le roi avait été humilié que le cardinal, dont la police, sans avoir atteint encore la perfection de la police moderne, était excellente, fût mieux instruit que lui-même de ce qui se passait dans son propre ménage. Il espéra donc, dans une conversation avec Anne d’Autriche, tirer quelque lumière de cette conversation et revenir ensuite près de Son Éminence avec quelque secret que le cardinal sût ou ne sût pas, ce qui, dans l’un ou l’autre cas, le rehaussait infiniment aux yeux de son ministre.

Il alla donc trouver la reine, et, selon son habitude, l’aborda avec de nouvelles menaces contre ceux qui l’entouraient. Anne d’Autriche baissa la tête, laissa s’écouler le torrent sans répondre et espérant qu’il finirait par s’arrêter ; mais ce n’était pas cela que voulait Louis XIII ; Louis XIII voulait une discussion de laquelle jaillît une lumière quelconque, convaincu qu’il était que le cardinal avait quelque arrière-pensée et lui machinait une surprise terrible comme en savait faire Son Éminence. Il arriva à ce but par sa persistance à accuser.

— Mais, s’écria Anne d’Autriche, lassée de ces vagues attaques ; mais, sire, vous ne me dites pas tout ce que vous avez dans le cœur. Qu’ai-je donc fait ? Voyons, quel crime ai-je donc commis ? Il est impossible que Votre Majesté fasse tout ce bruit pour une lettre écrite à mon frère.

Le roi, attaqué à son tour d’une manière si directe, ne sut que répondre ; il pensa que c’était là le moment de placer la recommandation qu’il ne devait faire que la veille de la fête.

— Madame, dit-il avec majesté, il y aura incessamment bal à l’hôtel de ville ; j’entends que, pour faire honneur à nos braves échevins, vous y paraissiez en habit de cérémonie, et surtout parée des ferrets de diamants que je vous ai donnés pour votre fête. Voici ma réponse.

La réponse était terrible. Anne d’Autriche crut que Louis XIII savait tout, et que le cardinal avait obtenu de lui cette longue dissimulation de sept ou huit jours, qui était au reste dans son caractère. Elle devint excessivement pâle, appuya sur une console sa main d’une admirable beauté, et qui semblait alors une main de cire, et regardant le roi avec des yeux épouvantés, elle ne répondit pas une seule syllabe.

— Vous entendez, madame, dit le roi, qui jouissait de cet embarras dans toute son étendue, mais sans en deviner la cause, vous entendez ?

— Oui, sire, j’entends, balbutia la reine.

— Vous paraîtrez à ce bal ?

— Oui.

— Avec vos ferrets ?

— Oui.

La pâleur de la reine augmenta encore, s’il était possible ; le roi s’en aperçut, et en jouit avec cette froide cruauté qui était un des mauvais côtés de son caractère.

— Alors, c’est convenu, dit le roi, et voilà tout ce que j’avais à vous dire.

— Mais quel jour ce bal aura-t-il lieu ? demanda Anne d’Autriche.

Louis XIII sentit instinctivement qu’il ne devait pas répondre à cette question, la reine l’ayant faite d’une voix presque mourante.

— Mais très incessamment, madame, dit-il ; mais je ne me rappelle plus précisément la date du jour, je la demanderai au cardinal.

— C’est donc le cardinal qui vous a annoncé cette fête ? s’écria la reine.

— Oui, madame, répondit le roi étonné ; mais pourquoi cela ?

— C’est lui, qui vous a dit de m’inviter à y paraître avec ces ferrets ?

— C’est-à-dire, madame…

— C’est lui, sire, c’est lui !

— Eh bien qu’importe que ce soit lui ou moi ? y a-t-il un crime à cette invitation ?

— Non, sire.

— Alors vous paraîtrez ?

— Oui, sire.

— C’est bien, dit le roi en se retirant, c’est bien, j’y compte.

La reine fit une révérence, moins par étiquette que parce que ses genoux se dérobaient sous elle.

Le roi partit enchanté.

— Je suis perdue, murmura la reine, perdue, car le cardinal sait tout, et c’est lui qui pousse le roi, qui ne sait rien encore, mais qui saura tout bientôt. Je suis perdue ! Mon Dieu ! mon Dieu ! mon Dieu !

Elle s’agenouilla sur un coussin et pria, la tête enfoncée entre ses bras palpitants.

En effet, la position était terrible. Buckingham était retourné à Londres, madame de Chevreuse était à Tours. Plus surveillée que jamais, la reine sentait sourdement qu’une de ses femmes la trahissait, sans savoir dire laquelle. La Porte ne pouvait pas quitter le Louvre. Elle n’avait pas une âme au monde à qui se fier.

Aussi, en présence du malheur qui la menaçait et de l’abandon qui était le sien, éclata-t-elle en sanglots.

— Ne puis-je donc être bonne à rien à Votre Majesté ? dit tout à coup une voix pleine de douceur et de pitié.

La reine se retourna vivement, car il n’y avait pas à se tromper à l’expression de cette voix : c’était une amie qui parlait ainsi.

En effet, à l’une des portes qui donnaient dans l’appartement de la reine apparut la jolie madame Bonacieux ; elle était occupée à ranger les robes et le linge dans un cabinet, lorsque le roi était entré ; elle n’avait pas pu sortir, et avait tout entendu.

La reine poussa un cri perçant en se voyant surprise, car dans son trouble elle ne reconnut pas d’abord la jeune femme qui lui avait été donnée par La Porte.

— Oh ! ne craignez rien, madame, dit la jeune femme en joignant les mains et en pleurant elle-même des angoisses de la reine ; je suis à Votre Majesté corps et âme, et si loin que je sois d’elle, si inférieure que soit ma position, je crois que j’ai trouvé un moyen de tirer Votre Majesté de peine.

— Vous ! ô Ciel ! vous ! s’écria la reine ; mais voyons regardez-moi en face. Je suis trahie de tous côtés, puis-je me fier à vous ?

— Oh ! madame ! s’écria la jeune femme en tombant à genoux : sur mon âme, je suis prête à mourir pour Votre Majesté !

Ce cri était sorti du plus profond du cœur, et, comme le premier, il n’y avait pas à se tromper.

— Oui, continua madame Bonacieux, oui, il y a des traîtres ici ; mais, par le saint nom de la Vierge, je vous jure que personne n’est plus dévoué que moi à Votre Majesté. Ces ferrets que le roi redemande, vous les avez donnés au duc de Buckingham, n’est-ce pas ? Ces ferrets étaient enfermés dans une petite boîte en bois de rose qu’il tenait sous son bras ? Est-ce que je me trompe ? Est-ce que ce n’est pas cela ?

— Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! murmura la reine dont les dents claquaient d’effroi.

— Eh bien, ces ferrets, continua madame Bonacieux, il faut les ravoir.

— Oui, sans doute, il le faut, s’écria la reine ; mais comment faire, comment y arriver ?

— Il faut envoyer quelqu’un au duc.

— Mais qui ?… qui ?… À qui me fier ?

— Ayez confiance en moi, madame ; faites-moi cet honneur, ma reine, et je trouverai le messager, moi !

— Mais il faudra écrire !

— Oh ! oui. C’est indispensable. Deux mots de la main de Votre Majesté et votre cachet particulier.

— Mais ces deux mots, c’est ma condamnation. C’est le divorce, l’exil !

— Oui, s’ils tombent entre des mains infâmes ! Mais je réponds que ces deux mots seront remis à leur adresse.

— Oh ! mon Dieu ! il faut donc que je remette ma vie, mon honneur, ma réputation entre vos mains !

— Oui ! oui, madame, il le faut, et je sauverai tout cela, moi !

— Mais comment ? dites-le-moi au moins.

— Mon mari a été remis en liberté il y a deux ou trois jours ; je n’ai pas encore eu le temps de le revoir. C’est un brave et honnête homme qui n’a ni haine, ni amour pour personne. Il fera ce que je voudrai : il partira sur un ordre de moi, sans savoir ce qu’il porte, et il remettra la lettre de Votre Majesté, sans même savoir qu’elle est de Votre Majesté, à l’adresse qu’elle indiquera.

La reine prit les deux mains de la jeune femme avec un élan passionné, la regarda comme pour lire au fond de son cœur, et ne voyant que sincérité dans ses beaux yeux, elle l’embrassa tendrement.

— Fais cela, s’écria-t-elle, et tu m’auras sauvé la vie, tu m’auras sauvé l’honneur !

— Oh ! n’exagérez pas le service que j’ai le bonheur de vous rendre ; je n’ai rien à sauver à Votre Majesté, qui est seulement victime de perfides complots.

— C’est vrai, c’est vrai, mon enfant, dit la reine, et tu as raison.

— Donnez-moi donc cette lettre, madame, le temps presse.

La reine courut à une petite table sur laquelle se trouvaient encre, papier et plumes : elle écrivit deux lignes, cacheta la lettre de son cachet et la remit à madame Bonacieux.

— Et maintenant, dit la reine, nous oublions une chose nécessaire.

— Laquelle ?

— L’argent.

Madame Bonacieux rougit.

— Oui, c’est vrai, dit-elle, et j’avouerai à Votre Majesté que mon mari…

— Ton mari n’en a pas, c’est cela que tu veux dire.

— Si fait, il en a, mais il est fort avare, c’est là son défaut. Cependant, que Votre Majesté ne s’inquiète pas, nous trouverons moyen.

— C’est que je n’en ai pas non plus, dit la reine. — Ceux qui liront les Mémoires de madame de Motteville ne s’étonneront pas de cette réponse. — Mais, attends.

Anne d’Autriche courut à son écrin.

— Tiens, dit-elle, voici une bague d’un grand prix à ce qu’on assure ; elle vient de mon frère le roi d’Espagne, elle est à moi et j’en puis disposer. Prends cette bague et fais-en de l’argent, et que ton mari parte.

— Dans une heure vous serez obéie.

— Tu vois l’adresse, ajouta la reine, parlant si bas qu’à peine pouvait-on entendre ce qu’elle disait : À milord duc de Buckingham, à Londres.

— La lettre sera remise à lui-même.

— Généreuse enfant ! s’écria Anne d’Autriche.

Madame Bonacieux baisa les mains de la reine, cacha le papier dans son corsage et disparut avec la légèreté d’un oiseau.

Dix minutes après, elle était chez elle ; comme elle l’avait dit à la reine, elle n’avait pas revu son mari depuis sa mise en liberté ; elle ignorait donc le changement qui s’était fait en lui à l’endroit du cardinal, changement qu’avaient opéré la flatterie et l’argent de Son Éminence et qu’avaient corroboré, depuis, deux ou trois visites du comte de Rochefort, devenu le meilleur ami de Bonacieux, auquel il avait fait croire sans beaucoup de peine qu’aucun sentiment coupable n’avait amené l’enlèvement de sa femme, mais que c’était seulement une précaution politique.

Elle trouva M. Bonacieux seul : le pauvre homme remettait à grand-peine de l’ordre dans la maison, dont il avait trouvé les meubles à peu près brisés et les armoires à peu près vides, la justice n’étant pas une des trois choses que le roi Salomon indique comme ne laissant point de traces de leur passage. Quant à la servante, elle s’était enfuie lors de l’arrestation de son maître. La terreur avait gagné la pauvre fille au point qu’elle n’avait cessé de marcher de Paris jusqu’en Bourgogne, son pays natal.

Le digne mercier avait, aussitôt sa rentrée dans sa maison, fait part à sa femme de son heureux retour, et sa femme lui avait répondu pour le féliciter et pour lui dire que le premier moment qu’elle pourrait dérober à ses devoirs serait consacré tout entier à lui rendre visite.

Ce premier moment s’était fait attendre cinq jours, ce qui, dans toute autre circonstance, eût paru un peu bien long à maître Bonacieux ; mais il avait, dans la visite qu’il avait faite au cardinal et dans les visites que lui faisait Rochefort, ample sujet à réflexion, et, comme on sait, rien ne fait passer le temps comme de réfléchir.

D’autant plus que les réflexions de Bonacieux étaient toutes couleur de rose. Rochefort l’appelait son ami, son cher Bonacieux, et ne cessait de lui dire que le cardinal faisait le plus grand cas de lui. Le mercier se voyait déjà sur le chemin des honneurs et de la fortune.

De son côté, madame Bonacieux avait réfléchi, mais, il faut le dire, à tout autre chose que l’ambition ; malgré elle, ses pensées avaient eu pour mobile constant ce beau jeune homme si brave et qui paraissait si amoureux. Mariée à dix-huit ans à M. Bonacieux, ayant toujours vécu au milieu des amis de son mari, peu susceptibles d’inspirer un sentiment quelconque à une jeune femme dont le cœur était plus élevé que sa position, madame Bonacieux était restée insensible aux séductions vulgaires ; mais, à cette époque surtout, le titre de gentilhomme avait une grande influence sur la bourgeoisie, et d’Artagnan était gentilhomme ; de plus, il portait l’uniforme des gardes, qui, après l’uniforme des mousquetaires, était le plus apprécié des dames. Il était, nous le répétons, beau, jeune, aventureux ; il parlait d’amour en homme qui aime et qui a soif d’être aimé ; il y en avait là plus qu’il n’en fallait pour tourner une tête de vingt-trois ans, et madame Bonacieux en était arrivée juste à cet âge heureux de la vie.

Les deux époux, quoiqu’ils ne se fussent pas vus depuis plus de huit jours, et que pendant cette semaine de graves événements eussent passé entre eux, s’abordèrent donc avec une certaine préoccupation ; néanmoins, M. Bonacieux manifesta une joie réelle et s’avança vers sa femme à bras ouverts.

Madame Bonacieux lui présenta le front.

— Causons un peu, dit-elle.

— Comment ? dit Bonacieux étonné.

— Oui, sans doute, j’ai une chose de la plus haute importance à vous dire.

— Au fait, et moi aussi, j’ai quelques questions assez sérieuses à vous adresser. Expliquez-moi un peu votre enlèvement, je vous prie.

— Il ne s’agit point de cela pour le moment, dit madame Bonacieux.

— Et de quoi s’agit-il donc ? de ma captivité ?

— Je l’ai apprise le jour même ; mais comme vous n’étiez coupable d’aucun crime, comme vous n’étiez complice d’aucune intrigue, comme vous ne saviez rien enfin qui pût vous compromettre, ni vous, ni personne, je n’ai attaché à cet événement que l’importance qu’il méritait.

— Vous en parlez bien à votre aise, madame ! reprit Bonacieux blessé du peu d’intérêt que lui témoignait sa femme ; savez-vous que j’ai été plongé un jour et une nuit dans un cachot de la Bastille ?

— Un jour et une nuit sont bientôt passés ; laissons donc votre captivité, et revenons à ce qui m’amène près de vous.

— Comment ? ce qui vous amène près de moi ! N’est-ce donc pas le désir de revoir un mari dont vous êtes séparée depuis huit jours ? demanda le mercier piqué au vif.

— C’est cela d’abord, et autre chose ensuite.

— Parlez !

— Une chose du plus haut intérêt et de laquelle dépend notre fortune à venir peut-être.

— Notre fortune a fort changé de face depuis que je vous ai vue, madame Bonacieux, et je ne serais pas étonné que d’ici à quelques mois elle ne fît envie à beaucoup de gens.

— Oui, surtout si vous voulez suivre les instructions que je vais vous donner.

— À moi ?

— Oui, à vous. Il y a une bonne et sainte action à faire, monsieur, et beaucoup d’argent à gagner en même temps.

Madame Bonacieux savait qu’en parlant d’argent à son mari, elle le prenait par son faible.

Mais un homme, fût-ce un mercier, lorsqu’il a causé dix minutes avec le cardinal de Richelieu, n’est plus le même homme.

— Beaucoup d’argent à gagner ! dit Bonacieux en allongeant les lèvres.

— Oui, beaucoup.

— Combien, à peu près ?

— Mille pistoles peut-être.

— Ce que vous avez à me demander est donc bien grave ?

— Oui.

— Que faut-il faire ?

— Vous partirez sur-le-champ, je vous remettrai un papier dont vous ne vous dessaisirez sous aucun prétexte, et que vous remettrez en main propre.

— Et pour où partirai-je ?

— Pour Londres.

— Moi ! pour Londres ! Allons donc, vous raillez, je n’ai pas affaire à Londres.

— Mais d’autres ont besoin que vous y alliez.

— Quels sont ces autres ? Je vous avertis, je ne fais plus rien en aveugle, et je veux savoir non seulement à quoi je m’expose, mais encore pour qui je m’expose.

— Une personne illustre vous envoie, une personne illustre vous attend : la récompense dépassera vos désirs, voilà tout ce que je puis vous promettre.

— Des intrigues encore, toujours des intrigues ! merci, je m’en défie maintenant, et M. le cardinal m’a éclairé là-dessus.

— Le cardinal ! s’écria madame Bonacieux, vous avez vu le cardinal ?

— Il m’a fait appeler, répondit fièrement le mercier.

— Et vous vous êtes rendu à son invitation, imprudent que vous êtes.

— Je dois dire que je n’avais pas le choix de m’y rendre ou de ne pas m’y rendre, car j’étais entre deux gardes. Il est vrai encore de dire que, comme alors je ne connaissais pas Son Éminence, si j’avais pu me dispenser de cette visite, j’en eusse été fort enchanté.

— Il vous a donc maltraité ? il vous a donc fait des menaces ?

— Il m’a tendu la main et m’a appelé son ami, – son ami ! entendez-vous, madame ? je suis l’ami du grand cardinal !

— Du grand cardinal !

— Lui contesteriez-vous ce titre, par hasard, madame ?

— Je ne lui conteste rien, mais je vous dis que la faveur d’un ministre est éphémère, et qu’il faut être fou pour s’attacher à un ministre ; il est des pouvoirs au-dessus du sien, qui ne reposent pas sur le caprice d’un homme ou l’issue d’un événement ; c’est à ces pouvoirs qu’il faut se rallier.

— J’en suis fâché, madame, mais je ne connais pas d’autre pouvoir que celui du grand homme que j’ai l’honneur de servir.

— Vous servez le cardinal ?

— Oui, madame, et comme son serviteur je ne permettrai pas que vous vous livriez à des complots contre la sûreté de l’État, et que vous serviez, vous, les intrigues d’une femme qui n’est pas française et qui a le cœur espagnol. Heureusement, le grand cardinal est là, son regard vigilant surveille et pénètre jusqu’au fond du cœur.

Bonacieux répétait mot pour mot une phrase qu’il avait entendu dire au comte de Rochefort ; mais la pauvre femme, qui avait compté sur son mari et qui, dans cet espoir, avait répondu de lui à la reine, n’en frémit pas moins, et du danger dans lequel elle avait failli se jeter, et de l’impuissance dans laquelle elle se trouvait. Cependant connaissant la faiblesse et surtout la cupidité de son mari elle ne désespérait pas de l’amener à ses fins.

— Ah ! vous êtes cardinaliste, monsieur, s’écria-t-elle ; ah ! vous servez le parti de ceux qui maltraitent votre femme et qui insultent votre reine !

— Les intérêts particuliers ne sont rien devant les intérêts de tous. Je suis pour ceux qui sauvent l’État, dit avec emphase Bonacieux.

C’était une autre phrase du comte de Rochefort, qu’il avait retenue et qu’il trouvait l’occasion de placer.

— Et savez-vous ce que c’est que l’État dont vous parlez ? dit madame Bonacieux en haussant les épaules. Contentez-vous d’être un bourgeois sans finesse aucune, et tournez-vous du côté qui vous offre le plus d’avantages.

— Eh ! eh ! dit Bonacieux en frappant sur un sac à la panse arrondie et qui rendit un son argentin ; que dites-vous de ceci, madame la prêcheuse ?

— D’où vient cet argent ?

— Vous ne devinez pas ?

— Du cardinal ?

— De lui et de mon ami le comte de Rochefort.

— Le comte de Rochefort ! mais c’est lui qui m’a enlevée !

— Cela se peut, madame.

— Et vous recevez de l’argent de cet homme ?

— Ne m’avez-vous pas dit que cet enlèvement était tout politique ?

— Oui ; mais cet enlèvement avait pour but de me faire trahir ma maîtresse, de m’arracher par des tortures des aveux qui pussent compromettre l’honneur et peut-être la vie de mon auguste maîtresse.

— Madame, reprit Bonacieux, votre auguste maîtresse est une perfide Espagnole, et ce que le cardinal fait est bien fait.

— Monsieur, dit la jeune femme, je vous savais lâche, avare et imbécile, mais je ne vous savais pas infâme !

— Madame, dit Bonacieux, qui n’avait jamais vu sa femme en colère, et qui reculait devant le courroux conjugal ; madame, que dites-vous donc ?

— Je dis que vous êtes un misérable ! continua madame Bonacieux, qui vit qu’elle reprenait quelque influence sur son mari. Ah ! vous faites de la politique, vous ! et de la politique cardinaliste encore ! Ah ! vous vous vendez, corps et âme, au démon pour de l’argent.

— Non, mais au cardinal.

— C’est la même chose ! s’écria la jeune femme. Qui dit Richelieu, dit Satan.

— Taisez-vous, madame, taisez-vous, on pourrait vous entendre !

— Oui, vous avez raison, et je serais honteuse pour vous de votre lâcheté. !

— Mais qu’exigez-vous donc de moi ? voyons !

— Je vous l’ai dit : que vous partiez à l’instant même, monsieur, que vous accomplissiez loyalement la commission dont je daigne vous charger, et à cette condition j’oublie tout, je pardonne, et il y a plus, – elle lui tendit la main, – je vous rends mon amitié.

Bonacieux était poltron et avare ; mais il aimait sa femme : il fut attendri. Un homme de cinquante ans ne tient pas longtemps rancune à une femme de vingt-trois. Madame Bonacieux vit qu’il hésitait :

— Allons, êtes-vous décidé ? dit-elle.

— Mais, ma chère amie, réfléchissez donc un peu à ce que vous exigez de moi ; Londres est loin de Paris, fort loin, et peut-être la commission dont vous me chargez n’est-elle pas sans dangers.

— Qu’importe, si vous les évitez !

— Tenez, madame Bonacieux, dit le mercier, tenez, décidément, je refuse : les intrigues me font peur. J’ai vu la Bastille, moi. Brrrrou ! c’est affreux ! la Bastille ! Rien que d’y penser, j’en ai la chair de poule. On m’a menacé de la torture. Savez-vous ce que c’est que la torture ? Des coins de bois qu’on vous enfonce entre les jambes jusqu’à ce que les os éclatent ! Non, décidément, je n’irai pas. Et morbleu ! que n’y allez-vous vous-même ? car, en vérité, je crois que je me suis trompé sur votre compte jusqu’à présent : je crois que vous êtes un homme, et des plus enragés encore !

— Et vous, vous êtes une femme, une misérable femme, stupide et abrutie. Ah ! vous avez peur ! Eh bien, si vous ne partez pas à l’instant même, je vous fais arrêter par l’ordre de la reine, et je vous fais mettre à cette Bastille que vous craignez tant.

Bonacieux tomba dans une réflexion profonde, il pesa mûrement les deux colères dans son cerveau, celle du cardinal et celle de la reine : celle du cardinal l’emporta énormément.

— Faites-moi arrêter de la part de la reine, dit-il, et moi je me réclamerai de Son Éminence.

Pour le coup, madame Bonacieux vit qu’elle avait été trop loin, et elle fut épouvantée de s’être si fort avancée. Elle contempla un instant avec effroi cette figure stupide, d’une résolution invincible, comme celle des sots qui ont peur.

— Eh bien ! soit ! dit-elle. Peut-être, au bout du compte, avez-vous raison : un homme en sait plus long que les femmes en politique, et vous surtout, monsieur Bonacieux, qui avez causé avec le cardinal. Et cependant, il est bien dur, ajouta-t-elle, que mon mari, un homme sur l’affection duquel je croyais pouvoir compter, me traite aussi disgracieusement et ne satisfasse point à ma fantaisie.

— C’est que vos fantaisies peuvent mener trop loin, reprit Bonacieux triomphant, et je m’en défie.

— J’y renoncerai donc, dit la jeune femme en soupirant, c’est bien, n’en parlons plus.

— Si, au moins, vous me disiez quelle chose je vais faire à Londres, reprit Bonacieux, qui se rappelait un peu tard que Rochefort lui avait recommandé d’essayer de surprendre les secrets de sa femme.

— Il est inutile que vous le sachiez, dit la jeune femme, qu’une défiance instinctive repoussait maintenant en arrière : il s’agissait d’une bagatelle comme en désirent les femmes, d’une emplette sur laquelle il y avait beaucoup à gagner.

Mais plus la jeune femme se défendait, plus au contraire Bonacieux pensa que le secret qu’elle refusait de lui confier était important. Il résolut donc de courir à l’instant même chez le comte de Rochefort, et de lui dire que la reine cherchait un messager pour l’envoyer à Londres.

— Pardon, si je vous quitte, ma chère madame Bonacieux, dit-il ; mais, ne sachant pas que vous me viendriez voir, j’avais pris rendez-vous avec un de mes amis, je reviens à l’instant même, et si vous voulez m’attendre seulement une demi-minute, aussitôt que j’en aurai fini avec cet ami, je reviens vous prendre, et, comme il commence à se faire tard, je vous reconduis au Louvre.

— Merci, monsieur, répondit madame Bonacieux : vous n’êtes point assez brave pour m’être d’une utilité quelconque, et je m’en retournerai bien au Louvre toute seule.

— Comme il vous plaira, madame Bonacieux, reprit l’ex-mercier. Vous reverrai-je bientôt ?

— Sans doute ; la semaine prochaine, je l’espère, mon service me laissera quelque liberté, et j’en profiterai pour revenir mettre de l’ordre dans nos affaires, qui doivent être quelque peu dérangées.

— C’est bien ; je vous attendrai. Vous ne m’en voulez pas ?

— Moi ! pas le moins du monde.

— À bientôt, alors ?

— À bientôt.

Bonacieux baisa la main de sa femme, et s’éloigna rapidement.

— Allons, dit madame Bonacieux, lorsque son mari eut refermé la porte de la rue, et qu’elle se trouva seule, il ne manquait plus à cet imbécile que d’être cardinaliste ! Et moi qui avais répondu à la reine, moi qui avais promis à ma pauvre maîtresse… Ah ! mon Dieu, mon Dieu ! elle va me prendre pour quelqu’une de ces misérables dont fourmille le palais, et qu’on a placées près d’elle pour l’espionner ! Ah ! monsieur Bonacieux ! je ne vous ai jamais beaucoup aimé ; maintenant, c’est bien pis ! je vous hais ! et, sur ma parole, vous me le paierez.

Au moment où elle disait ces mots, un coup frappé au plafond lui fit lever la tête, et une voix, qui parvint à elle à travers le plancher, lui cria :

— Chère madame Bonacieux, ouvrez-moi la petite porte de l’allée, et je vais descendre près de vous.

L’AMANT ET LE MARI

— Ah ! madame, dit d’Artagnan en entrant par la porte que lui ouvrait la jeune femme, permettez-moi de vous le dire, vous avez là un triste mari.

— Vous avez donc entendu notre conversation ? demanda vivement madame Bonacieux en regardant d’Artagnan avec inquiétude.

— Tout entière.

— Mais comment cela, mon Dieu !

— Par un procédé à moi connu, et par lequel j’ai entendu aussi la conversation plus animée que vous avez eue avec les sbires du cardinal.

— Et qu’avez-vous compris dans ce que nous disions ?

— Mille choses : d’abord, que votre mari est un niais et un sot, heureusement ; puis, que vous étiez embarrassée, ce dont j’ai été fort aise, et que cela me donne une occasion de me mettre à votre service, et Dieu sait si je suis prêt à me jeter dans le feu pour vous ; enfin que la reine a besoin qu’un homme brave, intelligent et dévoué fasse pour elle un voyage à Londres. J’ai au moins deux des trois qualités qu’il vous faut, et me voilà.

Mme Bonacieux ne répondit pas, mais son cœur battait de joie, et une secrète espérance brilla à ses yeux.

— Et quelle garantie me donnerez-vous, demanda-t-elle, si je consens à vous confier cette mission ?

— Mon amour pour vous. Voyons, dites, ordonnez : que faut-il faire ?

— Mon Dieu ! mon Dieu ! murmura la jeune femme, dois-je vous confier un pareil secret, monsieur ? Vous êtes presque un enfant !

— Allons, je vois qu’il vous faut quelqu’un qui vous réponde de moi.

— J’avoue que cela me rassurerait fort.

— Connaissez-vous Athos ?

— Non.

— Porthos ?

— Non.

— Aramis ?

— Non. Quels sont ces messieurs ?

— Des mousquetaires du roi. Connaissez-vous M. de Tréville, leur capitaine ?

— Oh ! oui, celui-là, je le connais, non pas personnellement, mais pour en avoir entendu plus d’une fois parler à la reine comme d’un brave et loyal gentilhomme.

— Vous ne craignez pas que lui vous trahisse pour le cardinal, n’est-ce pas ?

— Oh ! non, certainement.

— Eh bien, révélez-lui votre secret, et demandez-lui, si important, si précieux, si terrible qu’il soit, si vous pouvez me le confier.

— Mais ce secret ne m’appartient pas, et je ne puis le révéler ainsi.

— Vous l’alliez bien confier à M. Bonacieux, dit d’Artagnan avec dépit.

— Comme on confie une lettre au creux d’un arbre, à l’aile d’un pigeon, au collier d’un chien.

— Et cependant, moi, vous voyez bien que je vous aime.

— Vous le dites.

— Je suis un galant homme !

— Je le crois.

— Je suis brave !

— Oh ! cela, j’en suis sûre.

— Alors, mettez-moi donc à l’épreuve.

Madame Bonacieux regarda le jeune homme, retenue par une dernière hésitation. Mais il y avait une telle ardeur dans ses yeux, une telle persuasion dans sa voix, qu’elle se sentit entraînée à se fier à lui. D’ailleurs elle se trouvait dans une de ces circonstances où il faut risquer le tout pour le tout. La reine était aussi bien perdue par une trop grande retenue que par une trop grande confiance. Puis, avouons-le, le sentiment involontaire qu’elle éprouvait pour ce jeune protecteur la décida à parler.

— Écoutez, lui dit-elle, je me rends à vos protestations et je cède à vos assurances. Mais je vous jure devant Dieu qui nous entend, que si vous me trahissez et que mes ennemis me pardonnent, je me tuerai en vous accusant de ma mort.

— Et moi, je vous jure devant Dieu, madame, dit d’Artagnan, que si je suis pris en accomplissant les ordres que vous me donnez, je mourrai avant de rien faire ou dire qui compromette quelqu’un.

Alors la jeune femme lui confia le terrible secret dont le hasard lui avait déjà révélé une partie en face de la Samaritaine. Ce fut leur mutuelle déclaration d’amour.

D’Artagnan rayonnait de joie et d’orgueil. Ce secret qu’il possédait, cette femme qu’il aimait, la confiance et l’amour, faisaient de lui un géant.

— Je pars, dit-il, je pars sur-le-champ.

— Comment ! vous partez ! s’écria madame Bonacieux, et votre régiment, votre capitaine ?

— Sur mon âme, vous m’aviez fait oublier tout cela, chère Constance ! oui, vous avez raison, il me faut un congé.

— Encore un obstacle ! murmura madame Bonacieux avec douleur.

— Oh ! celui-là, s’écria d’Artagnan après un moment de réflexion, je le surmonterai, soyez tranquille.

— Comment cela ?

— J’irai trouver ce soir même M. de Tréville, que je chargerai de demander pour moi cette faveur à son beau-frère, M. des Essarts.

— Maintenant, autre chose.

— Quoi ? demanda d’Artagnan, voyant que madame Bonacieux hésitait à continuer.

— Vous n’avez peut-être pas d’argent ?

— Peut-être est de trop, dit d’Artagnan en souriant.

— Alors, reprit madame Bonacieux en ouvrant une armoire et en tirant de cette armoire le sac qu’une demi-heure auparavant caressait si amoureusement son mari, prenez ce sac.

— Celui du cardinal ! s’écria en éclatant de rire d’Artagnan qui, comme on s’en souvient, grâce à ses carreaux enlevés, n’avait pas perdu une syllabe de la conversation du mercier et de sa femme.

— Celui du cardinal, répondit madame Bonacieux ; vous voyez qu’il se présente sous un aspect assez respectable.

— Pardieu ! s’écria d’Artagnan, ce sera une chose doublement divertissante que de sauver la reine avec l’argent de Son Éminence !

— Vous êtes un aimable et charmant jeune homme, dit madame Bonacieux. Croyez que Sa Majesté ne sera point ingrate.

— Oh ! je suis déjà grandement récompensé ! s’écria d’Artagnan. Je vous aime, vous me permettez de vous le dire ; c’est déjà plus de bonheur que je n’en osais espérer.

— Silence ! dit madame Bonacieux en tressaillant.

— Quoi ?

— On parle dans la rue.

— C’est la voix…

— De mon mari. Oui, je l’ai reconnue !

D’Artagnan courut à la porte et poussa le verrou.

— Il n’entrera pas que je ne sois parti, dit-il, et quand je serai parti, vous lui ouvrirez.

— Mais je devrais être partie aussi, moi. Et la disparition de cet argent, comment la justifier si je suis là ?

— Vous avez raison, il faut sortir.

— Sortir, comment ? On nous verra si nous sortons.

— Alors il faut monter chez moi.

— Ah ! s’écria madame Bonacieux, vous me dites cela d’un ton qui me fait peur.

Madame Bonacieux prononça ces paroles avec une larme dans les yeux. D’Artagnan vit cette larme, et, troublé, attendri, il se jeta à ses genoux.

— Chez moi, dit-il, vous serez en sûreté comme dans un temple, je vous en donne ma parole de gentilhomme.

— Partons, dit-elle, je me fie à vous, mon ami.

D’Artagnan rouvrit avec précaution le verrou, et tous deux, légers comme des ombres, se glissèrent par la porte intérieure dans l’allée, montèrent sans bruit l’escalier et rentrèrent dans la chambre de d’Artagnan.

Une fois chez lui, pour plus de sûreté, le jeune homme barricada la porte ; ils s’approchèrent tous deux de la fenêtre, et par une fente du volet ils virent M. Bonacieux qui causait avec un homme en manteau.

À la vue de l’homme en manteau, d’Artagnan bondit, et, tirant son épée à demi, s’élança vers la porte.

C’était l’homme de Meung.

— Qu’allez-vous faire ? s’écria madame Bonacieux ; vous nous perdez.

— Mais j’ai juré de tuer cet homme ! dit d’Artagnan.

— Votre vie est vouée en ce moment et ne vous appartient pas. Au nom de la reine, je vous défends de vous jeter dans aucun péril étranger à celui du voyage.

— Et en votre nom, n’ordonnez-vous rien ?

— En mon nom, dit madame Bonacieux avec une vive émotion ; en mon nom, je vous en prie. Mais écoutons, il me semble qu’ils parlent de moi.

D’Artagnan se rapprocha de la fenêtre et prêta l’oreille.

M. Bonacieux avait rouvert sa porte, et voyant l’appartement vide, il était revenu à l’homme au manteau qu’un instant il avait laissé seul.

— Elle est partie, dit-il, elle sera retournée au Louvre.

— Vous êtes sûr, répondit l’étranger, qu’elle ne s’est pas doutée dans quelles intentions vous êtes sorti ?

— Non, répondit Bonacieux avec suffisance ; c’est une femme trop superficielle.

— Le cadet aux gardes est-il chez lui ?

— Je ne le crois pas ; comme vous le voyez, son volet est fermé, et l’on ne voit aucune lumière briller à travers les fentes.

— C’est égal, il faudrait s’en assurer.

— Comment cela ?

— En allant frapper à sa porte.

— Je demanderai à son valet.

— Allez.

Bonacieux rentra chez lui, passa par la même porte qui venait de donner passage aux deux fugitifs, monta jusqu’au palier de d’Artagnan et frappa.

Personne ne répondit. Porthos, pour faire plus grande figure, avait emprunté ce soir-là Planchet. Quant à d’Artagnan, il n’avait garde de donner signe d’existence.

Au moment où le doigt de Bonacieux résonna sur la porte, les deux jeunes gens sentirent bondir leur cœur.

— Il n’y a personne chez lui, dit Bonacieux.

— N’importe, rentrons toujours chez vous, nous serons plus en sûreté que sur le seuil d’une porte.

— Ah ! mon Dieu ! murmura madame Bonacieux, nous n’allons plus rien entendre.

— Au contraire, dit d’Artagnan, nous n’entendrons que mieux.

D’Artagnan enleva les trois ou quatre carreaux qui faisaient de sa chambre une autre oreille de Denys, étendit un tapis à terre, se mit à genoux, et fit signe à madame Bonacieux de se pencher, comme il le faisait vers l’ouverture.

— Vous êtes sûr qu’il n’y a personne ? dit l’inconnu.

— J’en réponds, dit Bonacieux.

— Et vous pensez que votre femme…

— Est retournée au Louvre.

— Sans parler à aucune personne qu’à vous ?

— J’en suis sûr.

— C’est un point important, comprenez-vous ?

— Ainsi, la nouvelle que je vous ai apportée a donc une valeur…

— Très grande, mon cher Bonacieux, je ne vous le cache pas.

— Alors le cardinal sera content de moi ?

— Je n’en doute pas.

— Le grand cardinal !

— Vous êtes sûr que, dans sa conversation avec vous, votre femme n’a pas prononcé de noms propres ?

— Je ne crois pas.

— Elle n’a nommé ni madame de Chevreuse, ni M. de Buckingham, ni madame de Vernel ?

— Non, elle m’a dit seulement qu’elle voulait m’envoyer à Londres pour servir les intérêts d’une personne illustre.

— Le traître ! murmura madame Bonacieux.

— Silence ! dit d’Artagnan en lui prenant une main qu’elle lui abandonna sans y penser.

— N’importe, continua l’homme au manteau, vous êtes un niais de n’avoir pas feint d’accepter la commission, vous auriez la lettre à présent ; l’État qu’on menace était sauvé, et vous…

— Et moi ?

— Eh bien, vous ! le cardinal vous donnait des lettres de noblesse…

— Il vous l’a dit ?

— Oui, je sais qu’il voulait vous faire cette surprise.

— Soyez tranquille, reprit Bonacieux ; ma femme m’adore, et il est encore temps.

— Le niais ! murmura madame Bonacieux.

— Silence ! dit d’Artagnan en lui serrant plus fortement la main.

— Comment est-il encore temps ? reprit l’homme au manteau.

— Je retourne au Louvre, je demande madame Bonacieux, je dis que j’ai réfléchi, je renoue l’affaire, j’obtiens la lettre, et je cours chez le cardinal.

— Eh bien, allez vite ; je reviendrai bientôt savoir le résultat de votre démarche.

L’inconnu sortit.

— L’infâme ! dit madame Bonacieux en adressant encore cette épithète à son mari.

— Silence ! répéta d’Artagnan en lui serrant la main plus fortement encore.

Un hurlement terrible interrompit alors les réflexions de d’Artagnan et de madame Bonacieux. C’était son mari, qui s’était aperçu de la disparition de son sac et qui criait au voleur.

— Oh ! mon Dieu ! s’écria madame Bonacieux, il va ameuter tout le quartier.

Bonacieux cria longtemps ; mais comme de pareils cris, attendu leur fréquence, n’attiraient personne dans la rue des Fossoyeurs, et que d’ailleurs la maison du mercier était depuis quelque temps assez mal famée, voyant que personne ne venait, il sortit en continuant de crier, et l’on entendit sa voix qui s’éloignait dans la direction de la rue du Bac.

— Et maintenant qu’il est parti, à votre tour de vous éloigner, dit madame Bonacieux ; du courage, mais surtout de la prudence, et songez que vous vous devez à la reine.

— À elle et à vous ! s’écria d’Artagnan. Soyez tranquille, belle Constance, je reviendrai digne de sa reconnaissance ; mais reviendrai-je aussi digne de votre amour ?

La jeune femme ne répondit que par la vive rougeur qui colora ses joues. Quelques instants après, d’Artagnan sortit à son tour, enveloppé, lui aussi, d’un grand manteau que retroussait cavalièrement le fourreau d’une longue épée.

Madame Bonacieux le suivit des yeux avec ce long regard d’amour dont la femme accompagne l’homme qu’elle se sent aimer ; mais lorsqu’il eut disparu à l’angle de la rue, elle tomba à genoux, et joignant les mains :

— Ô mon Dieu ! s’écria-t-elle, protégez la reine, protégez-moi !

PLAN DE CAMPAGNE

D’Artagnan se rendit droit chez M. de Tréville. Il avait réfléchi que, dans quelques minutes, le cardinal serait averti par ce damné inconnu, qui paraissait être son agent, et il pensait avec raison qu’il n’y avait pas un instant à perdre.

Le cœur du jeune homme débordait de joie. Une occasion où il y avait à la fois gloire à acquérir et argent à gagner se présentait à lui, et, comme premier encouragement, venait de le rapprocher d’une femme qu’il adorait. Ce hasard faisait donc presque du premier coup, pour lui, plus qu’il n’eût osé demander à la Providence.

M. de Tréville était dans son salon avec sa cour habituelle de gentilshommes. D’Artagnan, que l’on connaissait comme un familier de la maison, alla droit à son cabinet et le fit prévenir qu’il l’attendait pour chose d’importance.

D’Artagnan était là depuis cinq minutes à peine, lorsque M. de Tréville entra. Au premier coup d’œil et à la joie qui se peignait sur son visage, le digne capitaine comprit qu’il se passait effectivement quelque chose de nouveau.

Tout le long de la route, d’Artagnan s’était demandé s’il se confierait à M. de Tréville, ou si seulement il lui demanderait de lui accorder carte blanche pour une affaire secrète. Mais M. de Tréville avait toujours été si parfait pour lui, il était si fort dévoué au roi et à la reine, il haïssait si cordialement le cardinal, que le jeune homme résolut de tout lui dire.

— Vous m’avez fait demander, mon jeune ami ? dit M. de Tréville.

— Oui, monsieur, dit d’Artagnan, et vous me pardonnerez, je l’espère, de vous avoir dérangé, quand vous saurez de quelle chose importante il est question.

— Dites alors, je vous écoute.

— Il ne s’agit de rien de moins, dit d’Artagnan, en baissant la voix, que de l’honneur et peut-être de la vie de la reine.

— Que dites-vous là ? demanda M. de Tréville en regardant tout autour de lui s’ils étaient bien seuls, et en ramenant son regard interrogateur sur d’Artagnan.

— Je dis, monsieur, que le hasard m’a rendu maître d’un secret…

— Que vous garderez, j’espère, jeune homme, sur votre vie.

— Mais que je dois vous confier, à vous, monsieur, car vous seul pouvez m’aider dans la mission que je viens de recevoir de Sa Majesté.

— Ce secret est-il à vous ?

— Non, monsieur, c’est celui de la reine.

— Êtes-vous autorisé par Sa Majesté à me le confier ?

— Non, monsieur, car au contraire le plus profond mystère m’est recommandé.

— Et pourquoi donc allez-vous le trahir vis-à-vis de moi ?

— Parce que, je vous le dis, sans vous je ne puis rien, et que j’ai peur que vous ne me refusiez la grâce que je viens vous demander, si vous ne savez pas dans quel but je vous la demande.

— Gardez votre secret, jeune homme, et dites-moi ce que vous désirez.

— Je désire que vous obteniez pour moi, de M. des Essarts, un congé de quinze jours.

— Quand cela ?

— Cette nuit même.

— Vous quittez Paris ?

— Je vais en mission.

— Pouvez-vous me dire où ?

— À Londres.

— Quelqu’un a-t-il intérêt à ce que vous n’arriviez pas à votre but ?

— Le cardinal, je le crois, donnerait tout au monde pour m’empêcher de réussir.

— Et vous partez seul ?

— Je pars seul.

— En ce cas, vous ne passerez pas Bondy ; c’est moi qui vous le dis, foi de Tréville.

— Comment cela ?

— On vous fera assassiner.

— Je serai mort en faisant mon devoir.

— Mais votre mission ne sera pas remplie.

— C’est vrai, dit d’Artagnan.

— Croyez-moi, continua Tréville, dans les entreprises de ce genre, il faut être quatre pour arriver un.

— Ah ! vous avez raison, monsieur, dit d’Artagnan ; mais vous connaissez Athos, Porthos et Aramis, et vous savez si je puis disposer d’eux.

— Sans leur confier le secret que je n’ai pas voulu savoir ?

— Nous nous sommes juré, une fois pour toutes, confiance aveugle et dévouement à toute épreuve ; d’ailleurs vous pouvez leur dire que vous avez toute confiance en moi, et ils ne seront pas plus incrédules que vous.

— Je puis leur envoyer à chacun un congé de quinze jours, voilà tout : à Athos, que sa blessure fait toujours souffrir, pour aller aux eaux de Forges ! à Porthos et à Aramis, pour suivre leur ami, qu’ils ne veulent pas abandonner dans une si douloureuse position. L’envoi de leur congé sera la preuve que j’autorise leur voyage.

— Merci, monsieur, et vous êtes cent fois bon.

— Allez donc les trouver à l’instant même, et que tout s’exécute cette nuit. Ah ! et d’abord écrivez-moi votre requête à M. des Essarts. Peut-être aviez-vous un espion à vos trousses, et votre visite, qui dans ce cas est déjà connue du cardinal, sera légitimée ainsi.

D’Artagnan formula cette demande, et M. de Tréville, en la recevant de ses mains, assura qu’avant deux heures du matin les quatre congés seraient au domicile respectif des voyageurs.

— Ayez la bonté d’envoyer le mien chez Athos, dit d’Artagnan. Je craindrais, en rentrant chez moi, d’y faire quelque mauvaise rencontre.

— Soyez tranquille. Adieu et bon voyage ! À propos, dit M. de Tréville en le rappelant.

D’Artagnan revint sur ses pas.

— Avez-vous de l’argent ?

D’Artagnan fit sonner le sac qu’il avait dans sa poche.

— Assez ? demanda M. de Tréville.

— Trois cents pistoles.

— C’est bien, on va au bout du monde avec cela ; allez donc.

D’Artagnan salua M. de Tréville, qui lui tendit la main ; d’Artagnan la lui serra avec un respect mêlé de reconnaissance. Depuis qu’il était arrivé à Paris, il n’avait eu qu’à se louer de cet excellent homme, qu’il avait toujours trouvé digne, loyal et grand.

Sa première visite fut pour Aramis ; il n’était pas revenu chez son ami depuis la fameuse soirée où il avait suivi madame Bonacieux. Il y a plus : à peine avait-il vu le jeune mousquetaire, et, à chaque fois qu’il l’avait revu, il avait cru remarquer une profonde tristesse empreinte sur son visage.

Ce soir encore, Aramis veillait sombre et rêveur ; d’Artagnan lui fit quelques questions sur cette mélancolie profonde ; Aramis s’excusa sur un commentaire du dix-huitième chapitre de saint Augustin qu’il était forcé d’écrire en latin pour la semaine suivante, et qui le préoccupait beaucoup.

Comme les deux amis causaient depuis quelques instants, un serviteur de M. de Tréville entra porteur d’un paquet cacheté.

— Qu’est-ce là ? demanda Aramis.

— Le congé que monsieur a demandé, répondit le laquais.

— Moi, je n’ai pas demandé de congé.

— Taisez-vous et prenez, dit d’Artagnan. Et vous, mon ami, voici une demi-pistole pour votre peine ; vous direz à M. de Tréville que M. Aramis le remercie bien sincèrement. Allez.

Le laquais salua jusqu’à terre et sortit.

— Que signifie cela ? demanda Aramis.

— Prenez ce qu’il vous faut pour un voyage de quinze jours, et suivez-moi.

— Mais je ne puis quitter Paris en ce moment, sans savoir…

Aramis s’arrêta…

— Ce qu’elle est devenue, n’est-ce pas ? continua d’Artagnan.

— Qui ? reprit Aramis.

— La femme qui était ici, la femme au mouchoir brodé.

— Qui vous a dit qu’il y avait une femme ici ? répliqua Aramis en devenant pâle comme la mort.

— Je l’ai vue.

— Et vous savez qui elle est ?

— Je crois m’en douter, du moins.

— Écoutez, dit Aramis, puisque vous savez tant de choses, savez-vous ce qu’est devenue cette femme ?

— Je présume qu’elle est retournée à Tours.

— À Tours ? oui, c’est bien cela, vous la connaissez. Mais comment est-elle retournée à Tours sans me rien dire ?

— Parce qu’elle a craint d’être arrêtée.

— Comment ne m’a-t-elle pas écrit ?

— Parce qu’elle craint de vous compromettre.

— D’Artagnan, vous me rendez la vie ! s’écria Aramis. Je me croyais méprisé, trahi. J’étais si heureux de la revoir ! Je ne pouvais croire qu’elle risquât sa liberté pour moi, et cependant pour quelle cause serait-elle revenue à Paris ?

— Pour la cause qui aujourd’hui nous fait aller en Angleterre.

— Et quelle est cette cause ? demanda Aramis.

— Vous le saurez un jour, Aramis ; mais, pour le moment, j’imiterai la retenue de la nièce du docteur.

Aramis sourit, car il se rappelait le conte qu’il avait fait certain soir à ses amis.

— Eh bien, donc, puisqu’elle a quitté Paris et que vous en êtes sûr, d’Artagnan, rien ne m’y arrête plus, et je suis prêt à vous suivre. Vous dites que nous allons…

— Chez Athos, pour le moment, et si vous voulez venir, je vous invite même à vous hâter, car nous avons déjà perdu beaucoup de temps. À propos, prévenez Bazin.

— Bazin vient avec nous ? demanda Aramis.

— Peut-être. En tout cas, il est bon qu’il nous suive pour le moment chez Athos.

Aramis appela Bazin, et après lui avoir ordonné de le venir joindre chez Athos : — Partons donc, — dit-il en prenant son manteau, son épée et ses trois pistolets, et en ouvrant inutilement trois ou quatre tiroirs pour voir s’il n’y trouverait pas quelque pistole égarée. Puis, quand il se fut bien assuré que cette recherche était superflue, il suivit d’Artagnan en se demandant comment il se faisait que le jeune cadet aux gardes sût aussi bien que lui quelle était la femme à laquelle il avait donné l’hospitalité, et sût mieux que lui ce qu’elle était devenue.

Seulement, en sortant, Aramis posa sa main sur le bras de d’Artagnan, et le regardant fixement :

— Vous n’avez parlé de cette femme à personne ? dit-il.

— À personne au monde.

— Pas même à Athos et à Porthos ?

— Je ne leur en ai pas soufflé le moindre mot.

— À la bonne heure.

Tranquille sur ce point important, Aramis continua son chemin avec d’Artagnan, et tous deux arrivèrent bientôt chez Athos.

Ils le trouvèrent tenant son congé d’une main et la lettre de M. de Tréville de l’autre.

— Pouvez-vous m’expliquer ce que signifient ce congé et cette lettre que je viens de recevoir ? dit Athos étonné.

« Mon cher Athos, je veux bien, puisque votre santé l’exige absolument, que vous vous reposiez quinze jours. Allez donc prendre les eaux de Forges ou telles autres qui vous conviendront, et rétablissez-vous promptement.

« Votre affectionné

« Tréville »

— Eh bien ! ce congé et cette lettre signifient qu’il faut me suivre, Athos.

— Aux eaux de Forges ?

— Là ou ailleurs.

— Pour le service du roi ?

— Du roi ou de la reine : ne sommes-nous pas serviteurs de Leurs Majestés ?

En ce moment, Porthos entra.

— Pardieu, dit-il, voici une chose étrange : depuis quand, dans les mousquetaires, accorde-t-on aux gens des congés sans qu’ils les demandent ?

— Depuis, dit d’Artagnan, qu’ils ont des amis qui les demandent pour eux.

— Ah ! ah ! dit Porthos, il paraît qu’il y a du nouveau ici ?

— Oui, nous partons, dit Aramis.

— Pour quel pays ? demanda Porthos.

— Ma foi, je n’en sais trop rien, dit Athos ; demande cela à d’Artagnan.

— Pour Londres, messieurs, dit d’Artagnan.

— Pour Londres ! s’écria Porthos ; et qu’allons-nous faire à Londres ?

— Voilà ce que je ne puis vous dire, messieurs, et il faut vous fier à moi.

— Mais pour aller à Londres, ajouta Porthos, il faut de l’argent, et je n’en ai pas.

— Ni moi, dit Aramis.

— Ni moi, dit Athos.

— J’en ai, moi, reprit d’Artagnan en tirant son trésor de sa poche et en le posant sur la table. Il y a dans ce sac trois cents pistoles ; prenons-en chacun soixante-quinze ; c’est autant qu’il en faut pour aller à Londres et pour en revenir. D’ailleurs, soyez tranquilles, nous n’y arriverons pas tous à Londres.

— Et pourquoi cela ?

— Parce que, selon toute probabilité, il y en aura quelques-uns d’entre nous qui resteront en route.

— Mais est-ce donc une campagne que nous entreprenons ?

— Et des plus dangereuses, je vous en avertis.

— Ah çà ! puisque nous risquons de nous faire tuer, dit Porthos, je voudrais bien savoir pourquoi, au moins.

— Tu en seras bien plus avancé, dit Athos.

— Cependant, dit Aramis, je suis de l’avis de Porthos.

— Le roi a-t-il l’habitude de vous rendre des comptes ? Non ; il vous dit tout bonnement : Messieurs, on se bat en Gascogne ou dans les Flandres ; allez vous battre, et vous y allez. Pourquoi ? vous ne vous en inquiétez même pas.

— D’Artagnan a raison, dit Athos, voilà nos trois congés qui viennent de M. de Tréville, et voilà trois cents pistoles qui viennent je ne sais d’où. Allons nous faire tuer où l’on nous dit d’aller. La vie vaut-elle la peine de faire autant de questions ? D’Artagnan, je suis prêt à te suivre.

— Et moi aussi, dit Porthos.

— Et moi aussi, dit Aramis. Aussi bien, je ne suis pas fâché de quitter Paris. J’ai besoin de distractions.

— Eh bien ! vous en aurez, des distractions, messieurs, soyez tranquilles ! dit d’Artagnan.

— Et maintenant, quand partons-nous ? dit Athos.

— Tout de suite, répondit d’Artagnan, il n’y a pas une minute à perdre.

— Holà ! Grimaud, Planchet, Mousqueton, Bazin ! crièrent les quatre jeunes gens appelant leurs laquais, graissez nos bottes et ramenez les chevaux de l’hôtel.

En effet, chaque mousquetaire laissait à l’hôtel général comme à une caserne son cheval et celui de son laquais.

Planchet, Grimaud, Mousqueton et Bazin partirent en toute hâte.

— Maintenant, dressons le plan de campagne, dit Porthos. Où allons-nous d’abord ?

— À Calais, dit d’Artagnan ; c’est la ligne la plus directe pour arriver à Londres.

— Eh bien ! dit Porthos, voici mon avis.

— Parle.

— Quatre hommes voyageant ensemble seraient suspects : d’Artagnan nous donnera à chacun ses instructions, je partirai en avant par la route de Boulogne pour éclairer le chemin ; Athos partira deux heures après par celle d’Amiens ; Aramis nous suivra par celle de Noyon ; quant à d’Artagnan, il partira par celle qu’il voudra, avec les habits de Planchet, tandis que Planchet nous suivra en d’Artagnan et avec l’uniforme des gardes.

— Messieurs, dit Athos, mon avis est qu’il ne convient pas de mettre en rien des laquais dans une pareille affaire : un secret peut par hasard être trahi par des gentilshommes, mais il est presque toujours vendu par des laquais.

— Le plan de Porthos me semble impraticable, dit d’Artagnan, en ce que j’ignore moi-même quelles instructions je puis vous donner. Je suis porteur d’une lettre, voilà tout. Je n’ai pas et ne puis faire trois copies de cette lettre, puisqu’elle est scellée ; il faut donc, à mon avis, voyager de compagnie. Cette lettre est là, dans cette poche. Et il montra la poche où était la lettre. Si je suis tué, l’un de vous la prendra et vous continuerez la route ; s’il est tué, ce sera le tour d’un autre, et ainsi de suite ; pourvu qu’un seul arrive, c’est tout ce qu’il faut.

— Bravo, d’Artagnan ! ton avis est le mien, dit Athos. Il faut être conséquent, d’ailleurs : je vais prendre les eaux, vous m’accompagnerez ; au lieu des eaux de Forges, je vais prendre les eaux de mer ; je suis libre. On veut nous arrêter, je montre la lettre de M. de Tréville, et vous montrez vos congés ; on nous attaque, nous nous défendons ; on nous juge, nous soutenons mordicus que nous n’avions d’autre intention que de nous tremper un certain nombre de fois dans la mer ; on aurait trop bon marché de quatre hommes isolés, tandis que quatre hommes réunis font une troupe. Nous armerons les quatre laquais de pistolets et de mousquetons ; si l’on envoie une armée contre nous, nous livrerons bataille, et le survivant, comme l’a dit d’Artagnan, portera la lettre.

— Bien dit, s’écria Aramis ; tu ne parles pas souvent, Athos, mais quand tu parles, c’est comme saint Jean Bouche d’or. J’adopte le plan d’Athos. Et toi, Porthos ?

— Moi aussi, dit Porthos, s’il convient à d’Artagnan. D’Artagnan, porteur de la lettre, est naturellement le chef de l’entreprise ; qu’il décide, et nous exécuterons.

— Eh bien, dit d’Artagnan, je décide que nous adoptions le plan d’Athos et que nous partions dans une demi-heure.

— Adopté ! reprirent en chœur les trois mousquetaires.

Et chacun, allongeant la main vers le sac, prit soixante-quinze pistoles et fit ses préparatifs pour partir à l’heure convenue.

VOYAGE

À deux heures du matin, nos quatre aventuriers sortirent de Paris par la barrière Saint-Denis ; tant qu’il fit nuit, ils restèrent muets ; malgré eux, ils subissaient l’influence de l’obscurité et voyaient des embûches partout.

Aux premiers rayons du jour, leurs langues se délièrent ; avec le soleil, la gaieté revint : c’était comme à la veille d’un combat, le cœur battait, les yeux riaient ; on sentait que la vie qu’on allait peut-être quitter était, au bout du compte, une bonne chose.

L’aspect de la caravane, au reste, était des plus formidables : les chevaux noirs des mousquetaires, leur tournure martiale, cette habitude de l’escadron qui fait marcher régulièrement ces nobles compagnons du soldat, eussent trahi le plus strict incognito.

Les valets suivaient, armés jusqu’aux dents.

Tout alla bien jusqu’à Chantilly, où l’on arriva vers les huit heures du matin. Il fallait déjeuner. On descendit devant une auberge que recommandait une enseigne représentant saint Martin donnant la moitié de son manteau à un pauvre. On enjoignit aux laquais de ne pas desseller les chevaux et de se tenir prêts à repartir immédiatement.

On entra dans la salle commune, et l’on se mit à table. Un gentilhomme, qui venait d’arriver par la route de Dammartin, était assis à cette même table et déjeunait. Il entama la conversation sur la pluie et le beau temps ; les voyageurs répondirent ; il but à leur santé ; les voyageurs lui rendirent sa politesse.

Mais au moment où Mousqueton venait annoncer que les chevaux étaient prêts et où l’on se levait de table l’étranger proposa à Porthos la santé du cardinal. Porthos répondit qu’il ne demandait pas mieux, si l’étranger à son tour voulait boire à la santé du roi. L’étranger s’écria qu’il ne connaissait d’autre roi que Son Éminence. Porthos l’appela ivrogne ; l’étranger tira son épée.

— Vous avez fait une sottise, dit Athos ; n’importe, il n’y a plus à reculer maintenant : tuez cet homme et venez nous rejoindre le plus vite que vous pourrez.

Et tous trois remontèrent à cheval et repartirent à toute bride, tandis que Porthos promettait à son adversaire de le perforer de tous les coups connus dans l’escrime.

— Et d’un ! dit Athos au bout de cinq cents pas.

— Mais pourquoi cet homme s’est-il attaqué à Porthos plutôt qu’à tout autre ? demanda Aramis.

— Parce que, Porthos parlant plus haut que nous tous il l’a pris pour le chef, dit d’Artagnan.

— J’ai toujours dit que ce cadet de Gascogne était un puits de sagesse, murmura Athos.

Et les voyageurs continuèrent leur route.

À Beauvais, on s’arrêta deux heures, tant pour faire souffler les chevaux que pour attendre Porthos. Au bout de deux heures, comme Porthos n’arrivait pas, ni aucune nouvelle de lui, on se remit en chemin.

À une lieue de Beauvais, à un endroit où le chemin se trouvait resserré entre deux talus, on rencontra huit ou dix hommes qui, profitant de ce que la route était dépavée en cet endroit, avaient l’air d’y travailler en y creusant des trous et en pratiquant des ornières boueuses.

Aramis, craignant de salir ses bottes dans ce mortier artificiel, les apostropha durement. Athos voulut le retenir, il était trop tard. Les ouvriers se mirent à railler les voyageurs, et firent perdre par leur insolence la tête même au froid Athos qui poussa son cheval contre l’un d’eux.

Alors chacun de ces hommes recula jusqu’au fossé et y prit un mousquet caché ; il en résulta que nos sept voyageurs furent littéralement passés par les armes. Aramis reçut une balle qui lui traversa l’épaule, et Mousqueton une autre balle qui se logea dans les parties charnues qui prolongent le bas des reins. Cependant Mousqueton seul tomba de cheval, non pas qu’il fût grièvement blessé, mais, comme il ne pouvait voir sa blessure, sans doute il crut être plus dangereusement blessé qu’il ne l’était.

— C’est une embuscade, dit d’Artagnan, ne brûlons pas une amorce, et en route.

Aramis, tout blessé qu’il était, saisit la crinière de son cheval, qui l’emporta avec les autres. Celui de Mousqueton les avait rejoints, et galopait tout seul à son rang.

— Cela nous fera un cheval de rechange, dit Athos.

— J’aimerais mieux un chapeau, dit d’Artagnan, le mien a été emporté par une balle. C’est bien heureux, ma foi, que la lettre que je porte n’ait pas été dedans.

— Ah çà, mais ils vont tuer le pauvre Porthos quand il passera, dit Aramis.

— Si Porthos était sur ses jambes, il nous aurait rejoints maintenant, dit Athos. M’est avis que, sur le terrain, l’ivrogne se sera dégrisé.

Et l’on galopa encore pendant deux heures, quoique les chevaux fussent si fatigués, qu’il était à craindre qu’ils ne refusassent bientôt le service.

Les voyageurs avaient pris la traverse, espérant de cette façon être moins inquiétés, mais, à Crèvecœur, Aramis déclara qu’il ne pouvait aller plus loin. En effet, il avait fallu tout le courage qu’il cachait sous sa forme élégante et sous ses façons polies pour arriver jusque-là. À tout moment il pâlissait, et l’on était obligé de le soutenir sur son cheval ; on le descendit à la porte d’un cabaret, on lui laissa Bazin qui, au reste, dans une escarmouche, était plus embarrassant qu’utile, et l’on repartit dans l’espérance d’aller coucher à Amiens.

— Morbleu ! dit Athos, quand ils se retrouvèrent en route, réduits à deux maîtres et à Grimaud et Planchet, morbleu ! je ne serai plus leur dupe, et je vous réponds qu’ils ne me feront pas ouvrir la bouche ni tirer l’épée d’ici à Calais. J’en jure…

— Ne jurons pas, dit d’Artagnan, galopons, si toutefois nos chevaux y consentent.

Et les voyageurs enfoncèrent leurs éperons dans le ventre de leurs chevaux, qui, vigoureusement stimulés, retrouvèrent des forces. On arriva à Amiens à minuit, et l’on descendit à l’auberge du Lis d’Or.

L’hôtelier avait l’air du plus honnête homme de la terre, il reçut les voyageurs son bougeoir d’une main et son bonnet de coton de l’autre ; il voulut loger les deux voyageurs chacun dans une charmante chambre, malheureusement chacune de ces chambres était à l’extrémité de l’hôtel. D’Artagnan et Athos refusèrent ; l’hôte répondit qu’il n’y en avait cependant pas d’autres dignes de Leurs Excellences ; mais les voyageurs déclarèrent qu’ils coucheraient dans la chambre commune, chacun sur un matelas qu’on leur jetterait à terre. L’hôte insista, les voyageurs tinrent bon, il fallut faire ce qu’ils voulurent.

Ils venaient de disposer leur lit et de barricader leur porte en dedans, lorsqu’on frappa au volet de la cour ; ils demandèrent qui était là, reconnurent la voix de leurs valets et ouvrirent.

En effet, c’étaient Planchet et Grimaud.

— Grimaud suffira pour garder les chevaux, dit Planchet ; si ces messieurs veulent, je coucherai en travers de leur porte ; de cette façon-là, ils seront sûrs qu’on n’arrivera pas jusqu’à eux.

— Et sur quoi coucheras-tu ? dit d’Artagnan.

— Voici mon lit, répondit Planchet.

Et il montra une botte de paille.

— Viens donc, dit d’Artagnan, tu as raison ; la figure de l’hôte ne me convient pas, elle est trop gracieuse.

— Ni à moi non plus, dit Athos.

Planchet monta par la fenêtre, s’installa en travers de la porte, tandis que Grimaud allait s’enfermer dans l’écurie, répondant qu’à cinq heures du matin lui et les quatre chevaux seraient prêts.

La nuit fut assez tranquille, on essaya bien vers les deux heures du matin d’ouvrir la porte, mais comme Planchet se réveilla en sursaut et cria qui va là ? on répondit qu’on se trompait, et on s’éloigna.

À quatre heures du matin, on entendit un grand bruit dans les écuries. Grimaud avait voulu réveiller les garçons d’écurie, et les garçons d’écurie le battaient. Quand on ouvrit la fenêtre, on vit le pauvre garçon sans connaissance, la tête fendue d’un coup de manche à fourche.

Planchet descendit dans la cour et voulut seller les chevaux ; les chevaux étaient fourbus. Celui de Mousqueton seul, qui avait voyagé sans maître pendant cinq ou six heures la veille, aurait pu continuer la route ; mais, par une erreur inconcevable, le chirurgien vétérinaire qu’on avait envoyé chercher, à ce qu’il paraît, pour saigner le cheval de l’hôte, avait saigné celui de Mousqueton.

Cela commençait à devenir inquiétant : tous ces accidents successifs étaient peut-être le résultat du hasard, mais ils pouvaient tout aussi bien être le fruit d’un complot. Athos et d’Artagnan sortirent, tandis que Planchet allait s’informer s’il n’y avait pas trois chevaux à vendre dans les environs. À la porte étaient deux chevaux tout équipés, frais et vigoureux. Cela faisait bien l’affaire. Il demanda où étaient les maîtres ; on lui dit que les maîtres avaient passé la nuit dans l’auberge et réglaient leur compte à cette heure avec l’hôtelier.

Athos descendit pour payer la dépense, tandis que d’Artagnan et Planchet se tenaient sur la porte de la rue ; l’hôtelier était dans une chambre basse et reculée, on pria Athos d’y passer.

Athos entra sans défiance et tira deux pistoles pour payer : l’hôte était seul et assis devant son bureau, dont un des tiroirs était entrouvert. Il prit l’argent que lui présenta Athos, le tourna et le retourna dans ses mains, et tout à coup, s’écriant que la pièce était fausse, il déclara qu’il allait le faire arrêter, lui et son compagnon, comme faux-monnayeurs.

— Drôle ! dit Athos, en marchant sur lui, je vais te couper les oreilles !

Au même moment, quatre hommes armés jusqu’aux dents entrèrent par les portes latérales et se jetèrent sur Athos.

— Je suis pris, cria Athos de toutes les forces de ses poumons ; au large, d’Artagnan ! pique, pique ! Et il lâcha deux coups de pistolet.

D’Artagnan et Planchet ne se le firent pas répéter à deux fois, ils détachèrent les deux chevaux qui attendaient à la porte, sautèrent dessus, leur enfoncèrent leurs éperons dans le ventre et partirent au triple galop.

— Sais-tu ce qu’est devenu Athos ? demanda d’Artagnan à Planchet en courant.

— Ah ! monsieur, dit Planchet, j’en ai vu tomber deux à ses deux coups, et il m’a semblé, à travers la porte vitrée, qu’il ferraillait avec les autres.

— Brave Athos ! murmura d’Artagnan. Et quand on pense qu’il faut l’abandonner ! Au reste, autant nous attend peut-être à deux pas d’ici. En avant, Planchet, en avant ! tu es un brave homme.

— Je vous l’ai dit, monsieur, répondit Planchet, les Picards, ça se reconnaît à l’user ; d’ailleurs je suis ici dans mon pays, ça m’excite.

Et tous deux, piquant de plus belle, arrivèrent à Saint-Omer d’une seule traite. À Saint-Omer, ils firent souffler les chevaux la bride passée à leurs bras, de peur d’accident, et mangèrent un morceau sur le pouce tout debout dans la rue ; après quoi ils repartirent.

À cent pas des portes de Calais, le cheval de d’Artagnan s’abattit, et il n’y eut pas moyen de le faire se relever : le sang lui sortait par le nez et par les yeux, restait celui de Planchet, mais celui-là s’était arrêté, et il n’y eut plus moyen de le faire repartir.

Heureusement, comme nous l’avons dit, ils étaient à cent pas de la ville ; ils laissèrent les deux montures sur le grand chemin et coururent au port. Planchet fit remarquer à son maître un gentilhomme qui arrivait avec son valet et qui ne les précédait que d’une cinquantaine de pas.

Ils s’approchèrent vivement de ce gentilhomme, qui paraissait fort affairé. Il avait ses bottes couvertes de poussière, et s’informait s’il ne pourrait point passer à l’instant même en Angleterre.

— Rien ne serait plus facile, répondit le patron d’un bâtiment prêt à mettre à la voile ; mais, ce matin, est arrivé l’ordre de ne laisser partir personne sans une permission expresse de M. le cardinal.

— J’ai cette permission, dit le gentilhomme en tirant un papier de sa poche ; la voici.

— Faites-la viser par le gouverneur du port, dit le patron, et donnez-moi la préférence.

— Où trouverai-je le gouverneur ?

— À sa campagne.

— Et cette campagne est située ?

À un quart de lieue de la ville ; tenez, vous la voyez d’ici, au pied de cette petite éminence, ce toit en ardoises.

— Très bien ! dit le gentilhomme.

Et, suivi de son laquais, il prit le chemin de la maison de campagne du gouverneur.

D’Artagnan et Planchet suivirent le gentilhomme à cinq cents pas de distance.

Une fois hors de la ville, d’Artagnan pressa le pas et rejoignit le gentilhomme comme il entrait dans un petit bois.

— Monsieur, lui dit d’Artagnan, vous me paraissez fort pressé ?

— On ne peut plus pressé, monsieur.

— J’en suis désespéré, dit d’Artagnan, car, comme je suis très pressé aussi, je voulais vous prier de me rendre un service.

— Lequel ?

— De me laisser passer le premier.

— Impossible, dit le gentilhomme, j’ai fait soixante lieues en quarante-quatre heures, et il faut que demain à midi je sois à Londres.

— J’ai fait le même chemin en quarante heures, et il faut que demain à dix heures du matin je sois à Londres.

— Désespéré, monsieur ; mais je suis arrivé le premier et je ne passerai pas le second.

— Désespéré, monsieur, mais je suis arrivé le second et je passerai le premier.

— Service du roi ! dit le gentilhomme.

— Service de moi ! dit d’Artagnan.

— Mais c’est une mauvaise querelle que vous me cherchez là, ce me semble.

— Parbleu ! et que voulez-vous que ce soit ?

— Que désirez-vous ?

— Vous voulez le savoir ?

— Certainement.

— Eh bien, je veux l’ordre dont vous êtes porteur, attendu que je n’en ai pas, moi, et qu’il m’en faut un.

— Vous plaisantez, je présume.

— Je ne plaisante jamais.

— Laissez-moi passer !

— Vous ne passerez pas.

— Mon brave jeune homme, je vais vous casser la tête. Holà ! Lubin, mes pistolets.

— Planchet, dit d’Artagnan, charge-toi du valet, je me charge du maître.

Planchet, enhardi par le premier exploit, sauta sur Lubin, et comme il était fort et vigoureux, il le renversa les reins contre terre et lui mit le genou sur la poitrine.

— Faites votre affaire, monsieur, dit Planchet ; moi, j’ai fait la mienne.

Voyant cela, le gentilhomme tira son épée et fondit sur d’Artagnan ; mais il avait affaire à forte partie.

En trois secondes d’Artagnan lui fournit trois coups d’épée en disant à chaque coup :

— Un pour Athos, un pour Porthos, un pour Aramis.

Au troisième coup, le gentilhomme tomba comme une masse.

D’Artagnan le crut mort, ou tout au moins évanoui, et s’approcha pour lui prendre l’ordre ; mais au moment où il étendait le bras afin de le fouiller, le blessé qui n’avait pas lâché son épée, lui porta un coup de pointe dans la poitrine en disant :

— Un pour vous.

— Et un pour moi ! Au dernier les bons ! s’écria d’Artagnan furieux, en le clouant par terre d’un quatrième coup d’épée dans le ventre.

Cette fois, le gentilhomme ferma les yeux et s’évanouit.

D’Artagnan fouilla dans la poche où il l’avait vu remettre l’ordre de passage, et le prit. Il était au nom du comte de Wardes.

Puis, jetant un dernier coup d’œil sur le beau jeune homme, qui avait vingt-cinq ans à peine et qu’il laissait là, gisant, privé de sentiment et peut-être mort, il poussa un soupir sur cette étrange destinée qui porte les hommes à se détruire les uns les autres pour les intérêts de gens qui leur sont étrangers et qui souvent ne savent pas même qu’ils existent.

Mais il fut bientôt tiré de ces réflexions par Lubin, qui poussait des hurlements et criait de toutes ses forces au secours.

Planchet lui appliqua la main sur la gorge et serra de toutes ses forces.

— Monsieur, dit-il, tant que je le tiendrai ainsi, il ne criera pas, j’en suis bien sûr ; mais aussitôt que je le lâcherai, il va se remettre à crier. Je le reconnais pour un Normand et les Normands sont entêtés.

En effet, tout comprimé qu’il était, Lubin essayait encore de filer des sons.

— Attends ! dit d’Artagnan.

Et prenant son mouchoir, il le bâillonna.

— Maintenant, dit Planchet, lions-le à un arbre.

La chose fut faite en conscience, puis on tira le comte de Wardes près de son domestique ; et comme la nuit commençait à tomber et que le garrotté et le blessé étaient tous deux à quelques pas dans le bois, il était évident qu’ils devaient rester jusqu’au lendemain.

— Et maintenant, dit d’Artagnan, chez le gouverneur !

— Mais vous êtes blessé, ce me semble ? dit Planchet.

— Ce n’est rien, occupons-nous du plus pressé ; puis nous reviendrons à ma blessure, qui, au reste, ne me paraît pas très dangereuse.

Et tous deux s’acheminèrent à grands pas vers la campagne du digne fonctionnaire.

On annonça M. le comte de Wardes.

D’Artagnan fut introduit.

— Vous avez un ordre signé du cardinal ? dit le gouverneur.

— Oui, monsieur, répondit d’Artagnan, le voici.

— Ah ! ah ! il est en règle et bien recommandé, dit le gouverneur.

— C’est tout simple, répondit d’Artagnan, je suis de ses plus fidèles.

— Il paraît que Son Éminence veut empêcher quelqu’un de parvenir en Angleterre.

— Oui, un certain d’Artagnan, un gentilhomme béarnais qui est parti de Paris avec trois de ses amis dans l’intention de gagner Londres.

— Le connaissez-vous personnellement ? demanda le gouverneur.

— Qui cela ?

— Ce d’Artagnan ?

— À merveille.

— Donnez-moi son signalement alors.

— Rien de plus facile.

Et d’Artagnan donna trait pour trait le signalement du comte de Wardes.

— Est-il accompagné ? demanda le gouverneur.

— Oui, d’un valet nommé Lubin.

— On veillera sur eux, et si on leur met la main dessus, Son Éminence peut être tranquille, ils seront reconduits à Paris sous bonne escorte.

— Et ce faisant, monsieur le gouverneur, dit d’Artagnan, vous aurez bien mérité du cardinal.

— Vous le reverrez à votre retour, monsieur le comte ?

— Sans aucun doute.

— Dites-lui, je vous prie, que je suis bien son serviteur.

— Je n’y manquerai pas.

Et joyeux de cette assurance, le gouverneur visa le laissez-passer et le remit à d’Artagnan.

D’Artagnan ne perdit pas son temps en compliments inutiles, il salua le gouverneur, le remercia et partit.

Une fois dehors, lui et Planchet prirent leur course, et faisant un long détour, ils évitèrent le bois et rentrèrent par une autre porte.

Le bâtiment était toujours prêt à partir, le patron attendait sur le port.

— Eh bien ? dit-il en apercevant d’Artagnan.

— Voici ma passe visée, dit celui-ci.

— Et cet autre gentilhomme ?

— Il ne partira pas aujourd’hui, dit d’Artagnan, mais soyez tranquille, je paierai le passage pour nous deux.

— En ce cas, partons, dit le patron.

— Partons, répéta d’Artagnan.

Et il sauta avec Planchet dans le canot ; cinq minutes après, ils étaient à bord.

À une demi-lieue en mer, d’Artagnan vit briller une lumière et entendit une détonation.

C’était le coup de canon qui annonçait la fermeture du port.

Il était temps pour d’Artagnan de s’occuper de sa blessure ; heureusement, comme l’avait pensé d’Artagnan, elle n’était pas des plus dangereuses : la pointe de l’épée avait rencontré une côte et avait glissé le long de l’os ; de plus, la chemise s’était collée aussitôt à la plaie, et à peine avait-elle répandu quelques gouttes de sang.

D’Artagnan était brisé de fatigue : on lui étendit un matelas sur le pont, il se jeta dessus et s’endormit.

Le lendemain, au point du jour, il se trouva à trois ou quatre lieues seulement des côtes d’Angleterre ; la brise avait été faible toute la nuit, et l’on avait peu marché.

À deux heures, le bâtiment jetait l’ancre dans le port de Douvres.

À dix heures et demie, d’Artagnan mettait le pied sur la terre d’Angleterre, en s’écriant :

— Enfin m’y voilà !

Mais ce n’était pas tout : il fallait gagner Londres. En Angleterre, la poste était assez bien servie. D’Artagnan et Planchet prirent chacun un bidet, un postillon courut devant eux ; en quatre heures ils arrivèrent aux portes de la capitale.

D’Artagnan ne connaissait pas Londres, d’Artagnan ne savait pas un mot d’anglais ; mais il écrivit le nom de Buckingham sur un papier, et chacun lui indiqua l’hôtel du duc.

Le duc était à la chasse à Windsor avec le roi.

D’Artagnan demanda le valet de chambre de confiance du duc, qui, l’ayant accompagné dans tous ses voyages, parlait parfaitement français ; il lui dit qu’il arrivait de Paris pour affaire de vie et de mort, et qu’il fallait qu’il parlât à son maître à l’instant même.

La confiance avec laquelle parlait d’Artagnan convainquit Patrice ; c’était le nom de ce ministre du ministre. Il fit seller deux chevaux et se chargea de conduire le jeune garde. Quant à Planchet, on l’avait descendu de sa monture, raide comme un jonc : le pauvre garçon était au bout de ses forces ; d’Artagnan semblait de fer.

On arriva au château ; là on se renseigna : le roi et Buckingham chassaient à l’oiseau dans des marais situés à deux ou trois lieues de là.

En vingt minutes, on fut au lieu indiqué. Bientôt Patrice entendit la voix de son maître, qui appelait son faucon.

— Qui faut-il que j’annonce à Milord duc ? demanda Patrice.

— Le jeune homme qui, un soir, lui a cherché une querelle sur le Pont-Neuf, en face de la Samaritaine.

— Singulière recommandation !

— Vous verrez qu’elle en vaut bien une autre.

Patrice mit son cheval au galop, atteignit le duc et lui annonça dans les termes que nous avons dits qu’un messager l’attendait.

Buckingham reconnut d’Artagnan à l’instant même, et se doutant que quelque chose se passait en France dont on lui faisait parvenir la nouvelle, il ne prit que le temps de demander où était celui qui la lui apportait ; et ayant reconnu de loin l’uniforme des gardes, il mit son cheval au galop et vint droit à d’Artagnan. Patrice, par discrétion, se tint à l’écart.

— Il n’est point arrivé malheur à la reine ? s’écria Buckingham, répandant toute sa pensée et tout son amour dans cette interrogation.

— Je ne crois pas, répondit le Gascon ; cependant je crois qu’elle court quelque grand péril dont Votre Grâce seule peut la tirer.

— Moi ? s’écria Buckingham. Eh quoi ! je serais assez heureux pour lui être bon à quelque chose ! Parlez ! parlez !

— Prenez cette lettre, dit d’Artagnan.

— Cette lettre ! de qui vient cette lettre ?

— De Sa Majesté, à ce que je pense.

— De Sa Majesté ! dit Buckingham, pâlissant si fort que d’Artagnan crut qu’il allait se trouver mal.

Et il brisa le cachet.

— Quelle est cette déchirure ? dit-il en montrant à d’Artagnan un endroit où elle était percée à jour.

— Ah ! ah ! dit d’Artagnan, je n’avais pas vu cela ; c’est l’épée du comte de Wardes qui aura fait ce beau coup en me trouant la poitrine.

— Vous êtes blessé ? demanda Buckingham en rompant le cachet.

— Oh ! ce n’est rien, dit d’Artagnan, une égratignure.

— Juste Ciel ! qu’ai-je lu ! s’écria le duc. Patrice, reste ici, ou plutôt rejoins le roi partout où il sera, et dis à Sa Majesté que je la supplie bien humblement de m’excuser, mais qu’une affaire de la plus haute importance me rappelle à Londres. Venez, monsieur, venez.

Et tous deux reprirent au galop le chemin de la capitale.

LA COMTESSE DE WINTER

Tout le long de la route, le duc se fit mettre au courant par d’Artagnan non pas de tout ce qui s’était passé, mais de ce que d’Artagnan savait. En rapprochant ce qu’il avait entendu sortir de la bouche du jeune homme de ses souvenirs à lui, il put donc se faire une idée assez exacte d’une position de la gravité de laquelle, au reste, la lettre de la reine, si courte et si peu explicite qu’elle fût, lui donnait la mesure. Mais ce qui l’étonnait surtout, c’est que le cardinal, intéressé comme il l’était à ce que le jeune homme ne mît pas le pied en Angleterre, ne fût point parvenu à l’arrêter en route. Ce fut alors, et sur la manifestation de cet étonnement, que d’Artagnan lui raconta les précautions prises, et comment, grâce au dévouement de ses trois amis qu’il avait éparpillés tout sanglants sur la route, il était arrivé à en être quitte pour le coup d’épée qui avait traversé le billet de la reine, et qu’il avait rendu à M. de Wardes en si terrible monnaie. Tout en écoutant ce récit, fait avec la plus grande simplicité, le duc regardait de temps en temps le jeune homme d’un air étonné, comme s’il n’eût pas pu comprendre que tant de prudence, de courage et de dévouement s’alliât avec un visage qui n’indiquait pas encore vingt ans.

Les chevaux allaient comme le vent, et en quelques minutes ils furent aux portes de Londres. D’Artagnan avait cru qu’en arrivant dans la ville le duc allait ralentir l’allure du sien, mais il n’en fut pas ainsi : il continua sa route à fond de train, s’inquiétant peu de renverser ceux qui étaient sur son chemin. En effet, en traversant la cité deux ou trois accidents de ce genre arrivèrent ; mais Buckingham ne détourna pas même la tête pour regarder ce qu’étaient devenus ceux qu’il avait culbutés. D’Artagnan le suivait au milieu de cris qui ressemblaient fort à des malédictions.

En entrant dans la cour de l’hôtel, Buckingham sauta à bas de son cheval, et, sans s’inquiéter de ce qu’il deviendrait, il lui jeta la bride sur le cou et s’élança vers le perron. D’Artagnan en fit autant, avec un peu plus d’inquiétude, cependant, pour ces nobles animaux dont il avait pu apprécier le mérite ; mais il eut la consolation de voir que trois ou quatre valets s’étaient déjà élancés des cuisines et des écuries, et s’emparaient aussitôt de leurs montures.

Le duc marchait si rapidement, que d’Artagnan avait peine à le suivre. Il traversa successivement plusieurs salons d’une élégance dont les plus grands seigneurs de France n’avaient pas même l’idée, et il parvint enfin dans une chambre à coucher qui était à la fois un miracle de goût et de richesse. Dans l’alcôve de cette chambre était une porte, prise dans la tapisserie, que le duc ouvrit avec une petite clef d’or qu’il portait suspendue à son cou par une chaîne du même métal. Par discrétion, d’Artagnan était resté en arrière ; mais au moment où Buckingham franchissait le seuil de cette porte, il se retourna, et voyant l’hésitation du jeune homme :

— Venez, lui dit-il, et si vous avez le bonheur d’être admis en la présence de Sa Majesté, dites-lui ce que vous avez vu.

Encouragé par cette invitation, d’Artagnan suivit le duc, qui referma la porte derrière lui.

Tous deux se trouvèrent alors dans une petite chapelle toute tapissée de soie de Perse et brochée d’or, ardemment éclairée par un grand nombre de bougies. Au-dessus d’une espèce d’autel, et au-dessous d’un dais de velours bleu surmonté de plumes blanches et rouges, était un portrait de grandeur naturelle représentant Anne d’Autriche, si parfaitement ressemblant, que d’Artagnan poussa un cri de surprise : on eût cru que la reine allait parler.

Sur l’autel, et au-dessous du portrait, était le coffret qui renfermait les ferrets de diamants.

Le duc s’approcha de l’autel, s’agenouilla comme eût pu faire un prêtre devant le Christ ; puis il ouvrit le coffret.

— Tenez, lui dit-il en tirant du coffre un gros nœud de ruban bleu tout étincelant de diamants ; tenez, voici ces précieux ferrets avec lesquels j’avais fait le serment d’être enterré. La reine me les avait donnés, la reine me les reprend : sa volonté, comme celle de Dieu, soit faite en toutes choses.

Puis il se mit à baiser les uns après les autres ces ferrets dont il fallait se séparer. Tout à coup, il poussa un cri terrible.

— Qu’y a-t-il ? demanda d’Artagnan avec inquiétude, et que vous arrive-t-il, Milord ?

— Il y a que tout est perdu, s’écria Buckingham en devenant pâle comme un trépassé ; deux de ces ferrets manquent, il n’y en a plus que dix.

— Milord les a-t-il perdus, ou croit-il qu’on les lui a volés ?

— On me les a volés, reprit le duc, et c’est le cardinal qui a fait le coup. Tenez, voyez, les rubans qui les soutenaient ont été coupés avec des ciseaux.

— Si Milord pouvait se douter qui a commis le vol… Peut-être la personne les a-t-elle encore entre les mains.

— Attendez, attendez ! s’écria le duc. La seule fois que j’ai mis ces ferrets, c’était au bal du roi, il y a huit jours, à Windsor. La comtesse de Winter, avec laquelle j’étais brouillé, s’est rapprochée de moi à ce bal. Ce raccommodement, c’était une vengeance de femme jalouse. Depuis ce jour, je ne l’ai pas revue. Cette femme est un agent du cardinal.

— Mais il en a donc dans le monde entier ! s’écria d’Artagnan.

— Oh ! oui, oui, dit Buckingham en serrant les dents de colère ; oui, c’est un terrible lutteur. Mais cependant, quand doit avoir lieu ce bal ?

— Lundi prochain.

— Lundi prochain ! cinq jours encore, c’est plus de temps qu’il ne nous en faut. Patrice ! s’écria le duc en ouvrant la porte de la chapelle ; Patrice !

Son valet de chambre de confiance parut.

— Mon joaillier et mon secrétaire !

Le valet de chambre sortit avec une promptitude et un mutisme qui prouvaient l’habitude qu’il avait contractée d’obéir aveuglément et sans réplique.

Mais, quoique ce fût le joaillier qui eût été appelé le premier, ce fut le secrétaire qui parut d’abord. C’était tout simple, il habitait l’hôtel. Il trouva Buckingham assis devant une table dans sa chambre à coucher, et écrivant quelques ordres de sa propre main.

— Monsieur Jackson, lui dit-il, vous allez vous rendre de ce pas chez le lord-chancelier, et lui dire que je le charge de l’exécution de ces ordres. Je désire qu’ils soient promulgués à l’instant même.

— Mais, monseigneur, si le lord-chancelier m’interroge sur les motifs qui ont pu porter Votre Grâce à une mesure si extraordinaire, que répondrai-je ?

— Que tel a été mon bon plaisir, et que je n’ai de compte à rendre à personne de ma volonté.

— Sera-ce la réponse qu’il devra transmettre à Sa Majesté, reprit en souriant le secrétaire, si par hasard Sa Majesté avait la curiosité de savoir pourquoi aucun vaisseau ne peut sortir des ports de la Grande-Bretagne ?

— Vous avez raison, monsieur, répondit Buckingham ; il dirait en ce cas au roi que j’ai décidé la guerre, et que cette mesure est mon premier acte d’hostilité contre la France.

Le secrétaire s’inclina et sortit.

— Nous voilà tranquilles de ce côté, dit Buckingham en se retournant vers d’Artagnan. Si les ferrets ne sont point déjà partis pour la France, ils n’y arriveront qu’après vous.

— Comment cela ?

— Je viens de mettre un embargo sur tous les bâtiments qui se trouvent à cette heure dans les ports de Sa Majesté, et, à moins de permission particulière, pas un seul n’osera lever l’ancre.

D’Artagnan regarda avec stupéfaction cet homme qui mettait le pouvoir illimité dont il était revêtu par la confiance d’un roi au service de ses amours. Buckingham vit, à l’expression du visage du jeune homme, ce qui se passait dans sa pensée, et il sourit.

— Oui, dit-il, oui, c’est qu’Anne d’Autriche est ma véritable reine ; sur un mot d’elle, je trahirais mon pays, je trahirais mon roi, je trahirais mon Dieu. Elle m’a demandé de ne point envoyer aux protestants de La Rochelle le secours que je leur avais promis, et je l’ai fait. Je manquais à ma parole, mais qu’importe ! j’obéissais à son désir ; n’ai-je point été grandement payé de mon obéissance, dites, car c’est à cette obéissance que je dois son portrait ?

D’Artagnan admira à quels fils fragiles et inconnus sont parfois suspendues les destinées d’un peuple et la vie des hommes.

Il en était au plus profond de ses réflexions, lorsque l’orfèvre entra : c’était un Irlandais des plus habiles dans son art, et qui avouait lui-même qu’il gagnait cent mille livres par an avec le duc de Buckingham.

— Monsieur O’Reilly, lui dit le duc en le conduisant dans la chapelle, voyez ces ferrets de diamants, et dites-moi ce qu’ils valent la pièce.

L’orfèvre jeta un seul coup d’œil sur la façon élégante dont ils étaient montés, calcula l’un dans l’autre la valeur des diamants, et sans hésitation aucune :

— Quinze cents pistoles la pièce, milord, répondit-il.

— Combien faudrait-il de jours pour faire deux ferrets comme ceux-là ? Vous voyez qu’il en manque deux.

— Huit jours, milord.

— Je les paierai trois mille pistoles la pièce, il me les faut après-demain.

— Milord les aura.

— Vous êtes un homme précieux, monsieur O’Reilly, mais ce n’est pas le tout : ces ferrets ne peuvent être confiés à personne, il faut qu’ils soient faits dans ce palais.

— Impossible, milord, il n’y a que moi qui puisse les exécuter pour qu’on ne voie pas la différence entre les nouveaux et les anciens.

— Aussi, mon cher monsieur O’Reilly, vous êtes mon prisonnier, et vous voudriez sortir à cette heure de mon palais que vous ne le pourriez pas ; prenez-en donc votre parti. Nommez-moi ceux de vos garçons dont vous aurez besoin, et désignez-moi les ustensiles qu’ils doivent apporter.

L’orfèvre connaissait le duc, il savait que toute observation était inutile, il en prit donc à l’instant même son parti.

— Il me sera permis de prévenir ma femme ? demanda-t-il.

— Oh ! il vous sera même permis de la voir, mon cher monsieur O’Reilly : votre captivité sera douce, soyez tranquille ; et comme tout dérangement vaut un dédommagement, voici, en dehors du prix des deux ferrets, un bon de mille pistoles pour vous faire oublier l’ennui que je vous cause.

D’Artagnan ne revenait pas de la surprise que lui causait ce ministre, qui remuait à pleines mains les hommes et les millions.

Quant à l’orfèvre, il écrivit à sa femme en lui envoyant le bon de mille pistoles, et en la chargeant de lui retourner en échange son plus habile apprenti, un assortiment de diamants dont il lui donnait le poids et le titre, et une liste des outils qui lui étaient nécessaires.

Buckingham conduisit l’orfèvre dans la chambre qui lui était destinée, et qui, au bout d’une demi-heure, fut transformée en atelier. Puis il mit une sentinelle à chaque porte, avec défense de laisser entrer qui que ce fût, à l’exception de son valet de chambre Patrice. Il est inutile d’ajouter qu’il était absolument défendu à l’orfèvre O’Reilly et à son aide de sortir sous quelque prétexte que ce fût. Ce point réglé, le duc revint à d’Artagnan.

— Maintenant, mon jeune ami, dit-il, l’Angleterre est à nous deux ; que voulez-vous, que désirez-vous ?

— Un lit, répondit d’Artagnan ; c’est, pour le moment, je l’avoue, la chose dont j’ai le plus besoin.

Buckingham donna à d’Artagnan une chambre qui touchait à la sienne. Il voulait garder le jeune homme sous sa main, non pas qu’il se défiât de lui, mais pour avoir quelqu’un à qui parler constamment de la reine.

Une heure après fut promulguée dans Londres l’ordonnance de ne laisser sortir des ports aucun bâtiment chargé pour la France, pas même le paquebot des lettres. Aux yeux de tous, c’était une déclaration de guerre entre les deux royaumes.

Le surlendemain, à onze heures, les deux ferrets en diamants étaient achevés, mais si exactement imités, mais si parfaitement pareils, que Buckingham ne put reconnaître les nouveaux des anciens, et que les plus exercés en pareille matière y auraient été trompés comme lui.

Aussitôt il fit appeler d’Artagnan.

— Tenez, lui dit-il, voici les ferrets de diamants que vous êtes venu chercher, et soyez mon témoin que tout ce que la puissance humaine pouvait faire, je l’ai fait.

— Soyez tranquille, milord : je dirai ce que j’ai vu ; mais Votre Grâce me remet les ferrets sans la boîte ?

— La boîte vous embarrasserait. D’ailleurs la boîte m’est d’autant plus précieuse, qu’elle me reste seule. Vous direz que je la garde.

— Je ferai votre commission mot à mot, milord.

— Et maintenant, reprit Buckingham en regardant fixement le jeune homme, comment m’acquitterai-je jamais envers vous ?

D’Artagnan rougit jusqu’au blanc des yeux. Il vit que le duc cherchait un moyen de lui faire accepter quelque chose, et cette idée que le sang de ses compagnons et le sien lui allait être payé par de l’or anglais lui répugnait étrangement.

— Entendons-nous, Milord, répondit d’Artagnan, et pesons bien les faits d’avance, afin qu’il n’y ait point de méprise. Je suis au service du roi et de la reine de France, et fais partie de la compagnie des gardes de M. des Essarts, lequel, ainsi que son beau-frère M. de Tréville, est tout particulièrement attaché à Leurs Majestés. J’ai donc tout fait pour la reine et rien pour Votre Grâce. Il y a plus, c’est que peut-être n’eussé-je rien fait de tout cela, s’il ne se fût agi d’être agréable à quelqu’un qui est ma dame à moi, comme la reine est la vôtre.

— Oui, dit le duc en souriant, et je crois même connaître cette autre personne, c’est…

— Milord, je ne l’ai point nommée, interrompit vivement le jeune homme.

— C’est juste, dit le duc ; c’est donc à cette personne que je dois être reconnaissant de votre dévouement.

— Vous l’avez dit, milord, car justement à cette heure qu’il est question de guerre, je vous avoue que je ne vois dans votre Grâce qu’un Anglais, et par conséquent qu’un ennemi que je serais encore plus enchanté de rencontrer sur le champ de bataille que dans le parc de Windsor ou dans les corridors du Louvre ; ce qui, au reste, ne m’empêchera pas d’exécuter de point en point ma mission et de me faire tuer, si besoin est, pour l’accomplir ; mais, je le répète à Votre Grâce, sans qu’elle ait personnellement pour cela plus à me remercier de ce que je fais pour moi dans cette seconde entrevue, que de ce que j’ai déjà fait pour elle dans la première.

— Nous disons, nous : « Fier comme un Écossais », murmura Buckingham.

— Et nous disons, nous : « Fier comme un Gascon », répondit d’Artagnan. Les Gascons sont les Écossais de la France.

D’Artagnan salua le duc et s’apprêta à partir.

— Eh bien, vous vous en allez comme cela ? Par où ? Comment ?

— C’est vrai.

— Dieu me damne ! les Français ne doutent de rien !

— J’avais oublié que l’Angleterre était une île, et que vous en étiez le roi.

— Allez au port, demandez le brick le Sund, remettez cette lettre au capitaine ; il vous conduira à un petit port où certes on ne vous attend pas, et où n’abordent ordinairement que des bâtiments pêcheurs.

— Ce port s’appelle ?

— Saint-Valery ; mais, attendez donc : arrivé là, vous entrerez dans une mauvaise auberge sans nom et sans enseigne, un véritable bouge à matelots ; il n’y a pas à vous tromper, il n’y en a qu’une.

— Après ?

— Vous demanderez l’hôte, et vous lui direz : For’ward.

— Ce qui veut dire ?

— En avant : c’est le mot d’ordre. Il vous donnera un cheval tout sellé et vous indiquera le chemin que vous devez suivre ; vous trouverez ainsi quatre relais sur votre route. Si vous voulez, à chacun d’eux, donner votre adresse à Paris, les quatre chevaux vous y suivront ; vous en connaissez déjà deux, et vous m’avez paru les apprécier en amateur : ce sont ceux que nous montions ; rapportez-vous en à moi, les autres ne leur sont point inférieurs. Ces quatre chevaux sont équipés pour la campagne. Si fier que vous soyez, vous ne refuserez pas d’en accepter un et de faire accepter les trois autres à vos compagnons : c’est pour nous faire la guerre, d’ailleurs. La fin excuse les moyens, comme vous dites, vous autres Français, n’est-ce pas ?

— Oui, milord, j’accepte, dit d’Artagnan, et s’il plaît à Dieu, nous ferons bon usage de vos présents.

— Maintenant, votre main, jeune homme ; peut-être nous rencontrerons-nous bientôt sur le champ de bataille ; mais, en attendant, nous nous quitterons bons amis, je l’espère.

— Oui, milord, mais avec l’espérance de devenir ennemis bientôt.

— Soyez tranquille, je vous le promets.

— Je compte sur votre parole, milord.

D’Artagnan salua le duc et s’avança vivement vers le port.

En face la Tour de Londres, il trouva le bâtiment désigné, remit sa lettre au capitaine, qui la fit viser par le gouverneur du port, et appareilla aussitôt.

Cinquante bâtiments étaient en partance et attendaient.

En passant bord à bord de l’un d’eux, d’Artagnan crut reconnaître la femme de Meung, la même que le gentilhomme inconnu avait appelée milady, et que lui, d’Artagnan, avait trouvée si belle ; mais grâce au courant du fleuve et au bon vent qui soufflait, son navire allait si vite qu’au bout d’un instant on fut hors de vue.

Le lendemain, vers neuf heures du matin, on aborda à Saint-Valery.

D’Artagnan se dirigea à l’instant même vers l’auberge indiquée, et la reconnut aux cris qui s’en échappaient : on parlait de guerre entre l’Angleterre et la France comme de chose prochaine et indubitable, et les matelots joyeux faisaient bombance.

D’Artagnan fendit la foule, s’avança vers l’hôte, et prononça le mot for’ward. À l’instant même, l’hôte lui fit signe de le suivre, sortit avec lui par une porte qui donnait dans la cour, le conduisit à l’écurie où l’attendait un cheval tout sellé, et lui demanda s’il avait besoin de quelque autre chose.

— J’ai besoin de connaître la route que je dois suivre, dit d’Artagnan.

— Allez d’ici à Blangy, et de Blangy à Neufchâtel. À Neufchâtel, entrez à l’auberge de la Herse d’Or, donnez le mot d’ordre à l’hôtelier, et vous trouverez comme ici un cheval tout sellé.

— Dois-je quelque chose ? demanda d’Artagnan.

— Tout est payé, dit l’hôte, et largement. Allez donc, et que Dieu vous conduise !

— Amen ! répondit le jeune homme en partant au galop.

Quatre heures après, il était à Neufchâtel.

Il suivit strictement les instructions reçues ; à Neufchâtel, comme à Saint-Valery, il trouva une monture toute sellée et qui l’attendait ; il voulut transporter les pistolets de la selle qu’il venait de quitter à la selle qu’il allait prendre : les fontes étaient garnies de pistolets pareils.

— Votre adresse à Paris ?

— Hôtel des Gardes, compagnie des Essarts.

— Bien, répondit celui-ci.

— Quelle route faut-il prendre ? demanda à son tour d’Artagnan.

— Celle de Rouen ; mais vous laisserez la ville à votre droite. Au petit village d’Écouis, vous vous arrêterez, il n’y a qu’une auberge, l’Écu de France. Ne la jugez pas d’après son apparence ; elle aura dans ses écuries un cheval qui vaudra celui-ci.

— Même mot d’ordre ?

— Exactement.

— Adieu, maître !

— Bon voyage, gentilhomme ! avez-vous besoin de quelque chose ?

D’Artagnan fit signe de la tête que non, et repartit à fond de train. À Écouis, la même scène se répéta : il trouva un hôte aussi prévenant, un cheval frais et reposé ; il laissa son adresse comme il l’avait fait, et repartit du même train pour Pontoise. À Pontoise, il changea une dernière fois de monture, et à neuf heures il entrait au grand galop dans la cour de l’hôtel de M. de Tréville.

Il avait fait près de soixante lieues en douze heures.

M. de Tréville le reçut comme s’il l’avait vu le matin même ; seulement, en lui serrant la main un peu plus vivement que de coutume, il lui annonça que la compagnie de M. des Essarts était de garde au Louvre et qu’il pouvait se rendre à son poste.

LE BALLET DE LA MERLAISON

Le lendemain, il n’était bruit dans tout Paris que du bal que MM. les échevins de la ville donnaient au roi et à la reine, et dans lequel Leurs Majestés devaient danser le fameux ballet de la Merlaison, qui était le ballet favori du roi.

Depuis huit jours, on préparait, en effet, toutes choses à l’Hôtel de Ville pour cette solennelle soirée. Le menuisier de la ville avait dressé des échafauds sur lesquels devaient se tenir les dames invitées ; l’épicier de la ville avait garni les salles de deux cents flambeaux de cire blanche, ce qui était un luxe inouï pour cette époque ; enfin vingt violons avaient été prévenus, et le prix qu’on leur accordait avait été fixé au double du prix ordinaire, attendu, dit ce rapport, qu’ils devaient sonner toute la nuit.

À dix heures du matin, le sieur de La Coste, enseigne des gardes du roi, suivi de deux exempts et de plusieurs archers du corps, vint demander au greffier de la ville, nommé Clément, toutes les clefs des portes, des chambres et bureaux de l’Hôtel. Ces clefs lui furent remises à l’instant même ; chacune d’elles portait un billet qui devait servir à la faire reconnaître, et à partir de ce moment le sieur de La Coste fut chargé de la garde de toutes les portes et de toutes les avenues.

À onze heures vint à son tour Duhallier, capitaine des gardes, amenant avec lui cinquante archers qui se répartirent aussitôt dans l’Hôtel de Ville, aux portes qui leur avaient été assignées.

À trois heures arrivèrent deux compagnies des gardes, l’une française l’autre suisse. La compagnie des gardes françaises était composée moitié des hommes de M. Duhallier, moitié des hommes de M. des Essarts.

À six heures du soir les invités commencèrent à entrer. À mesure qu’ils entraient, ils étaient placés dans la grande salle, sur les échafauds préparés.

À neuf heures arriva madame la Première présidente. Comme c’était, après la reine, la personne la plus considérable de la fête, elle fut reçue par messieurs de la ville et placée dans la loge en face de celle que devait occuper la reine.

À dix heures on dressa la collation des confitures pour le roi, dans la petite salle du côté de l’église Saint-Jean, et cela en face du buffet d’argent de la ville, qui était gardé par quatre archers.

À minuit on entendit de grands cris et de nombreuses acclamations : c’était le roi qui s’avançait à travers les rues qui conduisent du Louvre à l’Hôtel de Ville, et qui étaient toutes illuminées avec des lanternes de couleur.

Aussitôt MM. les échevins, vêtus de leurs robes de drap et précédés de six sergents tenant chacun un flambeau à la main, allèrent au-devant du roi, qu’ils rencontrèrent sur les degrés, où le prévôt des marchands lui fit compliment sur sa bienvenue, compliment auquel Sa Majesté répondit en s’excusant d’être venue si tard, mais en rejetant la faute sur M. le cardinal, lequel l’avait retenue jusqu’à onze heures pour parler des affaires de l’État.

Sa Majesté, en habit de cérémonie, était accompagnée de S.A.R. Monsieur, du comte de Soissons, du grand prieur, du duc de Longueville, du duc d’Elbeuf, du comte d’Harcourt, du comte de La Roche-Guyon, de M. de Liancourt, de M. de Baradas, du comte de Cramail et du chevalier de Souveray.

Chacun remarqua que le roi avait l’air triste et préoccupé.

Un cabinet avait été préparé pour le roi, et un autre pour Monsieur. Dans chacun de ces cabinets étaient déposés des habits de masques. Autant avait été fait pour la reine et pour madame la présidente. Les seigneurs et les dames de la suite de Leurs Majestés devaient s’habiller deux par deux dans des chambres préparées à cet effet.

Avant d’entrer dans le cabinet, le roi recommanda qu’on le vînt prévenir aussitôt que paraîtrait le cardinal.

Une demi-heure après l’entrée du roi, de nouvelles acclamations retentirent : celles-là annonçaient l’arrivée de la reine : les échevins firent ainsi qu’ils avaient fait déjà et, précédés des sergents, ils s’avancèrent au devant de leur illustre convive.

La reine entra dans la salle : on remarqua que, comme le roi, elle avait l’air triste et surtout fatigué.

Au moment où elle entrait, le rideau d’une petite tribune qui jusque-là était resté fermé s’ouvrit, et l’on vit apparaître la tête pâle du cardinal vêtu en cavalier espagnol. Ses yeux se fixèrent sur ceux de la reine, et un sourire de joie terrible passa sur ses lèvres : la reine n’avait pas ses ferrets de diamants.

La reine resta quelque temps à recevoir les compliments de messieurs de la ville et à répondre aux saluts des dames.

Tout à coup, le roi apparut avec le cardinal à l’une des portes de la salle. Le cardinal lui parlait tout bas, et le roi était très-pâle.

Le roi fendit la foule et, sans masque, les rubans de son pourpoint à peine noués, il s’approcha de la reine, et d’une voix altérée :

— Madame, lui dit-il, pourquoi donc, s’il vous plaît, n’avez-vous point vos ferrets de diamants, quand vous savez qu’il m’eût été agréable de les voir ?

La reine étendit son regard autour d’elle, et vit derrière le roi le cardinal qui souriait d’un sourire diabolique.

— Sire, répondit la reine d’une voix altérée, parce qu’au milieu de cette grande foule j’ai craint qu’il ne leur arrivât malheur.

— Et vous avez eu tort, madame ! Si je vous ai fait ce cadeau, c’était pour que vous vous en pariez. Je vous dis que vous avez eu tort.

Et la voix du roi était tremblante de colère ; chacun regardait et écoutait avec étonnement, ne comprenant rien à ce qui se passait.

— Sire, dit la reine, je puis les envoyer chercher au Louvre, où ils sont, et ainsi les désirs de Votre Majesté seront accomplis.

— Faites, madame, faites, et cela au plus tôt ; car dans une heure le ballet va commencer.

La reine salua en signe de soumission et suivit les dames qui devaient la conduire à son cabinet.

De son côté, le roi regagna le sien.

Il y eut dans la salle un moment de trouble et de confusion.

Tout le monde avait pu remarquer qu’il s’était passé quelque chose entre le roi et la reine ; mais tous deux avaient parlé si bas, que, chacun par respect s’étant éloigné de quelques pas, personne n’avait rien entendu. Les violons sonnaient de toutes leurs forces, mais on ne les écoutait pas.

Le roi sortit le premier de son cabinet ; il était en costume de chasse des plus élégants, et Monsieur et les autres seigneurs étaient habillés comme lui. C’était le costume que le roi portait le mieux, et vêtu ainsi il semblait véritablement le premier gentilhomme de son royaume.

Le cardinal s’approcha du roi et lui remit une boîte. Le roi l’ouvrit et y trouva deux ferrets de diamants.

— Que veut dire cela ? demanda-t-il au cardinal.

— Rien, répondit celui-ci ; seulement si la reine a les ferrets, ce dont je doute, comptez-les, sire, et si vous n’en trouvez que dix, demandez à Sa Majesté qui peut lui avoir dérobé les deux ferrets que voici.

Le roi regarda le cardinal comme pour l’interroger ; mais il n’eut le temps de lui adresser aucune question : un cri d’admiration sortit de toutes les bouches. Si le roi semblait le premier gentilhomme de son royaume, la reine était à coup sûr la plus belle femme de France.

Il est vrai que sa toilette de chasseresse lui allait à merveille ; elle avait un chapeau de feutre avec des plumes bleues, un surtout en velours gris perle rattaché avec des agrafes de diamants, et une jupe de satin bleu toute brodée d’argent. Sur son épaule gauche étincelaient les ferrets soutenus par un nœud de même couleur que les plumes et la jupe.

Le roi tressaillit de joie et le cardinal de colère ; cependant, distants comme ils l’étaient de la reine, ils ne pouvaient compter les ferrets ; la reine les avait, seulement en avait-elle dix ou en avait-elle douze ?

En ce moment, les violons sonnèrent le signal du ballet. Le roi s’avança vers madame la présidente, avec laquelle il devait danser, et S.A.R. Monsieur avec la reine. On se mit en place, et le ballet commença.

Le roi figurait en face de la reine, et chaque fois qu’il passait près d’elle, il dévorait du regard ces ferrets, dont il ne pouvait savoir le compte. Une sueur froide couvrait le front du cardinal.

Le ballet dura une heure ; il avait seize entrées.

Le ballet finit au milieu des applaudissements de toute la salle, chacun reconduisit sa dame à sa place ; mais le roi profita du privilège qu’il avait de laisser la sienne où il se trouvait, pour s’avancer vivement vers la reine.

— Je vous remercie, madame, lui dit-il, de la déférence que vous avez montrée pour mes désirs, mais je crois qu’il vous manque deux ferrets, et je vous les rapporte.

À ces mots, il tendit à la reine les deux ferrets que lui avait remis le cardinal.

— Comment ! sire, s’écria la jeune reine jouant la surprise, vous m’en donnez encore deux autres ; mais alors cela m’en fera donc quatorze.

En effet, le roi compta, et les douze ferrets se trouvèrent sur l’épaule de Sa Majesté.

Le roi appela le cardinal :

— Eh bien, que signifie cela, monsieur le cardinal ? demanda le roi d’un ton sévère.

— Cela signifie, sire, répondit le cardinal, que je désirais faire accepter ces deux ferrets à Sa Majesté, et que n’osant les lui offrir moi-même, j’ai adopté ce moyen.

— Et j’en suis d’autant plus reconnaissante à Votre Éminence, répondit Anne d’Autriche avec un sourire qui prouvait qu’elle n’était pas dupe de cette ingénieuse galanterie, que je suis certaine que ces deux ferrets vous coûtent aussi cher à eux seuls que les douze autres ont coûté à Sa Majesté.

Puis, ayant salué le roi et le cardinal, la reine reprit le chemin de la chambre où elle s’était habillée et où elle devait se dévêtir.

L’attention que nous avons été obligés de donner pendant le commencement de ce chapitre aux personnages illustres que nous y avons introduits nous a écartés un instant de celui à qui Anne d’Autriche devait le triomphe inouï qu’elle venait de remporter sur le cardinal, et qui, confondu, ignoré, perdu dans la foule entassée à l’une des portes, regardait de là cette scène compréhensible seulement pour quatre personnes : le roi, la reine, Son Éminence et lui.

La reine venait de regagner sa chambre, et d’Artagnan s’apprêtait à se retirer, lorsqu’il sentit qu’on lui touchait légèrement l’épaule ; il se retourna, et vit une jeune femme qui lui faisait signe de la suivre. Cette jeune femme avait le visage couvert d’un loup de velours noir, mais malgré cette précaution, qui, au reste, était bien plutôt prise pour les autres que pour lui, il reconnut à l’instant même son guide ordinaire, la légère et spirituelle madame Bonacieux.

La veille ils s’étaient vus à peine chez le suisse Germain, où d’Artagnan l’avait fait demander. La hâte qu’avait la jeune femme de porter à la reine cette excellente nouvelle de l’heureux retour de son messager fit que les deux amants échangèrent à peine quelques paroles. D’Artagnan suivit donc madame Bonacieux, mû par un double sentiment, l’amour et la curiosité. Pendant toute la route, et à mesure que les corridors devenaient plus déserts, d’Artagnan voulait arrêter la jeune femme, la saisir, la contempler, ne fût-ce qu’un instant ; mais, vive comme un oiseau, elle glissait toujours entre ses mains, et lorsqu’il voulait parler, son doigt ramené sur sa bouche avec un petit geste impératif plein de charme lui rappelait qu’il était sous l’empire d’une puissance à laquelle il devait aveuglément obéir, et qui lui interdisait jusqu’à la plus légère plainte ; enfin, après une minute ou deux de tours et de détours, madame Bonacieux ouvrit une porte et introduisit le jeune homme dans un cabinet tout à fait obscur. Là elle lui fit un nouveau signe de mutisme, et ouvrant une seconde porte cachée par une tapisserie dont les ouvertures répandirent tout à coup une vive lumière, elle disparut.

D’Artagnan demeura un instant immobile et se demandant où il était, mais bientôt un rayon de lumière qui pénétrait par cette chambre, l’air chaud et parfumé qui arrivait jusqu’à lui, la conversation de deux ou trois femmes, au langage à la fois respectueux et élégant ; le mot de Majesté plusieurs fois répété, lui indiquèrent clairement qu’il était dans un cabinet attenant à la chambre de la reine.

Le jeune homme se tint dans l’ombre et attendit.

La reine paraissait gaie et heureuse, ce qui semblait fort étonner les personnes qui l’entouraient, et qui avaient au contraire l’habitude de la voir presque toujours soucieuse. La reine rejetait ce sentiment joyeux sur la beauté de la fête, sur le plaisir que lui avait fait éprouver le ballet, et comme il n’est pas permis de contredire une reine, qu’elle sourie ou qu’elle pleure, chacun renchérissait sur la galanterie de MM. les échevins de la ville de Paris.

Quoique d’Artagnan ne connût point la reine, il distingua sa voix des autres voix, d’abord à un léger accent étranger, puis à ce sentiment de domination naturellement empreint dans toutes les paroles souveraines. Il l’entendait s’approcher et s’éloigner de cette porte ouverte, et deux ou trois fois il vit même l’ombre d’un corps intercepter la lumière. Enfin, tout à coup une main et un bras adorables de forme et de blancheur passèrent à travers la tapisserie ; d’Artagnan comprit que c’était sa récompense : il se jeta à genoux, saisit cette main et appuya respectueusement ses lèvres ; puis cette main se retira laissant dans les siennes un objet qu’il reconnut pour être une bague ; aussitôt la porte se referma, et d’Artagnan se retrouva dans la plus complète obscurité.

D’Artagnan mit la bague à son doigt et attendit de nouveau ; il était évident que tout n’était pas fini encore. Après la récompense de son dévouement venait la récompense de son amour. D’ailleurs, le ballet était dansé, mais la soirée était à peine commencée : on soupait à trois heures, et l’horloge Saint-Jean, depuis quelque temps déjà, avait sonné deux heures trois quarts.

En effet, peu à peu le bruit des voix diminua dans la chambre voisine ; puis on l’entendit s’éloigner ; puis la porte du cabinet où était d’Artagnan se rouvrit, et madame Bonacieux s’y élança.

— Vous, enfin ! s’écria d’Artagnan.

— Silence ! dit la jeune femme en appuyant sa main sur les lèvres du jeune homme ; silence ! et allez-vous-en par où vous êtes venu.

— Mais où et quand vous reverrai-je ? s’écria d’Artagnan.

— Un billet que vous trouverez en rentrant vous le dira. Partez, partez !

Et à ces mots elle ouvrit la porte du corridor et poussa d’Artagnan hors du cabinet.

D’Artagnan obéit comme un enfant, sans résistance et sans objection aucune, ce qui prouve qu’il était bien réellement amoureux.

LE RENDEZ-VOUS

D’Artagnan revint chez lui tout courant, et quoiqu’il fût plus de trois heures du matin, et qu’il eût les plus méchants quartiers de Paris à traverser, il ne fit aucune mauvaise rencontre. On sait qu’il y a un dieu pour les ivrognes et les amoureux.

Il trouva la porte de son allée entrouverte, monta son escalier, et frappa doucement et d’une façon convenue entre lui et son laquais. Planchet, qu’il avait renvoyé deux heures auparavant de l’Hôtel de Ville en lui recommandant de l’attendre, vint lui ouvrir la porte.

— Quelqu’un a-t-il apporté une lettre pour moi ? demanda vivement d’Artagnan.

— Personne n’a apporté de lettre, monsieur, répondit Planchet, mais il y en a une qui est venue toute seule.

— Que veux-tu dire, imbécile ?

— Je veux dire qu’en rentrant, quoique j’eusse la clef de votre appartement dans ma poche et que cette clef ne m’eût point quitté, j’ai trouvé une lettre sur le tapis vert de la table, dans votre chambre à coucher.

— Et où est cette lettre ?

— Je l’ai laissée où elle était, monsieur. Il n’est pas naturel que les lettres entrent ainsi chez les gens. Si la fenêtre était ouverte encore, ou seulement entrebâillée, je ne dis pas ; mais non, tout était hermétiquement fermé. Monsieur, prenez garde, car il y a très certainement quelque magie là-dessous.

Pendant ce temps, le jeune homme s’élançait dans la chambre et ouvrait la lettre : elle était de madame Bonacieux, et conçue en ces termes :

« On a de vifs remerciements à vous faire et à vous transmettre. Trouvez-vous ce soir vers dix heures à Saint-Cloud, en face du pavillon qui s’élève à l’angle de la maison de M. d’Estrées.

« C. B. »

En lisant cette lettre, d’Artagnan sentait son cœur se dilater et s’étreindre de ce doux spasme qui torture et caresse le cœur des amants.

C’était le premier billet qu’il recevait, c’était le premier rendez-vous qui lui était accordé. Son cœur, gonflé par l’ivresse de la joie, se sentait prêt à défaillir sur le seuil de ce paradis terrestre qu’on appelait l’amour.

— Eh bien ! monsieur, dit Planchet, qui avait vu son maître rougir et pâlir successivement ; eh bien ! n’est-ce pas que j’avais deviné juste et que c’est quelque méchante affaire ?

— Tu te trompes, Planchet, répondit d’Artagnan, et la preuve, c’est que voici un écu pour que tu boives à ma santé.

— Je remercie monsieur de l’écu qu’il me donne, et je lui promets de suivre exactement ses instructions ; mais il n’en est pas moins vrai que les lettres qui entrent ainsi dans les maisons fermées…

— Tombent du ciel, mon ami, tombent du ciel.

— Alors, monsieur est content ? demanda Planchet.

— Mon cher Planchet, je suis le plus heureux des hommes !

— Et je puis profiter du bonheur de monsieur pour aller me coucher ?

— Oui, va.

— Que toutes les bénédictions du Ciel tombent sur monsieur, mais il n’en est pas moins vrai que cette lettre…

Et Planchet se retira en secouant la tête avec un air de doute que n’était point parvenu à effacer entièrement la libéralité de d’Artagnan.

Resté seul, d’Artagnan lut et relut son billet, puis il baisa et rebaisa vingt fois ces lignes tracées par la main de sa belle maîtresse. Enfin il se coucha, s’endormit et fit des rêves d’or.

À sept heures du matin, il se leva et appela Planchet, qui, au second appel, ouvrit la porte, le visage encore mal nettoyé des inquiétudes de la veille.

— Planchet, lui dit d’Artagnan, je sors pour toute la journée peut-être ; tu es donc libre jusqu’à sept heures du soir ; mais, à sept heures du soir, tiens-toi prêt avec deux chevaux.

— Allons ! dit Planchet, il paraît que nous allons encore nous faire traverser la peau en plusieurs endroits.

— Tu prendras ton mousqueton et tes pistolets.

— Eh bien, que disais-je ? s’écria Planchet. Là, j’en étais sûr, maudite lettre !

— Mais rassure-toi donc, imbécile, il s’agit tout simplement d’une partie de plaisir.

— Oui ! comme les voyages d’agrément de l’autre jour, où il pleuvait des balles et où il poussait des chausse-trappes.

— Au reste, si vous avez peur, monsieur Planchet, reprit d’Artagnan, j’irai sans vous ; j’aime mieux voyager seul que d’avoir un compagnon qui tremble.

— Monsieur me fait injure, dit Planchet ; il me semblait cependant qu’il m’avait vu à l’œuvre.

— Oui, mais j’ai cru que tu avais usé tout ton courage d’une seule fois.

— Monsieur verra que dans l’occasion il m’en reste encore ; seulement je prie monsieur de ne pas trop le prodiguer, s’il veut qu’il m’en reste longtemps.

— Crois-tu en avoir encore une certaine somme à dépenser ce soir ?

— Je l’espère.

— Eh bien, je compte sur toi.

— À l’heure dite, je serai prêt ; seulement je croyais que monsieur n’avait qu’un cheval à l’écurie des gardes.

— Peut-être n’y en a-t-il qu’un encore dans ce moment-ci, mais ce soir il y en aura quatre.

— Il paraît que notre voyage était un voyage de remonte ?

— Justement, dit d’Artagnan ; et ayant fait à Planchet un dernier geste de recommandation, il sortit.

M. Bonacieux était sur sa porte. L’intention de d’Artagnan était de passer outre, sans parler au digne mercier ; mais celui-ci fit un salut si doux et si bénin, que force fut à son locataire non seulement de le lui rendre, mais encore de lier conversation avec lui.

Comment d’ailleurs ne pas avoir un peu de condescendance pour un mari dont la femme vous a donné un rendez-vous le soir même à Saint-Cloud, en face du pavillon de M. d’Estrées ! D’Artagnan s’approcha de l’air le plus aimable qu’il put prendre.

La conversation tomba tout naturellement sur l’incarcération du pauvre homme. M. Bonacieux, qui ignorait que d’Artagnan eût entendu sa conversation avec l’inconnu de Meung, raconta à son jeune locataire les persécutions de ce monstre de M. de Laffemas, qu’il ne cessa de qualifier pendant tout son récit du titre de bourreau du cardinal et s’étendit longuement sur la Bastille, les verrous, les guichets, les soupiraux, les grilles et les instruments de torture.

D’Artagnan l’écouta avec une complaisance exemplaire puis, lorsqu’il eut fini :

« Et madame Bonacieux, dit-il enfin, savez-vous qui l’avait enlevée ? car je n’oublie pas que c’est à cette circonstance fâcheuse que je dois le bonheur d’avoir fait votre connaissance.

— Ah ! dit M. Bonacieux, ils se sont bien gardés de me le dire, et ma femme de son côté m’a juré ses grands dieux qu’elle ne le savait pas. Mais vous-même, continua M. Bonacieux d’un ton de bonhomie parfaite, qu’êtes-vous devenu tous ces jours passés ? je ne vous ai vu, ni vous ni vos amis, et ce n’est pas sur le pavé de Paris, je pense, que vous avez ramassé toute la poussière que Planchet époussetait hier sur vos bottes.

— Vous avez raison, mon cher monsieur Bonacieux, mes amis et moi nous avons fait un petit voyage.

— Loin d’ici ?

— Oh ! mon Dieu non, à une quarantaine de lieues seulement ; nous avons été conduire M. Athos aux eaux de Forges, où mes amis sont restés.

— Et vous êtes revenu, vous, n’est-ce pas ? reprit M. Bonacieux en donnant à sa physionomie son air le plus malin. Un beau garçon comme vous n’obtient pas de longs congés de sa maîtresse, et nous étions impatiemment attendu à Paris, n’est-ce pas ?

— Ma foi, dit en riant le jeune homme, je vous l’avoue, d’autant mieux, mon cher monsieur Bonacieux, que je vois qu’on ne peut rien vous cacher. Oui, j’étais attendu, et bien impatiemment, je vous en réponds.

Un léger nuage passa sur le front de Bonacieux, mais si léger, que d’Artagnan ne s’en aperçut pas.

— Et nous allons être récompensé de notre diligence ? continua le mercier avec une légère altération dans la voix, altération que d’Artagnan ne remarqua pas plus qu’il n’avait fait du nuage momentané qui, un instant auparavant, avait assombri la figure du digne homme.

— Ah ! faites donc le bon apôtre, dit en riant d’Artagnan.

— Non, ce que je vous en dis, reprit Bonacieux, c’est seulement pour savoir si nous rentrons tard.

— Pourquoi cette question, mon cher hôte ? demanda d’Artagnan ; est-ce que vous comptez m’attendre ?

— Non, c’est que depuis mon arrestation et le vol qui a été commis chez moi, je m’effraie chaque fois que j’entends ouvrir une porte, et surtout la nuit. Dame, que voulez-vous ! je ne suis point homme d’épée, moi !

— Eh bien, ne vous effrayez pas si je rentre à une heure, à deux ou trois heures du matin ; si je ne rentre pas du tout, ne vous effrayez pas encore.

Cette fois, Bonacieux devint si pâle, que d’Artagnan ne put faire autrement que de s’en apercevoir, et lui demanda ce qu’il avait.

— Rien, répondit Bonacieux, rien. Depuis mes malheurs seulement, je suis sujet à des faiblesses qui me prennent tout à coup, et je viens de me sentir passer un frisson. Ne faites pas attention à cela, vous qui n’avez à vous occuper que d’être heureux.

— Alors j’ai de l’occupation, car je le suis.

— Pas encore ; attendez donc, vous avez dit à ce soir.

— Eh bien, ce soir arrivera, Dieu merci ! et peut-être l’attendez-vous avec autant d’impatience que moi. Peut-être, ce soir, madame Bonacieux visitera-t-elle le domicile conjugal.

— Madame Bonacieux n’est pas libre ce soir, répondit gravement le mari ; elle est retenue au Louvre par son service.

— Tant pis pour vous, mon cher hôte, tant pis ; quand je suis heureux, moi, je voudrais que tout le monde le fût ; mais il paraît que ce n’est pas possible.

Et le jeune homme s’éloigna en riant aux éclats de la plaisanterie que lui seul, pensait-il, pouvait comprendre.

— Amusez-vous bien ! répondit Bonacieux d’un air sépulcral.

Mais d’Artagnan était déjà trop loin pour l’entendre, et l’eût-il entendu, dans la disposition d’esprit où il était, il ne l’eût certes pas remarqué.

Il se dirigea vers l’hôtel de M. de Tréville ; sa visite de la veille avait été, on se le rappelle, très-courte et très-peu explicative.

Il trouva M. de Tréville dans la joie de son âme. Le roi et la reine avaient été charmants pour lui au bal. Il est vrai que le cardinal avait été parfaitement maussade. À une heure du matin, il s’était retiré sous prétexte qu’il était indisposé. Quant à Leurs Majestés, elles n’étaient rentrées au Louvre qu’à six heures du matin.

— Maintenant, dit M. de Tréville en baissant la voix et en interrogeant du regard tous les angles de l’appartement pour voir s’ils étaient bien seuls, maintenant parlons de vous, mon jeune ami, car il est évident que votre heureux retour est pour quelque chose dans la joie du roi, dans le triomphe de la reine et dans l’humiliation de Son Éminence. Il s’agit de bien vous tenir.

— Qu’ai-je à craindre, répondit d’Artagnan, tant que j’aurai le bonheur de jouir de la faveur de Leurs Majestés ?

— Tout, croyez-moi. Le cardinal n’est point homme à oublier une mystification tant qu’il n’aura pas réglé ses comptes avec le mystificateur, et le mystificateur m’a bien l’air d’être certain Gascon de ma connaissance.

— Croyez-vous que le cardinal soit aussi avancé que vous et sache que c’est moi qui ai été à Londres ?

— Diable ! vous avez été à Londres. Est-ce de Londres que vous avez rapporté ce beau diamant qui brille à votre doigt ? Prenez garde, mon cher d’Artagnan, ce n’est pas une bonne chose que le présent d’un ennemi ; n’y a-t-il pas là-dessus certain vers latin… Attendez donc.

— Oui, sans doute, reprit d’Artagnan, qui n’avait jamais pu se fourrer la première règle du rudiment dans la tête, et qui, par ignorance, avait fait le désespoir de son précepteur ; oui, sans doute, il doit y en avoir un.

— Il y en a un certainement, dit M. de Tréville, qui avait une teinte de lettres, et M. de Benserade me le citait l’autre jour… Attendez donc… Ah ! m’y voici :

Timeo Danaos et dona ferentes

Ce qui veut dire : « Défiez-vous de l’ennemi qui vous fait des présents. »

— Ce diamant ne vient pas d’un ennemi, monsieur, reprit d’Artagnan, il vient de la reine.

— De la reine ! oh ! oh ! dit M. de Tréville. Effectivement, c’est un véritable bijou royal, qui vaut mille pistoles comme un denier. Par qui la reine vous a-t-elle fait remettre ce cadeau ?

— Elle me l’a remis elle-même.

— Où cela ?

— Dans le cabinet attenant à la chambre où elle a changé de toilette.

— Comment ?

— En me donnant sa main à baiser.

— Vous avez baisé la main de la reine ! s’écria M. de Tréville en regardant d’Artagnan.

— Sa Majesté m’a fait l’honneur de m’accorder cette grâce !

— Et cela en présence de témoins ? Imprudente, trois fois imprudente !

— Non, monsieur, rassurez-vous, personne ne l’a vue, reprit d’Artagnan. Et il raconta à M. de Tréville comment les choses s’étaient passées.

— Oh ! les femmes, les femmes ! s’écria le vieux soldat, je les reconnais bien à leur imagination romanesque ; tout ce qui sent le mystérieux les charme ; ainsi vous avez vu le bras, voilà tout ; vous rencontreriez la reine, que vous ne la reconnaîtriez pas ; elle vous rencontrerait, qu’elle ne saurait pas qui vous êtes.

— Non, mais grâce à ce diamant… reprit le jeune homme.

— Écoutez, dit M. de Tréville, voulez-vous que je vous donne un conseil, un bon conseil, un conseil d’ami ?

— Vous me ferez honneur, monsieur, dit d’Artagnan.

— Eh bien ! allez chez le premier orfèvre venu et vendez-lui ce diamant pour le prix qu’il vous en donnera ; si juif qu’il soit, vous en trouverez toujours bien huit cents pistoles. Les pistoles n’ont pas de nom, jeune homme, et cette bague en a un terrible, ce qui peut trahir celui qui la porte.

— Vendre cette bague ! une bague qui vient de ma souveraine ! jamais, dit d’Artagnan.

— Alors tournez-en le chaton en dedans, pauvre fou, car on sait qu’un cadet de Gascogne ne trouve pas de pareils bijoux dans l’écrin de sa mère.

— Vous croyez donc que j’ai quelque chose à craindre ? demanda d’Artagnan.

— C’est-à-dire, jeune homme, que celui qui s’endort sur une mine dont la mèche est allumée doit se regarder comme en sûreté en comparaison de vous.

— Diable ! dit d’Artagnan, que le ton d’assurance de M. de Tréville commençait à inquiéter ; diable ! et que faut-il faire ?

— Vous tenir sur vos gardes toujours et avant toute chose. Le cardinal a la mémoire tenace et la main longue ; croyez-moi, il vous jouera quelque tour.

— Mais lequel ?

— Eh ! le sais-je, moi ! est-ce qu’il n’a pas à son service toutes les ruses du démon ? Le moins qui puisse vous arriver est qu’on vous arrête.

— Comment ! on oserait arrêter un homme au service de Sa Majesté ?

— Pardieu ! on s’est bien gêné pour Athos ! En tout cas, jeune homme, croyez-en un homme qui est depuis trente ans à la cour : ne vous endormez pas dans votre sécurité, ou vous êtes perdu. Bien au contraire, et c’est moi qui vous le dis, voyez des ennemis partout. Si l’on vous cherche querelle, évitez-la, fût-ce un enfant de dix ans qui vous la cherche ; si l’on vous attaque de nuit ou de jour, battez en retraite et sans honte ; si vous traversez un pont, tâtez les planches, de peur qu’une planche ne vous manque sous le pied ; si vous passez devant une maison qu’on bâtit, regardez en l’air de peur qu’une pierre ne vous tombe sur la tête ; si vous rentrez tard, faites-vous suivre par votre laquais, et que votre laquais soit armé, si toutefois vous êtes sûr de votre laquais. Défiez-vous de tout le monde, de votre ami, de votre frère, de votre maîtresse, de votre maîtresse surtout.

D’Artagnan rougit.

— De ma maîtresse, répéta-t-il machinalement ; et pourquoi plutôt d’elle que d’un autre ?

— C’est que la maîtresse est un des moyens favoris du cardinal ; il n’en a pas de plus expéditif : une femme vous vend pour dix pistoles, témoin Dalila. — Vous savez les Écritures, hein ?

D’Artagnan pensa au rendez-vous que lui avait donné madame Bonacieux pour le soir même ; mais nous devons dire, à la louange de notre héros, que la mauvaise opinion que M. de Tréville avait des femmes en général ne lui inspira pas le moindre petit soupçon contre sa jolie hôtesse.

— Mais, à propos, reprit M. de Tréville, que sont devenus vos trois compagnons ?

— J’allais vous demander si vous n’en aviez pas appris quelques nouvelles.

— Aucune, monsieur.

— Eh bien, je les ai laissés sur ma route : Porthos à Chantilly, avec un duel sur les bras ; Aramis à Crèvecœur, avec une balle dans l’épaule ; et Athos à Amiens, avec une accusation de faux-monnayeur sur le corps.

— Voyez-vous ! dit M. de Tréville ; et comment vous êtes-vous échappé, vous ?

— Par miracle, monsieur, je dois le dire, avec un coup d’épée dans la poitrine, et en clouant M. le comte de Wardes sur le revers de la route de Calais, comme un papillon à une tapisserie.

— Voyez-vous encore ! de Wardes, un homme au cardinal, un cousin de Rochefort ; tenez, mon cher ami, il me vient une idée.

— Dites, monsieur.

— À votre place, je ferais une chose.

— Laquelle ?

— Tandis que Son Éminence me ferait chercher à Paris, je reprendrais, moi, sans tambour ni trompette, la route de Picardie, et je m’en irais savoir des nouvelles de mes trois compagnons. Que diable ! ils méritent bien cette petite attention de votre part.

— Le conseil est bon, monsieur, et demain je partirai.

— Demain ! et pourquoi pas ce soir ?

— Ce soir, monsieur, je suis retenu à Paris par une affaire indispensable.

— Ah ! jeune homme ! jeune homme ! quelque amourette ? Prenez garde, je vous le répète : c’est la femme qui nous a perdus, tous tant que nous sommes. Croyez-moi, partez ce soir.

— Impossible ! monsieur.

— Vous avez donc donné votre parole ?

— Oui, monsieur.

— Alors c’est autre chose ; mais promettez-moi que si vous n’êtes pas tué cette nuit, vous partirez demain.

— Je vous le promets.

— Avez-vous besoin d’argent ?

— J’ai encore cinquante pistoles. C’est autant qu’il m’en faut, je le pense.

— Mais vos compagnons ?

— Je pense qu’ils ne doivent pas en manquer. Nous sommes sortis de Paris chacun avec soixante-quinze pistoles dans nos poches.

— Vous reverrai-je avant votre départ ?

— Non, pas que je pense, monsieur, à moins qu’il n’y ait du nouveau.

— Allons, bon voyage !

— Merci, monsieur.

Et d’Artagnan prit congé de M. de Tréville, touché plus que jamais de sa sollicitude toute paternelle pour ses mousquetaires.

Il passa successivement chez Athos, chez Porthos et chez Aramis. Aucun d’eux n’était rentré. Leurs laquais aussi étaient absents, et l’on n’avait des nouvelles ni des uns, ni des autres.

Il se serait bien informé d’eux à leurs maîtresses, mais il ne connaissait ni celle de Porthos, ni celle d’Aramis ; quant à Athos, il n’en avait pas.

En passant devant l’hôtel des Gardes, il jeta un coup d’œil dans l’écurie : trois chevaux étaient déjà rentrés sur quatre. Planchet, tout ébahi, était en train de les étriller, et avait déjà fini avec deux d’entre eux.

— Ah ! monsieur, dit Planchet en apercevant d’Artagnan, que je suis aise de vous voir !

— Et pourquoi cela, Planchet ? demanda le jeune homme.

— Auriez-vous confiance en M. Bonacieux, notre hôte ?

— Moi ? pas le moins du monde.

— Oh ! que vous faites bien, monsieur.

— Mais d’où vient cette question ?

— De ce que, tandis que vous causiez avec lui, je vous observais sans vous écouter ; monsieur, sa figure a changé deux ou trois fois de couleur.

— Bah !

— Monsieur n’a pas remarqué cela, préoccupé qu’il était de la lettre qu’il venait de recevoir ; mais moi, au contraire, que l’étrange façon dont cette lettre était parvenue à la maison avait mis sur mes gardes, je n’ai pas perdu un mouvement de sa physionomie.

— Et tu l’as trouvée ?

— Traîtreuse, monsieur.

— Vraiment ?

— De plus, aussitôt que monsieur l’a eu quitté et qu’il a disparu au coin de la rue, M. Bonacieux a pris son chapeau, a fermé sa porte et s’est mis à courir par la rue opposée.

— En effet, tu as raison, Planchet tout cela me paraît fort louche, et, sois tranquille, nous ne lui paierons pas notre loyer que la chose ne nous ait été catégoriquement expliquée.

— Monsieur plaisante, mais monsieur verra.

— Que veux-tu, Planchet, ce qui doit arriver est écrit.

— Monsieur ne renonce donc pas à sa promenade de ce soir ?

— Bien au contraire, Planchet, plus j’en voudrai à M. Bonacieux, et plus j’irai au rendez-vous que m’a donné cette lettre qui t’inquiète tant.

— Alors, si c’est la résolution de monsieur…

— Inébranlable, mon ami ; ainsi donc, à neuf heures tiens-toi prêt ici, à l’hôtel ; je viendrai te prendre.

Planchet, voyant qu’il n’y avait plus aucun espoir de faire renoncer son maître à son projet, poussa un profond soupir, et se mit à étriller le troisième cheval.

Quant à d’Artagnan, comme c’était au fond un garçon plein de prudence, au lieu de rentrer chez lui, il s’en alla dîner chez ce prêtre gascon qui, au moment de la détresse des quatre amis, leur avait donné un déjeuner de chocolat.

LE PAVILLON

À neuf heures, d’Artagnan était à l’hôtel des Gardes ; il trouva Planchet sous les armes. Le quatrième cheval était arrivé.

Planchet était armé de son mousqueton et d’un pistolet.

D’Artagnan avait son épée et passa deux pistolets à sa ceinture, puis tous deux enfourchèrent chacun un cheval et s’éloignèrent sans bruit. Il faisait nuit close, et personne ne les vit sortir. Planchet se mit à la suite de son maître, et marcha par-derrière à dix pas.

D’Artagnan traversa les quais, sortit par la porte de la Conférence et suivit alors le chemin, bien plus beau alors qu’aujourd’hui, qui mène à Saint-Cloud.

Tant qu’on fut dans la ville, Planchet garda respectueusement la distance qu’il s’était imposée ; mais dès que le chemin commença à devenir plus désert et plus obscur il se rapprocha tout doucement : si bien que, lorsqu’on entra dans le bois de Boulogne, il se trouva tout naturellement marcher côte à côte avec son maître. En effet, nous ne devons pas dissimuler que l’oscillation des grands arbres et le reflet de la lune dans les taillis sombres lui causaient une vive inquiétude. D’Artagnan s’aperçut qu’il se passait chez son laquais quelque chose d’extraordinaire.

— Eh bien ! monsieur Planchet, lui demanda-t-il, qu’avons-nous donc ?

— Ne trouvez-vous pas, monsieur, que les bois sont comme les églises ?

— Pourquoi cela, Planchet ?

— Parce qu’on n’ose point parler haut dans ceux-ci comme dans celles-là.

— Pourquoi n’oses-tu parler plus haut, Planchet ? parce que tu as peur ?

— Peur d’être entendu, oui, monsieur.

— Peur d’être entendu ? Notre conversation est cependant morale, mon cher Planchet, et nul n’y trouverait à redire.

— Ah ! monsieur, reprit Planchet en revenant à son idée mère, que ce M. Bonacieux a quelque chose de sournois dans ses sourcils et de déplaisant dans le jeu de ses lèvres !

— Qui diable te fait penser à Bonacieux ?

— Monsieur, l’on pense à ce que l’on peut et non pas à ce que l’on veut.

— Parce que tu es un poltron, Planchet.

— Monsieur, ne confondons pas la prudence avec la poltronnerie ; la prudence est une vertu.

— Et tu es vertueux, n’est-ce pas, Planchet ?

— Monsieur, n’est-ce point le canon d’un mousquet qui brille là-bas ? Si nous baissions la tête ?

— En vérité, murmura d’Artagnan, à qui les recommandations de M. de Tréville revenaient en mémoire ; en vérité, cet animal finirait par me faire peur.

Et il mit son cheval au trot.

Planchet suivit le mouvement de son maître, exactement comme s’il eût été son ombre, et se retrouva trottant près de lui.

— Est-ce que nous allons marcher comme cela toute la nuit, monsieur ? demanda-t-il.

— Non, Planchet, car tu es arrivé, toi.

— Comment, je suis arrivé ! et monsieur ?

— Moi, je vais encore à quelques pas.

— Et monsieur me laisse seul ici ?

— Tu as peur, Planchet ?

— Non, mais je fais seulement observer à monsieur que la nuit sera très froide, que les fraîcheurs donnent des rhumatismes, et qu’un laquais qui a des rhumatismes est un triste serviteur, surtout pour un maître alerte comme monsieur.

— Eh bien, si tu as froid, Planchet, tu entreras dans un de ces cabarets que tu vois là-bas, et tu m’attendras demain matin à six heures devant la porte.

— Monsieur, j’ai bu et mangé respectueusement l’écu que vous m’avez donné ce matin ; de sorte qu’il ne me reste pas un traître sou dans le cas où j’aurais froid.

— Voici une demi-pistole. À demain.

D’Artagnan descendit de son cheval, en jeta la bride au bras de Planchet et s’éloigna rapidement en s’enveloppant dans son manteau.

— Dieu que j’ai froid ! s’écria Planchet dès qu’il eut perdu son maître de vue. Et, pressé qu’il était de se réchauffer, il se hâta d’aller frapper à la porte d’une maison parée de tous les attributs d’un cabaret de banlieue.

Cependant d’Artagnan, qui s’était jeté dans un petit chemin de traverse, continuait sa route et atteignait Saint-Cloud ; mais, au lieu de suivre la grande rue, il tourna derrière le château, gagna une espèce de ruelle fort écartée, et se trouva bientôt en face du pavillon indiqué. Il était situé dans un lieu tout à fait désert. Un grand mur, à l’angle duquel était ce pavillon, régnait d’un côté de cette ruelle, et de l’autre une haie défendait contre les passants un petit jardin au fond duquel s’élevait une maigre cabane.

Il était arrivé au rendez-vous, et comme on ne lui avait pas dit d’annoncer sa présence par aucun signal, il attendit.

Nul bruit ne se faisait entendre, on eût dit qu’on était à cent lieues de la capitale. D’Artagnan s’adossa à la haie après avoir jeté un coup d’œil derrière lui. Par-delà cette haie, ce jardin et cette cabane, un brouillard sombre enveloppait de ses plis cette immensité où dort Paris, vide, béant, immensité où brillaient quelques points lumineux, étoiles funèbres de cet enfer.

Mais pour d’Artagnan tous les aspects revêtaient une forme heureuse, toutes les idées avaient un sourire, toutes les ténèbres étaient diaphanes. L’heure du rendez-vous allait sonner.

En effet, au bout de quelques instants, le beffroi de Saint-Cloud laissa lentement tomber dix coups de sa large gueule mugissante.

Il y avait quelque chose de lugubre à cette voix de bronze qui se lamentait ainsi au milieu de la nuit. Mais chacune de ces heures qui composaient l’heure attendue vibrait harmonieusement au cœur du jeune homme. Ses yeux étaient fixés sur le petit pavillon situé à l’angle de la rue et dont toutes les fenêtres étaient fermées par des volets, excepté une seule du premier étage.

À travers cette fenêtre brillait une lumière douce qui argentait le feuillage tremblant de deux ou trois tilleuls qui s’élevaient formant groupe en dehors du parc. Évidemment derrière cette petite fenêtre, si gracieusement éclairée, la jolie madame Bonacieux l’attendait.

Bercé par cette douce idée, d’Artagnan attendit de son côté une demi-heure sans impatience aucune, les yeux fixés sur ce charmant petit séjour dont d’il apercevait une partie de plafond aux moulures dorées, attestant l’élégance du reste de l’appartement.

Le beffroi de Saint-Cloud sonna dix heures et demie.

Cette fois-ci, sans que d’Artagnan comprît pourquoi, un frisson courut dans ses veines. Peut-être aussi le froid commençait-il à le gagner et prenait-il pour une impression morale une sensation tout à fait physique.

Puis l’idée lui vint qu’il avait mal lu et que le rendez-vous était pour onze heures seulement.

Il s’approcha de la fenêtre, se plaça dans un rayon de lumière, tira sa lettre de sa poche et la relut ; il ne s’était point trompé : le rendez-vous était bien pour dix heures.

Il alla reprendre son poste, commençant à être assez inquiet de ce silence et de cette solitude.

Onze heures sonnèrent.

D’Artagnan commença à craindre véritablement qu’il ne fût arrivé quelque chose à madame Bonacieux.

Il frappa trois coups dans ses mains, signal ordinaire des amoureux, mais personne ne lui répondit, pas même l’écho.

Alors il pensa avec un certain dépit que peut-être la jeune femme s’était endormie en l’attendant.

Il s’approcha du mur et essaya d’y monter ; mais le mur était nouvellement crépi, et d’Artagnan se retourna inutilement les ongles.

En ce moment il avisa les arbres, dont la lumière continuait d’argenter les feuilles, et comme l’un d’eux faisait saillie sur le chemin, il pensa que du milieu de ses branches son regard pourrait pénétrer dans le pavillon.

L’arbre était facile. D’ailleurs d’Artagnan avait vingt ans à peine, et par conséquent se souvenait de son métier d’écolier. En un instant il fut au milieu des branches, et par les vitres transparentes ses yeux plongèrent dans l’intérieur du pavillon.

Chose étrange et qui fit frissonner d’Artagnan de la plante des pieds à la racine des cheveux, cette douce lumière, cette calme lampe éclairait une scène de désordre épouvantable ; une des vitres de la fenêtre était cassée, la porte de la chambre avait été enfoncée et, à demi brisée pendait à ses gonds ; une table qui avait dû être couverte d’un élégant souper gisait à terre ; les flacons en éclats, les fruits écrasés jonchaient le parquet ; tout témoignait dans cette chambre d’une lutte violente et désespérée ; d’Artagnan crut même reconnaître au milieu de ce pêle-mêle étrange des lambeaux de vêtements et quelques taches sanglantes maculant la nappe et les rideaux.

Il se hâta de redescendre dans la rue avec un horrible battement de cœur, il voulait voir s’il ne trouverait pas d’autres traces de violence.

La petite lueur suave brillait toujours dans le calme de la nuit. D’Artagnan s’aperçut alors, chose qu’il n’avait pas remarquée d’abord, car rien ne le poussait à cet examen, que le sol, battu ici, troué là, présentait des traces confuses de pas d’hommes, et de pieds de chevaux. En outre, les roues d’une voiture, qui paraissait venir de Paris, avaient creusé dans la terre molle une profonde empreinte qui ne dépassait pas la hauteur du pavillon et qui retournait vers Paris.

Enfin d’Artagnan, en poursuivant ses recherches, trouva près du mur un gant de femme déchiré. Cependant ce gant, par tous les points où il n’avait pas touché la terre boueuse, était d’une fraîcheur irréprochable. C’était un de ces gants parfumés comme les amants aiment à les arracher d’une jolie main.

À mesure que d’Artagnan poursuivait ses investigations, une sueur plus abondante et plus glacée perlait sur son front, son cœur était serré par une horrible angoisse, sa respiration était haletante ; et cependant il se disait, pour se rassurer, que ce pavillon n’avait peut-être rien de commun avec madame Bonacieux ; que la jeune femme lui avait donné rendez-vous devant ce pavillon, et non dans ce pavillon ; qu’elle avait pu être retenue à Paris par son service, par la jalousie de son mari peut-être. Mais tous ces raisonnements étaient battus en brèche, détruits, renversés par ce sentiment de douleur intime, qui dans certaines occasions, s’empare de tout notre être et nous crie, par tout ce qui est destiné chez nous à entendre, qu’un grand malheur plane sur nous.

Alors d’Artagnan devint presque insensé ; il courut sur la grande route, prit le même chemin qu’il avait déjà fait, s’avança jusqu’au bac, et interrogea le passeur.

Vers les sept heures du soir, le passeur avait fait traverser la rivière à une femme enveloppée d’une mante noire, qui paraissait avoir le plus grand intérêt à ne pas être reconnue ; mais, justement à cause des précautions qu’elle prenait, le passeur avait prêté une attention plus grande, et il avait reconnu que la femme était jeune et jolie.

Il y avait alors, comme aujourd’hui, une foule de jeunes et jolies femmes qui venaient à Saint-Cloud et qui avaient intérêt à ne pas être vues, et cependant d’Artagnan ne douta point un instant que ce ne fût madame Bonacieux qu’avait remarquée le passeur.

D’Artagnan profita de la lampe qui brillait dans la cabane du passeur pour relire encore une fois le billet de madame Bonacieux et s’assurer qu’il ne s’était pas trompé, que le rendez-vous était bien à Saint-Cloud et non ailleurs, devant le pavillon de M. d’Estrées et non dans une autre rue.

Tout concourait à prouver à d’Artagnan que ses pressentiments ne le trompaient point et qu’un grand malheur était arrivé.

Il reprit le chemin du château tout courant : il lui semblait qu’en son absence quelque chose de nouveau s’était peut-être passé au pavillon et que des renseignements l’attendaient là.

La ruelle était toujours déserte, et la même lueur calme et douce s’épanchait de la fenêtre.

D’Artagnan songea alors à cette masure muette et aveugle mais qui sans doute avait vu et qui peut-être pouvait parler.

La porte de clôture était fermée, mais il sauta par-dessus la haie, et malgré les aboiements du chien à la chaîne, il s’approcha de la cabane.

Aux premiers coups qu’il frappa, rien ne répondit.

Un silence de mort régnait dans la cabane comme dans le pavillon ; cependant, comme cette cabane était sa dernière ressource, il s’obstina.

Bientôt il lui sembla entendre un léger bruit intérieur, bruit craintif, et qui semblait trembler lui-même d’être entendu.

Alors d’Artagnan cessa de frapper et pria, avec un accent si plein d’inquiétude et de promesses, d’effroi et de cajolerie, que sa voix était de nature à rassurer de plus peureux. Enfin un vieux volet vermoulu s’ouvrit, ou plutôt s’entrebâilla, et se referma dès que la lueur d’une misérable lampe qui brûlait dans un coin eut éclairé le baudrier, la poignée de l’épée et le pommeau des pistolets de d’Artagnan. Cependant, si rapide qu’eût été le mouvement, d’Artagnan avait eu le temps d’entrevoir une tête de vieillard.

— Au nom du Ciel ! dit-il, écoutez-moi ; j’attendais quelqu’un qui ne vient pas ; je meurs d’inquiétude. Serait-il arrivé quelque malheur aux environs ? parlez.

La fenêtre se rouvrit lentement, et la même figure apparut de nouveau ; seulement elle était plus pâle encore que la première fois.

D’Artagnan raconta naïvement son histoire, aux noms près ; il dit comment il avait rendez-vous avec une jeune femme devant ce pavillon, et comment, ne la voyant pas venir, il était monté sur le tilleul et, à la lueur de la lampe, il avait vu le désordre de la chambre.

Le vieillard l’écouta attentivement, tout en faisant signe que c’était bien cela ; puis, lorsque d’Artagnan eut fini, il hocha la tête d’un air qui n’annonçait rien de bon.

— Que voulez-vous dire ? s’écria d’Artagnan. Au nom du Ciel, voyons, expliquez-vous.

— Oh ! monsieur, dit le vieillard, ne m’interrogez pas, car, si je vous disais ce que j’ai vu, bien certainement il ne m’arriverait rien de bon.

— Vous avez donc vu quelque chose ? reprit d’Artagnan. En ce cas, au nom du ciel, continua-t-il en lui jetant une pistole, dites, dites ce que vous avez vu, et je vous donne ma foi de gentilhomme que pas une de vos paroles ne sortira de mon cœur.

Le vieillard lut tant de franchise et de douleur sur le visage de d’Artagnan, qu’il lui fit signe d’écouter et qu’il lui dit à voix basse :

— Il était neuf heures à peu près, j’avais entendu quelque bruit dans la rue et je désirais savoir ce que ce pouvait être, lorsqu’en m’approchant de ma porte je m’aperçus qu’on cherchait à entrer. Comme je suis pauvre et que je n’ai pas peur qu’on me vole, j’allai ouvrir et je vis trois hommes à quelques pas de là. Dans l’ombre était un carrosse avec des chevaux attelés et des chevaux de main. Ces chevaux de main appartenaient évidemment aux trois hommes qui étaient vêtus en cavaliers.

— Ah, mes bons messieurs ! m’écriai-je, que demandez-vous ?

— Tu dois avoir une échelle ? me dit celui qui paraissait le chef de l’escorte.

— Oui, monsieur ; celle avec laquelle je cueille mes fruits.

— Donne-nous-la, et rentre chez toi, voilà un écu pour le dérangement que nous te causons. Souviens-toi seulement que si tu dis un mot de ce que tu vas voir et de ce que tu vas entendre (car tu regarderas et tu écouteras, quelque menace que nous te fassions, j’en suis sûr), tu es perdu.

À ces mots, il me jeta un écu, que je ramassai, et il prit mon échelle.

Effectivement, après avoir refermé la porte de la haie derrière eux, je fis semblant de rentrer à la maison ; mais j’en sortis aussitôt par la porte de derrière, et, me glissant dans l’ombre, je parvins jusqu’à cette touffe de sureau, du milieu de laquelle je pouvais tout voir sans être vu.

Les trois hommes avaient fait avancer la voiture sans aucun bruit, ils en tirèrent un petit homme, gros, court, grisonnant, mesquinement vêtu de couleur sombre, lequel monta avec précaution à l’échelle, regarda sournoisement dans l’intérieur de la chambre, redescendit à pas de loup et murmura à voix basse :

— C’est elle !

Aussitôt celui qui m’avait parlé s’approcha de la porte du pavillon, l’ouvrit avec une clef qu’il portait sur lui, referma la porte et disparut. En même temps les deux autres hommes montèrent à l’échelle. Le petit vieux demeurait à la portière, le cocher maintenait les chevaux de la voiture, et un laquais les chevaux de selle.

Tout à coup de grands cris retentirent dans le pavillon, une femme accourut à la fenêtre et l’ouvrit comme pour se précipiter. Mais aussitôt qu’elle aperçut les deux hommes, elle se rejeta en arrière ; les deux hommes s’élancèrent après elle dans la chambre.

Alors je ne vis plus rien ; mais j’entendis le bruit des meubles que l’on brise. La femme criait et appelait au secours. Mais bientôt ses cris furent étouffés ; les trois hommes se rapprochèrent de la fenêtre, emportant la femme dans leurs bras ; deux descendirent par l’échelle et la transportèrent dans la voiture, où le petit vieux entra après elle. Celui qui était resté dans le pavillon referma la croisée, sortit un instant après par la porte et s’assura que la femme était bien dans la voiture ; ses deux compagnons l’attendaient déjà à cheval, il sauta à son tour en selle, le laquais reprit sa place près du cocher ; le carrosse s’éloigna au galop escorté par les trois cavaliers, et tout fut fini. À partir de ce moment-là, je n’ai plus rien vu, rien entendu.

D’Artagnan, écrasé par une si terrible nouvelle, resta immobile et muet, tandis que tous les démons de la colère et de la jalousie hurlaient dans son cœur.

Mais, mon gentilhomme, reprit le vieillard, sur lequel ce muet désespoir causait certes plus d’effet que n’en eussent produit des cris et des larmes ; allons, ne vous désolez pas, ils ne vous l’ont pas tuée, voilà l’essentiel.

— Savez-vous à peu près, dit d’Artagnan, quel est l’homme qui conduisait cette infernale expédition ?

— Je ne le connais pas.

— Mais puisqu’il vous a parlé, vous avez pu le voir.

— Ah ! c’est son signalement que vous me demandez ?

— Oui.

— Un grand sec, basané, moustaches noires, œil noir, l’air d’un gentilhomme.

— C’est cela, s’écria d’Artagnan ; encore lui ! toujours lui ! C’est mon démon, à ce qu’il paraît ! Et l’autre ?

— Lequel ?

— Le petit.

— Oh ! celui-là n’est pas un seigneur, j’en réponds ; d’ailleurs il ne portait pas l’épée, et les autres le traitaient sans aucune considération.

— Quelque laquais, murmura d’Artagnan. Ah ! pauvre femme ! pauvre femme ! qu’en ont-ils fait ?

— Vous m’avez promis le secret, dit le vieillard.

— Et je vous renouvelle ma promesse, soyez tranquille, je suis gentilhomme. Un gentilhomme n’a que sa parole, et je vous ai donné la mienne.

D’Artagnan reprit, l’âme navrée, le chemin du bac. Tantôt il ne pouvait croire que ce fût madame Bonacieux, et il espérait le lendemain la retrouver au Louvre ; tantôt il craignait qu’elle n’eût eu une intrigue avec quelque autre et qu’un jaloux ne l’eût surprise et fait enlever. Il flottait, il se désolait, il se désespérait.

— Oh ! si j’avais là mes amis ! s’écriait-il, j’aurais au moins quelque espérance de la retrouver ; mais qui sait ce qu’ils sont devenus eux-mêmes ?

Il était minuit à peu près ; il s’agissait de retrouver Planchet. D’Artagnan se fit ouvrir successivement tous les cabarets dans lesquels il aperçut un peu de lumière ; dans aucun d’eux il ne retrouva Planchet.

Au sixième, il commença de réfléchir que la recherche était un peu hasardée. D’Artagnan n’avait donné rendez-vous à son laquais qu’à six heures du matin, et quelque part qu’il fût, il était dans son droit.

D’ailleurs, il vint au jeune homme cette idée, qu’en restant aux environs du lieu où l’événement s’était passé, il obtiendrait peut-être quelque éclaircissement sur cette mystérieuse affaire. Au sixième cabaret, comme nous l’avons dit, d’Artagnan s’arrêta donc, demanda une bouteille de vin de première qualité, s’accouda dans l’angle le plus obscur et se décida à attendre ainsi le jour ; mais cette fois encore son espérance fut trompée, et quoiqu’il écoutât de toutes ses oreilles, il n’entendit, au milieu des jurons, des lazzi et des injures qu’échangeaient entre eux les ouvriers, les laquais et les rouliers qui composaient l’honorable société dont il faisait partie, rien qui pût le mettre sur la trace de la pauvre femme enlevée. Force lui fut donc, après avoir avalé sa bouteille par désœuvrement et pour ne pas éveiller des soupçons, de chercher dans son coin la posture la plus satisfaisante possible et de s’endormir tant bien que mal. D’Artagnan avait vingt ans, on se le rappelle, et à cet âge le sommeil a des droits imprescriptibles qu’il réclame impérieusement, même sur les cœurs les plus désespérés.

Vers six heures du matin, d’Artagnan se réveilla avec ce malaise qui accompagne ordinairement le point du jour après une mauvaise nuit. Sa toilette n’était pas longue à faire ; il se tâta pour savoir si on n’avait pas profité de son sommeil pour le voler, et ayant retrouvé son diamant à son doigt, sa bourse dans sa poche et ses pistolets à sa ceinture, il se leva, paya sa bouteille et sortit pour voir s’il n’aurait pas plus de bonheur dans la recherche de son laquais le matin que la nuit. En effet, la première chose qu’il aperçut à travers le brouillard humide et grisâtre fut l’honnête Planchet qui, les deux chevaux en main, l’attendait à la porte d’un petit cabaret borgne devant lequel d’Artagnan était passé sans même soupçonner son existence.

LA MAÎTRESSE DE PORTHOS

Au lieu de rentrer chez lui directement, d’Artagnan mit pied à terre à la porte de M. de Tréville, et monta rapidement l’escalier. Cette fois, il était décidé à lui raconter tout ce qui venait de se passer. Sans doute il lui donnerait de bons conseils dans toute cette affaire ; puis, comme M. de Tréville voyait presque journellement la reine, il pourrait peut-être tirer de Sa Majesté quelque renseignement sur la pauvre femme à qui l’on faisait sans doute payer son dévouement à sa maîtresse.

M. de Tréville écouta le récit du jeune homme avec une gravité qui prouvait qu’il voyait autre chose, dans toute cette aventure, qu’une intrigue d’amour ; puis, quand d’Artagnan eut achevé :

— Hum ! dit-il, tout ceci sent Son Éminence d’une lieue.

— Mais, que faire ? dit d’Artagnan.

— Rien, absolument rien, à cette heure, que quitter Paris, comme je vous l’ai dit, le plus tôt possible. Je verrai la reine, je lui raconterai les détails de la disparition de cette pauvre femme, qu’elle ignore sans doute ; ces détails la guideront de son côté, et, à votre retour, peut-être aurai-je quelque bonne nouvelle à vous dire. Reposez-vous sur moi.

D’Artagnan savait que, quoique Gascon, M. de Tréville n’avait pas l’habitude de promettre, et que lorsque par hasard il promettait, il tenait plus qu’il n’avait promis. Il le salua donc, plein de reconnaissance pour le passé et pour l’avenir, et le digne capitaine, qui de son côté éprouvait un vif intérêt pour ce jeune homme si brave et si résolu, lui serra affectueusement la main en lui souhaitant un bon voyage.

Décidé à mettre les conseils de M. de Tréville en pratique à l’instant même, d’Artagnan s’achemina vers la rue des Fossoyeurs, afin de veiller à la confection de son portemanteau. En s’approchant de sa maison, il reconnut M. Bonacieux en costume du matin, debout sur le seuil de sa porte. Tout ce que lui avait dit, la veille, le prudent Planchet sur le caractère sinistre de son hôte revint alors à l’esprit de d’Artagnan, qui le regarda plus attentivement qu’il n’avait fait encore. En effet, outre cette pâleur jaunâtre et maladive qui indique l’infiltration de la bile dans le sang et qui pouvait d’ailleurs n’être qu’accidentelle, d’Artagnan remarqua quelque chose de sournoisement perfide dans l’habitude des rides de sa face. Un fripon ne rit pas de la même façon qu’un honnête homme, un hypocrite ne pleure pas les mêmes larmes qu’un homme de bonne foi. Toute fausseté est un masque, et si bien fait que soit le masque, on arrive toujours, avec un peu d’attention, à le distinguer du visage.

Il sembla donc à d’Artagnan que M. Bonacieux portait un masque, et même que ce masque était des plus désagréables à voir.

En conséquence il allait, vaincu par sa répugnance pour cet homme, passer devant lui sans lui parler, quand, ainsi que la veille, M. Bonacieux l’interpella.

— Eh bien, jeune homme, lui dit-il, il paraît que nous faisons de grasses nuits ? Sept heures du matin, peste ! Il me semble que vous retournez tant soit peu les habitudes reçues, et que vous rentrez à l’heure où les autres sortent.

— On ne vous fera pas le même reproche, maître Bonacieux, dit le jeune homme, et vous êtes le modèle des gens rangés. Il est vrai que lorsque l’on possède une jeune et jolie femme, on n’a pas besoin de courir après le bonheur : c’est le bonheur qui vient vous trouver ; n’est-ce pas, monsieur Bonacieux ?

Bonacieux devint pâle comme la mort et grimaça un sourire.

— Ah ! ah ! dit Bonacieux, vous êtes un plaisant compagnon. Mais où diable avez-vous été courir cette nuit, mon jeune maître ? Il paraît qu’il ne faisait pas bon dans les chemins de traverse.

D’Artagnan baissa les yeux vers ses bottes toutes couvertes de boue ; mais dans ce mouvement ses regards se portèrent en même temps sur les souliers et les bas du mercier ; on eût dit qu’on les avait trempés dans le même bourbier ; les uns et les autres étaient maculés de taches absolument pareilles.

Alors une idée subite traversa l’esprit de d’Artagnan. Ce petit homme gros, court, grisonnant, cette espèce de laquais vêtu d’un habit sombre, traité sans considération par les gens d’épée qui composaient l’escorte, c’était Bonacieux lui-même. Le mari avait présidé à l’enlèvement de sa femme.

Il prit à d’Artagnan une terrible envie de sauter à la gorge du mercier et de l’étrangler ; mais, nous l’avons dit, c’était un garçon fort prudent, et il se contint. Cependant la révolution qui s’était faite sur son visage était si visible, que Bonacieux en fut effrayé et essaya de reculer d’un pas ; mais justement il se trouvait devant le battant de la porte, qui était fermée, et l’obstacle qu’il rencontra le força de se tenir à la même place.

— Ah çà ! mais vous qui plaisantez, mon brave homme, dit d’Artagnan, il me semble que si mes bottes ont besoin d’un coup d’éponge, vos bas et vos souliers réclament aussi un coup de brosse. Est-ce que de votre côté vous auriez couru la prétantaine, maître Bonacieux ? Ah ! diable, ceci ne serait point pardonnable à un homme de votre âge et qui, de plus, a une jeune et jolie femme comme la vôtre.

— Oh ! mon Dieu, non, dit Bonacieux ; mais hier j’ai été à Saint-Mandé pour prendre des renseignements sur une servante dont je ne puis absolument me passer, et comme les chemins étaient mauvais, j’en ai rapporté toute cette fange, que je n’ai pas encore eu le temps de faire disparaître.

Le lieu que désignait Bonacieux comme celui qui avait été le but de sa course fut une nouvelle preuve à l’appui des soupçons qu’avait conçus d’Artagnan. Bonacieux avait dit Saint-Mandé, parce que Saint-Mandé est le point absolument opposé à Saint-Cloud.

Cette probabilité lui fut une première consolation. Si Bonacieux savait où était sa femme, on pourrait toujours, en employant des moyens extrêmes, forcer le mercier à desserrer les dents et à laisser échapper son secret. Il s’agissait seulement de changer cette probabilité en certitude.

— Pardon, mon cher monsieur Bonacieux, si j’en use avec vous sans façon, dit d’Artagnan ; mais rien n’altère comme de ne pas dormir, j’ai donc une soif d’enragé ; permettez-moi de prendre un verre d’eau chez vous ; vous le savez, cela ne se refuse pas entre voisins.

Et sans attendre la permission de son hôte, d’Artagnan entra vivement dans la maison, et jeta un coup d’œil rapide sur le lit. Le lit n’était pas défait. Bonacieux ne s’était pas couché. Il rentrait donc seulement il y avait une heure ou deux ; il avait accompagné sa femme jusqu’à l’endroit où on l’avait conduite, ou tout au moins jusqu’au premier relais.

— Merci, maître Bonacieux, dit d’Artagnan en vidant son verre, voilà tout ce que je voulais de vous. Maintenant je rentre chez moi, je vais faire brosser mes bottes par Planchet, et quand il aura fini, je vous l’enverrai si vous voulez pour brosser vos souliers.

Et il quitta le mercier tout ébahi de ce singulier adieu et se demandant s’il ne s’était pas enferré lui-même.

Sur le haut de l’escalier il trouva Planchet tout effaré.

— Ah ! monsieur, s’écria Planchet dès qu’il eut aperçu son maître, en voilà bien d’une autre, et il me tardait bien que vous rentrassiez.

— Qu’y a-t-il donc ? demanda d’Artagnan.

— Oh ! je vous le donne en cent, monsieur, je vous le donne en mille de deviner la visite que j’ai reçue pour vous en votre absence.

— Quand cela ?

— Il y a une demi-heure, tandis que vous étiez chez M. de Tréville.

— Et qui donc est venu ? Voyons, parle.

— M. de Cavois.

— M. de Cavois ?

— En personne.

— Le capitaine des gardes de Son Éminence ?

— Lui-même.

— Il venait m’arrêter ?

— Je m’en suis douté, monsieur, et cela malgré son air patelin.

— Il avait l’air patelin, dis-tu ?

— C’est-à-dire qu’il était tout miel, monsieur.

— Vraiment ?

— Il venait, disait-il, de la part de Son Éminence, qui vous voulait beaucoup de bien, vous prier de le suivre au Palais-Royal.

— Et tu lui as répondu ?

— Que la chose était impossible, attendu que vous étiez hors de la maison, comme il le pouvait voir.

— Alors qu’a-t-il dit ?

— Que vous ne manquiez pas de passer chez lui dans la journée ; puis il a ajouté tout bas : « Dis à ton maître que Son Éminence est parfaitement disposée pour lui, et que sa fortune dépend peut-être de cette entrevue. »

— Le piège est assez maladroit pour le cardinal, reprit en souriant le jeune homme.

— Aussi, je l’ai vu, le piège, et j’ai répondu que vous seriez désespéré à votre retour.

— Où est-il allé ? a demandé M. de Cavois.

— À Troyes, en Champagne, ai-je répondu. Et quand est-il parti ?

— Hier soir.

— Planchet, mon ami, interrompit d’Artagnan, tu es véritablement un homme précieux.

— Vous comprenez, monsieur, j’ai pensé qu’il serait toujours temps, si vous désirez voir M. de Cavois, de me démentir en disant que vous n’étiez point parti ; ce serait moi, dans ce cas, qui aurais fait le mensonge, et comme je ne suis pas gentilhomme, moi, je puis mentir.

— Rassure-toi, Planchet, tu conserveras ta réputation d’homme véridique ; dans un quart d’heure nous partons.

— C’est le conseil que j’allais donner à monsieur ; et où allons-nous, sans être trop curieux ?

— Pardieu ! du côté opposé à celui vers lequel tu as dit que j’étais allé. D’ailleurs, n’as-tu pas autant de hâte d’avoir des nouvelles de Grimaud, de Mousqueton et de Bazin que j’en ai, moi, de savoir ce que sont devenus Athos, Porthos et Aramis ?

— Si fait, monsieur, dit Planchet, et je partirai quand vous voudrez ; l’air de la province vaut mieux pour nous, à ce que je crois, en ce moment, que l’air de Paris. Ainsi donc…

— Ainsi donc, fais notre paquet, Planchet, et partons ; moi, je m’en vais devant, les mains dans mes poches, pour qu’on ne se doute de rien. Tu me rejoindras à l’hôtel des Gardes. À propos, Planchet, je crois que tu as raison à l’endroit de notre hôte, et que c’est décidément une affreuse canaille.

— Ah ! croyez-moi, monsieur, quand je vous dis quelque chose ; je suis physionomiste, moi, allez !

D’Artagnan descendit le premier, comme la chose avait été convenue ; puis, pour n’avoir rien à se reprocher, il se dirigea une dernière fois vers la demeure de ses trois amis : on n’avait reçu aucune nouvelle d’eux, seulement une lettre toute parfumée et d’une écriture élégante et menue était arrivée pour Aramis. D’Artagnan s’en chargea. Dix minutes après, Planchet le rejoignait dans les écuries de l’hôtel des Gardes. D’Artagnan, pour qu’il n’y eût pas de temps perdu, avait déjà sellé son cheval lui-même.

— C’est bien, dit-il à Planchet, lorsque celui-ci eut joint le portemanteau à l’équipement ; maintenant selle les trois autres, et partons.

— Croyez-vous que nous irons plus vite avec chacun deux chevaux ? demanda Planchet avec son air narquois.

— Non, monsieur le mauvais plaisant, répondit d’Artagnan, mais avec nos quatre chevaux nous pourrons ramener nos trois amis, si toutefois nous les retrouvons vivants.

— Ce qui serait une grande chance, répondit Planchet, mais enfin il ne faut pas désespérer de la miséricorde de Dieu.

— Amen, dit d’Artagnan en enfourchant son cheval.

Et tous deux sortirent de l’hôtel des Gardes, s’éloignèrent chacun par un bout de la rue, l’un devant quitter Paris par la barrière de la Villette et l’autre par la barrière de Montmartre, pour se rejoindre au-delà de Saint-Denis, manœuvre stratégique qui, ayant été exécutée avec une égale ponctualité, fut couronnée des plus heureux résultats. D’Artagnan et Planchet entrèrent ensemble à Pierrefitte.

Planchet était plus courageux, il faut le dire, le jour que la nuit.

Cependant sa prudence naturelle ne l’abandonnait pas un seul instant ; il n’avait oublié aucun des incidents du premier voyage, et il tenait pour ennemis tous ceux qu’il rencontrait sur la route. Il en résultait qu’il avait sans cesse le chapeau à la main, ce qui lui valait de sévères mercuriales de la part de d’Artagnan, qui craignait que, grâce à cet excès de politesse, on ne le prît pour le valet d’un homme de peu.

Cependant, soit qu’effectivement les passants fussent touchés de l’urbanité de Planchet, soit que cette fois personne ne fût aposté sur la route du jeune homme, nos deux voyageurs arrivèrent à Chantilly sans accident aucun et descendirent à l’hôtel du Grand-Saint-Martin, le même dans lequel ils s’étaient arrêtés lors de leur premier voyage.

L’hôte, en voyant un jeune homme suivi d’un laquais et de deux chevaux de main, s’avança respectueusement sur le seuil de la porte. Or, comme il avait déjà fait onze lieues, d’Artagnan jugea à propos de s’arrêter, que Porthos fût ou ne fût pas dans l’hôtel. Puis peut-être n’était-il pas prudent de s’informer du premier coup de ce qu’était devenu le mousquetaire. Il résulta de ces réflexions que d’Artagnan, sans demander aucune nouvelle de qui que ce fût, descendit, recommanda les chevaux à son laquais, entra dans une petite chambre destinée à recevoir ceux qui désiraient être seuls, et demanda à son hôte une bouteille de son meilleur vin et un déjeuner aussi bon que possible, demande qui corrobora encore la bonne opinion que l’aubergiste avait prise de son voyageur à la première vue.

Aussi d’Artagnan fut-il servi avec une célérité miraculeuse. Le régiment des gardes se recrutait parmi les premiers gentilshommes du royaume, et d’Artagnan, suivi d’un laquais et voyageant avec quatre chevaux magnifiques, ne pouvait, malgré la simplicité de son uniforme, manquer de faire sensation. L’hôte voulut le servir lui-même ; ce que voyant, d’Artagnan fit apporter deux verres et entama la conversation suivante :

— Ma foi, mon cher hôte, dit d’Artagnan en remplissant les deux verres, je vous ai demandé de votre meilleur vin et si vous m’avez trompé, vous allez être puni par où vous avez péché, attendu que, comme je déteste boire seul, vous allez boire avec moi. Prenez donc ce verre, et buvons. À quoi boirons-nous, voyons, pour ne blesser aucune susceptibilité ? Buvons à la prospérité de votre établissement !

— Votre Seigneurie me fait honneur, dit l’hôte, et je la remercie bien sincèrement de son bon souhait.

— Mais ne vous y trompez pas, dit d’Artagnan, il y a plus d’égoïsme peut-être que vous ne le pensez dans mon toast, il n’y a que les établissements qui prospèrent dans lesquels on soit bien reçu ; dans les hôtels qui périclitent, tout va à la débandade, et le voyageur est victime des embarras de son hôte ; or, moi qui voyage beaucoup et surtout sur cette route, je voudrais voir tous les aubergistes faire fortune.

— En effet, dit l’hôte, il me semble que ce n’est pas la première fois que j’ai l’honneur de voir monsieur.

— Bah ? je suis passé dix fois peut-être à Chantilly, et sur les dix fois je me suis arrêté au moins trois ou quatre fois chez vous. Tenez, j’y étais encore il y a dix ou douze jours à peu près ; je faisais la conduite à des amis, à des mousquetaires, à telle enseigne que l’un d’eux s’est pris de dispute avec un étranger, un inconnu, un homme qui lui a cherché je ne sais quelle querelle.

— Ah ! oui vraiment ! dit l’hôte, et je me le rappelle parfaitement. N’est-ce pas de M. Porthos que Votre Seigneurie veut me parler ?

— C’est justement le nom de mon compagnon de voyage. Mon Dieu ! mon cher hôte, dites-moi, lui serait-il arrivé malheur ?

— Mais Votre Seigneurie a dû remarquer qu’il n’a pas pu continuer sa route.

— En effet, il nous avait promis de nous rejoindre, et nous ne l’avons pas revu.

— Il nous a fait l’honneur de rester ici.

— Comment ! il vous a fait l’honneur de rester ici ?

— Oui, monsieur, dans cet hôtel ; nous sommes même bien inquiets.

— Et de quoi ?

— De certaines dépenses qu’il a faites.

— Eh bien, mais les dépenses qu’il a faites, il les paiera.

— Ah ! monsieur, vous me mettez véritablement du baume dans le sang ! Nous avons fait de fort grandes avances, et ce matin encore le chirurgien nous déclarait que si M. Porthos ne le payait pas, c’était à moi qu’il s’en prendrait, attendu que c’était moi qui l’avais envoyé chercher.

— Mais Porthos est donc blessé ?

— Je ne saurais vous le dire, monsieur.

— Comment, vous ne sauriez me le dire ! vous devriez cependant être mieux informé que personne.

— Oui, mais dans notre état nous ne disons pas tout ce que nous savons, monsieur, surtout quand on nous a prévenus que nos oreilles répondraient pour notre langue.

— Eh bien ! puis-je voir Porthos ?

— Certainement, monsieur. Prenez l’escalier, montez au premier et frappez au n° 1. Seulement, prévenez que c’est vous.

— Comment, que je prévienne que c’est moi ?

— Oui, car il pourrait vous arriver malheur.

— Et quel malheur voulez-vous qu’il m’arrive ?

— M. Porthos peut vous prendre pour quelqu’un de la maison et, dans un mouvement de colère, vous passer son épée à travers le corps ou vous brûler la cervelle.

— Que lui avez-vous donc fait ?

— Nous lui avons demandé de l’argent.

— Ah ! diable ! je comprends cela ; c’est une demande que Porthos reçoit très mal quand il n’est pas en fonds, mais je sais qu’il devait y être.

— C’est ce que nous avions pensé aussi, monsieur ; comme la maison est fort régulière et que nous faisons nos comptes toutes les semaines, au bout de huit jours nous lui avons présenté notre note ; mais il paraît que nous sommes tombés dans un mauvais moment, car, au premier mot que nous avons prononcé sur la chose, il nous a envoyés à tous les diables ; il est vrai qu’il avait joué la veille.

— Comment, il avait joué la veille, et avec qui ?

— Oh ! mon Dieu, qui sait cela ? avec un seigneur qui passait et auquel il avait fait proposer une partie de lansquenet.

— C’est cela, le malheureux aura tout perdu.

— Jusqu’à son cheval, monsieur, car lorsque l’étranger a été pour partir, nous nous sommes aperçus que son laquais sellait le cheval de M. Porthos. Alors nous lui en avons fait l’observation, mais il nous a répondu que nous nous mêlions de ce qui ne nous regardait pas et que ce cheval était à lui. Nous avons aussitôt fait prévenir M. Porthos de ce qui se passait, mais il nous à fait dire que nous étions des faquins de douter de la parole d’un gentilhomme, et que, puisque celui-là avait dit que le cheval était à lui, il fallait bien que cela fût.

— Je le reconnais bien là, murmura d’Artagnan.

— Alors, continua l’hôte, je lui fis répondre que du moment où nous paraissions destinés à ne pas nous entendre à l’endroit du paiement, j’espérais qu’il aurait au moins la bonté d’accorder la faveur de sa pratique à mon confrère le maître de l’Aigle-d’Or ; mais M. Porthos me répondit que mon hôtel étant le meilleur, il désirait y rester. Cette réponse était trop flatteuse pour que j’insistasse sur son départ. Je me bornai donc à le prier de me rendre sa chambre, qui est la plus belle de l’hôtel, et de se contenter d’un joli petit cabinet au troisième. Mais à ceci M. Porthos répondit que, comme il attendait d’un moment à l’autre sa maîtresse, qui était une des plus grandes dames de la cour, je devais comprendre que la chambre qu’il me faisait l’honneur d’habiter chez moi était encore bien médiocre pour une pareille personne. Cependant, tout en reconnaissant la vérité de ce qu’il disait, je crus devoir insister ; mais, sans même se donner la peine d’entrer en discussion avec moi, il prit son pistolet, le mit sur sa table de nuit et déclara qu’au premier mot qu’on lui dirait d’un déménagement quelconque à l’extérieur ou à l’intérieur, il brûlerait la cervelle à celui qui serait assez imprudent pour se mêler d’une chose qui ne regardait que lui. Aussi, depuis ce temps-là, monsieur, personne n’entre plus dans sa chambre, si ce n’est son domestique.

— Mousqueton est donc ici ?

— Oui, monsieur ; cinq jours après son départ, il est revenu de fort mauvaise humeur de son côté ; il paraît que lui aussi a eu du désagrément dans son voyage. Malheureusement, il est plus ingambe que son maître, ce qui fait que pour son maître il met tout sens dessus dessous, attendu que, comme il pense qu’on pourrait lui refuser ce qu’il demande, il prend tout ce dont il a besoin sans demander.

— Le fait est, répondit d’Artagnan, que j’ai toujours remarqué dans Mousqueton un dévouement et une intelligence très supérieurs.

— Cela est possible, monsieur ; mais supposez qu’il m’arrive seulement quatre fois par an de me trouver en contact avec une intelligence et un dévouement semblables, et je suis un homme ruiné.

— Non, car Porthos vous paiera.

— Hum ! fit l’hôtelier d’un ton de doute.

— C’est le favori d’une très grande dame qui ne le laissera pas dans l’embarras pour une misère comme celle qu’il vous doit.

— Si j’ose dire ce que je crois là-dessus…

— Ce que vous croyez ?

— Je dirai plus : ce que je sais.

— Ce que vous savez ?

— Et même ce dont je suis sûr.

— Et de quoi êtes-vous sûr, voyons ?

— Je dirai que je connais cette grande dame.

— Vous ?

— Oui, moi.

— Et comment la connaissez-vous ?

— Oh ! monsieur, si je croyais pouvoir me fier à votre discrétion ?…

— Parlez, et foi de gentilhomme, vous n’aurez pas à vous repentir de votre confiance.

— Eh bien ! monsieur, vous concevez, l’inquiétude fait faire bien des choses.

— Qu’avez-vous fait ?

— Oh ! d’ailleurs, rien qui ne soit dans le droit d’un créancier.

— Enfin ?

— M. Porthos nous a remis un billet pour cette duchesse, en nous recommandant de le jeter à la poste. Son domestique n’était pas encore arrivé. Comme il ne pouvait pas quitter sa chambre, il fallait bien qu’il nous chargeât de ses commissions.

— Ensuite ?

— Au lieu de mettre la lettre à la poste, ce qui n’est jamais bien sûr, j’ai profité de l’occasion de l’un de mes garçons qui allait à Paris, et je lui ai ordonné de la remettre à cette duchesse elle-même. C’était remplir les intentions de M. Porthos, qui nous avait si fort recommandé cette lettre, n’est-ce pas ?

— À peu près.

— Eh bien, monsieur, savez-vous ce que c’est que cette grande dame ?

— Non ; j’en ai entendu parler à Porthos, voilà tout.

— Savez-vous ce que c’est que cette prétendue duchesse ?

— Je vous le répète, je ne la connais pas.

— C’est une vieille procureuse au Châtelet, monsieur, nommée madame Coquenard, laquelle a au moins cinquante ans, et se donne encore des airs d’être jalouse. Cela me paraissait aussi fort singulier, une princesse qui demeure rue aux Ours !

— Comment savez-vous cela ?

— Parce qu’elle s’est mise dans une grande colère en recevant la lettre, disant que M. Porthos était un volage, et que c’était encore pour quelque femme qu’il avait reçu ce coup d’épée.

— Mais il a donc reçu un coup d’épée ?

— Ah ! mon Dieu ! qu’ai-je dit là ?

— Vous avez dit que Porthos avait reçu un coup d’épée.

— Oui, mais il m’avait si fort défendu de le dire !

— Pourquoi cela ?

— Dame ! monsieur, parce qu’il s’était vanté de perforer cet étranger avec lequel vous l’avez laissé en dispute, et que c’est cet étranger, au contraire, qui, malgré toutes ses rodomontades, l’a couché sur le carreau. Or, comme M. Porthos est un homme fort glorieux, excepté envers la duchesse, qu’il avait cru intéresser en lui faisant le récit de son aventure, il ne veut avouer à personne que c’est un coup d’épée qu’il a reçu.

— Ainsi c’est donc un coup d’épée qui le retient dans son lit ?

— Et un maître coup d’épée, je vous l’assure. Il faut que votre ami ait l’âme chevillée dans le corps.

— Vous étiez donc là ?

— Monsieur, je les avais suivis par curiosité, de sorte que j’ai vu le combat sans que les combattants me vissent.

— Et comment cela s’est-il passé ?

— Oh ! la chose n’a pas été longue, je vous en réponds. Ils se sont mis en garde ; l’étranger a fait une feinte et s’est fendu ; tout cela si rapidement, que lorsque M. Porthos est arrivé à la parade, il avait déjà trois pouces de fer dans la poitrine. Il est tombé en arrière. L’étranger lui a mis aussitôt la pointe de son épée à la gorge ; et M. Porthos, se voyant à la merci de son adversaire, s’est avoué vaincu. Sur quoi, l’étranger lui a demandé son nom et apprenant qu’il s’appelait M. Porthos, et non M. d’Artagnan, lui a offert son bras, l’a ramené à l’hôtel, est monté à cheval et a disparu.

— Ainsi c’est à M. d’Artagnan qu’en voulait cet étranger ?

— Il paraît qu’oui.

— Et savez-vous ce qu’il est devenu ?

— Non ; je ne l’avais jamais vu jusqu’à ce moment et nous ne l’avons pas revu depuis.

— Très bien ; je sais ce que je voulais savoir. Maintenant, vous dites que la chambre de Porthos est au premier, n° 1 ?

— Oui, monsieur, la plus belle de l’auberge ; une chambre que j’aurais déjà eu dix fois l’occasion de louer.

— Bah ! tranquillisez vous, dit d’Artagnan en riant ; Porthos vous paiera avec l’argent de la duchesse Coquenard.

— Oh ! monsieur, procureuse ou duchesse, si elle lâchait les cordons de sa bourse, ce ne serait rien ; mais elle a positivement répondu qu’elle était lasse des exigences et des infidélités de M. Porthos, et qu’elle ne lui enverrait pas un denier.

— Et avez-vous rendu cette réponse à votre hôte ?

— Nous nous en sommes bien gardés : il aurait vu de quelle manière nous avions fait la commission.

— Si bien qu’il attend toujours son argent ?

— Oh ! mon Dieu, oui ! Hier encore, il a écrit ; mais, cette fois, c’est son domestique qui a mis la lettre à la poste.

— Et vous dites que la procureuse est vieille et laide.

— Cinquante ans au moins, monsieur, et pas belle du tout, à ce qu’a dit Pathaud.

— En ce cas, soyez tranquille, elle se laissera attendrir ; d’ailleurs Porthos ne peut pas vous devoir grand-chose.

— Comment, pas grand’chose ! Une vingtaine de pistoles déjà, sans compter le médecin. Oh ! il ne se refuse rien, allez ! on voit qu’il est habitué à bien vivre.

— Eh bien, si sa maîtresse l’abandonne, il trouvera des amis, je vous le certifie. Ainsi, mon cher hôte, n’ayez aucune inquiétude, et continuez d’avoir pour lui tous les soins qu’exige son état.

— Monsieur m’a promis de ne pas parler de la procureuse et de ne pas dire un mot de la blessure.

— C’est chose convenue, vous avez ma parole.

— Oh ! c’est qu’il me tuerait, voyez-vous !

— N’ayez pas peur, il n’est pas si diable qu’il en a l’air.

En disant ces mots, d’Artagnan monta l’escalier, laissant son hôte un peu plus rassuré à l’endroit de deux choses auxquelles il paraissait beaucoup tenir : sa créance et sa vie.

Au haut de l’escalier, sur la porte la plus apparente du corridor était tracé, à l’encre noire, un n° 1 gigantesque ; d’Artagnan frappa un coup, et, sur l’invitation de passer outre qui lui vint de l’intérieur, il entra.

Porthos était couché, et faisait une partie de lansquenet avec Mousqueton, pour s’entretenir la main, tandis qu’une broche chargée de perdrix tournait devant le feu, et qu’à chaque coin d’une grande cheminée bouillaient sur deux réchauds deux casseroles, d’où s’exhalait une double odeur de gibelotte et de matelote qui réjouissait l’odorat. En outre, le haut d’un secrétaire et le marbre d’une commode étaient couverts de bouteilles vides.

À la vue de son ami, Porthos jeta un grand cri de joie ; et Mousqueton, se levant respectueusement, lui céda la place et s’en alla donner un coup d’œil aux deux casseroles, dont il paraissait avoir l’inspection particulière.

— Ah ! pardieu ! c’est vous, dit Porthos à d’Artagnan, soyez le bienvenu, et excusez-moi si je ne vais pas au-devant de vous. Mais, ajouta-t-il en regardant d’Artagnan avec une certaine inquiétude, vous savez ce qui m’est arrivé ?

— Non.

— L’hôte ne vous a rien dit ?

— J’ai demandé après vous, et je suis monté tout droit.

Porthos parut respirer plus librement.

— Et que vous est-il donc arrivé, mon cher Porthos ? continua d’Artagnan.

— Il m’est arrivé qu’en me fendant sur mon adversaire, à qui j’avais déjà allongé trois coups d’épée, et avec lequel je voulais en finir d’un quatrième, mon pied a porté sur une pierre, et je me suis foulé le genou.

— Vraiment ?

— D’honneur ! Heureusement pour le maraud, car je ne l’aurais laissé que mort sur la place, je vous en réponds.

— Et qu’est-il devenu ?

— Oh ! je n’en sais rien ; il en a eu assez, et il est parti sans demander son reste ; mais vous, mon cher d’Artagnan, que vous est-il arrivé ?

— De sorte, continua d’Artagnan, que cette foulure, mon cher Porthos, vous retient au lit ?

— Ah ! mon Dieu, oui, voilà tout ; du reste, dans quelques jours je serai sur pied.

— Pourquoi alors ne vous êtes-vous pas fait transporter à Paris ? Vous devez vous ennuyer cruellement ici.

— C’était mon intention ; mais, mon cher ami, il faut que je vous avoue une chose.

— Laquelle ?

— C’est que, comme je m’ennuyais cruellement, ainsi que vous le dites, et que j’avais dans ma poche les soixante-quinze pistoles que vous m’aviez distribuées j’ai, pour me distraire, fait monter près de moi un gentilhomme qui était de passage, et auquel j’ai proposé de faire une partie de dés. Il a accepté, et, ma foi, mes soixante-quinze pistoles sont passées de ma poche dans la sienne, sans compter mon cheval, qu’il a encore emporté par dessus le marché. Mais vous, mon cher d’Artagnan ?

— Que voulez-vous, mon cher Porthos, on ne peut pas être privilégié de toutes façons, dit d’Artagnan ; vous savez le proverbe : « Malheureux au jeu, heureux en amour. » Vous êtes trop heureux en amour pour que le jeu ne se venge pas ; mais que vous importent, à vous, les revers de la fortune ! n’avez-vous pas, heureux coquin que vous êtes, n’avez-vous pas votre duchesse, qui ne peut manquer de vous venir en aide ?

— Eh bien ! voyez, mon cher d’Artagnan, comme je joue de guignon, répondit Porthos de l’air le plus dégagé du monde ! je lui ai écrit de m’envoyer quelque cinquante louis dont j’avais absolument besoin, vu la position où je me trouvais…

— Eh bien ?

— Eh bien ! il faut qu’elle soit dans ses terres, car elle ne m’a pas répondu.

— Vraiment ?

— Non. Aussi je lui ai adressé hier une seconde épître plus pressante encore que la première ; mais vous voilà, mon très cher, parlons de vous. Je commençais, je vous l’avoue, à être dans une certaine inquiétude sur votre compte.

— Mais votre hôte se conduit bien envers vous, à ce qu’il paraît, mon cher Porthos, dit d’Artagnan, montrant au malade les casseroles pleines et les bouteilles vides.

— Coussi ! coussi ! répondit Porthos. Il y a déjà trois ou quatre jours que l’impertinent m’a monté son compte, et que je les ai mis à la porte, son compte et lui ; de sorte que je suis ici comme une façon de vainqueur, comme une manière de conquérant. Aussi, vous le voyez, craignant toujours d’être forcé dans la position, je suis armé jusqu’aux dents.

— Cependant, dit en riant d’Artagnan, il me semble que de temps en temps vous faites des sorties.

Et il montrait du doigt les bouteilles et les casseroles.

— Non, pas moi, malheureusement ! dit Porthos. Cette misérable foulure me retient au lit, mais Mousqueton bat la campagne, et il rapporte des vivres. Mousqueton, mon ami, continua Porthos, vous voyez qu’il nous arrive du renfort, il nous faudra un supplément de victuailles.

— Mousqueton, dit d’Artagnan, il faudra que vous me rendiez un service.

— Lequel, monsieur ?

— C’est de donner votre recette à Planchet ; je pourrais me trouver assiégé à mon tour, et je ne serais pas fâché qu’il me fît jouir des mêmes avantages dont vous gratifiez votre maître.

— Eh ! mon Dieu ! monsieur, dit Mousqueton d’un air modeste, rien de plus facile. Il s’agit d’être adroit, voilà tout. J’ai été élevé à la campagne, et mon père, dans ses moments perdus, était quelque peu braconnier.

— Et le reste du temps, que faisait-il ?

— Monsieur, il pratiquait une industrie que j’ai toujours trouvée assez heureuse.

— Laquelle ?

— Comme c’était au temps des guerres des catholiques et des huguenots, et qu’il voyait les catholiques exterminer les huguenots, et les huguenots exterminer les catholiques, le tout au nom de la religion, il s’était fait une croyance mixte, ce qui lui permettait d’être tantôt catholique, tantôt huguenot. Or il se promenait habituellement, son escopette sur l’épaule, derrière les haies qui bordent les chemins, et quand il voyait venir un catholique seul, la religion protestante l’emportait aussitôt dans son esprit. Il abaissait son escopette dans la direction du voyageur ; puis, lorsqu’il était à dix pas de lui, il entamait un dialogue qui finissait presque toujours par l’abandon que le voyageur faisait de sa bourse pour sauver sa vie. Il va sans dire que lorsqu’il voyait venir un huguenot, il se sentait pris d’un zèle catholique si ardent, qu’il ne comprenait pas comment, un quart d’heure auparavant, il avait pu avoir des doutes sur la supériorité de notre sainte religion. Car, moi, monsieur, je suis catholique, mon père, fidèle à ses principes, ayant fait mon frère aîné huguenot.

— Et comment a fini ce digne homme ? demanda d’Artagnan.

— Oh ! de la façon la plus malheureuse, monsieur. Un jour, il s’était trouvé pris dans un chemin creux entre un huguenot et un catholique à qui il avait déjà eu affaire, et qui le reconnurent tous deux ; de sorte qu’ils se réunirent contre lui et le pendirent à un arbre ; puis ils vinrent se vanter de la belle équipée qu’ils avaient faite dans le cabaret du premier village, où nous étions à boire, mon frère et moi.

— Et que fîtes-vous ? dit d’Artagnan.

— Nous les laissâmes dire, reprit Mousqueton. Puis comme, en sortant de ce cabaret, ils prenaient chacun une route opposée, mon frère alla s’embusquer sur le chemin du catholique, et moi sur celui du protestant. Deux heures après, tout était fini, nous leur avions fait à chacun son affaire, tout en admirant la prévoyance de notre pauvre père qui avait pris la précaution de nous élever chacun dans une religion différente.

— En effet, comme vous le dites, Mousqueton, votre père me paraît avoir été un gaillard fort intelligent. Et vous dites donc que, dans ses moments perdus, le brave homme était braconnier ?

— Oui, monsieur, et c’est lui qui m’a appris à nouer un collet et à placer une ligne de fond. Il en résulte que lorsque j’ai vu que notre gredin d’hôte nous nourrissait d’un tas de grosses viandes bonnes pour des manants, et qui n’allaient point à deux estomacs aussi débilités que les nôtres, je me suis remis quelque peu à mon ancien métier. Tout en me promenant dans le bois de M. le Prince, j’ai tendu des collets dans les passées ; tout en me couchant au bord des pièces d’eau de Son Altesse, j’ai glissé des lignes dans les étangs. De sorte que maintenant, grâce à Dieu, nous ne manquons pas, comme monsieur peut s’en assurer, de perdrix et de lapins, de carpes et d’anguilles, tous aliments légers et sains, convenables pour des malades.

— Mais le vin, dit d’Artagnan, qui fournit le vin ? c’est votre hôte ?

— C’est-à-dire, oui et non.

— Comment, oui et non ?

— Il le fournit, il est vrai, mais il ignore qu’il a cet honneur.

— Expliquez-vous, Mousqueton, votre conversation est pleine de choses instructives.

— Voici, monsieur. Le hasard a fait que j’ai rencontré dans mes pérégrinations un Espagnol qui avait vu beaucoup de pays, et entre autres le nouveau monde.

— Quel rapport le nouveau monde peut-il avoir avec les bouteilles qui sont sur ce secrétaire et sur cette commode ?

— Patience, monsieur, chaque chose viendra à son tour.

— C’est juste, Mousqueton ; je m’en rapporte à vous, et j’écoute.

— Cet Espagnol avait à son service un laquais qui l’avait accompagné dans son voyage au Mexique. Ce laquais était mon compatriote, de sorte que nous nous liâmes d’autant plus rapidement qu’il y avait entre nous de grands rapports de caractère. Nous aimions tous deux la chasse par-dessus tout, de sorte qu’il me racontait comment, dans les plaines de pampas, les naturels du pays chassent le tigre et les taureaux avec de simples nœuds coulants qu’ils jettent au cou de ces terribles animaux. D’abord, je ne voulais pas croire qu’on pût en arriver à ce degré d’adresse, de jeter à vingt ou trente pas l’extrémité d’une corde où l’on veut ; mais devant la preuve il fallait bien reconnaître la vérité du récit. Mon ami plaçait une bouteille à trente pas, et à chaque coup il lui prenait le goulot dans un nœud coulant. Je me livrai à cet exercice, et comme la nature m’a doué de quelques facultés, aujourd’hui je jette le lasso aussi bien qu’aucun homme du monde. Eh bien, comprenez-vous ? Notre hôte a une cave très bien garnie, mais dont la clef ne le quitte pas ; seulement, cette cave a un soupirail. Or, par ce soupirail, je jette le lasso ; et comme je sais maintenant où est le bon coin, j’y puise. Voici, monsieur, comment le nouveau monde se trouve être en rapport avec les bouteilles qui sont sur cette commode et sur ce secrétaire. Maintenant, voulez-vous goûter notre vin, et, sans prévention, vous nous direz ce que vous en pensez.

— Merci, mon ami, merci ; malheureusement, je viens de déjeuner.

— Eh bien, dit Porthos, mets la table, Mousqueton, et tandis que nous déjeunerons, nous, d’Artagnan nous racontera ce qu’il est devenu lui-même, depuis dix jours qu’il nous a quittés.

— Volontiers, dit d’Artagnan.

Tandis que Porthos et Mousqueton déjeunaient avec des appétits de convalescents et cette cordialité de frères qui rapproche les hommes dans le malheur, d’Artagnan raconta comment Aramis blessé avait été forcé de s’arrêter à Crèvecœur, comment il avait laissé Athos se débattre à Amiens entre les mains de quatre hommes qui l’accusaient d’être un faux-monnayeur, et comment, lui, d’Artagnan, avait été forcé de passer sur le ventre du comte de Wardes pour arriver jusqu’en Angleterre.

Mais là s’arrêta la confidence de d’Artagnan ; il annonça seulement qu’à son retour de la Grande-Bretagne il avait ramené quatre chevaux magnifiques, dont un pour lui et un autre pour chacun de ses compagnons, puis il termina en annonçant à Porthos que celui qui lui était destiné était déjà installé dans l’écurie de l’hôtel.

En ce moment Planchet entra ; il prévenait son maître que les chevaux étaient suffisamment reposés, et qu’il serait possible d’aller coucher à Clermont.

Comme d’Artagnan était à peu près rassuré sur Porthos, et qu’il lui tardait d’avoir des nouvelles de ses deux autres amis, il tendit la main au malade, et le prévint qu’il allait se mettre en route pour continuer ses recherches. Au reste, comme il comptait revenir par la même route, si, dans sept à huit jours, Porthos était encore à l’hôtel du Grand-Saint-Martin, il le reprendrait en passant.

Porthos répondit que, selon toute probabilité, sa foulure ne lui permettrait pas de se lever d’ici là. D’ailleurs, il fallait qu’il restât à Chantilly pour attendre une réponse de sa duchesse.

D’Artagnan lui souhaita cette réponse prompte et bonne, et, après avoir recommandé de nouveau Porthos à Mousqueton, et payé sa dépense à l’hôte, il se remit en route avec Planchet, déjà débarrassé d’un de ses chevaux de main.

LA THÈSE D’ARAMIS

D’Artagnan n’avait rien dit à Porthos de sa blessure ni de sa procureuse. C’était un garçon fort sage que notre Béarnais, si jeune qu’il fût. En conséquence, il avait fait semblant de croire tout ce que lui avait raconté le glorieux mousquetaire, convaincu qu’il n’y a pas d’amitié qui tienne à un secret surpris, surtout quand ce secret intéresse l’orgueil ; puis on a toujours une certaine supériorité morale sur ceux dont on sait la vie. Or d’Artagnan, dans ses projets d’intrigue à venir, et décidé qu’il était à faire de ses trois compagnons les instruments de sa fortune, d’Artagnan n’était pas fâché de réunir d’avance dans sa main les fils invisibles à l’aide desquels il comptait les mener.

Cependant, tout le long de la route, une profonde tristesse lui serrait le cœur : il pensait à cette jeune et jolie madame Bonacieux qui devait lui donner le prix de son dévoûment ; mais, hâtons-nous de le dire, cette tristesse venait moins chez le jeune homme du regret de son bonheur perdu que de la crainte qu’il éprouvait qu’il n’arrivât malheur à cette pauvre femme. Pour lui, il n’y avait pas de doute, elle était victime d’une vengeance du cardinal et comme on le sait, les vengeances de Son Éminence étaient terribles. Comment avait-il trouvé grâce devant les yeux du ministre, c’est ce qu’il ignorait lui-même et sans doute ce que lui eût révélé M. de Cavois, si le capitaine des gardes l’eût trouvé chez lui.

Rien ne fait marcher le temps et n’abrège la route comme une pensée qui absorbe en elle-même toutes les facultés de l’organisation de celui qui pense. L’existence extérieure ressemble alors à un sommeil dont cette pensée est le rêve. Par son influence, le temps n’a plus de mesure, l’espace n’a plus de distance. On part d’un lieu, et l’on arrive à un autre, voilà tout. De l’intervalle parcouru, rien ne reste présent à votre souvenir qu’un brouillard vague dans lequel s’effacent mille images confuses d’arbres, de montagnes et de paysages. Ce fut en proie à cette hallucination que d’Artagnan franchit, à l’allure que voulut prendre son cheval, les six ou huit lieues qui séparent Chantilly de Crèvecœur, sans qu’en arrivant dans ce village il se souvînt d’aucune des choses qu’il avait rencontrées sur sa route.

Là seulement la mémoire lui revint, il secoua la tête aperçut le cabaret où il avait laissé Aramis, et, mettant son cheval au trot, il s’arrêta à la porte.

Cette fois ce ne fut pas un hôte, mais une hôtesse qui le reçut ; d’Artagnan était physionomiste, il enveloppa d’un coup d’œil la grosse figure réjouie de la maîtresse du lieu, et comprit qu’il n’avait pas besoin de dissimuler avec elle et qu’il n’avait rien à craindre de la part d’une si joyeuse physionomie.

— Ma bonne dame, lui demanda d’Artagnan, pourriez-vous me dire ce qu’est devenu un de mes amis, que nous avons été forcés de laisser ici il y a une douzaine de jours ?

— Un beau jeune homme de vingt-trois à vingt-quatre ans, doux, aimable, bien fait ?

— C’est cela ; de plus, blessé à l’épaule.

— C’est cela !

— Justement.

— Eh bien, monsieur, il est toujours ici.

— Ah pardieu ! ma chère dame, dit d’Artagnan en mettant pied à terre et en jetant la bride de son cheval au bras de Planchet, vous me rendez la vie ; où est-il, ce cher Aramis, que je l’embrasse ? car, je l’avoue, j’ai hâte de le revoir.

— Pardon, monsieur, mais je doute qu’il puisse vous recevoir en ce moment.

— Pourquoi cela ? est-ce qu’il est avec une femme ?

— Jésus ! que dites-vous là ! Le pauvre garçon ! Non, monsieur, il n’est pas avec une femme.

— Et avec qui est-il donc ?

— Avec le curé de Montdidier et le supérieur des jésuites d’Amiens.

— Mordioux ! s’écria d’Artagnan, est-ce que le pauvre garçon irait-il plus mal ?

— Non, monsieur, au contraire ; mais, à la suite de sa maladie, la grâce l’a touché et il s’est décidé à entrer dans les ordres.

— C’est juste, dit d’Artagnan, j’avais oublié qu’il n’était mousquetaire que par intérim.

— Monsieur insiste-t-il toujours pour le voir ?

— Plus que jamais.

— Eh bien, monsieur n’a qu’à prendre l’escalier à droite dans la cour, au second, n° 5.

D’Artagnan s’élança dans la direction indiquée et trouva un de ces escaliers extérieurs comme nous en voyons encore aujourd’hui dans les cours des anciennes auberges. Mais on n’arrivait pas ainsi chez le futur abbé ; les défilés de la chambre d’Aramis étaient gardés ni plus ni moins que les jardins d’Aramis ; Bazin stationnait dans le corridor et lui barra le passage avec d’autant plus d’intrépidité qu’après bien des années d’épreuve, Bazin se voyait enfin près d’arriver au résultat qu’il avait éternellement ambitionné.

En effet, le rêve du pauvre Bazin avait toujours été de servir un homme d’Église, et il attendait avec impatience le moment sans cesse entrevu dans l’avenir où Aramis jetterait enfin la casaque aux orties pour prendre la soutane. La promesse renouvelée chaque jour par le jeune homme que le moment ne pouvait tarder l’avait seule retenu au service d’un mousquetaire, service dans lequel, disait-il, il ne pouvait manquer de perdre son âme.

Bazin était donc au comble de la joie. Selon toute probabilité, cette fois son maître ne se dédirait pas. La réunion de la douleur physique à la douleur morale avait produit l’effet si longtemps désiré : Aramis, souffrant à la fois du corps et de l’âme, avait enfin arrêté sur la religion ses yeux et sa pensée, et il avait regardé comme un avertissement du ciel le double accident qui lui était arrivé, c’est-à-dire la disparition subite de sa maîtresse et sa blessure à l’épaule.

On comprend que rien ne pouvait, dans la disposition où il se trouvait, être plus désagréable à Bazin que l’arrivée de d’Artagnan, laquelle pouvait rejeter son maître dans le tourbillon des idées mondaines qui l’avaient si longtemps entraîné. Il résolut donc de défendre bravement la porte ; et comme, trahi par la maîtresse de l’auberge, il ne pouvait dire qu’Aramis était absent, il essaya de prouver au nouvel arrivant que ce serait le comble de l’indiscrétion que de déranger son maître dans la pieuse conférence qu’il avait entamée depuis le matin, et qui, au dire de Bazin, ne pouvait être terminée avant le soir.

Mais d’Artagnan ne tint aucun compte de l’éloquent discours de maître Bazin, et comme il ne se souciait pas d’entamer une polémique avec le valet de son ami, il l’écarta tout simplement d’une main, et de l’autre il tourna le bouton de la porte du n° 5.

La porte s’ouvrit, et d’Artagnan pénétra dans la chambre.

Aramis, en surtout noir, le chef accommodé d’une espèce de coiffure ronde et plate qui ne ressemblait pas mal à une calotte, était assis devant une table oblongue couverte de rouleaux de papier et d’énormes in-folio ; à sa droite était assis le supérieur des jésuites, et à sa gauche le curé de Montdidier. Les rideaux étaient à demi clos et ne laissaient pénétrer qu’un jour mystérieux, ménagé pour une béate rêverie. Tous les objets mondains qui peuvent frapper l’œil quand on entre dans la chambre d’un jeune homme, et surtout lorsque ce jeune homme est mousquetaire, avaient disparu comme par enchantement ; et, de peur sans doute que leur vue ne ramenât son maître aux idées de ce monde, Bazin avait fait main basse sur l’épée, les pistolets, le chapeau à plume, les broderies et les dentelles de tout genre et de toute espèce.

Mais, en leur lieu et place, d’Artagnan crut apercevoir dans un coin obscur comme une forme de discipline suspendue par un clou à la muraille.

Au bruit que fit d’Artagnan en ouvrant la porte, Aramis leva la tête et reconnut son ami. Mais, au grand étonnement du jeune homme, sa vue ne parut pas produire une grande impression sur le mousquetaire, tant son esprit était détaché des choses de la terre.

— Bonjour, cher d’Artagnan, dit Aramis ; croyez que je suis heureux de vous voir.

— Et moi aussi, dit d’Artagnan, quoique je ne sois pas encore bien sûr que ce soit à Aramis que je parle.

— À lui-même, mon ami, à lui-même ; mais qui a pu vous faire douter…

— J’avais peur de me tromper de chambre, et j’ai cru d’abord entrer dans l’appartement de quelque homme Église ; puis une autre erreur m’a pris en vous trouvant en compagnie de ces messieurs : c’est que vous ne fussiez gravement malade.

Les deux hommes noirs lancèrent sur d’Artagnan, dont ils comprirent l’intention, un regard presque menaçant ; mais d’Artagnan ne s’en inquiéta pas.

— Je vous trouble peut-être, mon cher Aramis, continua d’Artagnan ; car, d’après ce que je vois, je suis porté à croire que vous vous confessez à ces messieurs.

Aramis rougit imperceptiblement.

— Vous, me troubler ? oh ! bien au contraire, cher ami, je vous le jure ; et comme preuve de ce que je dis, permettez-moi de me réjouir en vous voyant sain et sauf.

— Ah ! il y vient enfin ! pensa d’Artagnan ; ce n’est pas malheureux !

— Car, monsieur, qui est mon ami, vient d’échapper à un rude danger, continua Aramis avec onction, en montrant de la main d’Artagnan aux deux ecclésiastiques.

— Louez Dieu, monsieur, répondirent ceux-ci en s’inclinant à l’unisson.

— Je n’y ai pas manqué, mes révérends, répondit le jeune homme en leur rendant leur salut à son tour.

Puis se retournant vers son ami :

— Vous arrivez à propos, cher d’Artagnan, dit Aramis, et vous allez, en prenant part à la discussion, l’éclairer de vos lumières. M. le principal d’Amiens, M. le curé de Montdidier et moi, nous argumentons sur certaines questions théologiques dont l’intérêt nous captive depuis longtemps ; je serais charmé d’avoir votre avis.

— L’avis d’un homme d’épée est bien dénué de poids, répondit d’Artagnan, qui commençait à s’inquiéter de la tournure que prenaient les choses, et vous pouvez vous en tenir, croyez-moi, à la science de ces messieurs.

Les deux hommes noirs saluèrent à leur tour.

— Au contraire, reprit Aramis, et votre avis nous sera précieux ; voici de quoi il s’agit : M. le principal croit que ma thèse doit être surtout dogmatique et didactique.

— Votre thèse ! vous faites donc une thèse ?

— Sans doute, répondit le jésuite : pour l’examen qui précède l’ordination, une thèse est de rigueur.

— L’ordination ! s’écria d’Artagnan, qui ne pouvait croire à ce que lui avaient dit successivement l’hôtesse et Bazin ; l’ordination !

Et il promenait ses yeux stupéfaits sur les trois personnages qu’il avait devant lui.

— Or, continua Aramis en prenant sur son fauteuil la même pose gracieuse que s’il eût été dans une ruelle et en examinant avec complaisance sa main blanche et potelée comme une main de femme, qu’il tenait en l’air pour en faire descendre le sang ; or, comme vous l’avez entendu, d’Artagnan, M. le principal voudrait que ma thèse fût dogmatique, tandis que je voudrais, moi, qu’elle fût idéale. C’est donc pourquoi M. le principal me proposait ce sujet qui n’a point encore été traité, dans lequel je reconnais qu’il y a matière à de magnifiques développements.

« Utraque manus in benedicendo clericis inferioribus necessaria est.

D’Artagnan, dont nous connaissons l’érudition, ne sourcilla pas plus à cette citation qu’à celle que lui avait faite M. de Tréville à propos des présents qu’il prétendait que d’Artagnan avait reçus de M. de Buckingham.

— Ce qui veut dire, reprit Aramis pour lui donner toute facilité : Les deux mains sont indispensables aux prêtres des ordres nférieurs, quand ils donnent la bénédiction.

— Admirable sujet ! s’écria le jésuite.

— Admirable et dogmatique ! répéta le curé qui, de la force de d’Artagnan à peu près sur le latin, surveillait soigneusement le jésuite pour emboîter le pas avec lui et répéter ses paroles comme un écho.

Quant à d’Artagnan, il demeura parfaitement indifférent à l’enthousiasme des deux hommes noirs.

« Oui, admirable ! prorsus admirabile ! continua Aramis, mais qui exige une étude approfondie des Pères et des Écritures. Or j’ai avoué à ces savants ecclésiastiques, et cela en toute humilité, que les veilles des corps de garde et le service du roi m’avaient fait un peu négliger l’étude. Je me trouverai donc plus à mon aise, facilius natans, dans un sujet de mon choix, qui serait à ces rudes questions théologiques ce que la morale est à la métaphysique en philosophie.

D’Artagnan s’ennuyait profondément, le curé aussi.

— Voyez quel exorde ! s’écria le jésuite.

— Exordium, répéta le curé pour dire quelque chose.

— Quemadmodum inter colorum immensitatem. »

Aramis jeta un coup d’œil de côté sur d’Artagnan, et il vit que son ami bâillait à se démonter la mâchoire.

— Parlons français, mon père, dit-il au jésuite, M. d’Artagnan goûtera plus vivement nos paroles.

— Oui, je suis fatigué de la route, dit d’Artagnan, et tout ce latin m’échappe.

— D’accord, dit le jésuite un peu dépité, tandis que le curé, transporté d’aise, tournait sur d’Artagnan un regard plein de reconnaissance ; eh bien, voyez le parti qu’on tirerait de cette glose.

« Moïse, serviteur de Dieu… il n’est que serviteur, entendez-vous bien ! Moïse bénit avec les mains ; il se fait tenir les deux bras, tandis que les Hébreux battent leurs ennemis ; donc il bénit avec les deux mains. D’ailleurs, que dit l’Évangile : Imponite manus, et non pas manum. Imposez les mains, et non pas la main.

— Imposez les mains, répéta le curé en faisant un geste.

— À saint Pierre, au contraire, de qui les papes sont successeurs, continua le jésuite : Porrige digitos, présentez les doigts ; y êtes-vous maintenant ?

— Certes, répondit Aramis en se délectant, mais la chose est subtile.

— Les doigts ! reprit le jésuite ; saint Pierre bénit avec les doigts. Le pape bénit donc aussi avec les doigts. Et avec combien de doigts bénit-il ? Avec trois doigts, un pour le Père, un pour le Fils, et un pour le Saint-Esprit.

Tout le monde se signa, d’Artagnan crut devoir imiter cet exemple.

— Le pape est successeur de saint Pierre et représente les trois pouvoirs divins ; le reste, ordines inferiores de la hiérarchie ecclésiastique, bénit par le nom des saints archanges et des anges. Les plus humbles clercs, tels que nos diacres et sacristains, bénissent avec les goupillons, qui simulent un nombre indéfini de doigts bénissants. Voilà le sujet simplifié, argumentum omni denudatum ornamento. Je ferais avec cela, continua le jésuite, deux volumes de la taille de celui-ci.

Et, dans son enthousiasme, il frappait sur le saint Chrysostome in-folio qui faisait plier la table sous son poids.

D’Artagnan frémit.

— Certes, dit Aramis, je rends justice aux beautés de cette thèse, mais en même temps je la reconnais écrasante pour moi. J’avais choisi ce texte ; dites-moi, cher d’Artagnan, s’il n’est point de votre goût : Non inutile est desiderium in oblatione, ou mieux encore : Un peu de regret ne messied pas dans une offrande au Seigneur.

— Halte-là ! s’écria le jésuite, car cette thèse frise l’hérésie ; il y a une proposition presque semblable dans l’Augustinus de l’hérésiarque Jansénius, dont tôt ou tard le livre sera brûlé par les mains du bourreau. Prenez garde ! mon jeune ami ; vous penchez vers les fausses doctrines, mon jeune ami ; prenez garde, vous vous perdrez.

— Vous vous perdrez, dit le curé en secouant douloureusement la tête.

— Vous touchez à ce fameux point du libre arbitre, qui est un écueil mortel. Vous abordez de front les insinuations des pélagiens et des demi-pélagiens.

— Mais, mon révérend, reprit Aramis quelque peu abasourdi de la grêle d’arguments qui lui tombait sur la tête…

— Comment prouverez-vous, continua le jésuite sans lui donner le temps de parler, que l’on doit regretter le monde lorsqu’on s’offre à Dieu ? écoutez ce dilemme : Dieu est Dieu, et le monde est le diable. Regretter le monde, c’est regretter le diable ; voilà ma conclusion.

— C’est la mienne aussi, dit le curé.

— Mais, de grâce, dit Aramis…

— Desideras diabolum, infortuné ! s’écria le jésuite.

— Il regrette le diable ! Ah ! mon jeune ami, reprit le curé en gémissant, ne regrettez pas le diable, c’est moi qui vous en supplie.

D’Artagnan tournait à l’idiotisme ; il lui semblait être dans une maison de fous, et qu’il allait devenir fou comme ceux qu’il voyait. Seulement il était forcé de se taire, ne comprenant point la langue qui se parlait devant lui.

— Mais écoutez-moi donc, reprit Aramis avec une politesse sous laquelle commençait à percer un peu d’impatience, je ne dis pas que je regrette ; non, je ne prononcerai jamais cette phrase, qui ne serait pas orthodoxe…

Le jésuite leva les bras au ciel, et le curé en fit autant.

— Non, mais convenez au moins qu’on a mauvaise grâce de n’offrir au Seigneur que ce dont on est parfaitement dégoûté. Ai-je raison, d’Artagnan ?

— Je le crois pardieu bien ! s’écria celui-ci.

Le curé et le jésuite firent un bond sur leur chaise.

— Voici mon point de départ, c’est un syllogisme : le monde ne manque pas d’attraits, je quitte le monde, donc je fais un sacrifice ; or l’Écriture dit positivement : Faites un sacrifice au Seigneur.

— Cela est vrai, dirent les antagonistes.

— Et puis, continua Aramis en se pinçant l’oreille pour la rendre rouge, comme il se secouait les mains pour les rendre blanches, et puis j’ai fait certain rondeau là-dessus que je communiquai à M. Voiture l’an passé, et duquel ce grand homme m’a fait mille compliments.

— Un rondeau ! fit dédaigneusement le jésuite.

— Un rondeau, dit machinalement le curé.

— Dites, dites, s’écria d’Artagnan, cela nous changera quelque peu.

— Non, car il est religieux, répondit Aramis, et c’est de la théologie en vers.

— Diable ! fit d’Artagnan.

— Le voici, dit Aramis d’un petit air modeste qui n’était pas exempt d’une certaine teinte d’hypocrisie :

Vous qui pleurez un passé plein de charmes,

Et qui traînez des jours infortunés,

Tous vos malheurs se verront terminés,

Quand à Dieu seul vous offrirez vos larmes,

Vous qui pleurez.

D’Artagnan et le curé parurent flattés. Le jésuite persista dans son opinion.

— Gardez-vous du goût profane dans le style théologique. Que dit en effet saint Augustin ? Severus sit clericorum sermo.

— Oui, que le sermon soit clair, dit le curé.

— Or, se hâta d’interrompre le jésuite en voyant que son acolyte se fourvoyait, or votre thèse plaira aux dames, voilà tout ; elle aura le succès d’une plaidoirie de M{(e}} Patru.

— Plaise à Dieu ! s’écria Aramis transporté.

— Vous le voyez, s’écria le jésuite, le monde parle encore en vous à haute voix, Altissimâ voce. Vous suivez le monde, mon jeune ami, et je tremble que la grâce ne soit point efficace.

— Rassurez-vous, mon révérend, je réponds de moi.

— Présomption mondaine !

— Je me connais, mon père, ma résolution est irrévocable.

— Alors vous vous obstinez à poursuivre cette thèse ?

— Je me sens appelé à traiter celle-là, et non pas une autre ; je vais donc la continuer, et demain j’espère que vous serez satisfait des corrections que j’y aurai faites d’après vos avis.

— Travaillez lentement, dit le curé, nous vous laissons dans des dispositions excellentes.

— Oui, le terrain est tout ensemencé, dit le jésuite, et nous n’avons pas à craindre qu’une partie du grain soit tombée sur la pierre, l’autre le long du chemin, et que les oiseaux du ciel aient mangé le reste, Aves cœli comederunt illam.

— Que la peste t’étouffe avec ton latin ! dit d’Artagnan, qui se sentait au bout de ses forces.

— Adieu, mon fils, dit le curé, à demain.

— À demain, jeune téméraire, dit le jésuite ; vous promettez d’être une des lumières de l’Église ; veuille le Ciel que cette lumière ne soit pas un feu dévorant.

D’Artagnan, qui pendant une heure s’était rongé les ongles d’impatience, commençait à attaquer la chair.

Les deux hommes noirs se levèrent, saluèrent Aramis et d’Artagnan, et s’avancèrent vers la porte. Bazin, qui s’était tenu debout et qui avait écouté toute cette controverse avec une pieuse jubilation, s’élança vers eux, prit le bréviaire du curé, le missel du jésuite, et marcha respectueusement devant eux pour leur frayer le chemin.

Aramis les conduisit jusqu’au bas de l’escalier et remonta aussitôt près de d’Artagnan qui rêvait encore.

Restés seuls, les deux amis gardèrent d’abord un silence embarrassé ; cependant il fallait que l’un des deux le rompît le premier, et comme d’Artagnan paraissait décidé à laisser cet honneur à son ami :

— Vous le voyez, dit Aramis, vous me trouvez revenu à mes idées fondamentales.

— Oui, la grâce efficace vous a touché, comme disait ce monsieur tout à l’heure.

— Oh ! ces plans de retraite sont formés depuis longtemps ; et vous m’en avez déjà ouï parler, n’est-ce pas, mon ami ?

— Sans doute ; mais je vous avoue que j’ai cru que vous plaisantiez.

— Avec ces sortes de choses ? Oh ! d’Artagnan !

— Dame ! on plaisante bien avec la mort.

— Et l’on a tort, d’Artagnan, car la mort, c’est la porte qui conduit à la perdition ou au salut.

— D’accord ; mais, s’il vous plaît, ne théologisons pas, Aramis ; vous devez en avoir assez pour le reste de la journée : quant à moi, j’ai à peu près oublié le peu de latin que je n’ai jamais su ; puis, je vous l’avouerai, je n’ai rien mangé depuis ce matin dix heures, et j’ai une faim de tous les diables.

— Nous dînerons tout à l’heure, cher ami ; seulement, vous vous rappellerez que c’est aujourd’hui vendredi ; or, dans un pareil jour, je ne puis ni voir, ni manger de la chair. Si vous voulez vous contenter de mon dîner, il se compose de tetragones cuits et de fruits.

— Qu’entendez-vous par tetragones ? demanda d’Artagnan avec inquiétude.

— J’entends des épinards, reprit Aramis, mais pour vous j’ajouterai des œufs, et c’est une grave infraction à la règle, car les œufs sont viande, puisqu’ils engendrent le poulet.

— Ce festin n’est pas succulent ; mais n’importe, pour rester avec vous, je le subirai.

— Je vous suis reconnaissant du sacrifice, dit Aramis ; mais s’il ne profite pas à votre corps, il profitera, soyez-en certain, à votre âme.

— Ainsi, décidément, Aramis, vous entrez en religion. Que vont dire nos amis, que va dire M. de Tréville ? Ils vous traiteront de déserteur, je vous en préviens.

— Je n’entre pas en religion, j’y rentre. C’est l’Église que j’avais désertée pour le monde, car vous savez que je me suis fait violence pour prendre la casaque de mousquetaire.

— Moi, je n’en sais rien.

— Vous ignorez comment j’ai quitté le séminaire ?

— Tout à fait.

— Voici mon histoire ; d’ailleurs les Écritures disent : Confessez-vous les uns aux autres, et je me confesse à vous, d’Artagnan.

— Et moi, je vous donne l’absolution d’avance, vous voyez que je suis bon homme.

— Ne plaisantez pas avec les choses saintes, mon ami.

— Alors, dites, je vous écoute.

— J’étais donc au séminaire depuis l’âge de neuf ans, j’en avais vingt dans trois jours ; j’allais être abbé, et tout était dit. Un soir que je me rendais, selon mon habitude, dans une maison que je fréquentais avec plaisir – on est jeune que voulez-vous, on est faible, – un officier qui me voyait d’un œil jaloux lire les vies des saints à la maîtresse de la maison, entra tout à coup et sans être annoncé. Justement, ce soir-là, j’avais traduit un épisode de Judith, et je venais de communiquer mes vers à la dame qui me faisait toutes sortes de compliments, et, penchée sur mon épaule, les relisait avec moi. La pose, qui était quelque peu abandonnée, je l’avoue, blessa cet officier ; il ne dit rien, mais lorsque je sortis, il sortit derrière moi, et me rejoignant :

— Monsieur l’abbé, dit-il, aimez-vous les coups de canne ?

— Je ne puis le dire, monsieur, répondis-je, personne n’ayant jamais osé m’en donner.

— Eh bien, écoutez-moi, monsieur l’abbé, si vous retournez dans la maison où je vous ai rencontré ce soir, j’oserai, moi.

Je crois que j’eus peur ; je devins fort pâle, je sentis les jambes qui me manquaient, je cherchai une réponse que je ne trouvai pas, je me tus.

L’officier attendait cette réponse, et voyant qu’elle tardait, il se mit à rire, me tourna le dos et rentra dans la maison. Je rentrai au séminaire.

Je suis bon gentilhomme et j’ai le sang vif, comme vous avez pu le remarquer, mon cher d’Artagnan ; l’insulte était terrible, et, tout inconnue qu’elle était restée au monde, je la sentais vivre et remuer au fond de mon cœur. Je déclarai à mes supérieurs que je ne me sentais pas suffisamment préparé pour l’ordination, et, sur ma demande, on remit la cérémonie à un an.

J’allai trouver le meilleur maître d’armes de Paris, je fis condition avec lui pour prendre une leçon d’escrime chaque jour, et chaque jour, pendant une année, je pris cette leçon. Puis, le jour anniversaire de celui où j’avais été insulté, j’accrochai ma soutane à un clou, je pris un costume complet de cavalier, et je me rendis à un bal que donnait une dame de mes amies, et où je savais que devait se trouver mon homme. C’était rue des Francs-Bourgeois, tout près de la Force.

En effet, mon officier y était ; je m’approchai de lui, comme il chantait un lai d’amour en regardant tendrement une femme, et je l’interrompis au beau milieu du second couplet.

— Monsieur, lui dis-je, vous déplaît-il toujours que je retourne dans certaine maison de la rue Payenne, et me donnerez-vous encore des coups de carme, s’il me prend fantaisie de vous désobéir ?

L’officier me regarda avec étonnement, puis il dit :

— Que me voulez-vous, monsieur ? je ne vous connais pas.

— Je suis, répondis-je, le petit abbé qui lit les vies des saints et qui traduit Judith en vers.

— Ah ! ah ! je me rappelle, dit l’officier en goguenardant ; que me voulez-vous ?

— Je voudrais que vous eussiez le loisir de venir faire un tour de promenade avec moi.

— Demain matin, si vous le voulez bien, et ce sera avec le plus grand plaisir.

— Non, pas demain matin, s’il vous plaît, tout de suite.

— Si vous l’exigez absolument…

— Mais oui, je l’exige.

— Alors, sortons. Mesdames, dit l’officier, ne vous dérangez pas. Le temps de tuer monsieur seulement, et je reviens vous achever le dernier couplet.

Nous sortîmes.

Je le menai rue Payenne, juste à l’endroit où un an auparavant, heure pour heure, il m’avait fait le compliment que je vous ai rapporté. Il faisait un clair de lune superbe. Nous mîmes l’épée à la main, et à la première passe, je le tuai roide.

— Diable ! fit d’Artagnan.

— Or, continua Aramis, comme les dames ne virent pas revenir leur chanteur, et qu’on le trouva rue Payenne avec un grand coup d’épée au travers du corps, on pensa que c’était moi qui l’avait accommodé ainsi, et la chose fit scandale. Je fus donc pour quelque temps forcé de renoncer à la soutane. Athos, dont je fis la connaissance à cette époque, et Porthos, qui m’avait, en dehors de mes leçons d’escrime, appris quelques bottes gaillardes, me décidèrent à demander une casaque de mousquetaire. Le roi avait fort aimé mon père, tué au siège d’Arras, et l’on m’accorda cette casaque. Vous comprenez donc qu’aujourd’hui le moment est venu pour moi de rentrer dans le sein de l’église

— Et pourquoi aujourd’hui plutôt qu’hier et que demain ? Que vous est-il donc arrivé aujourd’hui, qui vous donne de si méchantes idées ?

— Cette blessure, mon cher d’Artagnan, m’a été un avertissement du ciel.

— Cette blessure ? bah ! elle est à peu près guérie, et je suis sûr qu’aujourd’hui ce n’est pas celle-là qui vous fait le plus souffrir.

— Et laquelle ? demanda Aramis en rougissant.

— Vous en avez une au cœur, Aramis, une plus vive et plus sanglante, une blessure faite par une femme.

L’œil d’Aramis étincela malgré lui.

— Ah ! dit-il en dissimulant son émotion sous une feinte négligence, ne parlez pas de ces choses-là ; moi, penser à ces choses-là ! avoir des chagrins d’amour ? vanitas vanitatum ! mee serais-je donc, à votre avis, retourné la cervelle, et pour qui ? pour quelque grisette, pour quelque fille de chambre, à qui j’aurais fait la cour dans une garnison, fi !

— Pardon, mon cher Aramis, mais je croyais que vous portiez vos visées plus haut.

— Plus haut ? et que suis-je pour avoir tant d’ambition ? — un pauvre mousquetaire fort gueux et fort obscur, qui hait les servitudes et se trouve grandement déplacé dans le monde !

— Aramis ! Aramis ! s’écria d’Artagnan en regardant son ami avec un air de doute.

— Poussière, dit Aramis, je rentre dans la poussière. La vie est pleine d’humiliations et de douleurs, continua-t-il en s’assombrissant ; tous les fils qui la rattachent au bonheur se rompent tour à tour dans la main de l’homme, surtout les fils d’or. Oh ! mon cher d’Artagnan ! reprit Aramis en donnant à sa voix une légère teinte d’amertume, croyez-moi, cachez bien vos plaies quand vous en aurez. Le silence est la dernière joie des malheureux ; gardez-vous de mettre qui que ce soit sur la trace de vos douleurs, les curieux pompent nos larmes comme les mouches font du sang d’un daim blessé.

— Hélas ! mon cher Aramis, dit d’Artagnan en poussant à son tour un profond soupir, c’est mon histoire à moi-même que vous faites là.

— Comment ?

— Oui, une femme que j’aimais, que j’adorais, vient de m’être enlevée de force. Je ne sais pas où elle est, où on l’a conduite ; elle est peut-être prisonnière, elle est peut-être morte.

— Mais vous avez au moins la consolation de vous dire qu’elle ne vous a pas quitté volontairement ; que si vous n’avez point de ses nouvelles, c’est que toute communication avec vous lui est interdite, tandis que…

— Tandis que…

— Rien, reprit Aramis, rien.

— Ainsi, vous renoncez à jamais au monde, c’est un parti pris, une résolution arrêtée ?

— À tout jamais. Vous êtes mon ami aujourd’hui, demain vous ne serez plus pour moi qu’une ombre ; où plutôt même, vous n’existerez plus. Quant au monde, c’est un sépulcre et pas autre chose.

— Diable ! c’est fort triste ce que vous me dites là.

— Que voulez-vous ! ma vocation m’attire, elle m’enlève.

D’Artagnan sourit et ne répondit point. Aramis continua :

— Et cependant, tandis que je tiens encore à la terre j’eusse voulu vous parler de vous, de nos amis.

— Et moi, dit d’Artagnan, j’eusse voulu vous parler de vous-même, mais je vous vois si détaché de tout ; les amours, vous en faites fi ; les amis sont des ombres, le monde est un sépulcre.

— Hélas ! vous le verrez par vous-même, dit Aramis avec un soupir.

— N’en parlons donc plus, dit d’Artagnan, et brûlons cette lettre qui, sans doute, vous annonçait quelque nouvelle infidélité de votre grisette ou de votre fille de chambre.

— Quelle lettre ? s’écria vivement Aramis.

— Une lettre qui était venue chez vous en votre absence et qu’on m’a remise pour vous.

— Mais de qui cette lettre ?

— Ah ! de quelque suivante éplorée, de quelque grisette au désespoir ; la fille de chambre de madame de Chevreuse peut-être, qui aura été obligée de retourner à Tours avec sa maîtresse, et qui, pour se faire pimpante, aura pris du papier parfumé et aura cacheté sa lettre avec une couronne de duchesse.

— Que dites-vous là ?

— Tiens, je l’aurai perdue ! dit sournoisement le jeune homme en faisant semblant de chercher. Heureusement que le monde est un sépulcre, que les hommes et par conséquent les femmes sont des ombres, que l’amour est un sentiment dont vous faites fi !

— Ah ! d’Artagnan, d’Artagnan ! s’écria Aramis, tu me fais mourir !

— Enfin, la voici ! dit d’Artagnan.

Et il tira la lettre de sa poche.

Aramis fit un bond, saisit la lettre, la lut ou plutôt la dévora, son visage rayonnait.

— Il paraît que la suivante à un beau style, dit nonchalamment le messager.

— Merci, d’Artagnan ! s’écria Aramis presque en délire. Elle a été forcée de retourner à Tours ; elle ne m’est pas infidèle, elle m’aime toujours. Viens, mon ami, viens que je t’embrasse, le bonheur m’étouffe !

Et les deux amis se mirent à danser autour du vénérable saint Chrysostome, piétinant bravement les feuillets de la thèse qui avaient roulé sur le parquet.

En ce moment, Bazin entrait avec les épinards et l’omelette.

— Fuis, malheureux ! s’écria Aramis en lui jetant sa calotte au visage ; retourne d’où tu viens, remporte ces horribles légumes et cet affreux entremets ! demande un lièvre piqué, un chapon gras, un gigot à l’ail et quatre bouteilles de vieux bourgogne.

Bazin, qui regardait son maître et qui ne comprenait rien à ce changement, laissa mélancoliquement glisser l’omelette dans les épinards, et les épinards sur le parquet.

— Voilà le moment de consacrer votre existence au Roi des rois, dit d’Artagnan, si vous tenez à lui faire une politesse : Non inutile desiderium in oblatione.

— Allez-vous-en au diable avec votre latin ! Mon cher d’Artagnan, buvons, morbleu, buvons frais, buvons beaucoup, et racontez-moi un peu ce qu’on fait là-bas ?

LA FEMME D’ATHOS

— Il reste maintenant à savoir des nouvelles d’Athos, dit d’Artagnan au fringant Aramis, quand il l’eut mis au courant de ce qui s’était passé dans la capitale depuis leur départ, et qu’un excellent dîner leur eut fait oublier à l’un sa thèse, à l’autre sa fatigue.

— Croyez-vous donc qu’il lui soit arrivé malheur ? demanda Aramis. Athos est si froid, si brave et manie si habilement son épée.

— Oui, sans doute, et personne ne reconnaît mieux que moi le courage et l’adresse d’Athos, mais j’aime mieux sur mon épée le choc des lances que celui des bâtons, je crains qu’Athos n’ait été étrillé par de la valetaille, les valets sont gens qui frappent fort et ne finissent pas tôt. Voilà pourquoi, je vous l’avoue, je voudrais repartir le plus tôt possible.

— Je tâcherai de vous accompagner, dit Aramis, quoique je ne me sente guère en état de monter à cheval. Hier, j’essayai de la discipline que vous voyez sur ce mur et la douleur m’empêcha de continuer ce pieux exercice.

— C’est qu’aussi, mon cher ami, on n’a jamais vu essayer de guérir un coup d’escopette avec des coups de martinet ; mais vous étiez malade, et la maladie rend la tête faible, ce qui fait que je vous excuse.

— Et quand partez-vous ?

— Demain, au point du jour ; reposez-vous de votre mieux cette nuit, et demain, si vous le pouvez, nous partirons ensemble.

— À demain donc, dit Aramis, car tout de fer que vous êtes, vous devez avoir besoin de repos.

Le lendemain, lorsque d’Artagnan entra chez Aramis, il le trouva à sa fenêtre.

— Que regardez-vous donc là ? demanda d’Artagnan.

— Ma foi ! J’admire ces trois magnifiques chevaux que les garçons d’écurie tiennent en bride ; c’est un plaisir de prince que de voyager sur de pareilles montures.

— Eh bien, mon cher Aramis, vous vous donnerez ce plaisir-là, car l’un de ces chevaux est à vous.

— Ah bah ! Et lequel ?

— Celui des trois que vous voudrez, je n’ai pas de préférence.

— Et le riche caparaçon qui le couvre est à moi aussi ?

— Sans doute.

— Vous voulez rire, d’Artagnan.

— Je ne ris plus depuis que vous parlez français.

— C’est pour moi, ces fontes dorées, cette housse de velours, cette selle chevillée d’argent ?

— À vous-même, comme le cheval qui piaffe est à moi, comme cet autre cheval qui caracole est à Athos.

— Peste ! ce sont trois bêtes superbes.

— Je suis flatté qu’elles soient de votre goût.

— C’est donc le roi qui vous a fait ce cadeau-là ?

— À coup sûr, ce n’est point le cardinal, mais ne vous inquiétez pas d’où ils viennent, et songez seulement qu’un des trois est votre propriété.

— Je prends celui que tient le valet roux.

— À merveille !

— Vive Dieu ! s’écria Aramis, voilà qui me fait passer le reste de ma douleur ; je monterais là-dessus avec trente balles dans le corps. Ah ! sur mon âme, les beaux étriers ! Holà ! Bazin, venez çà, et à l’instant même.

Bazin apparut, morne et languissant, sur le seuil de la porte.

— Fourbissez mon épée, redressez mon feutre, brossez mon manteau, et chargez mes pistolets ! dit Aramis.

— Cette dernière recommandation est inutile, interrompit d’Artagnan, il y a des pistolets chargés dans vos fontes.

Bazin soupira.

— Allons, maître Bazin, tranquillisez-vous, dit d’Artagnan ; on gagne le royaume des cieux dans toutes les conditions.

— Monsieur était déjà si bon théologien ! dit Bazin presque larmoyant ; il fût devenu évêque et peut-être cardinal.

— Eh bien, mon pauvre Bazin, voyons, réfléchis un peu ; à quoi sert d’être homme d’Église, je te prie ? on n’évite pas pour cela d’aller faire la guerre ; tu vois bien que le cardinal va faire la première campagne avec le pot en tête et la pertuisane au poing ; et M. de Nogaret de La Valette, qu’en dis-tu ? il est cardinal aussi, demande à son laquais combien de fois il lui a fait de la charpie.

— Hélas ! soupira Bazin, je le sais, monsieur, tout est bouleversé dans le monde aujourd’hui.

Pendant ce temps, les deux jeunes gens et le pauvre laquais étaient descendus.

— Tiens-moi l’étrier, Bazin, dit Aramis.

Et Aramis s’élança en selle avec sa grâce et sa légèreté ordinaire ; mais après quelques voltes et quelques courbettes du noble animal, son cavalier ressentit des douleurs tellement insupportables, qu’il pâlit et chancela. D’Artagnan qui, dans la prévision de cet accident, ne l’avait pas perdu des yeux, s’élança vers lui, le retint dans ses bras et le conduisit à sa chambre.

— C’est bien, mon cher Aramis, soignez-vous, dit-il, j’irai seul à la recherche d’Athos.

— Vous êtes un homme d’airain, lui dit Aramis.

— Non, j’ai du bonheur, voilà tout ; mais comment allez-vous vivre en m’attendant ? plus de thèse, plus de glose sur les doigts, et les bénédictions, hein !

Aramis sourit.

— Je ferai des vers, dit-il.

— Oui, des vers parfumés à l’odeur du billet de la suivante de madame de Chevreuse. Enseignez donc la prosodie à Bazin, cela le consolera. Quant au cheval, montez-le tous les jours un peu, et cela vous habituera aux manœuvres.

— Oh ! quant à cela, soyez tranquille, dit Aramis, vous me retrouverez prêt à vous suivre.

Ils se dirent adieu et, dix minutes après, d’Artagnan, après avoir recommandé son ami à Bazin et à l’hôtesse, trottait dans la direction d’Amiens.

Comment allait-il retrouver Athos, et même le retrouverait-il ?

La position dans laquelle il l’avait laissé était critique ; il pouvait bien avoir succombé. Cette idée, en assombrissant son front, lui arracha quelques soupirs et lui fit formuler tout bas quelques serments de vengeance. De tous ses amis, Athos était le plus âgé, et partant le moins rapproché en apparence de ses goûts et de ses sympathies.

Cependant il avait pour ce gentilhomme une préférence marquée. L’air noble et distingué d’Athos, ces éclairs de grandeur qui jaillissaient de temps en temps de l’ombre où il se tenait volontairement enfermé, cette inaltérable égalité d’humeur qui en faisait le plus facile compagnon de la terre, cette gaieté forcée et mordante, cette bravoure qu’on eût appelée aveugle si elle n’eût été le résultat du plus rare sang-froid, tant de qualités attiraient plus que l’estime, plus que l’amitié de d’Artagnan, elles attiraient son admiration.

En effet, considéré même auprès de M. de Tréville, l’élégant et noble courtisan, Athos, dans ses jours de belle humeur, pouvait soutenir avantageusement la comparaison ; il était de taille moyenne, mais cette taille était si admirablement prise et si bien proportionnée, que, plus d’une fois, dans ses luttes avec Porthos, il avait fait plier le géant dont la force physique était devenue proverbiale parmi les mousquetaires ; sa tête, aux yeux perçants, au nez droit, au menton dessiné comme celui de Brutus, avait un caractère indéfinissable de grandeur et de grâce ; ses mains, dont il ne prenait aucun soin, faisaient le désespoir d’Aramis, qui cultivait les siennes à grand renfort de pâte d’amandes et d’huile parfumée ; le son de sa voix était pénétrant et mélodieux tout à la fois, et puis, ce qu’il y avait d’indéfinissable dans Athos, qui se faisait toujours obscur et petit, c’était cette science délicate du monde et des usages de la plus brillante société, cette habitude de bonne maison qui perçait comme à son insu dans ses moindres actions.

S’agissait-il d’un repas, Athos l’ordonnait mieux qu’aucun homme du monde, plaçant chaque convive à la place et au rang que lui avaient faits ses ancêtres ou qu’il s’était faits lui-même. S’agissait-il de science héraldique, Athos connaissait toutes les familles nobles du royaume, leur généalogie, leurs alliances, leurs armes et l’origine de leurs armes. L’étiquette n’avait pas de minuties qui lui fussent étrangères, il savait quels étaient les droits des grands propriétaires, il connaissait à fond la vénerie et la fauconnerie, et un jour il avait, en causant de ce grand art, étonné le roi Louis XIII lui-même, qui cependant y était passé maître.

Comme tous les grands seigneurs de cette époque, il montait à cheval et faisait des armes dans la perfection. Il y a plus : son éducation avait été si peu négligée, même sous le rapport des études scolastiques, si rares à cette époque chez les gentilshommes, qu’il souriait aux bribes de latin que détachait Aramis, et qu’avait l’air de comprendre Porthos ; deux ou trois fois même, au grand étonnement de ses amis, il lui était arrivé, lorsque Aramis laissait échapper quelque erreur de rudiment, de remettre un verbe à son temps et un nom à son cas. En outre, sa probité était inattaquable, dans ce siècle où les hommes de guerre transigeaient si facilement avec leur religion et leur conscience, les amants avec la délicatesse rigoureuse de nos jours, et les pauvres avec le septième commandement de Dieu. C’était donc un homme fort extraordinaire qu’Athos.

Et cependant, on voyait cette nature si distinguée, cette créature si belle, cette essence si fine, tourner insensiblement vers la vie matérielle, comme les vieillards tournent vers l’imbécillité physique et morale. Athos, dans ses heures de privation, et ces heures étaient fréquentes, s’éteignait dans toute sa partie lumineuse, et son côté brillant disparaissait comme dans une profonde nuit. Alors, le demi-dieu évanoui, il restait à peine un homme. La tête basse, l’œil terne, la parole lourde et pénible, Athos regardait pendant de longues heures soit sa bouteille et son verre, soit Grimaud, qui, habitué à lui obéir par signes, lisait dans le regard atone de son maître jusqu’à son moindre désir, qu’il satisfaisait aussitôt. La réunion des quatre amis avait-elle lieu dans un de ces moments-là, un mot, échappé avec un violent effort, était tout le contingent qu’Athos fournissait à la conversation. En échange, Athos à lui seul buvait comme quatre, et cela sans qu’il y parût autrement que par un froncement de sourcil plus indiqué et par une tristesse plus profonde.

D’Artagnan, dont nous connaissons l’esprit investigateur et pénétrant, n’avait, quelque intérêt qu’il eût à satisfaire sa curiosité sur ce sujet, pu encore assigner aucune cause à ce marasme, ni en noter les occurrences. Jamais Athos ne recevait de lettres, jamais Athos ne faisait aucune démarche qui ne fût connue de tous ses amis. On ne pouvait dire que ce fût le vin qui lui donnât cette tristesse, car au contraire il ne buvait que pour combattre cette tristesse, que ce remède, comme nous l’avons dit, rendait plus sombre encore. On ne pouvait attribuer cet excès d’humeur noire au jeu, car, au contraire de Porthos, qui accompagnait de ses chants ou de ses jurons toutes les variations de la chance, Athos, lorsqu’il avait gagné, demeurait aussi impassible que lorsqu’il avait perdu. On l’avait vu, au cercle des mousquetaires, gagner un soir trois mille pistoles, les perdre jusqu’au ceinturon brodé d’or des jours de gala ; regagner tout cela, plus cent louis, sans que son beau sourcil noir eût haussé ou baissé d’une demi-ligne, sans que ses mains eussent perdu leur nuance nacrée, sans que sa conversation, qui était agréable ce soir-là, eût cessé d’être calme et agréable.

Ce n’était pas non plus, comme chez nos voisins les Anglais, une influence atmosphérique qui assombrissait son visage, car cette tristesse devenait plus intense en général vers les beaux jours de l’année ; juin et juillet étaient les mois terribles d’Athos.

Pour le présent, il n’avait pas de chagrin, il haussait les épaules quand on lui parlait de l’avenir ; son secret était donc dans le passé, comme on l’avait dit vaguement à d’Artagnan.

Cette teinte mystérieuse répandue sur toute sa personne rendait encore plus intéressant l’homme dont jamais les yeux ni la bouche, dans l’ivresse la plus complète, n’avaient rien révélé, quelle que fût l’adresse des questions dirigées contre lui.

— Eh bien, pensait d’Artagnan, le pauvre Athos est peut-être mort à cette heure, et mort par ma faute, car c’est moi qui l’ai entraîné dans cette affaire, dont il ignorait l’origine, dont il ignorera le résultat et dont il ne devait tirer aucun profit.

— Sans compter, monsieur, répondait Planchet, que nous lui devons probablement la vie. Vous rappelez-vous comme il a crié : Au large, d’Artagnan ! je suis pris. Et après avoir déchargé ses deux pistolets, quel bruit terrible il faisait avec son épée ! On eût dit vingt hommes, ou plutôt vingt diables enragés !

Et ces mots redoublaient l’ardeur de d’Artagnan, qui excitait son cheval, lequel n’ayant pas besoin d’être excité emportait son cavalier au galop.

Vers onze heures du matin, on aperçut Amiens ; à onze heures et demie, on était à la porte de l’auberge maudite.

D’Artagnan avait souvent médité contre l’hôte perfide une de ces bonnes vengeances qui consolent, rien qu’en espérance. Il entra donc dans l’hôtellerie, le feutre sur les yeux, la main gauche sur le pommeau de l’épée et faisant siffler sa cravache de la main droite.

— Me reconnaissez-vous ? dit-il à l’hôte, qui s’avançait pour le saluer.

— Je n’ai pas cet honneur, monseigneur, répondit celui-ci les yeux encore éblouis du brillant équipage avec lequel d’Artagnan se présentait.

— Ah ! vous ne me connaissez pas !

— Non, monseigneur.

— Eh bien ! deux mots vont vous rendre la mémoire. Qu’avez-vous fait de ce gentilhomme à qui vous eûtes l’audace, voici quinze jours passés à peu près, d’intenter une accusation de fausse monnaie ?

L’hôte pâlit, car d’Artagnan avait pris l’attitude la plus menaçante, et Planchet se modelait sur son maître.

— Ah ! monseigneur, ne m’en parlez pas, s’écria l’hôte de son ton de voix le plus larmoyant ; ah ! Seigneur, combien j’ai payé cette faute ! Ah ! malheureux que je suis !

— Ce gentilhomme, vous dis-je, qu’est-il devenu ?

— Daignez m’écouter, monseigneur, et soyez clément. Voyons, asseyez-vous, par grâce !

D’Artagnan, muet de colère et d’inquiétude, s’assit, menaçant comme un juge. Planchet s’adossa fièrement à son fauteuil.

— Voici l’histoire, monseigneur, reprit l’hôte tout tremblant, car je vous reconnais à cette heure ; c’est vous qui êtes parti quand j’eus ce malheureux démêlé avec ce gentilhomme dont vous parlez.

— Oui, c’est moi ; ainsi vous voyez bien que vous n’avez pas de grâce à attendre si vous ne dites pas toute la vérité.

— Aussi, veuillez m’écouter, et vous la saurez tout entière.

— J’écoute.

— J’avais été prévenu par les autorités qu’un faux monnayeur célèbre arriverait à mon auberge avec plusieurs de ses compagnons, tous déguisés sous le costume de gardes ou de mousquetaires. Vos chevaux, vos laquais, votre figure, messeigneurs, tout m’avait été dépeint.

— Après, après ? dit d’Artagnan, qui reconnut bien vite d’où venait le signalement si exactement donné.

— Je pris donc, d’après les ordres de l’autorité, qui m’envoya un renfort de six hommes, telles mesures que je crus urgentes afin de m’assurer de la personne des prétendus faux monnayeurs.

— Encore ! dit d’Artagnan, à qui ce mot de faux monnayeur échauffait terriblement les oreilles.

— Pardonnez-moi, monseigneur, de dire de telles choses, mais elles sont justement mon excuse. L’autorité m’avait fait peur, et vous savez qu’un aubergiste doit ménager l’autorité.

— Mais encore une fois, ce gentilhomme, où est-il ? qu’est-il devenu ? Est-il mort ? est-il vivant ?

— Patience, monseigneur, nous y voici. Il arriva donc ce que vous savez, et dont votre départ précipité, ajouta l’hôte avec une finesse qui n’échappa point à d’Artagnan, semblait autoriser l’issue. Ce gentilhomme votre ami se défendit en désespéré. Son valet, qui, par un malheur imprévu, avait cherché querelle aux gens de l’autorité, déguisés en garçons d’écurie…

— Ah ! misérable ! s’écria d’Artagnan, vous étiez tous d’accord, et je ne sais à quoi tient que je ne vous extermine tous !

— Hélas ! non, monseigneur, nous n’étions pas tous d’accord, et vous l’allez bien voir. Monsieur votre ami (pardon de ne point l’appeler par le nom honorable qu’il porte sans doute, mais nous ignorons ce nom), monsieur votre ami, après avoir mis hors de combat deux hommes de ses deux coups de pistolet, battit en retraite en se défendant avec son épée dont il estropia encore un de mes hommes, et d’un coup du plat de laquelle il m’étourdit.

— Mais, bourreau, finiras-tu ? dit d’Artagnan. Athos, que devient Athos ?

— En battant en retraite, comme j’ai dit à monseigneur, il trouva derrière lui l’escalier de la cave, et comme la porte était ouverte, il tira la clef à lui et se barricada en dedans. Comme on était sûr de le retrouver là, on le laissa libre.

— Oui, dit d’Artagnan, on ne tenait pas tout à fait à le tuer, on ne cherchait qu’à l’emprisonner.

— Juste Dieu ! à l’emprisonner, monseigneur ? il s’emprisonna bien lui-même, je vous le jure. D’abord il avait fait de rude besogne, un homme était tué sur le coup et deux autres étaient blessés grièvement. Le mort et les deux blessés furent emportés par leurs camarades, et jamais je n’ai plus entendu parler ni des uns, ni des autres. Moi-même, quand je repris mes sens, j’allai trouver M. le gouverneur, auquel je racontai tout ce qui s’était passé, et auquel je demandai ce que je devais faire du prisonnier. Mais M. le gouverneur eut l’air de tomber des nues ; il me dit qu’il ignorait complètement ce que je voulais dire, que les ordres qui m’étaient parvenus n’émanaient pas de lui et que si j’avais le malheur de dire à qui que ce fût qu’il était pour quelque chose dans toute cette échauffourée, il me ferait pendre. Il paraît que je m’étais trompé, monsieur, que j’avais arrêté l’un pour l’autre, et que celui qu’on devait arrêter était sauvé.

— Mais Athos ? s’écria d’Artagnan, dont l’impatience se doublait de l’abandon où l’autorité laissait la chose ; Athos, qu’est-il devenu ?

— Comme j’avais hâte de réparer mes torts envers le prisonnier, reprit l’aubergiste, je m’acheminai vers la cave afin de lui rendre sa liberté. Ah ! monsieur, ce n’était plus un homme, c’était un diable. À cette proposition de liberté, il déclara que c’était un piège qu’on lui tendait et qu’avant de sortir il entendait imposer ses conditions. Je lui dis bien humblement, car je ne me dissimulais pas la mauvaise position où je m’étais mis en portant la main sur un mousquetaire de Sa Majesté, je lui dis que j’étais prêt à me soumettre à ses conditions.

— D’abord, dit-il, je veux qu’on me rende mon valet tout armé.

On s’empressa d’obéir à cet ordre ; car vous comprenez bien, monsieur, que nous étions disposés à faire tout ce que voudrait votre ami. M. Grimaud (il a dit ce nom, celui-là, quoiqu’il ne parle pas beaucoup), M. Grimaud fut donc descendu à la cave, tout blessé qu’il était ; alors, son maître l’ayant reçu, rebarricada la porte et nous ordonna de rester dans notre boutique.

— Mais enfin, s’écria d’Artagnan, où est-il ? où est Athos ?

— Dans la cave, monsieur.

— Comment, malheureux, vous le retenez dans la cave depuis ce temps-là ?

— Bonté divine ! Non, monsieur. Nous, le retenir dans la cave ! vous ne savez donc pas ce qu’il y fait, dans la cave ! Ah ! si vous pouviez l’en faire sortir, monsieur, je vous en serais reconnaissant toute ma vie, vous adorerais comme mon patron.

— Alors il est là, je le retrouverai là ?

— Sans doute, monsieur, il s’est obstiné à y rester. Tous les jours, on lui passe par le soupirail du pain au bout d’une fourche, et de la viande quand il en demande ; mais, hélas ! ce n’est pas de pain et de viande qu’il fait la plus grande consommation. Une fois, j’ai essayé de descendre avec deux de mes garçons, mais il est entré dans une terrible fureur. J’ai entendu le bruit de ses pistolets qu’il armait et de son mousqueton qu’armait son domestique. Puis, comme nous leur demandions quelles étaient leurs intentions, le maître a répondu qu’ils avaient quarante coups à tirer lui et son laquais, et qu’ils les tireraient jusqu’au dernier plutôt que de permettre qu’un seul de nous mît le pied dans la cave. Alors, monsieur, j’ai été me plaindre au gouverneur, lequel m’a répondu que je n’avais que ce que je méritais, et que cela m’apprendrait à insulter les honorables seigneurs qui prenaient gîte chez moi.

— De sorte que, depuis ce temps… reprit d’Artagnan ne pouvant s’empêcher de rire de la figure piteuse de son hôte.

— De sorte que, depuis ce temps, monsieur, continua celui-ci, nous menons la vie la plus triste qui se puisse voir ; car, monsieur, il faut que vous sachiez que toutes nos provisions sont dans la cave ; il y a notre vin en bouteilles et notre vin en pièce, la bière, l’huile et les épices, le lard et les saucissons ; et comme il nous est défendu d’y descendre, nous sommes forcés de refuser le boire et le manger aux voyageurs qui nous arrivent, de sorte que tous les jours notre hôtellerie se perd. Encore une semaine avec votre ami dans ma cave, et nous sommes ruinés.

— Et ce sera justice, drôle. Ne voyait-on pas bien, à notre mine, que nous étions gens de qualité et non faussaires, dites ?

— Oui, monsieur, oui, vous avez raison, dit l’hôte. Mais tenez, tenez, le voilà qui s’emporte.

— Sans doute qu’on l’aura troublé, dit d’Artagnan.

— Mais il faut bien qu’on le trouble, s’écria l’hôte ; il vient de nous arriver deux gentilshommes anglais.

— Eh bien ?

— Eh bien ! les Anglais aiment le bon vin, comme vous savez, monsieur ; ceux-ci ont demandé du meilleur. Ma femme alors aura sollicité de M. Athos la permission d’entrer pour satisfaire ces messieurs ; et il aura refusé comme de coutume. Ah ! bonté divine ! voilà le sabbat qui redouble !

D’Artagnan, en effet, entendit mener un grand bruit du côté de la cave ; il se leva et, précédé de l’hôte qui se tordait les mains, et suivi de Planchet qui tenait son mousqueton tout armé, il s’approcha du lieu de la scène.

Les deux gentilshommes étaient exaspérés, ils avaient fait une longue course et mouraient de faim et de soif.

— Mais c’est une tyrannie, s’écriaient-ils en très bon français, quoique avec un accent étranger, que ce maître fou ne veuille pas laisser à ces bonnes gens l’usage de leur vin. Çà, nous allons enfoncer la porte, et s’il est trop enragé, eh bien ! nous le tuerons.

— Tout beau, messieurs ! dit d’Artagnan en tirant ses pistolets de sa ceinture ; vous ne tuerez personne, s’il vous plaît.

— Bon, bon, disait derrière la porte la voix calme d’Athos, qu’on les laisse un peu entrer, ces mangeurs de petits enfants, et nous allons voir.

Tout braves qu’ils paraissaient être, les deux gentilshommes anglais se regardèrent en hésitant ; on eût dit qu’il y avait dans cette cave un de ces ogres faméliques, gigantesques héros des légendes populaires, et dont nul ne force impunément la caverne.

Il y eut un moment de silence ; mais enfin les deux Anglais eurent honte de reculer, et le plus hargneux des deux descendit les cinq ou six marches dont se composait l’escalier et donna dans la porte un coup de pied à fendre une muraille.

— Planchet, dit d’Artagnan en armant ses pistolets, je me charge de celui qui est en haut, charge-toi de celui qui est en bas. Ah ! messieurs ! vous voulez de la bataille ! eh bien ! on va vous en donner !

— Mordieu, s’écria la voix creuse d’Athos, j’entends d’Artagnan, ce me semble.

— En effet, dit d’Artagnan en haussant la voix à son tour, c’est moi-même, mon ami.

— Ah ! bon, alors, dit Athos, nous allons les travailler, ces enfonceurs de portes.

Les gentilshommes avaient mis l’épée à la main, mais ils se trouvaient pris entre deux feux ; ils hésitèrent un instant encore ; mais, comme la première fois, l’orgueil l’emporta, et un second coup de pied fit craquer la porte dans toute sa hauteur.

— Range-toi, d’Artagnan, range-toi, cria Athos, range-toi, je vais tirer.

— Messieurs, dit d’Artagnan, que la réflexion n’abandonnait jamais, messieurs, songez-y ! De la patience, Athos. Vous vous engagez là dans une mauvaise affaire, et vous allez être criblés. Voici mon valet et moi qui vous lâcherons trois coups de feu, autant vous arriveront de la cave ; puis nous aurons encore nos épées, dont, je vous assure, mon ami et moi nous jouons passablement. Laissez-moi faire vos affaires et les miennes. Tout à l’heure vous aurez à boire, je vous en donne ma parole.

— S’il en reste, grogna la voix railleuse d’Athos.

L’hôtelier sentit une sueur froide couler le long de son échine.

— Comment ? s’il en reste ! murmura-t-il.

— Que diable ! il en restera, reprit d’Artagnan ; soyez donc tranquille, à eux deux ils n’auront pas bu toute la cave. Messieurs, remettez vos épées au fourreau.

— Eh bien ! vous, remettez vos pistolets à votre ceinture.

— Volontiers.

Et d’Artagnan donna l’exemple. Puis, se retournant vers Planchet, il lui fit signe de désarmer son mousqueton.

Les Anglais, convaincus, remirent en grommelant leurs épées au fourreau. On leur raconta l’histoire de l’emprisonnement d’Athos. Et comme ils étaient bons gentilshommes, ils donnèrent tort à l’hôtelier.

— Maintenant, messieurs, dit d’Artagnan, remontez chez vous, et, dans dix minutes, je vous réponds qu’on vous y portera tout ce que vous pourrez désirer.

Les Anglais saluèrent et sortirent.

— Maintenant que je suis seul, mon cher Athos, dit d’Artagnan, ouvrez-moi la porte, je vous en prie.

— À l’instant même, dit Athos.

Alors on entendit un grand bruit de fagots entrechoqués et de poutres gémissantes : c’étaient les contrescarpes et les bastions d’Athos, que l’assiégé démolissait lui-même.

Un instant après, la porte s’ébranla, et l’on vit paraître la tête pâle d’Athos qui, d’un coup d’œil rapide, explorait les environs.

D’Artagnan se jeta à son cou et l’embrassa tendrement puis il voulut l’entraîner hors de ce séjour humide, alors il s’aperçut qu’Athos chancelait.

— Vous êtes blessé ? lui dit-il.

— Moi ! pas le moins du monde ; je suis ivre mort, voilà tout, et jamais homme n’a mieux fait ce qu’il fallait pour cela. Vive Dieu ! mon hôte, il faut que j’en aie bu au moins pour ma part cent cinquante bouteilles.

— Miséricorde ! s’écria l’hôte, si le valet en a bu la moitié du maître seulement, je suis ruiné.

— Grimaud est un laquais de bonne maison, qui ne se serait pas permis le même ordinaire que moi ; il a bu à la pièce seulement ; tenez, je crois qu’il a oublié de remettre le fosset. Entendez-vous ? cela coule.

D’Artagnan partit d’un éclat de rire qui changea le frisson de l’hôte en fièvre chaude.

En même temps, Grimaud parut à son tour derrière son maître, le mousqueton sur l’épaule, la tête tremblante, comme ces satyres ivres des tableaux de Rubens. Il était arrosé par-devant et par-derrière d’une liqueur grasse que l’hôte reconnut pour être sa meilleure huile d’olive.

Le cortège traversa la grande salle et alla s’installer dans la meilleure chambre de l’auberge, que d’Artagnan occupa d’autorité.

Pendant ce temps, l’hôte et sa femme se précipitèrent avec des lampes dans la cave, qui leur avait été si longtemps interdite et où un affreux spectacle les attendait.

Au-delà des fortifications auxquelles Athos avait fait brèche pour sortir et qui se composaient de fagots, de planches et de futailles vides entassées selon toutes les règles de l’art stratégique, on voyait çà et là, nageant dans les mares d’huile et de vin, les ossements de tous les jambons mangés, tandis qu’un amas de bouteilles cassées jonchait tout l’angle gauche de la cave et qu’un tonneau, dont le robinet était resté ouvert, perdait par cette ouverture les dernières gouttes de son sang. L’image de la dévastation et de la mort, comme dit le poète de l’Antiquité, régnait là comme sur un champ de bataille.

Sur cinquante saucissons, pendus aux solives, dix restaient à peine.

Alors les hurlements de l’hôte et de l’hôtesse percèrent la voûte de la cave, d’Artagnan lui-même en fut ému. Athos ne tourna pas même la tête.

Mais à la douleur succéda la rage. L’hôte s’arma d’une broche et, dans son désespoir, s’élança dans la chambre où les deux amis s’étaient retirés.

— Du vin ! dit Athos en apercevant l’hôte.

— Du vin ! s’écria l’hôte stupéfait, du vin ! mais vous m’en avez bu pour plus de cent pistoles ; mais je suis un homme ruiné, perdu, anéanti !

— Bah ! dit Athos, nous sommes constamment restés sur notre soif.

— Si vous vous étiez contentés de boire, encore ; mais vous avez cassé toutes les bouteilles.

— Vous m’avez poussé sur un tas qui a dégringolé. C’est votre faute.

— Toute mon huile est perdue !

— L’huile est un baume souverain pour les blessures, et il fallait bien que ce pauvre Grimaud pansât celles que vous lui avez faites.

— Tous mes saucissons rongés.

— Il y a énormément de rats dans cette cave.

— Vous allez me payer tout cela, cria l’hôte exaspéré.

— Triple drôle ! dit Athos en se soulevant. Mais il retomba aussitôt ; il venait de donner la mesure de ses forces. D’Artagnan vint à son secours en levant sa cravache.

L’hôte recula d’un pas et se mit à fondre en larmes.

— Cela vous apprendra, dit d’Artagnan, à traiter d’une façon plus courtoise les hôtes que Dieu vous envoie.

— Dieu ! dites le diable.

— Mon cher ami, dit d’Artagnan, si vous nous rompez encore les oreilles, nous allons nous renfermer tous les quatre dans votre cave, et nous verrons si véritablement le dégât est aussi grand que vous le dites.

— Eh bien, oui, messieurs, dit l’hôte, j’ai tort, je l’avoue ; mais à tout péché miséricorde ; vous êtes des seigneurs et je suis un pauvre aubergiste, vous aurez pitié de moi.

— Ah ! si tu parles comme cela, dit Athos, tu vas me fendre le cœur, et les larmes vont couler de mes yeux comme le vin coulait de tes futailles. On n’est pas si diable qu’on en a l’air. Voyons, viens ici et causons.

L’hôte s’approcha avec inquiétude.

— Viens, te dis-je, et n’aie pas peur, continua Athos. Au moment où j’allais te payer, j’avais posé ma bourse sur la table.

— Oui, monseigneur.

— Cette bourse contenait soixante pistoles, où est-elle ?

— Déposée au greffe, monseigneur ; on avait dit que c’était de la fausse monnaie.

— Eh bien, fais-toi rendre ma bourse, et garde les soixante pistoles.

— Mais monseigneur sait bien que le greffe ne lâche pas ce qu’il tient. Si c’était de la fausse monnaie, il y aurait encore de l’espoir ; mais malheureusement ce sont de bonnes pièces.

— Arrange-toi avec lui, mon brave homme, cela ne me regarde pas, d’autant plus qu’il ne me reste pas une livre.

— Voyons, dit d’Artagnan, l’ancien cheval d’Athos, où est-il ?

— À l’écurie.

— Combien vaut-il ?

— Cinquante pistoles tout au plus.

— Il en vaut quatre-vingts ; prends-le, et que tout soit dit.

— Comment ? tu vends mon cheval, dit Athos, tu vends mon Bajazet, et sur quoi ferai-je la campagne ? sur Grimaud ?

— Je t’en amène un autre, dit d’Artagnan.

— Un autre ?

— Et magnifique ! s’écria l’hôte.

— Alors, s’il y en a un autre plus beau et plus jeune, prends le vieux, et à boire !

— Duquel ? demanda l’hôte tout à fait rasséréné.

— De celui qui est au fond, près des lattes ; il en reste encore vingt-cinq bouteilles, toutes les autres ont été cassées dans ma chute. Montez-en six.

— Mais c’est un foudre que cet homme ! dit l’hôte à part lui ; s’il reste seulement quinze jours ici, et qu’il paie ce qu’il boira, je rétablirai mes affaires.

— Et n’oublie pas, continua d’Artagnan, de monter quatre bouteilles du pareil aux deux seigneurs anglais.

— Maintenant, dit Athos, en attendant qu’on nous apporte du vin, conte-moi, d’Artagnan, ce que sont devenus les autres ; voyons.

D’Artagnan lui raconta comment il avait trouvé Porthos dans son lit avec une foulure, et Aramis à une table entre les deux théologiens. Comme il achevait, l’hôte rentra avec les bouteilles demandées et un jambon qui, heureusement pour lui, était resté hors de la cave.

— C’est bien, dit Athos en remplissant son verre et celui de d’Artagnan, voilà pour Porthos et pour Aramis ; mais vous, mon ami, qu’avez-vous et que vous est-il arrivé personnellement ? Je vous trouve un air sinistre.

— Hélas ! dit d’Artagnan, c’est que je suis le plus malheureux de nous tous, moi.

— Toi malheureux, d’Artagnan ! dit Athos. Voyons, comment es-tu malheureux ? Dis-moi cela.

— Plus tard, dit d’Artagnan.

— Plus tard ! et pourquoi plus tard ? parce que tu crois que je suis ivre, d’Artagnan ? Retiens bien ceci : je n’ai jamais les idées plus nettes que dans le vin. Parle donc, je suis tout oreilles.

D’Artagnan raconta son aventure avec madame Bonacieux. Athos l’écouta sans sourciller ; puis, lorsqu’il eut fini :

— Misères que tout cela, dit Athos, misères !

C’était le mot d’Athos.

— Vous dites toujours misères ! mon cher Athos, dit d’Artagnan ; cela vous sied bien mal, à vous qui n’avez jamais aimé.

L’œil mort d’Athos s’enflamma soudain, mais ce ne fut qu’un éclair, il redevint terne et vague comme auparavant.

— C’est vrai, dit-il tranquillement, je n’ai jamais aimé, moi.

— Vous voyez bien alors, cœur de pierre, dit d’Artagnan, que vous avez tort d’être dur pour nous autres, cœurs tendres.

— Cœurs tendres, cœurs percés, dit Athos.

— Que dites-vous ?

— Je dis que l’amour est une loterie où celui qui gagne, gagne la mort ! Vous êtes bien heureux d’avoir perdu, croyez-moi, mon cher d’Artagnan. Et si j’ai un conseil à vous donner, c’est de perdre toujours.

— Elle avait l’air de si bien m’aimer !

— Elle en avait l’air.

— Oh ! elle m’aimait !

— Enfant ! il n’y a pas un homme qui n’ait cru comme vous que sa maîtresse l’aimait, et il n’y a pas un homme qui n’ait été trompé par sa maîtresse.

— Excepté vous, Athos, qui n’en avez jamais eu.

— C’est vrai, dit Athos après un moment de silence, je n’en ai jamais eu. Buvons.

— Mais alors, philosophe que vous êtes, dit d’Artagnan, instruisez-moi, soutenez-moi ; j’ai besoin de savoir et d’être consolé.

— Consolé de quoi ?

— De mon malheur.

— Votre malheur fait rire, dit Athos en haussant les épaules ; je serais curieux de savoir ce que vous diriez si je vous racontais une histoire d’amour.

— Arrivée à vous ?

— Ou à un de mes amis, qu’importe !

— Dites, Athos, dites.

— Buvons, nous ferons mieux.

— Buvez et racontez.

— Au fait, cela se peut, dit Athos en vidant et remplissant son verre, les deux choses vont à merveille ensemble.

— J’écoute, dit d’Artagnan.

Athos se recueillit, et, à mesure qu’il se recueillait, d’Artagnan le voyait pâlir ; il en était à cette période de l’ivresse où les buveurs vulgaires tombent et dorment. Lui, il rêvait tout haut sans dormir. Ce somnambulisme de l’ivresse avait quelque chose d’effrayant.

— Vous le voulez absolument ? demanda-t-il.

— Je vous en prie, dit d’Artagnan.

— Qu’il soit fait donc comme vous le désirez. Un de mes amis, un de mes amis, entendez-vous bien ! pas moi, dit Athos en s’interrompant avec un sourire sombre ; un des comtes de ma province, c’est-à-dire du Berry, noble comme un Dandolo ou un Montmorency, devint amoureux à vingt-cinq ans d’une jeune fille de seize, belle comme les amours. À travers la naïveté de son âge perçait un esprit ardent, un esprit non pas de femme, mais de poète ; elle ne plaisait pas, elle enivrait ; elle vivait dans un petit bourg, près de son frère qui était curé. Tous deux étaient arrivés dans le pays : ils venaient on ne savait d’où ; mais en la voyant si belle et en voyant son frère si pieux, on ne songeait pas à leur demander d’où ils venaient. Du reste, on les disait de bonne extraction. Mon ami, qui était le seigneur du pays, aurait pu la séduire ou la prendre de force, à son gré, il était le maître ; qui serait venu à l’aide de deux étrangers, de deux inconnus ? Malheureusement il était honnête homme, il l’épousa ! le sot, le niais, l’imbécile !

— Mais pourquoi cela, puisqu’il l’aimait ? demanda d’Artagnan.

— Attendez donc, dit Athos. Il l’emmena dans son château, et en fit la première dame de sa province ; et il faut lui rendre justice, elle tenait parfaitement son rang.

— Eh bien ? demanda d’Artagnan.

— Eh bien ! un jour qu’elle était à la chasse avec son mari, continua Athos à voix basse et en parlant fort vite, elle tomba de cheval et s’évanouit ; le comte s’élança à son secours, et comme elle étouffait dans ses habits, il les fendit avec son poignard et lui découvrit l’épaule. Devinez ce qu’elle avait sur l’épaule, d’Artagnan ? dit Athos avec un grand éclat de rire.

— Puis-je le savoir ? demanda d’Artagnan.

— Une fleur de lys, dit Athos. Elle était marquée.

Et Athos vida d’un seul trait le verre qu’il tenait à la main.

— Horreur ! s’écria d’Artagnan, que me dites-vous là ?

— La vérité. Mon cher, l’ange était un démon. La pauvre fille avait volé.

— Et que fit le comte ?

— Le comte était un grand seigneur, il avait sur ses terres droit de justice basse et haute : il acheva de déchirer les habits de la comtesse, il lui lia les mains derrière le dos et la pendit à un arbre.

— Ciel ! Athos, un meurtre ? s’écria d’Artagnan.

— Oui, un meurtre, pas davantage, dit Athos pâle comme la mort. Mais on me laisse manquer de vin, ce me semble.

Et Athos saisit au goulot la dernière bouteille qui restait, l’approcha de sa bouche et la vida d’un seul trait, comme il eût fait d’un verre ordinaire.

Puis il laissa tomber sa tête sur ses deux mains ; d’Artagnan demeura devant lui, saisi d’épouvante.

— Cela m’a guéri des femmes belles, poétiques et amoureuses, dit Athos en se relevant et sans songer à continuer l’apologue du comte. Dieu vous en accorde autant. — Buvons !

— Ainsi elle est morte ? balbutia d’Artagnan.

— Parbleu ! dit Athos. Mais tendez votre verre. Du jambon, drôle ! cria Athos, nous ne pouvons plus boire !

— Et son frère ? ajouta timidement d’Artagnan.

— Son frère ? reprit Athos.

— Oui, le prêtre ?

— Ah ! je m’en informai pour le faire pendre à son tour ; mais il avait pris les devants, il avait quitté sa cure depuis la veille.

— A-t-on su au moins ce que c’était que ce misérable ?

— C’était sans doute le premier amant et le complice de la belle, un digne homme qui avait fait semblant d’être curé peut-être pour marier sa maîtresse et lui assurer un sort. Il aura été écartelé, je l’espère.

— Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! fit d’Artagnan, tout étourdi de cette horrible aventure.

— Mangez donc de ce jambon, d’Artagnan, il est exquis, dit Athos en coupant une tranche qu’il mit sur l’assiette du jeune homme. Quel malheur qu’il n’y en ait pas eu seulement quatre comme celui-là dans la cave ! j’aurais bu cinquante bouteilles de plus.

D’Artagnan ne pouvait plus supporter cette conversation, qui l’eût rendu fou ; il laissa tomber sa tête sur ses deux mains et fit semblant de s’endormir.

— Les jeunes gens ne savent plus boire, dit Athos en le regardant en pitié, et pourtant celui-là est des meilleurs !…

RETOUR

D’Artagnan était resté étourdi de la terrible confidence d’Athos ; cependant bien des choses lui paraissaient encore obscures dans cette demi-révélation ; d’abord elle avait été faite par un homme tout à fait ivre à un homme qui l’était à moitié, et cependant, malgré ce vague que fait monter au cerveau la fumée de deux ou trois bouteilles de bourgogne, d’Artagnan, en se réveillant le lendemain matin, avait chaque parole d’Athos aussi présente à son esprit que si, à mesure qu’elles étaient tombées de sa bouche, elles s’étaient imprimées dans son esprit. Tout ce doute ne lui donna qu’un plus vif désir d’arriver à une certitude, et il passa chez son ami avec l’intention bien arrêtée de renouer sa conversation de la veille mais il trouva Athos de sens tout à fait rassis, c’est-à-dire le plus fin et le plus impénétrable des hommes.

Au reste, le mousquetaire, après avoir échangé avec lui une poignée de main, alla le premier au-devant de sa pensée.

— J’étais bien ivre hier, mon cher d’Artagnan, dit-il, j’ai senti cela ce matin à ma langue, qui était encore fort épaisse, et à mon pouls qui était encore fort agité ; je parie que j’ai dit mille extravagances.

Et, en disant ces mots, il regarda son ami avec une fixité qui l’embarrassa.

— Mais non pas, répliqua d’Artagnan, et, si je me le rappelle bien, vous n’avez rien dit que de fort ordinaire.

— Ah ! vous m’étonnez ! Je croyais vous avoir raconté une histoire des plus lamentables.

Et il regardait le jeune homme comme s’il eût voulu lire au plus profond de son cœur.

— Ma foi ! dit d’Artagnan, il paraît que j’étais encore plus ivre que vous, puisque je ne me souviens de rien.

Athos ne se paya point de cette parole, et il reprit :

— Vous n’êtes pas sans avoir remarqué, mon cher ami, que chacun a son genre d’ivresse, triste ou gaie, moi j’ai l’ivresse triste, et, quand une fois je suis gris, ma manière est de raconter toutes les histoires lugubres que ma sotte nourrice m’a inculquées dans le cerveau. C’est mon défaut, défaut capital, j’en conviens ; mais, à cela près, je suis bon buveur.

Athos disait cela d’une façon si naturelle, que d’Artagnan fut ébranlé dans sa conviction.

— Oh ! c’est donc cela, en effet, reprit le jeune homme en essayant de ressaisir la vérité, c’est donc cela que je me souviens, comme, au reste, on se souvient d’un rêve, que nous avons parlé de pendus.

— Ah ! vous voyez bien, dit Athos en pâlissant et cependant en essayant de rire, j’en étais sûr, les pendus sont mon cauchemar, à moi.

— Oui, oui, reprit d’Artagnan, et voilà la mémoire qui me revient ; oui, il s’agissait… attendez donc, il s’agissait d’une femme.

— Voyez, répondit Athos en devenant presque livide, c’est ma grande histoire de la femme blonde, et quand je raconte celle-là, c’est que je suis ivre-mort.

— Oui, c’est cela, dit d’Artagnan, l’histoire de la femme blonde, grande et belle, aux yeux bleus.

— Oui, et pendue.

— Par son mari, qui était un seigneur de votre connaissance, continua d’Artagnan en regardant fixement Athos.

— Eh bien, voyez cependant comme on compromettrait un homme quand on ne sait plus ce que l’on dit, reprit Athos en haussant les épaules, comme s’il se fût pris lui-même en pitié. Décidément, je ne veux plus me griser, d’Artagnan, c’est une trop mauvaise habitude.

D’Artagnan garda le silence ; et alors, changeant tout à coup de conversation :

— À propos, dit-il, je vous remercie du cheval que vous m’avez amené.

— Est-il de votre goût ? demanda d’Artagnan.

— Oui, mais ce n’était pas un cheval de fatigue.

— Vous vous trompez ; j’ai fait avec lui dix lieues en moins d’une heure et demie, et il n’y paraissait pas plus que s’il eût fait le tour de la place Saint-Sulpice.

— Ah çà mais, vous allez me donner des regrets.

— Des regrets ?

— Oui, je m’en suis défait.

— Comment cela ?

— Voici le fait : ce matin, je me suis réveillé à six heures, vous dormiez comme un sourd, et je ne savais que faire ; j’étais encore tout hébété de notre débauche d’hier ; je descendis dans la grande salle, et j’avisai un de nos Anglais qui marchandait un cheval à un maquignon, le sien étant mort hier d’un coup de sang. Je m’approchai de lui, et comme je vis qu’il offrait cent pistoles d’un alezan brûlé : Pardieu, lui dis-je, mon gentilhomme, moi aussi j’ai un cheval à vendre.

— Et très beau même, dit-il, je l’ai vu hier, le valet de votre ami le tenait en main.

— Trouvez-vous qu’il vaille cent pistoles ?

— Oui, et voulez-vous me le donner pour ce prix-là ?

— Non ; mais je vous le joue.

— Vous me le jouez ?

— Oui.

— À quoi ?

— Aux dés.

Ce qui fut dit fut fait ; et j’ai perdu le cheval. Ah ! mais par exemple, continua Athos, j’ai regagné le caparaçon.

D’Artagnan fit une mine assez maussade.

— Cela vous contrarie ? dit Athos.

— Mais oui, je vous l’avoue, reprit d’Artagnan ; ce cheval devait servir à nous faire reconnaître un jour de bataille ; c’était un gage, un souvenir. Athos, vous avez eu tort.

— Eh ! mon cher ami, mettez-vous à ma place, reprit le mousquetaire ; je m’ennuyais à périr, moi, et puis, d’honneur, je n’aime pas les chevaux anglais. Voyons, s’il ne s’agit que d’être reconnu par quelqu’un, eh bien, la selle suffira ; elle est assez remarquable. Quant au cheval, nous trouverons quelque excuse pour motiver sa disparition. Que diable ! un cheval est mortel ; mettons que le mien a eu la morve ou le farcin.

D’Artagnan ne se déridait pas.

— Cela me contrarie, continua Athos, que vous paraissiez tant tenir à ces animaux, car je ne suis pas au bout de mon histoire.

— Qu’avez-vous donc fait encore ?

— Après avoir perdu mon cheval, neuf contre dix, voyez le coup, l’idée me vint de jouer le vôtre.

— Oui, mais vous vous en tîntes, j’espère, à l’idée ?

— Non pas, je la mis à exécution à l’instant même.

— Ah ! par exemple ! s’écria d’Artagnan inquiet.

— Je jouai et je perdis.

— Mon cheval ?

— Votre cheval ; sept contre huit ; faute d’un point… vous connaissez le proverbe.

— Athos, vous n’êtes pas dans votre bon sens, je vous jure.

— Mon cher, c’était hier, quand je vous contais mes sottes histoires, qu’il fallait me dire cela, et non pas ce matin. Je le perdis donc avec tous les équipages et harnais possibles.

— Mais c’est affreux !

— Attendez donc, vous n’y êtes point, je ferais un joueur excellent, si je ne m’entêtais pas ; mais je m’entête, c’est comme quand je bois. Je m’entêtai donc.

— Mais que pûtes-vous jouer ? il ne vous restait plus rien.

— Si fait, si fait, mon ami ; il nous restait ce diamant qui brille à votre doigt, et que j’avais remarqué hier.

— Ce diamant ! s’écria d’Artagnan, en portant vivement la main à sa bague.

— Et comme je suis connaisseur, en ayant eu quelques-uns pour mon propre compte, je l’avais estimé mille pistoles.

— J’espère, dit sérieusement d’Artagnan à demi mort de frayeur, que vous n’avez aucunement fait mention de mon diamant ?

— Au contraire, cher ami ; vous comprenez, ce diamant devenait notre seule ressource ; avec lui, je pouvais regagner nos harnais et nos chevaux, et, de plus, l’argent pour faire la route.

— Athos, vous me faites frémir ! s’écria d’Artagnan.

— Je parlai donc de votre diamant à mon partenaire, lequel l’avait aussi remarqué. Que diable aussi, mon cher, vous portez à votre doigt une étoile du ciel, et vous ne voulez pas qu’on y fasse attention ? Impossible.

— Achevez, mon cher, achevez, dit d’Artagnan, car, d’honneur, avec votre sang-froid, vous me faites mourir.

— Nous divisâmes donc ce diamant en dix parties de cent pistoles chacune.

— Ah ! vous voulez rire et m’éprouver, dit d’Artagnan que la colère commençait à prendre aux cheveux comme Minerve prend Achille, dans l’Iliade.

— Non, je ne plaisante pas, mordieu ! j’aurais bien voulu vous y voir, vous ! il y avait quinze jours que je n’avais envisagé face humaine, et que j’étais là à m’abrutir en m’abouchant avec des bouteilles.

— Ce n’est point une raison pour jouer mon diamant, cela ? répondit d’Artagnan en serrant sa main avec une crispation nerveuse.

— Écoutez donc la fin ; dix parties de cent pistoles chacune en dix coups sans revanche. En treize coups je perdis tout. En treize coups ! Le nombre 13 m’a toujours été fatal, c’était le 13 du mois de juillet que…

— Ventrebleu ! s’écria d’Artagnan en se levant de table, l’histoire du jour lui faisant oublier celle de la veille.

— Patience, dit Athos, j’avais un plan ; l’Anglais était un original, je l’avais vu le matin causer avec Grimaud, et Grimaud m’avait averti qu’il lui avait fait des propositions pour entrer à son service. Je lui joue Grimaud, le silencieux Grimaud, divisé en dix portions.

— Ah ! pour le coup ! dit d’Artagnan éclatant de rire.

— Grimaud lui-même, entendez-vous cela ! et avec les dix parts de Grimaud, qui ne vaut pas en tout un ducaton, je regagne le diamant. Dites maintenant que la persistance n’est pas une vertu.

— Ma foi, c’est très drôle ! s’écria d’Artagnan consolé et se tenant les côtes de rire.

— Vous comprenez que, me sentant en veine, je me remis aussitôt à jouer sur le diamant.

— Ah diable ! dit d’Artagnan assombri de nouveau.

— J’ai regagné vos harnais, puis votre cheval, puis mes harnais, puis mon cheval, puis reperdu. Bref, j’ai rattrapé votre harnais, puis le mien. Voilà où nous en sommes. C’est un coup superbe ; aussi je m’en suis tenu là.

D’Artagnan respira comme si on lui eût enlevé l’hôtellerie de dessus la poitrine.

— Enfin, le diamant me reste ? dit-il timidement.

— Intact, cher ami. Plus les harnais de votre bucéphale et du mien.

— Mais que ferons-nous de nos harnais sans chevaux ?

— J’ai une idée sur eux.

— Athos, vous me faites frémir.

— Écoutez. Vous n’avez pas joué depuis longtemps, vous, d’Artagnan ?

— Et n’ai point l’envie de jouer.

— Ne jurons de rien. Vous n’avez pas joué depuis longtemps, disais-je, vous devez donc avoir la main bonne.

— Eh bien ! après ?

— Eh bien ! l’Anglais et son compagnon sont encore là. J’ai remarqué qu’ils regrettaient beaucoup les harnais ; vous, vous paraissez tenir à votre cheval ; à votre place, je jouerais vos harnais contre votre cheval.

— Mais il ne voudra pas un seul harnais.

— Jouez les deux, pardieu ; je ne suis point un égoïste comme vous, moi.

— Vous feriez cela ? dit d’Artagnan indécis, tant la confiance d’Athos commençait à le gagner à son insu.

— Parole d’honneur, en un seul coup.

— Mais c’est qu’ayant perdu les chevaux, je tenais énormément à conserver les harnais.

— Jouez votre diamant, alors.

— Oh ! ceci, c’est autre chose ; jamais, jamais.

— Diable ! dit Athos, je vous proposerais bien de jouer Planchet ; mais comme cela a déjà été fait, l’Anglais ne voudrait peut-être plus.

— Décidément, mon cher Athos, dit d’Artagnan, j’aime mieux ne rien risquer.

— C’est dommage, dit froidement Athos, l’Anglais est cousu de pistoles. Eh ! mon Dieu ! essayez un coup, un coup est bientôt joué.

— Et si je perds ?

— Vous gagnerez.

— Mais si je perds ?

— Eh bien ! vous donnerez les harnais.

— Va pour un coup, dit d’Artagnan.

Athos se mit en quête de l’Anglais et le trouva dans l’écurie, où il examinait les harnais d’un œil de convoitise. L’occasion était bonne. Il fit ses conditions : les deux harnais contre un cheval ou cent pistoles, à choisir. L’Anglais calcula vite : les deux harnais valaient trois cents pistoles à eux deux ; il topa.

D’Artagnan jeta les dés en tremblant et amena le nombre trois ; sa pâleur effraya Athos, qui se contenta de dire :

— Voilà un triste coup, compagnon ; vous aurez les chevaux tout harnachés, monsieur.

L’Anglais, triomphant, ne se donna même la peine de rouler les dés, il les jeta sur la table sans regarder, tant il était sûr de la victoire ; d’Artagnan s’était détourné pour cacher sa mauvaise humeur.

— Tiens, tiens, tiens, dit Athos avec sa voix tranquille, ce coup de dés est extraordinaire, et je ne l’ai vu que quatre fois dans ma vie : deux as !

L’Anglais regarda et fut saisi d’étonnement ; d’Artagnan regarda et fut saisi de plaisir.

« Oui, continua Athos, quatre fois seulement : une fois chez M. de Créquy ; une autre fois chez moi, à la campagne, dans mon château de *****, quand j’avais un château ; une troisième fois chez M. de Tréville, où il nous surprit tous ; enfin une quatrième fois au cabaret, où il échut à moi, et où je perdis sur lui cent louis et un souper.

— Alors, monsieur reprend son cheval, dit l’Anglais.

— Certes, dit d’Artagnan.

— Alors il n’y a pas de revanche ?

— Nos conditions disaient : Pas de revanche, vous vous le rappelez ?

— C’est vrai ; le cheval va être rendu à votre valet, monsieur.

— Un moment, dit Athos ; avec votre permission, monsieur, je demande à dire un mot à mon ami.

— Dites.

Athos tira d’Artagnan à part.

— Eh bien, lui dit d’Artagnan, que me veux-tu encore, tentateur, tu veux que je joue, n’est-ce pas ?

— Non, je veux que vous réfléchissiez.

— À quoi ?

— Vous allez reprendre le cheval, n’est-ce pas ?

— Sans doute.

— Vous avez tort, je prendrais les cent pistoles ; vous savez que vous avez joué les harnais contre le cheval ou cent pistoles, à votre choix.

— Oui.

— Je prendrais les cent pistoles.

— Eh bien ! moi, je prends le cheval.

— Et vous avez tort, je vous le répète ; que ferons-nous d’un cheval pour nous deux, je ne puis pas monter en croupe nous aurions l’air des deux fils Aymon qui ont perdu leurs frères ; vous ne pouvez pas m’humilier en chevauchant près de moi, en chevauchant sur ce magnifique destrier. Moi, sans balancer un seul instant, je prendrais les cent pistoles, nous avons besoin d’argent pour revenir à Paris.

— Je tiens à ce cheval, Athos.

— Et vous avez tort, mon ami ; un cheval prend un écart, un cheval bute et se couronne, un cheval mange dans un râtelier où a mangé un cheval morveux : voilà un cheval ou plutôt cent pistoles perdues ; il faut que le maître nourrisse son cheval, tandis qu’au contraire cent pistoles nourrissent leur maître.

— Mais comment reviendrons-nous ?

— Sur les chevaux de nos laquais, pardieu ! on verra toujours bien à l’air de nos figures que nous sommes gens de condition.

— La belle mine que nous aurons sur des bidets, tandis qu’Aramis et Porthos caracoleront sur leurs chevaux !

— Aramis ! Porthos ! s’écria Athos, et il se mit à rire.

— Quoi ? demanda d’Artagnan, qui ne comprenait rien à l’hilarité de son ami.

— Bien, bien, continuons, dit Athos.

— Ainsi, votre avis ?

— Est de prendre les cent pistoles, d’Artagnan ; avec les cent pistoles nous allons festiner jusqu’à la fin du mois ; nous avons essuyé des fatigues, voyez-vous, et il sera bon de nous reposer un peu.

— Me reposer ? oh ! non, Athos, aussitôt à Paris je me mets à la recherche de cette pauvre femme.

— Eh bien ! croyez-vous que votre cheval vous sera aussi utile pour cela que de bons louis d’or ? Prenez les cent pistoles, mon ami, prenez les cent pistoles.

D’Artagnan n’avait besoin que d’une raison pour se rendre. Celle-là lui parut excellente. D’ailleurs, en résistant plus longtemps, il craignait de paraître égoïste aux yeux d’Athos ; il acquiesça donc et choisit les cent pistoles, que l’Anglais lui compta sur-le-champ.

Puis l’on ne songea plus qu’à partir. La paix signée avec l’aubergiste, outre le vieux cheval d’Athos, coûta six pistoles. D’Artagnan et Athos prirent les chevaux de Planchet et de Grimaud, les deux valets se mirent en route à pied, portant les selles sur leurs têtes.

Si mal montés que fussent les deux amis, ils prirent bientôt les devants sur leurs valets et arrivèrent à Crèvecœur. De loin ils aperçurent Aramis mélancoliquement appuyé sur sa fenêtre et regardant, comme Ma sœur Anne, poudroyer l’horizon.

— Holà ! eh ! Aramis ! que diable faites-vous donc là ? crièrent les deux amis.

— Ah ! c’est vous, d’Artagnan, c’est vous Athos, dit le jeune homme ; je songeais avec quelle rapidité s’en vont les biens de ce monde, et mon cheval anglais, qui s’éloignait et qui vient de disparaître au milieu d’un tourbillon de poussière, m’était une vivante image de la fragilité des choses de la terre. La vie elle-même peut se résoudre en trois mots : Erit, est, fuit.

— Cela veut dire au fond ? demanda d’Artagnan, qui commençait à se douter de la vérité.

— Cela veut dire que je viens de faire un marché de dupe. Soixante louis, un cheval qui, à la manière dont il file, peut faire au trot cinq lieues à l’heure.

D’Artagnan et Athos éclatèrent de rire.

— Mon cher d’Artagnan, dit Aramis, ne m’en veuillez pas trop, je vous prie : nécessité n’a pas de loi ; d’ailleurs je suis le premier puni, puisque cet infâme maquignon m’a volé cinquante louis au moins. Ah ! vous êtes bons ménagers, vous autres ! vous venez sur les chevaux de vos laquais et vous faites mener vos chevaux de luxe en main, doucement et à petites journées.

Au même instant un fourgon, qui depuis quelques instants pointait sur la route d’Amiens, s’arrêta, et l’on vit sortir Grimaud et Planchet leurs selles sur la tête. Le fourgon retournait à vide vers Paris, et les deux laquais s’étaient engagés, moyennant leur transport, à désaltérer le voiturier tout le long de la route.

— Qu’est-ce que cela ? dit Aramis en voyant ce qui se passait. Rien que les selles ?

— Comprenez-vous maintenant ? dit Athos.

— Mes amis, c’est exactement comme moi. J’ai conservé le harnais, par instinct. Holà, Bazin ! portez mon harnais neuf auprès de celui de ces messieurs.

— Et qu’avez-vous fait de vos curés ? demanda d’Artagnan.

— Mon cher, je les ai invités à dîner le lendemain, dit Aramis : il y a ici du vin exquis, cela soit dit en passant ; je les ai grisés de mon mieux ; alors le curé m’a défendu de quitter la casaque, et le jésuite m’a prié de le faire recevoir mousquetaire !

— Sans thèse ? cria d’Artagnan, sans thèse ? je demande la suppression de la thèse, moi !

— Depuis lors, continua Aramis, je vis agréablement. J’ai commencé un poème en vers d’une syllabe ; c’est assez difficile, mais le mérite en toutes choses est dans la difficulté. La matière est galante ; je vous lirai le premier chant, il a quatre cents vers et dure une minute.

— Ma foi, mon cher Aramis, dit d’Artagnan, qui détestait presque autant les vers que le latin, ajoutez au mérite de la difficulté celui de la brièveté, et vous êtes sûr au moins que votre poème aura deux mérites.

— Puis, continua Aramis, il respire des passions honnêtes, vous verrez. Ah çà ! mes amis, nous retournons donc à Paris ? Bravo, je suis prêt ! Nous allons donc revoir ce bon Porthos, tant mieux. Vous ne croyez pas qu’il me manquait, ce grand niais-là ? Ce n’est pas lui qui aurait vendu son cheval, fût-ce contre un royaume. Je voudrais déjà le voir sur sa bête et sur sa selle. Il aura, j’en suis sûr, l’air du grand Mogol.

On fit une halte d’une heure pour faire souffler les chevaux ; Aramis solda son compte, plaça Bazin dans le fourgon avec ses camarades, et l’on se mit en route pour aller rejoindre Porthos.

On le trouva debout, moins pâle que ne l’avait vu d’Artagnan à sa première visite, et assis à une table où, quoiqu’il fût seul, figurait un dîner de quatre personnes ; ce dîner se composait de viandes galamment troussées, de vins choisis et de fruits superbes.

— Ah ! pardieu ! dit-il en se levant, vous arrivez à merveille, messieurs, j’en étais justement au potage, et vous allez dîner avec moi.

— Oh ! oh ! fit d’Artagnan, ce n’est pas Mousqueton qui a pris au lasso de pareilles bouteilles, puis voilà un fricandeau piqué et un filet de bœuf…

— Je me refais, dit Porthos, je me refais, rien n’affaiblit comme ces diables de foulures. Avez-vous eu des foulures, Athos ?

— Jamais ; seulement je me rappelle que dans notre échauffourée de la rue Férou je reçus un coup d’épée qui, au bout de quinze ou dix-huit jours, m’avait produit exactement le même effet que votre foulure, Porthos.

— Mais ce dîner n’était pas pour vous seul, mon cher Porthos ? dit Aramis.

— Non, dit Porthos ; j’attendais quelques gentilshommes du voisinage qui viennent de me faire dire qu’ils ne viendraient pas ; vous les remplacerez et je ne perdrai pas au change. Holà, Mousqueton ! des siéges ! et que l’on double les bouteilles.

— Savez-vous ce que nous mangeons ici ? dit Athos au bout de dix minutes.

— Pardieu ! répondit d’Artagnan, moi je mange du veau piqué aux cardons et à la moelle.

— Et moi des filets d’agneau, dit Porthos.

— Et moi un blanc de volaille, dit Aramis.

— Vous vous trompez tous, messieurs, répondit Athos, vous mangez du cheval.

— Allons donc, dit d’Artagnan.

— Du cheval ! fit Aramis avec une grimace de dégoût.

Porthos seul ne répondit pas.

— Oui, du cheval ; n’est-ce pas, Porthos, que nous mangeons du cheval ? Peut-être même les caparaçons avec !

— Non, messieurs ; j’ai gardé le harnais, dit Porthos.

— Ma foi, nous nous valons tous, dit Aramis : on dirait que nous nous sommes donné le mot.

— Que voulez-vous ! dit Porthos, ce cheval faisait honte à mes visiteurs, et je n’ai pas voulu les humilier.

— Puis, votre duchesse est toujours aux eaux, n’est-ce pas ? reprit d’Artagnan.

— Toujours, répondit Porthos. Or, ma foi, le gouverneur de la province, un des gentilshommes que j’attendais aujourd’hui à dîner, m’a paru le désirer si fort que je le lui ai donné.

— Donné ! s’écria d’Artagnan.

— Oh ! mon Dieu, oui, donné, c’est le mot, dit Porthos ; car il valait certainement cent cinquante louis, et le ladre n’a voulu me le payer que quatre-vingts.

— Sans la selle ? dit Aramis.

— Oui, sans la selle.

— Vous remarquerez, messieurs, dit Athos, que c’est encore Porthos qui a fait le meilleur marché de nous tous.

Ce fut alors un hourra de rires dont le pauvre Porthos fut tout saisi ; mais on lui expliqua bientôt la raison de cette hilarité, qu’il partagea bruyamment selon sa coutume.

— De sorte que nous sommes tous en fonds, dit d’Artagnan.

— Mais pas pour mon compte, dit Athos ; j’ai trouvé le vin d’Espagne d’Aramis si bon, que j’en ai fait charger une soixantaine de bouteilles dans le fourgon des laquais, ce qui m’a fort désargenté.

— Et moi, dit Aramis, imaginez donc que j’avais donné jusqu’à mon dernier sou à l’église de Montdidier et aux jésuites d’Amiens ; que j’avais pris en outre des engagements qu’il m’a fallu tenir, des messes commandées pour moi et pour vous, messieurs, que l’on dira, messieurs, et dont je ne doute pas que nous ne nous trouvions à merveille.

— Et moi, dit Porthos, ma foulure, croyez-vous qu’elle ne m’a rien coûté ? Sans compter la blessure de Mousqueton, pour laquelle j’ai été obligé de faire venir le chirurgien deux fois par jour, lequel m’a fait payer ses visites double sous prétexte que cet imbécile de Mousqueton avait été se faire donner une balle dans un endroit qu’on ne montre ordinairement qu’aux apothicaires ; aussi je lui ai bien recommandé de ne plus se faire blesser là.

— Allons, allons, dit Athos, en échangeant un sourire avec d’Artagnan et Aramis, je vois que vous vous êtes conduit grandement à l’égard du pauvre garçon. C’est d’un bon maître.

— Bref, continua Porthos, ma dépense payée, il me restera bien une trentaine d’écus.

— Et à moi une dizaine de pistoles, dit Aramis.

— Allons, allons, dit Athos, il paraît que nous sommes les Crésus de la société. Combien vous reste-t-il sur vos cent pistoles, d’Artagnan ?

— Sur mes cent pistoles ? D’abord, je vous en ai donné cinquante.

— Vous croyez ?

— Pardieu !

— Ah ! c’est vrai, je me rappelle.

— Puis, j’en ai payé six à l’hôte.

— Quel animal que cet hôte ! pourquoi lui avez-vous donné six pistoles ?

— C’est vous qui m’avez dit de les lui donner.

— C’est vrai que je suis trop bon. Bref, en reliquat ?

— Vingt-cinq pistoles, dit d’Artagnan.

— Et moi, dit Athos en tirant quelque menue monnaie de sa poche, moi…

— Vous, rien.

— Ma foi, ou si peu de chose, que ce n’est pas la peine de rapporter à la masse.

— Maintenant, calculons combien nous possédons en tout : Porthos ?

— Trente écus.

— Aramis ?

— Dix pistoles.

— Et vous, d’Artagnan ?

— Vingt-cinq.

— Cela fait en tout ? dit Athos.

— Quatre cent soixante-quinze livres ! dit d’Artagnan, qui comptait comme Archimède.

— Arrivés à Paris, nous en aurons bien encore quatre cents, dit Porthos, plus les harnais.

— Mais nos chevaux d’escadron ? dit Aramis.

— Eh bien, des quatre chevaux des laquais nous en ferons deux de maître que nous tirerons au sort ; avec les quatre cents livres, on en fera un demi pour un des démontés, puis nous donnerons les grattures de nos poches à d’Artagnan, qui a la main bonne, et qui ira les jouer dans le premier tripot venu, voilà.

— Dînons donc, dit Porthos, car le second service refroidit.

Les quatre amis, plus tranquilles désormais sur leur avenir, firent honneur au repas, dont les restes furent abandonnés à MM. Mousqueton, Bazin, Planchet et Grimaud.

En arrivant à Paris, d’Artagnan trouva une lettre de M. de Tréville qui le prévenait que, sur sa demande, le roi venait de lui accorder la faveur d’entrer dans les mousquetaires.

Comme c’était tout ce que d’Artagnan ambitionnait au monde, à part bien entendu le désir de retrouver madame Bonacieux, il courut tout joyeux chez ses camarades, qu’il venait de quitter il y avait une demi-heure, et qu’il trouva fort tristes et fort préoccupés. Ils étaient réunis en conseil chez Athos, ce qui indiquait toujours des circonstances d’une certaine gravité.

M. de Tréville venait de les faire prévenir que l’intention bien arrêtée de Sa Majesté étant d’ouvrir la campagne le 1er mai, ils eussent à préparer incontinent leurs équipages.

Les quatre philosophes se regardèrent tout ébahis ; M. de Tréville ne plaisantait pas sous le rapport de la discipline. C’étaient surtout les équipages qui les embarrassaient.

— Et à combien estimez-vous ces équipages ? dit d’Artagnan.

— Oh ! il n’y a pas à dire, reprit Aramis, nous venons de faire nos comptes avec une lésinerie de Spartiates, et il nous faut à chacun quinze cents livres.

— Quatre fois quinze font soixante, soit six mille livres, dit Athos.

— Moi, dit d’Artagnan, il me semble qu’avec mille livres chacun. Il est vrai que je ne parle pas en Spartiate, mais en procureur…

Ce mot de procureur réveilla Porthos.

— Tiens, j’ai une idée ! dit-il.

— C’est déjà quelque chose : moi, je n’en ai pas même l’ombre, fit froidement Athos, mais quant à d’Artagnan, messieurs, le bonheur d’être désormais des nôtres l’a rendu fou ; mille livres ! je déclare que pour mon équipage à moi seul il m’en faut deux mille.

— Quatre fois deux font huit, dit alors Aramis ; c’est donc huit mille livres qu’il nous faut pour nos équipages, sur lesquels équipages, il est vrai, nous avons déjà les selles.

LA CHASSE À L’ÉQUIPEMENT

Le plus préoccupé des quatre amis était bien certainement d’Artagnan, quoique d’Artagnan, en sa qualité de garde, fût bien plus facile à équiper que messieurs les mousquetaires, qui étaient des seigneurs ; mais notre cadet de Gascogne était, comme on a pu le voir, d’un caractère prévoyant et presque avare, et avec cela (expliquez les contraires) glorieux presque à rendre des points à Porthos. À cette préoccupation de sa vanité, d’Artagnan joignait en ce moment une inquiétude moins égoïste. Quelques informations qu’il eût pu prendre sur madame Bonacieux, il ne lui en était venu aucune nouvelle. M. de Tréville en avait parlé à la reine ; la reine ignorait où était la jeune mercière et avait promis de la faire chercher. Mais cette promesse était bien vague et ne rassurait guère d’Artagnan.

Athos ne sortait pas de sa chambre ; il était résolu à ne pas risquer une enjambée pour s’équiper.

— Il nous reste quinze jours, disait-il à ses amis ; eh bien, si au bout de ces quinze jours je n’ai rien trouvé, ou plutôt si rien n’est venu me trouver, comme je suis trop bon catholique pour me casser la tête d’un coup de pistolet, je chercherai une bonne querelle à quatre gardes de Son Éminence ou à huit Anglais, et je me battrai jusqu’à ce qu’il y en ait un qui me tue, ce qui, sur la quantité, ne peut manquer de m’arriver. On dira alors que je suis mort pour le roi, de sorte que j’aurai fait mon service sans avoir eu besoin de m’équiper.

Porthos continuait à se promener, les mains derrière le dos, en hochant la tête de haut en bas et disant :

— Je poursuivrai mon idée.

Aramis, soucieux et mal frisé, ne disait rien.

On peut voir par ces détails désastreux que la désolation régnait dans la communauté.

Les laquais, de leur côté, comme les coursiers d’Hippolyte, partageaient la triste peine de leurs maîtres. Mousqueton faisait des provisions de croûtes ; Bazin, qui avait toujours donné dans la dévotion, ne quittait plus les églises ; Planchet regardait voler les mouches ; et Grimaud, que la détresse générale ne pouvait déterminer à rompre le silence imposé par son maître, poussait des soupirs à attendrir des pierres.

Les trois amis, car, ainsi que nous l’avons dit, Athos avait juré de ne pas faire un pas pour s’équiper, les trois amis sortaient donc de grand matin et rentraient fort tard. Ils erraient par les rues, regardant sur chaque pavé pour savoir si les personnes qui y étaient passées avant eux n’y avaient pas laissé quelque bourse. On eût dit qu’ils suivaient des pistes, tant ils étaient attentifs partout où ils allaient. Quand ils se rencontraient, ils avaient des regards désolés qui voulaient dire : As-tu trouvé quelque chose ?

Cependant, comme Porthos avait trouvé le premier son idée, et comme il l’avait poursuivie avec persistance, il fut le premier à agir. C’était un homme d’exécution que ce digne Porthos. D’Artagnan l’aperçut un jour qu’il s’acheminait vers l’église Saint-Leu, et le suivit instinctivement : il entra au lieu saint après avoir relevé sa moustache et allongé sa royale, ce qui annonçait toujours de sa part les intentions les plus conquérantes. Comme d’Artagnan prenait quelques précautions pour se dissimuler, Porthos crut n’avoir pas été vu. D’Artagnan entra derrière lui. Porthos alla s’adosser au côté d’un pilier ; d’Artagnan, toujours inaperçu, s’appuya de l’autre.

Justement il y avait un sermon, ce qui faisait que l’église était fort peuplée. Porthos profita de la circonstance pour lorgner les femmes : grâce aux bons soins de Mousqueton, l’extérieur était loin d’annoncer la détresse de l’intérieur ; son feutre était bien un peu râpé, sa plume était bien un peu déteinte, ses broderies étaient bien un peu ternies, ses dentelles étaient bien éraillées ; mais dans la demi-teinte toutes ces bagatelles disparaissaient, et Porthos était toujours le beau Porthos.

D’Artagnan remarqua, sur le banc le plus rapproché du pilier où Porthos et lui étaient adossés, une espèce de beauté mûre, un peu jaune, un peu sèche, mais raide et hautaine sous ses coiffes noires. Les yeux de Porthos s’abaissaient furtivement sur cette dame, puis papillonnaient au loin dans la nef.

De son côté, la dame, qui de temps en temps rougissait, lançait avec la rapidité de l’éclair un coup d’œil sur le volage Porthos, et aussitôt les yeux de Porthos de papillonner avec fureur. Il était clair que c’était un manège qui piquait au vif la dame aux coiffes noires, car elle se mordait les lèvres jusqu’au sang, se grattait le bout du nez, et se démenait désespérément sur son siége.

Ce que voyant, Porthos retroussa de nouveau sa moustache, allongea une seconde fois sa royale, et se mit à faire des signaux à une belle dame qui était près du chœur, et qui non seulement était une belle dame, mais encore une grande dame sans doute, car elle avait derrière elle un négrillon qui avait apporté le coussin sur lequel elle était agenouillée, et une suivante qui tenait le sac armorié dans lequel on renfermait le livre où elle disait sa messe.

La dame aux coiffes noires suivit à travers tous ses détours le regard de Porthos, et reconnut qu’il s’arrêtait sur la dame au coussin de velours, au négrillon et à la suivante.

Pendant ce temps, Porthos jouait serré : c’était des clignements d’yeux, des doigts posés sur les lèvres, de petits sourires assassins qui réellement assassinaient la belle dédaignée.

Aussi poussa-t-elle, en forme de meâ culpâ et en se frappant la poitrine, un hum ! tellement vigoureux que tout le monde, même la dame au coussin rouge, se retourna de son côté ; Porthos tint bon ; pourtant il avait bien compris, mais il fit le sourd.

La dame au coussin rouge fit un grand effet, car elle était fort belle, sur la dame aux coiffes noires, qui vit en elle une rivale véritablement à craindre ; un grand effet sur Porthos, qui la trouva plus jolie que la dame aux coiffes noires ; un grand effet sur d’Artagnan, qui reconnut la dame de Meung, de Calais et de Douvres, que son persécuteur, l’homme à la cicatrice, avait saluée du nom de milady.

D’Artagnan, sans perdre de vue la dame au coussin rouge, continua de suivre le manège de Porthos, qui l’amusait fort ; il crut deviner que la dame aux coiffes noires était la procureuse de la rue aux Ours, d’autant mieux que l’église Saint-Leu n’était pas très éloignée de ladite rue.

Il devina alors par induction que Porthos cherchait à prendre sa revanche de sa défaite de Chantilly, alors que la procureuse s’était montrée si récalcitrante à l’endroit de la bourse.

Mais, au milieu de tout cela, d’Artagnan remarqua aussi que pas une figure ne correspondait aux galanteries de Porthos. Ce n’étaient que chimères et illusions ; mais pour un amour réel, pour une jalousie véritable, y a-t-il d’autre réalité que les illusions et les chimères ?

Le sermon fini, la procureuse s’avança vers le bénitier ; Porthos l’y devança, et, au lieu d’un doigt, y mit toute la main. La procureuse sourit, croyant que c’était pour elle que Porthos se mettait en frais ; mais elle fut promptement et cruellement détrompée ; lorsqu’elle ne fut plus qu’à trois pas de lui, il détourna la tête, fixant invariablement les yeux sur la dame au coussin rouge, qui s’était levée et qui s’approchait, suivie de son négrillon et de sa fille de chambre.

Lorsque la dame au coussin rouge fut près de Porthos, Porthos tira sa main toute ruisselante du bénitier ; la belle dévote toucha de sa main effilée la grosse main de Porthos, fit en souriant le signe de la croix et sortit de l’église.

C’en fut trop pour la procureuse : elle ne douta plus que cette dame et Porthos fussent en galanterie. Si elle eût été une grande dame, elle se serait évanouie, mais comme elle n’était qu’une procureuse, elle se contenta de dire au mousquetaire avec une fureur concentrée :

— Eh ! monsieur Porthos, vous ne m’en offrez pas à moi, d’eau bénite ?

Porthos fit, au son de cette voix, un soubresaut comme ferait un homme qui se réveillerait après un somme de cent ans.

— Ma… madame ! s’écria-t-il, est-ce bien vous ? Comment se porte votre mari, ce cher monsieur Coquenard ? Est-il toujours aussi ladre qu’il était ? Où avais-je donc les yeux, que je ne vous ai pas même aperçue pendant les deux heures qu’a duré ce sermon ?

— J’étais à deux pas de vous, monsieur, répondit la procureuse ; mais vous ne m’avez pas aperçue parce que vous n’aviez d’yeux que pour la belle dame à qui vous venez de donner de l’eau bénite.

Porthos feignit d’être embarrassé.

— Ah ! dit-il, vous avez remarqué…

— Il eût fallu être aveugle pour ne pas le voir.

— Oui, dit négligemment Porthos, c’est une duchesse de mes amies avec laquelle j’ai grand-peine à me rencontrer à cause de la jalousie de son mari, et qui m’avait fait prévenir qu’elle viendrait aujourd’hui, rien que pour me voir, dans cette chétive église, au fond de ce quartier perdu.

— Monsieur Porthos, dit la procureuse, auriez-vous la bonté de m’offrir le bras pendant cinq minutes ? je causerais volontiers avec vous.

— Comment donc ! madame, dit Porthos en se clignant de l’œil à lui-même comme un joueur qui rit de la dupe qu’il va faire.

Dans ce moment, d’Artagnan passait poursuivant milady ; il jeta un regard de côté sur Porthos, et vit ce coup d’œil triomphant.

— Eh ! eh ! se dit-il à lui même en raisonnant dans le sens de la morale étrangement facile de cette époque galante, en voici un qui pourrait bien être équipé pour le terme voulu.

Porthos, cédant à la pression du bras de sa procureuse comme une barque cède au gouvernail, arriva au cloître Saint-Magloire, passage peu fréquenté, enfermé d’un tourniquet à ses deux bouts. On n’y voyait, le jour, que mendiants qui mangeaient ou enfants qui jouaient.

— Ah ! monsieur Porthos ! s’écria la procureuse, quand elle se fut assurée qu’aucune personne étrangère à la population habituelle de la localité ne pouvait les voir ni les entendre ; ah ! monsieur Porthos ! vous êtes un grand vainqueur, à ce qu’il paraît !

— Moi, madame ! dit Porthos en se rengorgeant, et pourquoi cela ?

— Et les signes de tantôt, et l’eau bénite ? Mais c’est une princesse pour le moins, que cette dame avec son négrillon et sa fille de chambre !

— Vous vous trompez ; mon Dieu non, répondit Porthos, c’est tout bonnement une duchesse.

— Et ce coureur qui attendait à la porte, et ce carrosse avec un cocher à grande livrée qui attendait sur son siége ?

Porthos n’avait vu ni le coureur, ni le carrosse ; mais, de son regard de femme jalouse, madame Coquenard avait tout vu.

Porthos regretta de n’avoir pas, du premier coup, fait la dame au coussin rouge princesse.

— Ah ! vous êtes l’enfant chéri des belles, monsieur Porthos ! reprit en soupirant la procureuse.

— Mais, répondit Porthos, vous comprenez qu’avec un physique comme celui dont la nature m’a doué, je ne manque pas de bonnes fortunes.

— Mon Dieu ! comme les hommes oublient vite ! s’écria la procureuse en levant les yeux au ciel.

— Moins vite encore que les femmes, ce me semble, répondit Porthos ; car enfin, moi, madame, je puis dire que j’ai été votre victime, lorsque blessé, mourant, je me suis vu abandonné des chirurgiens ; moi, le rejeton d’une famille illustre, qui m’étais fié à votre amitié, j’ai manqué mourir de mes blessures d’abord, et de faim ensuite dans une mauvaise auberge de Chantilly, et cela sans que vous ayez daigné répondre une seule fois aux lettres brûlantes que je vous ai écrites.

— Mais, monsieur Porthos, murmura la procureuse, qui sentait qu’à en juger par la conduite des plus grandes dames de ce temps-là, elle était dans son tort.

— Moi qui avais sacrifié pour vous la comtesse de Penaflor…

— Je le sais bien.

— La baronne de…

— Monsieur Porthos, ne m’accablez pas.

— La duchesse de…

— Monsieur Porthos, soyez généreux !

— Vous avez raison, madame, et je n’achèverai pas.

— Mais c’est mon mari qui ne veut pas entendre parler de prêter.

— Madame Coquenard, dit Porthos, rappelez-vous la première lettre que vous m’avez écrite et que je conserve gravée dans ma mémoire.

La procureuse poussa un gémissement.

— Mais c’est qu’aussi, dit-elle, la somme que vous demandiez à emprunter était un peu bien forte.

— Madame Coquenard, je vous donnais la préférence. Je n’ai eu qu’à écrire à la duchesse de… Je ne veux pas dire son nom, car je ne sais pas ce que c’est que de compromettre une femme ; mais ce que je sais, c’est que je n’ai eu qu’à lui écrire pour qu’elle m’en envoyât quinze cents.

La procureuse versa une larme.

— Monsieur Porthos, dit-elle, je vous jure que vous m’avez grandement punie, et que si dans l’avenir vous vous retrouviez en pareille passe, vous n’auriez qu’à vous adresser à moi.

— Fi donc, madame ! dit Porthos comme révolté, ne parlons pas argent, s’il vous plaît, c’est humiliant.

— Ainsi, vous ne m’aimez plus ! dit lentement et tristement la procureuse.

Porthos garda un majestueux silence.

— C’est ainsi que vous me répondez ? Hélas ! je comprends.

— Songez à l’offense que vous m’avez faite, madame : elle est restée là, dit Porthos, en posant la main à son cœur et en l’y appuyant avec force.

— Je la réparerai ; voyons, mon cher Porthos !

— D’ailleurs, que vous demandais-je, moi ? reprit Porthos avec un mouvement d’épaules plein de bonhomie ; un prêt, pas autre chose. Après tout, je ne suis pas un homme déraisonnable. Je sais que vous n’êtes pas riche, madame Coquenard, et que votre mari est obligé de sangsurer les pauvres plaideurs pour en tirer quelques pauvres écus. Oh ! si vous étiez comtesse, marquise ou duchesse, ce serait autre chose, et vous seriez impardonnable.

La procureuse fut piquée.

— Apprenez, monsieur Porthos, dit-elle, que mon coffre-fort, tout coffre-fort de procureuse qu’il est, est peut-être mieux garni que celui de toutes vos mijaurées ruinées.

— Double offense que vous m’avez faite alors, dit Porthos en dégageant le bras de la procureuse de dessous le sien ; car si vous êtes riche, madame Coquenard, alors votre refus n’a plus d’excuse.

— Quand je dis riche, reprit la procureuse, qui vit qu’elle s’était laissé entraîner trop loin, il ne faut pas prendre le mot au pied de la lettre. Je ne suis pas précisément riche, je suis à mon aise.

— Tenez, madame, dit Porthos, ne parlons plus de tout cela, je vous en prie. Vous m’avez méconnu ; toute sympathie est éteinte entre nous.

— Ingrat que vous êtes !

— Ah ! je vous conseille de vous plaindre ! dit Porthos.

— Allez donc avec votre belle duchesse ! je ne vous retiens plus.

— Eh ! elle n’est déjà point si déchirée, que je crois !

— Voyons, monsieur Porthos, encore une fois, c’est la dernière : m’aimez-vous encore ?

— Hélas ! madame, dit Porthos du ton le plus mélancolique qu’il put prendre, quand nous allons entrer en campagne, dans une campagne où mes pressentiments me disent que je serai tué…

— Oh ! ne dites pas de pareilles choses ! s’écria la procureuse en éclatant en sanglots.

— Quelque chose me le dit, continua Porthos en mélancolisant de plus en plus.

— Dites plutôt que vous avez un nouvel amour.

— Non pas, je vous parle franc. Nul objet nouveau ne me touche, et même je sens là, au fond de mon cœur, quelque chose qui parle pour vous. Mais, dans quinze jours, comme vous le savez ou comme vous ne le savez pas, cette fatale campagne s’ouvre ; je vais être affreusement préoccupé de mon équipement. Puis je vais faire un voyage dans ma famille, au fond de la Bretagne, pour réaliser la somme nécessaire à mon départ.

Porthos remarqua un dernier combat entre l’amour et l’avarice.

— Et comme, continua-t-il, la duchesse que vous venez de voir à l’église a ses terres près des miennes, nous ferons le voyage ensemble. Les voyages, vous le savez, paraissent beaucoup moins longs quand on les fait à deux.

— Vous n’avez donc point d’amis à Paris, monsieur Porthos ? dit la procureuse.

— J’ai cru en avoir, dit Porthos en prenant son air mélancolique, mais j’ai bien vu que je me trompais.

— Vous en avez, monsieur Porthos, vous en avez, reprit la procureuse dans un transport qui la surprit elle-même ; revenez demain à la maison. Vous êtes le fils de ma tante, mon cousin par conséquent ; vous venez de Noyon en Picardie, vous avez plusieurs procès à Paris, et pas de procureur. Retiendrez-vous bien tout cela ?

— Parfaitement, madame.

— Venez à l’heure du dîner.

— Fort bien.

— Et tenez ferme devant mon mari, qui est retors, malgré ses soixante-seize ans.

— Soixante-seize ans ! peste ! le bel âge ! reprit Porthos.

— Le grand âge, vous voulez dire, monsieur Porthos. Aussi le pauvre cher homme peut me laisser veuve d’un moment à l’autre, continua la procureuse en jetant un regard significatif à Porthos. Heureusement que, par contrat de mariage, nous nous sommes tout passé au dernier vivant.

— Tout ? dit Porthos.

— Tout.

— Vous êtes femme de précaution, je le vois, ma chère madame Coquenard, dit Porthos en serrant tendrement la main de la procureuse.

— Nous sommes donc réconciliés, cher monsieur Porthos ? dit-elle en minaudant.

— Pour la vie, répliqua Porthos sur le même air.

— Au revoir donc, mon traître.

— Au revoir, mon oublieuse.

— À demain, mon ange !

— À demain, flamme de ma vie !

MILADY

D’Artagnan avait suivi milady sans être aperçu par elle : il la vit monter dans son carrosse, et il l’entendit donner à son cocher l’ordre d’aller à Saint-Germain.

Il était inutile d’essayer de suivre à pied une voiture emportée au trot de deux vigoureux chevaux. D’Artagnan revint donc rue Férou.

Dans la rue de Seine, il rencontra Planchet, qui était arrêté devant la boutique d’un pâtissier, et qui semblait en extase devant une brioche de la forme la plus appétissante.

Il lui donna l’ordre d’aller seller deux chevaux dans les écuries de M. de Tréville, un pour lui d’Artagnan, l’autre pour lui Planchet, et de venir le joindre chez Athos, M. de Tréville, une fois pour toutes, ayant mis ses écuries au service de d’Artagnan.

Planchet s’achemina vers la rue du Colombier, et d’Artagnan vers la rue Férou. Athos était chez lui, vidant tristement une des bouteilles de ce fameux vin d’Espagne qu’il avait rapporté de son voyage en Picardie. Il fit signe à Grimaud d’apporter un verre pour d’Artagnan, et Grimaud obéit comme d’habitude.

D’Artagnan raconta alors à Athos tout ce qui s’était passé à l’église entre Porthos et la procureuse, et comment leur camarade était probablement, à cette heure, en voie de s’équiper.

— Quant à moi, répondit Athos à tout ce récit, je suis bien tranquille, ce ne seront pas les femmes qui feront les frais de mon harnais.

— Et cependant, beau, poli, grand seigneur comme vous l’êtes, mon cher Athos, il n’y aurait ni princesses, ni reines à l’abri de vos traits amoureux.

— Que ce d’Artagnan est jeune ! dit Athos en haussant les épaules.

Et il fit signe à Grimaud d’apporter une seconde bouteille.

En ce moment, Planchet passa modestement la tête par la porte entrebâillée, et annonça à son maître que les deux chevaux étaient là.

— Quels chevaux ? demanda Athos.

— Deux que M. de Tréville me prête pour la promenade, et avec lesquels je vais aller faire un tour à Saint-Germain.

— Et qu’allez-vous faire à Saint-Germain ? demanda encore Athos.

Alors d’Artagnan lui raconta la rencontre qu’il avait faite dans l’église, et comment il avait retrouvé cette femme qui, avec le seigneur au manteau noir et à la cicatrice près de la tempe, était sa préoccupation éternelle.

— C’est-à-dire que vous êtes amoureux de celle-là, comme vous l’étiez de madame Bonacieux, dit Athos en haussant dédaigneusement les épaules, comme s’il eût pris en pitié la faiblesse humaine.

— Moi, point du tout ! s’écria d’Artagnan. Je suis seulement curieux d’éclaircir le mystère auquel elle se rattache. Je ne sais pourquoi, je me figure que cette femme, tout inconnue qu’elle m’est et tout inconnu que je lui suis, a une action sur ma vie.

— Au fait, vous avez raison, dit Athos, je ne connais pas une femme qui vaille la peine qu’on la cherche quand elle est perdue. Madame Bonacieux est perdue, tant pis pour elle, qu’elle se retrouve !

— Non, Athos, non, vous vous trompez, dit d’Artagnan ; j’aime ma pauvre Constance plus que jamais, et si je savais le lieu où elle est, fût-elle au bout du monde, je partirais pour la tirer des mains de ses ennemis ; mais je l’ignore, toutes mes recherches ont été inutiles. Que voulez-vous, il faut bien se distraire.

— Distrayez-vous donc avec milady, mon cher d’Artagnan ; je le souhaite de tout mon cœur, si cela peut vous amuser.

— Écoutez, Athos, dit d’Artagnan, au lieu de vous tenir enfermé ici comme si vous étiez aux arrêts, montez à cheval et venez vous promener avec moi à Saint-Germain.

— Mon cher, répliqua Athos, je monte mes chevaux quand j’en ai, sinon je vais à pied.

— Eh bien ! moi, répondit d’Artagnan en souriant de la misanthropie d’Athos, qui dans un autre l’eût certainement blessé ; moi, je suis moins fier que vous, je monte ce que je trouve. Ainsi, au revoir, mon cher Athos.

— Au revoir, dit le mousquetaire en faisant signe à Grimaud de déboucher la bouteille qu’il venait d’apporter.

D’Artagnan et Planchet se mirent en selle et prirent le chemin de Saint-Germain.

Tout le long de la route, ce qu’Athos avait dit au jeune homme de madame Bonacieux lui revenait à l’esprit. Quoique d’Artagnan ne fût pas d’un caractère fort sentimental, la jolie mercière avait fait une impression réelle sur son cœur : comme il le disait, il était prêt à aller au bout du monde pour la chercher. Mais le monde a bien des bouts, par cela même qu’il est rond ; de sorte qu’il ne savait de quel côté se tourner.

En attendant, il allait tâcher de savoir ce que c’était que milady. Milady avait parlé à l’homme au manteau noir, donc elle le connaissait. Or, dans l’esprit de d’Artagnan, c’était l’homme au manteau noir qui avait enlevé madame Bonacieux une seconde fois, comme il l’avait enlevée une première. D’Artagnan ne mentait donc qu’à moitié, ce qui est bien peu mentir, quand il disait qu’en se mettant à la recherche de Milady, il se mettait en même temps à la recherche de Constance.

Tout en songeant ainsi et en donnant de temps en temps un coup d’éperon à son cheval, d’Artagnan avait fait la route et était arrivé à Saint-Germain. Il venait de longer le pavillon où, dix ans plus tard, devait naître Louis XIV. Il traversait une rue fort déserte, regardant à droite et à gauche s’il ne reconnaîtrait pas quelque vestige de sa belle Anglaise, lorsque au rez-de-chaussée d’une jolie maison qui, selon l’usage du temps, n’avait aucune fenêtre sur la rue, il vit apparaître une figure de connaissance. Cette figure se promenait sur une sorte de terrasse garnie de fleurs. Planchet la reconnut le premier.

— Eh ! monsieur dit-il s’adressant à d’Artagnan, ne vous remettez-vous pas ce visage qui baye aux corneilles ?

— Non, dit d’Artagnan ; et cependant je suis certain que ce n’est point la première fois que je le vois, ce visage.

— Je le crois pardieu bien, dit Planchet : c’est ce pauvre Lubin, le laquais du comte de Wardes, celui que vous avez si bien accommodé il y a un mois, à Calais, sur la route de la maison de campagne du gouverneur.

— Ah ! oui bien, dit d’Artagnan, et je le reconnais à cette heure. Crois-tu qu’il te reconnaisse, toi ?

— Ma foi, monsieur, il était si fort troublé que je doute qu’il ait gardé de moi une mémoire bien nette.

— Eh bien, va donc causer avec ce garçon, dit d’Artagnan, et informe-toi dans la conversation si son maître est mort.

Planchet descendit de cheval, marcha droit à Lubin, qui en effet ne le reconnut pas, et les deux laquais se mirent à causer dans la meilleure intelligence du monde, tandis que d’Artagnan poussait les deux chevaux dans une ruelle et, faisant le tour d’une maison, s’en revenait assister à la conférence derrière une haie de coudriers.

Au bout d’un instant d’observation derrière la haie, il entendit le bruit d’une voiture, et il vit s’arrêter en face de lui le carrosse de milady. Il n’y avait pas à s’y tromper. Milady était dedans. D’Artagnan se coucha sur le cou de son cheval, afin de tout voir sans être vu.

Milady sortit sa charmante tête blonde par la portière, et donna des ordres à sa femme de chambre.

Cette dernière, jolie fille de vingt à vingt-deux ans, alerte et vive, véritable soubrette de grande dame, sauta en bas du marchepied, sur lequel elle était assise selon l’usage du temps, et se dirigea vers la terrasse où d’Artagnan avait aperçu Lubin.

D’Artagnan suivit la soubrette des yeux, et la vit s’acheminer vers la terrasse. Mais, par hasard, un ordre de l’intérieur avait appelé Lubin, de sorte que Planchet était resté seul, regardant de tous côtés par quel chemin avait disparu d’Artagnan.

La femme de chambre s’approcha de Planchet, qu’elle prit pour Lubin, et lui tendant un petit billet :

— Pour votre maître, dit-elle.

— Pour mon maître ? reprit Planchet étonné.

— Oui, et très pressé. Prenez donc vite.

Là-dessus elle s’enfuit vers le carrosse, retourné à l’avance du côté par lequel il était venu ; elle s’élança sur le marchepied, et le carrosse repartit.

Planchet tourna et retourna le billet, puis, accoutumé à l’obéissance passive, il sauta à bas de la terrasse, enfila la ruelle et rencontra au bout de vingt pas d’Artagnan qui, ayant tout vu, allait au-devant de lui.

— Pour vous, monsieur, dit Planchet, présentant le billet au jeune homme.

— Pour moi ? dit d’Artagnan ; en es-tu bien sûr ?

— Pardieu ! si j’en suis sûr ; la soubrette a dit : « Pour ton maître. » Je n’ai d’autre maître que vous ; ainsi… Un joli brin de fille, ma foi, que cette soubrette !

D’Artagnan ouvrit la lettre, et lut ces mots :

« Une personne qui s’intéresse à vous plus qu’elle ne peut le dire voudrait savoir quel jour vous serez en état de vous promener dans la forêt. Demain, à l’hôtel du Champ du Drap-d’Or, un laquais noir et rouge attendra votre réponse. »

— Oh ! oh ! se dit d’Artagnan, voilà qui est un peu vif. Il paraît que milady et moi nous sommes en peine de la santé de la même personne. Eh bien, Planchet, comment se porte ce bon M. de Wardes ? il n’est donc pas mort ?

— Non, monsieur, il va aussi bien qu’on peut aller avec quatre coups d’épée dans le corps, car vous lui en avez, sans reproche, allongé quatre, à ce cher gentilhomme, et il est encore bien faible, ayant perdu presque tout son sang. Comme je l’avais dit à monsieur, Lubin ne m’a pas reconnu, et m’a raconté d’un bout à l’autre notre aventure.

— Fort bien, Planchet, tu es le roi des laquais ; maintenant, remonte à cheval et rattrapons le carrosse.

Ce ne fut pas long ; au bout de cinq minutes on aperçut le carrosse arrêté sur le revers de la route, un cavalier richement vêtu se tenait à la portière.

La conversation entre milady et le cavalier était tellement animée, que d’Artagnan s’arrêta de l’autre côté du carrosse sans que personne autre que la jolie soubrette s’aperçût de sa présence.

La conversation avait lieu en anglais, langue que d’Artagnan ne comprenait pas ; mais, à l’accent, le jeune homme crut deviner que la belle Anglaise était fort en colère ; elle termina par un geste qui ne lui laissa point de doute sur la nature de cette conversation : c’était un coup d’éventail appliqué de telle force, que le petit meuble féminin vola en mille morceaux.

Le cavalier poussa un éclat de rire qui parut exaspérer milady.

D’Artagnan pensa que c’était le moment d’intervenir ; il s’approcha de l’autre portière, et se découvrant respectueusement :

— Madame, dit-il, me permettez-vous de vous offrir mes services ? Il me semble que ce cavalier vous a mise en colère. Dites un mot, madame, et je me charge de le punir de son manque de courtoisie.

Aux premières paroles, milady s’était retournée, regardant le jeune homme avec étonnement, et lorsqu’il eut fini :

— Monsieur, dit-elle en très bon français, ce serait de grand cœur que je me mettrais sous votre protection si la personne qui me querelle n’était point mon frère.

— Ah ! excusez-moi, alors, dit d’Artagnan ; vous comprenez que j’ignorais cela, madame.

— De quoi donc se mêle cet étourneau, s’écria en s’abaissant à la hauteur de la portière le cavalier que milady avait désigné comme son parent, et pourquoi ne passe-t-il pas son chemin ?

— Étourneau vous-même, dit d’Artagnan en se baissant à son tour sur le cou de son cheval, et en répondant de son côté par la portière ; je ne passe pas mon chemin parce qu’il me plaît de m’arrêter ici.

Le cavalier adressa quelques mots en anglais à sa sœur.

— Je vous parle français, moi, dit d’Artagnan ; faites-moi donc, je vous prie, le plaisir de me répondre dans la même langue. Vous êtes le frère de madame, soit, mais vous n’êtes pas le mien, heureusement.

On eût pu croire que milady, craintive comme l’est ordinairement une femme, allait s’interposer dans ce commencement de provocation, afin d’empêcher que la querelle n’allât plus loin ; mais, tout au contraire, elle se rejeta au fond de son carrosse, et cria froidement au cocher :

— Touche à l’hôtel !

La jolie soubrette jeta un regard d’inquiétude sur d’Artagnan, dont la bonne mine paraissait avoir produit son effet sur elle.

Le carrosse partit et laissa les deux hommes en face l’un de l’autre, aucun obstacle matériel ne les séparant plus.

Le cavalier fit un mouvement pour suivre la voiture ; mais d’Artagnan, dont la colère déjà bouillante s’était encore augmentée en reconnaissant en lui l’Anglais qui, à Amiens, lui avait gagné son cheval et avait failli gagner à Athos son diamant, sauta à la bride et l’arrêta.

— Eh ! Monsieur, dit-il, vous me semblez encore plus étourneau que moi, car vous me faites l’effet d’oublier qu’il y a entre nous une petite querelle engagée.

— Ah ! ah ! dit l’Anglais, c’est vous, mon maître. Il faut donc toujours que vous jouiez un jeu ou un autre ?

— Oui, et cela me rappelle que j’ai une revanche à prendre. Nous verrons, mon cher monsieur, si vous maniez aussi adroitement la rapière que le cornet.

— Vous voyez bien que je n’ai pas d’épée, dit l’Anglais ; voulez-vous faire le brave contre un homme sans armes ?

— J’espère bien que vous en avez chez vous, répondit d’Artagnan. En tout cas, j’en ai deux, et si vous le voulez, je vous en jouerai une.

— Inutile, dit l’Anglais, je suis muni suffisamment de ces sortes d’ustensiles.

— Eh bien, mon digne gentilhomme, reprit d’Artagnan choisissez la plus longue et venez me la montrer ce soir.

— Où cela, s’il vous plaît ?

— Derrière le Luxembourg, c’est un charmant quartier pour les promenades dans le genre de celle que je vous propose.

— C’est bien, on y sera.

— Votre heure ?

— Six heures.

— À propos, vous avez aussi probablement un ou deux amis ?

— Mais j’en ai trois qui seront fort honorés de jouer la même partie que moi.

— Trois ? à merveille ! comme cela se rencontre ! dit d’Artagnan, c’est juste mon compte.

— Maintenant, qui êtes-vous ? demanda l’Anglais.

— Je suis M. d’Artagnan, gentilhomme gascon, servant aux gardes, compagnie de M. des Essarts. Et vous ?

— Moi, je suis Lord de Winter, baron de Sheffield.

— Eh bien ! je suis votre serviteur, monsieur le baron, dit d’Artagnan, quoique vous ayez des noms bien difficiles à retenir.

Et piquant son cheval, il le mit au galop, et reprit le chemin de Paris.

Comme il avait l’habitude de le faire en pareille occasion, d’Artagnan descendit droit chez Athos.

Il trouva Athos couché sur un grand canapé, où il attendait, comme il l’avait dit, que son équipement le vînt trouver.

Il raconta à Athos tout ce qui venait de se passer, moins la lettre de M. de Wardes.

Athos fut enchanté lorsqu’il sut qu’il allait se battre contre un Anglais. Nous avons dit que c’était son rêve.

On envoya chercher à l’instant même Porthos et Aramis par les laquais, et on les mit au courant de la situation.

Porthos tira son épée hors du fourreau et se mit à espadonner contre le mur en se reculant de temps en temps et en faisant des pliés comme un danseur. Aramis, qui travaillait toujours à son poème, s’enferma dans le cabinet d’Athos et pria qu’on ne le dérangeât plus qu’au moment de dégainer.

Athos demanda par signe à Grimaud une bouteille.

Quant à d’Artagnan, il arrangea en lui-même un petit plan dont nous verrons plus tard l’exécution, et qui lui promettait quelque gracieuse aventure, comme on pouvait le voir aux sourires qui, de temps en temps, passaient sur son visage dont ils éclairaient la rêverie.

ANGLAIS ET FRANÇAIS

L’heure venue, on se rendit avec les quatre laquais, derrière le Luxembourg, dans un enclos abandonné aux chèvres. Athos donna une pièce de monnaie au chevrier pour qu’il s’écartât. Les laquais furent chargés de faire sentinelle.

Bientôt une troupe silencieuse s’approcha du même enclos, y pénétra et joignit les mousquetaires ; puis, selon les habitudes d’outre-mer, les présentations eurent lieu.

Les Anglais étaient tous gens de la plus haute qualité, les noms bizarres de leurs adversaires furent donc pour eux un sujet non seulement de surprise, mais encore d’inquiétude.

— Mais, avec tout cela, dit Lord de Winter quand les trois amis eurent été nommés, nous ne savons pas qui vous êtes, et nous ne nous battrons pas avec des noms pareils ; ce sont des noms de bergers, cela.

— Aussi, comme vous le supposez bien, Milord, ce sont de faux noms, dit Athos.

— Ce qui ne nous donne qu’un plus grand désir de connaître les noms véritables, répondit l’Anglais.

— Vous avez bien joué contre nous sans les connaître, dit Athos, à telles enseignes que vous nous avez gagné nos deux chevaux ?

— C’est vrai, mais nous ne risquions que nos pistoles ; cette fois nous risquons notre sang : on joue avec tout le monde, on ne se bat qu’avec ses égaux.

— C’est juste, dit Athos.

Et il prit à l’écart celui des quatre Anglais avec lequel il devait se battre, et lui dit son nom tout bas.

Porthos et Aramis en firent autant de leur côté.

— Cela vous suffit-il, dit Athos à son adversaire, et me trouvez-vous assez grand seigneur pour me faire la grâce de croiser l’épée avec moi ?

— Oui, monsieur, dit l’Anglais en s’inclinant.

— Eh bien, maintenant, voulez-vous que je vous dise une chose ? reprit froidement Athos.

— Laquelle ? demanda l’Anglais.

— C’est que vous auriez aussi bien fait de ne pas exiger que je me fisse connaître.

— Pourquoi cela ?

— Parce qu’on me croit mort, que j’ai des raisons pour désirer qu’on ne sache pas que je vis, et que je vais être obligé de vous tuer, pour que mon secret ne coure pas les champs.

L’Anglais regarda Athos, croyant que celui-ci plaisantait ; mais Athos ne plaisantait pas le moins du monde.

— Messieurs, dit-il en s’adressant à la fois à ses compagnons et à leurs adversaires, y sommes-nous ?

— Oui, répondirent tout d’une voix Anglais et Français.

— Alors, en garde, dit Athos.

Et aussitôt huit épées brillèrent aux rayons du soleil couchant, et le combat commença avec un acharnement bien naturel entre gens deux fois ennemis.

Athos s’escrimait avec autant de calme et de méthode que s’il eût été dans une salle d’armes.

Porthos, corrigé sans doute de sa trop grande confiance par son aventure de Chantilly, jouait un jeu plein de finesse et de prudence.

Aramis, qui avait le troisième chant de son poème à finir, se dépêchait en homme très pressé.

Athos, le premier, tua son adversaire : il ne lui avait porté qu’un coup, mais, comme il l’en avait prévenu, le coup avait été mortel. L’épée lui traversa le cœur.

Porthos, le second, étendit le sien sur l’herbe : il lui avait percé la cuisse. Alors, comme l’Anglais, sans faire plus longue résistance, lui avait rendu son épée, Porthos le prit dans ses bras et le porta dans son carrosse.

Aramis poussa le sien si vigoureusement, qu’après avoir rompu une cinquantaine de pas, il finit par prendre la fuite à toutes jambes et disparut aux huées des laquais.

Quant à d’Artagnan, il avait joué purement et simplement un jeu défensif ; puis, lorsqu’il avait vu son adversaire bien fatigué, il lui avait, d’une vigoureuse flanconade, fait sauter son épée. Le baron, se voyant désarmé, fit deux ou trois pas en arrière ; mais, dans ce mouvement, son pied glissa, et il tomba à la renverse.

D’Artagnan fut sur lui d’un seul bond, et lui portant l’épée à la gorge :

— Je pourrais vous tuer, monsieur, dit-il à l’Anglais, et vous êtes bien entre mes mains, mais je vous donne la vie pour l’amour de votre sœur.

D’Artagnan était au comble de la joie ; il venait de réaliser le plan qu’il avait arrêté d’avance, et dont le développement avait fait éclore sur son visage les sourires dont nous avons parlé.

L’Anglais, enchanté d’avoir affaire à un gentilhomme d’aussi bonne composition, serra d’Artagnan entre ses bras, fit mille caresses aux trois mousquetaires, et, comme l’adversaire de Porthos était déjà installé dans la voiture et que celui d’Aramis avait pris la poudre d’escampette, on ne songea plus qu’au défunt.

Comme Porthos et Aramis le déshabillaient dans l’espérance que sa blessure n’était pas mortelle, une grosse bourse s’échappa de sa ceinture. D’Artagnan la ramassa et la tendit à lord de Winter.

— Et que diable voulez-vous que je fasse de cela ? dit l’Anglais.

— Vous la rendrez à sa famille, dit d’Artagnan.

— Sa famille se soucie bien de cette misère : elle hérite de quinze mille louis de rente : gardez cette bourse pour vos laquais.

D’Artagnan mit la bourse dans sa poche.

— Et maintenant. mon jeune ami, car vous me permettrez, je l’espère, de vous donner ce nom, dit lord de Winter, dès ce soir, si vous le voulez bien, je vous présenterai à ma sœur, lady Clarick ; car je veux qu’elle vous prenne à son tour dans ses bonnes grâces, et, comme elle n’est point tout à fait mal en cour, peut-être dans l’avenir un mot dit par elle ne vous serait-il point inutile.

D’Artagnan rougit de plaisir, et s’inclina en signe d’assentiment.

Pendant ce temps, Athos s’était approché de d’Artagnan.

— Que voulez-vous faire de cette bourse ? lui dit-il tout bas à l’oreille.

— Mais je comptais vous la remettre, mon cher Athos.

— À moi ? et pourquoi cela ?

— Dame, vous l’avez tué : ce sont les dépouilles opimes.

— Moi, héritier d’un ennemi ! dit Athos, pour qui donc me prenez-vous ?

— C’est l’habitude à la guerre, dit d’Artagnan ; pourquoi ne serait-ce pas l’habitude dans un duel ?

— Même sur le champ de bataille, dit Athos, je n’ai jamais fait cela.

Porthos leva les épaules. Aramis, d’un mouvement de lèvres, approuva Athos.

— Alors, dit d’Artagnan, donnons cet argent aux laquais, comme lord de Winter nous a dit de le faire.

— Oui, dit Athos, donnons cette bourse, non à nos laquais, mais aux laquais anglais.

Athos prit la bourse, et la jeta dans la main du cocher :

— Pour vous et vos camarades.

Cette grandeur de manières dans un homme entièrement dénué frappa Porthos lui-même, et cette générosité française, redite par lord de Winter et son ami, eut partout un grand succès, excepté auprès de MM. Grimaud, Mousqueton, Planchet et Bazin.

Lord de Winter, en quittant d’Artagnan, lui donna l’adresse de sa sœur ; elle demeurait place Royale, qui était alors le quartier à la mode, au n° 6. D’ailleurs, il s’engageait à le venir prendre pour le présenter. D’Artagnan lui donna rendez-vous à huit heures chez Athos.

Cette présentation à milady occupait fort la tête de notre Gascon. Il se rappelait de quelle façon étrange cette femme avait été mêlée jusque-là dans sa destinée. Selon sa conviction, c’était quelque créature du cardinal, et cependant il se sentait invinciblement entraîné vers elle, par un de ces sentiments dont on ne se rend pas compte. Sa seule crainte était que milady ne reconnût en lui l’homme de Meung et de Douvres. Alors, elle saurait qu’il était des amis de M. de Tréville, et par conséquent qu’il appartenait corps et âme au roi, ce qui, dès lors, lui ferait perdre une partie de ses avantages, puisque, connu de milady comme il la connaissait, il jouerait avec elle à jeu égal. Quant à ce commencement d’intrigue entre elle et le comte de Wardes, notre présomptueux ne s’en préoccupait que médiocrement, bien que le marquis fût jeune, beau, riche et fort avant dans la faveur du cardinal. Ce n’est pas pour rien que l’on a vingt ans, et surtout que l’on est né à Tarbes.

D’Artagnan commença par aller faire chez lui une toilette flamboyante ; puis, il s’en revint chez Athos, et, selon son habitude, lui raconta tout. Athos écouta ses projets ; puis il secoua la tête, et lui recommanda la prudence avec une sorte d’amertume.

— Quoi ! lui dit-il, vous venez de perdre une femme que vous disiez bonne, charmante, parfaite, et voilà que vous courez déjà après une autre !

D’Artagnan sentit la vérité de ce reproche.

— J’aimais madame Bonacieux avec le cœur, tandis que j’aime milady avec la tête, dit-il ; en me faisant conduire chez elle, je cherche surtout à m’éclairer sur le rôle qu’elle joue à la cour.

— Le rôle qu’elle joue, pardieu ! il n’est pas difficile à deviner d’après tout ce que vous m’avez dit. C’est quelque émissaire du cardinal : une femme qui vous attirera dans un piège, où vous laisserez votre tête tout bonnement.

— Diable ! mon cher Athos, vous voyez les choses bien en noir, ce me semble.

— Mon cher, je me défie des femmes — que voulez-vous ! je suis payé pour cela, et surtout des femmes blondes. Milady est blonde, m’avez-vous dit ?

— Elle a les cheveux du plus beau blond qui se puisse voir.

— Ah ! mon pauvre d’Artagnan, fit Athos.

— Écoutez, je veux m’éclairer ; puis, quand je saurai ce que je désire savoir, je m’éloignerai.

— Éclairez-vous, dit flegmatiquement Athos.

Lord de Winter arriva à l’heure dite, mais Athos, prévenu à temps, passa dans la seconde pièce. Il trouva donc d’Artagnan seul, et, comme il était près de huit heures, il emmena le jeune homme.

Un élégant carrosse attendait en bas, et comme il était attelé de deux excellents chevaux, en un instant on fut place Royale.

Milady Clarick reçut gracieusement d’Artagnan. Son hôtel était d’une somptuosité remarquable ; et, bien que la plupart des Anglais, chassés par la guerre, quittassent la France, ou fussent sur le point de la quitter, milady venait de faire faire chez elle de nouvelles dépenses : ce qui prouvait que la mesure générale qui renvoyait les Anglais ne la regardait pas.

— Vous voyez, dit lord de Winter en présentant d’Artagnan à sa sœur, un jeune gentilhomme qui a tenu ma vie entre ses mains, et qui n’a point voulu abuser de ses avantages, quoique nous fussions deux fois ennemis, puisque c’est moi qui l’ai insulté, et que je suis anglais. Remerciez-le donc, madame, si vous avez quelque amitié pour moi.

Milady fronça légèrement le sourcil ; un nuage à peine visible passa sur son front, et un sourire tellement étrange apparut sur ses lèvres, que le jeune homme, qui vit cette triple nuance, en eut comme un frisson.

Le frère ne vit rien ; il s’était retourné pour jouer avec le singe favori de milady, qui l’avait tiré par son pourpoint.

— Soyez le bienvenu, monsieur, dit milady d’une voix dont la douceur singulière contrastait avec les symptômes de mauvaise humeur que venait de remarquer d’Artagnan, vous avez acquis aujourd’hui des droits éternels à ma reconnaissance.

L’Anglais alors se retourna et raconta le combat sans omettre un détail. Milady l’écouta avec la plus grande attention ; cependant on voyait facilement, quelque effort qu’elle fît pour cacher ses impressions, que ce récit ne lui était point agréable. Le sang lui montait à la tête, et son petit pied s’agitait impatiemment sous sa robe.

Lord de Winter ne s’aperçut de rien. Puis, lorsqu’il eut fini, il s’approcha d’une table où étaient servis sur un plateau une bouteille de vin d’Espagne et des verres. Il emplit deux verres et d’un signe invita d’Artagnan à boire.

D’Artagnan savait que c’était fort désobliger un Anglais que de refuser de toaster avec lui. Il s’approcha donc de la table, et prit le second verre. Cependant il n’avait point perdu de vue milady, et dans la glace il s’aperçut du changement qui venait de s’opérer sur son visage. Maintenant qu’elle croyait n’être plus regardée, un sentiment qui ressemblait à de la férocité animait sa physionomie. Elle mordait son mouchoir à belles dents.

Cette jolie petite soubrette, que d’Artagnan avait déjà remarquée, entra alors ; elle dit en anglais quelques mots à lord de Winter, qui demanda aussitôt à d’Artagnan la permission de se retirer, s’excusant sur l’urgence de l’affaire qui l’appelait, et chargeant sa sœur d’obtenir son pardon.

D’Artagnan échangea une poignée de main avec lord de Winter et revint près de milady. Le visage de cette femme, avec une mobilité surprenante, avait repris son expression gracieuse, seulement quelques petites taches rouges disséminées sur son mouchoir indiquaient qu’elle s’était mordu les lèvres jusqu’au sang.

Ses lèvres étaient magnifiques, on eût dit du corail.

La conversation prit une tournure enjouée. Milady paraissait s’être entièrement remise. Elle raconta que lord de Winter n’était que son beau-frère et non son frère : elle avait épousé un cadet de famille qui l’avait laissée veuve avec un enfant. Cet enfant était le seul héritier de lord de Winter, si lord de Winter ne se mariait point. Tout cela laissait voir à d’Artagnan un voile qui enveloppait quelque chose, mais il ne distinguait pas encore sous ce voile.

Au reste, au bout d’une demi-heure de conversation, d’Artagnan était convaincu que milady était sa compatriote : elle parlait le français avec une pureté et une élégance qui ne laissaient aucun doute à cet égard.

D’Artagnan se répandit en propos galants et en protestations de dévouement. À toutes les fadaises qui échappèrent à notre Gascon, milady sourit avec bienveillance. L’heure de se retirer arriva. D’Artagnan prit congé de milady et sortit du salon le plus heureux des hommes.

Sur l’escalier il rencontra la jolie soubrette, laquelle le frôla doucement en passant, et, tout en rougissant jusqu’aux yeux, lui demanda pardon de l’avoir touché, d’une voix si douce, que le pardon lui fut accordé à l’instant même.

D’Artagnan revint le lendemain et fut reçu encore mieux que la veille. Lord de Winter n’y était point, et ce fut milady qui lui fit cette fois tous les honneurs de la soirée. Elle parut prendre un grand intérêt à lui, lui demanda d’où il était, quels étaient ses amis, et s’il n’avait pas pensé quelquefois à s’attacher au service de M. le cardinal.

D’Artagnan, qui, comme on le sait, était fort prudent pour un garçon de vingt ans, se souvint alors de ses soupçons sur milady ; il lui fit un grand éloge de Son Éminence, lui dit qu’il n’eût point manqué d’entrer dans les gardes du cardinal au lieu d’entrer dans les gardes du roi, s’il eût connu par exemple M. de Cavois au lieu de connaître M. de Tréville.

Milady changea de conversation sans affectation aucune, et demanda à d’Artagnan de la façon la plus négligée du monde s’il n’avait jamais été en Angleterre.

D’Artagnan répondit qu’il y avait été envoyé par M. de Tréville pour traiter d’une remonte de chevaux et qu’il en avait même ramené quatre comme échantillon.

Milady, dans le cours de la conversation, se pinça deux ou trois fois les lèvres : elle avait affaire a un Gascon qui jouait serré.

À la même heure que la veille d’Artagnan se retira. Dans le corridor il rencontra encore la jolie Ketty ; c’était le nom de la soubrette. Celle-ci le regarda avec une expression de mystérieuse bienveillance à laquelle il n’y avait point à se tromper. Mais d’Artagnan était si préoccupé de la maîtresse, qu’il ne remarquait absolument que ce qui venait d’elle.

D’Artagnan revint chez milady le lendemain et le surlendemain, et chaque fois milady lui fit un accueil plus gracieux.

Chaque fois aussi, soit dans l’antichambre, soit dans le corridor, soit sur l’escalier, il rencontrait la jolie soubrette.

Mais, comme nous l’avons dit, d’Artagnan ne faisait aucune attention à cette persistance de la pauvre Ketty.

UN DÎNER DE PROCUREUR

Cependant le duel dans lequel Porthos avait joué un rôle si brillant ne lui avait pas fait oublier le dîner auquel l’avait invité la femme du procureur. Le lendemain, vers une heure, il se fit donner le dernier coup de brosse par Mousqueton, et s’achemina vers la rue aux Ours, du pas d’un homme qui est en double bonne fortune.

Son cœur battait, mais ce n’était pas, comme celui de d’Artagnan, d’un jeune et impatient amour. Non, un intérêt plus matériel lui fouettait le sang, il allait enfin franchir ce seuil mystérieux, gravir cet escalier inconnu qu’avaient monté, un à un, les vieux écus de maître Coquenard.

Il allait voir en réalité certain bahut dont vingt fois il avait vu l’image dans ses rêves ; bahut de forme longue et profonde, cadenassé, verrouillé, scellé au sol ; bahut dont il avait si souvent entendu parler, et que les mains un peu sèches, il est vrai, mais non pas sans élégance de la procureuse, allaient ouvrir à ses regards admirateurs.

Et puis lui, l’homme errant sur la terre, l’homme sans fortune, l’homme sans famille, le soldat habitué aux auberges, aux cabarets, aux tavernes, aux posadas, le gourmet forcé pour la plupart du temps de s’en tenir aux lippées de rencontre, il allait tâter des repas de ménage, savourer un intérieur confortable, et se laisser faire à ces petits soins, qui, plus on est dur, plus ils plaisent, comme disent les vieux soudards.

Venir en qualité de cousin s’asseoir tous les jours à une bonne table, dérider le front jaune et plissé du vieux procureur, plumer quelque peu les jeunes clercs en leur apprenant la bassette, le passe-dix et le lansquenet dans leurs plus fines pratiques, et en leur gagnant par manière d’honoraires, pour la leçon qu’il leur donnerait en une heure, leurs économies d’un mois, tout cela souriait énormément à Porthos.

Le mousquetaire se retraçait bien, de-ci, de-là, les mauvais propos qui couraient dès ce temps-là sur les procureurs et qui leur ont survécu : la lésine, la rognure, les jours de jeûne ; mais comme, après tout, sauf quelques accès d’économie que Porthos avait toujours trouvés fort intempestifs, il avait vu la procureuse assez libérale, pour une procureuse, bien entendu, il espéra rencontrer une maison montée sur un pied flatteur.

Cependant, à la porte, le mousquetaire eut quelques doutes, l’abord n’était point fait pour engager les gens : allée puante et noire, escalier mal éclairé par des barreaux au travers desquels filtrait le jour gris d’une cour voisine ; au premier une porte basse et ferrée d’énorme clous comme la porte principale du Grand-Châtelet. Porthos heurta du doigt ; un grand clerc pâle et enfoui sous une forêt de cheveux vierges vint ouvrir et salua de l’air d’un homme forcé de respecter à la fois dans un autre la haute taille qui indique la force, l’habit militaire qui indique l’état, et la mine vermeille qui indique l’habitude de bien vivre.

Autre clerc plus petit derrière le premier, autre clerc plus grand derrière le second, saute-ruisseau de douze ans derrière le troisième.

En tout, trois clercs et demi ; ce qui, pour le temps, annonçait une étude des plus achalandées.

Quoique le mousquetaire ne dût arriver qu’à une heure, depuis midi la procureuse avait l’œil au guet et comptait sur le cœur et peut-être aussi sur l’estomac de son adorateur pour lui faire devancer l’heure.

Madame Coquenard arriva donc par la porte de l’appartement, presque en même temps que son convive arrivait par la porte de l’escalier, et l’apparition de la digne dame le tira d’un grand embarras. Les clercs avaient l’œil curieux, et lui, ne sachant trop que dire à cette gamme ascendante et descendante, demeurait la langue muette.

— C’est mon cousin, s’écria la procureuse ; entrez donc, entrez donc, monsieur Porthos.

Le nom de Porthos fit son effet sur les clercs, qui se mirent à rire ; mais Porthos se retourna, et tous les visages rentrèrent dans leur gravité.

On arriva dans le cabinet du procureur après avoir traversé l’antichambre où étaient les clercs, et l’étude où ils auraient dû être : cette dernière chambre était une sorte de salle noire et meublée de paperasses. En sortant de l’étude on laissa la cuisine à droite, et l’on entra dans la salle de réception.

Toutes ces pièces qui se commandaient n’inspirèrent point à Porthos de bonnes idées. Les paroles devaient s’entendre de loin par toutes ces portes ouvertes ; puis, en passant, il avait jeté un regard rapide et investigateur sur la cuisine, et il s’avouait à lui-même, à la honte de la procureuse et à son grand regret, à lui, qu’il n’y avait pas vu ce feu, cette animation, ce mouvement qui, au moment d’un bon repas, règnent ordinairement dans ce sanctuaire de la gourmandise.

Le procureur avait sans doute été prévenu de cette visite, car il ne témoigna aucune surprise à la vue de Porthos, qui s’avança jusqu’à lui d’un air assez dégagé et le salua courtoisement.

— Nous sommes cousins, à ce qu’il paraît, monsieur Porthos ? dit le procureur en se soulevant à la force des bras sur son fauteuil de canne.

Le vieillard, enveloppé dans un grand pourpoint noir où se perdait son corps fluet, était vert et sec ; ses petits yeux gris brillaient comme des escarboucles, et semblaient, avec sa bouche grimaçante, la seule partie de son visage où la vie fût demeurée. Malheureusement les jambes commençaient à refuser le service à toute cette machine osseuse ; depuis cinq ou six mois que cet affaiblissement s’était fait sentir, le digne procureur était à peu près devenu l’esclave de sa femme.

Le cousin fut accepté avec résignation, voilà tout. Maître Coquenard ingambe eût décliné toute parenté avec M. Porthos.

— Oui, monsieur, nous sommes cousins, dit sans se déconcerter Porthos, qui, d’ailleurs, n’avait jamais compté être reçu par le mari avec enthousiasme.

— Par les femmes, je crois ? dit malicieusement le procureur.

Porthos ne sentit point cette raillerie et la prit pour une naïveté dont il rit dans sa grosse moustache. Madame Coquenard, qui savait que le procureur naïf était une variété fort rare dans l’espèce, sourit un peu et rougit beaucoup.

Maître Coquenard avait, dès l’arrivée de Porthos, jeté les yeux avec inquiétude sur une grande armoire placée en face de son bureau de chêne. Porthos comprit que cette armoire, quoiqu’elle ne répondît point par la forme à celle qu’il avait vue dans ses songes, devait être le bienheureux bahut, et il s’applaudit de ce que la réalité avait six pieds de plus en hauteur que le rêve.

Maître Coquenard ne poussa pas plus loin ses investigations généalogiques, mais en ramenant son regard inquiet de l’armoire sur Porthos, il se contenta de dire :

— Monsieur notre cousin, avant son départ pour la campagne, nous fera bien la grâce de dîner une fois avec nous, n’est-ce pas, madame Coquenard ?

Cette fois, Porthos reçut le coup en plein estomac et le sentit ; il paraît que de son côté madame Coquenard non plus n’y fut pas insensible, car elle ajouta :

— Mon cousin ne reviendra pas s’il trouve que nous le traitons mal ; mais, dans le cas contraire, il a trop peu de temps à passer à Paris, et par conséquent à nous voir, pour que nous ne lui demandions pas presque tous les instants dont il peut disposer jusqu’à son départ.

— Oh ! mes jambes, mes pauvres jambes ! où êtes-vous ? murmura Coquenard. Et il essaya de sourire.

Ce secours qui était arrivé à Porthos au moment où il était attaqué dans ses espérances gastronomiques inspira au mousquetaire beaucoup de reconnaissance pour sa procureuse.

Bientôt l’heure du dîner arriva. On passa dans la salle à manger, grande pièce noire qui était située en face de la cuisine.

Les clercs, qui, à ce qu’il paraît, avaient senti dans la maison des parfums inaccoutumés, étaient d’une exactitude militaire, et tenaient en main leurs tabourets, tout prêts qu’ils étaient à s’asseoir. On les voyait d’avance remuer les mâchoires avec des dispositions effrayantes.

— Tudieu ! pensa Porthos en jetant un regard sur les trois affamés, car le saute-ruisseau n’était pas, comme on le pense bien, admis aux honneurs de la table magistrale ; tudieu ! à la place de mon cousin, je ne garderais pas de pareils gourmands. On dirait des naufragés qui n’ont pas mangé depuis six semaines.

Maître Coquenard entra, poussé sur son fauteuil à roulettes par madame Coquenard, à qui Porthos, à son tour, vint en aide pour rouler son mari jusqu’à la table.

À peine entré, il remua le nez et les mâchoires à l’exemple de ses clercs.

— Oh ! oh ! dit-il, voici un potage qui est engageant !

— Que diable sentent-ils donc d’extraordinaire dans ce potage ? dit Porthos à l’aspect d’un bouillon pâle, abondant, mais parfaitement aveugle, et sur lequel quelques croûtes nageaient rares comme les îles d’un archipel.

Madame Coquenard sourit, et, sur un signe d’elle, tout le monde s’assit avec empressement.

Maître Coquenard fut le premier servi, puis Porthos ; ensuite madame Coquenard emplit son assiette, et distribua les croûtes sans bouillon aux clercs impatients.

En ce moment la porte de la salle à manger s’ouvrit d’elle-même en criant, et Porthos, à travers les battants entrebâillés, aperçut le petit clerc, qui, ne pouvant prendre part au festin, mangeait son pain à la double odeur de la cuisine et de la salle à manger.

Après le potage, la servante apporta une poule bouillie ; magnificence qui fit dilater les paupières des convives, de telle façon qu’elles semblaient prêtes à se fendre.

— On voit que vous aimez votre famille, madame Coquenard, dit le procureur avec un sourire presque tragique ; voilà certes une galanterie que vous faites à votre cousin.

La pauvre poule était maigre et revêtue d’une de ces grosses peaux hérissées que les os ne percent jamais malgré leurs efforts ; il fallait qu’on l’eût cherchée bien longtemps avant de la trouver sur le perchoir où elle s’était retirée pour mourir de vieillesse.

— Diable ! pensa Porthos, voilà qui est fort triste ; je respecte la vieillesse, mais j’en fais peu de cas bouillie ou rôtie.

Et il regarda à la ronde pour voir si son opinion était partagée ; mais tout au contraire de lui, il ne vit que des yeux flamboyants, qui dévoraient d’avance cette sublime poule, objet de ses mépris.

Madame Coquenard tira le plat à elle, détacha adroitement les deux grandes pattes noires, qu’elle plaça sur l’assiette de son mari ; trancha le cou, qu’elle mit avec la tête à part pour elle-même ; leva l’aile pour Porthos, et remit à la servante, qui venait de l’apporter, l’animal qui s’en retourna presque intact, et qui avait disparu avant que le mousquetaire eût eu le temps d’examiner les variations que le désappointement amène sur les visages, selon les caractères et les tempéraments de ceux qui l’éprouvent.

Au lieu de poulet, un plat de fèves fit son entrée, plat énorme, dans lequel quelques os de mouton, qu’on eût pu, au premier abord, croire accompagnés de viande, faisaient semblant de se montrer.

Mais les clercs ne furent pas dupes de cette supercherie, et les mines lugubres devinrent des visages résignés.

Madame Coquenard distribua ce mets aux jeunes gens avec la modération d’une sage ménagère.

Le tour du vin était venu. Maître Coquenard versa d’une bouteille de grès fort exiguë le tiers d’un verre à chacun des jeunes gens, s’en versa à lui-même dans des proportions à peu près égales, et la bouteille passa aussitôt du côté de Porthos et de madame Coquenard.

Les jeunes gens remplissaient d’eau ce tiers de vin, puis, lorsqu’ils avaient bu la moitié du verre, ils le remplissaient encore, et ils faisaient toujours ainsi ; ce qui les amenait à la fin du repas à avaler une boisson qui de la couleur du rubis était passée à celle de la topaze brûlée.

Porthos mangea timidement son aile de poule, et frémit lorsqu’il sentit sous la table le genou de la procureuse qui venait trouver le sien. Il but aussi un demi-verre de ce vin fort ménagé, et qu’il reconnut pour cet horrible cru de Montreuil, la terreur des palais exercés.

Maître Coquenard le regarda engloutir ce vin pur et soupira.

— Mangerez-vous bien de ces fèves, mon cousin Porthos ? dit madame Coquenard de ce ton qui veut dire : Croyez-moi, n’en mangez pas.

— Du diable si j’en goûte ! murmura tout bas Porthos…

Puis tout haut :

— Merci, ma cousine, dit-il, je n’ai plus faim.

Il se fit un silence : Porthos ne savait quelle contenance tenir. Le procureur répéta plusieurs fois :

— Ah ! madame Coquenard ! je vous en fais mon compliment, votre dîner était un véritable festin ; Dieu ! ai-je mangé !

Maître Coquenard avait mangé son potage, les pattes noires de la poule et le seul os de mouton où il y eût un peu de viande.

Porthos crut qu’on le mystifiait, et commença à relever sa moustache et à froncer le sourcil ; mais le genou de madame Coquenard vint tout doucement lui conseiller la patience.

Ce silence et cette interruption de service, qui étaient restés inintelligibles pour Porthos, avaient au contraire une signification terrible pour les clercs : sur un regard du procureur, accompagné d’un sourire de madame Coquenard, ils se levèrent lentement de table, plièrent leurs serviettes plus lentement encore, puis ils saluèrent et partirent.

— Allez, jeunes gens, allez faire la digestion en travaillant, dit gravement le procureur.

Les clercs partis, madame Coquenard se leva et tira d’un buffet un morceau de fromage, des confitures de coings et un gâteau qu’elle avait fait elle-même avec des amandes et du miel.

Maître Coquenard fronça le sourcil, parce qu’il voyait trop de mets ; Porthos se pinça les lèvres, parce qu’il voyait qu’il n’y avait pas de quoi dîner.

Il regarda si le plat de fèves était encore là, le plat de fèves avait disparu.

— Festin décidément, s’écria maître Coquenard en s’agitant sur sa chaise, véritable festin, epulæ epularum ; Lucullus dîne chez Lucullus.

Porthos regarda la bouteille qui était près de lui, et il espéra qu’avec du vin, du pain et du fromage il dînerait ; mais le vin manquait, la bouteille était vide ; M. et madame Coquenard n’eurent point l’air de s’en apercevoir.

— C’est bien, se dit Porthos à lui-même, me voilà prévenu.

Il passa la langue sur une petite cuillerée de confitures, et s’englua les dents dans la pâte collante de madame Coquenard.

— Maintenant, se dit-il, le sacrifice est consommé. Ah ! si je n’avais pas l’espoir de regarder avec madame Coquenard dans l’armoire de son mari !

Maître Coquenard, après les délices d’un pareil repas, qu’il appelait un excès, éprouva le besoin de faire sa sieste. Porthos espérait que la chose aurait lieu séance tenante et dans la localité même ; mais le procureur maudit ne voulut entendre à rien : il fallut le conduire dans sa chambre et il cria tant qu’il ne fut pas devant son armoire, sur le rebord de laquelle, pour plus de précaution encore, il posa ses pieds.

La procureuse emmena Porthos dans une chambre voisine et l’on commença de poser les bases de la réconciliation.

— Vous pourrez venir dîner trois fois la semaine, dit madame Coquenard.

— Merci, dit Porthos, je n’aime pas à abuser ; d’ailleurs, il faut que je songe à mon équipement.

— C’est vrai, dit la procureuse en gémissant… c’est ce malheureux équipement.

— Hélas ! oui, dit Porthos, c’est lui.

— Mais de quoi donc se compose l’équipement de votre corps, monsieur Porthos ?

— Oh ! de bien des choses, dit Porthos ; les mousquetaires, comme vous savez, sont soldats d’élite, et il leur faut beaucoup d’objets inutiles aux gardes ou aux Suisses.

— Mais encore, détaillez-le-moi.

— Mais cela peut aller à…, dit Porthos, qui aimait mieux discuter le total que le menu.

La procureuse attendait frémissante.

— À combien ? dit-elle, j’espère bien que cela ne passe point…

Elle s’arrêta, la parole lui manquait.

— Oh ! non, dit Porthos, cela ne passe point deux mille cinq cents livres ; je crois même qu’en y mettant de l’économie, avec deux mille livres je m’en tirerai.

— Bon Dieu, deux mille livres ! s’écria-t-elle, mais c’est une fortune.

Porthos fit une grimace des plus significatives, madame Coquenard la comprit.

— Je demandais le détail, dit-elle, parce qu’ayant beaucoup de parents et de pratiques dans le commerce, j’étais presque sûre d’obtenir les choses à cent pour cent au-dessous du prix où vous les payeriez vous-même.

— Ah ! ah ! fit Porthos, si c’est cela que vous avez voulu dire !

— Oui, cher monsieur Porthos ! ainsi ne vous faut-il pas d’abord un cheval ?

— Oui, un cheval.

— Eh bien ! justement j’ai votre affaire.

— Ah ! dit Porthos rayonnant, voilà donc qui va bien quant à mon cheval ; ensuite il me faut le harnachement complet, qui se compose d’objets qu’un mousquetaire seul peut acheter, et qui ne montera pas, d’ailleurs, à plus de trois cents livres.

— Trois cents livres : alors mettons trois cents livres, dit la procureuse avec un soupir.

Porthos sourit : on se souvient qu’il avait la selle qui lui venait de Buckingham, c’était donc trois cents livres qu’il comptait mettre sournoisement dans sa poche.

— Puis, continua-t-il, il y a le cheval de mon laquais et ma valise ; quant aux armes, il est inutile que vous vous en préoccupiez, je les ai.

— Un cheval pour votre laquais ? reprit en hésitant la procureuse ; mais c’est bien grand seigneur, mon ami.

— Eh, madame ! dit fièrement Porthos, est-ce que je suis un croquant, par hasard ?

— Non ; je vous disais seulement qu’un joli mulet avait quelquefois aussi bon air qu’un cheval, et qu’il me semble qu’en vous procurant un joli mulet pour Mousqueton…

— Va pour un joli mulet, dit Porthos ; vous avez raison, j’ai vu de très grands seigneurs espagnols dont toute la suite était à mulets. Mais alors, vous comprenez, madame Coquenard, un mulet avec des panaches et des grelots ?

— Soyez tranquille, dit la procureuse.

— Reste la valise, reprit Porthos.

— Oh ! que cela ne vous inquiète point, s’écria madame Coquenard : mon mari a cinq ou six valises, vous choisirez la meilleure ; il y en a une surtout qu’il affectionnait dans ses voyages, et qui est grande à tenir un monde.

— Elle est donc vide, votre valise ? demanda naïvement Porthos.

— Assurément qu’elle est vide, répondit naïvement de son côté la procureuse.

— Ah ! mais la valise dont j’ai besoin est une valise bien garnie, ma chère.

Madame Coquenard poussa de nouveaux soupirs. Molière n’avait pas encore écrit sa scène de l’Avare. Madame Coquenard a donc le pas sur Harpagon.

Enfin le reste de l’équipement fut successivement débattu de la même manière ; et le résultat de la scène fut que la procureuse demanderait à son mari un prêt de huit cents livres en argent, et fournirait le cheval et le mulet qui auraient l’honneur de porter à la gloire Porthos et Mousqueton.

Ces conditions arrêtées, et les intérêts stipulés ainsi que l’époque du remboursement, Porthos prit congé de madame Coquenard. Celle-ci voulait bien le retenir en lui faisant les yeux doux ; mais Porthos prétexta les exigences du service, et il fallut que la procureuse cédât le pas au roi.

Le mousquetaire rentra chez lui avec une faim, de fort mauvaise humeur.

SOUBRETTE ET MAÎTRESSE

Cependant, comme nous l’avons dit, malgré les cris de sa conscience et les sages conseils d’Athos, d’Artagnan devenait d’heure en heure plus amoureux de milady ; aussi ne manquait-il pas tous les jours d’aller lui faire une cour à laquelle l’aventureux Gascon était convaincu qu’elle ne pouvait, tôt ou tard, manquer de répondre.

Un soir qu’il arrivait le nez au vent, léger comme un homme qui attend une pluie d’or, il rencontra la soubrette sous la porte cochère ; mais cette fois la jolie Ketty ne se contenta point de lui sourire en passant, elle lui prit doucement la main.

— Bon ! fit d’Artagnan, elle est chargée de quelque message pour moi de la part de sa maîtresse ; elle va m’assigner quelque rendez-vous qu’on n’aura pas osé me donner de vive voix.

Et il regarda la belle enfant de l’air le plus vainqueur qu’il put prendre.

— Je voudrais bien vous dire deux mots, monsieur le chevalier… balbutia la soubrette.

— Parle, mon enfant, parle, dit d’Artagnan, j’écoute.

— Ici, impossible : ce que j’ai à vous dire est trop long et surtout trop secret.

— Eh bien, mais comment faire alors ?

— Si monsieur le chevalier voulait me suivre, dit timidement Ketty.

— Où tu voudras, ma belle enfant.

— Alors, venez.

Et Ketty, qui n’avait point lâché la main de d’Artagnan, l’entraîna par un petit escalier sombre et tournant, et, après lui avoir fait monter une quinzaine de marches, ouvrit une porte.

— Entrez, monsieur le chevalier, dit-elle, ici nous serons seuls et nous pourrons causer.

— Et quelle est donc cette chambre, ma belle enfant ? demanda d’Artagnan.

— C’est la mienne, monsieur le chevalier ; elle communique avec celle de ma maîtresse par cette porte. Mais soyez tranquille, elle ne pourra entendre ce que nous dirons, jamais elle ne se couche qu’à minuit.

D’Artagnan jeta un coup d’œil autour de lui. La petite chambre était charmante de goût et de propreté ; mais, malgré lui, ses yeux se fixèrent sur cette porte que Ketty lui avait dit conduire à la chambre de milady.

Ketty devina ce qui se passait dans l’âme du jeune homme et poussa un soupir.

— Vous aimez donc bien ma maîtresse, monsieur le chevalier, dit-elle.

— Oh ! plus que je ne puis dire ! j’en suis fou !

Ketty poussa un second soupir.

— Hélas ! monsieur, dit-elle, c’est bien dommage !

— Et que diable vois-tu donc là de si fâcheux ? demanda d’Artagnan.

— C’est que, monsieur, reprit Ketty, ma maîtresse ne vous aime pas du tout.

— Hein ! fit d’Artagnan, t’aurait-elle chargée de me le dire ?

— Oh ! non pas, monsieur ! mais c’est moi qui, par intérêt pour vous, ai pris la résolution de vous en prévenir.

— Merci, ma bonne Ketty, mais de l’intention seulement, car la confidence, tu en conviendras, n’est point agréable.

— C’est-à-dire que vous ne croyez point à ce que je vous ai dit, n’est-ce pas ?

— On a toujours peine à croire de pareilles choses, ma belle enfant, ne fût-ce que par amour-propre.

— Donc vous ne me croyez pas ?

— J’avoue que jusqu’à ce que tu daignes me donner quelques preuves de ce que tu avances…

— Que dites-vous de celle-ci ?

Et Ketty tira de sa poitrine un petit billet.

— Pour moi ? dit d’Artagnan en s’emparant vivement de la lettre.

— Non, pour un autre.

— Pour un autre ?

— Oui.

— Son nom, son nom ! s’écria d’Artagnan.

— Voyez l’adresse.

— M. le comte de Wardes !

Le souvenir de la scène de Saint-Germain se présenta aussitôt à l’esprit du présomptueux Gascon ; par un mouvement rapide comme la pensée, il déchira l’enveloppe malgré le cri que poussa Ketty en voyant ce qu’il allait faire, ou plutôt ce qu’il faisait.

— Oh ! mon Dieu ! monsieur le chevalier, dit-elle, que faites-vous ?

— Moi, rien ! dit d’Artagnan, et il lut :

« Vous n’avez pas répondu à mon premier billet ; êtes-vous donc souffrant, ou bien auriez-vous oublié quels yeux vous me fîtes au bal de madame de Guise ? Voici l’occasion, comte ! ne la laissez pas échapper.

D’Artagnan pâlit ; il était blessé dans son amour-propre, il se crut blessé dans son amour.

— Pauvre cher monsieur d’Artagnan ! dit Ketty d’une voix pleine de compassion et en serrant de nouveau la main du jeune homme.

— Tu me plains, bonne petite ! dit d’Artagnan.

— Oh ! oui, de tout mon cœur ! car je sais ce que c’est que l’amour, moi !

— Tu sais ce que c’est que l’amour ? dit d’Artagnan la regardant pour la première fois avec une certaine attention.

— Hélas ! oui.

— Eh bien, au lieu de me plaindre, alors, tu ferais bien mieux de m’aider à me venger de ta maîtresse.

— Et quelle sorte de vengeance voudriez-vous en tirer ?

— Je voudrais triompher d’elle, supplanter mon rival.

— Je ne vous aiderai jamais à cela, monsieur le chevalier ! dit vivement Ketty.

— Et pourquoi cela ? demanda d’Artagnan.

— Pour deux raisons.

— Lesquelles ?

— La première, c’est que jamais ma maîtresse ne vous a aimé.

— Qu’en sais-tu ?

— Vous l’avez blessée au cœur.

— Moi ! en quoi puis-je l’avoir blessée, moi qui, depuis que je la connais, vis à ses pieds comme un esclave ! parle, je t’en prie.

— Je n’avouerais jamais cela qu’à l’homme… qui lirait jusqu’au fond de mon âme !

D’Artagnan regarda Ketty pour la seconde fois. La jeune fille était d’une fraîcheur et d’une beauté que bien des duchesses eussent achetées de leur couronne.

— Ketty, dit-il, je lirai jusqu’au fond de ton âme quand tu voudras ; qu’à cela ne tienne, ma chère enfant.

Et il lui donna un baiser sous lequel la pauvre enfant devint rouge comme une cerise.

— Oh ! non, s’écria Ketty, vous ne m’aimez pas ! C’est ma maîtresse que vous aimez, vous me l’avez dit tout à l’heure.

— Et cela t’empêche-t-il de me faire connaître la seconde raison ?

— La seconde raison, monsieur le chevalier, reprit Ketty enhardie par le baiser d’abord et ensuite par l’expression des yeux du jeune homme, c’est qu’en amour chacun pour soi.

Alors seulement d’Artagnan se rappela les coups d’œil languissants de Ketty, ses rencontres dans l’antichambre, sur l’escalier, dans le corridor, ses frôlements de main chaque fois qu’elle le rencontrait, et ses soupirs étouffés ; mais, absorbé par le désir de plaire à la grande dame, il avait dédaigné la soubrette : qui chasse l’aigle ne s’inquiète pas du passereau.

Mais cette fois notre Gascon vit d’un seul coup d’œil tout le parti qu’on pouvait tirer de cet amour que Ketty venait d’avouer d’une façon si naïve ou si effrontée : interception des lettres adressées au comte de Wardes, intelligences dans la place, entrée à toute heure dans la chambre de Ketty, contiguë à celle de sa maîtresse. Le perfide, comme on le voit, sacrifiait déjà en idée la pauvre fille pour obtenir milady de gré ou de force.

— Eh bien, dit-il à la jeune fille, veux-tu, ma chère Ketty, que je te donne une preuve de cet amour dont tu doutes ?

— De quel amour ? demanda la jeune fille.

— De celui que je suis tout prêt à ressentir pour toi.

— Et quelle est cette preuve ?

— Veux-tu que ce soir je passe avec toi le temps que je passe ordinairement avec ta maîtresse ?

— Oh ! oui, dit Ketty en battant des mains, bien volontiers.

— Eh bien ! ma chère enfant, dit d’Artagnan en s’établissant dans un fauteuil, viens çà que je te dise que tu es la plus jolie soubrette que j’aie jamais vue !

Et il le lui dit tant et si bien, que la pauvre enfant, qui ne demandait pas mieux que de le croire, le crut… Cependant, au grand étonnement de d’Artagnan, la jolie Ketty se défendait avec une certaine résolution.

Le temps passe vite, lorsqu’il se passe en attaques et en défenses.

Minuit sonna, et l’on entendit presque en même temps retentir la sonnette dans la chambre de milady.

— Grand Dieu ! s’écria Ketty, voici ma maîtresse qui m’appelle ! Partez, partez vite !

D’Artagnan se leva, prit son chapeau comme s’il avait l’intention d’obéir ; puis, ouvrant vivement la porte d’une grande armoire au lieu d’ouvrir celle de l’escalier, il se blottit dedans au milieu des robes et des peignoirs de milady.

— Que faites-vous donc ? s’écria Ketty.

D’Artagnan, qui d’avance avait pris la clef, s’enferma dans son armoire sans répondre.

— Eh bien ! cria milady d’une voix aigre, dormez-vous donc que vous ne venez pas quand je sonne ?

Et d’Artagnan entendit qu’on ouvrit violemment la porte de communication.

— Me voici, milady, me voici, s’écria Ketty en s’élançant à la rencontre de sa maîtresse.

Toutes deux rentrèrent dans la chambre à coucher et comme la porte de communication resta ouverte, d’Artagnan put entendre quelque temps encore milady gronder sa suivante, puis enfin elle s’apaisa, et la conversation tomba sur lui tandis que Ketty accommodait sa maîtresse.

— Eh bien, dit milady, je n’ai pas vu notre Gascon ce soir ?

— Comment, madame, dit Ketty, il n’est pas venu ! Serait-il volage avant d’être heureux ?

— Oh non ! il faut qu’il ait été empêché par M. de Tréville ou par M. des Essarts. Je m’y connais, Ketty, et je le tiens, celui-là.

— Qu’en fera madame ?

— Ce que j’en ferai !… Sois tranquille, Ketty, il y a entre cet homme et moi une chose qu’il ignore… il a manqué me faire perdre mon crédit près de Son Éminence… Oh ! je me vengerai !

— Je croyais que madame l’aimait ?

— Moi, l’aimer ! je le déteste ! Un niais, qui tient la vie de lord de Winter entre ses mains et qui ne le tue pas, et qui me fait perdre trois cent mille livres de rente !

— C’est vrai, dit Ketty, votre fils était le seul héritier de son oncle, et jusqu’à sa majorité vous auriez eu la jouissance de sa fortune.

D’Artagnan frissonna jusqu’à la moelle des os en entendant cette suave créature lui reprocher, avec cette voix stridente qu’elle avait tant de peine à cacher dans la conversation, de n’avoir pas tué un homme qu’il l’avait vue combler d’amitié.

— Aussi, continua Milady, je me serais déjà vengée sur lui-même, si, je ne sais pourquoi, le cardinal ne m’avait recommandé de le ménager.

— Oh oui ! mais madame n’a point ménagé cette petite femme qu’il aimait.

— Oh ! la mercière de la rue des Fossoyeurs : est-ce qu’il n’a pas déjà oublié qu’elle existait ? La belle vengeance, ma foi !

Une sueur froide coulait sur le front de d’Artagnan : c’était donc un monstre que cette femme.

Il se remit à écouter, mais malheureusement la toilette était finie.

— C’est bien, dit milady, rentrez chez vous et demain tâchez enfin d’avoir une réponse à cette lettre que je vous ai donnée.

— Pour M. de Wardes ? dit Ketty.

— Sans doute, pour M. de Wardes.

— En voilà un, dit Ketty, qui m’a bien l’air d’être tout le contraire de ce pauvre M. d’Artagnan.

— Sortez, mademoiselle, dit Milady, je n’aime pas les commentaires.

D’Artagnan entendit la porte qui se refermait, puis le bruit de deux verrous que mettait milady afin de s’enfermer chez elle ; de son côté, mais le plus doucement qu’elle put, Ketty donna à la serrure un tour de clef ; d’Artagnan alors poussa la porte de l’armoire.

— Ô mon Dieu ! dit tout bas Ketty, qu’avez-vous ? et comme vous êtes pâle !

— L’abominable créature ! murmura d’Artagnan.

— Silence ! silence ! sortez, dit Ketty ; il n’y a qu’une cloison entre ma chambre et celle de milady, on entend de l’une tout ce qui se dit dans l’autre !

— C’est justement pour cela que je ne sortirai pas, dit d’Artagnan.

— Comment ? fit Ketty en rougissant.

— Ou du moins que je sortirai… plus tard.

Et il attira Ketty à lui ; il n’y avait plus moyen de résister, la résistance fait tant de bruit ! aussi Ketty céda.

C’était un mouvement de vengeance contre milady. D’Artagnan trouva qu’on avait raison de dire que la vengeance est le plaisir des dieux. Aussi, avec un peu de cœur, se serait-il contenté de cette nouvelle conquête ; mais d’Artagnan n’avait que de l’ambition et de l’orgueil.

Cependant, il faut le dire à sa louange, le premier emploi qu’il avait fait de son influence sur Ketty avait été d’essayer de savoir d’elle ce qu’était devenue madame Bonacieux, mais la pauvre fille jura sur le crucifix à d’Artagnan qu’elle l’ignorait complètement, sa maîtresse ne laissant jamais pénétrer que la moitié de ses secrets ; seulement, elle croyait pouvoir répondre qu’elle n’était pas morte.

Quant à la cause qui avait manqué faire perdre à milady son crédit près du cardinal, Ketty n’en savait pas davantage ; mais cette fois, d’Artagnan était plus avancé qu’elle : comme il avait aperçu milady sur un bâtiment consigné au moment où lui-même quittait l’Angleterre, il se douta qu’il était question cette fois des ferrets de diamants.

Mais ce qu’il y avait de plus clair dans tout cela, c’est que la haine véritable, la haine profonde, la haine invétérée de milady lui venait de ce qu’il n’avait pas tué son beau-frère.

D’Artagnan retourna le lendemain chez milady. Elle était de fort méchante humeur, d’Artagnan se douta que c’était le défaut de réponse de M. de Wardes qui l’agaçait ainsi. Ketty entra ; mais milady la reçut fort durement. Un coup d’œil qu’elle lança à d’Artagnan voulait dire : Vous voyez ce que je souffre pour vous.

Cependant vers la fin de la soirée, la belle lionne s’adoucit, elle écouta en souriant les doux propos de d’Artagnan, elle lui donna même sa main à baiser.

D’Artagnan sortit ne sachant plus que penser : mais comme c’était un garçon à qui on ne faisait pas facilement perdre la tête, tout en faisant sa cour à milady il avait bâti dans son esprit un petit plan.

Il trouva Ketty à la porte, et comme la veille il monta chez elle pour avoir des nouvelles. Ketty avait été fort grondée, on l’avait accusée de négligence. Milady ne comprenait rien au silence du comte de Wardes, et elle lui avait ordonné d’entrer chez elle à neuf heures du matin pour y prendre une troisième lettre.

D’Artagnan fit promettre à Ketty de lui apporter chez lui cette lettre le lendemain matin ; la pauvre fille promit tout ce que voulut son amant : elle était folle.

Les choses se passèrent comme la veille : d’Artagnan s’enferma dans son armoire, milady appela, fit sa toilette, renvoya Ketty et referma sa porte. Comme la veille d’Artagnan ne rentra chez lui qu’à cinq heures du matin.

À onze heures, il vit arriver Ketty ; elle tenait à la main un nouveau billet de milady. Cette fois, la pauvre enfant n’essaya pas même de le disputer à d’Artagnan ; elle le laissa faire ; elle appartenait corps et âme à son beau soldat.

D’Artagnan ouvrit le billet et lut ce qui suit :

« Voilà la troisième fois que je vous écris pour vous dire que je vous aime. Prenez garde que je ne vous écrive une quatrième pour vous dire que je vous déteste.

« Si vous vous repentez de la façon dont vous avez agi avec moi, la jeune fille qui vous remettra ce billet vous dira de quelle manière un galant homme peut obtenir son pardon. »

D’Artagnan rougit et pâlit plusieurs fois en lisant ce billet.

— Oh ! vous l’aimez toujours ! dit Ketty, qui n’avait pas détourné un instant les yeux du visage du jeune homme.

— Non, Ketty, tu te trompes, je ne l’aime plus ; mais je veux me venger de ses mépris.

— Oui, je connais votre vengeance ; vous me l’avez dite.

— Que t’importe, Ketty ! tu sais bien que c’est toi seule que j’aime.

— Comment peut-on savoir cela ?

— Par le mépris que je ferai d’elle.

Ketty soupira.

D’Artagnan prit une plume et écrivit :

« Madame, jusqu’ici j’avais douté que ce fût bien à moi que vos deux premiers billets eussent été adressés, tant je me croyais indigne d’un pareil honneur ; d’ailleurs j’étais si souffrant, que j’eusse en tout cas hésité à y répondre.

« Mais aujourd’hui il faut bien que je croie à l’excès de vos bontés, puisque non seulement votre lettre, mais encore votre suivante, m’affirme que j’ai le bonheur d’être aimé de vous.

« Elle n’a pas besoin de me dire de quelle manière un galant homme peut obtenir son pardon. J’irai donc vous demander le mien ce soir à onze heures. Tarder d’un jour serait à mes yeux, maintenant, vous faire une nouvelle offense.

« Celui que vous avez rendu le plus heureux des hommes.

« Comte de Wardes. »

Ce billet était d’abord un faux, c’était ensuite une indélicatesse ; c’était même, au point de vue de nos mœurs actuelles, quelque chose comme une infamie ; mais on se ménageait moins à cette époque qu’on ne le fait aujourd’hui. D’ailleurs d’Artagnan, par ses propres aveux, savait milady coupable de trahison à des chefs plus importants, et il n’avait pour elle qu’une estime fort mince. Et cependant malgré ce peu d’estime, il sentait qu’une passion insensée le brûlait pour cette femme. Passion ivre de mépris, mais passion ou soif, comme on voudra.

L’intention de d’Artagnan était bien simple : par la chambre de Ketty il arrivait à celle de sa maîtresse ; il profitait du premier moment de surprise, de honte, de terreur pour triompher d’elle ; peut-être aussi échouerait-il, mais il fallait bien donner quelque chose au hasard. Dans huit jours la campagne s’ouvrait, et il fallait partir ; d’Artagnan n’avait pas le temps de filer le parfait amour.

— Tiens, dit le jeune homme en remettant à Ketty le billet tout cacheté, donne cette lettre à Milady ; c’est la réponse de M. de Wardes.

La pauvre Ketty devint pâle comme la mort, elle se doutait de ce que contenait le billet.

— Écoute, ma chère enfant, lui dit d’Artagnan, tu comprends qu’il faut que tout cela finisse d’une façon ou de l’autre ; milady peut découvrir que tu as remis le premier billet à mon valet, au lieu de le remettre au valet du comte ; que c’est moi qui ai décacheté les autres qui devaient être décachetés par M. de Wardes ; alors milady te chasse, et, tu la connais, ce n’est pas une femme à borner là sa vengeance.

— Hélas ! dit Ketty, pour qui me suis-je exposée à tout cela ?

— Pour moi, je le sais bien, ma toute belle, dit le jeune homme, aussi je t’en suis bien reconnaissant, je te le jure.

— Mais enfin, que contient votre billet ?

— Milady te le dira.

— Ah ! vous ne m’aimez pas ! s’écria Ketty, et je suis bien malheureuse !

À ce reproche il y a une réponse à laquelle les femmes se trompent toujours ; d’Artagnan répondit de manière que Ketty demeurât dans la plus grande erreur.

Cependant elle pleura beaucoup avant de se décider à remettre cette lettre à milady, mais enfin elle se décida, c’est tout ce que voulait d’Artagnan.

D’ailleurs il lui promit que le soir il sortirait de bonne heure de chez sa maîtresse, et qu’en sortant de chez sa maîtresse il monterait chez elle.

Cette promesse acheva de consoler la pauvre Ketty.

OÙ IL EST TRAITÉ DE L’ÉQUIPEMENT D’ARAMIS ET DE PORTHOS

Depuis que les quatre amis étaient chacun à la chasse de son équipement, il n’y avait plus entre eux de réunion arrêtée. On dînait les uns sans les autres, où l’on se trouvait, ou plutôt où l’on pouvait. Le service, de son côté, prenait aussi sa part de ce temps précieux, qui s’écoulait si vite. Seulement on était convenu de se trouver une fois la semaine, vers une heure, au logis d’Athos, attendu que ce dernier, selon le serment qu’il avait fait, ne passait plus le seuil de sa porte.

C’était le jour même où Ketty était venue trouver d’Artagnan chez lui, jour de réunion.

À peine Ketty fut-elle sortie, que d’Artagnan se dirigea vers la rue Férou.

Il trouva Athos et Aramis qui philosophaient. Aramis avait quelques velléités de revenir à la soutane. Athos, selon ses habitudes, ne le dissuadait ni ne l’encourageait. Athos était pour qu’on laissât à chacun son libre arbitre. Il ne donnait jamais de conseils qu’on ne les lui demandât. Encore fallait-il les lui demander deux fois.

— En général, on ne demande de conseils, disait-il, que pour ne les pas suivre ; ou, si on les a suivis, que pour avoir quelqu’un à qui l’on puisse faire le reproche de les avoir donnés.

Porthos arriva un instant après d’Artagnan. Les quatre amis se trouvaient donc réunis.

Les quatre visages exprimaient quatre sentiments différents : celui de Porthos la tranquillité, celui de d’Artagnan l’espoir, celui d’Aramis l’inquiétude, celui d’Athos l’insouciance.

Au bout d’un instant de conversation dans laquelle Porthos laissa entrevoir qu’une personne haut placée avait bien voulu se charger de le tirer d’embarras, Mousqueton entra.

Il venait prier Porthos de passer à son logis, où, disait-il d’un air fort piteux, sa présence était urgente.

— Sont-ce mes équipages ? demanda Porthos.

— Oui et non, répondit Mousqueton.

— Mais enfin que veux-tu dire ?…

— Venez, monsieur.

Porthos se leva, salua ses amis et suivit Mousqueton.

Un instant après, Bazin apparut au seuil de la porte.

— Que me voulez-vous, mon ami ? dit Aramis avec cette douceur de langage que l’on remarquait en lui chaque fois que ses idées le ramenaient vers l’église…

— Un homme attend monsieur à la maison, répondit Bazin.

— Un homme ! quel homme ?

— Un mendiant.

— Faites-lui l’aumône, Bazin, et dites-lui de prier pour un pauvre pécheur.

— Ce mendiant veut à toute force vous parler, et prétend que vous serez bien aise de le voir.

— N’a-t-il rien dit de particulier pour moi ?

— Si fait. Si M. Aramis, a-t-il dit, hésite à me venir trouver, vous lui annoncerez que j’arrive de Tours.

— De Tours ? s’écria Aramis ; messieurs, mille pardons, mais sans doute cet homme m’apporte des nouvelles que j’attendais.

Et, se levant aussitôt, il s’éloigna rapidement.

Restèrent Athos et d’Artagnan.

— Je crois que ces gaillards-là ont trouvé leur affaire. Qu’en pensez-vous, d’Artagnan ? dit Athos.

— Je sais que Porthos était en bon train, dit d’Artagnan ; et quant à Aramis, à vrai dire, je n’en ai jamais été sérieusement inquiet : mais vous, mon cher Athos, vous qui avez si généreusement distribué les pistoles de l’Anglais qui étaient votre bien légitime, qu’allez-vous faire ?

— Je suis fort content d’avoir tué ce drôle, mon enfant, vu que c’est pain bénit que de tuer un Anglais : mais si j’avais empoché ses pistoles, elles me pèseraient comme un remords.

— Allons donc, mon cher Athos ! vous avez vraiment des idées inconcevables.

— Passons, passons ! Que me disait donc M. de Tréville, qui me fit l’honneur de me venir voir hier, que vous hantez ces Anglais suspects que protège le cardinal ?

— C’est-à-dire que je rends visite à une Anglaise, celle dont je vous ai parlé.

— Ah ! oui, la femme blonde au sujet de laquelle je vous ai donné des conseils que naturellement vous vous êtes bien gardé de suivre.

— Je vous ai donné mes raisons.

— Oui ; vous voyez là votre équipement, je crois, à ce que vous m’avez dit.

— Point du tout ! j’ai acquis la certitude que cette femme était pour quelque chose dans l’enlèvement de madame Bonacieux.

— Oui, et je comprends ; pour retrouver une femme, vous faites la cour à une autre : c’est le chemin le plus long, mais le plus amusant.

D’Artagnan fut sur le point de tout raconter à Athos ; mais un point l’arrêta : Athos était un gentilhomme sévère sur le point d’honneur, et il y avait, dans tout ce petit plan que notre amoureux avait arrêté à l’endroit de milady, certaines choses qui, d’avance, il en était sûr, n’obtiendraient pas l’assentiment du puritain ; il préféra donc garder le silence, et comme Athos était l’homme le moins curieux de la terre, les confidences de d’Artagnan en étaient restées là.

Nous quitterons donc les deux amis, qui n’avaient rien de bien important à se dire, pour suivre Aramis.

À cette nouvelle, que l’homme qui voulait lui parler arrivait de Tours, nous avons vu avec quelle rapidité le jeune homme avait suivi ou plutôt devancé Bazin ; il ne fit donc qu’un saut de la rue Férou à la rue de Vaugirard.

En entrant chez lui, il trouva effectivement un homme de petite taille, aux yeux intelligents, mais couvert de haillons.

— C’est vous qui me demandez ? dit le mousquetaire.

— C’est-à-dire que je demande M. Aramis : est-ce vous qui vous appelez ainsi ?

— Moi-même : vous avez quelque chose à me remettre ?

— Oui, si vous me montrez certain mouchoir brodé.

— Le voici, dit Aramis en tirant une clef de sa poitrine, et en ouvrant un petit coffret de bois d’ébène incrusté de nacre, le voici, tenez.

— C’est bien, dit le mendiant, renvoyez votre laquais.

En effet, Bazin, curieux de savoir ce que le mendiant voulait à son maître, avait réglé son pas sur le sien, et était arrivé presque en même temps que lui ; mais cette célérité ne lui servit pas à grand-chose ; sur l’invitation du mendiant, son maître lui fit signe de se retirer, et force lui fut d’obéir.

Bazin parti, le mendiant jeta un regard rapide autour de lui, afin d’être sûr que personne ne pouvait ni le voir ni l’entendre, et ouvrant sa veste en haillons mal serrée par une ceinture de cuir, il se mit à découdre le haut de son pourpoint, d’où il tira une lettre.

Aramis jeta un cri de joie à la vue du cachet, baisa l’écriture, et avec un respect presque religieux, il ouvrit l’épître qui contenait ce qui suit :

« Ami, le sort veut que nous soyons séparés quelque temps encore ; mais les beaux jours de la jeunesse ne sont pas perdus sans retour. Faites votre devoir au camp ; je fais le mien autre part. Prenez ce que le porteur vous remettra ; faites la campagne en beau et bon gentilhomme, et pensez à moi, qui baise tendrement vos yeux noirs.

« Adieu, ou plutôt au revoir ! »

Le mendiant décousait toujours ; il tira une à une de ses sales habits cent cinquante doubles pistoles d’Espagne, qu’il aligna sur la table ; puis, il ouvrit la porte, salua et partit avant que le jeune homme, stupéfait, eût osé lui adresser une parole.

Aramis alors relut la lettre, et s’aperçut que cette lettre avait un post-scriptum.

« P.-S. – Vous pouvez faire accueil au porteur, qui est comte et grand d’Espagne. »

— Rêves dorés ! s’écria Aramis. Oh ! la belle vie ! oui, nous sommes jeunes ! oui, nous aurons encore des jours heureux ! Oh ! à toi, mon amour, mon sang, ma vie ! tout, tout, tout, ma belle maîtresse !

Et il baisait la lettre avec passion, sans même regarder l’or qui étincelait sur la table.

Bazin gratta à la porte ; Aramis n’avait plus de raison pour le tenir à distance ; il lui permit d’entrer.

Bazin resta stupéfait à la vue de cet or, et oublia qu’il venait annoncer d’Artagnan, qui, curieux de savoir ce que c’était que le mendiant, venait chez Aramis en sortant de chez Athos.

Or, comme d’Artagnan ne se gênait pas avec Aramis, voyant que Bazin oubliait de l’annoncer, il s’annonça lui-même.

— Ah ! diable, mon cher Aramis, dit d’Artagnan, si ce sont là les pruneaux qu’on nous envoie de Tours, vous en ferez mon compliment au jardinier qui les récolte.

— Vous vous trompez, mon cher, dit Aramis toujours discret : c’est mon libraire qui vient de m’envoyer le prix de ce poème en vers d’une syllabe que j’avais commencé là-bas.

— Ah ! vraiment ! dit d’Artagnan ; eh bien, votre libraire est généreux, mon cher Aramis, voilà tout ce que je puis vous dire.

— Comment, monsieur ! s’écria Bazin, un poème se vend si cher ! c’est incroyable ! Oh ! monsieur ! vous faites tout ce que vous voulez, vous pouvez devenir l’égal de M. de Voiture et de M. de Benserade. J’aime encore cela, moi. Un poète, c’est presque un abbé. Ah ! monsieur Aramis, mettez-vous donc poète, je vous en prie.

— Bazin, mon ami, dit Aramis, je crois que vous vous mêlez à la conversation.

Bazin comprit qu’il était dans son tort ; il baissa la tête, et sortit.

— Ah ! dit d’Artagnan avec un sourire, vous vendez vos productions au poids de l’or : vous êtes bien heureux, mon ami ; mais prenez garde, vous allez perdre cette lettre qui sort de votre casaque, et qui est sans doute aussi de votre libraire.

Aramis rougit jusqu’au blanc des yeux, renfonça sa lettre, et reboutonna son pourpoint.

— Mon cher d’Artagnan, dit-il, nous allons, si vous le voulez bien, aller trouver nos amis ; et puisque je suis riche, nous recommencerons aujourd’hui à dîner ensemble en attendant que vous soyez riches à votre tour.

— Ma foi ! dit d’Artagnan, avec grand plaisir. Il y a longtemps que nous n’avons fait un dîner convenable ; et comme j’ai pour mon compte une expédition quelque peu hasardeuse à faire ce soir, je ne serais pas fâché, je l’avoue, de me monter un peu la tête avec quelques bouteilles de vieux bourgogne.

— Va pour le vieux bourgogne ; je ne le déteste pas non plus, dit Aramis, auquel la vue de l’or avait enlevé comme avec la main ses idées de retraite.

Et ayant mis trois ou quatre doubles pistoles dans sa poche pour répondre aux besoins du moment, il enferma les autres dans le coffre d’ébène incrusté de nacre, où était déjà le fameux mouchoir qui lui avait servi de talisman.

Les deux amis se rendirent d’abord chez Athos, qui, fidèle au serment qu’il avait fait de ne pas sortir, se chargea de faire apporter à dîner chez lui : comme il entendait à merveille les détails gastronomiques, d’Artagnan et Aramis ne firent aucune difficulté de lui abandonner ce soin important.

Ils se rendaient chez Porthos, lorsque, au coin de la rue du Bac, ils rencontrèrent Mousqueton, qui, d’un air piteux, chassait devant lui un mulet et un cheval.

D’Artagnan poussa un cri de surprise, qui n’était pas exempt d’un mélange de joie.

— Ah ! mon cheval jaune ! s’écria-t-il. Aramis, regardez ce cheval !

— Oh ! l’affreux roussin ! dit Aramis.

— Eh bien, mon cher, reprit d’Artagnan, c’est le cheval sur lequel je suis venu à Paris.

— Comment, monsieur connaît ce cheval ? dit Mousqueton.

— Il est d’une couleur originale, fit Aramis ; c’est le seul que j’aie jamais vu de ce poil-là.

— Je le crois bien, reprit d’Artagnan, aussi je l’ai vendu trois écus, et il faut bien que ce soit pour le poil, car la carcasse ne vaut certes pas dix-huit livres. Mais comment ce cheval se trouve-t-il entre tes mains, Mousqueton ?

— Ah ! dit le valet, ne m’en parlez pas, monsieur, c’est un affreux tour du mari de notre duchesse !

— Comment cela, Mousqueton ?

— Oui nous sommes vus d’un très bon œil par une femme de qualité, la duchesse de… ; mais pardon ! mon maître m’a recommandé d’être discret : elle nous avait forcés d’accepter un petit souvenir, un magnifique genet d’Espagne et un mulet andalou, que c’était merveilleux à voir ; le mari a appris la chose, il a confisqué au passage les deux magnifiques bêtes qu’on nous envoyait, et il leur a substitué ces horribles animaux !

— Que tu lui ramènes ? dit d’Artagnan.

— Justement ! reprit Mousqueton ; vous comprenez que nous ne pouvons point accepter de pareilles montures en échange de celles que l’on nous avait promises.

— Non, pardieu, quoique j’eusse voulu voir Porthos sur mon Bouton-d’Or ; cela m’aurait donné une idée de ce que j’étais moi-même, quand je suis arrivé à Paris. Mais que nous ne t’arrêtions pas, Mousqueton ; va faire la commission de ton maître, va. Est-il chez lui ?

— Oui, monsieur, dit Mousqueton, mais bien maussade, allez !

Et il continua son chemin vers le quai des Grands-Augustins, tandis que les deux amis allaient sonner à la porte de l’infortuné Porthos. Celui-ci les avait vus traversant la cour, et il n’avait garde d’ouvrir. Ils sonnèrent donc inutilement.

Cependant, Mousqueton continuait sa route, et, traversant le Pont-Neuf, toujours chassant devant lui ses deux haridelles, il atteignit la rue aux Ours. Arrivé là, il attacha, selon les ordres de son maître, cheval et mulet au marteau de la porte du procureur ; puis, sans s’inquiéter de leur sort futur, il s’en revint trouver Porthos et lui annonça que sa commission était faite.

Au bout d’un certain temps, les deux malheureuses bêtes, qui n’avaient pas mangé depuis le matin, firent un tel bruit en soulevant et en laissant retomber le marteau de la porte, que le procureur ordonna à son saute-ruisseau d’aller s’informer dans le voisinage à qui appartenaient ce cheval et ce mulet.

Madame Coquenard reconnut son présent, et ne comprit rien d’abord à cette restitution ; mais bientôt la visite de Porthos l’éclaira. Le courroux qui brillait dans les yeux du mousquetaire, malgré la contrainte qu’il s’imposait, épouvanta la sensible amante. En effet, Mousqueton n’avait point caché à son maître qu’il avait rencontré d’Artagnan et Aramis, et que d’Artagnan, dans le cheval jaune, avait reconnu le bidet béarnais sur lequel il était venu à Paris, et qu’il avait vendu trois écus.

Porthos sortit après avoir donné rendez-vous à la procureuse dans le cloître Saint-Magloire. Le procureur, voyant que Porthos partait, l’invita à dîner, invitation que le mousquetaire refusa avec un air plein de majesté.

Madame Coquenard se rendit toute tremblante au cloître Saint-Magloire, car elle devinait les reproches qui l’y attendaient ; mais elle était fascinée par les grandes façons de Porthos.

Tout ce qu’un homme blessé dans son amour-propre peut laisser tomber d’imprécations et de reproches sur la tête d’une femme, Porthos le laissa tomber sur la tête courbée de la procureuse.

— Hélas ! dit-elle, j’ai fait pour le mieux. Un de nos clients est marchand de chevaux, il devait de l’argent à l’étude, et s’est montré récalcitrant. J’ai pris ce mulet et ce cheval pour ce qu’il nous devait ; il m’avait promis deux montures royales.

— Eh bien, madame, dit Porthos, s’il vous devait plus de cinq écus, votre maquignon est un voleur.

— Il n’est pas défendu de chercher le bon marché, monsieur Porthos, dit la procureuse cherchant à s’excuser.

— Non, madame, mais ceux qui cherchent le bon marché doivent permettre aux autres de chercher des amis plus généreux.

Et Porthos, tournant sur ses talons, fit un pas pour se retirer.

— Monsieur Porthos ! monsieur Porthos ! s’écria la procureuse, j’ai tort, je le reconnais, je n’aurais pas dû marchander quand il s’agissait d’équiper un cavalier comme vous !

Porthos, sans répondre, fit un second pas de retraite.

La procureuse crut le voir dans un nuage étincelant tout entouré de duchesses et de marquises qui lui jetaient des sacs d’or sous les pieds.

— Arrêtez, au nom du ciel ! monsieur Porthos, s’écria-t-elle, arrêtez et causons.

— Causer avec vous me porte malheur, dit Porthos.

— Mais, dites-moi, que demandez-vous ?

— Rien, car cela revient au même que si je vous demandais quelque chose.

La procureuse se pendit au bras de Porthos, et, dans l’élan de sa douleur, elle s’écria :

— Monsieur Porthos, je suis ignorante de tout cela, moi ; sais-je ce que c’est qu’un cheval ? sais-je ce que c’est que des harnais ?

— Il fallait vous en rapporter à moi, qui m’y connais, madame ; mais vous avez voulu ménager, et, par conséquent, prêter à usure.

— C’est un tort, monsieur Porthos, et je le réparerai sur ma parole d’honneur.

— Et comment cela ? demanda le mousquetaire.

— Écoutez. Ce soir M. Coquenard va chez M. le duc de Chaulnes, qui l’a mandé. C’est pour une consultation qui durera deux heures au moins, venez, nous serons seuls, et nous ferons nos comptes.

— À la bonne heure ! voilà qui est parler, ma chère !

— Vous me pardonnez ?

— Nous verrons, dit majestueusement Porthos.

Et tous deux se séparèrent en se disant : À ce soir.

— Diable ! pensa Porthos en s’éloignant, il me semble que je me rapproche enfin du bahut de maître Coquenard.

LA NUIT TOUS LES CHATS SONT GRIS

Ce soir, attendu si impatiemment par Porthos et par d’Artagnan, arriva enfin.

D’Artagnan, comme d’habitude, se présenta vers les neuf heures chez milady. Il la trouva d’une humeur charmante ; jamais elle ne l’avait si bien reçu. Notre Gascon vit du premier coup d’œil que son billet avait été remis, et ce billet faisait son effet.

Ketty entra pour apporter des sorbets. Sa maîtresse lui fit une mine charmante, lui sourit de son plus gracieux sourire ; mais, hélas ! la pauvre fille était si triste, qu’elle ne s’aperçut même pas de la bienveillance de milady.

D’Artagnan regardait l’une après l’autre ces deux femmes, et il était forcé d’avouer que la nature s’était trompée en les formant ; à la grande dame elle avait donné une âme vénale et vile, à la soubrette elle avait donné le cœur d’une duchesse.

À dix heures milady commença à paraître inquiète, d’Artagnan comprit ce que cela voulait dire ; elle regardait la pendule, se levait, se rasseyait, souriait à d’Artagnan d’un air qui voulait dire : Vous êtes fort aimable sans doute, mais vous seriez charmant si vous partiez !

D’Artagnan se leva, prit son chapeau ; milady lui donna sa main à baiser ; le jeune homme sentit qu’elle la lui serrait et comprit que c’était par un sentiment non pas de coquetterie, mais de reconnaissance à cause de son départ.

— Elle l’aime diablement, murmura-t-il.

Puis il sortit.

Cette fois Ketty ne l’attendait aucunement, ni dans l’antichambre, ni dans le corridor, ni sous la grande porte. Il fallut que d’Artagnan trouvât tout seul l’escalier et la petite chambre.

Ketty était assise la tête cachée dans ses mains, et pleurait.

Elle entendit entrer d’Artagnan, mais elle ne releva point la tête ; le jeune homme alla à elle et lui prit les mains, alors elle éclata en sanglots.

Comme l’avait présumé d’Artagnan, milady, en recevant la lettre, avait, dans le délire de sa joie, tout dit à sa suivante ; puis, en récompense de la manière dont cette fois elle avait fait la commission, elle lui avait donné une bourse. Ketty, en rentrant chez elle, avait jeté la bourse dans un coin, où elle était restée tout ouverte, dégorgeant trois ou quatre pièces d’or sur le tapis.

La pauvre fille, à la voix de d’Artagnan, releva la tête. D’Artagnan lui-même fut effrayé du bouleversement de son visage ; elle joignit les mains d’un air suppliant, mais sans oser dire une parole.

Si peu sensible que fût le cœur de d’Artagnan, il se sentit attendri par cette douleur muette ; mais il tenait trop à ses projets et surtout à celui-ci, pour rien changer au programme qu’il avait fait d’avance. Il ne laissa donc à Ketty aucun espoir de le fléchir, seulement il lui présenta son action comme une simple vengeance.

Cette vengeance, au reste, devenait d’autant plus facile, que milady, sans doute pour cacher sa rougeur à son amant, avait recommandé à Ketty d’éteindre toutes les lumières dans l’appartement, et même dans sa chambre, à elle. Avant le jour, M. de Wardes devait sortir, toujours dans l’obscurité.

Au bout d’un instant on entendit milady qui rentrait dans sa chambre. D’Artagnan s’élança aussitôt dans son armoire. À peine y était-il blotti que la sonnette se fit entendre.

Ketty entra chez sa maîtresse, et ne laissa point la porte ouverte ; mais la cloison était si mince, que l’on entendait à peu près tout ce qui se disait entre les deux femmes.

Milady semblait ivre de joie, elle se faisait répéter par Ketty les moindres détails de la prétendue entrevue de la soubrette avec de Wardes, comment il avait reçu sa lettre, comment il avait répondu, quelle était l’expression de son visage, s’il paraissait bien amoureux ; et à toutes ces questions la pauvre Ketty, forcée de faire bonne contenance, répondait d’une voix étouffée dont sa maîtresse ne remarquait même pas l’accent douloureux, tant le bonheur est égoïste.

Enfin, comme l’heure de son entretien avec le comte approchait, milady fit en effet tout éteindre chez elle, et ordonna à Ketty de rentrer dans sa chambre, et d’introduire de Wardes aussitôt qu’il se présenterait.

L’attente de Ketty ne fut pas longue. À peine d’Artagnan eut-il vu par le trou de la serrure de son armoire que tout l’appartement était dans l’obscurité, qu’il s’élança de sa cachette au moment même où Ketty refermait la porte de communication.

— Qu’est-ce que ce bruit ? demanda milady.

— C’est moi, dit d’Artagnan à demi-voix ; moi, le comte de Wardes.

— Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! murmura Ketty, il n’a pas même pu attendre l’heure qu’il avait fixée lui-même !

— Eh bien, dit milady d’une voix tremblante, pourquoi n’entre-t-il pas ? Comte, comte, ajouta-t-elle, vous savez bien que je vous attends !

À cet appel, d’Artagnan éloigna doucement Ketty et s’élança dans la chambre de milady.

Si la rage et la douleur doivent torturer une âme, c’est celle de l’amant qui reçoit sous un nom qui n’est pas le sien des protestations d’amour qui s’adressent à son heureux rival.

D’Artagnan était dans une situation douloureuse qu’il n’avait pas prévue, la jalousie le mordait au cœur, et il souffrait presque autant que la pauvre Ketty, qui pleurait en ce même moment dans la chambre voisine.

— Oui, comte, disait milady de sa plus douce voix en lui serrant tendrement la main dans les siennes ; oui, je suis heureuse de l’amour que vos regards et vos paroles m’ont exprimé chaque fois que nous nous sommes rencontrés. Moi aussi, je vous aime. Oh ! demain, demain, je veux quelque gage de vous qui me prouve que vous pensez à moi, et comme vous pourriez m’oublier, tenez.

Et elle passa une bague de son doigt à celui de d’Artagnan.

D’Artagnan se rappela avoir vu cette bague à la main de milady : c’était un magnifique saphir entouré de brillants.

Le premier mouvement de d’Artagnan fut de le lui rendre, mais milady ajouta :

— Non, non ; gardez cette bague pour l’amour de moi. Vous me rendez d’ailleurs, en l’acceptant, ajouta-t-elle d’une voix émue, un service bien plus grand que vous ne sauriez l’imaginer.

— Cette femme est pleine de mystères, murmura en lui-même d’Artagnan.

En ce moment il se sentit prêt à tout révéler. Il ouvrit la bouche pour dire à milady qui il était, et dans quel but de vengeance il était venu, mais elle ajouta :

— Pauvre ange, que ce monstre de Gascon a failli tuer !

Le monstre, c’était lui.

— Oh ! continua milady, est-ce que vos blessures vous font encore souffrir ?

— Oui, beaucoup, dit d’Artagnan, qui ne savait trop que répondre.

— Soyez tranquille, murmura milady, je vous vengerai, moi et cruellement !

— Peste ! se dit d’Artagnan, le moment des confidences n’est pas encore venu.

Il fallut quelque temps à d’Artagnan pour se remettre de ce petit dialogue : mais toutes les idées de vengeance qu’il avait apportées s’étaient complètement évanouies. Cette femme exerçait sur lui une incroyable puissance, il la haïssait et l’adorait à la fois, il n’avait jamais cru que deux sentiments si contraires pussent habiter dans le même cœur, et en se réunissant, former un amour étrange et en quelque sorte diabolique.

Cependant une heure venait de sonner ; il fallut se séparer ; d’Artagnan, au moment de quitter milady, ne sentit plus qu’un vif regret de s’éloigner, et, dans l’adieu passionné qu’ils s’adressèrent réciproquement, une nouvelle entrevue fut convenue pour la semaine suivante. La pauvre Ketty espérait pouvoir adresser quelques mots à d’Artagnan lorsqu’il passerait dans sa chambre ; mais milady le reconduisit elle-même dans l’obscurité et ne le quitta que sur l’escalier.

Le lendemain au matin, d’Artagnan courut chez Athos. Il était engagé dans une si singulière aventure qu’il voulait lui demander conseil. Il lui raconta tout ; Athos fronça plusieurs fois le sourcil.

— Votre milady, lui dit-il, me paraît une créature infâme, mais vous n’en avez pas moins eu tort de la tromper : vous voilà d’une façon ou d’une autre une ennemie terrible sur les bras.

Et tout en lui parlant, Athos regardait avec attention le saphir entouré de diamants qui avait pris au doigt de d’Artagnan la place de la bague de la reine, soigneusement remise dans un écrin.

— Vous regardez cette bague ? dit le Gascon tout glorieux d’étaler aux regards de ses amis un si riche présent.

— Oui, dit Athos, elle me rappelle un bijou de famille.

— Elle est belle, n’est-ce pas ? dit d’Artagnan.

— Magnifique ! répondit Athos ; je ne croyais pas qu’il existât deux saphirs d’une si belle eau. L’avez-vous donc troquée contre votre diamant ?

— Non, dit d’Artagnan ; c’est un cadeau de ma belle Anglaise, ou plutôt de ma belle Française : car, quoique je ne le lui aie point demandé, je suis convaincu qu’elle est née en France.

— Cette bague vous vient de milady ? s’écria Athos avec une voix dans laquelle il était facile de distinguer une grande émotion.

— D’elle-même ; elle me l’a donnée cette nuit.

— Montrez-moi donc cette bague, dit Athos.

— La voici, répondit d’Artagnan en la tirant de son doigt.

Athos l’examina et devint très pâle, puis il l’essaya à l’annulaire de sa main gauche ; elle allait à ce doigt comme si elle eût été faite pour lui. Un nuage de colère et de vengeance passa sur le front ordinairement calme du gentilhomme.

— Il est impossible que ce soit la même, dit-il ; comment cette bague se trouverait-elle entre les mains de milady Clarick ? Et cependant il est bien difficile qu’il y ait entre deux bijoux une pareille ressemblance.

— Connaissez-vous cette bague ? demanda d’Artagnan.

— J’avais cru la reconnaître, dit Athos, mais sans doute que je me trompais.

Et il la rendit à d’Artagnan, sans cesser cependant de la regarder.

— Tenez, dit-il au bout d’un instant, d’Artagnan, ôtez cette bague de votre doigt ou tournez-en le chaton en dedans ; elle me rappelle de si cruels souvenirs, que je n’aurais pas ma tête pour causer avec vous. Ne veniez-vous pas me demander des conseils, ne me disiez-vous point que vous étiez embarrassé sur ce que vous deviez faire ?… Mais attendez… rendez-moi ce saphir : celui dont je voulais parler doit avoir une de ses faces éraillée par suite d’un accident.

D’Artagnan tira de nouveau la bague de son doigt et la rendit à Athos.

Athos tressaillit :

— Tenez, dit-il, voyez, n’est-ce pas étrange ?

Et il montrait à d’Artagnan cette égratignure qu’il se rappelait devoir exister.

— Mais de qui vous venait ce saphir, Athos ?

— De ma mère, qui le tenait de sa mère à elle. Comme je vous le dis, c’est un vieux bijou… qui ne devait jamais sortir de la famille.

— Et vous l’avez… vendu ? demanda avec hésitation d’Artagnan.

— Non, reprit Athos avec un singulier sourire ; je l’ai donné pendant une nuit d’amour, comme il vous a été donné à vous.

D’Artagnan resta pensif à son tour, il lui semblait voir dans l’âme de milady des abîmes dont les profondeurs étaient sombres et inconnues.

Il remit la bague non pas à son doigt, mais dans sa poche.

— Écoutez, lui dit Athos en lui prenant la main, vous savez si je vous aime, d’Artagnan ; j’aurais un fils que je ne l’aimerais pas plus que vous. Eh bien, croyez-moi, renoncez à cette femme. Je ne la connais pas, mais une espèce d’intuition me dit que c’est une créature perdue, et qu’il y a quelque chose de fatal en elle.

— Et vous avez raison, dit d’Artagnan. Aussi, je m’en sépare ; je vous avoue que cette femme m’effraye moi-même.

— Aurez-vous ce courage ? dit Athos.

— Je l’aurai, répondit d’Artagnan, et à l’instant même.

— Eh bien ! vrai, mon enfant, vous avez raison, dit le gentilhomme en serrant la main du Gascon avec une affection presque paternelle ; que Dieu veuille que cette femme, qui est à peine entrée dans votre vie, n’y laisse pas une trace funeste !

Et Athos salua d’Artagnan de la tête, en homme qui veut faire comprendre qu’il n’est pas fâché de rester seul avec ses pensées.

En rentrant chez lui, d’Artagnan trouva Ketty, qui l’attendait. Un mois de fièvre n’eût pas plus changé la pauvre enfant qu’elle ne l’était pour cette nuit d’insomnie et de douleur.

Elle était envoyée par sa maîtresse au faux de Wardes. Sa maîtresse était folle d’amour, ivre de joie : elle voulait savoir quand le comte lui donnerait une seconde entrevue.

Et la pauvre Ketty, pâle et tremblante, attendait la réponse de d’Artagnan.

Athos avait une grande influence sur le jeune homme : les conseils de son ami joints aux cris de son propre cœur l’avaient déterminé, maintenant que son orgueil était sauvé et sa vengeance satisfaite, à ne plus revoir milady. Pour toute réponse il prit donc une plume et écrivit la lettre suivante :

« Ne comptez pas sur moi, madame, pour le prochain rendez-vous : depuis ma convalescence j’ai tant d’occupations de ce genre qu’il m’a fallu y mettre un certain ordre. Quand votre tour viendra, j’aurai l’honneur de vous en faire part.

« Je vous baise les mains.

« Comte de Wardes. »

Du saphir pas un mot : le Gascon voulait-il garder une arme contre milady ? ou bien, soyons franc, ne conservait-il pas ce saphir comme une dernière ressource pour l’équipement ?

On aurait tort au reste de juger les actions d’une époque au point de vue d’une autre époque. Ce qui aujourd’hui serait regardé comme une honte pour un galant homme était dans ce temps une chose toute simple et toute naturelle, et les cadets des meilleures familles se faisaient en général entretenir par leurs maîtresses.

D’Artagnan passa sa lettre tout ouverte à Ketty, qui la lut d’abord sans la comprendre et qui faillit devenir folle de joie en la relisant une seconde fois.

Ketty ne pouvait croire à ce bonheur : d’Artagnan fut forcé de lui renouveler de vive voix les assurances que la lettre lui donnait par écrit ; et quel que fût, avec le caractère emporté de milady, le danger que courût la pauvre enfant à remettre ce billet à sa maîtresse, elle n’en revint pas moins place Royale de toute la vitesse de ses jambes.

Le cœur de la meilleure femme est impitoyable pour les douleurs d’une rivale.

Milady ouvrit la lettre avec un empressement égal à celui que Ketty avait mis à l’apporter, mais au premier mot qu’elle lut, elle devint livide ; puis elle froissa le papier ; puis elle se retourna avec un éclair dans les yeux du côté de Ketty.

— Qu’est-ce que cette lettre ? dit-elle.

— Mais c’est la réponse à celle de madame, répondit Ketty toute tremblante.

— Impossible ! s’écria milady ; impossible qu’un gentilhomme ait écrit à une femme une pareille lettre !

Puis tout à coup tressaillant :

— Mon Dieu ! dit-elle, saurait-il…

Et elle s’arrêta.

Ses dents grinçaient, elle était couleur de cendre : elle voulut faire un pas vers la fenêtre pour aller chercher de l’air ; mais elle ne put qu’étendre les bras, les jambes lui manquèrent, et elle tomba sur un fauteuil.

Ketty crut qu’elle se trouvait mal et se précipita pour ouvrir son corsage. Mais milady se releva vivement :

— Que me voulez-vous ? dit-elle, et pourquoi portez-vous la main sur moi ?

— J’ai pensé que madame se trouvait mal et j’ai voulu lui porter secours, répondit la suivante tout épouvantée de l’expression terrible qu’avait prise la figure de sa maîtresse.

— Me trouver mal, moi ? moi ? me prenez-vous pour une femmelette ? Quand on m’insulte, je ne me trouve pas mal, je me venge, entendez-vous !

Et elle fit signe à Ketty de sortir.

RÊVE DE VENGEANCE

Le soir milady donna l’ordre d’introduire M. d’Artagnan aussitôt qu’il viendrait, selon son habitude. Mais il ne vint pas.

Le lendemain, Ketty vint voir de nouveau le jeune homme et lui raconta tout ce qui s’était passé la veille : d’Artagnan sourit ; cette jalouse colère de milady, c’était sa vengeance.

Le soir milady fut plus impatiente encore que la veille, elle renouvela l’ordre relatif au Gascon ; mais comme la veille elle l’attendit inutilement.

Le lendemain Ketty se présenta chez d’Artagnan, non plus joyeuse et alerte comme les deux jours précédents, mais au contraire triste à mourir.

D’Artagnan demanda à la pauvre fille ce qu’elle avait ; mais celle-ci, pour toute réponse, tira une lettre de sa poche et la lui remit.

Cette lettre était de l’écriture de milady : seulement cette fois elle était bien à l’adresse de d’Artagnan et non à celle de M. de Wardes.

Il l’ouvrit et lut ce qui suit :

« Cher monsieur d’Artagnan, c’est mal de négliger ainsi ses amis, surtout au moment où l’on va les quitter pour si longtemps. Mon beau-frère et moi nous avons attendu hier et avant-hier inutilement. En sera-t-il de même ce soir ?

« Votre bien reconnaissante,

« Lady Clarick. »

— C’est tout simple, dit d’Artagnan, et je m’attendais à cette lettre. Mon crédit hausse de la baisse du comte de Wardes.

— Est-ce que vous irez ? demanda Ketty.

— Écoute, ma chère enfant, dit le Gascon, qui cherchait à s’excuser à ses propres yeux de manquer à la promesse qu’il avait faite à Athos, tu comprends qu’il serait impolitique de ne pas se rendre à une invitation si positive. Milady, en ne me voyant pas revenir, ne comprendrait rien à l’interruption de mes visites, elle pourrait se douter de quelque chose, et qui peut dire jusqu’où irait la vengeance d’une femme de cette trempe ?

— Oh ! mon Dieu ! dit Ketty, vous savez présenter les choses de façon que vous avez toujours raison. Mais vous allez encore lui faire la cour ; et si cette fois vous alliez lui plaire sous votre véritable nom et votre vrai visage, ce serait bien pis que la première fois !

L’instinct faisait deviner à la pauvre fille une partie de ce qui allait arriver.

D’Artagnan la rassura du mieux qu’il put et lui promit de rester insensible aux séductions de milady.

Il lui fit répondre qu’il était on ne peut plus reconnaissant de ses bontés et qu’il se rendrait à ses ordres ; mais il n’osa lui écrire de peur de ne pouvoir, à des yeux aussi exercés que ceux de milady, déguiser suffisamment son écriture.

À neuf heures sonnant, d’Artagnan était place Royale. Il était évident que les domestiques qui attendaient dans l’antichambre étaient prévenus, car aussitôt que d’Artagnan parut, avant même qu’il eût demandé si milady était visible, un d’eux courut l’annoncer.

— Faites entrer, dit milady d’une voix brève, mais si perçante que d’Artagnan l’entendit de l’antichambre.

On l’introduisit.

— Je n’y suis pour personne, dit milady ; entendez-vous, pour personne.

Le laquais sortit.

D’Artagnan jeta un regard curieux sur milady : elle était pâle et avait les yeux fatigués, soit par les larmes, soit par l’insomnie. On avait avec intention diminué le nombre habituel des lumières, et cependant la jeune femme ne pouvait arriver à cacher les traces de la fièvre qui l’avait dévorée depuis deux jours.

D’Artagnan s’approcha d’elle avec sa galanterie ordinaire ; elle fit alors un effort suprême pour le recevoir, mais jamais physionomie plus bouleversée ne démentit sourire plus aimable.

Aux questions que d’Artagnan lui fit sur sa santé :

— Mauvaise, répondit-elle, très mauvaise.

— Mais alors, dit d’Artagnan, je suis indiscret, vous avez besoin de repos sans doute et je vais me retirer.

— Non pas, dit milady ; au contraire, restez, monsieur d’Artagnan, votre aimable compagnie me distraira.

— Oh ! oh ! pensa d’Artagnan, elle n’a jamais été si charmante, défions-nous.

Milady prit l’air le plus affectueux qu’elle put prendre, et donna tout l’éclat possible à sa conversation. En même temps cette fièvre qui l’avait abandonnée un instant revenait rendre l’éclat à ses yeux, le coloris à ses joues, le carmin à ses lèvres. D’Artagnan retrouva la Circé qui l’avait déjà enveloppé de ses enchantements. Son amour, qu’il croyait éteint et qui n’était qu’assoupi, se réveilla dans son cœur. Milady souriait et d’Artagnan sentait qu’il se damnerait pour ce sourire.

Il y eut un moment où il sentit quelque chose comme un remords de ce qu’il avait fait contre elle.

Peu à peu milady devint plus communicative. Elle demanda à d’Artagnan s’il avait une maîtresse.

— Hélas ! dit d’Artagnan de l’air le plus sentimental qu’il put prendre, pouvez-vous être assez cruelle pour me faire une pareille question, à moi qui, depuis que je vous ai vue, ne respire et ne soupire que par vous et pour vous !

Milady sourit d’un étrange sourire.

— Ainsi vous m’aimez ? dit-elle.

— Ai-je besoin de vous le dire, et ne vous en êtes-vous point aperçue ?

— Si fait ; mais, vous le savez, plus les cœurs sont fiers, plus ils sont difficiles à prendre.

— Oh ! les difficultés ne m’effraient pas, dit d’Artagnan ; il n’y a que les impossibilités qui m’épouvantent.

— Rien n’est impossible, dit milady, à un véritable amour.

— Rien, madame ?

— Rien, reprit milady.

— Diable ! reprit d’Artagnan à part lui, la note est changée. Deviendrait-elle amoureuse de moi, par hasard, la capricieuse, et serait-elle disposée à me donner à moi-même quelque autre saphir pareil à celui qu’elle m’a donné me prenant pour de Wardes ?

D’Artagnan rapprocha vivement son siège de celui de milady.

— Voyons, dit-elle, que feriez-vous bien pour prouver cet amour dont vous parlez ?

— Tout ce qu’on exigerait de moi. Qu’on ordonne, et je suis prêt.

— À tout ?

— À tout ! s’écria d’Artagnan qui savait d’avance qu’il n’avait pas grand-chose à risquer en s’engageant ainsi.

— Eh bien, causons un peu, dit à son tour milady en rapprochant son fauteuil de la chaise de d’Artagnan.

— Je vous écoute, madame, dit celui-ci.

Milady resta un instant soucieuse et comme indécise puis paraissant prendre une résolution :

— J’ai un ennemi, dit-elle.

— Vous, madame ! s’écria d’Artagnan jouant la surprise, est-ce possible, mon Dieu ? belle et bonne comme vous l’êtes !

— Un ennemi mortel.

— En vérité ?

— Un ennemi qui m’a insultée si cruellement que c’est entre lui et moi une guerre à mort. Puis-je compter sur vous comme auxiliaire ?

D’Artagnan comprit sur-le-champ où la vindicative créature en voulait venir.

— Vous le pouvez, madame, dit-il avec emphase, mon bras et ma vie vous appartiennent comme mon amour.

— Alors, dit milady, puisque vous êtes aussi généreux qu’amoureux…

Elle s’arrêta.

— Eh bien ? demanda d’Artagnan.

— Eh bien, reprit milady après un moment de silence, cessez dès aujourd’hui de parler d’impossibilités.

— Ne m’accablez pas de mon bonheur, s’écria d’Artagnan en se précipitant à genoux et en couvrant de baisers les mains qu’on lui abandonnait.

— Venge-moi de cet infâme de Wardes, murmura milady entre ses dents, et je saurai bien me débarrasser de toi ensuite, double sot, lame d’épée vivante !

— Tombe volontairement entre mes bras après m’avoir raillé si effrontément, hypocrite et dangereuse femme, pensait d’Artagnan de son côté, et ensuite je rirai de toi avec celui que tu veux tuer par ma main.

D’Artagnan releva la tête.

— Je suis prêt, dit-il.

— Vous m’avez donc comprise, cher monsieur d’Artagnan ! dit milady.

— Je devinerais un de vos regards.

— Ainsi vous emploieriez pour moi votre bras, qui s’est déjà acquis tant de renommée ?

— À l’instant même.

— Mais moi, dit milady, comment paierai-je un pareil service ; je connais les amoureux, ce sont des gens qui ne font rien pour rien ?

— Vous savez la seule réponse que je désire, dit d’Artagnan, la seule qui soit digne de vous et de moi !

Et il l’attira doucement vers lui.

Elle résista à peine.

— Intéressé ! dit-elle en souriant.

— Ah ! s’écria d’Artagnan véritablement emporté par la passion que cette femme avait le don d’allumer dans son cœur, ah ! c’est que mon bonheur me paraît invraisemblable, et qu’ayant toujours peur de le voir s’envoler comme un rêve, j’ai hâte d’en faire une réalité.

— Eh bien, méritez donc ce prétendu bonheur.

— Je suis à vos ordres, dit d’Artagnan.

— Bien sûr ? fit milady avec un dernier doute.

— Nommez-moi l’infâme qui a pu faire pleurer vos beaux yeux.

— Qui vous dit que j’ai pleuré ? dit-elle.

— Il me semblait…

— Les femmes comme moi ne pleurent pas, dit milady.

— Tant mieux ! Voyons, dites-moi comment il s’appelle.

— Songez que son nom c’est tout mon secret.

— Il faut cependant que je sache son nom.

— Oui, il le faut ; voyez si j’ai confiance en vous !

— Vous me comblez de joie. Comment s’appelle-t-il ?

— Vous le connaissez.

— Vraiment ?

— Oui.

— Ce n’est pas un de mes amis ? reprit d’Artagnan en jouant l’hésitation pour faire croire à son ignorance.

— Si c’était un de vos amis, vous hésiteriez donc ? s’écria milady. Et un éclair de menace passa dans ses yeux.

— Non, fût-ce mon frère ! s’écria d’Artagnan comme emporté par l’enthousiasme.

Notre Gascon s’avançait sans risque ; car il savait où il allait.

— J’aime votre dévouement, dit milady.

— Hélas ! n’aimez-vous que cela en moi ? demanda d’Artagnan.

— Je vous aime aussi, vous, dit-elle en lui prenant la main.

Et l’ardente pression fit frissonner d’Artagnan, comme si, par le toucher, cette fièvre qui brûlait milady le gagnait lui-même.

— Vous m’aimez, vous ! s’écria-t-il. Oh ! si cela était, ce serait à en perdre la raison.

Et il l’enveloppa de ses deux bras. Elle n’essaya point d’écarter ses lèvres de son baiser, seulement elle ne le lui rendit pas.

Ses lèvres étaient froides : il sembla à d’Artagnan qu’il venait d’embrasser une statue.

Il n’en était pas moins ivre de joie, électrisé d’amour, il croyait presque à la tendresse de milady ; il croyait presque au crime de de Wardes. Si de Wardes eût été en ce moment sous sa main, il l’eût tué.

Milady saisit l’occasion.

— Il s’appelle… dit-elle à son tour.

— De Wardes, je le sais, s’écria d’Artagnan.

— Et comment le savez-vous ? » demanda milady en lui saisissant les deux mains et en essayant de lire par ses yeux jusqu’au fond de son âme.

D’Artagnan sentit qu’il s’était laissé emporter, et qu’il avait fait une faute.

— Dites, dites, mais dites donc ! répétait milady, comment le savez-vous ?

— Comment je le sais ? dit d’Artagnan.

— Oui.

— Je le sais, parce que, hier, de Wardes, dans un salon où j’étais, a montré une bague qu’il a dit tenir de vous.

— Le misérable ! s’écria milady.

L’épithète, comme on le comprend bien, retentit jusqu’au fond du cœur de d’Artagnan.

— Eh bien ? continua-t-elle.

— Eh bien ! je vous vengerai de ce misérable, reprit d’Artagnan en se donnant des airs de don Japhet d’Arménie.

— Merci, mon brave ami ! s’écria milady ; et quand serai-je vengée ?

— Demain, tout de suite, quand vous voudrez.

Milady allait s’écrier : « Tout de suite », mais elle réfléchit qu’une pareille précipitation serait peu gracieuse pour d’Artagnan.

D’ailleurs, elle avait mille précautions à prendre, mille conseils à donner à son défenseur, pour qu’il évitât les explications devant témoins avec le comte. Tout cela se trouva prévu par un mot de d’Artagnan.

— Demain, dit-il, vous serez vengée ou je serai mort.

— Non ! dit-elle, vous me vengerez ; mais vous ne mourrez pas. C’est un lâche.

— Avec les femmes peut-être, mais pas avec les hommes. J’en sais quelque chose, moi.

— Mais il me semble que dans votre lutte avec lui, vous n’avez pas eu à vous plaindre de la fortune.

— La fortune est une courtisane : favorable hier, elle peut me trahir demain.

— Ce qui veut dire que vous hésitez maintenant.

— Non, je n’hésite pas, Dieu m’en garde ; mais serait-il juste de me laisser aller à une mort possible sans m’avoir donné au moins un peu plus que de l’espoir ?

Milady répondit par un coup d’œil qui voulait dire :

— N’est-ce que cela ? parlez donc.

Puis, accompagnant le coup d’œil de paroles explicatives.

— C’est trop juste, dit-elle tendrement.

— Oh ! vous êtes un ange, dit le jeune homme.

— Ainsi, tout est convenu ? dit-elle.

— Sauf ce que je vous demande, chère âme !

— Mais, lorsque je vous dis que vous pouvez vous fier à ma tendresse ?

— Je n’ai pas de lendemain pour attendre.

— Silence ! j’entends mon frère : il est inutile qu’il vous trouve ici.

Elle sonna ; Ketty parut.

— Sortez par cette porte, dit-elle en poussant une petit porte dérobée, et revenez à onze heures ; nous achèverons cet entretien : Ketty vous introduira chez moi.

La pauvre enfant pensa tomber à la renverse en entendant ces paroles.

— Eh bien ! que faites-vous, mademoiselle, à demeurer immobile comme une statue ? Allons, reconduisez le chevalier ; et ce soir, à onze heures, vous avez entendu !

— Il paraît que ses rendez-vous sont à onze heures, pensa d’Artagnan : c’est une habitude prise.

Milady lui tendit une main qu’il baisa tendrement.

— Voyons, dit-il en se retirant et en répondant à peine aux reproches de Ketty, voyons, ne soyons pas un sot ; décidément cette femme est une grande scélérate : prenons garde !

LE SECRET DE MILADY

D’Artagnan était sorti de l’hôtel au lieu de monter tout de suite chez Ketty, malgré les instances que lui avait faites la jeune fille, et cela pour deux raisons : la première, parce que de cette façon il évitait les reproches, les récriminations, les prières ; la seconde, parce qu’il n’était pas fâché de lire un peu dans sa pensée, et, s’il était possible, dans celle de cette femme.

Tout ce qu’il y avait de plus clair là-dedans, c’est que d’Artagnan aimait milady comme un fou et qu’elle ne l’aimait pas le moins du monde. Un instant d’Artagnan comprit que ce qu’il aurait de mieux à faire serait de rentrer chez lui et d’écrire à milady une longue lettre dans laquelle il lui avouerait que lui et de Wardes étaient jusqu’à présent absolument le même, que par conséquent il ne pouvait s’engager, sous peine de suicide, à tuer de Wardes. Mais lui aussi était éperonné d’un féroce désir de vengeance ; il voulait posséder à son tour cette femme sous son propre nom ; et comme cette vengeance lui paraissait avoir une certaine douceur, il ne voulait point y renoncer.

Il fit cinq ou six fois le tour de la place Royale, se retournant de dix pas en dix pas pour regarder la lumière de l’appartement de milady, qu’on apercevait à travers les jalousies ; il était évident que cette fois la jeune femme était moins pressée que la première de rentrer dans sa chambre.

Enfin la lumière disparut.

Avec cette lueur s’éteignit la dernière irrésolution dans le cœur de d’Artagnan ; il se rappela les détails de la première nuit, et, le cœur bondissant, la tête en feu, il rentra dans l’hôtel et se précipita dans la chambre de Ketty.

La jeune fille, pâle comme la mort, tremblant de tous ses membres, voulut arrêter son amant ; mais milady, l’oreille au guet, avait entendu le bruit qu’avait fait d’Artagnan : elle ouvrit la porte.

— Venez, dit-elle.

Tout cela était d’une si incroyable imprudence, d’une si monstrueuse effronterie, qu’à peine si d’Artagnan pouvait croire à ce qu’il voyait et à ce qu’il entendait. Il croyait être entraîné dans quelqu’une de ces intrigues fantastiques comme on en accomplit en rêve.

Il ne s’élança pas moins vers milady, cédant à cette attraction que l’aimant exerce sur le fer. La porte se referma derrière eux.

Ketty s’élança à son tour contre la porte.

La jalousie, la fureur, l’orgueil offensé, toutes les passions enfin qui se disputent le cœur d’une femme amoureuse la poussaient à une révélation ; mais elle était perdue si elle avouait avoir donné les mains à une pareille machination ; et, par-dessus tout, d’Artagnan était perdu pour elle. Cette dernière pensée d’amour lui conseilla encore ce dernier sacrifice.

D’Artagnan, de son côté, était arrivé au comble de tous ses vœux : ce n’était plus un rival qu’on aimait en lui, c’était lui-même qu’on avait l’air d’aimer. Une voix secrète lui disait bien au fond du cœur qu’il n’était qu’un instrument de vengeance que l’on caressait en attendant qu’il donnât la mort, mais l’orgueil, mais l’amour-propre, mais la folie faisaient taire cette voix, étouffaient ce murmure. Puis notre Gascon, avec la dose de confiance que nous lui connaissons, se comparait à de Wardes et se demandait pourquoi, au bout du compte, on ne l’aimerait pas, lui aussi, pour lui-même.

Il s’abandonna donc tout entier aux sensations du moment. Milady ne fut plus pour lui cette femme aux intentions fatales qui l’avait un instant épouvanté, ce fut une maîtresse ardente et passionnée s’abandonnant tout entière à un amour qu’elle semblait éprouver elle-même. Deux heures à peu près s’écoulèrent ainsi.

Cependant les transports des deux amants se calmèrent ; milady, qui n’avait point les mêmes motifs que d’Artagnan pour oublier, revint la première à la réalité et demanda au jeune homme si les mesures qui devaient amener le lendemain entre lui et de Wardes une rencontre étaient bien arrêtées d’avance dans son esprit.

Mais d’Artagnan, dont les idées avaient pris un tout autre cours, s’oublia comme un sot et répondit galamment qu’il était bien tard pour s’occuper de duels à coups d’épée.

Cette froideur pour les seuls intérêts qui l’occupassent effraya milady, dont les questions devinrent plus pressantes.

Alors d’Artagnan, qui n’avait jamais sérieusement pensé à ce duel impossible, voulut détourner la conversation, mais il n’était plus de force.

Milady le contint dans les limites qu’elle avait tracées d’avance avec son esprit irrésistible et sa volonté de fer.

D’Artagnan se crut fort spirituel en conseillant à milady de renoncer, en pardonnant à de Wardes, aux projets furieux qu’elle avait formés.

Mais aux premiers mots qu’il dit, la jeune femme tressaillit et s’éloigna.

— Auriez-vous peur, cher d’Artagnan ? dit-elle d’une voix aiguë et railleuse qui résonna étrangement dans l’obscurité.

— Vous ne le pensez pas, chère âme ! répondit d’Artagnan ; mais enfin, si ce pauvre comte de Wardes était moins coupable que vous ne le pensez ?

— En tout cas dit gravement milady, il m’a trompée, et du moment où il m’a trompée il a mérité la mort.

— Il mourra donc, puisque vous le condamnez ! dit d’Artagnan d’un ton si ferme, qu’il parut à milady l’expression d’un dévouement à toute épreuve.

Aussitôt elle se rapprocha de lui.

Nous ne pourrions dire le temps que dura la nuit pour milady ; mais d’Artagnan croyait être près d’elle depuis deux heures à peine lorsque le jour parut aux fentes des jalousies et bientôt envahit la chambre de sa lueur blafarde.

Alors milady, voyant que d’Artagnan allait la quitter, lui rappela la promesse qu’il lui avait faite de la venger de de Wardes.

— Je suis tout prêt, dit d’Artagnan, mais auparavant je voudrais être certain d’une chose.

— De laquelle ? demanda milady.

— C’est que vous m’aimez.

— Je vous en ai donné la preuve, ce me semble.

— Oui, aussi je suis à vous corps et âme.

— Merci, mon brave amant ! mais de même que je vous ai prouvé mon amour, vous me prouverez le vôtre à votre tour, n’est-ce pas ?

— Certainement. Mais si vous m’aimez comme vous me le dites, reprit d’Artagnan, ne craignez-vous pas un peu pour moi ?

— Que puis-je craindre ?

— Mais enfin, que je sois blessé dangereusement, tué même.

— Impossible, dit milady, vous êtes un homme si vaillant et une si fine épée.

— Vous ne préféreriez donc point, reprit d’Artagnan, un moyen qui vous vengerait de même tout en rendant inutile le combat.

Milady regarda son amant en silence : cette lueur blafarde des premiers rayons du jour donnait à ses yeux clairs une expression étrangement funeste.

— Vraiment, dit-elle, je crois que voilà que vous hésitez maintenant.

— Non, je n’hésite pas ; mais c’est que ce pauvre comte de Wardes me fait vraiment peine depuis que vous ne l’aimez plus, et il me semble qu’un homme doit être si cruellement puni par la perte seule de votre amour, qu’il n’a pas besoin d’autre châtiment :

— Qui vous dit que je l’aie aimé ? demanda milady.

— Au moins puis-je croire maintenant sans trop de fatuité que vous en aimez un autre, dit le jeune homme d’un ton caressant, et je vous le répète, je m’intéresse au comte.

— Vous ? demanda milady.

— Oui moi.

— Et pourquoi vous ?

— Parce que seul je sais…

— Quoi ?

— Qu’il est loin d’être ou plutôt d’avoir été aussi coupable envers vous qu’il le paraît.

— En vérité ! dit milady d’un air inquiet ; expliquez-vous, car je ne sais vraiment ce que vous voulez dire.

Et elle regardait d’Artagnan, qui la tenait embrassée avec des yeux qui semblaient s’enflammer peu à peu.

— Oui, je suis galant homme, moi ! dit d’Artagnan décidé à en finir ; et depuis que votre amour est à moi, que je suis bien sûr de le posséder, car je le possède, n’est-ce pas ?…

— Tout entier, continuez.

— Eh bien, je me sens comme transporté, un aveu me pèse.

— Un aveu ?

— Si j’eusse douté de votre amour je ne l’eusse pas fait ; mais vous m’aimez, ma belle maîtresse ? n’est-ce pas, vous m’aimez ?

— Sans doute.

— Alors si par excès d’amour je me suis rendu coupable envers vous, vous me pardonnerez ?

— Peut-être !

D’Artagnan essaya, avec le plus doux sourire qu’il pût prendre, de rapprocher ses lèvres des lèvres de milady, mais celle-ci l’écarta.

— Cet aveu, dit-elle en pâlissant, quel est cet aveu ?

— Vous aviez donné rendez-vous à de Wardes, jeudi dernier, dans cette même chambre, n’est-ce pas ?

— Moi, non ! cela n’est pas, dit milady d’un ton de voix si ferme et d’un visage si impassible, que si d’Artagnan n’eût pas eu une certitude si parfaite, il eût douté.

— Ne mentez pas, mon bel ange, dit d’Artagnan en souriant, ce serait inutile.

— Comment cela ? parlez donc ! vous me faites mourir !

— Oh ! rassurez-vous, vous n’êtes point coupable envers moi, et je vous ai déjà pardonné !

— Après, après ?

— De Wardes ne peut se glorifier de rien.

— Pourquoi ? Vous m’avez dit vous-même que cette bague…

— Cette bague, mon amour, c’est moi qui l’ai. Le comte de Wardes de jeudi et le d’Artagnan d’aujourd’hui sont la même personne.

L’imprudent s’attendait à une surprise mêlée de pudeur, à un petit orage qui se résoudrait en larmes ; mais il se trompait étrangement, et son erreur ne fut pas longue.

Pâle et terrible, milady se redressa, et, repoussant d’Artagnan d’un violent coup dans la poitrine, elle s’élança hors du lit.

Il faisait alors presque grand jour.

D’Artagnan la retint par son peignoir de fine toile des Indes pour implorer son pardon ; mais elle, d’un mouvement puissant et résolu, elle essaya de fuir. Alors la batiste se déchira en laissant à nu les épaules et sur l’une de ces belles épaules rondes et blanches, d’Artagnan avec un saisissement inexprimable, reconnut la fleur de lys, cette marque indélébile qu’imprime la main infamante du bourreau.

— Grand Dieu ! s’écria d’Artagnan en lâchant le peignoir.

Et il demeura muet, immobile et glacé sur le lit.

Mais milady se sentait dénoncée par l’effroi même de d’Artagnan. Sans doute il avait tout vu : le jeune homme maintenant savait son secret, secret terrible, que tout le monde ignorait, excepté lui.

Elle se retourna, non plus comme une femme furieuse mais comme une panthère blessée.

— Ah ! misérable, dit-elle, tu m’as lâchement trahie, et de plus tu as mon secret ! Tu mourras !

Et elle courut à un coffret de marqueterie posé sur la toilette, l’ouvrit d’une main fiévreuse et tremblante, en tira un petit poignard à manche d’or, à la lame aiguë et mince et revint d’un bond sur d’Artagnan à demi nu.

Quoique le jeune homme fût brave, on le sait, il fut épouvanté de cette figure bouleversée, de ces pupilles dilatées horriblement, de ces joues pâles et de ces lèvres sanglantes ; il recula jusqu’à la ruelle, comme il eût fait à l’approche d’un serpent qui eût rampé vers lui, et son épée se rencontrant sous sa main souillée de sueur, il la tira du fourreau.

Mais sans s’inquiéter de l’épée, milady essaya de remonter sur le lit pour le frapper, et elle ne s’arrêta que lorsqu’elle sentit la pointe aiguë sur sa gorge.

Alors elle essaya de saisir cette épée avec les mains mais d’Artagnan l’écarta toujours de ses étreintes et, la lui présentant tantôt aux yeux, tantôt à la poitrine, il se laissa glisser à bas du lit, cherchant pour faire retraite la porte qui conduisait chez Ketty.

Milady, pendant ce temps, se ruait sur lui avec d’horribles transports, rugissant d’une façon formidable.

Cependant cela ressemblait à un duel, aussi d’Artagnan se remettait petit à petit.

— Bien, belle dame, bien ! disait-il, mais, de par Dieu, calmez-vous, ou je vous dessine une seconde fleur de lis sur l’autre épaule.

— Infâme ! infâme ! hurlait milady.

Mais d’Artagnan, cherchant toujours la porte, se tenait sur la défensive.

Au bruit qu’ils faisaient, elle renversant les meubles pour aller à lui, lui s’abritant derrière les meubles pour se garantir d’elle, Ketty ouvrit la porte. D’Artagnan, qui avait sans cesse manœuvré pour se rapprocher de cette porte, n’en était plus qu’à trois pas. D’un seul élan il s’élança de la chambre de milady dans celle de la suivante, et, rapide comme l’éclair, il referma la porte, contre laquelle il s’appuya de tout son poids tandis que Ketty poussait les verrous.

Alors milady essaya de renverser l’arc-boutant qui l’enfermait dans sa chambre, avec des forces bien au-dessus de celles d’une femme ; puis, lorsqu’elle sentit que c’était chose impossible, elle cribla la porte de coups de poignard, dont quelques-uns traversèrent l’épaisseur du bois.

Chaque coup était accompagné d’une imprécation terrible.

— Vite, vite, Ketty, dit d’Artagnan à demi-voix lorsque les verrous furent mis, fais-moi sortir de l’hôtel, ou si nous lui laissons le temps de se retourner, elle me fera tuer par les laquais.

— Mais vous ne pouvez pas sortir ainsi, dit Ketty, vous êtes tout nu.

— C’est vrai, dit d’Artagnan, qui s’aperçut alors seulement du costume dans lequel il se trouvait, c’est vrai ; habille-moi comme tu pourras, mais hâtons-nous ; comprends-tu, il y va de la vie et de la mort !

Ketty ne comprenait que trop ; en un tour de main elle l’affubla d’une robe à fleurs, d’une large coiffe et d’un mantelet ; elle lui donna des pantoufles, dans lesquelles il passa ses pieds nus, puis elle l’entraîna par les degrés. Il était temps, milady avait déjà sonné et réveillé tout l’hôtel. Le portier tira le cordon à la voix de Ketty au moment même où milady, à demi nue de son côté, criait par la fenêtre :

— N’ouvrez pas !

COMMENT, SANS SE DÉRANGER, ATHOS TROUVA SON ÉQUIPEMENT

Le jeune homme s’enfuit tandis qu’elle le menaçait encore d’un geste impuissant. Au moment où elle le perdit de vue, Milady tomba évanouie dans sa chambre.

D’Artagnan était tellement bouleversé, que, sans s’inquiéter de ce que deviendrait Ketty, il traversa la moitié de Paris tout en courant, et ne s’arrêta que devant la porte d’Athos. L’égarement de son esprit, la terreur qui l’éperonnait, les cris de quelques patrouilles qui se mirent à sa poursuite, et les huées de quelques passants qui, malgré l’heure peu avancée, se rendaient à leurs affaires, ne firent que précipiter sa course.

Il traversa la cour, monta les deux étages d’Athos et frappa à la porte à tout rompre.

Grimaud vint ouvrir les yeux bouffis de sommeil. D’Artagnan s’élança avec tant de force dans l’antichambre qu’il faillit le culbuter en entrant.

Malgré le mutisme habituel du pauvre garçon, cette fois la parole lui revint.

— Hé, la, la ! s’écria-t-il, que voulez-vous, coureuse ? que demandez-vous, drôlesse ?

D’Artagnan releva ses coiffes et dégagea ses mains de dessous son mantelet ; à la vue de ses moustaches et de son épée nue, le pauvre diable s’aperçut qu’il avait affaire à un homme.

Il crut alors que c’était quelque assassin.

— Au secours ! à l’aide ! au secours ! s’écria-t-il.

— Tais-toi, malheureux ! dit le jeune homme, je suis d’Artagnan, ne me reconnais-tu pas ? Où est ton maître ?

— Vous, monsieur d’Artagnan ! s’écria Grimaud épouvanté. Impossible.

— Grimaud, dit Athos sortant de son appartement en robe de chambre, je crois que vous vous permettez de parler.

— Ah ! monsieur ! c’est que…

— Silence.

Grimaud se contenta de montrer du doigt d’Artagnan à son maître.

Athos reconnut son camarade, et, tout flegmatique qu’il était, il partit d’un éclat de rire que motivait bien la mascarade étrange qu’il avait sous les yeux : coiffes de travers, jupes tombantes sur les souliers ; manches retroussées et moustaches raides d’émotion.

— Ne riez pas, mon ami, s’écria d’Artagnan ; de par le ciel ne riez pas, car, sur mon âme, je vous le dis, il n’y a point de quoi rire.

Et il prononça ces mots d’un air si solennel et avec une épouvante si vraie qu’Athos lui prit aussitôt les mains en s’écriant :

— Seriez-vous blessé, mon ami ? vous êtes bien pâle !

— Non, mais il vient de m’arriver un terrible événement. Êtes-vous seul, Athos ?

— Pardieu ! qui voulez-vous donc qui soit chez moi à cette heure ?

— Bien, bien.

Et d’Artagnan se précipita dans la chambre d’Athos.

— Hé, parlez ! dit celui-ci en refermant la porte et en poussant les verrous pour n’être pas dérangés. Le roi est-il mort ? avez-vous tué M. le cardinal ? vous êtes tout renversé ; voyons, voyons, dites, car je meurs véritablement d’inquiétude.

— Athos, dit d’Artagnan se débarrassant de ses vêtements de femme et apparaissant en chemise, préparez-vous à entendre une histoire incroyable, inouïe.

— Prenez d’abord cette robe de chambre, dit le mousquetaire à son ami.

D’Artagnan passa la robe de chambre, prenant une manche pour une autre tant il était encore ému.

— Eh bien ? dit Athos.

— Eh bien, répondit d’Artagnan en se courbant vers l’oreille d’Athos et en baissant la voix, milady est marquée d’une fleur de lys à l’épaule.

— Ah ! cria le mousquetaire comme s’il eût reçu une balle dans le cœur.

— Voyons, dit d’Artagnan, êtes-vous sûr que l’autre soit bien morte ?

— L’autre ? dit Athos d’une voix si sourde, qu’à peine si d’Artagnan l’entendit.

— Oui, celle dont vous m’avez parlé un jour à Amiens.

Athos poussa un gémissement et laissa tomber sa tête dans ses mains.

— Celle-ci, continua d’Artagnan, est une femme de vingt-six à vingt-huit ans.

— Blonde, dit Athos, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Des yeux clairs, d’une clarté étrange, avec des cils et sourcils noirs ?

— Oui.

— Grande, bien faite ? Il lui manque une dent près de l’œillère gauche.

— Oui.

— La fleur de lys est petite, rousse de couleur et comme effacée par les couches de pâte qu’on y applique.

— Oui.

— Cependant vous dites qu’elle est anglaise !

— On l’appelle milady, mais elle peut être française. Malgré cela, lord de Winter n’est que son beau-frère.

— Je veux la voir, d’Artagnan.

— Prenez garde, Athos, prenez garde ; vous avez voulu la tuer, elle est femme à vous rendre la pareille et à ne pas vous manquer.

— Elle n’osera rien dire, car ce serait se dénoncer elle-même.

— Elle est capable de tout ! L’avez-vous jamais vue furieuse ?

— Non, dit Athos.

— Une tigresse, une panthère ! Ah ! mon cher Athos ! j’ai bien peur d’avoir attiré sur nous deux une vengeance terrible !

D’Artagnan raconta tout alors : la colère insensée de milady et ses menaces de mort.

— Vous avez raison, et, sur mon âme, je donnerais ma vie pour un cheveu, dit Athos. Heureusement, c’est après-demain que nous quittons Paris ; nous allons, selon toute probabilité, à La Rochelle, et une fois partis…

— Elle vous suivra jusqu’au bout du monde, Athos, si elle vous reconnaît ; laissez donc sa haine s’exercer sur moi seul.

— Ah ! mon cher ! que m’importe qu’elle me tue ! dit Athos ; est-ce que par hasard vous croyez que je tiens à la vie ?

— Il y a quelque horrible mystère sous tout cela, Athos. Cette femme est l’espion du cardinal, j’en suis sûr.

— En ce cas, prenez garde à vous. Si le cardinal ne vous a pas dans une haute admiration pour l’affaire de Londres, il vous a en grande haine ; mais comme, au bout du compte, il ne peut rien vous reprocher ostensiblement, et qu’il faut que haine se satisfasse, surtout quand c’est une haine de cardinal, prenez garde à vous ! Si vous sortez, ne sortez pas seul ; si vous mangez, prenez vos précautions : méfiez-vous de tout enfin, même de votre ombre.

— Heureusement, dit d’Artagnan, qu’il s’agit seulement d’aller jusqu’à après-demain soir sans encombre, car une fois à l’armée nous n’aurons plus, je l’espère, que des hommes à craindre.

— En attendant, dit Athos, je renonce à mes projets de réclusion, et je vais partout avec vous : il faut que vous retourniez rue des Fossoyeurs, je vous accompagne.

— Mais si près que ce soit d’ici, reprit d’Artagnan, je ne puis y retourner comme cela.

— C’est juste, dit Athos.

Et il tira la sonnette.

Grimaud entra.

Athos lui fit signe d’aller chez d’Artagnan, et d’en rapporter des habits.

Grimaud répondit par un autre signe qu’il comprenait parfaitement et partit.

— Ah çà ! mais voilà qui ne nous avance pas pour l’équipement cher ami, dit Athos ; car, si je ne m’abuse, vous avez laissé toute votre défroque chez milady, qui n’aura sans doute pas l’attention de vous la retourner. Heureusement que vous avez le saphir.

— Le saphir est à vous, mon cher Athos ! ne m’avez-vous pas dit que c’était une bague de famille ?

— Oui, mon père l’acheta deux mille écus, à ce qu’il me dit autrefois ; il faisait partie des cadeaux de noces qu’il fit à ma mère ; et il est magnifique. Ma mère me le donna, et moi, fou que j’étais, plutôt que de garder cette bague comme une relique sainte, je la donnai à mon tour à cette misérable.

— Alors, mon cher, reprenez cette bague, à laquelle je comprends que vous devez tenir.

— Moi, reprendre cette bague, après qu’elle a passé par les mains de l’infâme ! jamais : cette bague est souillée, d’Artagnan.

— Vendez-la donc.

— Vendre un diamant qui vient de ma mère ! je vous avoue que je regarderais cela comme une profanation.

— Alors engagez-la, on vous prêtera bien dessus un millier d’écus. Avec cette somme vous serez au-dessus de vos affaires, puis, au premier argent qui vous rentrera, vous la dégagerez, et vous la reprendrez lavée de ses anciennes taches, car elle aura passé par les mains des usuriers.

Athos sourit.

— Vous êtes un charmant compagnon, dit-il, mon cher d’Artagnan ; vous relevez par votre éternelle gaieté les pauvres esprits dans l’affliction. Eh bien, oui, engageons cette bague, mais à une condition !

— Laquelle ?

— C’est qu’il y aura cinq cents écus pour vous et cinq cents écus pour moi.

— Y songez-vous, Athos ? je n’ai pas besoin du quart de cette somme, moi qui suis dans les gardes, et en vendant ma selle je me la procurerai. Que me faut-il ? Un cheval pour Planchet, voilà tout. Puis vous oubliez que j’ai une bague aussi.

— À laquelle vous tenez encore plus, ce me semble, que je ne tiens, moi, à la mienne ; du moins j’ai cru m’en apercevoir.

— Oui, car dans une circonstance extrême elle peut nous tirer non seulement de quelque grand embarras mais encore de quelque grand danger ; c’est non seulement un diamant précieux, mais c’est encore un talisman enchanté.

— Je ne vous comprends pas, mais je crois à ce que vous me dites. Revenons donc à ma bague, ou plutôt à la vôtre, vous toucherez la moitié de la somme qu’on nous donnera sur elle ou je la jette dans la Seine, et je doute que, comme à Polycrate, quelque poisson soit assez complaisant pour nous la rapporter.

— Eh bien ! donc, j’accepte ! dit d’Artagnan.

En ce moment Grimaud rentra accompagné de Planchet ; celui-ci, inquiet de son maître et curieux de savoir ce qui lui était arrivé, avait profité de la circonstance et apportait les habits lui-même.

D’Artagnan s’habilla, Athos en fit autant : puis quand tous deux furent prêts à sortir, ce dernier fit à Grimaud le signe d’un homme qui met en joue ; celui-ci décrocha aussitôt son mousqueton et s’apprêta à accompagner son maître.

Athos et d’Artagnan suivis de leurs valets arrivèrent sans incident à la rue des Fossoyeurs. Bonacieux était sur la porte, il regarda d’Artagnan d’un air goguenard.

— Eh, mon cher locataire ! dit-il, hâtez-vous donc, vous avez une belle jeune fille qui vous attend chez vous, et les femmes, vous le savez, n’aiment pas qu’on les fasse attendre !

— C’est Ketty ! s’écria d’Artagnan, et il s’élança dans l’allée.

Effectivement, sur le carré conduisant à sa chambre, et tapie contre sa porte, il trouva la pauvre enfant toute tremblante. Dès qu’elle l’aperçut :

— Vous m’avez promis votre protection, vous m’avez promis de me sauver de sa colère, dit-elle ; souvenez-vous que c’est vous qui m’avez perdue !

— Oui, sans doute, dit d’Artagnan, sois tranquille, Ketty. Mais qu’est-il arrivé après mon départ ?

— Le sais-je ? dit Ketty. Aux cris qu’elle a poussés les laquais sont accourus, elle était folle de colère ; tout ce qu’il existe d’imprécations elle les a vomies contre vous. Alors j’ai pensé qu’elle se rappellerait que c’était par ma chambre que vous aviez pénétré dans la sienne, et qu’alors elle songerait que j’étais votre complice ; j’ai pris le peu d’argent que j’avais, mes hardes les plus précieuses, et je me suis sauvée.

— Pauvre enfant ! Mais que vais-je faire de toi ? Je pars après-demain.

— Tout ce que vous voudrez, monsieur le chevalier, faites-moi quitter Paris, faites-moi quitter la France.

— Je ne puis cependant pas t’emmener avec moi au siège de La Rochelle, dit d’Artagnan.

— Non ; mais vous pouvez me placer en province, chez quelque dame de votre connaissance : dans votre pays, par exemple.

— Ah ! ma chère amie ! dans mon pays les dames n’ont point de femmes de chambre. Mais, attends, j’ai ton affaire. Planchet, va me chercher Aramis : qu’il vienne tout de suite. Nous avons quelque chose de très important à lui dire.

— Je comprends, dit Athos ; mais pourquoi pas Porthos ? Il me semble que sa marquise…

— La marquise de Porthos se fait habiller par les clercs de son mari, dit d’Artagnan en riant. D’ailleurs Ketty ne voudrait pas demeurer rue aux Ours, n’est-ce pas, Ketty ?

— Je demeurerai où l’on voudra, dit Ketty, pourvu que je sois bien cachée et que l’on ne sache pas où je suis.

— Maintenant, Ketty, que nous allons nous séparer, et par conséquent que tu n’es plus jalouse de moi…

— Monsieur le chevalier, de loin ou de près, dit Ketty, je vous aimerai toujours.

— Où diable la constance va-t-elle se nicher ? murmura Athos.

— Moi aussi, dit d’Artagnan, moi aussi, je t’aimerai toujours, sois tranquille. Mais voyons, réponds-moi. Maintenant j’attache une grande importance à la question que je te fais : n’aurais-tu jamais entendu parler d’une jeune dame qu’on aurait enlevée pendant une nuit.

— Attendez donc… Oh ! mon Dieu ! monsieur le chevalier, est-ce que vous aimez encore cette femme ?

— Non, c’est un de mes amis qui l’aime. Tiens, c’est Athos que voilà.

— Moi ! s’écria Athos avec un accent pareil à celui d’un homme qui s’aperçoit qu’il va marcher sur une couleuvre.

— Sans doute, vous ! fit d’Artagnan en serrant la main d’Athos. Vous savez bien l’intérêt que nous prenons tous à cette pauvre petite madame Bonacieux. D’ailleurs Ketty ne dira rien : n’est-ce pas, Ketty ? Tu comprends, mon enfant, continua d’Artagnan, c’est la femme de cet affreux magot que tu as vu sur le pas de la porte en entrant ici.

— Oh ! mon Dieu ! s’écria Ketty, vous me rappelez ma peur ; pourvu qu’il ne m’ait pas reconnue !

— Comment, reconnue ! tu as donc déjà vu cet homme ?

— Il est venu deux fois chez milady.

— C’est cela. Vers quelle époque ?

— Mais il y a quinze ou dix-huit jours à peu près.

— Justement.

— Et hier soir il est revenu.

— Hier soir.

— Oui, un instant avant que vous vinssiez vous-même.

— Mon cher Athos, nous sommes enveloppés dans un réseau d’espions ! Et tu crois qu’il t’a reconnue, Ketty ?

— J’ai baissé ma coiffe en l’apercevant, mais peut-être était-il trop tard.

— Descendez, Athos, vous dont il se méfie moins que de moi, et voyez s’il est toujours sur sa porte.

Athos descendit et remonta bientôt.

— Il est parti, dit-il, et la maison est fermée.

— Il est allé faire son rapport, et dire que tous les pigeons sont en ce moment au colombier.

— Eh bien, mais, envolons-nous, dit Athos, et ne laissons ici que Planchet pour nous rapporter les nouvelles.

— Un instant ! Et Aramis que nous avons envoyé chercher !

— C’est juste, dit Athos, attendons Aramis.

En ce moment Aramis entra.

On lui exposa l’affaire, et on lui dit comment il était urgent que parmi toutes ses hautes connaissances il trouvât une place à Ketty.

Aramis réfléchit un instant, et dit en rougissant :

— Cela vous rendra-t-il bien réellement service, d’Artagnan.

— Je vous en serai reconnaissant toute ma vie.

— Eh bien, madame de Bois-Tracy m’a demandé, pour une de ses amies qui habite la province, je crois, une femme de chambre sûre ; et si vous pouvez, mon cher d’Artagnan, me répondre de mademoiselle…

— Oh ! monsieur, s’écria Ketty, je serai toute dévouée, soyez-en certain, à la personne qui me donnera les moyens de quitter Paris.

— Alors, dit Aramis, cela va pour le mieux.

Il se mit à une table et écrivit un petit mot qu’il cacheta avec une bague, et donna le billet à Ketty.

— Maintenant, mon enfant, dit d’Artagnan, tu sais qu’il ne fait pas meilleur ici pour nous que pour toi. Ainsi séparons-nous. Nous nous retrouverons dans des jours meilleurs.

— Et dans quelque temps que nous nous retrouvions et dans quelque lieu que ce soit, dit Ketty, vous me retrouverez vous aimant encore comme je vous aime aujourd’hui.

— Serment de joueur, dit Athos pendant que d’Artagnan allait reconduire Ketty sur l’escalier.

Un instant après, les trois jeunes gens se séparèrent en prenant rendez-vous à quatre heures chez Athos et en laissant Planchet pour garder la maison.

Aramis rentra chez lui, et Athos et d’Artagnan s’inquiétèrent du placement du saphir.

Comme l’avait prévu notre Gascon, on trouva facilement trois cents pistoles sur la bague. De plus, le juif annonça que si on voulait la lui vendre, comme elle lui ferait un pendant magnifique pour des boucles d’oreilles, il en donnerait jusqu’à cinq cents pistoles.

Athos et d’Artagnan, avec l’activité de deux soldats et la science de deux connaisseurs, mirent trois heures à peine à acheter tout l’équipement du mousquetaire. D’ailleurs Athos était de bonne composition et grand seigneur jusqu’au bout des ongles. Chaque fois qu’une chose lui convenait, il payait le prix demandé sans essayer même d’en rabattre. D’Artagnan voulait bien là-dessus faire ses observations, mais Athos lui posait la main sur l’épaule en souriant, et d’Artagnan comprenait que c’était bon pour lui, petit gentilhomme gascon, de marchander, mais non pour un homme qui avait les airs d’un prince.

Le mousquetaire trouva un superbe cheval andalou, noir comme du jais, aux narines de feu, aux jambes fines et élégantes, qui prenait six ans. Il l’examina et le trouva sans défaut. On le lui fit mille livres.

Peut-être l’eût-il eu pour moins ; mais tandis que d’Artagnan discutait sur le prix avec le maquignon, Athos comptait les cent pistoles sur la table.

Grimaud eut un cheval picard, trapu et fort, qui coûta trois cents livres.

Mais la selle de ce dernier cheval et les armes de Grimaud achetées, il ne restait plus un sou des cent cinquante pistoles d’Athos. D’Artagnan offrit à son ami de mordre une bouchée dans la part qui lui revenait, quitte à lui rendre plus tard ce qu’il lui aurait emprunté.

Mais Athos, pour toute réponse, se contenta de hausser les épaules.

— Combien le juif donnait-il du saphir pour l’avoir en toute propriété ? demanda Athos.

— Cinq cents pistoles.

— C’est-à-dire, deux cents pistoles de plus ; cent pistoles pour vous, cent pistoles pour moi. Mais c’est une véritable fortune, cela, mon ami, retournez chez le juif.

— Comment, vous voulez…

— Cette bague, décidément, me rappellerait de trop tristes souvenirs ; puis nous n’aurons jamais trois cents pistoles à lui rendre, de sorte que nous perdrions deux mille livres à ce marché. Allez lui dire que la bague est à lui, d’Artagnan, et revenez avec les deux cents pistoles.

— Réfléchissez, Athos.

— L’argent comptant est cher par le temps qui court, et il faut savoir faire des sacrifices. Allez, d’Artagnan, allez ; Grimaud vous accompagnera avec son mousqueton.

Une demi-heure après, d’Artagnan revint avec les deux mille livres et sans qu’il lui fût arrivé aucun accident.

Ce fut ainsi qu’Athos trouva dans son ménage des ressources auxquelles il ne s’attendait pas.

UNE VISION

À quatre heures, les quatre amis étaient donc réunis chez Athos. Leurs préoccupations sur l’équipement avaient tout à fait disparu, et chaque visage ne conservait plus l’expression que de ses propres et secrètes inquiétudes ; car derrière tout bonheur présent est cachée une crainte à venir.

Tout à coup Planchet entra apportant deux lettres à l’adresse de d’Artagnan.

L’une était un petit billet gentiment plié en long avec un joli cachet de cire verte sur lequel était empreinte une colombe rapportant un rameau vert.

L’autre était une grande épître carrée et resplendissante des armes terribles de Son Éminence le cardinal-duc.

À la vue de la petite lettre, le cœur de d’Artagnan bondit, car il avait cru reconnaître l’écriture ; et quoiqu’il n’eût vu cette écriture qu’une fois, la mémoire en était restée au plus profond de son cœur.

Il prit donc la petite épître et la décacheta vivement.

« Promenez-vous, lui disait-on, mercredi prochain, de six heures à sept heures du soir, sur la route de Chaillot, et regardez avec soin dans les carrosses qui passeront, mais si vous tenez à votre vie et à celle des gens qui vous aiment, ne dites pas un mot, ne faites pas un mouvement qui puisse faire croire que vous avez reconnu celle qui s’expose à tout pour vous apercevoir un instant. »

Pas de signature.

— C’est un piège, dit Athos, n’y allez pas, d’Artagnan.

— Cependant, dit d’Artagnan, il me semble bien reconnaître l’écriture.

— Elle est peut-être contrefaite, reprit Athos ; à six ou sept heures, dans ce temps-ci, la route de Chaillot est tout à fait déserte : autant que vous alliez vous promener dans la forêt de Bondy.

— Mais si nous y allions tous ! dit d’Artagnan ; que diable ! on ne nous dévorera point tous les quatre ; plus, quatre laquais ; plus, les chevaux ; plus, les armes.

— Puis ce sera une occasion de montrer nos équipages, dit Porthos.

— Mais si c’est une femme qui écrit, dit Aramis, et que cette femme désire ne pas être vue, songez que vous la compromettez, d’Artagnan : ce qui est mal de la part d’un gentilhomme.

— Nous resterons en arrière, dit Porthos, et lui seul s’avancera.

— Oui, mais un coup de pistolet est bientôt tiré d’un carrosse qui marche au galop.

— Bah ! dit d’Artagnan, on me manquera. Nous rejoindrons alors le carrosse, et nous exterminerons ceux qui se trouvent dedans. Ce sera toujours autant d’ennemis de moins.

— Il a raison, dit Porthos : bataille ; il faut bien essayer nos armes d’ailleurs.

— Bah ! donnons-nous ce plaisir, dit Aramis de son air doux et nonchalant.

— Comme vous voudrez, dit Athos.

— Messieurs, dit d’Artagnan, il est quatre heures et demie, et nous avons le temps à peine d’être à six heures sur la route de Chaillot.

— Puis, si nous sortions trop tard, dit Porthos, on ne nous verrait pas, ce qui serait dommage. Allons donc nous apprêter, messieurs.

— Mais cette seconde lettre, dit Athos, vous l’oubliez ; il me semble que le cachet indique cependant qu’elle mérite bien d’être ouverte : quant à moi, je vous déclare, mon cher d’Artagnan, que je m’en soucie bien plus que du petit brimborion que vous venez tout doucement de glisser sur votre cœur.

D’Artagnan rougit.

— Eh bien, dit le jeune homme, voyons, messieurs, ce que me veut Son Éminence.

Et d’Artagnan décacheta la lettre et lut :

« M. d’Artagnan, garde du roi, compagnie des Essarts, est attendu au Palais-Cardinal ce soir à huit heures.

« La Houdinière,

« Capitaine des gardes. »

— Diable ! dit Athos, voici un rendez-vous bien autrement inquiétant que l’autre.

— J’irai au second en sortant du premier, dit d’Artagnan : l’un est pour sept heures, l’autre pour huit ; il y aura temps pour tout.

— Hum ! je n’irais pas, dit Aramis : un galant chevalier ne peut manquer à un rendez-vous donné par une dame ; mais un gentilhomme prudent peut s’excuser de ne pas se rendre chez Son Éminence, surtout lorsqu’il a quelque raison de croire que ce n’est pas pour y recevoir des compliments.

— Je suis de l’avis d’Aramis, dit Porthos.

— Messieurs, répondit d’Artagnan, j’ai déjà reçu par M. de Cavois pareille invitation de Son Éminence, je l’ai négligée, et le lendemain il m’est arrivé un grand malheur ! Constance a disparu ; quelque chose qui puisse advenir, j’irai.

— Si c’est un parti pris, dit Athos, faites.

— Mais la Bastille ? dit Aramis.

— Bah ! vous m’en tirerez, reprit d’Artagnan.

— Sans doute, reprirent Aramis et Porthos avec un aplomb admirable et comme si c’était la chose la plus simple, sans doute nous vous en tirerons ; mais, en attendant, comme nous devons partir après-demain, vous feriez mieux de ne pas risquer cette Bastille.

— Faisons mieux, dit Athos, ne le quittons pas de la soirée, attendons-le chacun à une porte du palais avec trois mousquetaires derrière nous ; si nous voyons sortir quelque voiture à portière fermée et à demi suspecte, nous tomberons dessus. Il y a longtemps que nous n’avons eu maille à partir avec les gardes de M. le cardinal, et M. de Tréville doit nous croire morts.

— Décidément, Athos, dit Aramis, vous étiez fait pour être général d’armée ; que dites-vous du plan, messieurs ?

— Admirable ! répétèrent en chœur les jeunes gens.

— Eh bien, dit Porthos, je cours à l’hôtel, je préviens nos camarades de se tenir prêts pour huit heures, le rendez-vous sera sur la place du Palais-Cardinal ; vous, pendant ce temps, faites seller les chevaux par les laquais.

— Mais moi, je n’ai pas de cheval, dit d’Artagnan ; mais je vais en faire prendre un chez M. de Tréville.

— C’est inutile, dit Aramis, vous prendrez un des miens.

— Combien en avez-vous donc ? demanda d’Artagnan.

— Trois, répondit en souriant Aramis.

— Mon cher ! dit Athos, vous êtes certainement le poète le mieux monté de France et de Navarre.

— Écoutez, mon cher Aramis, vous ne saurez que faire de trois chevaux, n’est-ce pas ? je ne comprends pas même que vous ayez acheté trois chevaux.

— Aussi, je n’en ai acheté que deux, dit Aramis.

— Le troisième vous est donc tombé du ciel ?

— Non, le troisième m’a été amené ce matin même par un domestique sans livrée qui n’a pas voulu me dire à qui il appartenait et qui m’a affirmé avoir reçu l’ordre de son maître…

— Ou de sa maîtresse, interrompit d’Artagnan.

— La chose n’y fait rien, dit Aramis en rougissant… et qui m’a affirmé, dis-je, avoir reçu l’ordre de sa maîtresse de mettre ce cheval dans mon écurie sans me dire de quelle part il venait.

— Il n’y a qu’aux poètes que ces choses-là arrivent, reprit gravement Athos.

— Eh bien, en ce cas, faisons mieux, dit d’Artagnan ; lequel des deux chevaux monterez-vous : celui que vous avez acheté, ou celui qu’on vous a donné ?

— Celui que l’on m’a donné sans contredit ; vous comprenez, d’Artagnan, que je ne puis faire cette injure…

— Au donateur inconnu, reprit d’Artagnan.

— Ou à la donatrice mystérieuse, dit Athos.

— Celui que vous avez acheté vous devient donc inutile ?

— À peu près.

— Et vous l’avez choisi vous-même ?

— Et avec le plus grand soin ; la sûreté du cavalier, vous le savez, dépend presque toujours de son cheval !

— Eh bien, cédez-le-moi pour le prix qu’il vous a coûté !

— J’allais vous l’offrir, mon cher d’Artagnan, en vous donnant tout le temps qui vous sera nécessaire pour me rendre cette bagatelle.

— Et combien vous coûte-t-il ?

— Huit cents livres.

— Voici quarante doubles pistoles, mon cher ami, dit d’Artagnan en tirant la somme de sa poche ; je sais que c’est la monnaie avec laquelle on vous paie vos poèmes.

— Vous êtes donc en fonds ? dit Aramis.

— Riche, richissime, mon cher !

Et d’Artagnan fit sonner dans sa poche le reste de ses pistoles.

— Envoyez votre selle à l’Hôtel des Mousquetaires, et l’on vous amènera votre cheval ici avec les nôtres.

— Très bien ; mais il est bientôt cinq heures, hâtons-nous.

Un quart d’heure après, Porthos apparut à un bout de la rue Férou sur un genet magnifique ; Mousqueton le suivait sur un cheval d’Auvergne, petit, mais solide. Porthos resplendissait de joie et d’orgueil.

En même temps Aramis apparut à l’autre bout de la rue monté sur un superbe coursier anglais ; Bazin le suivait sur un cheval rouan, tenant en laisse un vigoureux mecklembourgeois : c’était la monture de d’Artagnan.

Les deux mousquetaires se rencontrèrent à la porte : Athos et d’Artagnan les regardaient par la fenêtre.

— Diable ! dit Aramis, vous avez là un superbe cheval, mon cher Porthos.

— Oui, répondit Porthos ; c’est celui qu’on devait m’envoyer tout d’abord : une mauvaise plaisanterie du mari lui a substitué l’autre ; mais le mari a été puni depuis et j’ai obtenu toute satisfaction.

Planchet et Grimaud parurent alors à leur tour, tenant en main les montures de leurs maîtres ; d’Artagnan et Athos descendirent, se mirent en selle près de leurs compagnons, et tous quatre se mirent en marche : Athos sur le cheval qu’il devait à sa femme, Aramis sur le cheval qu’il devait à sa maîtresse, Porthos sur le cheval qu’il devait à sa procureuse, et d’Artagnan sur le cheval qu’il devait à sa bonne fortune, la meilleure maîtresse qui soit.

Les valets suivirent.

Comme l’avait pensé Porthos, la cavalcade fit bon effet ; et si madame Coquenard s’était trouvée sur le chemin de Porthos et eût pu voir quel grand air il avait sur son beau genet d’Espagne, elle n’aurait pas regretté la saignée qu’elle avait faite au coffre-fort de son mari.

Près du Louvre les quatre amis rencontrèrent M. de Tréville qui revenait de Saint-Germain ; il les arrêta pour leur faire compliment sur leur équipage, ce qui en un instant amena autour d’eux quelques centaines de badauds.

D’Artagnan profita de la circonstance pour parler à M. de Tréville de la lettre au grand cachet rouge et aux armes ducales ; il est bien entendu que de l’autre il n’en souffla point mot.

M. de Tréville approuva la résolution qu’il avait prise, et l’assura que, si le lendemain il n’avait pas reparu, il saurait bien le retrouver, lui, partout où il serait.

En ce moment, l’horloge de la Samaritaine sonna six heures ; les quatre amis s’excusèrent sur un rendez-vous, et prirent congé de M. de Tréville.

Un temps de galop les conduisit sur la route de Chaillot ; le jour commençait à baisser, les voitures passaient et repassaient ; d’Artagnan, gardé à quelques pas par ses amis, plongeait ses regards jusqu’au fond des carrosses, et n’y apercevait aucune figure de connaissance.

Enfin, après, un quart d’heure d’attente et comme le crépuscule tombait tout à fait, une voiture apparut, arrivant au grand galop par la route de Sèvres ; un pressentiment dit d’avance à d’Artagnan que cette voiture renfermait la personne qui lui avait donné rendez-vous : le jeune homme fut tout étonné lui-même de sentir son cœur battre si violemment. Presque aussitôt une tête de femme sortit par la portière, deux doigts sur la bouche, comme pour recommander le silence, ou comme pour envoyer un baiser ; d’Artagnan poussa un léger cri de joie, cette femme, ou plutôt cette apparition, car la voiture était passée avec la rapidité d’une vision, était madame Bonacieux.

Par un mouvement involontaire, et malgré la recommandation faite, d’Artagnan lança son cheval au galop et en quelques bonds rejoignit la voiture ; mais la glace de la portière était hermétiquement fermée : la vision avait disparu.

D’Artagnan se rappela alors cette recommandation : « Si vous tenez à votre vie et à celle des personnes qui vous aiment, demeurez immobile et comme si vous n’aviez rien vu. »

Il s’arrêta donc, tremblant non pour lui, mais pour la pauvre femme qui évidemment s’était exposée à un grand péril en lui donnant ce rendez-vous.

La voiture continua sa route toujours marchant à fond de train, s’enfonça dans Paris et disparut.

D’Artagnan était resté interdit à la même place et ne sachant que penser. Si c’était madame Bonacieux et si elle revenait à Paris, pourquoi ce rendez-vous fugitif, pourquoi ce simple échange d’un coup d’œil, pourquoi ce baiser perdu ? Si d’un autre côté ce n’était pas elle, ce qui était encore bien possible, car le peu de jour qui restait rendait une erreur facile, si ce n’était pas elle, ne serait-ce pas le commencement d’un coup de main monté contre lui avec l’appât de cette femme pour laquelle on connaissait son amour ?

Les trois compagnons se rapprochèrent de lui. Tous trois avaient parfaitement vu une tête de femme apparaître à la portière, mais aucun d’eux, excepté Athos, ne connaissait madame Bonacieux. L’avis d’Athos, au reste, fut que c’était bien elle ; mais moins préoccupé que d’Artagnan de ce joli visage, il avait cru voir une seconde tête, une tête d’homme au fond de la voiture.

— S’il en est ainsi, dit d’Artagnan, ils la transportent sans doute d’une prison dans une autre. Mais que veulent-ils donc faire de cette pauvre créature, et comment la rejoindrai-je jamais ?

— Ami, dit gravement Athos, rappelez-vous que les morts sont les seuls qu’on ne soit pas exposé à rencontrer sur la terre. Vous en savez quelque chose ainsi que moi, n’est-ce pas ? Or, si votre maîtresse n’est pas morte, si c’est elle que nous venons de voir, vous la retrouverez un jour ou l’autre. Et peut-être, mon Dieu, ajouta-t-il avec un accent misanthropique qui lui était propre, peut être plus tôt que vous ne voudrez.

Sept heures et demie sonnèrent, la voiture était en retard d’une vingtaine de minutes sur le rendez-vous donné. Les amis de d’Artagnan lui rappelèrent qu’il avait une visite à faire, tout en lui faisant observer qu’il était encore temps de s’en dédire.

Mais d’Artagnan était à la fois entêté et curieux. Il avait mis dans sa tête qu’il irait au Palais-Cardinal, et qu’il saurait ce que voulait lui dire Son Éminence. Rien ne put le faire changer de résolution.

On arriva rue Saint-Honoré, et place du Palais-Cardinal on trouva les douze mousquetaires convoqués qui se promenaient en attendant leurs camarades. Là seulement, on leur expliqua ce dont il était question.

D’Artagnan était fort connu dans l’honorable corps des mousquetaires du roi, où l’on savait qu’il prendrait un jour sa place ; on le regardait donc d’avance comme un camarade. Il résulta de ces antécédents que chacun accepta de grand cœur la mission pour laquelle il était convié ; d’ailleurs il s’agissait, selon toute probabilité, de jouer un mauvais tour à M. le cardinal et à ses gens, et pour de pareilles expéditions, ces dignes gentilshommes étaient toujours prêts.

Athos les partagea donc en trois groupes, prit le commandement de l’un, donna le second à Aramis et le troisième à Porthos, puis chaque groupe alla s’embusquer en face d’une sortie.

D’Artagnan, de son côté, entra bravement par la porte principale.

Quoiqu’il se sentît vigoureusement appuyé, le jeune homme n’était pas sans inquiétude en montant pas à pas le grand escalier. Sa conduite avec milady ressemblait tant soit peu à une trahison, et il se doutait des relations politiques qui existaient entre cette femme et le cardinal ; de plus, de Wardes, qu’il avait si mal accommodé, était des fidèles de Son Éminence, et d’Artagnan savait que si Son Éminence était terrible à ses ennemis, elle était fort attachée à ses amis.

— Si de Wardes a raconté toute notre affaire au cardinal, ce qui n’est pas douteux, et s’il m’a reconnu, ce qui est probable, je dois me regarder à peu près comme un homme condamné, disait d’Artagnan en secouant la tête. Mais pourquoi a-t-il attendu jusqu’aujourd’hui ? C’est tout simple, milady aura porté plainte contre moi avec cette hypocrite douleur qui la rend si intéressante, et ce dernier crime aura fait déborder le vase.

Heureusement, ajouta-t-il, mes bons amis sont en bas, et ils ne me laisseront pas emmener sans me défendre. Cependant la compagnie des mousquetaires de M. de Tréville ne peut pas faire à elle seule la guerre au cardinal, qui dispose des forces de toute la France, et devant lequel la reine est sans pouvoir et le roi sans volonté. D’Artagnan, mon ami, tu es brave, tu as d’excellentes qualités, mais les femmes te perdront !

Il en était à cette triste conclusion lorsqu’il entra dans l’antichambre. Il remit sa lettre à l’huissier de service qui le fit passer dans la salle d’attente et s’enfonça dans l’intérieur du palais.

Dans cette salle d’attente étaient cinq ou six gardes de M. le cardinal, qui, reconnaissant d’Artagnan et sachant que c’était lui qui avait blessé Jussac, le regardèrent en souriant d’un singulier sourire.

Ce sourire parut à d’Artagnan d’un mauvais augure ; seulement, comme notre Gascon n’était pas facile à intimider, ou que plutôt, grâce à un grand orgueil naturel aux gens de son pays, il ne laissait pas voir facilement ce qui se passait dans son âme, quand ce qui s’y passait ressemblait à de la crainte, il se campa fièrement devant MM. les gardes et attendit la main sur la hanche, dans une attitude qui ne manquait pas de majesté.

L’huissier rentra et fit signe à d’Artagnan de le suivre. Il sembla au jeune homme que les gardes, en le regardant s’éloigner, chuchotaient entre eux.

Il suivit un corridor, traversa un grand salon, entra dans une bibliothèque, et se trouva en face d’un homme assis devant un bureau et qui écrivait.

L’huissier l’introduisit et se retira sans dire une parole. D’Artagnan crut d’abord qu’il avait affaire à quelque juge examinant son dossier, mais il s’aperçut que l’homme de bureau écrivait ou plutôt corrigeait des lignes d’inégales longueurs, en scandant des mots sur ses doigts ; il vit qu’il était en face d’un poète. Au bout d’un instant, le poète ferma son manuscrit sur la couverture duquel était écrit : Mirame, tragédie en cinq actes, et leva la tête.

D’Artagnan reconnut le cardinal.

UNE VISION TERRIBLE

Le cardinal appuya son coude sur son manuscrit, sa joue sur sa main, et regarda un instant le jeune homme. Nul n’avait l’œil plus profondément scrutateur que le cardinal de Richelieu, et d’Artagnan sentit ce regard courir par ses veines comme une fièvre.

Cependant il fit bonne contenance, tenant son feutre à la main, et attendant le bon plaisir de Son Éminence, sans trop d’orgueil, mais aussi sans trop d’humilité.

— Monsieur, lui dit le cardinal, êtes-vous un d’Artagnan du Béarn ?

— Oui, Monseigneur, répondit le jeune homme.

— Il y a plusieurs branches de d’Artagnan à Tarbes et dans les environs, dit le cardinal, à laquelle appartenez-vous ?

— Je suis le fils de celui qui a fait les guerres de religion avec le grand roi Henri, père de Sa Gracieuse Majesté.

— C’est bien cela. C’est vous qui êtes parti, il y a sept à huit mois à peu près, de votre pays, pour venir chercher fortune dans la capitale ?

— Oui, monseigneur.

— Vous êtes venu par Meung, où il vous est arrivé quelque chose, je ne sais plus trop quoi, mais enfin quelque chose.

— Monseigneur, dit d’Artagnan, voici ce qui m’est arrivé…

— Inutile, inutile, reprit le cardinal avec un sourire qui indiquait qu’il connaissait l’histoire aussi bien que celui qui voulait la lui raconter ; vous étiez recommandé à M. de Tréville, n’est-ce pas ?

— Oui, monseigneur ; mais justement, dans cette malheureuse affaire de Meung…

— La lettre avait été perdue, reprit l’Éminence ; oui, je sais cela ; mais M. de Tréville est un habile physionomiste qui connaît les hommes à la première vue, et il vous a placé dans la compagnie de son beau-frère, M. des Essarts, en vous laissant espérer qu’un jour ou l’autre vous entreriez dans les mousquetaires.

— Monseigneur est parfaitement renseigné, dit d’Artagnan.

— Depuis ce temps-là, il vous est arrivé bien des choses : vous vous êtes promené derrière les Chartreux, un jour qu’il eût mieux valu que vous fussiez ailleurs ; puis, vous avez fait avec vos amis un voyage aux eaux de Forges ; eux se sont arrêtés en route ; mais vous, vous avez continué votre chemin. C’est tout simple, vous aviez des affaires en Angleterre.

— Monseigneur, dit d’Artagnan tout interdit, j’allais…

— À la chasse, à Windsor, ou ailleurs, cela ne regarde personne. Je sais cela, moi, parce que mon état est de tout savoir. À votre retour, vous avez été reçu par une auguste personne, et je vois avec plaisir que vous avez conservé le souvenir qu’elle vous a donné.

D’Artagnan porta la main au diamant qu’il tenait de la reine, et en tourna vivement le chaton en dedans ; mais il était trop tard.

— Le lendemain de ce jour vous avez reçu la visite de Cavois, reprit le cardinal ; il allait vous prier de passer au palais ; cette visite vous ne la lui avez pas rendue, et vous avez eu tort.

— Monseigneur, je craignais d’avoir encouru la disgrâce de Votre Éminence.

— Eh ! pourquoi cela, monsieur ? pour avoir suivi les ordres de vos supérieurs avec plus d’intelligence et de courage que ne l’eût fait un autre, encourir ma disgrâce quand vous méritiez des éloges ! Ce sont les gens qui n’obéissent pas que je punis, et non pas ceux qui, comme vous, obéissent… trop bien… Et, la preuve, rappelez-vous la date du jour où je vous avais fait dire de me venir voir, et cherchez dans votre mémoire ce qui est arrivé le soir même.

C’était le soir même qu’avait eu lieu l’enlèvement de madame Bonacieux. D’Artagnan frissonna ; et il se rappela qu’une demi-heure auparavant la pauvre femme était passée près de lui, sans doute encore emportée par la même puissance qui l’avait fait disparaître.

— Enfin, continua le cardinal, comme je n’entendais pas parler de vous depuis quelque temps, j’ai voulu savoir ce que vous faisiez. D’ailleurs, vous me devez bien quelque remerciement : vous avez remarqué vous-même combien vous avez été ménagé dans toutes les circonstances.

D’Artagnan s’inclina avec respect.

— Cela, continua le cardinal, partait non seulement d’un sentiment d’équité naturelle, mais encore d’un plan que je m’étais tracé à votre égard.

D’Artagnan était de plus en plus étonné.

— Je voulais vous exposer ce plan le jour où vous reçûtes ma première invitation ; mais vous n’êtes pas venu. Heureusement, rien n’est perdu pour ce retard, et aujourd’hui vous allez l’entendre. Asseyez-vous là, devant moi, monsieur d’Artagnan : vous êtes assez bon gentilhomme pour ne pas écouter debout.

Et le cardinal indiqua du doigt une chaise au jeune homme, qui était si étonné de ce qui se passait, que, pour obéir, il attendit un second signe de son interlocuteur.

— Vous êtes brave, monsieur d’Artagnan, continua l’Éminence ; vous êtes prudent, ce qui vaut mieux. J’aime les hommes de tête et de cœur, moi ; ne vous effrayez pas, dit-il en souriant, par les hommes de cœur, j’entends les hommes de courage ; mais, tout jeune que vous êtes, et à peine entrant dans le monde, vous avez des ennemis puissants : si vous n’y prenez pas garde, ils vous perdront !

— Hélas ! monseigneur, répondit le jeune homme, ils le feront bien facilement, sans doute ; car ils sont forts et bien appuyés, tandis que moi je suis seul !

— Oui, c’est vrai ; mais, tout seul que vous êtes, vous avez déjà fait beaucoup, et vous ferez encore plus, je n’en doute pas. Cependant, vous avez, je le crois, besoin d’être guidé dans l’aventureuse carrière que vous avez entreprise ; car, si je ne me trompe, vous êtes venu à Paris avec l’ambitieuse idée de faire fortune.

— Je suis dans l’âge des folles espérances, monseigneur, dit d’Artagnan.

— Il n’y a de folles espérances que pour les sots, monsieur, et vous êtes homme d’esprit. Voyons, que diriez-vous d’une enseigne dans mes gardes, et d’une compagnie après la campagne ?

— Ah ! monseigneur !

— Vous acceptez, n’est-ce pas ?

— Monseigneur, reprit d’Artagnan d’un air embarrassé.

— Comment, vous refusez ? s’écria le cardinal avec étonnement.

— Je suis dans les gardes de Sa Majesté, monseigneur, et je n’ai point de raisons d’être mécontent.

— Mais il me semble, dit l’Éminence, que mes gardes, à moi, sont aussi les gardes de Sa Majesté, et que, pourvu qu’on serve dans un corps français, on sert le roi.

— Monseigneur, Votre Éminence a mal compris mes paroles.

— Vous voulez un prétexte, n’est-ce pas ? Je comprends. Eh bien, ce prétexte, vous l’avez. L’avancement, la campagne qui s’ouvre, l’occasion que je vous offre, voilà pour le monde ; pour vous, le besoin de protections sûres ; car il est bon que vous sachiez, monsieur d’Artagnan, que j’ai reçu des plaintes graves contre vous : vous ne consacrez pas exclusivement vos jours et vos nuits au service du roi.

D’Artagnan rougit.

— Au reste, continua le cardinal en posant la main sur une liasse de papiers, j’ai là tout un dossier qui vous concerne ; mais avant de le lire, j’ai voulu causer avec vous. Je vous sais homme de résolution et vos services bien dirigés, au lieu de vous mener à mal pourraient vous rapporter beaucoup. Allons, réfléchissez, et décidez-vous.

— Votre bonté me confond, monseigneur, répondit d’Artagnan, et je reconnais dans Votre Éminence une grandeur d’âme qui me fait petit comme un ver de terre ; mais enfin, puisque monseigneur me permet de lui parler franchement…

D’Artagnan s’arrêta.

— Oui, parlez.

— Eh bien ! je dirai à Votre Éminence que tous mes amis sont aux mousquetaires et aux gardes du roi, et que mes ennemis, par une fatalité inconcevable, sont à Votre Éminence ; je serais donc mal venu ici et mal regardé là-bas, si j’acceptais ce que m’offre monseigneur.

— Auriez-vous déjà cette orgueilleuse idée que je ne vous offre pas ce que vous valez, monsieur ? dit le cardinal avec un sourire de dédain.

— Monseigneur, Votre Éminence est cent fois trop bonne pour moi, et au contraire je pense n’avoir point encore fait assez pour être digne de ses bontés. Le siège de La Rochelle va s’ouvrir, monseigneur ; je servirai sous les yeux de Votre Éminence, et si j’ai le bonheur de me conduire à ce siège de telle façon que je mérite d’attirer ses regards, eh bien, après j’aurai au moins derrière moi quelque action d’éclat pour justifier la protection dont elle voudra bien m’honorer. Toute chose doit se faire à son temps, monseigneur ; peut-être plus tard aurai-je le droit de me donner, à cette heure j’aurais l’air de me vendre.

— C’est-à-dire que vous refusez de me servir, monsieur, dit le cardinal avec un ton de dépit dans lequel perçait cependant une sorte d’estime ; demeurez donc libre et gardez vos haines et vos sympathies.

— Monseigneur…

— Bien, bien, dit le cardinal, je ne vous en veux pas, mais vous comprenez, on a assez de défendre ses amis et de les récompenser, on ne doit rien à ses ennemis, et cependant je vous donnerai un conseil : tenez-vous bien, monsieur d’Artagnan, car, du moment que j’aurai retiré ma main de dessus vous, je n’achèterai pas votre vie pour une obole.

— J’y tâcherai, monseigneur, répondit le Gascon avec une noble assurance.

— Songez plus tard, et à un certain moment, s’il vous arrive malheur, dit Richelieu avec intention, que c’est moi qui ai été vous chercher, et que j’ai fait ce que j’ai pu pour que ce malheur ne vous arrivât pas.

— J’aurai, quoi qu’il arrive, dit d’Artagnan en mettant la main sur sa poitrine et en s’inclinant, une éternelle reconnaissance à Votre Éminence de ce qu’elle fait pour moi en ce moment.

— Eh bien donc ! comme vous l’avez dit, monsieur d’Artagnan, nous nous reverrons après la campagne ; je vous suivrai des yeux ; car je serai là-bas, reprit le cardinal en montrant du doigt à d’Artagnan une magnifique armure qu’il devait endosser, et à notre retour, eh bien, nous compterons !

— Ah ! monseigneur, s’écria d’Artagnan, épargnez-moi le poids de votre disgrâce ; restez neutre, monseigneur, si vous trouvez que j’agis en galant homme.

— Jeune homme, dit Richelieu, si je puis vous dire encore une fois ce que je vous ai dit aujourd’hui, je vous promets de vous le dire.

Cette dernière parole de Richelieu exprimait un doute terrible ; elle consterna d’Artagnan plus que n’eût fait une menace, car c’était un avertissement. Le cardinal cherchait donc à le préserver de quelque malheur qui le menaçait. Il ouvrit la bouche pour répondre, mais d’un geste hautain, le cardinal le congédia.

D’Artagnan sortit ; mais à la porte le cœur fut prêt à lui manquer, et peu s’en fallut qu’il ne rentrât. Cependant la figure grave et sévère d’Athos lui apparut : s’il faisait avec le cardinal le pacte que celui-ci lui proposait, Athos ne lui donnerait plus la main, Athos le renierait.

Ce fut cette crainte qui le retint, tant est puissante l’influence d’un caractère vraiment grand sur tout ce qui l’entoure.

D’Artagnan descendit par le même escalier qu’il était entré, et trouva devant la porte Athos et les quatre mousquetaires qui attendaient son retour et qui commençaient à s’inquiéter. D’un mot d’Artagnan les rassura, et Planchet courut prévenir les autres postes qu’il était inutile de monter une plus longue garde, attendu que son maître était sorti sain et sauf du Palais-Cardinal.

Rentrés chez Athos, Aramis et Porthos s’informèrent des causes de cet étrange rendez-vous ; mais d’Artagnan se contenta de leur dire que M. de Richelieu l’avait fait venir pour lui proposer d’entrer dans ses gardes avec le grade d’enseigne, et qu’il avait refusé.

— Et vous avez eu raison, s’écrièrent d’une seule voix Porthos et Aramis.

Athos tomba dans une profonde rêverie et ne répondit rien. Mais lorsqu’il fut seul avec d’Artagnan :

— Vous avez fait ce que vous deviez faire, d’Artagnan, dit Athos, mais peut-être avez-vous eu tort.

D’Artagnan poussa un soupir ; car cette voix répondait à une voix secrète de son âme, qui lui disait que de grands malheurs l’attendaient.

La journée du lendemain se passa en préparatifs de départ ; d’Artagnan alla faire ses adieux à M. de Tréville. À cette heure on croyait encore que la séparation des gardes et des mousquetaires serait momentanée, le roi tenant son parlement le jour même et devant partir le lendemain. M. de Tréville se contenta donc de demander à d’Artagnan s’il avait besoin de lui, mais d’Artagnan répondit fièrement qu’il avait tout ce qu’il lui fallait.

La nuit réunit tous les camarades de la compagnie des gardes de M. des Essarts et de la compagnie des mousquetaires de M. de Tréville, qui avaient fait amitié ensemble. On se quittait pour se revoir quand il plairait à Dieu et s’il plaisait à Dieu. La nuit fut donc des plus bruyantes, comme on peut le penser, car, en pareil cas, on ne peut combattre l’extrême préoccupation que par l’extrême insouciance.

Le lendemain, au premier son des trompettes, les amis se quittèrent : les mousquetaires coururent à l’hôtel de M. de Tréville, les gardes à celui de M. des Essarts. Chacun des capitaines conduisit aussitôt sa compagnie au Louvre, où le roi passait sa revue.

Le roi était triste et paraissait malade, ce qui lui ôtait un peu de sa haute mine. En effet, la veille, la fièvre l’avait pris au milieu du parlement et tandis qu’il tenait son lit de justice. Il n’en était pas moins décidé à partir le soir même, et, malgré les observations qu’on lui avait faites, il avait voulu passer sa revue, espérant, par le premier coup de vigueur, vaincre la maladie qui commençait à s’emparer de lui.

La revue passée, les gardes se mirent seuls en marche, les mousquetaires ne devant partir qu’avec le roi, ce qui permit à Porthos d’aller faire, dans son superbe équipage, un tour dans la rue aux Ours.

La procureuse le vit passer dans son uniforme neuf et sur son beau cheval. Elle aimait trop Porthos pour le laisser partir ainsi ; elle lui fit signe de descendre et de venir auprès d’elle. Porthos était magnifique ; ses éperons résonnaient, sa cuirasse brillait, son épée lui battait fièrement les jambes. Cette fois les clercs n’eurent aucune envie de rire, tant Porthos avait l’air d’un coupeur d’oreilles.

Le mousquetaire fut introduit près de M. Coquenard, dont le petit œil gris brilla de colère en voyant son cousin tout flambant neuf. Cependant une chose le consola intérieurement ; c’est qu’on disait partout que la campagne serait rude : il espérait tout doucement, au fond du cœur, que Porthos y serait tué.

Porthos présenta ses compliments à maître Coquenard et lui fit ses adieux ; maître Coquenard lui souhaita toutes sortes de prospérités. Quant à madame Coquenard, elle ne pouvait retenir ses larmes ; mais on ne tira aucune mauvaise conséquence de sa douleur, on la savait fort attachée à ses parents, pour lesquels elle avait toujours eu de cruelles disputes avec son mari.

Mais les véritables adieux se firent dans la chambre de madame Coquenard : ils furent déchirants.

Tant que la procureuse put suivre des yeux son amant, elle agita un mouchoir en se penchant hors de la fenêtre, à croire qu’elle voulait se précipiter. Porthos reçut toutes ces marques de tendresse en homme habitué à de pareilles démonstrations. Seulement, en tournant le coin de la rue, il souleva son feutre et l’agita en signe d’adieu.

De son côté, Aramis écrivait une longue lettre. À qui ? Personne n’en savait rien. Dans la chambre voisine, Ketty, qui devait partir le soir même pour Tours, attendait cette lettre mystérieuse.

Athos buvait à petits coups la dernière bouteille de son vin d’Espagne.

Pendant ce temps, d’Artagnan défilait avec sa compagnie. En arrivant au faubourg Saint-Antoine, il se retourna pour regarder gaiement la Bastille ; mais, comme c’était la Bastille seulement qu’il regardait, il ne vit point milady, qui, montée sur un cheval isabelle, le désignait du doigt à deux hommes de mauvaise mine qui s’approchèrent aussitôt des rangs pour le reconnaître. Sur une interrogation qu’ils firent du regard, milady répondit par un signe que c’était bien lui. Puis, certaine qu’il ne pouvait plus y avoir de méprise dans l’exécution de ses ordres, elle piqua son cheval et disparut.

Les deux hommes suivirent alors la compagnie, et, à la sortie du faubourg Saint-Antoine, montèrent sur des chevaux tout préparés qu’un domestique sans livrée tenait en les attendant.

LE SIÈGE DE LA ROCHELLE

Le siège de La Rochelle fut un des grands événements politiques du règne de Louis XIII, et une des grandes entreprises militaires du cardinal. Il est donc intéressant, et même nécessaire, que nous en disions quelques mots ; plusieurs détails de ce siège se liant d’ailleurs d’une manière trop importante à l’histoire que nous avons entrepris de raconter, pour que nous les passions sous silence.

Les vues politiques du cardinal, lorsqu’il entreprit ce siège, étaient considérables. Exposons-les d’abord, puis nous passerons aux vues particulières qui n’eurent peut-être pas sur Son Éminence moins d’influence que les premières.

Des villes importantes données par Henri IV aux huguenots comme places de sûreté, il ne restait plus que La Rochelle. Il s’agissait donc de détruire ce dernier boulevard du calvinisme, levain dangereux, auquel se venaient incessamment mêler des ferments de révolte civile ou de guerre étrangère.

Espagnols, Anglais, Italiens mécontents, aventuriers de toute nation, soldats de fortune de toute secte accouraient au premier appel sous les drapeaux des protestants et s’organisaient comme une vaste association dont les branches divergeaient à loisir sur tous les points de l’Europe.

La Rochelle, qui avait pris une nouvelle importance de la ruine des autres villes calvinistes, était donc le foyer des dissensions et des ambitions. Il y avait plus : son port était la dernière porte ouverte aux Anglais dans le royaume de France ; et en la fermant à l’Angleterre, notre éternelle ennemie, le cardinal achevait l’œuvre de Jeanne d’Arc et du duc de Guise.

Aussi Bassompierre, qui était à la fois protestant et catholique, protestant de conviction et catholique comme commandeur du Saint-Esprit ; Bassompierre, qui était allemand de naissance et français de cœur ; Bassompierre, enfin, qui avait un commandement particulier au siège de La Rochelle, disait-il, en chargeant à la tête de plusieurs autres seigneurs protestants comme lui :

— Vous verrez, messieurs, que nous serons assez bêtes pour prendre La Rochelle !

Et Bassompierre avait raison : la canonnade de l’île de Ré lui présageait les dragonnades des Cévennes ; la prise de La Rochelle était la préface de la révocation de l’édit de Nantes.

Mais nous l’avons dit, à côté de ces vues du ministre niveleur et simplificateur, et qui appartiennent à l’histoire, le chroniqueur est bien forcé de reconnaître les petites visées de l’homme amoureux et du rival jaloux.

Richelieu, comme chacun sait, avait été amoureux de la reine ; cet amour avait-il chez lui un simple but politique ou était-ce tout naturellement une de ces profondes passions comme en inspira Anne d’Autriche à ceux qui l’entouraient, c’est ce que nous ne saurions dire ; mais en tout cas on a vu, par les développements antérieurs de cette histoire, que Buckingham l’avait emporté sur lui, et que, dans deux ou trois circonstances et particulièrement dans celles des ferrets, il l’avait, grâce au dévouement des trois mousquetaires et au courage de d’Artagnan, cruellement mystifié.

Il s’agissait donc pour Richelieu, non seulement de débarrasser la France d’un ennemi, mais de se venger d’un rival ; au reste, la vengeance devait être grande et éclatante, et digne en tout d’un homme qui tient dans sa main, pour épée de combat, les forces de tout un royaume.

Richelieu savait qu’en combattant l’Angleterre il combattait Buckingham, qu’en triomphant de l’Angleterre il triomphait de Buckingham, enfin qu’en humiliant l’Angleterre aux yeux de l’Europe il humiliait Buckingham aux yeux de la reine.

De son côté Buckingham, tout en mettant en avant l’honneur de l’Angleterre, était mû par des intérêts absolument semblables à ceux du cardinal ; Buckingham aussi poursuivait une vengeance particulière : sous aucun prétexte, Buckingham n’avait pu rentrer en France comme ambassadeur, il voulait y rentrer comme conquérant.

Il en résulte que le véritable enjeu de cette partie, que les deux plus puissants royaumes jouaient pour le bon plaisir de deux hommes amoureux, était un simple regard d’Anne d’Autriche.

Le premier avantage avait été au duc de Buckingham : arrivé inopinément en vue de l’île de Ré avec quatre-vingt-dix vaisseaux et vingt mille hommes à peu près, il avait surpris le comte de Toiras, qui commandait pour le roi dans l’île ; il avait, après un combat sanglant, opéré son débarquement.

Relatons en passant que dans ce combat avait péri le baron de Chantal ; le baron de Chantal laissait orpheline une petite fille de dix-huit mois.

Cette petite fille fut depuis madame de Sévigné.

Le comte de Toiras se retira dans la citadelle Saint-Martin avec la garnison, et jeta une centaine d’hommes dans un petit fort qu’on appelait le fort de La Prée.

Cet événement avait hâté les résolutions du cardinal ; et en attendant que le roi et lui pussent aller prendre le commandement du siège de La Rochelle, qui était résolu, il avait fait partir Monsieur pour diriger les premières opérations, et avait fait filer vers le théâtre de la guerre toutes les troupes dont il avait pu disposer.

C’était de ce détachement envoyé en avant-garde que faisait partie notre ami d’Artagnan.

Le roi, comme nous l’avons dit, devait suivre, aussitôt son lit de justice tenu, mais en se levant de ce lit de justice, le 28 juin, il s’était senti pris par la fièvre ; il n’en avait pas moins voulu partir, mais, son état empirant, il avait été forcé de s’arrêter à Villeroi.

Or, où s’arrêtait le roi s’arrêtaient les mousquetaires ; il en résultait que d’Artagnan, qui était purement et simplement dans les gardes, se trouvait séparé, momentanément du moins, de ses bons amis Athos, Porthos et Aramis ; cette séparation, qui n’était pour lui qu’une contrariété, fût certes devenue une inquiétude sérieuse s’il eût pu deviner de quels dangers inconnus il était entouré.

Il n’en arriva pas moins sans accident au camp établi devant La Rochelle, vers le 10 du mois de septembre de l’année 1627.

Tout était dans le même état : le duc de Buckingham et ses Anglais, maîtres de l’île de Ré, continuaient d’assiéger mais sans succès, la citadelle de Saint-Martin et le fort de La Prée, et les hostilités avec La Rochelle étaient commencées depuis deux ou trois jours à propos d’un fort que le duc d’Angoulême venait de faire construire près de la ville.

Les gardes, sous le commandement de M. des Essarts, avaient leur logement aux Minimes.

Mais nous le savons, d’Artagnan, préoccupé de l’ambition de passer aux mousquetaires, avait rarement fait amitié avec ses camarades ; il se trouvait donc isolé et livré à ses propres réflexions.

Ses réflexions n’étaient pas riantes : depuis un an qu’il était arrivé à Paris, il s’était mêlé aux affaires publiques ; ses affaires privées n’avaient pas fait grand chemin comme amour et comme fortune.

Comme amour, la seule femme qu’il eût aimée était madame Bonacieux, et madame Bonacieux avait disparu sans qu’il pût découvrir encore ce qu’elle était devenue.

Comme fortune, il s’était fait, lui chétif, ennemi du cardinal, c’est-à-dire d’un homme devant lequel tremblaient les plus grands du royaume, à commencer par le roi.

Cet homme pouvait l’écraser, et cependant il ne l’avait pas fait : pour un esprit aussi perspicace que l’était d’Artagnan, cette indulgence était un jour par lequel il voyait dans un meilleur avenir.

Puis, il s’était fait encore un autre ennemi moins à craindre, pensait-il, mais que cependant il sentait instinctivement n’être pas à mépriser : cet ennemi, c’était milady.

En échange de tout cela il avait acquis la protection et la bienveillance de la reine, mais la bienveillance de la reine était, par le temps qui courait, une cause de plus de persécution ; et sa protection, on le sait, protégeait fort mal : témoins Chalais et madame Bonacieux.

Ce qu’il avait donc gagné de plus clair dans tout cela c’était le diamant de cinq ou six mille livres qu’il portait au doigt ; et encore ce diamant, en supposant que d’Artagnan dans ses projets d’ambition, voulût le garder pour s’en faire un jour un signe de reconnaissance près de la reine n’avait en attendant, puisqu’il ne pouvait s’en défaire, pas plus de valeur que les cailloux qu’il foulait à ses pieds.

Nous disons « que les cailloux qu’il foulait à ses pieds », car d’Artagnan faisait ces réflexions en se promenant solitairement sur un joli petit chemin qui conduisait du camp au village d’Angoutin ; or ces réflexions l’avaient conduit plus loin qu’il ne croyait, et le jour commençait à baisser, lorsqu’au dernier rayon du soleil couchant il lui sembla voir briller derrière une haie le canon d’un mousquet.

D’Artagnan avait l’œil vif et l’esprit prompt, il comprit que le mousquet n’était pas venu là tout seul et que celui qui le portait ne s’était pas caché derrière une haie dans des intentions amicales. Il résolut donc de gagner au large, lorsque de l’autre côté de la route, derrière un rocher, il aperçut l’extrémité d’un second mousquet.

C’était évidemment une embuscade.

Le jeune homme jeta un coup d’œil sur le premier mousquet et vit avec une certaine inquiétude qu’il s’abaissait dans sa direction, mais aussitôt qu’il vit l’orifice du canon immobile il se jeta ventre à terre. En même temps le coup partit, il entendit le sifflement d’une balle qui passait au-dessus de sa tête.

Il n’y avait pas de temps à perdre, d’Artagnan se redressa d’un bond, et au même moment la balle de l’autre mousquet fit voler les cailloux à l’endroit même du chemin où il s’était jeté la face contre terre.

D’Artagnan n’était pas un de ces hommes inutilement braves qui cherchent une mort ridicule pour qu’on dise d’eux qu’ils n’ont pas reculé d’un pas ; d’ailleurs il ne s’agissait plus de courage ici : d’Artagnan était tombé dans un guet-apens.

— S’il y a un troisième coup, se dit-il, je suis un homme perdu !

Et aussitôt prenant ses jambes à son cou, il s’enfuit dans la direction du camp, avec la vitesse des gens de son pays si renommés pour leur agilité ; mais, quelle que fût la rapidité de sa course, le premier qui avait tiré, ayant eu le temps de recharger son arme, lui tira un second coup si bien ajusté, cette fois, que la balle traversa son feutre et le fit voler à dix pas de lui.

Cependant, comme d’Artagnan n’avait pas d’autre chapeau, il ramassa le sien tout en courant, arriva fort essoufflé et fort pâle, dans son logis, s’assit sans rien dire à personne et se mit à réfléchir.

Cet événement pouvait avoir trois causes :

La première et la plus naturelle pouvait être une embuscade des Rochelois, qui n’eussent pas été fâchés de tuer un des gardes de Sa Majesté, d’abord parce que c’était un ennemi de moins, et que cet ennemi pouvait avoir une bourse bien garnie dans sa poche.

D’Artagnan prit son chapeau, examina le trou de la balle, et secoua la tête. La balle n’était pas une balle de mousquet, c’était une balle d’arquebuse ; la justesse du coup lui avait déjà donné l’idée qu’il avait été tiré par une arme particulière ; ce n’était donc pas une embuscade militaire, puisque la balle n’était pas de calibre.

Ce pouvait être un bon souvenir de M. le cardinal. On se rappelle qu’au moment même où il avait, grâce à ce bienheureux rayon de soleil, aperçu le canon du fusil, il s’étonnait de la longanimité de Son Éminence à son égard.

Mais d’Artagnan secoua la tête. Pour les gens vers lesquels elle n’avait qu’à étendre la main, Son Éminence recourait rarement à de pareils moyens.

Ce pouvait être une vengeance de milady.

Ceci, c’était plus probable.

Il chercha inutilement à se rappeler ou les traits ou le costume des assassins ; il s’était éloigné d’eux si rapidement, qu’il n’avait eu le loisir de rien remarquer.

— Ah ! mes pauvres amis, murmura d’Artagnan, où êtes-vous ? et que vous me faites faute !

D’Artagnan passa une fort mauvaise nuit. Trois ou quatre fois il se réveilla en sursaut, se figurant qu’un homme s’approchait de son lit pour le poignarder. Cependant le jour parut sans que l’obscurité eût amené aucun incident.

Mais d’Artagnan se douta bien que ce qui était différé n’était pas perdu.

D’Artagnan resta toute la journée dans son logis ; il se donna pour excuse, vis-à-vis de lui-même, que le temps était mauvais.

Le surlendemain, à neuf heures, on battit aux champs. Le duc d’Orléans visitait les postes. Les gardes coururent aux armes, d’Artagnan prit son rang au milieu de ses camarades.

Monsieur passa sur le front de bataille ; puis tous les officiers supérieurs s’approchèrent de lui pour lui faire leur cour, M. des Essarts, le capitaine des gardes, comme les autres.

Au bout d’un instant il parut à d’Artagnan que M. des Essarts lui faisait signe de s’approcher de lui : il attendit un nouveau geste de son supérieur, craignant de se tromper ; mais ce geste s’étant renouvelé, il quitta les rangs et s’avança pour prendre l’ordre.

— Monsieur va demander des hommes de bonne volonté pour une mission dangereuse, mais qui fera honneur à ceux qui l’auront accomplie, et je vous ai fait signe afin que vous vous tinssiez prêt.

— Merci, mon capitaine ! répondit d’Artagnan, qui ne demandait pas mieux que de se distinguer sous les yeux du lieutenant général.

En effet, les Rochelois avaient fait une sortie pendant la nuit et avaient repris un bastion dont l’armée royaliste s’était emparée deux jours auparavant ; il s’agissait de pousser une reconnaissance perdue pour voir comment l’armée gardait ce bastion.

Effectivement, au bout de quelques instants, Monsieur éleva la voix et dit :

— Il me faudrait, pour cette mission, trois ou quatre volontaires conduits par un homme sûr.

— Quant à l’homme sûr, je l’ai sous la main, monseigneur, dit M. des Essarts en montrant d’Artagnan ; et quant aux quatre ou cinq volontaires, monseigneur n’a qu’à faire connaître ses intentions, et les hommes ne lui manqueront pas.

— Quatre hommes de bonne volonté pour venir se faire tuer avec moi ! dit d’Artagnan en levant son épée.

Deux de ses camarades aux gardes s’élancèrent aussitôt, et deux soldats s’étant joints à eux, il se trouva que le nombre demandé était suffisant ; d’Artagnan refusa donc tous les autres, ne voulant pas faire de passe-droit à ceux qui avaient la priorité.

On ignorait si, après la prise du bastion, les Rochelois l’avaient évacué ou s’ils y avaient laissé garnison ; il fallait donc examiner le lieu indiqué d’assez près pour vérifier la chose.

D’Artagnan partit avec ses quatre compagnons et suivit la tranchée : les deux gardes marchaient au même rang que lui et les soldats venaient par-derrière.

Ils arrivèrent ainsi, en se couvrant de revêtements, jusqu’à une centaine de pas du bastion. Là, d’Artagnan, en se retournant, s’aperçut que les deux soldats avaient disparu.

Il crut qu’ayant eu peur ils étaient restés en arrière et continua d’avancer.

Au détour de la contrescarpe, ils se trouvèrent à soixante pas à peu près du bastion.

On ne voyait personne, et le bastion semblait abandonné.

Les trois enfants perdus délibéraient s’ils iraient plus avant, lorsque tout à coup une ceinture de fumée ceignit le géant de pierre, et une douzaine de balles vinrent siffler autour de d’Artagnan et de ses deux compagnons.

Ils savaient ce qu’ils voulaient savoir : le bastion était gardé. Une plus longue station dans cet endroit dangereux eût donc été une imprudence inutile ; d’Artagnan et les deux gardes tournèrent le dos et commencèrent une retraite qui ressemblait à une fuite.

En arrivant à l’angle de la tranchée qui allait leur servir de rempart, un des gardes tomba : une balle lui avait traversé la poitrine. L’autre, qui était sain et sauf, continua sa course vers le camp.

D’Artagnan ne voulut pas abandonner ainsi son compagnon, et s’inclina vers lui pour le relever et l’aider à rejoindre les lignes ; mais en ce moment deux coups de fusil partirent : une balle cassa la tête du garde déjà blessé, et l’autre vint s’aplatir sur le roc après avoir passé à deux pouces de d’Artagnan.

Le jeune homme se retourna vivement, car cette attaque ne pouvait venir du bastion, qui était masqué par l’angle de la tranchée. L’idée des deux soldats qui l’avaient abandonné lui revint à l’esprit et lui rappela ses assassins de la surveille ; il résolut donc cette fois de savoir à quoi s’en tenir, et tomba sur le corps de son camarade comme s’il était mort.

Il vit aussitôt deux têtes qui s’élevaient au-dessus d’un ouvrage abandonné qui était à trente pas de là : c’étaient celles de nos deux soldats. D’Artagnan ne s’était pas trompé : ces deux hommes ne l’avaient suivi que pour l’assassiner, espérant que la mort du jeune homme serait mise sur le compte de l’ennemi.

Seulement, comme il pouvait n’être que blessé et dénoncer leur crime, ils s’approchèrent pour l’achever ; heureusement, trompés par la ruse de d’Artagnan, ils négligèrent de recharger leurs fusils.

Lorsqu’ils furent à dix pas de lui, d’Artagnan, qui en tombant avait eu grand soin de ne pas lâcher son épée, se releva tout à coup et d’un bond se trouva près d’eux.

Les assassins comprirent que s’ils s’enfuyaient du côté du camp sans avoir tué leur homme, ils seraient accusés par lui ; aussi leur première idée fut-elle de passer à l’ennemi. L’un d’eux prit son fusil par le canon, et s’en servit comme d’une massue : il en porta un coup terrible à d’Artagnan, qui l’évita en se jetant de côté, mais par ce mouvement il livra passage au bandit, qui s’élança aussitôt vers le bastion. Comme les Rochelois qui le gardaient ignoraient dans quelle intention cet homme venait à eux, ils firent feu sur lui et il tomba frappé d’une balle qui lui brisa l’épaule.

Pendant ce temps, d’Artagnan s’était jeté sur le second soldat, l’attaquant avec son épée ; la lutte ne fut pas longue, ce misérable n’avait pour se défendre que son arquebuse déchargée ; l’épée du garde glissa contre le canon de l’arme devenue inutile et alla traverser la cuisse de l’assassin, qui tomba. D’Artagnan lui mit aussitôt la pointe du fer sur la gorge.

— Oh ! ne me tuez pas ! s’écria le bandit ; grâce, grâce, mon officier ! et je vous dirai tout.

— Ton secret vaut-il la peine que je te garde la vie au moins ? demanda le jeune homme en retenant son bras.

— Oui, si vous estimez que l’existence soit quelque chose quand on a vingt-deux ans comme vous et qu’on peut arriver à tout, étant beau et brave comme vous l’êtes.

— Misérable ! dit d’Artagnan, voyons, parle vite : qui t’a chargé de m’assassiner ?

— Une femme que je ne connais pas, mais qu’on appelle milady.

— Mais si tu ne connais pas cette femme, comment sais-tu son nom ?

— Mon camarade la connaissait et l’appelait ainsi, c’est à lui qu’elle a eu affaire et non pas à moi ; il a même dans sa poche une lettre de cette personne qui doit avoir pour vous une grande importance, à ce que je lui ai entendu dire.

— Mais comment te trouves-tu de moitié dans ce guet-apens ?

— Il m’a proposé de faire le coup à nous deux et j’ai accepté.

— Et combien vous a-t-elle donné pour cette belle expédition ?

— Cent louis.

— Eh bien, à la bonne heure, dit le jeune homme en riant, elle estime que je vaux quelque chose ; cent louis ! c’est une somme pour deux misérables comme vous : aussi je comprends que tu aies accepté, et je te fais grâce, mais à une condition.

— Laquelle ? demanda le soldat inquiet en voyant que tout n’était pas fini.

— C’est que tu vas aller me chercher la lettre que ton camarade a dans sa poche.

— Mais, s’écria le bandit, c’est une autre manière de me tuer ; comment voulez-vous que j’aille chercher cette lettre sous le feu du bastion ?

— Il faut pourtant que tu te décides à l’aller chercher, ou je te jure que tu vas mourir de ma main.

— Grâce, monsieur, pitié ! au nom de cette jeune dame que vous aimez, que vous croyez morte peut-être, et qui ne l’est pas ! s’écria le bandit en se mettant à genoux et s’appuyant sur sa main, car il commençait à perdre ses forces avec son sang.

— Et d’où sais-tu qu’il y a une jeune femme que j’aime, et que j’ai cru cette femme morte ? demanda d’Artagnan.

— Par cette lettre que mon camarade a dans sa poche.

— Tu vois bien alors qu’il faut que j’aie cette lettre, dit d’Artagnan ; ainsi donc plus de retard, plus d’hésitation, ou quelle que soit ma répugnance à tremper une seconde fois mon épée dans le sang d’un misérable comme toi, je le jure par ma foi d’honnête homme…

Et à ces mots d’Artagnan fit un geste si menaçant, que le blessé se releva.

— Arrêtez ! arrêtez ! s’écria-t-il reprenant courage à force de terreur, j’irai… j’irai…

D’Artagnan prit l’arquebuse du soldat, le fit passer devant lui et le poussa vers son compagnon en lui piquant les reins de la pointe de son épée.

C’était une chose affreuse que de voir ce malheureux, laissant sur le chemin qu’il parcourait une longue trace de sang, pâle de sa mort prochaine, essayant de se traîner sans être vu jusqu’au corps de son complice qui gisait à vingt pas de là !

La terreur était tellement peinte sur son visage couvert d’une froide sueur, que d’Artagnan en eut pitié, et que, le regardant avec mépris :

— Eh bien, lui dit-il, je vais te montrer la différence qu’il y a entre un homme de cœur et un lâche comme toi ; reste, j’irai.

Et d’un pas agile, l’œil au guet, observant les mouvements de l’ennemi, s’aidant de tous les accidents de terrain, d’Artagnan parvint jusqu’au second soldat.

Il y avait deux moyens d’arriver à son but : le fouiller sur la place, ou l’emporter en se faisant un bouclier de son corps, et le fouiller dans la tranchée.

D’Artagnan préféra le second moyen et chargea l’assassin sur ses épaules au moment même où l’ennemi faisait feu.

Une légère secousse, le bruit mat de trois balles qui trouaient les chairs, un dernier cri, un frémissement d’agonie prouvèrent à d’Artagnan que celui qui avait voulu l’assassiner venait de lui sauver la vie.

D’Artagnan regagna la tranchée et jeta le cadavre auprès du blessé aussi pâle qu’un mort.

Aussitôt il commença l’inventaire : un portefeuille de cuir, une bourse où se trouvait évidemment une partie de la somme que le bandit avait reçue, un cornet et des dés formaient l’héritage du mort.

Il laissa le cornet et les dés où ils étaient tombés, jeta la bourse au blessé et ouvrit avidement le portefeuille.

Au milieu de quelques papiers sans importance, il trouva la lettre suivante : c’était celle qu’il était allé chercher au risque de sa vie :

« Puisque vous avez perdu la trace de cette femme et qu’elle est maintenant en sûreté dans ce couvent où vous n’auriez jamais dû la laisser arriver, tâchez au moins de ne pas manquer l’homme ; sinon, vous savez que j’ai la main longue et que vous payeriez cher les cent louis que vous avez à moi. »

Pas de signature. Néanmoins il était évident que la lettre venait de milady.

En conséquence, il la garda comme pièce à conviction, et, en sûreté derrière l’angle de la tranchée, il se mit à interroger le blessé. Celui-ci confessa qu’il s’était chargé avec son camarade, le même qui venait d’être tué, d’enlever une jeune femme qui devait sortir de Paris par la barrière de La Villette, mais que, s’étant arrêtés à boire dans un cabaret, ils avaient manqué la voiture de dix minutes.

— Mais qu’eussiez-vous fait de cette femme ? demanda d’Artagnan avec angoisse.

— Nous devions la remettre dans un hôtel de la place Royale, dit le blessé.

— Oui ! oui ! murmura d’Artagnan, c’est bien cela, chez milady elle-même.

Alors le jeune homme comprit en frémissant quelle terrible soif de vengeance poussait cette femme à le perdre, ainsi que ceux qui l’aimaient, et combien elle en savait sur les affaires de la cour, puisqu’elle avait tout découvert. Sans doute elle devait ces renseignements au cardinal.

Mais, au milieu de tout cela, il comprit, avec un sentiment de joie bien réel, que la reine avait fini par découvrir la prison où la pauvre madame Bonacieux expiait son dévouement, et qu’elle l’avait tirée de cette prison. Alors la lettre qu’il avait reçue de la jeune femme et son passage sur la route de Chaillot, passage pareil à une apparition, lui furent expliqués.

Dès lors, ainsi qu’Athos l’avait prédit, il était possible de retrouver madame Bonacieux, et un couvent n’était pas imprenable.

Cette idée acheva de lui remettre la clémence au cœur. Il se retourna vers le blessé qui suivait avec anxiété toutes les expressions diverses de son visage, et lui tendant le bras :

— Allons, lui dit-il, je ne veux pas t’abandonner ainsi. Appuie-toi sur moi et retournons au camp.

— Oui, dit le blessé, qui avait peine à croire à tant de magnanimité, mais n’est-ce point pour me faire pendre ?

— Tu as ma parole, dit-il, et pour la seconde fois je te donne la vie.

Le blessé se laissa glisser à genoux et baisa de nouveau les pieds de son sauveur ; mais d’Artagnan, qui n’avait plus aucun motif de rester si près de l’ennemi, abrégea lui-même les témoignages de sa reconnaissance.

Le garde qui était revenu à la première décharge des Rochelois avait annoncé la mort de ses quatre compagnons. On fut donc à la fois fort étonné et fort joyeux dans le régiment, quand on vit reparaître le jeune homme sain et sauf.

D’Artagnan expliqua le coup d’épée de son compagnon par une sortie qu’il improvisa. Il raconta la mort de l’autre soldat et les périls qu’ils avaient courus. Ce récit fut pour lui l’occasion d’un véritable triomphe. Toute l’armée parla de cette expédition pendant un jour, et Monsieur lui en fit faire ses compliments.

Au reste, comme toute belle action porte avec elle sa récompense, la belle action de d’Artagnan eut pour résultat de lui rendre la tranquillité qu’il avait perdue. En effet, d’Artagnan croyait pouvoir être tranquille, puisque, de ses deux ennemis, l’un était tué et l’autre dévoué à ses intérêts.

Cette tranquillité prouvait une chose, c’est que d’Artagnan ne connaissait pas encore milady.

LE VIN D’ANJOU

Après des nouvelles presque désespérées du roi, le bruit de sa convalescence commençait à se répandre dans le camp ; et comme il avait grande hâte d’arriver en personne au siège, on disait qu’aussitôt qu’il pourrait remonter à cheval, il se remettrait en route.

Pendant ce temps, Monsieur, qui savait que, d’un jour à l’autre, il allait être remplacé dans son commandement, soit par le duc d’Angoulême, soit par Bassompierre ou par Schomberg, qui se disputaient le commandement, faisait peu de choses, perdait ses journées en tâtonnements, et n’osait risquer quelque grande entreprise pour chasser les Anglais de l’île de Ré, où ils assiégeaient toujours la citadelle Saint-Martin et le fort de La Prée, tandis que, de leur côté, les Français assiégeaient La Rochelle.

D’Artagnan, comme nous l’avons dit, était redevenu plus tranquille, comme il arrive toujours après un danger passé, et quand le danger semble évanoui ; il ne lui restait qu’une inquiétude, c’était de n’apprendre aucune nouvelle de ses amis.

Mais, un matin du commencement du mois de novembre, tout lui fut expliqué par cette lettre, datée de Villeroi :

« Monsieur d’Artagnan,

« MM. Athos, Porthos et Aramis, après avoir fait une bonne partie chez moi, et s’être égayés beaucoup, ont mené si grand bruit, que le prévôt du château, homme très rigide, les a consignés pour quelques jours ; mais j’accomplis les ordres qu’ils m’ont donnés, de vous envoyer douze bouteilles de mon vin d’Anjou, dont ils ont fait grand cas : ils veulent que vous buviez à leur santé avec leur vin favori.

« Je l’ai fait, et suis, monsieur, avec un grand respect,

« Votre serviteur très humble et très obéissant,

« Godeau,

« Hôtelier de messieurs les mousquetaires. »

— À la bonne heure ! s’écria d’Artagnan, ils pensent à moi dans leurs plaisirs comme je pensais à eux dans mon ennui ; bien certainement que je boirai à leur santé et de grand cœur ; mais je n’y boirai pas seul.

Et d’Artagnan courut chez deux gardes, avec lesquels il avait fait plus amitié qu’avec les autres, afin de les inviter à boire avec lui le délicieux petit vin d’Anjou qui venait d’arriver de Villeroi.

L’un des deux gardes était invité pour le soir même, et l’autre invité pour le lendemain ; la réunion fut donc fixée au surlendemain.

D’Artagnan, en rentrant, envoya les douze bouteilles de vin à la buvette des gardes, en recommandant qu’on les lui gardât avec soin ; puis, le jour de la solennité, comme le dîner était fixé pour l’heure de midi, d’Artagnan envoya dès neuf heures Planchet pour tout préparer.

Planchet, tout fier d’être élevé à la dignité de maître d’hôtel, songea à tout apprêter en homme intelligent ; à cet effet il s’adjoignit le valet d’un des convives de son maître, nommé Fourreau, et ce faux soldat qui avait voulu tuer d’Artagnan, et qui, n’appartenant à aucun corps, était entré à son service ou plutôt à celui de Planchet, depuis que d’Artagnan lui avait sauvé la vie.

L’heure du festin venue, les deux convives arrivèrent, prirent place et les mets s’alignèrent sur la table. Planchet servait la serviette au bras, Fourreau débouchait les bouteilles, et Brisemont, — c’était le nom du convalescent, — transvasait dans des carafons de verre le vin qui paraissait avoir déposé par effet des secousses de la route. De ce vin, la première bouteille était un peu trouble vers la fin, Brisemont versa cette lie dans un verre, et d’Artagnan lui permit de la boire ; car le pauvre diable n’avait pas encore beaucoup de forces.

Les convives, après avoir mangé le potage, allaient porter le premier verre à leurs lèvres, lorsque tout à coup le canon retentit au fort Louis et au fort Neuf ; aussitôt les gardes, croyant qu’il s’agissait de quelque attaque imprévue, soit des assiégés, soit des Anglais, sautèrent sur leurs épées ; d’Artagnan, non moins leste, fit comme eux, et tous trois sortirent en courant, afin de se rendre à leurs postes.

Mais à peine furent-ils hors de la buvette, qu’ils se trouvèrent fixés sur la cause de ce grand bruit ; les cris de : Vive le roi ! Vive M. le cardinal ! retentissaient de tous côtés, et les tambours battaient dans toutes les directions.

En effet, le roi, impatient comme on l’avait dit, venait de doubler deux étapes, et arrivait à l’instant même avec toute sa maison et un renfort de dix mille hommes de troupe ; ses mousquetaires le précédaient et le suivaient. D’Artagnan, placé en haie avec sa compagnie, salua d’un geste expressif ses amis, qui lui répondirent des yeux, et M. de Tréville, qui le reconnut tout d’abord.

La cérémonie de réception achevée, les quatre amis furent bientôt dans les bras l’un de l’autre.

— Pardieu ! s’écria d’Artagnan, il n’est pas possible de mieux arriver, et les viandes n’auront pas encore eu le temps de refroidir ! n’est-ce pas, messieurs ? ajouta le jeune homme en se tournant vers les deux gardes, qu’il présenta à ses amis.

— Ah ! ah ! il paraît que nous banquetions, dit Porthos.

— J’espère, dit Aramis, qu’il n’y a pas de femmes à votre dîner !

— Est-ce qu’il y a du vin potable dans votre bicoque ? demanda Athos.

— Mais, pardieu ! il y a le vôtre, cher ami, répondit d’Artagnan.

— Notre vin ? fit Athos étonné.

— Oui, celui que vous m’avez envoyé.

— Nous vous avons envoyé du vin ?

— Mais vous savez bien, de ce petit vin des coteaux d’Anjou ?

— Oui, je sais bien de quel vin vous voulez parler.

— Le vin que vous préférez.

— Sans doute, quand je n’ai ni champagne ni chambertin.

— Eh bien, à défaut de champagne et de chambertin, vous vous contenterez de celui-là.

— Nous avons donc fait venir du vin d’Anjou, gourmet que nous sommes ? dit Porthos.

— Mais non, c’est le vin qu’on m’a envoyé de votre part.

— De notre part ? firent les trois mousquetaires.

— Est-ce vous, Aramis, dit Athos, qui avez envoyé du vin ?

— Non, et vous, Porthos ?

— Non, et vous, Athos ?

— Non.

— Si ce n’est pas vous, dit d’Artagnan, c’est votre hôtelier.

— Notre hôtelier ?

— Eh oui, votre hôtelier, Godeau, hôtelier des mousquetaires.

— Ma foi, qu’il vienne d’où il voudra, n’importe, dit Porthos, goûtons-le, et, s’il est bon, buvons-le.

— Non pas, dit Athos, ne buvons pas le vin qui a une source inconnue.

— Vous avez raison, Athos, dit d’Artagnan. Personne de vous n’a chargé l’hôtelier Godeau de m’envoyer du vin ?

— Non ! et cependant il vous en a envoyé de notre part ?

— Voici la lettre ! dit d’Artagnan.

Et il présenta le billet à ses camarades.

— Ce n’est pas son écriture ! s’écria Athos, je la connais, c’est moi qui, avant de partir, ai réglé les comptes de la communauté.

— Fausse lettre, dit Porthos ; nous n’avons pas été consignés.

— D’Artagnan, demanda Aramis d’un ton de reproche, comment avez-vous pu croire que nous avions fait du bruit ?…

D’Artagnan pâlit, et un tremblement convulsif secoua tous ses membres.

— Tu m’effraies, dit Athos, qui ne le tutoyait que dans les grandes occasions, qu’est-il donc arrivé ?

— Courons, courons, mes amis ! s’écria d’Artagnan, un horrible soupçon me traverse l’esprit ! serait-ce encore une vengeance de cette femme ?

Ce fut Athos qui pâlit à son tour.

D’Artagnan s’élança vers la buvette, les trois mousquetaires et les deux gardes l’y suivirent.

Le premier objet qui frappa la vue de d’Artagnan en entrant dans la salle à manger, fut Brisemont étendu par terre et se roulant dans d’atroces convulsions.

Planchet et Fourreau, pâles comme des morts, essayaient de lui porter secours ; mais il était évident que tout secours était inutile : tous les traits du moribond étaient crispés par l’agonie.

— Ah ! s’écria-t-il en apercevant d’Artagnan, ah ! c’est affreux, vous avez l’air de me faire grâce et vous m’empoisonnez !

— Moi ! s’écria d’Artagnan, moi, malheureux ! moi ! que dis-tu donc là ?

— Je dis que c’est vous qui m’avez donné ce vin, je dis que c’est vous qui m’avez dit de le boire, je dis que vous avez voulu vous venger de moi, je dis que c’est affreux !

— N’en croyez rien, Brisemont, dit d’Artagnan, n’en croyez rien ; je vous jure, je vous proteste…

— Oh ! mais Dieu est là ! Dieu vous punira ! Mon Dieu ! qu’il souffre un jour ce que je souffre !

— Sur l’Évangile, s’écria d’Artagnan en se précipitant vers le moribond, je vous jure que j’ignorais que ce vin fût empoisonné et que j’allais en boire comme vous.

— Je ne vous crois pas, dit le soldat.

Et il expira dans un redoublement de tortures.

— Affreux ! affreux ! murmurait Athos, tandis que Porthos brisait les bouteilles et qu’Aramis donnait des ordres un peu tardifs pour qu’on allât chercher un confesseur.

— Ô mes amis ! dit d’Artagnan, vous venez encore une fois de me sauver la vie, non seulement à moi, mais à ces messieurs. Messieurs, continua-t-il en s’adressant aux gardes, je vous demanderai le silence sur toute cette aventure ; de grands personnages pourraient avoir trempé dans ce que vous avez vu, et le mal de tout cela retomberait sur nous.

— Ah ! monsieur, balbutiait Planchet plus mort que vif ; ah ! monsieur, que je l’ai échappé belle !

— Comment, drôle, s’écria d’Artagnan, tu allais donc boire mon vin ?

— À la santé du roi, monsieur, j’allais en boire un pauvre verre, si Fourreau ne m’avait pas dit qu’on m’appelait.

— Hélas ! dit Fourreau, dont les dents claquaient de terreur, je voulais l’éloigner pour boire tout seul !

— Messieurs, dit d’Artagnan en s’adressant aux gardes, vous comprenez qu’un pareil festin ne pourrait être que fort triste après ce qui vient de se passer ; ainsi recevez toutes mes excuses et remettez la partie à un autre jour, je vous prie.

Les deux gardes acceptèrent courtoisement les excuses de d’Artagnan, et, comprenant que les quatre amis désiraient demeurer seuls, ils se retirèrent.

Lorsque le jeune garde et les trois mousquetaires furent sans témoins, ils se regardèrent d’un air qui voulait dire que chacun comprenait la gravité de la situation.

— D’abord, dit Athos, sortons de cette chambre ; c’est une mauvaise compagnie qu’un mort, mort de mort violente.

— Planchet, dit d’Artagnan, je vous recommande le cadavre de ce pauvre diable. Qu’il soit enterré en terre sainte. Il avait commis un crime, c’est vrai, mais il s’en est repenti.

Et les quatre amis sortirent de la chambre, laissant à Planchet et à Fourreau le soin de rendre les honneurs mortuaires à Brisemont.

L’hôte leur donna une autre chambre dans laquelle il leur servit des œufs à la coque et de l’eau, qu’Athos alla puiser lui-même à la fontaine. En quelques paroles Porthos et Aramis furent mis au courant de la situation.

— Eh bien, dit d’Artagnan à Athos, vous le voyez, cher ami, c’est une guerre à mort.

Athos secoua la tête.

— Oui, oui, dit-il, je le vois bien ; mais croyez-vous que ce soit elle ?

— J’en suis sûr.

— Cependant je vous avoue que je doute encore.

— Mais cette fleur de lys sur l’épaule ?

— C’est une Anglaise qui aura commis quelque méfait en France, et qu’on aura flétrie à la suite de son crime.

— Athos, c’est votre femme, vous dis-je, répétait d’Artagnan, ne vous rappelez-vous donc pas comme les deux signalements se ressemblent ?

— J’aurais cependant cru que l’autre était morte, je l’avais si bien pendue.

Ce fut d’Artagnan qui secoua la tête à son tour.

— Mais enfin, que faire ? dit le jeune homme.

— Le fait est qu’on ne peut rester ainsi avec une épée éternellement suspendue au-dessus de sa tête, dit Athos, et qu’il faut sortir de cette situation.

— Mais comment ?

— Écoutez, tâchez de la rejoindre et d’avoir une explication avec elle ; dites-lui : La paix ou la guerre ! ma parole de gentilhomme de ne jamais rien dire de vous, de ne jamais rien faire contre vous ; de votre côté serment solennel de rester neutre à mon égard : sinon, je vais trouver le chancelier, je vais trouver le roi, je vais trouver le bourreau, j’ameute la cour contre vous, je vous dénonce comme flétrie, je vous fais mettre en jugement, et si l’on vous absout, eh bien, je vous tue, foi de gentilhomme ! au coin de quelque borne, comme je tuerais un chien enragé.

— J’aime assez ce moyen, dit d’Artagnan, mais comment la joindre ?

— Le temps, cher ami, le temps amène l’occasion, l’occasion c’est la martingale de l’homme : plus on a engagé, plus l’on gagne quand on sait attendre.

— Oui, mais attendre entouré d’assassins et d’empoisonneurs…

— Bah ! dit Athos, Dieu nous a gardés jusqu’à présent, Dieu nous gardera encore.

— Oui, nous ; nous d’ailleurs, nous sommes des hommes, et, à tout prendre, c’est notre état de risquer notre vie : mais elle ! ajouta-t-il à demi-voix.

— Qui elle ? demanda Athos.

— Constance.

— Madame Bonacieux ? ah ! c’est juste, fit Athos ; pauvre ami ! j’oubliais que vous étiez amoureux.

— Eh bien ! mais, dit Aramis, n’avez-vous pas vu par la lettre même que vous avez trouvée sur le misérable mort qu’elle était dans un couvent ? On est très bien dans un couvent, et aussitôt le siège de La Rochelle terminé, je vous promets que pour mon compte…

— Bon ! dit Athos, bon ! oui, mon cher Aramis ! nous savons que vos vœux tendent à la religion.

— Je ne suis mousquetaire que par intérim, dit humblement Aramis.

— Il paraît qu’il y a longtemps qu’il n’a reçu des nouvelles de sa maîtresse, dit tout bas Athos ; mais ne faites pas attention, nous connaissons cela.

— Eh bien, dit Porthos, il me semble qu’il y aurait un moyen bien simple.

— Lequel ? demanda d’Artagnan.

— Elle est dans un couvent, dites-vous ? reprit Porthos.

— Oui.

— Eh bien, aussitôt le siège fini, nous l’enlevons de ce couvent.

— Mais encore faut-il savoir dans quel couvent elle est.

— C’est juste, dit Porthos.

— Mais, j’y pense, dit Athos, ne prétendez-vous pas, cher d’Artagnan, que c’est la reine qui a fait choix de ce couvent pour elle ?

— Oui, je le crois du moins.

— Eh bien ! mais Porthos nous aidera là-dedans.

— Et comment cela, s’il vous plaît ?

— Mais par votre marquise, votre duchesse, votre princesse ; elle doit avoir le bras long.

— Chut ! dit Porthos en mettant un doigt sur ses lèvres, je la crois cardinaliste et elle ne doit rien savoir.

— Alors, dit Aramis, je me charge, moi, d’en avoir des nouvelles.

— Vous, Aramis, s’écrièrent les trois amis, vous, et comment cela ?

— Par l’aumônier de la reine, avec lequel je suis fort lié… dit Aramis en rougissant.

Et sur cette assurance, les quatre amis, qui avaient achevé leur modeste repas, se séparèrent avec promesse de se revoir le soir même : d’Artagnan retourna aux Minimes, et les trois mousquetaires rejoignirent le quartier du roi, où ils avaient à faire préparer leur logis.

L’AUBERGE DU COLOMBIER-ROUGE

À peine arrivé au camp, le roi, qui avait si grande hâte de se trouver en face de l’ennemi, et qui, à meilleur droit que le cardinal, partageait sa haine contre Buckingham, voulut faire toutes les dispositions, d’abord pour chasser les Anglais de l’île de Ré, ensuite pour presser le siège de La Rochelle ; mais, malgré lui, il fut retardé par les dissensions qui éclatèrent entre MM. de Bassompierre et Schomberg, contre le duc d’Angoulême.

MM. de Bassompierre et Schomberg étaient maréchaux de France, et réclamaient leur droit de commander l’armée sous les ordres du roi ; mais le cardinal, qui craignait que Bassompierre, huguenot au fond du cœur, ne pressât faiblement les Anglais et les Rochelois, ses frères en religion, poussait au contraire le duc d’Angoulême, que le roi, à son instigation, avait nommé lieutenant général. Il en résulta que, sous peine de voir MM. de Bassompierre et Schomberg déserter l’armée, on fut obligé de faire à chacun un commandement particulier : Bassompierre prit ses quartiers au nord de la ville, depuis La Leu jusqu’à Dompierre ; le duc d’Angoulême à l’est, depuis Dompierre jusqu’à Périgny ; et M. de Schomberg au midi, depuis Périgny jusqu’à Angoutin.

Le logis de Monsieur était à Dompierre.

Le logis du roi était tantôt à Étré, tantôt à La Jarrie.

Enfin le logis du cardinal était sur les dunes, au pont de La Pierre, dans une simple maison sans aucun retranchement.

De cette façon, Monsieur surveillait Bassompierre ; le roi, le duc d’Angoulême, et le cardinal, M. de Schomberg.

Aussitôt cette organisation établie, on s’était occupé de chasser les Anglais de l’île.

La conjoncture était favorable : les Anglais, qui ont, avant toute chose, besoin de bons vivres pour être de bons soldats, ne mangeant que des viandes salées et de mauvais biscuits, avaient force malades dans leur camp ; de plus, la mer, fort mauvaise à cette époque de l’année sur toutes les côtes de l’océan, mettait tous les jours quelque petit bâtiment à mal ; et la plage, depuis la pointe de l’Aiguillon jusqu’à la tranchée, était littéralement, à chaque marée, couverte des débris de pinasses, de roberges et de felouques ; il en résultait que, même les gens du roi se tinssent-ils dans leur camp, il était évident qu’un jour ou l’autre Buckingham, qui ne demeurait dans l’île de Ré que par entêtement, serait obligé de lever le siège.

Mais, comme M. de Toiras fit dire que tout se préparait dans le camp ennemi pour un nouvel assaut, le roi jugea qu’il fallait en finir et donna les ordres nécessaires pour une affaire décisive.

Notre intention n’étant pas de faire un journal de siège, mais au contraire de n’en rapporter que les événements qui ont trait à l’histoire que nous racontons, nous nous contenterons de dire en deux mots que l’entreprise réussit au grand étonnement du roi et à la grande gloire de M. le cardinal. Les Anglais, repoussés pied à pied, battus dans toutes les rencontres, écrasés au passage de l’île de Loix, furent obligés de se rembarquer, laissant sur le champ de bataille deux mille hommes parmi lesquels cinq colonels, trois lieutenant-colonels, deux cent cinquante capitaines et vingt gentilshommes de qualité, quatre pièces de canon et soixante drapeaux qui furent apportés à Paris par Claude de Saint-Simon, et suspendus en grande pompe aux voûtes de Notre-Dame.

Des Te Deum furent chantés au camp, et de là se répandirent par toute la France.

Le cardinal resta donc maître de poursuivre le siège sans avoir, du moins momentanément, rien à craindre de la part des Anglais.

Mais, comme nous venons de le dire, le repos n’était que momentané.

Un envoyé du duc de Buckingham, nommé Montaigu, avait été pris, et l’on avait acquis la preuve d’une ligue entre l’Empire, l’Espagne, l’Angleterre et la Lorraine.

Cette ligue était dirigée contre la France.

De plus, dans le logis de Buckingham, qu’il avait été forcé d’abandonner plus précipitamment qu’il ne l’avait cru, on avait trouvé des papiers qui confirmaient cette ligue, et qui, à ce qu’assure M. le cardinal dans ses mémoires, compromettaient fort madame de Chevreuse, et par conséquent la reine.

C’était sur le cardinal que pesait toute la responsabilité, car on n’est pas ministre absolu sans être responsable ; aussi toutes les ressources de son vaste génie étaient-elles tendues nuit et jour, et occupées à écouter le moindre bruit qui s’élevait dans un des grands royaumes de l’Europe.

Le cardinal connaissait l’activité et surtout la haine de Buckingham ; si la ligue qui menaçait la France triomphait, toute son influence était perdue : la politique espagnole et la politique autrichienne avaient leurs représentants dans le cabinet du Louvre, où elles n’avaient encore que des partisans ; lui Richelieu, le ministre français, le ministre national par excellence, était perdu. Le roi, qui, tout en lui obéissant comme un enfant, le haïssait comme un enfant hait son maître, l’abandonnait aux vengeances réunies de Monsieur et de la reine ; il était donc perdu, et peut-être la France avec lui. Il fallait parer à tout cela.

Aussi vit-on les courriers, devenus à chaque instant plus nombreux, se succéder nuit et jour dans cette petite maison du pont de La Pierre, où le cardinal avait établi sa résidence.

C’étaient des moines qui portaient si mal le froc, qu’il était facile de reconnaître qu’ils appartenaient surtout à l’église militante ; des femmes un peu gênées dans leurs costumes de pages, et dont les larges trousses ne pouvaient entièrement dissimuler les formes arrondies ; enfin des paysans aux mains noircies, mais à la jambe fine, et qui sentaient l’homme de qualité à une lieue à la ronde.

Puis encore d’autres visites moins agréables, car deux ou trois fois le bruit se répandit que le cardinal avait failli être assassiné.

Il est vrai que les ennemis de Son Éminence disaient que c’était elle-même qui mettait en campagne les assassins maladroits, afin d’avoir le cas échéant le droit d’user de représailles ; mais il ne faut croire ni à ce que disent les ministres, ni à ce que disent leurs ennemis.

Ce qui n’empêchait pas, au reste, le cardinal, à qui ses plus acharnés détracteurs n’ont jamais contesté la bravoure personnelle, de faire force courses nocturnes tantôt pour communiquer au duc d’Angoulême des ordres importants, tantôt pour aller se concerter avec le roi, tantôt pour aller conférer avec quelque messager qu’il ne voulait pas qu’on laissât entrer chez lui.

De leur côté les mousquetaires qui n’avaient pas grand-chose à faire au siège n’étaient pas tenus sévèrement et menaient joyeuse vie. Cela leur était d’autant plus facile, à nos trois compagnons surtout, qu’étant des amis de M. de Tréville, ils obtenaient facilement de lui de s’attarder et de rester après la fermeture du camp avec des permissions particulières.

Or, un soir que d’Artagnan, qui était de tranchée, n’avait pu les accompagner, Athos, Porthos et Aramis, montés sur leurs chevaux de bataille, enveloppés de manteaux de guerre, une main sur la crosse de leurs pistolets, revenaient tous trois d’une buvette qu’Athos avait découverte deux jours auparavant sur la route de La Jarrie, et qu’on appelait le Colombier-Rouge, suivant le chemin qui conduisait au camp, tout en se tenant sur leurs gardes, comme nous l’avons dit, de peur d’embuscade, lorsqu’à un quart de lieue à peu près du village de Boisnar ils crurent entendre le pas d’une cavalcade qui venait à eux ; aussitôt tous trois s’arrêtèrent, serrés l’un contre l’autre, et attendirent, tenant le milieu de la route : au bout d’un instant, et comme la lune sortait justement d’un nuage, ils virent apparaître au détour d’un chemin deux cavaliers qui, en les apercevant, s’arrêtèrent à leur tour, paraissant délibérer s’ils devaient continuer leur route ou retourner en arrière. Cette hésitation donna quelques soupçons aux trois amis, et Athos, faisant quelques pas en avant, cria de sa voix ferme :

— Qui vive ?

— Qui vive vous-même ? répondit un de ces deux cavaliers.

— Ce n’est pas répondre, cela ! dit Athos. Qui vive ? Répondez, ou nous chargeons.

— Prenez garde à ce que vous allez faire, messieurs ! dit alors une voix vibrante qui paraissait avoir l’habitude du commandement.

— C’est quelque officier supérieur qui fait sa ronde de nuit, dit Athos, que voulez-vous faire, messieurs ?

— Qui êtes-vous ? dit la même voix du même ton de commandement ; répondez à votre tour, ou vous pourriez vous mal trouver de votre désobéissance.

— Mousquetaires du roi, dit Athos, de plus en plus convaincu que celui qui les interrogeait en avait le droit.

— Quelle compagnie ?

— Compagnie de Tréville.

— Avancez à l’ordre, et venez me rendre compte de ce que vous faites ici, à cette heure.

Les trois compagnons s’avancèrent, l’oreille un peu basse, car tous trois maintenant étaient convaincus qu’ils avaient affaire à plus fort qu’eux ; on laissa, au reste, à Athos le soin de porter la parole.

Un des deux cavaliers, celui qui avait pris la parole en second lieu, était à dix pas en avant de son compagnon ; Athos fit signe à Porthos et à Aramis de rester de leur côté en arrière, et s’avança seul.

— Pardon, mon officier ! dit Athos ; mais nous ignorions à qui nous avions affaire, et vous pouvez voir que nous faisions bonne garde.

— Votre nom ? dit l’officier, qui se couvrait une partie du visage avec son manteau.

— Mais vous-même, monsieur, dit Athos qui commençait à se révolter contre cette inquisition ; donnez-moi, je vous prie, la preuve que vous avez le droit de m’interroger.

— Votre nom ? reprit une seconde fois le cavalier en laissant tomber son manteau de manière à avoir le visage découvert.

— Monsieur le cardinal ! s’écria le mousquetaire stupéfait.

— Votre nom ? reprit pour la troisième fois Son Éminence.

— Athos, dit le mousquetaire.

Le cardinal fit un signe à l’écuyer, qui se rapprocha.

— Ces trois mousquetaires nous suivront, dit-il à voix basse, je ne veux pas qu’on sache que je suis sorti du camp, et, en nous suivant, nous serons sûrs qu’ils ne le diront à personne.

— Nous sommes gentilshommes, monseigneur, dit Athos ; demandez-nous donc notre parole et ne vous inquiétez de rien. Dieu merci, nous savons garder un secret.

Le cardinal fixa ses yeux perçants sur ce hardi interlocuteur.

— Vous avez l’oreille fine, monsieur Athos, dit le cardinal ; mais maintenant, écoutez ceci : ce n’est point par défiance que je vous prie de me suivre, c’est pour ma sûreté : sans doute vos deux compagnons sont MM. Porthos et Aramis ?

— Oui, Votre Éminence, dit Athos, tandis que les deux mousquetaires restés en arrière s’approchaient, le chapeau à la main.

— Je vous connais, messieurs, dit le cardinal, je vous connais : je sais que vous n’êtes pas tout à fait de mes amis, et j’en suis fâché, mais je sais que vous êtes de braves et loyaux gentilshommes, et qu’on peut se fier à vous. Monsieur Athos, faites-moi donc l’honneur de m’accompagner, vous et vos deux amis, et alors j’aurai une escorte à faire envie à Sa Majesté, si nous la rencontrons.

Les trois mousquetaires s’inclinèrent jusque sur le cou de leurs chevaux.

— Eh bien, sur mon honneur, dit Athos, Votre Éminence a raison de nous emmener avec elle : nous avons rencontré sur la route des visages affreux, et nous avons même eu avec quatre de ces visages une querelle au Colombier-Rouge.

— Une querelle, et pourquoi, messieurs ? dit le cardinal, je n’aime pas les querelleurs, vous le savez !

— C’est justement pour cela que j’ai l’honneur de prévenir Votre Éminence de ce qui vient d’arriver ; car elle pourrait l’apprendre par d’autres que par nous, et, sur un faux rapport, croire que nous sommes en faute.

— Et quels ont été les résultats de cette querelle ? demanda le cardinal en fronçant le sourcil.

— Mais mon ami Aramis, que voici, a reçu un petit coup d’épée dans le bras, ce qui ne l’empêchera pas, comme Votre Éminence peut le voir, de monter à l’assaut demain, si Votre Éminence ordonne l’escalade.

— Mais vous n’êtes pas hommes à vous laisser donner des coups d’épée ainsi, dit le cardinal : voyons, soyez francs, messieurs, vous en avez bien rendu quelques-uns ; confessez-vous, vous savez que j’ai le droit de donner l’absolution.

— Moi, monseigneur, dit Athos, je n’ai pas même mis l’épée à la main, mais j’ai pris celui à qui j’avais affaire à bras-le-corps et je l’ai jeté par la fenêtre ; il paraît qu’en tombant, continua Athos avec quelque hésitation, il s’est cassé la cuisse.

— Ah ! ah ! fit le cardinal, et vous, monsieur Porthos ?

— Moi, monseigneur, sachant que le duel est défendu, j’ai saisi un banc, et j’en ai donné à l’un de ces brigands un coup qui, je crois, lui a brisé l’épaule.

— Bien, dit le cardinal ; et vous, monsieur Aramis ?

— Moi, monseigneur, comme je suis d’un naturel très doux et que, d’ailleurs, ce que monseigneur ne sait peut-être pas, je suis sur le point de rentrer dans les ordres, je voulais séparer mes camarades, quand un de ces misérables m’a donné traîtreusement un coup d’épée à travers le bras gauche : alors la patience m’a manqué, j’ai tiré mon épée à mon tour, et comme il revenait à la charge, je crois avoir senti qu’en se jetant sur moi il se l’était passée au travers du corps : je sais bien qu’il est tombé seulement, et il m’a semblé qu’on l’emportait avec ses deux compagnons.

— Diable, messieurs ! dit le cardinal, trois hommes hors de combat pour une dispute de cabaret ! Vous n’y allez pas de main morte. Et à propos de quoi était venue la querelle ?

— Ces misérables étaient ivres, dit Athos, et sachant qu’il y avait une femme qui était arrivée le soir dans le cabaret, ils voulaient forcer la porte.

— Forcer la porte ! dit le cardinal, et pour quoi faire ?

— Pour lui faire violence sans doute, dit Athos ; j’ai eu l’honneur de dire à Votre Éminence que ces misérables étaient ivres.

— Et cette femme était jeune et jolie ? demanda le cardinal avec une certaine inquiétude.

— Nous ne l’avons pas vue, monseigneur, dit Athos.

— Vous ne l’avez pas vue ? Ah ! très bien, reprit vivement le cardinal ; vous avez bien fait de défendre l’honneur d’une femme, et, comme c’est à l’auberge du Colombier-Rouge que je vais moi-même, je saurai si vous m’avez dit la vérité.

— Monseigneur, dit fièrement Athos, nous sommes gentilshommes, et pour sauver notre tête, nous ne ferions pas un mensonge.

— Aussi je ne doute pas de ce que vous me dites, monsieur Athos, je n’en doute pas un seul instant ; mais, ajouta-t-il pour changer la conversation, cette dame était donc seule ?

— Cette dame avait un cavalier enfermé avec elle, dit Athos ; mais, comme malgré le bruit ce cavalier ne s’est pas montré, il est à présumer que c’est un lâche.

— Ne jugez pas témérairement, dit l’Évangile, répliqua le cardinal.

Athos s’inclina.

— Et maintenant, messieurs, c’est bien, continua Son Éminence, je sais ce que je voulais savoir ; suivez-moi.

Les trois mousquetaires passèrent derrière le cardinal, qui s’enveloppa de nouveau le visage de son manteau et remit son cheval en marche, se tenant à huit ou dix pas en avant de ses quatre compagnons.

On arriva bientôt à l’auberge silencieuse et solitaire ; sans doute l’hôte savait quel illustre visiteur il attendait, et en conséquence il avait renvoyé les importuns.

Dix pas avant d’arriver à la porte, le cardinal fit signe à son écuyer et aux trois mousquetaires de faire halte, un cheval tout sellé était attaché au contrevent, le cardinal frappa trois coups et de certaine façon.

Un homme enveloppé d’un manteau sortit aussitôt et échangea quelques rapides paroles avec le cardinal ; après quoi il remonta à cheval et repartit dans la direction de Surgères, qui était aussi celle de Paris.

— Avancez, messieurs, dit le cardinal.

— Vous m’avez dit la vérité, mes gentilshommes, dit-il en s’adressant aux trois mousquetaires, il ne tiendra pas à moi que notre rencontre de ce soir ne vous soit avantageuse ; en attendant, suivez-moi.

Le cardinal mit pied à terre, les trois mousquetaires en firent autant ; le cardinal jeta la bride de son cheval aux mains de son écuyer, les trois mousquetaires attachèrent les brides des leurs aux contrevents.

L’hôte se tenait sur le seuil de la porte ; pour lui, le cardinal n’était qu’un officier venant visiter une dame.

— Avez-vous quelque chambre au rez-de-chaussée où ces messieurs puissent m’attendre près d’un bon feu ? dit le cardinal.

L’hôte ouvrit la porte d’une grande salle, dans laquelle justement on venait de remplacer un mauvais poêle par une grande et excellente cheminée.

— J’ai celle-ci, répondit-il.

— C’est bien, dit le cardinal ; entrez là, messieurs, et veuillez m’attendre ; je ne serai pas plus d’une demi-heure.

Et tandis que les trois mousquetaires entraient dans la chambre du rez-de-chaussée, le cardinal, sans demander plus amples renseignements, monta l’escalier en homme qui n’a pas besoin qu’on lui indique son chemin.

DE L’UTILITÉ DES TUYAUX DE POÊLE

Il était évident que, sans s’en douter, et mus seulement par leur caractère chevaleresque et aventureux, nos trois amis venaient de rendre service à quelqu’un que le cardinal honorait de sa protection particulière.

Maintenant quel était ce quelqu’un ? C’est la question que se firent d’abord les trois mousquetaires ; puis, voyant qu’aucune des réponses que pouvait leur faire leur intelligence n’était satisfaisante, Porthos appela l’hôte et demanda des dés.

Porthos et Aramis se placèrent à une table et se mirent à jouer. Athos se promena en réfléchissant.

En réfléchissant et en se promenant, Athos passait et repassait devant le tuyau du poêle rompu par la moitié et dont l’autre extrémité donnait dans la chambre supérieure, et à chaque fois qu’il passait et repassait, il entendait un murmure de paroles qui finit par fixer son attention. Athos s’approcha, et il distingua quelques mots qui lui parurent sans doute mériter un si grand intérêt qu’il fit signe à ses compagnons de se taire, restant lui-même courbé l’oreille tendue à la hauteur de l’orifice inférieur.

— Écoutez, milady, disait le cardinal, l’affaire est importante ; asseyez-vous là et causons.

— Milady ! murmura Athos.

— J’écoute Votre Éminence avec la plus grande attention, répondit une voix de femme qui fit tressaillir le mousquetaire.

— Un petit bâtiment avec équipage anglais, dont le capitaine est à moi, vous attend à l’embouchure de la Charente, au fort de La Pointe ; il mettra à la voile demain matin.

— Il faut alors que je m’y rende cette nuit ?

— À l’instant même, c’est-à-dire lorsque vous aurez reçu mes instructions. Deux hommes que vous trouverez à la porte en sortant vous serviront d’escorte ; vous me laisserez sortir le premier, puis une demi-heure après moi, vous sortirez à votre tour.

— Oui, monseigneur. Maintenant revenons à la mission dont vous voulez bien me charger ; et comme je tiens à continuer de mériter la confiance de Votre Éminence, daignez me l’exposer en termes clairs et précis, afin que je ne commette aucune erreur.

Il y eut un instant de profond silence entre les deux interlocuteurs ; il était évident que le cardinal mesurait d’avance les termes dans lesquels il allait parler, et que milady recueillait toutes ses facultés intellectuelles pour comprendre les choses qu’il allait dire et les graver dans sa mémoire quand elles seraient dites.

Athos profita de ce moment pour dire à ses deux compagnons de fermer la porte en dedans et pour leur faire signe de venir écouter avec lui.

Les deux mousquetaires, qui aimaient leurs aises, apportèrent une chaise pour chacun d’eux, et une chaise pour Athos. Tous trois s’assirent alors, leurs têtes rapprochées et l’oreille au guet.

— Vous allez partir pour Londres, continua le cardinal. Arrivée à Londres, vous irez trouver Buckingham.

— Je ferai observer à Son Éminence, dit milady, que depuis l’affaire des ferrets de diamants, pour laquelle le duc m’a toujours soupçonnée, Sa Grâce se défie de moi.

— Aussi cette fois-ci, dit le cardinal, ne s’agit-il plus de capter sa confiance, mais de se présenter franchement et loyalement à lui comme négociatrice.

— Franchement et loyalement, répéta milady avec une indicible expression de duplicité.

— Oui, franchement et loyalement, reprit le cardinal du même ton ; toute cette négociation doit être faite à découvert.

— Je suivrai à la lettre les instructions de Son Éminence, et j’attends qu’elle me les donne.

— Vous irez trouver Buckingham de ma part, et vous lui direz que je sais tous les préparatifs qu’il fait mais que je ne m’en inquiète guère, attendu qu’au premier mouvement qu’il risquera, je perds la reine.

— Croira-t-il que Votre Éminence est en mesure d’accomplir la menace qu’elle lui fait ?

— Oui, car j’ai des preuves.

— Il faut que je puisse présenter ces preuves à son appréciation.

— Sans doute, et vous lui direz que je publie le rapport de Bois-Robert et du marquis de Beautru sur l’entrevue que le duc a eu chez madame la connétable avec la reine, le soir que madame la connétable a donné une fête masquée ; vous lui direz, afin qu’il ne doute de rien, qu’il y est venu sous le costume du grand Mogol que devait porter le chevalier de Guise, et qu’il a acheté à ce dernier moyennant la somme de trois mille pistoles.

— Bien, monseigneur.

— Tous les détails de son entrée au Louvre et de sa sortie pendant la nuit où il s’est introduit au palais sous le costume d’un diseur de bonne aventure italien me sont connus ; vous lui direz, pour qu’il ne doute pas encore de l’authenticité de mes renseignements, qu’il avait sous son manteau une grande robe blanche semée de larmes noires, de têtes de mort et d’os en sautoir : car, en cas de surprise, il devait se faire passer pour le fantôme de la Dame blanche qui, comme chacun le sait, revient au Louvre chaque fois que quelque grand événement va s’accomplir.

— Est-ce tout, monseigneur ?

— Dites-lui que je sais encore tous les détails de l’aventure d’Amiens, que j’en ferai faire un petit roman, spirituellement tourné, avec un plan du jardin et les portraits des principaux acteurs de cette scène nocturne.

— Je lui dirai cela.

— Dites-lui encore que je tiens Montaigu, que Montaigu est à la Bastille, qu’on n’a surpris aucune lettre sur lui, c’est vrai, mais que la torture peut lui faire dire ce qu’il sait, et même ce qu’il ne sait pas.

— À merveille !

— Enfin ajoutez que Sa Grâce, dans la précipitation qu’elle a mise à quitter l’île de Ré, oublia dans son logis certaine lettre de madame de Chevreuse qui compromet singulièrement la reine, en ce qu’elle prouve non seulement que Sa Majesté peut aimer les ennemis du roi, mais encore qu’elle conspire avec ceux de la France. Vous avez bien retenu tout ce que je vous ai dit, n’est-ce pas ?

— Votre Éminence va en juger : le bal de madame la connétable ; la nuit du Louvre ; la soirée d’Amiens ; l’arrestation de Montaigu ; la lettre de madame de Chevreuse.

— C’est cela, dit le cardinal, c’est cela : vous avez une bien heureuse mémoire, milady.

— Mais, reprit celle à qui le cardinal venait d’adresser ce compliment flatteur, si malgré toutes ces raisons le duc ne se rend pas et continue de menacer la France ?

— Le duc est amoureux comme un fou, ou plutôt comme un niais, reprit Richelieu avec une profonde amertume ; comme les anciens paladins, il n’a entrepris cette guerre que pour obtenir un regard de sa belle. S’il sait que cette guerre peut coûter l’honneur et peut-être la liberté à la dame de ses pensées, comme il dit, je vous réponds qu’il y regardera à deux fois.

— Et cependant, dit milady avec une persistance qui prouvait qu’elle voulait voir clair jusqu’au bout, dans la mission dont elle allait être chargée, cependant s’il persiste ?

— S’il persiste ? dit le cardinal… ce n’est pas probable.

— C’est possible, dit Milady.

— S’il persiste…

Son Éminence fit une pause et reprit :

— S’il persiste, eh bien, j’espérerai dans un de ces événements qui changent la face des États.

— Si Son Éminence voulait me citer dans l’histoire quelques-uns de ces événements, dit milady, peut-être partagerais-je sa confiance dans l’avenir.

— Eh bien, tenez ! par exemple, dit Richelieu, lorsqu’en 1610, pour une cause à peu près pareille à celle qui fait mouvoir le duc, le roi Henri IV, de glorieuse mémoire, allait à la fois envahir les Flandres et l’Italie pour frapper à la fois l’Autriche des deux côtés, eh bien ! n’est-il pas arrivé un événement qui a sauvé l’Autriche ? Pourquoi le roi de France n’aurait-il pas la même chance que l’empereur ?

— Votre Éminence veut parler du coup de couteau de la rue de la Ferronnerie ?

— Justement, dit le cardinal.

— Votre Éminence ne craint-elle pas que le supplice de Ravaillac épouvante ceux qui auraient un instant l’idée de l’imiter ?

— Il y aura en tout temps et dans tous les pays, surtout si ces pays sont divisés de religion, des fanatiques qui ne demanderont pas mieux que de se faire martyrs. Et tenez, justement il me revient à cette heure que les puritains sont furieux contre le duc de Buckingham et que leurs prédicateurs le désignent comme l’Antéchrist.

— Eh bien ? fit milady.

— Eh bien ! continua le cardinal d’un air indifférent, il ne s’agirait, pour le moment, par exemple, que de trouver une femme, belle, jeune, adroite, qui eût à se venger elle-même du duc. Une pareille femme peut se rencontrer : le duc est homme à bonnes fortunes, et, s’il a semé bien des amours par ses promesses de constance éternelle, il a dû semer bien des haines aussi par ses éternelles infidélités.

— Sans doute, dit froidement milady, une pareille femme peut se rencontrer.

— Eh bien ! une pareille femme, qui mettrait le couteau de Jacques Clément ou de Ravaillac aux mains d’un fanatique, sauverait la France.

— Oui, mais elle serait complice d’un assassinat.

— A-t-on jamais connu les complices de Ravaillac ou de Jacques Clément ?

— Non, car peut-être étaient-ils placés trop haut pour qu’on osât les aller chercher là où ils étaient : on ne brûlerait pas le Palais de Justice pour tout le monde, monseigneur.

— Vous croyez donc que l’incendie du Palais de Justice a une cause autre que celle du hasard ? demanda Richelieu du ton dont il eût fait une question sans aucune importance.

— Moi, monseigneur, répondit Milady, je ne crois rien, je cite un fait, voilà tout ; seulement, je dis que si je m’appelais mademoiselle de Monpensier ou la reine Marie de Médicis, je prendrais moins de précautions que j’en prends, m’appelant tout simplement lady Clarick.

— C’est juste, dit Richelieu, et que voudriez-vous donc ?

— Je voudrais un ordre qui ratifiât d’avance tout ce que je croirai devoir faire pour le plus grand bien de la France.

— Mais il faudrait d’abord trouver la femme que j’ai dit, et qui aurait à se venger du duc.

— Elle est trouvée, dit milady.

— Puis il faudrait trouver ce misérable fanatique qui servira d’instrument à la justice de Dieu.

— On le trouvera.

— Eh bien ! dit le duc, alors il sera temps de réclamer l’ordre que vous demandiez tout à l’heure.

— Votre Éminence a raison, dit milady, et c’est moi qui ai eu tort de voir dans la mission dont elle m’honore autre chose que ce qui est réellement, c’est-à-dire d’annoncer à Sa Grâce, de la part de Son Éminence, que vous connaissez les différents déguisements à l’aide desquels il est parvenu à se rapprocher de la reine pendant la fête donnée par madame la connétable ; que vous avez les preuves de l’entrevue accordée au Louvre par la reine à certain astrologue italien qui n’est autre que le duc de Buckingham ; que vous avez commandé un petit roman, des plus spirituels, sur l’aventure d’Amiens, avec plan du jardin où cette aventure s’est passée et portraits des acteurs qui y ont figuré ; que Montaigu est à la Bastille, et que la torture peut lui faire dire des choses dont il se souvient et même des choses qu’il aurait oubliées ; enfin, que vous possédez certaine lettre de madame de Chevreuse, trouvée dans le logis de Sa Grâce, qui compromet singulièrement, non seulement celle qui l’a écrite, mais encore celle au nom de qui elle a été écrite. Puis, s’il persiste malgré tout cela, comme c’est à ce que je viens de dire que se borne ma mission, je n’aurai plus qu’à prier Dieu de faire un miracle pour sauver la France. C’est bien cela, n’est-ce pas, monseigneur, et je n’ai pas autre chose à faire ?

— C’est bien cela, reprit sèchement le cardinal.

— Et maintenant, dit milady sans paraître remarquer le changement de ton du duc à son égard, maintenant que j’ai reçu les instructions de Votre Éminence à propos de ses ennemis, monseigneur me permettra-t-il de lui dire deux mots des miens ?

— Vous avez donc des ennemis ? demanda Richelieu.

— Oui, monseigneur, des ennemis contre lesquels vous me devez tout votre appui, car je me les suis faits en servant Votre Éminence.

— Et lesquels ? répliqua le duc.

— D’abord une petite intrigante du nom de Bonacieux.

— Elle est dans la prison de Mantes.

— C’est-à-dire qu’elle y était, reprit milady, mais la reine a surpris un ordre du roi, à l’aide duquel elle l’a fait transporter dans un couvent.

— Dans un couvent ? dit le duc.

— Oui, dans un couvent.

— Et dans lequel ?

— Je l’ignore, le secret a été bien gardé.

— Je le saurai, moi !

— Et Votre Éminence me dira dans quel couvent est cette femme ?

— Je n’y vois pas d’inconvénient, dit le cardinal.

— Bien ; maintenant j’ai un autre ennemi bien autrement à craindre pour moi que cette petite madame Bonacieux.

— Et lequel ?

— Son amant.

— Comment s’appelle-t-il ?

— Oh ! Votre Éminence le connaît bien, s’écria milady emportée par la colère, c’est notre mauvais génie à tous deux ; c’est celui qui, dans une rencontre avec les gardes de Votre Éminence, a décidé la victoire en faveur des mousquetaires du roi ; c’est celui qui a donné trois coups d’épée à de Wardes, votre émissaire, et qui a fait échouer l’affaire des ferrets ; c’est celui enfin qui, sachant que c’était moi qui lui avais enlevé madame Bonacieux, a juré ma mort.

— Ah ! ah ! dit le cardinal, je sais de qui vous voulez parler.

— Je veux parler de ce misérable d’Artagnan.

— C’est un hardi compagnon, dit le cardinal.

— Et c’est justement parce que c’est un hardi compagnon qu’il n’en est que plus à craindre.

— Il faudrait, dit le duc, avoir une preuve de ses intelligences avec Buckingham.

— Une preuve, s’écria milady, j’en aurai dix.

— Eh bien, alors ! c’est la chose la plus simple du monde, ayez-moi cette preuve et je l’envoie à la Bastille.

— Bien, monseigneur ; mais ensuite ?

— Quand on est à la Bastille, il n’y a pas d’ensuite, dit le cardinal d’une voix sourde. Ah ! pardieu, continua-t-il, s’il m’était aussi facile de me débarrasser de mon ennemi qu’il m’est facile de me débarrasser des vôtres, et si c’était contre de pareilles gens que vous me demandiez l’impunité !

— Monseigneur, reprit milady, troc pour troc, existence pour existence, homme pour homme ; donnez-moi celui-là, je vous donne l’autre.

— Je ne sais pas ce que vous voulez dire, reprit le cardinal, et ne veux même pas le savoir, mais j’ai le désir de vous être agréable et ne vois aucun inconvénient à vous donner ce que vous demandez à l’égard d’une si infime créature ; d’autant plus, comme vous me le dites, que ce petit d’Artagnan est un libertin, un duelliste, un traître.

— Un infâme, monseigneur, un infâme !

— Donnez-moi donc du papier, une plume et de l’encre, dit le cardinal.

— En voici, monseigneur.

Il se fit un instant de silence qui prouvait que le cardinal était occupé à chercher les termes dans lesquels devait être écrit le billet, ou même à l’écrire. Athos, qui n’avait pas perdu un mot de la conversation, prit ses deux compagnons chacun par une main et les conduisit à l’autre bout de la chambre.

— Eh bien, dit Porthos, que veux-tu, et pourquoi ne nous laisses-tu pas écouter la fin de la conversation ?

— Chut ! dit Athos parlant à voix basse, nous en avons entendu tout ce qu’il est nécessaire que nous entendions ; d’ailleurs je ne vous empêche pas d’écouter le reste, mais il faut que je sorte.

— Il faut que tu sortes ! dit Porthos ; mais si le cardinal te demande, que répondrons-nous ?

— Vous n’attendrez pas qu’il me demande, vous lui direz les premiers que je suis parti en éclaireur parce que certaines paroles de notre hôte m’ont donné à penser que le chemin n’était pas sûr ; j’en toucherai d’abord deux mots à l’écuyer du cardinal ; le reste me regarde, ne vous en inquiétez pas.

— Soyez prudent, Athos ! dit Aramis.

— Soyez tranquille, répondit Athos, vous le savez, j’ai du sang-froid.

Porthos et Aramis allèrent reprendre leur place près du tuyau de poêle.

Quant à Athos, il sortit sans aucun mystère, alla prendre son cheval attaché avec ceux de ses deux amis aux tourniquets des contrevents, convainquit en quatre mots l’écuyer de la nécessité d’une avant-garde pour le retour, visita avec affectation l’amorce de ses pistolets, mit l’épée aux dents et suivit, en enfant perdu, la route qui conduisait au camp.

SCÈNE CONJUGALE

Comme l’avait prévu Athos, le cardinal ne tarda point à descendre ; il ouvrit la porte de la chambre où étaient entrés les mousquetaires, et trouva Porthos faisant une partie de dés acharnée avec Aramis. D’un coup d’œil rapide, il fouilla tous les coins de la salle, et vit qu’un de ses hommes lui manquait.

— Qu’est devenu M. Athos ? demanda-t-il.

— Monseigneur, répondit Porthos, il est parti en éclaireur sur quelques propos de notre hôte, qui lui ont fait croire que la route n’était pas sûre.

— Et vous, qu’avez-vous fait, monsieur Porthos ?

— J’ai gagné cinq pistoles à Aramis.

— Et maintenant, vous pouvez revenir avec moi ?

— Nous sommes aux ordres de Votre Éminence.

— À cheval donc, messieurs, car il se fait tard.

L’écuyer était à la porte, et tenait en bride le cheval du cardinal. Un peu plus loin, un groupe de deux hommes et de trois chevaux apparaissait dans l’ombre ; ces deux hommes étaient ceux qui devaient conduire milady au fort de La Pointe, et veiller à son embarquement.

L’écuyer confirma au cardinal ce que les deux mousquetaires lui avaient déjà dit à propos d’Athos. Le cardinal fit un geste approbateur, et reprit la route, s’entourant au retour des mêmes précautions qu’il avait prises au départ.

Laissons-le suivre le chemin du camp, protégé par l’écuyer et les deux mousquetaires, et revenons à Athos.

Pendant une centaine de pas, il avait marché de la même allure ; mais, une fois hors de vue, il avait lancé son cheval à droite, avait fait un détour, et était revenu à une vingtaine de pas, dans le taillis, guetter le passage de la petite troupe ; ayant reconnu les chapeaux bordés de ses compagnons et la frange dorée du manteau de M. le cardinal, il attendit que les cavaliers eussent tourné l’angle de la route, et, les ayant perdus de vue, il revint au galop à l’auberge, qu’on lui ouvrit sans difficulté.

L’hôte le reconnut.

— Mon officier, dit Athos, a oublié de faire à la dame du premier une recommandation importante, il m’envoie pour réparer son oubli.

— Montez, dit l’hôte, elle est encore dans sa chambre.

Athos profita de la permission, monta l’escalier de son pas le plus léger, arriva sur le carré, et, à travers la porte entrouverte, il vit milady qui attachait son chapeau.

Il entra dans la chambre, et referma la porte derrière lui.

Au bruit qu’il fit en repoussant le verrou, milady se retourna.

Athos était debout devant la porte, enveloppé dans son manteau, son chapeau rabattu sur ses yeux.

En voyant cette figure muette et immobile comme une statue, milady eut peur.

— Qui êtes-vous ? et que demandez-vous ? s’écria-t-elle.

— Allons, c’est bien elle ! murmura Athos.

Et, laissant tomber son manteau, et relevant son feutre, il s’avança vers milady.

— Me reconnaissez-vous, madame ? dit-il.

Milady fit un pas en avant, puis recula comme à la vue d’un serpent.

— Allons, dit Athos, c’est bien, je vois que vous me reconnaissez.

— Le comte de La Fère ! murmura milady en pâlissant et en reculant jusqu’à ce que la muraille l’empêchât d’aller plus loin.

— Oui, milady, répondit Athos, le comte de La Fère en personne, qui revient tout exprès de l’autre monde pour avoir le plaisir de vous voir. Asseyons-nous donc, et causons, comme dit monseigneur le cardinal.

Milady, dominée par une terreur inexprimable, s’assit sans proférer une seule parole.

— Vous êtes donc un démon envoyé sur la terre ? dit Athos. Votre puissance est grande, je le sais ; mais vous savez aussi qu’avec l’aide de Dieu les hommes ont souvent vaincu les démons les plus terribles. Vous vous êtes déjà trouvée sur mon chemin, je croyais vous avoir terrassée, madame ; mais, ou je me trompai, ou l’enfer vous a ressuscitée.

Milady, à ces paroles qui lui rappelaient des souvenirs effroyables, baissa la tête avec un gémissement sourd.

— Oui, l’enfer vous a ressuscitée, reprit Athos, l’enfer vous a faite riche, l’enfer vous a donné un autre nom, l’enfer vous a presque refait même un autre visage ; mais il n’a effacé ni les souillures de votre âme, ni la flétrissure de votre corps.

Milady se leva comme mue par un ressort, et ses yeux lancèrent des éclairs. Athos resta assis.

— Vous me croyiez mort, n’est-ce pas, comme je vous croyais morte ? et ce nom d’Athos avait caché le comte de La Fère, comme le nom de milady Clarick avait caché Anne de Bueil ! N’était-ce pas ainsi que vous vous appeliez quand votre honoré frère nous a mariés ? Notre position est vraiment étrange, poursuivit Athos en riant ; nous n’avons vécu jusqu’à présent l’un et l’autre que parce que nous nous croyions morts, et qu’un souvenir gêne moins qu’une créature, quoique ce soit chose dévorante parfois qu’un souvenir !

— Mais enfin, dit milady d’une voix sourde, qui vous ramène vers moi et que me voulez-vous ?

— Je veux vous dire que, tout en restant invisible à vos yeux, je ne vous ai pas perdue de vue, moi !

— Vous savez ce que j’ai fait ?

— Je puis vous raconter jour par jour vos actions, depuis votre entrée au service du cardinal jusqu’à ce soir.

Un sourire d’incrédulité passa sur les lèvres pâles de milady.

— Écoutez : c’est vous qui avez coupé les deux ferrets de diamants sur l’épaule du duc de Buckingham ; c’est vous qui avez fait enlever madame Bonacieux ; c’est vous qui, amoureuse de de Wardes, et croyant passer la nuit avec lui, avez ouvert votre porte à M. d’Artagnan ; c’est vous qui, croyant que de Wardes vous avait trompée, avez voulu le faire tuer par son rival ; c’est vous qui, lorsque ce rival eut découvert votre infâme secret, avez voulu le faire tuer à son tour par deux assassins que vous avez envoyés à sa poursuite ; c’est vous qui, voyant que les balles avaient manqué leur coup, avez envoyé du vin empoisonné avec une fausse lettre, pour faire croire à votre victime que ce vin venait de ses amis ; c’est vous, enfin, qui venez là, dans cette chambre, assise sur cette chaise où je suis, de prendre avec le cardinal de Richelieu l’engagement de faire assassiner le duc de Buckingham, en échange de la promesse qu’il vous a faite de vous laisser assassiner d’Artagnan.

Milady était livide.

— Mais vous êtes donc Satan ? dit-elle.

— Peut-être, dit Athos ; mais, en tout cas, écoutez bien ceci : Assassinez ou faites assassiner le duc de Buckingham, peu m’importe ! je ne le connais pas : d’ailleurs c’est un Anglais ; mais ne touchez pas du bout du doigt à un seul cheveu de d’Artagnan, qui est un fidèle ami que j’aime et que je défends, ou, je vous le jure par la tête de mon père, le crime que vous aurez commis sera le dernier.

— M. d’Artagnan m’a cruellement offensée, dit milady d’une voix sourde, M. d’Artagnan mourra.

— En vérité, cela est-il possible qu’on vous offense, madame ? dit en riant Athos ; il vous a offensée, et il mourra ?

— Il mourra, reprit milady ; elle d’abord, lui ensuite.

Athos fut saisi comme d’un vertige : la vue de cette créature, qui n’avait rien d’une femme, lui rappelait des souvenirs terribles ; il pensa qu’un jour, dans une situation moins dangereuse que celle où il se trouvait, il avait déjà voulu la sacrifier à son honneur ; son désir de meurtre lui revint brûlant et l’envahit comme une fièvre ardente : il se leva à son tour, porta la main à sa ceinture, en tira un pistolet et l’arma.

Milady, pâle comme un cadavre, voulut crier, mais sa langue glacée ne put proférer qu’un son rauque qui n’avait rien de la parole humaine et qui semblait le râle d’une bête fauve ; collée contre la sombre tapisserie, elle apparaissait, les cheveux épars, comme l’image effrayante de la terreur.

Athos leva lentement son pistolet, étendit le bras de manière que l’arme touchât presque le front de milady puis, d’une voix d’autant plus terrible qu’elle avait le calme suprême d’une inflexible résolution :

— Madame, dit-il, vous allez à l’instant même me remettre le papier que vous a signé le cardinal, ou, sur mon âme, je vous fais sauter la cervelle.

Avec un autre homme milady aurait pu conserver quelque doute, mais elle connaissait Athos ; cependant elle resta immobile.

— Vous avez une seconde pour vous décider, dit-il.

Milady vit à la contraction de son visage que le coup allait partir ; elle porta vivement la main à sa poitrine, en tira un papier et le tendit à Athos.

— Tenez, dit-elle, et soyez maudit !

Athos prit le papier, repassa le pistolet à sa ceinture, s’approcha de la lampe pour s’assurer que c’était bien celui-là, le déplia et lut :

« C’est par mon ordre et pour le bien de l’État que le porteur du présent a fait ce qu’il a fait.

3 décembre 1627.

« Richelieu »

— Et maintenant, dit Athos en reprenant son manteau et en replaçant son feutre sur sa tête, maintenant que je t’ai arraché les dents, vipère, mords si tu peux.

Et il sortit de la chambre sans même regarder en arrière.

À la porte il trouva les deux hommes et le cheval qu’ils tenaient en main.

— Messieurs, dit-il, l’ordre de monseigneur, vous le savez, est de conduire cette femme, sans perdre de temps, au fort de La Pointe et de ne la quitter que lorsqu’elle sera à bord.

Comme ces paroles s’accordaient effectivement avec l’ordre qu’ils avaient reçu, ils inclinèrent la tête en signe d’assentiment.

Quant à Athos, il se mit légèrement en selle et partit au galop ; seulement, au lieu de suivre la route, il prit à travers champs, piquant avec vigueur son cheval et de temps en temps s’arrêtant pour écouter.

Dans une de ces haltes, il entendit sur la route le pas de plusieurs chevaux. Il ne douta point que ce ne fût le cardinal et son escorte. Aussitôt il fit une nouvelle pointe en avant, bouchonna son cheval avec de la bruyère et des feuilles d’arbres, et vint se mettre en travers de la route à deux cents pas du camp à peu près.

— Qui vive ? cria-t-il de loin quand il aperçut les cavaliers.

— C’est notre brave mousquetaire, je crois, dit le cardinal.

— Oui, monseigneur, répondit Athos. C’est lui-même.

— Monsieur Athos, dit Richelieu, recevez tous mes remerciements pour la bonne garde que vous nous avez faite ; messieurs, nous voici arrivés : prenez la porte à gauche, le mot d’ordre est Roi et Ré.

En disant ces mots, le cardinal salua de la tête les trois amis, et prit à droite suivi de son écuyer ; car, cette nuit-là, lui-même couchait au camp.

— Eh bien ! dirent ensemble Porthos et Aramis lorsque le cardinal fut hors de la portée de la voix, eh bien il a signé le papier qu’elle demandait.

— Je le sais, dit tranquillement Athos, puisque le voici.

Et les trois amis n’échangèrent plus une seule parole jusqu’à leur quartier, excepté pour donner le mot d’ordre aux sentinelles.

Seulement, on envoya Mousqueton dire à Planchet que son maître était prié, en relevant de tranchée, de se rendre à l’instant même au logis des mousquetaires.

D’un autre côté, comme l’avait prévu Athos, milady, en retrouvant à la porte les hommes qui l’attendaient, ne fit aucune difficulté de les suivre ; elle avait bien eu l’envie un instant de se faire reconduire devant le cardinal et de lui tout raconter, mais une révélation de sa part amenait une révélation de la part d’Athos : elle dirait bien qu’Athos l’avait pendue, mais Athos dirait qu’elle était marquée ; elle pensa qu’il valait donc encore mieux garder le silence, partir discrètement, accomplir avec son habileté ordinaire la mission difficile dont elle s’était chargée, puis, toutes les choses accomplies à la satisfaction du cardinal, venir lui réclamer sa vengeance.

En conséquence, après avoir voyagé toute la nuit, à sept heures du matin elle était au fort de La Pointe, à huit heures elle était embarquée, et à neuf heures le bâtiment, qui, avec des lettres de marque du cardinal, était censé être en partance pour Bayonne, levait l’ancre et faisait voile pour l’Angleterre.

LE BASTION SAINT-GERVAIS

En arrivant chez ses trois amis, d’Artagnan les trouva réunis dans la même chambre : Athos réfléchissait, Porthos frisait sa moustache, Aramis disait ses prières dans un charmant petit livre d’heures relié en velours bleu.

— Pardieu, messieurs ! dit-il, j’espère que ce que vous avez à me dire en vaut la peine, sans cela je vous préviens que je ne vous pardonnerai pas de m’avoir fait venir, au lieu de me laisser reposer après une nuit passée à prendre et à démanteler un bastion. Ah ! que n’étiez-vous là, messieurs ! il y a fait chaud.

— Nous étions ailleurs, où il ne faisait pas froid non plus ! répondit Porthos tout en faisant prendre à sa moustache un pli qui lui était particulier.

— Chut ! dit Athos.

— Oh ! oh ! fit d’Artagnan comprenant le léger froncement de sourcils du mousquetaire, il paraît qu’il y a du nouveau ici.

— Aramis, dit Athos, vous avez été déjeuner avant-hier à l’auberge du Parpaillot, je crois ?

— Oui.

— Comment est-on là ?

— Mais, j’y ai fort mal mangé pour mon compte, avant-hier était un jour maigre, et ils n’avaient que du gras.

— Comment ! dit Athos, dans un port de mer ils n’ont pas de poisson ?

— Ils disent, reprit Aramis en se remettant à sa pieuse lecture, que la digue que fait bâtir M. le cardinal le chasse en pleine mer.

— Mais, ce n’est pas cela que je vous demandais, Aramis, reprit Athos ; je vous demandais si vous aviez été bien libre, et si personne ne vous avait dérangé ?

— Mais il me semble que nous n’avons pas eu trop d’importuns ; oui, au fait, pour ce que vous voulez dire, Athos, nous serons assez bien au Parpaillot.

— Allons donc au Parpaillot, dit Athos, car ici les murailles sont comme des feuilles de papier.

D’Artagnan, qui était habitué aux manières de faire de son ami, et qui reconnaissait tout de suite à une parole, à un geste, à un signe de lui, que les circonstances étaient graves, prit le bras d’Athos et sortit avec lui sans rien dire ; Porthos suivit en devisant avec Aramis.

En route, on rencontra Grimaud, Athos lui fit signe de suivre ; Grimaud, selon son habitude, obéit en silence ; le pauvre garçon avait à peu près fini par désapprendre de parler.

On arriva à la buvette du Parpaillot : il était sept heures du matin, le jour commençait à paraître ; les trois amis commandèrent à déjeuner, et entrèrent dans une salle où au dire de l’hôte, ils ne devaient pas être dérangés.

Malheureusement l’heure était mal choisie pour un conciliabule ; on venait de battre la diane, chacun secouait le sommeil de la nuit, et, pour chasser l’air humide du matin, venait boire la goutte à la buvette : dragons, Suisses, gardes, mousquetaires, chevau-légers se succédaient avec une rapidité qui devait très bien faire les affaires de l’hôte, mais qui remplissait fort mal les vues des quatre amis. Aussi répondaient-ils d’une manière fort maussade aux saluts, aux toasts et aux lazzi de leurs compagnons.

— Allons ! dit Athos, nous allons nous faire quelque bonne querelle, et nous n’avons pas besoin de cela en ce moment. D’Artagnan, racontez-nous votre nuit ; nous vous raconterons la nôtre après.

— En effet, dit un chevau-léger qui se dandinait en tenant à la main un verre d’eau-de-vie qu’il dégustait lentement ; en effet, vous étiez de tranchée cette nuit, messieurs les gardes, et il me semble que vous avez eu maille à partir avec les Rochelois ?

D’Artagnan regarda Athos pour savoir s’il devait répondre à cet intrus qui se mêlait à la conversation.

— Eh bien ! dit Athos, n’entends-tu pas M. de Busigny qui te fait l’honneur de t’adresser la parole ? Raconte ce qui s’est passé cette nuit, puisque ces messieurs désirent le savoir.

— N’avre-bous bas bris un pastion ? demanda un Suisse qui buvait du rhum dans un verre à bière.

— Oui, monsieur, répondit d’Artagnan en s’inclinant, nous avons eu cet honneur, nous avons même, comme vous avez pu l’entendre, introduit sous un des angles un baril de poudre qui, en éclatant, a fait une fort jolie brèche ; sans compter que, comme le bastion n’était pas d’hier, tout le reste de la bâtisse s’en est trouvé fort ébranlé.

— Et quel bastion est-ce ? demanda un dragon qui tenait enfilée à son sabre une oie qu’il apportait pour qu’on la fît cuire.

— Le bastion Saint-Gervais, répondit d’Artagnan, derrière lequel les Rochelois inquiétaient nos travailleurs.

— Et l’affaire a été chaude ?

— Mais, oui ; nous y avons perdu cinq hommes, et les Rochelois huit ou dix.

— Balzampleu ! fit le Suisse, qui, malgré l’admirable collection de jurons que possède la langue allemande, avait pris l’habitude de jurer en français.

— Mais il est probable, dit le chevau-léger, qu’ils vont, ce matin, envoyer des pionniers pour remettre le bastion en état.

— Oui, c’est probable, dit d’Artagnan.

— Messieurs, dit Athos, un pari !

— Ah ! woui ! un bari ! dit le Suisse.

— Lequel ? demanda le chevau-léger.

— Attendez, dit le dragon en posant son sabre comme une broche sur les deux grands chenets de fer qui soutenaient le feu de la cheminée, j’en suis. Hôtelier de malheur ! une lèchefrite tout de suite, que je ne perde pas une goutte de la graisse de cette estimable volaille.

— Il avre raison, dit le Suisse, la graisse t’oie, il est très ponne avec des gonfitures.

— Là ! dit le dragon. Maintenant, voyons le pari ! Nous écoutons, monsieur Athos !

— Oui, le pari ! dit le chevau-léger.

— Eh bien, monsieur de Busigny, je parie avec vous, dit Athos, que mes trois compagnons, MM. Porthos, Aramis, d’Artagnan et moi, nous allons déjeuner dans le bastion Saint-Gervais et que nous y tenons une heure, montre à la main, quelque chose que l’ennemi fasse pour nous déloger.

Porthos et Aramis se regardèrent, ils commençaient à comprendre.

— Mais, dit d’Artagnan en se penchant à l’oreille d’Athos, tu vas nous faire tuer sans miséricorde.

— Nous sommes bien plus tués, répondit Athos, si nous n’y allons pas.

— Ah ! ma foi ! messieurs, dit Porthos en se renversant sur sa chaise et frisant sa moustache, voici un beau pari, j’espère.

— Aussi je l’accepte, dit M. de Busigny ; maintenant il s’agit de fixer l’enjeu.

— Mais vous êtes quatre, messieurs, dit Athos, nous sommes quatre ; un dîner à discrétion pour huit, cela vous va-t-il ?

— À merveille, reprit M. de Busigny.

— Parfaitement, dit le dragon.

— Ça me fa, dit le Suisse.

Le quatrième auditeur, qui, dans toute cette conversation, avait joué un rôle muet, fit un signe de la tête en signe qu’il acquiesçait à la proposition.

— Le déjeuner de ces messieurs est prêt, dit l’hôte.

— Eh bien, apportez-le, dit Athos.

L’hôte obéit. Athos appela Grimaud, lui montra un grand panier qui gisait dans un coin et fit le geste d’envelopper dans les serviettes les viandes apportées.

Grimaud comprit à l’instant même qu’il s’agissait d’un déjeuner sur l’herbe, prit le panier, empaqueta les viandes, y joignit les bouteilles et prit le panier à son bras.

— Mais où allez-vous manger mon déjeuner ? dit l’hôte.

— Que vous importe, dit Athos, pourvu qu’on vous le paie ?

Et il jeta majestueusement deux pistoles sur la table.

— Faut-il vous rendre, mon officier ? dit l’hôte.

— Non ; ajoute seulement deux bouteilles de vin de Champagne et la différence sera pour les serviettes.

L’hôte ne faisait pas une aussi bonne affaire qu’il l’avait cru d’abord, mais il se rattrapa en glissant aux quatre convives deux bouteilles de vin d’Anjou au lieu de deux bouteilles de vin de Champagne.

— Monsieur de Busigny, dit Athos, voulez-vous bien régler votre montre sur la mienne, ou me permettre de régler la mienne sur la vôtre ?

— À merveille, monsieur ! dit le chevau-léger en tirant de son gousset une fort belle montre entourée de diamants ; sept heures et demie, dit-il.

— Sept heures trente-cinq minutes, dit Athos ; nous saurons que j’avance de cinq minutes sur vous, monsieur.

Et, saluant les assistants ébahis, les quatre jeunes gens prirent le chemin du bastion Saint-Gervais, suivis de Grimaud, qui portait le panier, ignorant où il allait, mais, dans l’obéissance passive dont il avait pris l’habitude avec Athos, ne songeait pas même à le demander.

Tant qu’ils furent dans l’enceinte du camp, les quatre amis n’échangèrent pas une parole ; d’ailleurs ils étaient suivis par les curieux, qui, connaissant le pari engagé, voulaient savoir comment ils s’en tireraient.

Mais une fois qu’ils eurent franchi la ligne de circonvallation et qu’ils se trouvèrent en plein air, d’Artagnan, qui ignorait complètement ce dont il s’agissait, crut qu’il était temps de demander une explication.

— Et maintenant, mon cher Athos, dit-il, faites-moi l’amitié de m’apprendre où nous allons ?

— Vous le voyez bien, dit Athos, nous allons au bastion.

— Mais qu’y allons-nous faire ?

— Vous le savez bien, nous y allons déjeuner.

— Mais pourquoi n’avons-nous pas déjeuné au Parpaillat ?

— Parce que nous avons des choses fort importantes à nous dire, et qu’il était impossible de causer cinq minutes dans cette auberge avec tous ces importuns qui vont, qui viennent, qui saluent, qui accostent ; ici, du moins, continua Athos en montrant le bastion, on ne viendra pas nous déranger.

— Il me semble, dit d’Artagnan avec cette prudence qui s’alliait si bien et si naturellement chez lui à une excessive bravoure, il me semble que nous aurions pu trouver quelque endroit écarté dans les dunes, au bord de la mer.

— Où l’on nous aurait vus conférer tous les quatre ensemble, de sorte qu’au bout d’un quart d’heure le cardinal eût été prévenu par ses espions que nous tenions conseil.

— Oui, dit Aramis, Athos a raison : Animadvertuntur in desertis.

— Un désert n’aurait pas été mal, dit Porthos, mais il s’agissait de le trouver.

— Il n’y a pas de désert où un oiseau ne puisse passer au-dessus de la tête, où un poisson ne puisse sauter au-dessus de l’eau, où un lapin ne puisse partir de son gîte, et je crois qu’oiseau, poisson, lapin, tout s’est fait espion du cardinal. Mieux vaut donc poursuivre notre entreprise, devant laquelle d’ailleurs nous ne pouvons plus reculer sans honte ; nous avons fait un pari, un pari qui ne pouvait être prévu, et dont je défie qui que ce soit de deviner la véritable cause : nous allons, pour le gagner, tenir une heure dans le bastion. Ou nous serons attaqués, ou nous ne le serons pas. Si nous ne le sommes pas, nous aurons tout le temps de causer et personne ne nous entendra, car je réponds que les murs de ce bastion n’ont pas d’oreilles ; si nous le sommes, nous causerons de nos affaires tout de même, et de plus, tout en nous défendant, nous nous couvrons de gloire. Vous voyez bien que tout est bénéfice.

— Oui, dit d’Artagnan, mais nous attraperons indubitablement une balle.

— Eh ! mon cher, dit Athos, vous savez bien que les balles les plus à craindre ne sont pas celles de l’ennemi.

— Mais il me semble que pour une pareille expédition, nous aurions dû au moins emporter nos mousquets.

— Vous êtes un niais, ami Porthos ; pourquoi nous charger d’un fardeau inutile ?

— Je ne trouve pas inutile en face de l’ennemi un bon mousquet de calibre, douze cartouches et une poire à poudre.

— Oh ! bien, dit Athos, n’avez-vous pas entendu ce qu’a dit d’Artagnan ?

— Qu’a dit d’Artagnan ? demanda Porthos.

— D’Artagnan a dit que dans l’attaque de cette nuit il y avait eu huit ou dix Français de tués et autant de Rochelois.

— Après ?

— On n’a pas eu le temps de les dépouiller, n’est-ce pas ? attendu qu’on avait autre chose pour le moment de plus pressé à faire.

— Eh bien ?

— Eh bien, nous allons trouver leurs mousquets, leurs poires à poudre et leurs cartouches, et au lieu de quatre mousquetons et de douze balles, nous allons avoir une quinzaine de fusils et une centaine de coups à tirer.

— Ô Athos ! dit Aramis, tu es véritablement un grand homme !

Porthos inclina la tête en signe d’adhésion.

D’Artagnan seul ne paraissait pas convaincu.

Sans doute Grimaud partageait les doutes du jeune homme ; car, voyant que l’on continuait de marcher vers le bastion, chose dont il avait douté jusqu’alors, il tira son maître par le pan de son habit.

— Où allons-nous ? demanda-t-il par geste.

Athos lui montra le bastion.

— Mais, dit toujours dans le même dialecte le silencieux Grimaud, nous y laisserons notre peau.

Athos leva les yeux et le doigt vers le ciel.

Grimaud posa son panier à terre et s’assit en secouant la tête.

Athos prit à sa ceinture un pistolet, regarda s’il était bien amorcé, l’arma et approcha le canon de l’oreille de Grimaud.

Grimaud se retrouva sur ses jambes comme par un ressort.

Athos alors lui fit signe de prendre le panier et de marcher devant.

Grimaud obéit.

Tout ce qu’avait gagné le pauvre garçon à cette pantomime d’un instant, c’est qu’il était passé de l’arrière-garde à l’avant-garde.

Arrivés au bastion, les quatre amis se retournèrent.

Plus de trois cents soldats de toutes armes étaient assemblés à la porte du camp, et dans un groupe séparé on pouvait distinguer M. de Busigny, le dragon, le Suisse et le quatrième parieur.

Athos ôta son chapeau, le mit au bout de son épée et l’agita en l’air.

Tous les spectateurs lui rendirent son salut, accompagnant cette politesse d’un grand hourra qui arriva jusqu’à eux.

Après quoi, ils disparurent tous quatre dans le bastion, où les avait déjà précédés Grimaud.

LE CONSEIL DES MOUSQUETAIRES

Comme l’avait prévu Athos, le bastion n’était occupé que par une douzaine de morts tant Français que Rochelois.

— Messieurs, dit Athos, qui avait pris le commandement de l’expédition, tandis que Grimaud va mettre la table, commençons par recueillir les fusils et les cartouches ; nous pouvons d’ailleurs causer tout en accomplissant cette besogne. Ces messieurs, ajouta-t-il en montrant les morts, ne nous écoutent pas.

— Mais nous pourrions toujours les jeter dans le fossé, dit Porthos, après toutefois nous être assurés qu’ils n’ont rien dans leurs poches.

— Oui, dit Aramis, c’est l’affaire de Grimaud.

— Ah ! bien alors, dit d’Artagnan, que Grimaud les fouille et les jette par-dessus les murailles.

— Gardons-nous-en bien, dit Athos, ils peuvent nous servir.

— Ces morts peuvent nous servir ? dit Porthos. Ah çà, vous devenez fou, cher ami.

— Ne jugez pas témérairement, disent l’Évangile et M. le cardinal, répondit Athos ; combien de fusils, messieurs ?

— Douze, répondit Aramis.

— Combien de coups à tirer ?

— Une centaine.

— C’est tout autant qu’il nous en faut ; chargeons les armes.

Les quatre mousquetaires se mirent à la besogne. Comme ils achevaient de charger le dernier fusil, Grimaud fit signe que le déjeuner était servi.

Athos répondit, toujours par geste, que c’était bien, et indiqua à Grimaud une espèce de poivrière où celui-ci comprit qu’il se devait tenir en sentinelle. Seulement, pour adoucir l’ennui de la faction, Athos lui permit d’emporter un pain, deux côtelettes et une bouteille de vin.

— Et maintenant, à table, dit Athos.

Les quatre amis s’assirent à terre, les jambes croisées, comme les Turcs ou comme les tailleurs.

— Ah ! maintenant, dit d’Artagnan, que tu n’as plus la crainte d’être entendu, j’espère que tu vas nous faire part de ton secret, Athos.

— J’espère que je vous procure à la fois de l’agrément et de la gloire, messieurs, dit Athos. Je vous ai fait faire une promenade charmante ; voici un déjeuner des plus succulents, et cinq cents personnes là-bas, comme vous pouvez les voir à travers les meurtrières, qui nous prennent pour des fous ou pour des héros, deux classes d’imbéciles qui se ressemblent assez.

— Mais ce secret ? demanda d’Artagnan.

— Le secret, dit Athos, c’est que j’ai vu milady hier soir.

D’Artagnan portait son verre à ses lèvres ; mais à ce nom de milady, la main lui trembla si fort, qu’il le posa à terre pour ne pas en répandre le contenu.

— Tu as vu ta fem…

— Chut donc ! interrompit Athos : vous oubliez, mon cher, que ces messieurs ne sont pas initiés comme vous dans le secret de mes affaires de ménage ; j’ai vu milady.

— Et où cela ? demanda d’Artagnan.

— À deux lieues d’ici à peu près, à l’auberge du Colombier-Rouge.

— En ce cas je suis perdu, dit d’Artagnan.

— Non, pas tout à fait encore, reprit Athos ; car, à cette heure, elle doit avoir quitté les côtes de France.

D’Artagnan respira.

— Mais au bout du compte, demanda Porthos, qu’est-ce donc que cette milady ?

— Une femme charmante, dit Athos en dégustant un verre de vin mousseux. Canaille d’hôtelier ! s’écria-t-il, qui nous donne du vin d’Anjou pour du vin de Champagne, et qui croit que nous nous y laisserons prendre ! Oui, continua-t-il, une femme charmante qui a eu des bontés pour notre ami d’Artagnan, qui lui a fait je ne sais quelle noirceur dont elle a essayé de se venger, il y a un mois en voulant le faire tuer à coups de mousquet, il y a huit jours en essayant de l’empoisonner, et hier en demandant sa tête au cardinal.

— Comment ! en demandant ma tête au cardinal ? s’écria d’Artagnan, pâle de terreur.

— Ça, dit Porthos, c’est vrai comme l’Évangile : je l’ai entendu de mes deux oreilles.

— Moi aussi, dit Aramis.

— Alors, dit d’Artagnan en laissant tomber son bras avec découragement, il est inutile de lutter plus longtemps ; autant que je me brûle la cervelle et que tout soit fini !

— C’est la dernière sottise qu’il faut faire, dit Athos, attendu que c’est la seule à laquelle il n’y ait pas de remède.

— Mais je n’en réchapperai jamais, dit d’Artagnan, avec des ennemis pareils. D’abord mon inconnu de Meung ; ensuite de Wardes, à qui j’ai donné trois coups d’épée ; puis milady, dont j’ai surpris le secret ; enfin, le cardinal, dont j’ai fait échouer la vengeance.

— Eh bien, dit Athos, tout cela ne fait que quatre, et nous sommes quatre, un contre un. Pardieu ! si nous en croyons les signes que nous fait Grimaud, nous allons avoir affaire à un bien plus grand nombre de gens. Qu’y a-t-il, Grimaud ? Considérant la gravité de la circonstance, je vous permets de parler, mon ami, mais soyez laconique je vous prie. Que voyez-vous ?

— Une troupe.

— De combien de personnes ?

— De vingt hommes.

— Quels hommes ?

— Seize pionniers, quatre soldats.

— À combien de pas sont-ils ?

— À cinq cents pas.

— Bon, nous avons encore le temps d’achever cette volaille et de boire un verre de vin à ta santé, d’Artagnan !

— À ta santé ! répétèrent Porthos et Aramis.

— Eh bien donc, à ma santé ! quoique je ne croie pas que vos souhaits me servent à grand’chose.

— Bah ! dit Athos, Dieu est grand, comme disent les sectateurs de Mahomet, et l’avenir est dans ses mains.

Puis, avalant le contenu de son verre, qu’il posa près de lui, Athos se leva nonchalamment, prit le premier fusil venu et s’approcha d’une meurtrière.

Porthos, Aramis et d’Artagnan en firent autant. Quant à Grimaud, il reçut l’ordre de se placer derrière les quatre amis afin de recharger les armes.

Au bout d’un instant on vit paraître la troupe ; elle suivait une espèce de boyau de tranchée qui établissait une communication entre le bastion et la ville.

— Pardieu ! dit Athos, c’est bien la peine de nous déranger pour une vingtaine de drôles armés de pioches, de hoyaux et de pelles ! Grimaud n’aurait eu qu’à leur faire signe de s’en aller, et je suis convaincu qu’ils nous eussent laissés tranquilles.

— J’en doute, observa d’Artagnan, car ils avancent fort résolument de ce côté. D’ailleurs, il y a avec les travailleurs quatre soldats et un brigadier armés de mousquets.

— C’est qu’ils ne nous ont pas vus, reprit Athos.

— Ma foi ! dit Aramis, j’avoue que j’ai répugnance à tirer sur ces pauvres diables de bourgeois.

— Mauvais prêtre, répondit Porthos, qui a pitié des hérétiques !

— En vérité, dit Athos, Aramis a raison, je vais les prévenir.

— Que diable faites-vous donc ? s’écria d’Artagnan, vous allez vous faire fusiller, mon cher.

Mais Athos ne tint aucun compte de l’avis, et, montant sur la brèche, son fusil d’une main et son chapeau de l’autre :

— Messieurs, dit-il en s’adressant aux soldats et aux travailleurs, qui, étonnés de son apparition, s’arrêtaient à cinquante pas environ du bastion, et en les saluant courtoisement, messieurs, nous sommes, quelques amis et moi, en train de déjeuner dans ce bastion. Or, vous savez que rien n’est désagréable comme d’être dérangé quand on déjeune ; nous vous prions donc, si vous avez absolument affaire ici, d’attendre que nous ayons fini notre repas, ou de repasser plus tard, à moins qu’il ne vous prenne la salutaire envie de quitter le parti de la rébellion et de venir boire avec nous à la santé du roi de France.

— Prends garde, Athos ! s’écria d’Artagnan ; ne vois-tu pas qu’ils te mettent en joue ?

— Si fait, si fait, dit Athos, mais ce sont des bourgeois qui tirent fort mal, et qui n’ont garde de me toucher.

En effet, au même instant quatre coups de fusil partirent, et les balles vinrent s’aplatir autour d’Athos, mais sans qu’une seule le touchât.

Quatre coups de fusil leur répondirent presque en même temps, mais ils étaient mieux dirigés que ceux des agresseurs, trois soldats tombèrent tués raide, et un des travailleurs fut blessé.

— Grimaud, un autre mousquet ! dit Athos toujours sur la brèche.

Grimaud obéit aussitôt. De leur côté, les trois amis avaient chargé leurs armes ; une seconde décharge suivit la première : le brigadier et deux pionniers tombèrent morts, le reste de la troupe prit la fuite.

— Allons, messieurs, une sortie ! dit Athos.

Et les quatre amis, s’élançant hors du fort, parvinrent jusqu’au champ de bataille, ramassèrent les quatre mousquets des soldats et la demi-pique du brigadier ; et, convaincus que les fuyards ne s’arrêteraient qu’à la ville, reprirent le chemin du bastion, rapportant les trophées de leur victoire.

— Rechargez les armes, Grimaud, dit Athos, et nous, messieurs, reprenons notre déjeuner et continuons notre conversation. Où en étions-nous ?

— Je me le rappelle, dit d’Artagnan ; tu disais qu’après avoir demandé ma tête au cardinal, milady avait quitté les côtes de France. Et où va-t-elle ? ajouta d’Artagnan, qui se préoccupait fort de l’itinéraire que devait suivre milady.

— Elle va en Angleterre, répondit Athos.

— Et dans quel but ?

— Dans le but d’assassiner ou de faire assassiner Buckingham.

D’Artagnan poussa une exclamation de surprise et d’indignation.

— Mais c’est infâme ! s’écria-t-il.

— Oh ! quant à cela, dit Athos, je vous prie de croire que je m’en inquiète fort peu. Maintenant que vous avez fini, Grimaud, continua Athos, prenez la demi-pique de notre brigadier, attachez-y une serviette et plantez-la au haut de notre bastion, afin que ces rebelles de Rochelois voient qu’ils ont affaire à de braves et loyaux soldats du roi.

Grimaud obéit sans répondre. Un instant après le drapeau blanc flottait au-dessus de la tête des quatre amis ; un tonnerre d’applaudissements salua son apparition ; la moitié du camp était aux barrières.

— Comment ! reprit d’Artagnan, tu t’inquiètes fort peu qu’elle tue ou qu’elle fasse tuer Buckingham ? Mais le duc est notre ami.

— Le duc est Anglais, le duc combat contre nous ; qu’elle fasse du duc ce qu’elle voudra, je m’en soucie comme d’une bouteille vide.

Et Athos envoya à quinze pas de lui une bouteille qu’il tenait, et dont il venait de transvaser jusqu’à la dernière goutte dans son verre.

— Un instant, dit d’Artagnan, je n’abandonne pas Buckingham ainsi ; il nous avait donné de fort beaux chevaux.

— Et surtout de fort belles selles, ajouta Porthos, qui, à ce moment même, portait à son manteau le galon de la sienne.

— Puis, observa Aramis, Dieu veut la conversion et non la mort du pécheur.

— Amen, dit Athos, et nous reviendrons là-dessus plus tard, si tel est votre plaisir ; mais ce qui, pour le moment, me préoccupait le plus, et je suis sûr que tu me comprendras, d’Artagnan, c’était de reprendre à cette femme une espèce de blanc-seing qu’elle avait extorqué au cardinal, et à l’aide duquel elle devait impunément se débarrasser de toi et peut-être de nous.

— Mais c’est donc un démon que cette créature ? dit Porthos en tendant son assiette à Aramis, qui découpait une volaille.

— Et ce blanc-seing, dit d’Artagnan, ce blanc-seing est-il resté entre ses mains ?

— Non, il est passé dans les miennes ; je ne dirai pas que ce fut sans peine, par exemple, car je mentirais.

— Mon cher Athos, dit d’Artagnan, je ne compte plus les fois que je vous dois la vie.

— Alors c’était donc pour venir près d’elle que vous nous avez quittés ? demanda Aramis.

— Justement. Et tu as cette lettre du cardinal ? dit d’Artagnan.

— La voici, dit Athos.

Et il tira le précieux papier de la poche de sa casaque.

D’Artagnan le déplia d’une main dont il n’essayait pas même de dissimuler le tremblement et lut :

« C’est par mon ordre et pour le bien de l’État que le porteur du présent a fait ce qu’il a fait.

« 5 décembre 1627

« Richelieu »

— En effet, dit Aramis, c’est une absolution dans toutes les règles.

— Il faut déchirer ce papier, s’écria d’Artagnan, qui semblait lire sa sentence de mort.

— Bien au contraire, dit Athos, il faut le conserver précieusement, et je ne donnerais pas ce papier quand on le couvrirait de pièces d’or.

— Et que va-t-elle faire maintenant ? demanda le jeune homme.

— Mais, dit négligemment Athos, elle va probablement écrire au cardinal qu’un damné mousquetaire, nommé Athos, lui a arraché son sauf-conduit ; elle lui donnera dans la même lettre le conseil de se débarrasser, en même temps que de lui, de ses deux amis, Porthos et Aramis ; le cardinal se rappellera que ce sont les mêmes hommes qu’il rencontre toujours sur son chemin ; alors, un beau matin il fera arrêter d’Artagnan, et, pour qu’il ne s’ennuie pas tout seul, il nous enverra lui tenir compagnie à la Bastille.

— Ah çà ! mais, dit Porthos, il me semble que vous faites là de tristes plaisanteries, mon cher.

— Je ne plaisante pas, répondit Athos.

— Sais-tu, dit Porthos, que tordre le cou à cette damnée milady serait un péché moins grand que de le tordre à ces pauvres diables de huguenots, qui n’ont jamais commis d’autres crimes que de chanter en français des psaumes que nous chantons en latin ?

— Qu’en dit l’abbé ? demanda tranquillement Athos.

— Je dis que je suis de l’avis de Porthos, répondit Aramis.

— Et moi donc ! fit d’Artagnan.

— Heureusement qu’elle est loin, observa Porthos ; car j’avoue qu’elle me gênerait fort ici.

— Elle me gêne en Angleterre aussi bien qu’en France, dit Athos.

— Elle me gêne partout, continua d’Artagnan.

— Mais puisque vous la teniez, dit Porthos, que ne l’avez-vous noyée, étranglée, pendue ? Il n’y a que les morts qui ne reviennent pas.

— Vous croyez cela, Porthos ? répondit le mousquetaire avec un sombre sourire que d’Artagnan comprit seul.

— J’ai une idée, dit d’Artagnan.

— Voyons ? dirent les mousquetaires.

— Aux armes ! cria Grimaud.

Les jeunes gens se levèrent vivement et coururent aux fusils.

Cette fois, une petite troupe s’avançait composée de vingt ou vingt-cinq hommes ; mais ce n’étaient plus des travailleurs, c’étaient des soldats de la garnison.

— Si nous retournions au camp ? dit Porthos, il me semble que la partie n’est pas égale.

— Impossible pour trois raisons, répondit Athos : la première, c’est que nous n’avons pas fini de déjeuner ; la seconde, c’est que nous avons encore des choses d’importance à dire ; la troisième, c’est qu’il s’en manque encore de dix minutes que l’heure ne soit écoulée.

— Voyons, dit Aramis, il faut cependant arrêter un plan de bataille.

— Il est bien simple, répondit Athos : aussitôt que l’ennemi est à portée de mousquet, nous faisons feu ; s’il continue d’avancer, nous faisons feu encore, nous faisons feu tant que nous avons des fusils chargés ; si ce qui reste de la troupe veut encore monter à l’assaut, nous laissons les assiégeants descendre jusque dans le fossé, et alors nous leur poussons sur la tête ce pan de mur qui ne tient plus que par un miracle d’équilibre.

— Bravo ! s’écria Porthos ; décidément, Athos, tu étais né pour être général, et le cardinal, qui se croit un grand homme de guerre, est bien peu de chose auprès de toi.

— Messieurs, dit Athos, pas de double emploi, je vous prie ; visez bien chacun votre homme.

— Je tiens le mien, dit d’Artagnan.

— Et moi le mien dit Porthos.

— Et moi idem, dit Aramis.

— Alors, feu ! dit Athos.

Les quatre coups de fusil ne firent qu’une détonation, et quatre hommes tombèrent.

Aussitôt le tambour battit, et la petite troupe s’avança au pas de charge.

Alors les coups de fusil se succédèrent sans régularité, mais toujours envoyés avec la même justesse. Cependant, comme s’ils eussent connu la faiblesse numérique des amis, les Rochelois continuaient d’avancer au pas de course.

Sur trois autres coups de fusil, deux hommes tombèrent ; mais cependant la marche de ceux qui restaient debout ne se ralentissait pas.

Arrivés au bas du bastion, les ennemis étaient encore douze ou quinze ; une dernière décharge les accueillit, mais ne les arrêta point : ils sautèrent dans le fossé et s’apprêtèrent à escalader la brèche.

— Allons, mes amis, dit Athos, finissons-en d’un coup : à la muraille ! à la muraille !

Et les quatre amis, secondés par Grimaud, se mirent à pousser avec le canon de leurs fusils un énorme pan de mur, qui s’inclina comme si le vent le poussait, et, se détachant de sa base, tomba avec un bruit horrible dans le fossé : puis on entendit un grand cri, un nuage de poussière monta vers le ciel, et tout fut dit.

— Les aurions-nous écrasés depuis le premier jusqu’au dernier ? demanda Athos.

— Ma foi, cela m’en a l’air, dit d’Artagnan.

— Non, dit Porthos, en voilà deux ou trois qui se sauvent tout éclopés.

En effet, trois ou quatre de ces malheureux, couverts de boue et de sang, fuyaient dans le chemin creux et regagnaient la ville : c’était tout ce qui restait de la petite troupe.

Athos regarda à sa montre.

— Messieurs, dit-il, il y a une heure que nous sommes ici, et maintenant le pari est gagné, mais il faut être beaux joueurs : d’ailleurs d’Artagnan ne nous a pas dit son idée.

Et le mousquetaire, avec son sang-froid habituel, alla s’asseoir devant les restes du déjeuner.

— Mon idée ? dit d’Artagnan.

— Oui, vous disiez que vous aviez une idée, répliqua Athos.

— Ah ! j’y suis, reprit d’Artagnan : je passe en Angleterre une seconde fois, je vais trouver M. de Buckingham et je l’avertis du complot tramé contre sa vie.

— Vous ne ferez pas cela, d’Artagnan, dit froidement Athos.

— Et pourquoi cela ? ne l’ai-je pas fait déjà ?

— Oui, mais à cette époque nous n’étions pas en guerre ; à cette époque, M. de Buckingham était un allié et non un ennemi : ce que vous voulez faire serait taxé de trahison.

D’Artagnan comprit la force de ce raisonnement et se tut.

— Mais, dit Porthos, il me semble que j’ai une idée à mon tour.

— Silence pour l’idée de M. Porthos ! dit Aramis.

— Je demande un congé à M. de Tréville, sous un prétexte quelconque que vous trouverez : je ne suis pas fort sur les prétextes, moi. Milady ne me connaît pas, je m’approche d’elle sans qu’elle me redoute, et lorsque je trouve ma belle, je l’étrangle.

— Eh bien, dit Athos, je ne suis pas très éloigné d’adopter l’idée de Porthos.

— Fi donc ! dit Aramis, tuer une femme ! Non, tenez, moi, j’ai la véritable idée.

— Voyons votre idée, Aramis ! demanda Athos, qui avait beaucoup de déférence pour le jeune mousquetaire.

— Il faut prévenir la reine.

— Ah ! ma foi, oui, s’écrièrent ensemble Porthos et d’Artagnan ; je crois que nous touchons au moyen.

— Prévenir la reine ! dit Athos, et comment cela ? Avons-nous des relations à la cour ? Pouvons-nous envoyer quelqu’un à Paris sans qu’on le sache au camp ? D’ici à Paris il y a cent quarante lieues ; notre lettre ne sera pas à Angers que nous serons au cachot, nous.

— Quant à ce qui est de faire remettre sûrement une lettre à Sa Majesté, proposa Aramis en rougissant, moi, je m’en charge ; je connais à Tours une personne adroite…

Aramis s’arrêta en voyant sourire Athos.

— Eh bien, vous n’adoptez pas ce moyen, Athos ? dit d’Artagnan.

— Je ne le repousse pas tout à fait, dit Athos, mais je voulais seulement faire observer à Aramis qu’il ne peut quitter le camp ; que tout autre qu’un de nous n’est pas sûr ; que, deux heures après que le messager sera parti, tous les capucins, tous les alguazils, tous les bonnets noirs du cardinal sauront votre lettre par cœur, et qu’on arrêtera vous et votre adroite personne.

— Sans compter, objecta Porthos, que la reine sauvera M. de Buckingham, mais ne nous sauvera pas du tout, nous autres.

— Messieurs, dit d’Artagnan, ce qu’objecte Porthos est plein de sens.

— Ah ! ah ! que se passe-t-il donc dans la ville ? dit Athos.

— On bat la générale.

Les quatre amis écoutèrent, et le bruit du tambour parvint effectivement jusqu’à eux.

— Vous allez voir qu’ils vont nous envoyer un régiment tout entier, dit Athos.

— Vous ne comptez pas tenir contre un régiment tout entier ? dit Porthos.

— Pourquoi pas ? dit le mousquetaire, je me sens en train ; et je tiendrais devant une armée, si nous avions seulement eu la précaution de prendre une douzaine de bouteilles en plus.

— Sur ma parole, le tambour se rapproche, dit d’Artagnan.

— Laissez-le se rapprocher, dit Athos ; il y a pour un quart d’heure de chemin d’ici à la ville, et par conséquent de la ville ici. C’est plus de temps qu’il ne nous en faut pour arrêter notre plan ; si nous nous en allons d’ici, nous ne retrouverons jamais un endroit aussi convenable. Et tenez, justement, messieurs, voilà la vraie idée qui me vient.

— Dites alors.

— Permettez que je donne à Grimaud quelques ordres indispensables.

Athos fit signe à son valet d’approcher.

— Grimaud, dit Athos, en montrant les morts qui gisaient dans le bastion, vous allez prendre ces messieurs, vous allez les dresser contre la muraille vous leur mettrez leur chapeau sur la tête et leur fusil à la main.

— Ô grand homme ! s’écria d’Artagnan, je te comprends.

— Vous comprenez ? dit Porthos.

— Et toi, comprends-tu, Grimaud ? demanda Aramis.

Grimaud fit signe que oui.

— C’est tout ce qu’il faut, dit Athos, revenons à mon idée.

— Je voudrais pourtant bien comprendre, observa Porthos.

— C’est inutile.

— Oui, oui, l’idée d’Athos, dirent en même temps d’Artagnan et Aramis.

— Cette milady, cette femme, cette créature, ce démon, a un beau-frère, à ce que vous m’avez dit, je crois, d’Artagnan.

— Oui, je le connais beaucoup même, et je crois aussi qu’il n’a pas une grande sympathie pour sa belle-sœur.

— Il n’y a pas de mal à cela, répondit Athos, et il la détesterait que cela n’en vaudrait que mieux.

— En ce cas nous sommes servis à souhait.

— Cependant, dit Porthos, je voudrais bien comprendre ce que fait Grimaud.

— Silence, Porthos ! dit Aramis.

— Comment se nomme ce beau-frère ?

— Lord de Winter.

— Où est-il maintenant ?

— Il est retourné à Londres au premier bruit de guerre.

— Eh bien, voilà justement l’homme qu’il nous faut, dit Athos, c’est celui qu’il nous convient de prévenir ; nous lui ferons savoir que sa belle-sœur est sur le point d’assassiner quelqu’un, et nous le prierons de ne pas la perdre de vue. Il y a bien à Londres, je l’espère, quelque établissement dans le genre des Madelonnettes ou des Filles repenties ; il y fait mettre sa belle-sœur, et nous sommes tranquilles.

— Oui, dit d’Artagnan, jusqu’à ce qu’elle en sorte.

— Ah ! ma foi, reprit Athos, vous en demandez trop, d’Artagnan, je vous ai donné tout ce que j’avais et je vous préviens que c’est le fond de mon sac.

— Moi, je trouve que c’est ce qu’il y a de mieux, dit Aramis ; nous prévenons à la fois la reine et lord de Winter.

— Oui, mais par qui ferons-nous porter la lettre à Tours et la lettre à Londres ?

— Je réponds de Bazin, dit Aramis.

— Et moi de Planchet, continua d’Artagnan.

— En effet, dit Porthos, si nous ne pouvons nous absenter du camp, nos laquais peuvent le quitter.

— Sans doute, dit Aramis, et dès aujourd’hui nous écrivons les lettres, nous leur donnons de l’argent, et ils partent.

— Nous leur donnons de l’argent ? reprit Athos, vous en avez donc, de l’argent ?

Les quatre amis se regardèrent, et un nuage passa sur les fronts qui s’étaient un instant éclaircis.

— Alerte ! cria d’Artagnan, je vois des points noirs et des points rouges qui s’agitent là-bas ; que disiez-vous donc d’un régiment, Athos ? c’est une véritable armée.

— Ma foi, oui, dit Athos, les voilà. Voyez-vous les sournois qui venaient sans tambours ni trompettes. Ah ! ah ! tu as fini, Grimaud ?

Grimaud fit signe que oui, et montra une douzaine de morts qu’il avait placés dans les attitudes les plus pittoresques : les uns au port d’armes, les autres ayant l’air de mettre en joue, les autres l’épée à la main.

— Bravo ! reprit Athos, voilà qui fait honneur à ton imagination.

— C’est égal, dit Porthos, je voudrais cependant bien comprendre.

— Décampons d’abord, interrompit d’Artagnan, tu comprendras après.

— Un instant, messieurs, un instant ! donnons le temps à Grimaud de desservir.

— Ah ! dit Aramis, voici les points noirs et les points rouges qui grandissent fort visiblement et je suis de l’avis de d’Artagnan ; je crois que nous n’avons pas de temps à perdre pour regagner notre camp.

— Ma foi, dit Athos, je n’ai plus rien contre la retraite : nous avions parié pour une heure, nous sommes restés une heure et demie ; il n’y a rien à dire ; partons, messieurs, partons.

Grimaud avait déjà pris les devants avec le panier et la desserte.

Les quatre amis sortirent derrière lui et firent une dizaine de pas.

— Eh ! s’écria Athos, que diable faisons-nous, messieurs ?

— Avez-vous oublié quelque chose ? demanda Aramis.

— Et le drapeau, morbleu ! Il ne faut pas laisser un drapeau aux mains de l’ennemi, même quand ce drapeau ne serait qu’une serviette.

Et Athos s’élança dans le bastion, monta sur la plate-forme, et enleva le drapeau ; seulement comme les Rochelois étaient arrivés à portée de mousquet, ils firent un feu terrible sur cet homme, qui, comme par plaisir, allait s’exposer aux coups.

Mais on eût dit qu’Athos avait un charme attaché à sa personne, les balles passèrent en sifflant tout autour de lui, pas une ne le toucha.

Athos agita son étendard en tournant le dos aux gens de la ville et en saluant ceux du camp. Des deux côtés de grands cris retentirent, d’un côté des cris de colère, de l’autre des cris d’enthousiasme.

Une seconde décharge suivit la première, et trois balles, en la trouant, firent réellement de la serviette un drapeau. On entendit les clameurs de tout le camp qui criait :

— Descendez, descendez !

Athos descendit ; ses camarades, qui l’attendaient avec anxiété, le virent paraître avec joie.

— Allons, Athos, allons, dit d’Artagnan, allongeons, allongeons ; maintenant que nous avons tout trouvé, excepté l’argent, il serait stupide d’être tués.

Mais Athos continua de marcher majestueusement, quelque observation que pussent lui faire ses compagnons, qui, voyant toute observation inutile, réglèrent leur pas sur le sien.

Grimaud et son panier avaient pris les devants et se trouvaient tous deux hors d’atteinte.

Au bout d’un instant on entendit le bruit d’une fusillade enragée.

— Qu’est-ce que cela ? demanda Porthos, et sur quoi tirent-ils ? je n’entends pas siffler les balles et je ne vois personne.

— Ils tirent sur nos morts, répondit Athos.

— Mais nos morts ne répondront pas.

— Justement ; alors ils croiront à une embuscade, ils délibéreront ; ils enverront un parlementaire, et quand ils s’apercevront de la plaisanterie, nous serons hors de la portée des balles. Voilà pourquoi il est inutile de gagner une pleurésie en nous pressant.

— Oh ! je comprends, s’écria Porthos émerveillé.

— C’est bien heureux ! dit Athos en haussant les épaules.

De leur côté, les Français, en voyant revenir les quatre amis au pas, poussaient des cris d’enthousiasme.

Enfin une nouvelle mousquetade se fit entendre, et cette fois les balles vinrent s’aplatir sur les cailloux autour des quatre amis et siffler lugubrement à leurs oreilles. Les Rochelois venaient enfin de s’emparer du bastion.

— Voici des gens bien maladroits, dit Athos ; combien en avons-nous tué ? douze ?

— Ou quinze.

— Combien en avons-nous écrasé ?

— Huit ou dix.

— Et en échange de tout cela pas une égratignure ? Ah ! si fait ! Qu’avez-vous donc là à la main, d’Artagnan ? du sang, ce me semble ?

— Ce n’est rien, dit d’Artagnan.

— Une balle perdue ?

— Pas même.

— Qu’est-ce donc alors ?

Nous l’avons dit, Athos aimait d’Artagnan comme son enfant, et ce caractère sombre et inflexible avait parfois pour le jeune homme des sollicitudes de père.

— Une écorchure, reprit d’Artagnan ; mes doigts ont été pris entre deux pierres, celle du mur et celle de ma bague ; alors la peau s’est ouverte.

— Voilà ce que c’est que d’avoir des diamants, mon maître, fit dédaigneusement Athos.

— Ah çà ! mais, s’écria Porthos, il y a un diamant en effet, et pourquoi diable alors, puisqu’il y a un diamant, nous plaignons-nous de ne pas avoir d’argent ?

— Tiens, au fait ! dit Aramis.

— À la bonne heure, Porthos ; cette fois-ci voilà une idée.

— Sans doute, dit Porthos, en se rengorgeant sur le compliment d’Athos, puisqu’il y a un diamant, vendons-le.

— Mais, dit d’Artagnan, c’est le diamant de la reine.

— Raison de plus, reprit Athos, la reine sauvant M. de Buckingham son amant, rien de plus juste ; la reine nous sauvant, nous ses amis, rien de plus moral : vendons le diamant. Qu’en pense monsieur l’abbé ? Je ne demande pas l’avis de Porthos, il est donné.

— Mais je pense, dit Aramis en rougissant, que sa bague ne venant pas d’une maîtresse, et par conséquent n’étant pas un gage d’amour, d’Artagnan peut la vendre.

— Mon cher, vous parlez comme la théologie en personne. Ainsi votre avis est… ?

— De vendre le diamant, répondit Aramis.

— Eh bien, dit gaiement d’Artagnan, vendons le diamant et n’en parlons plus.

La fusillade continuait, mais les amis étaient hors de portée, et les Rochelois ne tiraient plus que pour l’acquit de leur conscience.

— Ma foi, dit Athos, il était temps que cette idée vînt à Porthos ; nous voici au camp. Ainsi, messieurs, pas un mot de plus sur cette affaire. On nous observe, on vient à notre rencontre, nous allons être portés en triomphe.

En effet, comme nous l’avons dit, tout le camp était en émoi ; plus de deux mille personnes avaient assisté, comme à un spectacle, à l’heureuse forfanterie des quatre amis, forfanterie dont on était bien loin de soupçonner le véritable motif. On n’entendait que le cri de : Vivent les gardes ! Vivent les mousquetaires ! M. de Busigny était venu le premier serrer la main à Athos et reconnaître que le pari était perdu. Le dragon et le Suisse l’avaient suivi, tous les camarades avaient suivi le dragon et le Suisse. C’étaient des félicitations, des poignées de main, des embrassades à n’en plus finir, des rires inextinguibles à l’endroit des Rochelois ; enfin, un tumulte si grand, que M. Le cardinal crut qu’il y avait émeute et envoya La Houdinière, son capitaine des gardes, s’informer de ce qui se passait.

La chose fut racontée au messager avec toute l’efflorescence de l’enthousiasme.

— Eh bien ? demanda le cardinal en voyant La Houdinière.

— Eh bien, monseigneur, dit celui-ci, ce sont trois mousquetaires et un garde qui ont fait le pari avec M. de Busigny d’aller déjeuner au bastion Saint-Gervais, et qui, tout en déjeunant, ont tenu là deux heures contre l’ennemi, et ont tué je ne sais combien de Rochelois.

— Vous êtes-vous informé du nom de ces trois mousquetaires ?

— Oui, monseigneur.

— Comment les appelle-t-on ?

— Ce sont MM. Athos, Porthos et Aramis.

— Toujours mes trois braves ! murmura le cardinal. Et le garde ?

— M. d’Artagnan.

— Toujours mon jeune drôle ! Décidément il faut que ces quatre hommes soient à moi.

Le soir même, le cardinal parla à M. de Tréville de l’exploit du matin, qui faisait la conversation de tout le camp. M. de Tréville, qui tenait le récit de l’aventure de la bouche même de ceux qui en étaient les héros, la raconta dans tous ses détails à Son Éminence, sans oublier l’épisode de la serviette.

— C’est bien, monsieur de Tréville, dit le cardinal, faites-moi tenir cette serviette, je vous prie. J’y ferai broder trois fleurs de lys d’or, et je la donnerai pour guidon à votre compagnie.

— Monseigneur, dit M. de Tréville, il y aura injustice pour les gardes : M. d’Artagnan n’est pas à moi, mais à M. des Essarts.

— Eh bien, prenez-le, dit le cardinal ; il n’est pas juste que, puisque ces quatre braves militaires s’aiment tant, ils ne servent pas dans la même compagnie.

Le même soir, M. de Tréville annonça cette bonne nouvelle aux trois mousquetaires et à d’Artagnan, en les invitant tous les quatre à déjeuner le lendemain.

D’Artagnan ne se possédait pas de joie. On le sait, le rêve de toute sa vie avait été d’être mousquetaire.

Les trois amis étaient fort joyeux.

— Ma foi ! dit d’Artagnan à Athos, tu as eu une triomphante idée, et, comme tu l’as dit, nous y avons acquis de la gloire, et nous avons pu lier une conversation de la plus haute importance.

— Que nous pourrons reprendre maintenant, sans que personne nous soupçonne ; car, avec l’aide de Dieu, nous allons passer désormais pour des cardinalistes.

Le même soir, d’Artagnan alla présenter ses hommages à M. des Essarts, et lui faire part de l’avancement qu’il avait obtenu.

M. des Essarts, qui aimait beaucoup d’Artagnan, lui fit alors ses offres de service : ce changement de corps amenant des dépenses d’équipement.

D’Artagnan refusa ; mais, trouvant l’occasion bonne, il le pria de faire estimer le diamant qu’il lui remit, et dont il désirait faire de l’argent.

Le lendemain à huit heures du matin, le valet de M. des Essarts entra chez d’Artagnan, et lui remit un sac d’or contenant sept mille livres.

C’était le prix du diamant de la reine.

AFFAIRE DE FAMILLE

Athos avait trouvé le mot : affaire de famille. Une affaire de famille n’était point soumise à l’investigation du cardinal ; une affaire de famille ne regardait personne ; on pouvait s’occuper devant tout le monde d’une affaire de famille.

Ainsi, Athos avait trouvé le mot : affaire de famille.

Aramis avait trouvé l’idée : les laquais.

Porthos avait trouvé le moyen : le diamant.

D’Artagnan seul n’avait rien trouvé, lui ordinairement le plus inventif des quatre ; mais il faut dire aussi que le nom seul de milady le paralysait.

Ah ! si, nous nous trompons : il avait trouvé un acheteur pour le diamant.

Le déjeuner chez M. de Tréville fut d’une gaieté charmante. D’Artagnan avait déjà son uniforme ; comme il était à peu près de la même taille qu’Aramis, et qu’Aramis, largement payé, comme on se le rappelle, par le libraire qui lui avait acheté son poëme, avait fait tout en double, il avait cédé à son ami un équipement complet.

D’Artagnan eût été au comble de ses vœux, s’il n’eût point vu pointer milady, comme un nuage sombre à l’horizon.

Après déjeuner, on convint qu’on se réunirait le soir au logis d’Athos, et que là on terminerait l’affaire.

D’Artagnan passa la journée à montrer son habit de mousquetaire dans toutes les rues du camp.

Le soir, à l’heure dite, les quatre amis se réunirent : il ne restait plus que trois choses à décider :

Ce qu’on écrirait au frère de milady ;

Ce qu’on écrirait à la personne adroite de Tours ;

Et quels seraient les laquais qui porteraient les lettres.

Chacun offrait le sien : Athos parlait de la discrétion de Grimaud, qui ne parlait que lorsque son maître lui décousait la bouche ; Porthos vantait la force de Mousqueton, qui était de taille à rosser quatre hommes de complexion ordinaire ; Aramis, confiant dans l’adresse de Bazin, faisait un éloge pompeux de son candidat ; enfin, d’Artagnan avait foi entière dans la bravoure de Planchet, et rappelait de quelle façon il s’était conduit dans l’affaire épineuse de Boulogne.

Ces quatre vertus disputèrent longtemps le prix, et donnèrent lieu à de magnifiques discours, que nous ne rapporterons pas ici, de peur qu’ils ne fassent longueur.

— Malheureusement, dit Athos, il faudrait que celui qu’on enverra possédât en lui seul les quatre qualités réunies.

— Mais où rencontrer un pareil laquais ?

— Introuvable ! dit Athos ; je le sais bien : prenez donc Grimaud.

— Prenez Mousqueton.

— Prenez Bazin.

— Prenez Planchet ; Planchet est brave et adroit : c’est déjà deux qualités sur quatre.

— Messieurs, dit Aramis, le principal n’est pas de savoir lequel de nos quatre laquais est le plus discret, le plus fort, le plus adroit ou le plus brave ; le principal est de savoir lequel aime le plus l’argent.

— Ce que dit Aramis est plein de sens, reprit Athos ; il faut spéculer sur les défauts des gens et non sur leurs vertus : monsieur l’abbé, vous êtes un grand moraliste !

— Sans doute, répliqua Aramis ; car non seulement nous avons besoin d’être bien servis pour réussir, mais encore pour ne pas échouer ; car, en cas d’échec, il y va de la tête, non pas pour les laquais…

— Plus bas, Aramis ! dit Athos.

— C’est juste : non pas pour les laquais, reprit Aramis, mais pour le maître, et même pour les maîtres ! Nos valets nous sont-ils assez dévoués pour risquer leur vie pour nous ? Non.

— Ma foi, dit d’Artagnan, je répondrais presque de Planchet, moi.

— Eh bien, mon cher ami, ajoutez à son dévouement naturel une bonne somme qui lui donne quelque aisance, et alors, au lieu d’en répondre une fois, répondez-en deux.

— Eh ! bon Dieu ! vous serez trompés tout de même, dit Athos, qui était optimiste quand il s’agissait des choses, et pessimiste quand il s’agissait des hommes. Ils promettront tout pour avoir de l’argent, et en chemin la peur les empêchera d’agir. Une fois pris, on les serrera ; serrés, ils avoueront. Que diable ! nous ne sommes pas des enfants ! Pour aller en Angleterre (Athos baissa la voix), il faut traverser toute la France, semée d’espions et de créatures du cardinal ; il faut une passe pour s’embarquer ; il faut savoir l’anglais pour demander son chemin à Londres. Tenez, je vois la chose bien difficile.

— Mais point du tout, dit d’Artagnan, qui tenait fort à ce que la chose s’accomplît ; je la vois facile, au contraire, moi. Il va sans dire, parbleu ! que si l’on écrit à Lord de Winter des choses par-dessus les maisons, des horreurs du cardinal…

— Plus bas ! dit Athos.

— Des intrigues et des secrets État, continua d’Artagnan en se conformant à la recommandation, il va sans dire que nous serons tous roués vifs ; mais, pour Dieu, n’oubliez pas, comme vous l’avez dit vous-même, Athos, que nous lui écrivons pour affaire de famille ; que nous lui écrivons à cette seule fin qu’il mette milady, dès son arrivée à Londres, hors d’état de nous nuire. Je lui écrirai donc une lettre à peu près en ces termes :

— Voyons, dit Aramis, en prenant par avance un visage de critique.

— « Monsieur et cher ami… »

— Ah ! oui ; cher ami, à un Anglais, interrompit Athos ; bien commencé ! bravo, d’Artagnan ! Rien qu’avec ce mot-là vous serez écartelé, au lieu d’être roué vif.

— Eh bien, soit ; je dirai donc, monsieur, tout court.

— Vous pouvez même dire, milord, reprit Athos, qui tenait fort aux convenances.

— « Milord, vous souvient-il du petit enclos aux chèvres du Luxembourg ? »

— Bon ! le Luxembourg à présent ! On croira que c’est une allusion à la reine mère ! Voilà qui est ingénieux, dit Athos.

— Eh bien ! nous mettrons tout simplement : « Milord, vous souvient-il de certain petit enclos où l’on vous sauva la vie ? »

— Mon cher d’Artagnan, dit Athos, vous ne serez jamais qu’un fort mauvais rédacteur : « Où l’on vous sauva la vie ! » Fi donc ! ce n’est pas digne. On ne rappelle pas ces services-là à un galant homme. Bienfait reproché, offense faite.

— Ah ! mon cher, dit d’Artagnan, vous êtes insupportable, et s’il faut écrire sous votre censure, ma foi, j’y renonce.

— Et vous faites bien. Maniez le mousquet et l’épée, mon cher, vous vous tirez galamment des deux exercices ; mais passez la plume à M. l’abbé, cela le regarde.

— Ah ! oui, au fait, dit Porthos, passez la plume à Aramis, qui écrit des thèses en latin, lui.

— Eh bien ! soit, dit d’Artagnan, rédigez-nous cette note, Aramis ; mais, de par notre Saint-Père le pape ! tenez-vous serré, car je vous épluche à mon tour, je vous en préviens.

— Je ne demande pas mieux, dit Aramis avec cette naïve confiance que tout poète a en lui-même ; mais qu’on me mette au courant : j’ai bien ouï dire, de-ci de-là, que cette belle-sœur était une coquine, j’en ai même acquis la preuve en écoutant sa conversation avec le cardinal.

— Plus bas donc, sacrebleu ! dit Athos.

— Mais, continua Aramis, le détail m’échappe.

— Et à moi aussi, dit Porthos.

D’Artagnan et Athos se regardèrent quelque temps en silence. Enfin Athos, après s’être recueilli, et en devenant plus pâle encore qu’il n’était de coutume, fit un signe d’adhésion, d’Artagnan comprit qu’il pouvait parler.

— Eh bien, voici ce qu’il y a à dire, reprit d’Artagnan : milord, votre belle-sœur est une scélérate, qui a voulu vous faire tuer pour hériter de vous. Mais elle ne pouvait épouser votre frère, étant déjà mariée en France, et ayant été…

D’Artagnan s’arrêta comme s’il cherchait le mot, en regardant Athos.

— Chassée par son mari, dit Athos.

— Parce qu’elle avait été marquée, continua d’Artagnan.

— Bah ! s’écria Porthos, impossible ! elle a voulu faire tuer son beau-frère ?

— Oui.

— Elle était mariée ? demanda Aramis.

— Oui.

— Et son mari s’est aperçu qu’elle avait une fleur de lys sur l’épaule ? s’écria Porthos.

— Oui.

Ces trois oui avaient été dits par Athos, chacun avec une intonation plus sombre.

— Et qui l’a vue, cette fleur de lys ? demanda Aramis.

— D’Artagnan et moi, ou plutôt, pour observer l’ordre chronologique, moi et d’Artagnan, répondit Athos.

— Et le mari de cette affreuse créature vit encore ? dit Aramis.

— Il vit encore.

— Vous en êtes sûr ?

— J’en suis sûr.

Il y eut un instant de froid silence, pendant lequel chacun se sentit impressionné selon sa nature.

— Cette fois, reprit Athos, interrompant le premier le silence, d’Artagnan nous a donné un excellent programme, et c’est cela qu’il faut écrire d’abord.

— Diable ! vous avez raison, Athos, reprit Aramis, et la rédaction est épineuse. M. le chancelier lui-même serait embarrassé pour rédiger une épître de cette force, et cependant M. le chancelier rédige très agréablement un procès-verbal. N’importe ! taisez-vous, j’écris.

Aramis en effet prit la plume, réfléchit quelques instants, se mit à écrire huit ou dix lignes d’une charmante petite écriture de femme, puis, d’une voix douce et lente, comme si chaque mot eût été scrupuleusement pesé, il lut ce qui suit :

« Milord,

« La personne qui vous écrit ces quelques lignes a eu l’honneur de croiser l’épée avec vous dans un petit enclos de la rue d’Enfer. Comme vous avez bien voulu, depuis, vous dire plusieurs fois l’ami de cette personne, elle vous doit de reconnaître cette amitié par un bon avis. Deux fois vous avez failli être victime d’une proche parente que vous croyez votre héritière, parce que vous ignorez qu’avant de contracter mariage en Angleterre, elle était déjà mariée en France. Mais, la troisième fois, qui est celle-ci, vous pouvez y succomber. Votre parente est partie de La Rochelle pour l’Angleterre pendant la nuit. Surveillez son arrivée car elle a de grands et terribles projets. Si vous tenez absolument à savoir ce dont elle est capable, lisez son passé sur son épaule gauche.

— Eh bien ! voilà qui est à merveille, dit Athos, et vous avez une plume de secrétaire d’État, mon cher Aramis. Lord de Winter fera bonne garde maintenant, si toutefois l’avis lui arrive ; et tombât-il aux mains de Son Éminence elle-même, nous ne saurions être compromis. Mais comme le valet qui partira pourrait nous faire accroire qu’il a été à Londres et s’arrêter à Châtelleraut, ne lui donnons avec la lettre que la moitié de la somme en lui promettant l’autre moitié en échange de la réponse. Avez-vous le diamant ? continua Athos.

— J’ai mieux que cela, j’ai la somme.

Et d’Artagnan jeta le sac sur la table : au son de l’or, Aramis leva les yeux. Porthos tressaillit ; quant à Athos, il resta impassible.

— Combien dans ce petit sac ? dit-il.

— Sept mille livres en louis de douze francs.

— Sept mille livres ! s’écria Porthos, ce mauvais petit diamant valait sept mille livres ?

— Il paraît, dit Athos, puisque les voilà ; je ne présume pas que notre ami d’Artagnan y ait mis du sien.

— Mais, messieurs, dans tout cela, dit d’Artagnan, nous ne pensons pas à la reine. Soignons un peu la santé de son cher Buckingham. C’est le moins que nous lui devions.

— C’est juste, dit Athos, mais ceci regarde Aramis.

— Eh bien ! répondit celui-ci en rougissant, que faut-il que je fasse ?

— Mais, répliqua Athos, c’est tout simple : rédiger une seconde lettre pour cette adroite personne qui habite Tours.

Aramis reprit la plume, se mit à réfléchir de nouveau, et écrivit les lignes suivantes, qu’il soumit à l’instant même à l’approbation de ses amis :

« Ma chère cousine… »

— Ah ! dit Athos, cette personne adroite est votre parente !

— Cousine germaine, dit Aramis.

— Va donc pour cousine !

Aramis continua :

« Ma chère cousine, Son Éminence le cardinal, que Dieu conserve pour le bonheur de la France et la confusion des ennemis du royaume, est sur le point d’en finir avec les rebelles hérétiques de La Rochelle : il est probable que le secours de la flotte anglaise n’arrivera pas même en vue de la place ; j’oserai même dire que je suis certain que M. de Buckingham sera empêché de partir par quelque grand événement. Son Éminence est le plus illustre politique des temps passés, du temps présent et probablement des temps à venir. Il éteindrait le soleil si le soleil le gênait. Donnez ces heureuses nouvelles à votre sœur, ma chère cousine. J’ai rêvé que cet Anglais maudit était mort. Je ne puis me rappeler si c’était par le fer ou par le poison ; seulement ce dont je suis sûr, c’est que j’ai rêvé qu’il était mort, et, vous le savez, mes rêves ne me trompent jamais. Assurez-vous donc de me voir revenir bientôt.

— À merveille ! s’écria Athos, vous êtes le roi des poètes ; mon cher Aramis, vous parlez comme l’Apocalypse et vous êtes vrai comme l’Évangile. Il ne vous reste maintenant que l’adresse à mettre sur cette lettre.

— C’est bien facile, dit Aramis.

Il plia coquettement la lettre, la reprit et écrivit :

« À mademoiselle Marie Michon, lingère à Tours. »

Les trois amis se regardèrent en riant : ils étaient pris.

— Maintenant, dit Aramis, vous comprenez, messieurs, que Bazin seul peut porter cette lettre à Tours ; ma cousine ne connaît que Bazin et n’a confiance qu’en lui : tout autre ferait échouer l’affaire. D’ailleurs Bazin est ambitieux et savant ; Bazin a lu l’histoire, messieurs, il sait que Sixte Quint est devenu pape après avoir gardé les pourceaux ; eh bien, comme il compte se mettre d’église en même temps que moi, il ne désespère pas à son tour de devenir pape ou tout au moins cardinal : vous comprenez qu’un homme qui a de pareilles visées ne se laissera pas prendre, ou, s’il est pris, subira le martyre plutôt que de parler.

— Bien, bien, dit d’Artagnan, je vous passe de grand cœur Bazin ; mais passez-moi Planchet : milady l’a fait jeter à la porte, certain jour, avec force coups de bâton ; or Planchet a bonne mémoire, et, je vous en réponds, s’il peut supposer une vengeance possible, il se fera plutôt échiner que d’y renoncer. Si vos affaires de Tours sont vos affaires, Aramis, celles de Londres sont les miennes. Je prie donc qu’on choisisse Planchet, lequel d’ailleurs a déjà été à Londres avec moi et sait dire très correctement : London, sir, if you please et my master lord d’Artagnan ; avec cela soyez tranquilles, il fera son chemin en allant et en revenant.

— En ce cas, dit Athos, il faut que Planchet reçoive sept cents livres pour aller et sept cents livres pour revenir, et Bazin, trois cents livres pour aller et trois cents livres pour revenir ; cela réduira la somme à cinq mille livres ; nous prendrons mille livres chacun pour les employer comme bon nous semblera, et nous laisserons un fond de mille livres que gardera l’abbé pour les cas extraordinaires ou les besoins communs. Cela vous va-t-il ?

— Mon cher Athos, dit Aramis, vous parlez comme Nestor, qui était, comme chacun sait, le plus sage des Grecs.

— Eh bien, c’est dit, reprit Athos, Planchet et Bazin partiront ; à tout prendre, je ne suis pas fâché de conserver Grimaud : il est accoutumé à mes façons et j’y tiens ; la journée d’hier a déjà dû l’ébranler, ce voyage le perdrait.

On fit venir Planchet, et on lui donna des instructions ; il avait été prévenu déjà par d’Artagnan, qui, du premier coup, lui avait annoncé la gloire, ensuite l’argent, puis le danger.

— Je porterai la lettre dans le parement de mon habit, dit Planchet, et je l’avalerai si l’on me prend.

— Mais alors tu ne pourras pas faire la commission, dit d’Artagnan.

— Vous m’en donnerez ce soir une copie que je saurai par cœur demain.

D’Artagnan regarda ses amis comme pour leur dire :

— Eh bien, que vous avais-je promis ?

— Maintenant, continua-t-il en s’adressant à Planchet, tu as huit jours pour arriver près de lord de Winter, tu as huit autres jours pour revenir ici, en tout seize jours ; si le seizième jour de ton départ, à huit heures du soir, tu n’es pas arrivé, pas d’argent, fût-il huit heures cinq minutes.

— Alors, monsieur, dit Planchet, achetez-moi une montre.

— Prends celle-ci, dit Athos, en lui donnant la sienne avec une insouciante générosité, et sois brave garçon. Songe que, si tu parles, si tu bavardes, si tu flânes, tu fais couper le cou à ton maître, qui a si grande confiance dans ta fidélité qu’il nous a répondu de toi. Mais songe aussi que s’il arrive, par ta faute, malheur à d’Artagnan, je te retrouverai partout, et ce sera pour t’ouvrir le ventre.

— Oh ! monsieur ! dit Planchet, humilié du soupçon et surtout effrayé de l’air calme du mousquetaire.

— Et moi, dit Porthos en roulant ses gros yeux, songe que je t’écorche vif.

— Ah ! monsieur !

— Et moi, continua Aramis de sa voix douce et mélodieuse, songe que je te brûle à petit feu comme un sauvage.

— Ah ! monsieur !

Et Planchet se mit à pleurer ; nous n’oserions dire si ce fut de terreur, à cause des menaces qui lui étaient faites, ou d’attendrissement de voir quatre amis si étroitement unis.

D’Artagnan lui prit la main, et l’embrassa.

« Vois-tu, Planchet, lui dit-il, ces messieurs te disent tout cela par tendresse pour moi, mais au fond ils t’aiment.

— Ah ! monsieur ! dit Planchet, ou je réussirai, ou l’on me coupera en quatre ; me coupât-on en quatre, soyez convaincu qu’il n’y a pas un morceau qui parlera.

Il fut décidé que Planchet partirait le lendemain à huit heures du matin, afin, comme il l’avait dit, qu’il pût, pendant la nuit, apprendre la lettre par cœur. Il gagna juste douze heures à cet arrangement ; il devait être revenu le seizième jour, à huit heures du soir.

Le matin, au moment où il allait monter à cheval, d’Artagnan, qui se sentait au fond du cœur un faible pour le duc, prit Planchet à part.

— Écoute, lui dit-il, quand tu auras remis la lettre à Lord de Winter et qu’il l’aura lue, tu lui diras encore : « Veillez sur Sa Grâce lord Buckingham, car on veut l’assassiner. » Mais ceci, Planchet, vois-tu, c’est si grave et si important, que je n’ai pas même voulu avouer à mes amis que je te confierais ce secret, et que pour une commission de capitaine je ne voudrais pas te l’écrire.

— Soyez tranquille, monsieur, dit Planchet, vous verrez si l’on peut compter sur moi.

Et monté sur un excellent cheval, qu’il devait quitter à vingt lieues de là pour prendre la poste, Planchet partit au galop, le cœur un peu serré par la triple promesse que lui avaient faite les mousquetaires, mais du reste dans les meilleures dispositions du monde.

Bazin partit le lendemain matin pour Tours, et eut huit jours pour faire sa commission.

Les quatre amis, pendant toute la durée de ces deux absences, avaient, comme on le comprend bien, plus que jamais l’œil au guet, le nez au vent et l’oreille aux écoutes. Leurs journées se passaient à essayer de surprendre ce qu’on disait, à guetter les allures du cardinal et à flairer les courriers qui arrivaient. Plus d’une fois un tremblement insurmontable les prit, lorsqu’on les appela pour quelque service inattendu. Ils avaient d’ailleurs à se garder pour leur propre sûreté ; milady était un fantôme qui, lorsqu’il était apparu une fois aux gens, ne les laissait pas dormir tranquillement.

Le matin du huitième jour, Bazin, frais comme toujours et souriant selon son habitude, entra dans le cabaret de Parpaillot, comme les quatre amis étaient en train de déjeuner, en disant, selon la convention arrêtée :

— Monsieur Aramis, voici la réponse de votre cousine.

Les quatre amis échangèrent un coup d’œil joyeux : la moitié de la besogne était faite ; il est vrai que c’était la plus courte et la plus facile.

Aramis prit, en rougissant malgré lui, la lettre, qui était d’une écriture grossière et sans orthographe.

— Bon Dieu ! s’écria-t-il en riant, décidément j’en désespère ; jamais cette pauvre Michon n’écrira comme M. de Voiture.

— Qu’est-ce que cela feut dire, cette baufre Migeon ? demanda le Suisse, qui était en train de causer avec les quatre amis quand la lettre était arrivée.

— Oh ! mon Dieu ! moins que rien, dit Aramis, une petite lingère charmante que j’aimais fort et à qui j’ai demandé quelques lignes de sa main en manière de souvenir.

— Dutieu ! dit le Suisse ; zi zella il être auzi grante tame que son l’égridure, fous l’être en ponne fordune, mon gamarate !

Aramis lut la lettre et la passa à Athos.

— Voyez donc ce qu’elle m’écrit, Athos, dit-il.

Athos jeta un coup d’œil sur l’épître, et, pour faire évanouir tous les soupçons qui auraient pu naître, lut tout haut :

« Mon cousin, ma sœur et moi devinons très bien les rêves, et nous en avons même une peur affreuse ; mais du vôtre, on pourra dire, je l’espère, tout songe est mensonge. Adieu ! portez-vous bien, et faites que de temps en temps nous entendions parler de vous.

« Aglaé Michon.

— Et de quel rêve parle-t-elle ? demanda le dragon, qui s’était approché pendant la lecture.

— Foui, te quel rêfe ? dit le Suisse.

— Eh ! pardieu ! dit Aramis, c’est tout simple, d’un rêve que j’ai fait et que je lui ai raconté.

— Oh ! foui, par Tieu ! c’être tout simple de ragonter son rêfe ; mais moi je ne rêfe jamais.

— Vous êtes fort heureux, dit Athos en se levant, et je voudrais bien pouvoir en dire autant que vous !

— Chamais ! reprit le Suisse, enchanté qu’un homme comme Athos lui enviât quelque chose, chamais ! chamais !

D’Artagnan, voyant qu’Athos se levait, en fit autant, prit son bras, et sortit.

Porthos et Aramis restèrent pour faire face aux quolibets du dragon et du Suisse.

Quant à Bazin, il s’alla coucher sur une botte de paille ; et comme il avait plus d’imagination que le Suisse, il rêva que M. Aramis, devenu pape, le coiffait d’un chapeau de cardinal.

Mais, comme nous l’avons dit, Bazin n’avait, par son heureux retour, enlevé qu’une partie de l’inquiétude qui aiguillonnait les quatre amis. Les jours de l’attente sont longs, et d’Artagnan surtout aurait parié que les jours avaient maintenant quarante-huit heures. Il oubliait les lenteurs obligées de la navigation, il s’exagérait la puissance de milady. Il prêtait à cette femme, qui lui apparaissait pareille à un démon, des auxiliaires surnaturels comme elle ; il s’imaginait, au moindre bruit, qu’on venait l’arrêter, et qu’on ramenait Planchet pour le confronter avec lui et ses amis. Il y a plus : sa confiance autrefois si grande dans le digne Picard, diminuait de jour en jour. Cette inquiétude était si grande, qu’elle gagnait Porthos et Aramis. Il n’y avait qu’Athos qui demeurât impassible, comme si aucun danger ne s’agitait autour de lui, et qu’il respirât son atmosphère quotidienne.

Le seizième jour surtout, ces signes d’agitation étaient si visibles chez d’Artagnan et ses deux amis, qu’ils ne pouvaient rester en place, et qu’ils erraient comme des ombres sur le chemin par lequel devait revenir Planchet.

— Vraiment, leur disait Athos, vous n’êtes pas des hommes, mais des enfants, pour qu’une femme vous fasse si grand’peur ! Et de quoi s’agit-il, après tout ? D’être emprisonnés ! Eh bien, mais on nous tirera de prison : on en a bien retiré madame Bonacieux. D’être décapités ? Mais tous les jours, dans la tranchée, nous allons joyeusement nous exposer à pis que cela, car un boulet peut nous casser la jambe, et je suis convaincu qu’un chirurgien nous fait plus souffrir en nous coupant la cuisse qu’un bourreau en nous coupant la tête. Demeurez donc tranquilles ; dans deux heures, dans quatre, dans six heures, au plus tard, Planchet sera ici : il a promis d’y être, et moi j’ai très grande foi aux promesses de Planchet, qui m’a l’air d’un fort brave garçon.

— Mais s’il n’arrive pas ? dit d’Artagnan.

— Eh bien, s’il n’arrive pas, c’est qu’il aura été retardé, voilà tout. Il peut être tombé de cheval, il peut avoir fait une cabriole par-dessus le pont, il peut avoir couru si vite qu’il en ait attrapé une fluxion de poitrine. Eh ! messieurs ! faisons donc la part des événements. La vie est un chapelet de petites misères que le philosophe égrène en riant. Soyez philosophes comme moi, messieurs, mettez-vous à table et buvons ; rien ne fait paraître l’avenir couleur de rose comme de le regarder à travers un verre de chambertin.

— C’est fort bien, répondit d’Artagnan ; mais je suis las d’avoir à craindre, en buvant frais, que le vin ne sorte de la cave de milady.

— Vous êtes bien difficile, dit Athos, une si belle femme !

— Une femme de marque ! dit Porthos avec son gros rire.

Athos tressaillit, passa la main sur son front pour en essuyer la sueur, et se leva à son tour avec un mouvement nerveux qu’il ne put réprimer.

Le jour s’écoula cependant, et le soir vint plus lentement, mais enfin il vint ; les buvettes s’emplirent de chalands ; Athos, qui avait empoché sa part du diamant, ne quittait plus le Parpaillot. Il avait trouvé dans M. de Busigny, qui, au reste, leur avait donné un dîner magnifique, un partner digne de lui. Ils jouaient donc ensemble, comme d’habitude, quand sept heures sonnèrent : on entendit passer les patrouilles qui allaient doubler les postes ; à sept heures et demie la retraite sonna.

— Nous sommes perdus, dit d’Artagnan à l’oreille d’Athos.

— Vous voulez dire que nous avons perdu, dit tranquillement Athos en tirant quatre pistoles de sa poche et en les jetant sur la table. Allons, messieurs, continua-t-il, on bat la retraite, allons nous coucher.

Et Athos sortit du Parpaillot suivi de d’Artagnan. Aramis venait derrière donnant le bras à Porthos. Aramis mâchonnait des vers, et Porthos s’arrachait de temps en temps quelques poils de moustache en signe de désespoir.

Mais voilà que tout à coup, dans l’obscurité, une ombre se dessine, dont la forme est familière à d’Artagnan, et qu’une voix bien connue lui dit :

— Monsieur, je vous apporte votre manteau, car il fait frais ce soir.

— Planchet ! s’écria d’Artagnan, ivre de joie.

— Planchet ! répétèrent Porthos et Aramis.

— Eh bien, oui, Planchet, dit Athos, qu’y a-t-il d’étonnant à cela ? Il avait promis d’être de retour à huit heures, et voilà les huit heures qui sonnent. Bravo ! Planchet, vous êtes un garçon de parole, et si jamais vous quittez votre maître, je vous garde une place à mon service.

— Oh ! non, jamais, dit Planchet, jamais je ne quitterai M. d’Artagnan.

En même temps d’Artagnan sentit que Planchet lui glissait un billet dans la main.

D’Artagnan avait grande envie d’embrasser Planchet au retour comme il l’avait embrassé au départ ; mais il eut peur que cette marque d’effusion, donnée à son laquais en pleine rue, ne parût extraordinaire à quelque passant, et il se contint.

— J’ai le billet, dit-il à Athos et à ses amis.

— C’est bien, dit Athos, entrons chez nous, et nous le lirons.

Le billet brûlait la main de d’Artagnan : il voulait hâter le pas ; mais Athos lui prit le bras et le passa sous le sien, et force fut au jeune homme de régler sa course sur celle de son ami.

Enfin on entra dans la tente, on alluma une lampe, et tandis que Planchet se tenait sur la porte pour que les quatre amis ne fussent pas surpris, d’Artagnan, d’une main tremblante, brisa le cachet et ouvrit la lettre tant attendue.

Elle contenait une demi-ligne, d’une écriture toute britannique et d’une concision toute spartiate :

« Thank you, be easy. »

Ce qui voulait dire :

« Merci, soyez tranquille. »

Athos prit la lettre des mains de d’Artagnan, l’approcha de la lampe, y mit le feu, et ne la lâcha point qu’elle ne fût réduite en cendres.

Puis appelant Planchet :

— Maintenant, mon garçon, lui dit-il, tu peux réclamer tes sept cents livres, mais tu ne risquais pas grand-chose avec un billet comme celui-là.

— Ce n’est pas faute que j’aie inventé bien des moyens de le serrer, dit Planchet.

— Eh bien, dit d’Artagnan, conte-nous cela.

— Dame ! c’est bien long, monsieur.

— Tu as raison, Planchet, dit Athos ; d’ailleurs la retraite est battue, et nous serions remarqués en gardant de la lumière plus longtemps que les autres.

— Soit, dit d’Artagnan, couchons-nous. Dors bien, Planchet !

— Ma foi, monsieur ! ce sera la première fois depuis seize jours.

— Et moi aussi ! dit d’Artagnan.

— Et moi aussi ! répéta Porthos.

— Et moi aussi ! répéta Aramis.

— Eh bien, voulez-vous que je vous avoue la vérité ? et moi aussi ! dit Athos.

FATALITÉ

Cependant milady, ivre de colère, rugissant sur le pont du bâtiment comme une lionne qu’on embarque, avait été tentée de se jeter à la mer pour regagner la côte, car elle ne pouvait se faire à l’idée qu’elle avait été insultée par d’Artagnan, menacée par Athos, et qu’elle quittait la France sans se venger d’eux. Bientôt, cette idée était devenue pour elle tellement insupportable, qu’au risque de ce qui pouvait arriver de terrible pour elle-même, elle avait supplié le capitaine de la jeter sur la côte ; mais le capitaine, pressé d’échapper à sa fausse position, placé entre les croiseurs français et anglais, comme la chauve-souris entre les rats et les oiseaux, avait grande hâte de regagner l’Angleterre, et refusa obstinément d’obéir à ce qu’il prenait pour un caprice de femme, promettant à sa passagère, qui au reste lui était particulièrement recommandée par le cardinal, de la jeter, si la mer et les Français le permettaient, dans un des ports de la Bretagne, soit à Lorient, soit à Brest ; mais en attendant, le vent était contraire, la mer mauvaise, on louvoyait et l’on courait des bordées. Neuf jours après la sortie de la Charente, milady, toute pâle de ses chagrins et de sa rage, voyait apparaître seulement les côtes bleuâtres du Finistère.

Elle calcula que pour traverser ce coin de la France et revenir près du cardinal il lui fallait au moins trois jours ; ajoutez un jour pour le débarquement et cela faisait quatre ; ajoutez ces quatre jours aux neuf autres, c’était treize jours de perdus, treize jours pendant lesquels tant d’événements importants se pouvaient passer à Londres. Elle songea que sans aucun doute le cardinal serait furieux de son retour, et que par conséquent il serait plus disposé à écouter les plaintes qu’on porterait contre elle que les accusations qu’elle porterait contre les autres. Elle laissa donc passer Lorient et Brest sans insister près du capitaine, qui, de son côté, se garda bien de lui donner l’éveil. Milady continua donc sa route, et le jour même où Planchet s’embarquait de Portsmouth pour la France, la messagère de son Éminence entrait triomphante dans le port.

Toute la ville était agitée d’un mouvement extraordinaire : quatre grands vaisseaux récemment achevés venaient d’être lancés à la mer ; debout sur la jetée, chamarré d’or, éblouissant, selon son habitude de diamants et de pierreries, le feutre orné d’une plume blanche qui retombait sur son épaule, on voyait Buckingham entouré d’un état-major presque aussi brillant que lui.

C’était une de ces belles et rares journées d’hiver où l’Angleterre se souvient qu’il y a un soleil. L’astre pâli, mais cependant splendide encore, se couchait à l’horizon, empourprant à la fois le ciel et la mer de bandes de feu et jetant sur les tours et les vieilles maisons de la ville un dernier rayon d’or qui faisait étinceler les vitres comme le reflet d’un incendie. Milady, en respirant cet air de la mer plus vif et plus balsamique à l’approche de la terre, en contemplant toute la puissance de ces préparatifs qu’elle était chargée de détruire, toute la puissance de cette armée qu’elle devait combattre à elle seule – à elle femme – avec quelques sacs d’or, se compara mentalement à Judith, la terrible Juive, lorsqu’elle pénétra dans le camp des Assyriens et qu’elle vit la masse énorme de chars, de chevaux, d’hommes et d’armes qu’un geste de sa main devait dissiper comme un nuage de fumée.

On entra dans la rade ; mais comme on s’apprêtait à y jeter l’ancre, un petit cutter formidablement armé s’approcha du bâtiment marchand, se donnant comme garde-côte, et fit mettre à la mer son canot, qui se dirigea vers l’échelle. Ce canot renfermait un officier, un contre-maître et huit rameurs ; l’officier seul monta à bord, où il fut reçu avec toute la déférence qu’inspire l’uniforme.

L’officier s’entretint quelques instants avec le patron, lui fit lire un papier dont il était porteur, et, sur l’ordre du capitaine marchand, tout l’équipage du bâtiment, matelots et passagers, fut appelé sur le pont.

Lorsque cette espèce d’appel fut fait, l’officier s’enquit tout haut du point de départ du brik, de sa route, de ses atterrissements, et à toutes les questions le capitaine satisfit sans hésitation et sans difficulté. Alors l’officier commença de passer la revue de toutes les personnes les unes après les autres, et, s’arrêtant à milady, la considéra avec un grand soin, mais sans lui adresser une seule parole.

Puis il revint au capitaine, lui dit encore quelques mots ; et, comme si c’eût été à lui désormais que le bâtiment dût obéir, il commanda une manœuvre que l’équipage exécuta aussitôt. Alors le bâtiment se remit en route, toujours escorté du petit cutter, qui voguait bord à bord avec lui, menaçant son flanc de la bouche de ses six canons tandis que la barque suivait dans le sillage du navire, faible point près de l’énorme masse.

Pendant l’examen que l’officier avait fait de milady, milady, comme on le pense bien, l’avait de son côté dévoré du regard. Mais, quelque habitude que cette femme aux yeux de flamme eût de lire dans le cœur de ceux dont elle avait besoin de deviner les secrets, elle trouva cette fois un visage d’une impassibilité telle qu’aucune découverte ne suivit son investigation. L’officier qui s’était arrêté devant elle et qui l’avait silencieusement étudiée avec tant de soin pouvait être âgé de vingt-cinq à vingt-six ans, était blanc de visage avec des yeux bleu clair un peu enfoncés ; sa bouche, fine et bien dessinée, demeurait immobile dans ses lignes correctes ; son menton, vigoureusement accusé, dénotait cette force de volonté qui, dans le type vulgaire britannique, n’est ordinairement que de l’entêtement ; un front un peu fuyant, comme il convient aux poètes, aux enthousiastes et aux soldats, était à peine ombragé d’une chevelure courte et clairsemée, qui, comme la barbe qui couvrait le bas de son visage, était d’une belle couleur châtain foncé.

Lorsqu’on entra dans le port, il faisait déjà nuit. La brume épaississait encore l’obscurité et formait autour des fanaux et des lanternes des jetées un cercle pareil à celui qui entoure la lune quand le temps menace de devenir pluvieux. L’air qu’on respirait était triste, humide et froid.

Milady, cette femme si forte, se sentait frissonner malgré elle.

L’officier se fit indiquer les paquets de milady, fit porter son bagage dans le canot ; et lorsque cette opération fut faite, il l’invita à y descendre elle-même en lui tendant sa main.

Milady regarda cet homme et hésita.

— Qui êtes-vous, monsieur, demanda-t-elle, qui avez la bonté de vous occuper si particulièrement de moi ?

— Vous devez le voir, madame, à mon uniforme ; je suis officier de la marine anglaise, répondit le jeune homme.

— Mais enfin, est-ce l’habitude que les officiers de la marine anglaise se mettent aux ordres de leurs compatriotes lorsqu’ils abordent dans un port de la Grande-Bretagne, et poussent la galanterie jusqu’à les conduire à terre ?

— Oui, milady, c’est l’habitude, non point par galanterie, mais par prudence, qu’en temps de guerre les étrangers soient conduits à une hôtellerie désignée, afin que jusqu’à parfaite information sur eux ils restent sous la surveillance du gouvernement.

Ces mots furent prononcés avec la politesse la plus exacte et le calme le plus parfait. Cependant ils n’eurent point le don de convaincre milady.

— Mais je ne suis pas étrangère, monsieur, dit-elle avec l’accent le plus pur qui ait jamais retenti de Portsmouth à Manchester, je me nomme lady Clarick, et cette mesure…

— Cette mesure est générale, milady, et vous tenteriez inutilement de vous y soustraire.

— Je vous suivrai donc, monsieur.

Et acceptant la main de l’officier, elle commença de descendre l’échelle au bas de laquelle l’attendait le canot. L’officier la suivit ; un grand manteau était étendu à la poupe, l’officier la fit asseoir sur le manteau et s’assit près d’elle.

— Nagez, dit-il aux matelots.

Les huit rames retombèrent dans la mer, ne formant qu’un seul bruit, ne frappant qu’un seul coup, et le canot sembla voler sur la surface de l’eau.

Au bout de cinq minutes on touchait à terre.

L’officier sauta sur le quai et offrit la main à milady.

Une voiture attendait.

— Cette voiture est-elle pour nous ? demanda milady.

— Oui, madame, répondit l’officier.

— L’hôtellerie est donc bien loin ?

— À l’autre bout de la ville.

— Allons, dit milady.

Et elle monta résolument dans la voiture.

L’officier veilla à ce que les paquets fussent soigneusement attachés derrière la caisse, et cette opération terminée, prit sa place près de milady et referma la portière.

Aussitôt, sans qu’aucun ordre fût donné et sans qu’on eût besoin de lui indiquer sa destination, le cocher partit au galop et s’enfonça dans les rues de la ville.

Une réception si étrange devait être pour milady une ample matière à réflexion ; aussi, voyant que le jeune officier ne paraissait nullement disposé à lier conversation, elle s’accouda dans un angle de la voiture et passa les unes après les autres en revue toutes les suppositions qui se présentaient à son esprit.

Cependant, au bout d’un quart d’heure, étonnée de la longueur du chemin, elle se pencha vers la portière pour voir où on la conduisait. On n’apercevait plus de maisons ; des arbres apparaissaient dans les ténèbres comme de grands fantômes noirs courant les uns après les autres.

Milady frissonna.

— Mais nous ne sommes plus dans la ville, monsieur, dit-elle.

Le jeune officier garda le silence.

— Je n’irai pas plus loin, si vous ne me dites pas où vous me conduisez ; je vous en préviens, monsieur !

Cette menace n’obtint aucune réponse.

— Oh ! c’est trop fort ! s’écria milady, au secours ! au secours !

Pas une voix ne répondit à la sienne ; la voiture continua de rouler avec rapidité ; l’officier semblait une statue.

Milady regarda l’officier avec une de ces expressions terribles, particulières à son visage et qui manquaient si rarement leur effet ; la colère faisait étinceler ses yeux dans l’ombre.

Le jeune homme resta impassible.

Milady voulut ouvrir la portière et se précipiter.

— Prenez garde, madame, dit froidement le jeune homme, vous vous tuerez en sautant.

Milady se rassit écumante ; l’officier se pencha, la regarda à son tour et parut surpris de voir cette figure, si belle naguère, bouleversée par la rage et devenue presque hideuse. L’astucieuse créature comprit qu’elle se perdait en laissant voir ainsi dans son âme ; elle rasséréna ses traits, et d’une voix gémissante :

— Au nom du ciel, monsieur ! dites-moi si c’est à vous, si c’est à votre gouvernement, si c’est à un ennemi que je dois attribuer la violence que l’on me fait ?

— On ne vous fait aucune violence, madame, et ce qui vous arrive est le résultat d’une mesure toute simple que nous sommes forcés de prendre avec tous ceux qui débarquent en Angleterre.

— Alors vous ne me connaissez pas, monsieur ?

— C’ est la première fois que j’ai l’honneur de vous voir.

— Et, sur votre honneur, vous n’avez aucun sujet de haine contre moi ?

— Aucun, je vous le jure.

II y avait tant de sérénité, de sang-froid, de douceur même dans la voix du jeune homme, que milady fut rassurée.

Enfin, après une heure de marche à peu près, la voiture s’arrêta devant une grille de fer qui fermait un chemin creux conduisant à un château sévère de forme, massif et isolé. Alors, comme les roues tournaient sur un sable fin, milady entendit un vaste mugissement, qu’elle reconnut pour le bruit de la mer qui vient se briser sur une côte escarpée.

La voiture passa sous deux voûtes, et enfin s’arrêta dans une cour sombre et carrée ; presque aussitôt la portière de la voiture s’ouvrit, le jeune homme sauta légèrement à terre et présenta sa main à milady, qui s’appuya dessus, et descendit à son tour avec assez de calme.

— Toujours est-il, dit milady en regardant autour d’elle et en ramenant ses yeux sur le jeune officier avec le plus gracieux sourire, que je suis prisonnière ; mais ce ne sera pas pour longtemps, j’en suis sûre, ajouta-t-elle, ma conscience et votre politesse, monsieur, m’en sont garants.

Si flatteur que fût le compliment, l’officier ne répondit rien ; mais, tirant de sa ceinture un petit sifflet d’argent pareil à celui dont se servent les contre-maîtres sur les bâtiments de guerre, il siffla trois fois, sur trois modulations différentes : alors plusieurs hommes parurent, dételèrent les chevaux fumants et emmenèrent la voiture sous une remise.

Puis l’officier, toujours avec la même politesse calme, invita sa prisonnière à entrer dans la maison. Celle-ci, toujours avec son même visage souriant, lui prit le bras, et entra avec lui sous une porte basse et cintrée qui, par une voûte éclairée seulement au fond, conduisait à un escalier de pierre tournant autour d’une arête de pierre ; puis on s’arrêta devant une porte massive qui, après l’introduction dans la serrure d’une clef que le jeune homme portait sur lui, roula lourdement sur ses gonds et donna ouverture à la chambre destinée à milady.

D’un seul regard, la prisonnière embrassa l’appartement dans ses moindres détails.

C’était une chambre dont l’ameublement était à la fois bien propre pour une prison et bien sévère pour une habitation d’homme libre ; cependant, des barreaux aux fenêtres et des verrous extérieurs à la porte décidaient le procès en faveur de la prison.

Un instant toute la force d’âme de cette créature, trempée cependant aux sources les plus vigoureuses, l’abandonna ; elle tomba sur un fauteuil, croisant les bras, baissant la tête, et s’attendant à chaque instant à voir entrer un juge pour l’interroger.

Mais personne n’entra, que deux ou trois soldats de marine qui apportèrent les malles et les caisses, les déposèrent dans un coin et se retirèrent sans rien dire.

L’officier présidait à tous ces détails avec le même calme que milady lui avait constamment vu, ne prononçant pas une parole lui-même, et se faisant obéir d’un geste de sa main ou d’un coup de son sifflet.

On eût dit qu’entre cet homme et ses inférieurs la langue parlée n’existait pas ou devenait inutile.

Enfin milady n’y put tenir plus longtemps, elle rompit le silence :

— Au nom du ciel, monsieur ! s’écria-t-elle, que veut dire tout ce qui se passe ? Fixez mes irrésolutions ; j’ai du courage pour tout danger que je prévois, pour tout malheur que je comprends. Où suis-je et que suis-je ici ? suis-je libre, pourquoi ces barreaux et ces portes ? suis-je prisonnière, quel crime ai-je commis ?

— Vous êtes ici dans l’appartement qui vous est destiné, madame. J’ai reçu l’ordre d’aller vous prendre en mer et de vous conduire en ce château : cet ordre, je l’ai accompli, je crois, avec toute la rigidité d’un soldat, mais aussi avec toute la courtoisie d’un gentilhomme. Là se termine, du moins jusqu’à présent, la charge que j’avais à remplir près de vous, le reste regarde une autre personne.

— Et cette autre personne, quelle est-elle ? demanda milady ; ne pouvez-vous me dire son nom ?…

En ce moment on entendit par les escaliers un grand bruit d’éperons ; quelques voix passèrent et s’éteignirent, et le bruit d’un pas isolé se rapprocha de la porte.

— Cette personne, la voici, madame, dit l’officier en démasquant le passage, et en se rangeant dans l’attitude du respect et de la soumission.

En même temps, la porte s’ouvrit ; un homme parut sur le seuil.

Il était sans chapeau, portait l’épée au côté, et froissait un mouchoir entre ses doigts.

Milady crut reconnaître cette ombre dans l’ombre, elle s’appuya d’une main sur le bras de son fauteuil, et avança la tête comme pour aller au-devant d’une certitude.

Alors l’étranger s’avança lentement ; et, à mesure qu’il s’avançait en entrant dans le cercle de lumière projeté par la lampe, milady se reculait involontairement.

Puis, lorsqu’elle n’eut plus aucun doute :

— Eh quoi ! mon frère ! s’écria-t-elle au comble de la stupeur, c’est vous vous ?

— Oui, belle dame ! répondit lord de Winter en faisant un salut moitié courtois, moitié ironique, moi-même.

— Mais alors, ce château ?

— Est à moi.

— Cette chambre ?

— C’est la vôtre.

— Je suis donc votre prisonnière ?

— À peu près.

— Mais c’est un affreux abus de la force !

— Pas de grands mots ; asseyons-nous, et causons tranquillement, comme il convient de faire entre un frère et une sœur.

Puis, se retournant vers la porte, et voyant que le jeune officier attendait ses derniers ordres :

— C’est bien, dit-il, je vous remercie ; maintenant, laissez-nous, monsieur Felton.

CAUSERIE D’UN FRÈRE AVEC SA SŒUR

Pendant le temps que Lord de Winter mit à fermer la porte, à pousser un volet et à approcher un siège du fauteuil de sa belle-sœur, milady, rêveuse, plongea son regard dans les profondeurs de la possibilité, et découvrit toute la trame qu’elle n’avait pas même pu entrevoir, tant qu’elle ignorait en quelles mains elle était tombée. Elle connaissait son beau-frère pour un bon gentilhomme, franc-chasseur, joueur intrépide, entreprenant près des femmes, mais d’une force inférieure à la sienne à l’endroit de l’intrigue. Comment avait-il pu découvrir son arrivée, la faire saisir ? Pourquoi la retenait-il ?

Athos lui avait bien dit quelques mots qui prouvaient que la conversation qu’elle avait eue avec le cardinal était tombée dans des oreilles étrangères ; mais elle ne pouvait admettre qu’il eût pu creuser une contre-mine si prompte et si hardie.

Elle craignit bien plutôt que ses précédentes opérations en Angleterre n’eussent été découvertes. Buckingham pouvait avoir deviné que c’était elle qui avait coupé les deux ferrets, et se venger de cette petite trahison ; mais Buckingham était incapable de se porter à aucun excès contre une femme, surtout si cette femme était censée avoir agi par un sentiment de jalousie.

Cette supposition lui parut la plus probable ; il lui sembla qu’on voulait se venger du passé, et non aller au-devant de l’avenir. Toutefois, et en tout cas, elle s’applaudit d’être tombée entre les mains de son beau-frère, dont elle comptait avoir bon marché, plutôt qu’entre celles d’un ennemi direct et intelligent.

— Oui, causons, mon frère, dit-elle avec une espèce d’enjouement, décidée qu’elle était à tirer de la conversation, malgré toute la dissimulation que pourrait y apporter lord de Winter, les éclaircissements dont elle avait besoin pour régler sa conduite à venir.

— Vous vous êtes donc décidée à revenir en Angleterre, dit lord de Winter, malgré la résolution que vous m’aviez si souvent manifestée à Paris de ne jamais remettre les pieds sur le territoire de la Grande-Bretagne ?

Milady répondit à une question par une autre question.

— Avant tout, dit-elle, apprenez-moi donc comment vous m’avez fait guetter assez sévèrement pour être d’avance prévenu non seulement de mon arrivée, mais encore du jour, de l’heure et du port où j’arrivais.

Lord de Winter adopta la même tactique que milady, pensant que, puisque sa belle-sœur l’employait, ce devait être la bonne.

— Mais, dites-moi vous-même, ma chère sœur, reprit-il, ce que vous venez faire en Angleterre.

— Mais je viens vous voir, reprit milady, sans savoir combien elle aggravait, par cette réponse, les soupçons qu’avait fait naître dans l’esprit de son beau-frère la lettre de d’Artagnan, et voulant seulement capter la bienveillance de son auditeur par un mensonge.

— Ah ! me voir ? dit sournoisement lord de Winter.

— Sans doute, vous voir. Qu’y a-t-il d’étonnant à cela ?

— Et vous n’avez pas, en venant en Angleterre, d’autre but que de me voir ?

— Non.

— Ainsi, c’est pour moi seul que vous vous êtes donné la peine de traverser la Manche ?

— Pour vous seul.

— Peste ! quelle tendresse, ma sœur !

— Mais ne suis-je pas votre plus proche parente ? demanda milady du ton de la plus touchante naïveté.

— Et même ma seule héritière, n’est-ce pas ? dit à son tour lord de Winter, en fixant ses yeux sur ceux de milady.

Quelque puissance qu’elle eût sur elle-même, milady ne put s’empêcher de tressaillir, et comme, en prononçant les dernières paroles qu’il avait dites, lord de Winter avait posé la main sur le bras de sa sœur, ce tressaillement ne lui échappa point.

En effet, le coup était direct et profond. La première idée qui vint à l’esprit de milady fut qu’elle avait été trahie par Ketty, et que celle-ci avait raconté au baron cette aversion intéressée dont elle avait imprudemment laissé échapper des marques devant sa suivante ; elle se rappela aussi la sortie furieuse et imprudente qu’elle avait faite contre d’Artagnan, lorsqu’il avait sauvé la vie de son beau-frère.

— Je ne comprends pas, milord, dit-elle pour gagner du temps et faire parler son adversaire. Que voulez-vous dire ? et y a-t-il quelque sens inconnu caché sous vos paroles ?

— Oh ! mon Dieu, non, dit lord de Winter avec une apparente bonhomie ; vous avez le désir de me voir, et vous venez en Angleterre. J’apprends ce désir, ou plutôt je me doute que vous l’éprouvez, et afin de vous épargner tous les ennuis d’une arrivée nocturne dans un port, toutes les fatigues d’un débarquement, j’envoie un de mes officiers au-devant de vous ; je mets une voiture à ses ordres, et il vous amène ici dans ce château, dont je suis gouverneur, où je viens tous les jours, et où, pour que notre double désir de nous voir soit satisfait, je vous fais préparer une chambre. Qu’y a-t-il dans tout ce que je dis là de plus étonnant que dans ce que vous m’avez dit ?

— Non, ce que je trouve d’étonnant, c’est que vous ayez été prévenu de mon arrivée.

— C’est cependant la chose la plus simple, ma chère sœur : n’avez-vous pas vu que le capitaine de votre petit bâtiment avait, en entrant dans la rade, envoyé en avant et afin d’obtenir son entrée dans le port, un petit canot porteur de son livre de loch et de son registre d’équipage ? Je suis commandant du port, on m’a apporté ce livre, j’y ai reconnu votre nom. Mon cœur m’a dit ce que vient de me confier votre bouche, c’est-à-dire dans quel but vous vous exposiez aux dangers d’une mer si périlleuse ou tout au moins si fatigante en ce moment, et j’ai envoyé mon cutter au-devant de vous. Vous savez le reste.

Milady comprit que lord de Winter mentait et n’en fut que plus effrayée.

— Mon frère, continua-t-elle, n’est-ce pas milord Buckingham que je vis sur la jetée, le soir, en arrivant ?

— Lui-même. Ah ! je comprends que sa vue vous ait frappée, reprit lord de Winter : vous venez d’un pays où l’on doit beaucoup s’occuper de lui, et je sais que ses armements contre la France préoccupent fort votre ami le cardinal.

— Mon ami le cardinal ! s’écria milady, voyant que, sur ce point comme sur l’autre, lord de Winter paraissait instruit de tout.

— N’est-il donc point votre ami ? reprit négligemment le baron ; ah ! pardon, je le croyais ; mais nous reviendrons à milord duc plus tard, ne nous écartons point du tour sentimental que la conversation avait pris : vous veniez, disiez-vous, pour me voir ?

— Oui.

— Eh bien, je vous ai répondu que vous seriez servie à souhait et que nous nous verrions tous les jours.

— Dois-je donc demeurer éternellement ici ? demanda milady avec un certain effroi.

— Vous trouveriez-vous mal logée, ma sœur ? demandez ce qui vous manque, et je m’empresserai de vous le faire donner.

— Mais je n’ai ni mes femmes, ni mes gens…

— Vous aurez tout cela, madame ; dites-moi sur quel pied votre premier mari avait monté votre maison ; quoique je ne sois que votre beau-frère, je vous la monterai sur un pied pareil.

— Mon premier mari ! s’écria milady en regardant lord de Winter avec des yeux effarés.

— Oui, votre mari français ; je ne parle pas de mon frère. Au reste, si vous l’avez oublié, comme il vit encore, je pourrais lui écrire et il me ferait passer des renseignements à ce sujet.

Une sueur froide perla sur le front de milady.

— Vous raillez, dit-elle d’une voix sourde.

— En ai-je l’air ? demanda le baron en se relevant et en faisant un pas en arrière.

— Ou plutôt vous m’insultez, continua-t-elle en pressant de ses mains crispées les deux bras du fauteuil et en se soulevant sur ses poignets.

— Vous insulter, moi ! dit lord de Winter avec mépris ; en vérité, madame, croyez-vous que ce soit possible ?

— En vérité, monsieur, dit milady, vous êtes ou ivre ou insensé ; sortez et envoyez-moi une femme.

— Des femmes sont bien indiscrètes, ma sœur ! ne pourrais-je pas vous servir de suivante ? de cette façon tous nos secrets resteraient en famille.

— Insolent ! s’écria milady, et, comme mue par un ressort, elle bondit sur le baron, qui l’attendait avec impassibilité, mais une main cependant sur la garde de son épée.

— Eh ! eh ! dit-il, je sais que vous avez l’habitude d’assassiner les gens, mais je me défendrai, moi, je vous en préviens, fût-ce contre vous.

— Oh ! vous avez raison, dit milady, et vous me faites l’effet d’être assez lâche pour porter la main sur une femme.

— Peut-être que oui, d’ailleurs j’aurais mon excuse : ma main ne serait pas la première main d’homme qui se serait posée sur vous, j’imagine.

Et le baron indiqua d’un geste lent et accusateur l’épaule gauche de milady, qu’il toucha presque du doigt.

Milady poussa un rugissement sourd, et se recula jusque dans l’angle de la chambre, comme une panthère qui veut s’acculer pour s’élancer.

— Oh ! rugissez tant que vous voudrez, s’écria lord de Winter, mais n’essayez pas de mordre, car, je vous en préviens, la chose tournerait à votre préjudice : il n’y a pas ici de procureurs qui règlent d’avance les successions, il n’y a pas de chevalier errant qui vienne me chercher querelle pour la belle dame que je retiens prisonnière ; mais je tiens tout prêts des juges qui disposeront d’une femme assez éhontée pour venir se glisser, bigame, dans le lit de lord de Winter, mon frère aîné, et ces juges, je vous en préviens, vous enverront à un bourreau qui vous fera les deux épaules pareilles.

Les yeux de milady lançaient de tels éclairs, que quoiqu’il fût homme et armé devant une femme désarmée il sentit le froid de la peur se glisser jusqu’au fond de son âme ; il n’en continua pas moins, mais avec une fureur croissante :

— Oui, je comprends, après avoir hérité de mon frère, il vous eût été doux d’hériter de moi ; mais, sachez-le d’avance, vous pouvez me tuer ou me faire tuer, mes précautions sont prises, pas un penny de ce que je possède ne passera dans vos mains. N’êtes-vous pas déjà assez riche, vous qui possédez près d’un million, et ne pouviez-vous vous arrêter dans votre route fatale, si vous ne faisiez le mal que pour la jouissance infinie et suprême de le faire ? Oh ! tenez, je vous le dis, si la mémoire de mon frère ne m’était sacrée, vous iriez pourrir dans un cachot d’État ou rassasier à Tyburn la curiosité des matelots ; je me tairai, mais vous, supportez tranquillement votre captivité ; dans quinze ou vingt jours je pars pour La Rochelle avec l’armée ; mais la veille de mon départ, un vaisseau viendra vous prendre, que je verrai partir et qui vous conduira dans nos colonies du Sud ; et, soyez tranquille, je vous adjoindrai un compagnon qui vous brûlera la cervelle à la première tentative que vous risquerez pour revenir en Angleterre ou sur le continent.

Milady écoutait avec une attention qui dilatait ses yeux enflammés.

— Oui, mais à cette heure, continua lord de Winter, vous demeurerez dans ce château : les murailles en sont épaisses, les portes en sont fortes, les barreaux en sont solides ; d’ailleurs votre fenêtre donne à pic sur la mer : les hommes de mon équipage, qui me sont dévoués à la vie et à la mort, montent la garde autour de cet appartement, et surveillent tous les passages qui conduisent à la cour ; puis arrivée à la cour, il vous resterait encore trois grilles à traverser. La consigne est précise : un pas, un geste, un mot qui simule une évasion, et l’on fait feu sur vous ; si l’on vous tue, la justice anglaise m’aura, je l’espère, quelque obligation de lui avoir épargné de la besogne. Ah ! vos traits reprennent leur calme, votre visage retrouve son assurance : Quinze jours, vingt jours dites-vous, bah ! d’ici là, j’ai l’esprit inventif, il me viendra quelque idée ; j’ai l’esprit infernal, et je trouverai quelque victime. D’ici à quinze jours, vous dites-vous, je serai hors d’ici. Ah ! ah ! essayez !

Milady se voyant devinée s’enfonça les ongles dans la chair pour dompter tout mouvement qui eût pu donner à sa physionomie une signification quelconque, autre que celle de l’angoisse.

Lord de Winter continua :

— L’officier qui commande seul ici en mon absence, vous l’avez vu, donc vous le connaissez déjà, sait, comme vous voyez, observer une consigne, car vous n’êtes pas, je vous connais, venue de Portsmouth ici sans avoir essayé de le faire parler. Qu’en dites-vous ? une statue de marbre eût-elle été plus impassible et plus muette ? Vous avez déjà essayé le pouvoir de vos séductions sur bien des hommes, et malheureusement vous avez toujours réussi ; mais essayez sur celui-là, pardieu ! si vous en venez à bout, je vous déclare le démon lui-même.

Il alla vers la porte et l’ouvrit brusquement.

— Qu’on appelle M. Felton, dit-il. Attendez encore un instant, et je vais vous recommander à lui.

Il se fit entre ces deux personnages un silence étrange, pendant lequel on entendit le bruit d’un pas lent et régulier qui se rapprochait ; bientôt, dans l’ombre du corridor, on vit se dessiner une forme humaine, et le jeune lieutenant avec lequel nous avons déjà fait connaissance s’arrêta sur le seuil, attendant les ordres du baron.

— Entrez, mon cher John, dit lord de Winter, entrez et fermez la porte.

Le jeune officier entra.

— Maintenant, dit le baron, regardez cette femme : elle est jeune, elle est belle, elle a toutes les séductions de la terre, eh bien ! c’est un monstre qui, à vingt-cinq ans, s’est rendu coupable d’autant de crimes que vous pouvez en lire en un an dans les archives de nos tribunaux ; sa voix prévient en sa faveur, sa beauté sert d’appât aux victimes, son corps même paye ce qu’elle a promis, c’est une justice à lui rendre ; elle essayera de vous séduire, peut-être même essayera-t-elle de vous tuer. Je vous ai tiré de la misère, Felton, je vous ai fait nommer lieutenant, je vous ai sauvé la vie une fois, vous savez à quelle occasion ; je suis pour vous non seulement un protecteur, mais un ami ; non seulement un bienfaiteur, mais un père ; cette femme est revenue en Angleterre afin de conspirer contre ma vie ; je tiens ce serpent entre mes mains ; eh bien, je vous fais appeler et vous dis : Ami Felton, John, mon enfant, garde-moi et surtout garde-toi de cette femme ; jure sur ton salut de la conserver pour le châtiment qu’elle a mérité. John Felton, je me fie à ta parole ; John Felton, je crois à ta loyauté.

— Milord, dit le jeune officier en chargeant son regard pur de toute la haine qu’il put trouver dans son cœur, milord, je vous jure qu’il sera fait comme vous désirez.

Milady reçut ce regard en victime résignée : il était impossible de voir une expression plus soumise et plus douce que celle qui régnait alors sur son beau visage. À peine si lord de Winter lui-même reconnut la tigresse qu’un instant auparavant il s’apprêtait à combattre.

— Elle ne sortira jamais de cette chambre, entendez-vous, John, continua le baron ; elle ne correspondra avec personne, elle ne parlera qu’à vous, si toutefois vous voulez bien lui faire l’honneur de lui adresser la parole.

— Il suffit, milord, j’ai juré.

— Et maintenant, madame, tâchez de faire la paix avec Dieu, car vous êtes jugée par les hommes.

Milady laissa tomber sa tête comme si elle se fût sentie écrasée par ce jugement. Lord de Winter sortit en faisant un geste à Felton, qui sortit derrière lui et ferma la porte.

Un instant après on entendait dans le corridor le pas pesant d’un soldat de marine qui faisait sentinelle, sa hache à la ceinture et son mousquet à la main.

Milady demeura pendant quelques minutes dans la même position, car elle songea qu’on l’examinait peut-être par la serrure ; puis lentement elle releva sa tête, qui avait repris une expression formidable de menace et de défi, courut écouter à la porte, regarda par la fenêtre, et revenant s’enterrer dans un vaste fauteuil, elle songea.

OFFICIER

Cependant le cardinal attendait des nouvelles d’Angleterre, mais aucune nouvelle n’arrivait, si ce n’est fâcheuse et menaçante.

Si bien que La Rochelle fût investie, si certain que pût paraître le succès, grâce aux précautions prises et surtout à la digue qui ne laissait plus pénétrer aucune barque dans la ville assiégée, cependant le blocus pouvait durer longtemps encore ; et c’était un grand affront pour les armes du roi et une grande gêne pour M. le cardinal, qui n’avait plus, il est vrai, à brouiller Louis XIII avec Anne d’Autriche, la chose était faite, mais à raccommoder M. de Bassompierre, qui était brouillé avec le duc d’Angoulême.

Quant à Monsieur, qui avait commencé le siège, il laissait au cardinal le soin de l’achever.

La ville, malgré l’incroyable persévérance de son maire, avait tenté une espèce de mutinerie pour se rendre ; le maire avait fait pendre les émeutiers. Cette exécution calma les plus mauvaises têtes, qui se décidèrent alors à se laisser mourir de faim. Cette mort leur paraissait toujours plus lente et moins sûre que le trépas par strangulation.

De leur côté, de temps en temps, les assiégeants prenaient des messagers que les Rochelois envoyaient à Buckingham ou des espions que Buckingham envoyait aux Rochelois. Dans l’un et l’autre cas le procès était vite fait. M. le cardinal disait ce seul mot : Pendu ! On invitait le roi à venir voir la pendaison. Le roi venait languissamment, se mettait en bonne place pour voir l’opération dans tous ses détails : cela le distrayait toujours un peu et lui faisait prendre le siège en patience, mais cela ne l’empêchait pas de s’ennuyer fort, de parler à tout moment de retourner à Paris ; de sorte que si les messagers et les espions eussent fait défaut, Son Éminence, malgré toute son imagination, se fût trouvée fort embarrassée.

Néanmoins le temps passait, les Rochelois ne se rendaient pas : le dernier espion que l’on avait pris était porteur d’une lettre. Cette lettre disait bien à Buckingham que la ville était à toute extrémité ; mais, au lieu d’ajouter : « Si votre secours n’arrive pas avant quinze jours, nous nous rendrons », elle ajoutait tout simplement : « Si votre secours n’arrive pas avant quinze jours, nous serons tous morts de faim quand il arrivera. »

Les Rochelois n’avaient donc espoir qu’en Buckingham. Buckingham était leur Messie. Il était évident que si un jour ils apprenaient d’une manière certaine qu’il ne fallait plus compter sur Buckingham, avec l’espoir leur courage tomberait.

Le cardinal attendait donc avec grande impatience des nouvelles d’Angleterre qui devaient annoncer que Buckingham ne viendrait pas.

La question d’emporter la ville de vive force, débattue souvent dans le conseil du roi, avait toujours été écartée ; d’abord La Rochelle semblait imprenable, puis le cardinal, quoi qu’il eût dit, savait bien que l’horreur du sang répandu en cette rencontre, où Français devaient combattre contre Français, était un mouvement rétrograde de soixante ans imprimé à la politique, et le cardinal était, à cette époque, ce qu’on appelle aujourd’hui un homme de progrès. En effet, le sac de La Rochelle, l’assassinat de trois ou quatre mille huguenots qui se fussent fait tuer ressemblaient trop, en 1628, au massacre de la Saint-Barthélémy, en 1572 ; et puis, par-dessus tout cela, ce moyen extrême, auquel le roi, bon catholique, ne répugnait aucunement, venait toujours échouer contre cet argument des généraux assiégeants : La Rochelle est imprenable autrement que par la famine.

Le cardinal ne pouvait écarter de son esprit la crainte où le jetait sa terrible émissaire, car il avait compris, lui aussi, les proportions étranges de cette femme, tantôt serpent, tantôt lion. L’avait-elle trahi ? était-elle morte ? Il la connaissait assez, en tout cas, pour savoir qu’en agissant pour lui ou contre lui, amie ou ennemie, elle ne demeurait pas immobile sans de grands empêchements. C’était ce qu’il ne pouvait savoir.

Au reste, il comptait, et avec raison, sur milady : il avait deviné dans le passé de cette femme de ces choses terribles que son manteau rouge pouvait seul couvrir ; et il sentait que, pour une cause ou pour une autre, cette femme lui était acquise, ne pouvant trouver qu’en lui un appui supérieur au danger qui la menaçait.

Il résolut donc de faire la guerre tout seul et de n’attendre tout succès étranger que comme on attend une chance heureuse. Il continua de faire élever la fameuse digue qui devait affamer La Rochelle ; en attendant, il jeta les yeux sur cette malheureuse ville, qui renfermait tant de misère profonde et tant d’héroïques vertus, et, se rappelant le mot de Louis XI, son prédécesseur politique, comme lui-même était le prédécesseur de Robespierre, il murmura cette maxime du compère de Tristan : « Diviser pour régner. »

Henri IV, assiégeant Paris, faisait jeter par-dessus les murailles du pain et des vivres ; le cardinal fit jeter des petits billets par lesquels il représentait aux Rochelois combien la conduite de leurs chefs était injuste, égoïste et barbare ; ces chefs avaient du blé en abondance, et ne le partageaient pas ; ils adoptaient cette maxime, car eux aussi avaient des maximes, que peu importait que les femmes, les enfants et les vieillards mourussent, pourvu que les hommes qui devaient défendre leurs murailles restassent forts et bien portants. Jusque-là, soit dévouement, soit impuissance de réagir contre elle, cette maxime, sans être généralement adoptée, était cependant passée de la théorie à la pratique ; mais les billets vinrent y porter atteinte. Les billets rappelaient aux hommes que ces enfants, ces femmes, ces vieillards qu’on laissait mourir étaient leurs fils, leurs épouses et leurs pères ; qu’il serait plus juste que chacun fût réduit à la misère commune, afin qu’une même position fît prendre des résolutions unanimes.

Ces billets firent tout l’effet qu’en pouvait attendre celui qui les avait écrits, en ce qu’ils déterminèrent un grand nombre d’habitants à ouvrir des négociations particulières avec l’armée royale.

Mais au moment où le cardinal voyait déjà fructifier son moyen et s’applaudissait de l’avoir mis en usage, un habitant de La Rochelle, qui avait pu passer à travers les lignes royales, Dieu sait comment, tant était grande la surveillance de Bassompierre, de Schomberg et du duc d’Angoulême, surveillés eux-mêmes par le cardinal, un habitant de La Rochelle, disons-nous, entra dans la ville, venant de Portsmouth et disant qu’il avait vu une flotte magnifique prête à mettre à la voile avant huit jours. De plus, Buckingham annonçait au maire qu’enfin la grande ligue contre la France allait se déclarer, et que le royaume allait être envahi à la fois par les armées anglaises, impériales et espagnoles. Cette lettre fut lue publiquement sur toutes les places, on en afficha des copies aux angles des rues, et ceux-là mêmes qui avaient commencé d’ouvrir des négociations les interrompirent, résolus d’attendre ce secours si pompeusement annoncé.

Cette circonstance inattendue rendit à Richelieu ses inquiétudes premières, et le força malgré lui à tourner de nouveau les yeux de l’autre côté de la mer.

Pendant ce temps, exempte des inquiétudes de son seul et véritable chef, l’armée royale menait joyeuse vie ; les vivres ne manquaient pas au camp, ni l’argent non plus ; tous les corps rivalisaient d’audace et de gaieté. Prendre des espions et les pendre, faire des expéditions hasardeuses sur la digue ou sur la mer, imaginer des folies, les exécuter froidement, tel était le passe-temps qui faisait trouver courts à l’armée ces jours si longs, non seulement pour les Rochelois, rongés par la famine et l’anxiété, mais encore pour le cardinal qui les bloquait si vivement.

Quelquefois, quand le cardinal, toujours chevauchant comme le dernier gendarme de l’armée, promenait son regard pensif sur ces ouvrages, si lents au gré de son désir, qu’élevaient sous son ordre les ingénieurs qu’il faisait venir de tous les coins du royaume de France, s’il rencontrait un mousquetaire de la compagnie de Tréville, il s’approchait de lui, le regardait d’une façon singulière, et ne le reconnaissant pas pour un de nos quatre compagnons, il laissait aller ailleurs son regard profond et sa vaste pensée.

Un jour où, rongé d’un mortel ennui, sans espérance dans les négociations avec la ville, sans nouvelles d’Angleterre, le cardinal était sorti sans autre but que de sortir, accompagné seulement de Cahusac et de La Houdinière, longeant les grèves et mêlant l’immensité de ses rêves à l’immensité de l’Océan, il arriva au petit pas de son cheval sur une colline du haut de laquelle il aperçut derrière une haie, couchés sur le sable et prenant au passage un de ces rayons de soleil si rares à cette époque de l’année, sept hommes entourés de bouteilles vides. Quatre de ces hommes étaient nos mousquetaires s’apprêtant à écouter la lecture d’une lettre que l’un d’eux venait de recevoir. Cette lettre était si importante, qu’elle avait fait abandonner sur un tambour des cartes et des dés.

Les trois autres s’occupaient à décoiffer une énorme dame-jeanne de vin de Collioure ; c’étaient les laquais de ces messieurs.

Le cardinal, comme nous l’avons dit, était de sombre humeur, et rien, quand il était dans cette situation d’esprit, ne redoublait sa maussaderie comme la gaieté des autres. D’ailleurs, il avait une préoccupation étrange, c’était de croire toujours que les causes mêmes de sa tristesse excitaient la gaieté des étrangers. Faisant signe à La Houdinière et à Cahusac de s’arrêter, il descendit de cheval et s’approcha de ces rieurs suspects, espérant qu’à l’aide du sable qui assourdissait ses pas, et de la haie qui voilait sa marche, il pourrait entendre quelques mots de cette conversation qui lui paraissait si intéressante ; à dix pas de la haie seulement il reconnut le babil gascon de d’Artagnan, et comme il savait déjà que ces hommes étaient des mousquetaires, il ne douta pas que les trois autres ne fussent ceux qu’on appelait les inséparables, c’est-à-dire Athos, Porthos et Aramis.

On juge si son désir d’entendre la conversation s’augmenta de cette découverte ; ses yeux prirent une expression étrange, et d’un pas de chat-tigre il s’avança vers la haie ; mais il n’avait pu saisir encore que des syllabes vagues et sans aucun sens positif, lorsqu’un cri sonore et bref le fit tressaillir et attira l’attention des mousquetaires.

— Officier ! cria Grimaud.

— Vous parlez, je crois, drôle, dit Athos se soulevant sur un coude et fascinant Grimaud de son regard flamboyant.

Aussi Grimaud n’ajouta-t-il point une parole, se contentant de tendre le doigt indicateur dans la direction de la haie et dénonçant par ce geste le cardinal et son escorte.

D’un seul bond les quatre mousquetaires furent sur pied et saluèrent avec respect.

Le cardinal semblait furieux.

— Il paraît qu’on se fait garder chez messieurs les mousquetaires ! dit-il. Est-ce que l’Anglais vient par terre, ou serait-ce que les mousquetaires se regardent comme des officiers supérieurs ?

— Monseigneur, répondit Athos, car au milieu de l’effroi général lui seul avait conservé ce calme et ce sang-froid de grand seigneur qui ne le quittaient jamais, monseigneur, les mousquetaires, lorsqu’ils ne sont pas de service, ou que leur service est fini, boivent et jouent aux dés, et ils sont des officiers très supérieurs pour leurs laquais.

— Des laquais ! grommela le cardinal, des laquais qui ont la consigne d’avertir leurs maîtres quand passe quelqu’un, ce ne sont point des laquais, ce sont des sentinelles.

— Son Éminence voit bien cependant que si nous n’avions point pris cette précaution, nous étions exposés à la laisser passer sans lui présenter nos respects et lui offrir nos remerciements pour la grâce qu’elle nous a faite de nous réunir. D’Artagnan, continua Athos, vous qui tout à l’heure demandiez cette occasion d’exprimer votre reconnaissance à monseigneur, la voici venue, profitez-en.

Ces mots furent prononcés avec ce flegme imperturbable qui distinguait Athos dans les heures du danger, et cette excessive politesse qui faisait de lui dans certains moments un roi plus majestueux que les rois de naissance.

D’Artagnan s’approcha et balbutia quelques paroles de remerciements, qui bientôt expirèrent sous le regard assombri du cardinal.

— N’importe, messieurs, continua le cardinal sans paraître le moins du monde détourné de son intention première par l’incident qu’Athos avait soulevé ; n’importe, messieurs, je n’aime pas que de simples soldats, parce qu’ils ont l’avantage de servir dans un corps privilégié, fassent ainsi les grands seigneurs, et la discipline est la même pour eux que pour tout le monde.

Athos laissa le cardinal achever parfaitement sa phrase et, s’inclinant en signe d’assentiment, il reprit à son tour :

— La discipline, monseigneur, n’a en aucune façon, je l’espère, été oubliée par nous. Nous ne sommes pas de service, et nous avons cru que, n’étant pas de service, nous pouvions disposer de notre temps comme bon nous semblait. Si nous sommes assez heureux pour que Son Éminence ait quelque ordre particulier à nous donner, nous sommes prêts à lui obéir. Monseigneur voit, continua Athos en fronçant le sourcil, car cette espèce d’interrogatoire commençait à l’impatienter, que, pour être prêts à la moindre alerte, nous sommes sortis avec nos armes.

Et il montra du doigt au cardinal les quatre mousquets en faisceau près du tambour sur lequel étaient les cartes et les dés.

— Que Votre Éminence veuille croire, ajouta d’Artagnan, que nous nous serions portés au-devant d’elle si nous eussions pu supposer que c’était elle qui venait vers nous en si petite compagnie.

Le cardinal se mordait les moustaches et un peu les lèvres.

— Savez-vous de quoi vous avez l’air, toujours ensemble, comme vous voilà, armés comme vous êtes, et gardés par vos laquais ? dit le cardinal, vous avez l’air de quatre conspirateurs.

— Oh ! quant à ceci, monseigneur, c’est vrai, dit Athos, et nous conspirons, comme Votre Éminence a pu le voir l’autre matin, seulement c’est contre les Rochelais.

— Eh ! messieurs les politiques, reprit le cardinal en fronçant le sourcil à son tour, on trouverait peut-être dans vos cervelles le secret de bien des choses qui sont ignorées, si on pouvait y lire comme vous lisiez dans cette lettre que vous avez cachée quand vous m’avez vu venir.

Le rouge monta à la figure d’Athos, il fit un pas vers Son Éminence.

— On dirait que vous nous soupçonnez réellement, monseigneur, et que nous subissons un véritable interrogatoire ; s’il en est ainsi, que Votre Éminence daigne s’expliquer, et nous saurons du moins à quoi nous en tenir.

— Et quand cela serait un interrogatoire, reprit le cardinal, d’autres que vous en ont subi, monsieur Athos, et y ont répondu.

— Aussi, monseigneur, ai-je dit à Votre Éminence qu’elle n’avait qu’à questionner, et que nous étions prêts à répondre.

— Quelle était cette lettre que vous alliez lire, monsieur Aramis, et que vous avez cachée ?

— Une lettre de femme, monseigneur.

— Oh ! je conçois, dit le cardinal, il faut être discret pour ces sortes de lettres ; mais cependant on peut les montrer à un confesseur, et, vous le savez, j’ai reçu les ordres.

— Monseigneur, dit Athos avec un calme d’autant plus terrible qu’il jouait sa tête en faisant cette réponse, la lettre est d’une femme, mais elle n’est signée ni Marion de Lorme, ni madame d’Aiguillon.

Le cardinal devint pâle comme la mort, un éclair fauve sortit de ses yeux ; il se retourna comme pour donner un ordre à Cahusac et à La Houdinière. Athos vit le mouvement ; il fit un pas vers les mousquetons, sur lesquels les trois amis avaient les yeux fixés en hommes mal disposés à se laisser arrêter. Le cardinal était, lui, troisième ; les mousquetaires, y compris les laquais, étaient sept : il jugea que la partie serait d’autant moins égale, qu’Athos et ses compagnons conspiraient réellement ; et, par un de ces retours rapides qu’il tenait toujours à sa disposition, toute sa colère se fondit dans un sourire.

— Allons, allons ! dit-il, vous êtes de braves jeunes gens, fiers au soleil, fidèles dans l’obscurité ; il n’y a pas de mal à veiller sur soi quand on veille si bien sur les autres ; messieurs, je n’ai point oublié la nuit où vous m’avez servi d’escorte pour aller au Colombier-Rouge ; s’il y avait quelque danger à craindre sur la route que je vais suivre, je vous prierais de m’accompagner ; mais, comme il n’y en a pas, restez où vous êtes, achevez vos bouteilles, votre partie et votre lettre. Adieu, messieurs.

Et, remontant sur son cheval, que Cahusac lui avait amené, il les salua de la main et s’éloigna.

Les quatre jeunes gens, debout et immobiles, le suivirent des yeux sans dire un seul mot jusqu’à ce qu’il eût disparu.

Puis ils se regardèrent.

Tous avaient la figure consternée, car malgré l’adieu amical de Son Éminence, ils comprenaient que le cardinal s’en allait la rage dans le cœur.

Athos seul souriait d’un sourire puissant et dédaigneux. Quand le cardinal fut hors de la portée de la voix et de la vue :

— Ce Grimaud a crié bien tard ! dit Porthos, qui avait grande envie de faire tomber sa mauvaise humeur sur quelqu’un.

Grimaud allait répondre pour s’excuser. Athos leva le doigt et Grimaud se tut.

— Auriez-vous rendu la lettre, Aramis ? dit d’Artagnan.

— Moi, dit Aramis de sa voix la plus flûtée, j’étais décidé : s’il avait exigé que la lettre lui fût remise, je lui présentais la lettre d’une main, et de l’autre je lui passais mon épée au travers du corps.

— Je m’y attendais bien, dit Athos ; voilà pourquoi je me suis jeté entre vous et lui. En vérité, cet homme est bien imprudent de parler ainsi à d’autres hommes ; on dirait qu’il n’a jamais eu affaire qu’à des femmes et à des enfants.

— Mon cher Athos, dit d’Artagnan, je vous admire, mais cependant nous étions dans notre tort, après tout.

— Comment, dans notre tort ! reprit Athos. À qui donc cet air que nous respirons ? À qui cet Océan sur lequel s’étendent nos regards ? À qui ce sable sur lequel nous étions couchés ? À qui cette lettre de votre maîtresse ? Est-ce au cardinal ? Sur mon honneur, cet homme se figure que le monde lui appartient : vous étiez là, balbutiant, stupéfait, anéanti ; on eût dit que la Bastille se dressait devant vous et que la gigantesque Méduse vous changeait en pierre. Est-ce que c’est conspirer, voyons, que d’être amoureux ? Vous êtes amoureux d’une femme que le cardinal a fait enfermer, vous voulez la tirer des mains du cardinal ; c’est une partie que vous jouez avec Son Éminence : cette lettre c’est votre jeu ; pourquoi montreriez-vous votre jeu à votre adversaire ? cela ne se fait pas. Qu’il le devine, à la bonne heure ! nous devinons bien le sien, nous !

— Au fait, dit d’Artagnan, c’est plein de sens, ce que vous dites là, Athos.

— En ce cas, qu’il ne soit plus question de ce qui vient de se passer, et qu’Aramis reprenne la lettre de sa cousine où M. le cardinal l’a interrompue.

Aramis tira la lettre de sa poche, les trois amis se rapprochèrent de lui, et les trois laquais se groupèrent de nouveau auprès de la dame-jeanne.

— Vous n’aviez lu qu’une ligne ou deux, dit d’Artagnan, reprenez donc la lettre à partir du commencement.

— Volontiers, dit Aramis.

« Mon cher cousin, je crois bien que je me déciderai à partir pour Stenay, où ma sœur a fait entrer notre petite servante dans le couvent des Carmélites ; cette pauvre enfant s’est résignée, elle sait qu’elle ne peut vivre autre part sans que le salut de son âme soit en danger. Cependant, si les affaires de notre famille s’arrangent comme nous le désirons, je crois qu’elle courra le risque de se damner, et qu’elle reviendra près de ceux qu’elle regrette, d’autant plus qu’elle sait qu’on pense toujours à elle. En attendant, elle n’est pas trop malheureuse : tout ce qu’elle désire c’est une lettre de son prétendu. Je sais bien que ces sortes de denrées passent difficilement par les grilles ; mais, après tout, comme je vous en ai donné des preuves, mon cher cousin, je ne suis pas trop maladroite et je me chargerai de cette commission. Ma sœur vous remercie de votre bon et éternel souvenir. Elle a eu un instant de grande inquiétude ; mais enfin elle est quelque peu rassurée maintenant, ayant envoyé son commis là-bas afin qu’il ne s’y passe rien d’imprévu.

« Adieu, mon cher cousin, donnez-nous de vos nouvelles le plus souvent que vous pourrez, c’est-à-dire toutes les fois que vous croirez pouvoir le faire sûrement. Je vous embrasse.

« Marie Michon. »

— Oh ! que ne vous dois-je pas, Aramis ? s’écria d’Artagnan. Chère Constance ! j’ai donc enfin de ses nouvelles ; elle vit, elle est en sûreté dans un couvent, elle est à Stenay ! Où prenez-vous Stenay, Athos ?

— Mais à quelques lieues des frontières ; une fois le siège levé, nous pourrons aller faire un tour de ce côté.

— Et ce ne sera pas long, il faut l’espérer, dit Porthos, car on a, ce matin, pendu un espion, lequel a déclaré que les Rochelais en étaient aux cuirs de leurs souliers. En supposant qu’après avoir mangé le cuir ils mangent la semelle, je ne vois pas trop ce qui leur restera après, à moins de se manger les uns les autres.

— Pauvres sots ! dit Athos en vidant un verre d’excellent vin de Bordeaux, qui, sans avoir à cette époque la réputation qu’il a aujourd’hui, ne la méritait pas moins ; pauvres sots ! comme si la religion catholique n’était pas la plus avantageuse et la plus agréable des religions ! C’est égal, reprit-il après avoir fait claquer sa langue contre son palais, ce sont de braves gens. Mais que diable faites-vous donc, Aramis ? continua Athos ; vous serrez cette lettre dans votre poche ?

— Oui, dit d’Artagnan, Athos a raison, il faut la brûler ; encore la brûler, qui sait si M. le cardinal n’a pas un secret pour interroger les cendres ?

— Il doit en avoir un, dit Athos.

— Mais que voulez-vous faire de cette lettre ? demanda Porthos.

— Venez ici, Grimaud, dit Athos.

Grimaud se leva et obéit.

— Pour vous punir d’avoir parlé sans permission, mon ami, vous allez manger ce morceau de papier, puis, pour vous récompenser du service que vous nous aurez rendu, vous boirez ensuite ce verre de vin ; voici la lettre d’abord, mâchez avec énergie.

Grimaud sourit, et, les yeux fixés sur le verre qu’Athos venait de remplir bord à bord, il broya le papier et l’avala.

— Bravo, maître Grimaud ! dit Athos, et maintenant prenez ceci ; bien, je vous dispense de dire merci.

Grimaud avala silencieusement le verre de vin de Bordeaux, mais ses yeux levés au ciel parlaient, pendant tout le temps que dura cette douce occupation, un langage qui, pour être muet, n’en était pas moins expressif.

— Et maintenant, dit Athos, à moins que M. le cardinal n’ait l’ingénieuse idée de faire ouvrir le ventre à Grimaud, je crois que nous pouvons être à peu près tranquilles.

Pendant ce temps, Son Éminence continuait sa promenade mélancolique en murmurant entre ses moustaches :

— Décidément, il faut que ces quatre hommes soient à moi.

PREMIERE JOURNÉE DE CAPTIVITÉ

Revenons à milady, qu’un regard jeté sur les côtes de France nous a fait perdre de vue un instant.

Nous la retrouverons dans la position désespérée où nous l’avons laissée, se creusant un abîme de sombres réflexions, sombre enfer à la porte duquel elle a presque laissé l’espérance : car pour la première fois elle doute, pour la première fois elle craint.

Dans deux occasions sa fortune lui a manqué, dans deux occasions elle s’est vue découverte et trahie, et dans ces deux occasions, c’est contre le génie fatal envoyé sans doute par le Seigneur pour la combattre qu’elle a échoué : d’Artagnan l’a vaincue, elle, cette invincible puissance du mal.

Il l’a abusée dans son amour, humiliée dans son orgueil, trompée dans son ambition, et maintenant voilà qu’il la perd dans sa fortune, qu’il l’atteint dans sa liberté, qu’il la menace même dans sa vie. Bien plus, il a levé un coin de son masque, cette égide dont elle se couvre et qui la rend si forte.

D’Artagnan a détourné de Buckingham, qu’elle hait, comme elle hait tout ce qu’elle a aimé, la tempête dont le menaçait Richelieu dans la personne de la reine. D’Artagnan s’est fait passer pour de Wardes, pour lequel elle avait une de ces fantaisies de tigresse, indomptables comme en ont les femmes de ce caractère. D’Artagnan connaît ce terrible secret qu’elle a juré que nul ne connaîtrait sans mourir. Enfin, au moment où elle vient d’obtenir un blanc-seing à l’aide duquel elle va se venger de son ennemi, le blanc-seing lui est arraché des mains, et c’est d’Artagnan qui la tient prisonnière et qui va l’envoyer dans quelque immonde Botany-Bay, dans quelque Tyburn infâme de l’océan Indien.

Car tout cela lui vient de d’Artagnan sans doute ; de qui viendraient tant de hontes amassées sur sa tête, sinon de lui ? Lui seul a pu transmettre à lord de Winter tous ces affreux secrets, qu’il a découverts les uns après les autres par une sorte de fatalité. Il connaît son beau-frère, il lui aura écrit.

Que de haine elle distille ! Là, immobile, et les yeux ardents et fixes dans son appartement désert, comme les éclats de ses rugissements sourds, qui parfois s’échappent avec sa respiration du fond de sa poitrine, accompagnent bien le bruit de la houle qui monte, gronde, mugit et vient se briser, comme un désespoir éternel et impuissant, contre les rochers sur lesquels est bâti ce château sombre et orgueilleux ! Comme, à la lueur des éclairs que sa colère orageuse fait briller dans son esprit, elle conçoit contre madame Bonacieux, contre Buckingham, et surtout contre d’Artagnan, de magnifiques projets de vengeance, perdus dans les lointains de l’avenir !

Oui, mais pour se venger il faut être libre, et pour être libre, quand on est prisonnier, il faut percer un mur, desceller des barreaux, trouer un plancher ; toutes entreprises que peut mener à bout un homme patient et fort mais devant lesquelles doivent échouer les irritations fébriles d’une femme. D’ailleurs, pour faire tout cela il faut avoir le temps, des mois, des années, et elle… elle a dix ou douze jours, à ce que lui a dit lord de Winter, son fraternel et terrible geôlier.

Et cependant, si elle était un homme, elle tenterait tout cela, et peut-être réussirait-elle : pourquoi donc le ciel s’est-il ainsi trompé, en mettant cette âme virile dans ce corps frêle et délicat !

Aussi les premiers moments de la captivité ont été terribles : quelques convulsions de rage qu’elle n’a pu vaincre ont payé sa dette de faiblesse féminine à la nature. Mais peu à peu elle a surmonté les éclats de sa folle colère, les frémissements nerveux qui ont agité son corps ont disparu, et maintenant elle s’est repliée sur elle-même comme un serpent fatigué qui se repose.

— Allons, allons, j’étais folle de m’emporter ainsi, dit-elle en plongeant dans la glace, qui reflète dans ses yeux son regard brûlant, par lequel elle semble s’interroger elle-même. Pas de violence, la violence est une preuve de faiblesse. D’abord je n’ai jamais réussi par ce moyen : peut-être, si j’usais de ma force contre des femmes, aurais-je chance de les trouver plus faibles encore que moi, et par conséquent de les vaincre ; mais c’est contre des hommes que je lutte, et je ne suis qu’une femme pour eux. Luttons en femme, ma force est dans ma faiblesse.

Alors, comme pour se rendre compte à elle-même des changements qu’elle pouvait imposer à sa physionomie si expressive et si mobile, elle lui fit prendre à la fois toutes les expressions, depuis celle de la colère qui crispait ses traits, jusqu’à celle du plus doux, du plus affectueux et du plus séduisant sourire. Puis ses cheveux prirent successivement sous ses mains savantes les ondulations qu’elle crut pouvoir aider aux charmes de son visage. Enfin elle murmura, satisfaite d’elle-même :

— Allons, rien n’est perdu. Je suis toujours belle.

Il était huit heures du soir à peu près. Milady aperçut un lit ; elle pensa qu’un repos de quelques heures rafraîchirait non seulement sa tête et ses idées, mais encore son teint. Cependant, avant de se coucher, une idée meilleure lui vint. Elle avait entendu parler de souper. Déjà elle était depuis une heure dans cette chambre, on ne pouvait tarder à lui apporter son repas. La prisonnière ne voulut pas perdre de temps, et elle résolut de faire, dès cette même soirée, quelque tentative pour sonder le terrain, en étudiant le caractère des gens auxquels sa garde était confiée.

Une lumière apparut sous la porte ; cette lumière annonçait le retour de ses geôliers. Milady, qui s’était levée, se rejeta vivement sur son fauteuil, la tête renversée en arrière, ses beaux cheveux dénoués et épars, sa gorge demi-nue sous ses dentelles froissées, une main sur son cœur et l’autre pendante.

On ouvrit les verrous, la porte grinça sur ses gonds, des pas retentirent dans la chambre et s’approchèrent.

— Posez là cette table, dit une voix que la prisonnière reconnut pour celle de Felton.

L’ordre fut exécuté.

— Vous apporterez des flambeaux et ferez relever la sentinelle, continua Felton.

Ce double ordre que donna aux mêmes individus le jeune lieutenant prouva à milady que ses serviteurs étaient les mêmes hommes que ses gardiens, c’est-à-dire des soldats.

Les ordres de Felton étaient, au reste, exécutés avec une silencieuse rapidité qui donnait une bonne idée de l’état florissant dans lequel il maintenait la discipline.

Enfin, Felton, qui n’avait pas encore regardé milady, se retourna vers elle.

— Ah ! ah ! dit-il, elle dort, c’est bien : à son réveil elle soupera.

Et il fit quelques pas pour sortir.

— Mais, mon lieutenant, dit un soldat moins stoïque que son chef, et qui s’était approché de milady, cette femme ne dort pas.

— Comment, elle ne dort pas ? dit Felton, que fait-elle donc, alors ?

— Elle est évanouie ; son visage est très pâle, et j’ai beau écouter, je n’entends pas sa respiration.

— Vous avez raison, dit Felton après avoir regardé milady de la place où il se trouvait, sans faire un pas vers elle, allez prévenir lord de Winter que sa prisonnière est évanouie, car je ne sais que faire, le cas n’ayant pas été prévu.

Le soldat sortit pour obéir aux ordres de son officier ; Felton s’assit sur un fauteuil qui se trouvait par hasard près de la porte et attendit sans dire une parole, sans faire un geste. Milady possédait ce grand art, tant étudié par les femmes, de voir à travers ses longs cils sans avoir l’air d’ouvrir les paupières : elle aperçut Felton qui lui tournait le dos, elle continua de le regarder pendant dix minutes à peu près, et pendant ces dix minutes, l’impassible gardien ne se retourna pas une seule fois.

Elle songea alors que lord de Winter allait venir et rendre, par sa présence, une nouvelle force à son geôlier : sa première épreuve était perdue, elle en prit son parti en femme qui compte sur ses ressources ; en conséquence elle leva la tête, ouvrit les yeux et soupira faiblement.

À ce soupir, Felton se retourna enfin.

— Ah ! vous voici réveillée, madame ! dit-il, je n’ai donc plus affaire ici ! Si vous avez besoin de quelque chose, vous appellerez.

— Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! que j’ai souffert ! murmura milady avec cette voix harmonieuse qui, pareille à celle des enchanteresses antiques, charmait tous ceux qu’elle voulait perdre.

Et elle prit en se redressant sur son fauteuil une position plus gracieuse et plus abandonnée encore que celle qu’elle avait lorsqu’elle était couchée.

Felton se leva.

— Vous serez servie ainsi trois fois par jour, madame, dit-il : le matin à neuf heures, dans la journée à une heure, et le soir à huit heures. Si cela ne vous convient pas, vous pouvez indiquer vos heures au lieu de celles que je vous propose, et, sur ce point, on se conformera à vos désirs.

— Mais vais-je donc rester toujours seule dans cette grande et triste chambre ? demanda milady.

— Une femme des environs a été prévenue, elle sera demain au château, et viendra toutes les fois que vous désirerez sa présence.

— Je vous rends grâce, monsieur, répondit humblement la prisonnière.

Felton fit un léger salut et se dirigea vers la porte. Au moment où il allait en franchir le seuil, lord de Winter parut dans le corridor, suivi du soldat qui était allé lui porter la nouvelle de l’évanouissement de milady. Il tenait à la main un flacon de sels.

— Eh bien ! qu’est-ce ? et que se passe-t-il donc ici ? dit-il d’une voix railleuse en voyant sa prisonnière debout et Felton prêt à sortir. Cette morte est-elle donc déjà ressuscitée ? Pardieu, Felton, mon enfant, tu n’as donc pas vu qu’on te prenait pour un novice et qu’on te jouait le premier acte d’une comédie dont nous aurons sans doute le plaisir de suivre tous les développements ?

— Je l’ai bien pensé, milord, dit Felton ; mais, enfin, comme la prisonnière est femme, après tout, j’ai voulu avoir les égards que tout homme bien né doit à une femme, sinon pour elle, du moins pour lui-même.

Milady frissonna par tout son corps. Ces paroles de Felton passaient comme une glace par toutes ses veines.

— Ainsi, reprit de Winter en riant, ces beaux cheveux savamment étalés, cette peau blanche et ce langoureux regard ne t’ont pas encore séduit, cœur de pierre ?

— Non, milord, répondit l’impassible jeune homme, et croyez-moi bien, il faut plus que des manèges et des coquetteries de femme pour me corrompre.

— En ce cas, mon brave lieutenant, laissons milady chercher autre chose et allons souper ; ah ! sois tranquille, elle a l’imagination féconde et le second acte de la comédie ne tardera pas à suivre le premier.

Et à ces mots lord de Winter passa son bras sous celui de Felton et l’emmena en riant.

— Oh ! je trouverai bien ce qu’il te faut, murmura milady entre ses dents ; sois tranquille, pauvre moine manqué, pauvre soldat converti qui t’es taillé ton uniforme dans un froc.

— À propos, reprit de Winter en s’arrêtant sur le seuil de la porte, il ne faut pas, milady, que cet échec vous ôte l’appétit. Tâtez de ce poulet et de ces poissons que je n’ai pas fait empoisonner, sur l’honneur. Je m’accommode assez de mon cuisinier, et comme il ne doit pas hériter de moi, j’ai en lui pleine et entière confiance. Faites comme moi. Adieu, chère sœur ! à votre prochain évanouissement.

C’était tout ce que pouvait supporter milady : ses mains se crispèrent sur son fauteuil, ses dents grincèrent sourdement, ses yeux suivirent le mouvement de la porte qui se fermait derrière lord de Winter et Felton ; et, lorsqu’elle se vit seule, une nouvelle crise de désespoir la prit ; elle jeta les yeux sur la table, vit briller un couteau, s’élança et le saisit ; mais son désappointement fut cruel : la lame en était ronde et d’argent flexible.

Un éclat de rire retentit derrière la porte mal fermée, et la porte se rouvrit.

— Ah ! ah ! s’écria lord de Winter ; ah ! ah ! vois-tu bien, mon brave Felton, vois-tu ce que je t’avais dit : ce couteau, c’était pour toi ; mon enfant, elle t’aurait tué ; vois-tu, c’est un de ses travers, de se débarrasser ainsi, d’une façon ou de l’autre, des gens qui la gênent. Si je t’eusse écouté, le couteau eût été pointu et d’acier : alors plus de Felton, elle t’aurait égorgé et, après toi, tout le monde. Vois donc, John, comme elle sait bien tenir son couteau.

En effet, milady tenait encore l’arme offensive dans sa main crispée, mais ces derniers mots, cette suprême insulte, détendirent ses mains, ses forces et jusqu’à sa volonté.

Le couteau tomba par terre.

— Vous avez raison, milord, dit Felton avec un accent de profond dégoût qui retentit jusqu’au fond du cœur de milady, vous avez raison et c’est moi qui avais tort.

Et tous deux sortirent de nouveau.

Mais cette fois, milady prêta une oreille plus attentive que la première fois, et elle entendit leurs pas s’éloigner et s’éteindre dans le fond du corridor.

— Je suis perdue, murmura-t-elle, me voilà au pouvoir de gens sur lesquels je n’aurai pas plus de prise que sur des statues de bronze ou de granit ; ils me savent par cœur et sont cuirassés contre toutes mes armes.

Il est cependant impossible que cela finisse comme ils l’ont décidé.

En effet, comme l’indiquait cette dernière réflexion, ce retour instinctif à l’espérance, dans cette âme profonde la crainte et les sentiments faibles ne surnageaient pas longtemps. Milady se mit à table, mangea de plusieurs mets, but un peu de vin d’Espagne, et sentit revenir toute sa résolution.

Avant de se coucher elle avait déjà commenté, analysé, retourné sur toutes leurs faces, examiné sous tous les points, les paroles, les pas, les gestes, les signes et jusqu’au silence de ses geôliers, et de cette étude profonde, habile et savante, il était résulté que Felton était, à tout prendre, le plus vulnérable de ses deux persécuteurs.

Un mot surtout revenait à l’esprit de la prisonnière :

— Si je t’eusse écouté, avait dit lord de Winter à Felton.

Donc Felton avait parlé en sa faveur, puisque lord de Winter n’avait pas voulu écouter Felton.

— Faible ou forte, répétait milady, cet homme a donc une lueur de pitié dans son âme ; de cette lueur je ferai un incendie qui le dévorera.

Quant à l’autre, il me connaît, il me craint et sait ce qu’il a à attendre de moi si jamais je m’échappe de ses mains, il est donc inutile de rien tenter sur lui.

Mais Felton, c’est autre chose ; c’est un jeune homme naïf, pur et qui semble vertueux ; celui-là, il y a moyen de le perdre.

Et milady se coucha et s’endormit le sourire sur les lèvres ; quelqu’un qui l’eût vue dormant eût dit une jeune fille rêvant à la couronne de fleurs qu’elle devait mettre sur son front à la prochaine fête.

DEUXIÈME JOURNÉE DE CAPTIVITÉ

Milady rêvait qu’elle tenait enfin d’Artagnan, qu’elle assistait à son supplice, et c’était la vue de son sang odieux, coulant sous la hache du bourreau, qui dessinait ce charmant sourire sur les lèvres.

Elle dormait comme dort un prisonnier bercé par sa première espérance.

Le lendemain, lorsqu’on entra dans sa chambre, elle était encore au lit. Felton était dans le corridor : il amenait la femme dont il avait parlé la veille, et qui venait d’arriver ; cette femme entra et s’approcha du lit de milady en lui offrant ses services.

Milady était habituellement pâle ; son teint pouvait donc tromper une personne qui la voyait pour la première fois.

— J’ai la fièvre, dit-elle ; je n’ai pas dormi un seul instant pendant toute cette longue nuit, je souffre horriblement : serez-vous plus humaine qu’on ne l’a été hier avec moi ? Tout ce que je demande, au reste, c’est la permission de rester couchée.

— Voulez-vous qu’on appelle un médecin ? dit la femme.

Felton écoutait ce dialogue sans dire une parole.

Milady réfléchissait que plus on l’entourerait de monde, plus elle aurait de monde à apitoyer, et plus la surveillance de lord de Winter redoublerait ; d’ailleurs le médecin pourrait déclarer que la maladie était feinte, et milady après avoir perdu la première partie ne voulait pas perdre la seconde.

— Aller chercher un médecin, dit-elle, à quoi bon ? Ces messieurs ont déclaré hier que mon mal était une comédie, il en serait sans doute de même aujourd’hui ; car depuis hier soir, on a eu le temps de prévenir le docteur.

— Alors, dit Felton impatienté, dites vous-même, madame, quel traitement vous voulez suivre.

— Eh ! le sais-je, moi, mon Dieu ? je sens que je souffre, voilà tout, que l’on me donne ce que l’on voudra, peu m’importe.

— Allez chercher lord de Winter, dit Felton fatigué de ces plaintes éternelles.

— Oh ! non, non ! s’écria milady, non, monsieur, ne l’appelez pas, je vous en conjure, je suis bien, je n’ai besoin de rien, ne l’appelez pas.

Elle mit une véhémence si prodigieuse, une éloquence si entraînante dans cette exclamation, que Felton, entraîné, fit quelques pas dans la chambre.

— Il est ému, pensa milady.

— Cependant, madame, dit Felton, si vous souffrez réellement, on enverra chercher un médecin, et si vous nous trompez, eh bien, ce sera tant pis pour vous, mais du moins, de notre côté, nous n’aurons rien à nous reprocher.

Milady ne répondit point ; mais renversant sa belle tête sur son oreiller, elle fondit en larmes et éclata en sanglots.

Felton la regarda un instant avec son impassibilité ordinaire ; puis voyant que la crise menaçait de se prolonger, il sortit ; la femme le suivit. Lord de Winter ne parut pas.

— Je crois que je commence à voir clair, murmura milady avec une joie sauvage, en s’ensevelissant sous les draps pour cacher à tous ceux qui pourraient l’épier cet élan de satisfaction intérieure.

Deux heures s’écoulèrent.

— Maintenant il est temps que la maladie cesse, dit-elle : levons-nous et obtenons quelque succès dès aujourd’hui ; je n’ai que dix jours, et ce soir il y en aura deux d’écoulés.

En entrant, le matin, dans la chambre de milady, on lui avait apporté son déjeuner ; or elle avait pensé qu’on ne tarderait pas à venir enlever la table, et qu’en ce moment elle reverrait Felton.

Milady ne se trompait pas. Felton reparut, et, sans faire attention si milady avait ou non touché au repas, fit un signe pour qu’on emportât hors de la chambre la table, que l’on apportait ordinairement toute servie.

Felton resta le dernier, il tenait un livre à la main.

Milady, couchée dans un fauteuil près de la cheminée, belle, pâle et résignée, ressemblait à une vierge sainte attendant le martyre.

Felton s’approcha d’elle et dit :

— Lord de Winter, qui est catholique comme vous, madame, a pensé que la privation des rites et des cérémonies de votre religion peut vous être pénible : il consent donc à ce que vous lisiez chaque jour l’ordinaire de votre messe, et voici un livre qui en contient le rituel.

À l’air dont Felton déposa ce livre sur la petite table près de laquelle était milady, au ton dont il prononça ces deux mots, votre messe, au sourire dédaigneux dont il les accompagna, milady leva la tête et regarda plus attentivement l’officier.

Alors, à cette coiffure sévère, à ce costume d’une simplicité exagérée, à ce front poli comme le marbre, mais dur et impénétrable comme lui, elle reconnut un de ces sombres puritains qu’elle avait rencontrés si souvent tant à la cour du roi Jacques qu’à celle du roi de France, où, malgré le souvenir de la Saint-Barthélemy, ils venaient parfois chercher un refuge.

Elle eut donc une de ces inspirations subites comme les gens de génie seuls en reçoivent dans les grandes crises, dans les moments suprêmes qui doivent décider de leur fortune ou de leur vie.

Ces deux mots : votre messe, et un simple coup d’œil jeté sur Felton, lui avaient en effet révélé toute l’importance de la réponse qu’elle allait faire.

Mais avec cette rapidité d’intelligence qui lui était particulière, cette réponse toute formulée se présenta sur ses lèvres :

— Moi ! dit-elle avec un accent de dédain monté à l’unisson de celui qu’elle avait remarqué dans la voix du jeune officier, moi, monsieur, ma messe ! lord de Winter, le catholique corrompu, sait bien que je ne suis pas de sa religion, et c’est un piège qu’il veut me tendre !

— Et de quelle religion êtes-vous donc, madame ? demanda Felton avec un étonnement que, malgré son empire sur lui-même, il ne put cacher entièrement.

— Je le dirai, s’écria milady avec une exaltation feinte, le jour où j’aurai assez souffert pour ma foi.

Le regard de Felton découvrit à milady toute l’étendue de l’espace qu’elle venait de s’ouvrir par cette seule parole.

Cependant le jeune officier demeura muet et immobile, son regard seul avait parlé.

— Je suis aux mains de mes ennemis, continua-t-elle avec ce ton d’enthousiasme qu’elle savait familier aux puritains ; eh bien, que mon Dieu me sauve ou que je périsse pour mon Dieu ! voilà la réponse que je vous prie de faire à lord de Winter. Et quant à ce livre, ajouta-t-elle en montrant le rituel du bout du doigt, mais sans le toucher, comme si elle eût dû être souillée par cet attouchement, vous pouvez le remporter et vous en servir pour vous-même, car sans doute vous êtes doublement complice de lord de Winter, complice dans sa persécution, complice dans son hérésie.

Felton ne répondit rien, prit le livre avec le même sentiment de répugnance qu’il avait déjà manifesté et se retira pensif. Lord de Winter vint vers les cinq heures du soir ; milady avait eu le temps pendant toute la journée de se tracer son plan de conduite ; elle le reçut en femme qui a déjà repris tous ses avantages.

— Il paraît, dit le baron en s’asseyant dans un fauteuil en face de celui qu’occupait milady et en étendant nonchalamment ses pieds sur le foyer, il paraît que nous avons fait une petite apostasie !

— Que voulez-vous dire, monsieur ?

— Je veux dire que depuis la dernière fois que nous nous sommes vus, nous avons changé de religion ; auriez-vous épousé un troisième mari protestant, par hasard ?

— Expliquez-vous, milord, reprit la prisonnière avec majesté, car je vous déclare que j’entends vos paroles, mais que je ne les comprends pas.

— Alors, c’est que vous n’avez pas de religion du tout ; j’aime mieux cela, reprit en ricanant lord de Winter.

— Il est certain que cela est plus selon vos principes, reprit froidement milady.

— Oh ! je vous avoue que cela m’est parfaitement égal.

— Oh ! vous n’avoueriez pas cette indifférence religieuse, milord, que vos débauches et vos crimes en feraient foi.

— Hein ! vous parlez de débauches, madame Messaline, vous parlez de crimes, lady Macbeth ! Ou j’ai mal entendu, ou vous êtes, pardieu, bien impudente.

— Vous parlez ainsi parce que vous savez qu’on nous écoute, monsieur, répondit froidement milady, et que vous voulez intéresser vos geôliers et vos bourreaux contre moi.

— Mes geôliers ! mes bourreaux ! Ouais, madame, vous le prenez sur un ton poétique, et la comédie d’hier tourne ce soir à la tragédie. Au reste, dans huit jours vous serez où vous devez être et ma tâche sera achevée.

— Tâche infâme ! tâche impie ! reprit milady avec l’exaltation de la victime qui provoque son juge.

— Je crois, ma parole d’honneur, dit de Winter en se levant, que la drôlesse devient folle. Allons, allons, calmez-vous, madame la puritaine, ou je vous fais mettre au cachot. Pardieu ! c’est mon vin d’Espagne qui vous monte à la tête, n’est-ce pas ? mais, soyez tranquille, cette ivresse-là n’est pas dangereuse et n’aura pas de suites.

Et lord de Winter se retira en jurant, ce qui à cette époque était une habitude toute cavalière.

Felton était en effet derrière la porte et n’avait pas perdu un mot de toute cette scène.

Milady avait deviné juste.

— Oui, va ! va ! dit-elle à son frère, les suites approchent, au contraire, mais tu ne les verras, imbécile, que lorsqu’il ne sera plus temps de les éviter.

Le silence se rétablit, deux heures s’écoulèrent ; on apporta le souper, et l’on trouva milady occupée à faire tout haut ses prières, prières qu’elle avait apprises d’un vieux serviteur de son second mari, puritain des plus austères. Elle semblait en extase et ne parut pas même faire attention à ce qui se passait autour d’elle. Felton fit signe qu’on ne la dérangeât point, et lorsque tout fut en état il sortit sans bruit avec les soldats.

milady savait qu’elle pouvait être épiée, elle continua donc ses prières jusqu’à la fin, et il lui sembla que le soldat qui était de sentinelle à sa porte ne marchait plus du même pas et paraissait écouter.

Pour le moment, elle n’en voulait pas davantage, elle se releva, se mit à table, mangea peu et ne but que de l’eau.

Une heure après on vint enlever la table, mais milady remarqua que cette fois Felton n’accompagnait point les soldats.

Il craignait donc de la voir trop souvent.

Elle se retourna vers le mur pour sourire, car il y avait dans ce sourire une telle expression de triomphe que ce seul sourire l’eût dénoncée.

Elle laissa encore s’écouler une demi-heure, et comme en ce moment tout faisait silence dans le vieux château, comme on n’entendait que l’éternel murmure de la houle, cette respiration immense de l’océan, de sa voix pure, harmonieuse et vibrante, elle commença le premier couplet de ce psaume alors en entière faveur près des puritains :

{{taille|Seigneur, si tu nous abandonnes,

C’est pour voir si nous sommes forts ;

Mais ensuite c’est toi qui donnes

De ta céleste main la palme à nos efforts.|90}}

Ces vers n’étaient pas excellents, il s’en fallait même de beaucoup ; mais, comme on le sait, les protestants ne se piquaient pas de poésie.

Tout en chantant, milady écoutait : le soldat de garde à sa porte s’était arrêté comme s’il eût été changé en pierre. Milady put donc juger de l’effet qu’elle avait produit.

Alors elle continua son chant avec une ferveur et un sentiment inexprimables ; il lui sembla que les sons se répandaient au loin sous les voûtes et allaient comme un charme magique adoucir le cœur de ses geôliers. Cependant il paraît que le soldat en sentinelle, zélé catholique sans doute, secoua le charme, car à travers la porte :

— Taisez-vous donc madame, dit-il, votre chanson est triste comme un De profundis, et si, outre l’agrément d’être en garnison ici, il faut encore y entendre de pareilles choses, ce sera à n’y point tenir.

— Silence ! dit alors une voix grave, que milady reconnut pour celle de Felton ; de quoi vous mêlez-vous, drôle ? Vous a-t-on ordonné d’empêcher cette femme de chanter ? Non. On vous a dit de la garder, de tirer sur elle si elle essayait de fuir. Gardez-la ; si elle fuit, tuez-la, mais ne changez rien à la consigne.

Une expression de joie indicible illumina le visage de milady, mais cette expression fut fugitive comme le reflet d’un éclair, et, sans paraître avoir entendu le dialogue dont elle n’avait pas perdu un mot, elle reprit en donnant à sa voix tout le charme, toute l’étendue et toute la séduction que le démon y avait mis :

Pour tant de pleurs et de misère,

Pour mon exil et pour mes fers,

J’ai ma jeunesse, ma prière,

Et Dieu, qui comptera les maux que j’ai soufferts.

Cette voix, d’une étendue inouïe et d’une passion sublime, donnait à la poésie rude et inculte de ces psaumes une magie et une expression que les puritains les plus exaltés trouvaient rarement dans les chants de leurs frères et qu’ils étaient forcés d’orner de toutes les ressources de leur imagination : Felton crut entendre chanter l’ange qui consolait les trois Hébreux dans la fournaise.

Milady continua :

Mais le jour de la délivrance

Viendra pour nous, Dieu juste et fort ;

Et s’il trompe notre espérance,

Il nous reste toujours le martyre et la mort.

Ce couplet, dans lequel la terrible enchanteresse s’efforça de mettre toute son âme, acheva de porter le désordre dans le cœur du jeune officier : il ouvrit brusquement la porte, et milady le vit apparaître pâle comme toujours, mais les yeux ardents et presque égarés.

— Pourquoi chantez-vous ainsi, dit-il, et avec une pareille voix ?

— Pardon, monsieur, dit milady avec douceur, j’oubliais que mes chants ne sont pas de mise dans cette maison. Je vous ai sans doute offensé dans vos croyances ; mais c’était sans le vouloir, je vous jure ; pardonnez-moi donc une faute qui est peut-être grande, mais qui certainement est involontaire.

Milady était si belle dans ce moment, l’extase religieuse dans laquelle elle semblait plongée donnait une telle expression à sa physionomie, que Felton, ébloui, crut voir l’ange que tout à l’heure il croyait seulement entendre.

— Oui, oui, répondit-il, oui ; vous troublez, vous agitez les gens qui habitent ce château.

Et le pauvre insensé ne s’apercevait pas lui-même de l’incohérence de ses discours, tandis que milady plongeait son œil de lynx au plus profond de son cœur.

— Je me tairai, dit milady en baissant les yeux avec toute la douceur qu’elle put donner à sa voix, avec toute la résignation qu’elle put imprimer à son maintien.

— Non, non, madame, dit Felton ; seulement, chantez moins haut, la nuit surtout.

Et à ces mots, Felton, sentant qu’il ne pourrait pas conserver longtemps sa sévérité à l’égard de la prisonnière, s’élança hors de son appartement.

— Vous avez bien fait, lieutenant, dit le soldat ; ces chants bouleversent l’âme ; cependant on finit par s’y accoutumer : sa voix est si belle !

TROISIÈME JOURNÉE DE CAPTIVITÉ

Felton était venu ; mais il y avait encore un pas à faire : il fallait le retenir, ou plutôt il fallait qu’il restât tout seul ; et milady ne voyait encore qu’obscurément le moyen qui devait la conduire à ce résultat.

Il fallait plus encore : il fallait le faire parler, afin de lui parler aussi : car, milady le savait bien, sa plus grande séduction était dans sa voix, qui parcourait si habilement toute la gamme des tons, depuis la parole humaine jusqu’au langage céleste.

Et cependant, malgré toute cette séduction, milady pouvait échouer, car Felton était prévenu, et cela contre le moindre hasard. Dès lors, elle surveilla toutes ses actions, toutes ses paroles, jusqu’au plus simple regard de ses yeux, jusqu’à son geste, jusqu’à sa respiration, qu’on pouvait interpréter comme un soupir. Enfin, elle étudia tout comme fait un habile comédien à qui l’on vient de donner un rôle nouveau dans un emploi qu’il n’a pas l’habitude de tenir.

Vis-à-vis de lord de Winter sa conduite était plus facile ; aussi avait-elle été arrêtée dès la veille. Rester muette et digne en sa présence, de temps en temps l’irriter par un dédain affecté, par un mot méprisant, le pousser à des menaces et à des violences qui faisaient un contraste avec sa résignation à elle, tel était son projet. Felton verrait : peut-être ne dirait-il rien ; mais il verrait.

Le matin, Felton vint comme d’habitude ; mais milady le laissa présider à tous les apprêts du déjeuner sans lui adresser la parole. Aussi, au moment où il allait se retirer, eut-elle une lueur d’espoir ; car elle crut que c’était lui qui allait parler ; mais ses lèvres remuèrent sans qu’aucun son sortît de sa bouche, et, faisant un effort sur lui-même, il renferma dans son cœur les paroles qui allaient s’échapper de ses lèvres, et sortit.

Vers midi, lord de Winter entra.

Il faisait une assez belle journée d’hiver, et un rayon de ce pâle soleil d’Angleterre qui éclaire, mais qui n’échauffe pas, passait à travers les barreaux de la prison.

Milady regardait par la fenêtre, et fit semblant de ne pas entendre la porte qui s’ouvrait.

— Ah ! ah ! dit lord de Winter, après avoir fait de la comédie, après avoir fait de la tragédie, voilà que nous faisons de la mélancolie.

La prisonnière ne répondit pas.

— Oui, oui, continua lord de Winter, je comprends ; vous voudriez bien être en liberté sur ce rivage ; vous voudriez bien, sur un bon navire, fendre les flots de cette mer verte comme de l’émeraude ; vous voudriez bien, soit sur terre, soit sur l’Océan, me dresser une de ces bonnes petites embuscades comme vous savez si bien les combiner. Patience ! patience ! Dans quatre jours, le rivage vous sera permis, la mer vous sera ouverte, plus ouverte que vous ne le voudrez, car dans quatre jours l’Angleterre sera débarrassée de vous.

Milady joignit les mains, et levant ses beaux yeux vers le ciel :

— Seigneur ! Seigneur ! dit-elle avec une angélique suavité de geste et d’intonation, pardonnez à cet homme, comme je lui pardonne moi-même.

— Oui, prie, maudite, s’écria le baron, ta prière est d’autant plus généreuse que tu es, je te le jure, au pouvoir d’un homme qui ne pardonnera pas.

Et il sortit.

Au moment où il sortait, un regard perçant glissa par la porte entrebâillée, et elle aperçut Felton qui se rangeait rapidement pour n’être pas vu d’elle.

Alors elle se jeta à genoux et se mit à prier.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! dit-elle, vous savez pour quelle sainte cause je souffre, donnez-moi donc la force de souffrir.

La porte s’ouvrit doucement ; la belle suppliante fit semblant de n’avoir pas entendu, et d’une voix pleine de larmes, elle continua :

— Dieu vengeur ! Dieu de bonté ! laisserez-vous s’accomplir les affreux projets de cet homme !

Alors, seulement, elle feignit d’entendre le bruit des pas de Felton et, se relevant rapide comme la pensée, elle rougit comme si elle eût été honteuse d’avoir été surprise à genoux.

— Je n’aime point à déranger ceux qui prient, madame, dit gravement Felton ; ne vous dérangez donc pas pour moi, je vous en conjure.

— Comment savez-vous que je priais, monsieur ? dit milady d’une voix suffoquée par les sanglots ; vous vous trompiez, monsieur, je ne priais pas.

— Pensez-vous donc, madame, répondit Felton de sa même voix grave, quoique avec un accent plus doux, que je me croie le droit d’empêcher une créature de se prosterner devant son Créateur ? À Dieu ne plaise ! D’ailleurs le repentir sied bien aux coupables ; quelque crime qu’il ait commis, un coupable m’est sacré aux pieds de Dieu.

— Coupable, moi ! dit milady avec un sourire qui eût désarmé l’ange du jugement dernier. Coupable ! mon Dieu, tu sais si je le suis ! Dites que je suis condamnée, monsieur, à la bonne heure ; mais vous le savez, Dieu qui aime les martyrs, permet que l’on condamne quelquefois les innocents.

— Fussiez-vous condamnée, fussiez-vous martyre, répondit Felton, raison de plus pour prier, et moi-même je vous aiderai de mes prières.

— Oh ! vous êtes un juste, vous, s’écria milady en se précipitant à ses pieds ; tenez, je n’y puis tenir plus longtemps, car je crains de manquer de force au moment où il me faudra soutenir la lutte et confesser ma foi, écoutez donc la supplication d’une femme au désespoir. On vous abuse, monsieur, mais il n’est pas question de cela, je ne vous demande qu’une grâce, et, si vous me l’accordez, je vous bénirai dans ce monde et dans l’autre.

— Parlez au maître, madame, dit Felton ; je ne suis heureusement chargé, moi, ni de pardonner ni de punir, et c’est à plus haut que moi que Dieu a remis cette responsabilité.

— À vous, non, à vous seul. Écoutez-moi, plutôt que de contribuer à ma perte, plutôt que de contribuer à mon ignominie.

— Si vous avez mérité cette honte, madame, si vous avez encouru cette ignominie, il faut la subir en l’offrant à Dieu.

— Que dites-vous ? Oh ! vous ne me comprenez pas ! Quand je parle d’ignominie, vous croyez que je parle d’un châtiment quelconque, de la prison ou de la mort ! Plût au Ciel ! que m’importent, à moi, la mort ou la prison !

— C’est moi qui ne vous comprends plus, madame.

— Ou qui faites semblant de ne plus me comprendre, monsieur, répondit la prisonnière avec un sourire de doute.

— Non, madame, sur l’honneur d’un soldat, sur la foi d’un chrétien !

— Comment ! vous ignorez les desseins de lord de Winter sur moi.

— Je les ignore.

— Impossible, vous son confident !

— Je ne mens jamais, madame.

— Oh ! il se cache trop peu cependant pour qu’on ne les devine pas.

— Je ne cherche à rien deviner, madame ; j’attends qu’on me confie, et à part ce qu’il m’a dit devant vous, lord de Winter ne m’a rien confié.

— Mais, s’écria milady avec un incroyable accent de vérité, vous n’êtes donc pas son complice, vous ne savez donc pas qu’il me destine à une honte que tous les châtiments de la terre ne sauraient égaler en horreur ?

— Vous vous trompez, madame, dit Felton en rougissant, lord de Winter n’est pas capable d’un tel crime.

— Bon, dit milady en elle-même, sans savoir ce que c’est, il appelle cela un crime !

Puis tout haut :

— L’ami de l’infâme est capable de tout.

— Qui appelez-vous l’infâme ? demanda Felton.

— Y a-t-il donc en Angleterre deux hommes à qui un semblable nom puisse convenir ?

— Vous voulez parler de Georges Villiers ? dit Felton, dont les regards s’enflammèrent.

— Que les païens, les gentils et les infidèles appellent duc de Buckingham, reprit milady ; je n’aurais pas cru qu’il y aurait eu un Anglais dans toute l’Angleterre qui eût eu besoin d’une si longue explication pour reconnaître celui dont je voulais parler !

— La main du Seigneur est étendue sur lui, dit Felton, il n’échappera pas au châtiment qu’il mérite.

Felton ne faisait qu’exprimer à l’égard du duc le sentiment d’exécration que tous les Anglais avaient voué à celui que les catholiques eux-mêmes appelaient l’exacteur, le concussionnaire, le débauché, et que les puritains appelaient tout simplement Satan.

— Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria milady, quand je vous supplie d’envoyer à cet homme le châtiment qui lui est dû, vous savez que ce n’est pas ma propre vengeance que je poursuis, mais la délivrance de tout un peuple que j’implore.

— Le connaissez-vous donc ? demanda Felton.

— Enfin, il m’interroge, se dit en elle-même milady au comble de la joie d’en être arrivée si vite à un si grand résultat.

— Oh ! si je le connais ! oh, oui ! pour mon malheur, pour mon malheur éternel.

Et milady se tordit les bras comme arrivée au paroxysme de la douleur. Felton sentit sans doute en lui-même que sa force l’abandonnait, et il fit quelques pas vers la porte ; la prisonnière, qui ne le perdait pas de vue, bondit à sa poursuite et l’arrêta.

— Monsieur ! s’écria-t-elle, soyez bon, soyez clément, écoutez ma prière : ce couteau que la fatale prudence du baron m’a enlevé, parce qu’il sait l’usage que j’en veux faire ; oh ! écoutez-moi jusqu’au bout ! ce couteau, rendez-le-moi une minute seulement, par grâce, par pitié ! J’embrasse vos genoux ; voyez, vous fermerez la porte, ce n’est pas à vous que j’en veux : Dieu ! vous en vouloir, à vous, le seul être juste, bon et compatissant que j’aie rencontré ! à vous, mon sauveur peut-être ! une minute, ce couteau, une minute, une seule, et je vous le rends par le guichet de la porte ; rien qu’une minute, monsieur Felton, et vous m’aurez sauvé l’honneur !

— Vous tuer ! s’écria Felton avec terreur, oubliant de retirer ses mains des mains de la prisonnière ; vous tuer !

— J’ai dit, monsieur, murmura milady en baissant la voix et en se laissant tomber affaissée sur le parquet, j’ai dit mon secret ! il sait tout ! mon Dieu, je suis perdue !

Felton demeurait debout, immobile et indécis.

— Il doute encore, pensa milady, je n’ai pas été assez vraie.

On entendit marcher dans le corridor ; milady reconnut le pas de lord de Winter. Felton le reconnut aussi et s’avança vers la porte.

Milady s’élança.

— Oh ! pas un mot, dit-elle d’une voix concentrée, pas un mot de tout ce que je vous ai dit à cet homme, ou je suis perdue, et c’est vous, vous…

Puis, comme les pas se rapprochaient, elle se tut de peur qu’on n’entendît sa voix, appuyant avec un geste de terreur infinie sa belle main sur la bouche de Felton. Felton repoussa doucement milady, qui alla tomber sur une chaise longue.

Lord de Winter passa devant la porte sans s’arrêter, et l’on entendit le bruit des pas qui s’éloignaient.

Felton, pâle comme la mort, resta quelques instants l’oreille tendue et écoutant, puis quand le bruit se fut éteint tout à fait, il respira comme un homme qui sort d’un songe, et s’élança hors de l’appartement.

— Ah ! dit milady en écoutant à son tour le bruit des pas de Felton, qui s’éloignaient dans la direction opposée à ceux de lord de Winter, enfin tu es donc à moi !

Puis son front se rembrunit.

— S’il parle au baron, dit-elle, je suis perdue, car le baron, qui sait bien que je ne me tuerai pas, me mettra devant lui un couteau entre les mains, et il verra bien que tout ce grand désespoir n’était qu’un jeu.

Elle alla se placer devant sa glace et se regarda ; jamais elle n’avait été si belle.

— Oh ! oui ! dit-elle en souriant, mais il ne lui parlera pas.

Le soir, lord de Winter accompagna le souper.

— Monsieur, lui dit milady, votre présence est-elle un accessoire obligé de ma captivité, et ne pourriez-vous pas m’épargner ce surcroît de tortures que me causent vos visites ?

— Comment donc, chère sœur ! dit de Winter, ne m’avez-vous pas sentimentalement annoncé, de cette jolie bouche si cruelle pour moi aujourd’hui, que vous veniez en Angleterre à cette seule fin de me voir tout à votre aise, jouissance dont, me disiez-vous, vous ressentiez si vivement la privation, que vous avez tout risqué pour cela, mal de mer, tempête, captivité ! eh bien, me voilà, soyez satisfaite ; d’ailleurs, cette fois ma visite a un motif.

Milady frissonna, elle crut que Felton avait parlé ; jamais de sa vie, peut-être, cette femme, qui avait éprouvé tant d’émotions puissantes et opposées, n’avait senti battre son cœur si violemment.

Elle était assise ; lord de Winter prit un fauteuil, le tira à son côté et s’assit auprès d’elle, puis prenant dans sa poche un papier qu’il déploya lentement :

— Tenez, lui dit-il, je voulais vous montrer cette espèce de passeport que j’ai rédigé moi-même et qui vous servira désormais de numéro d’ordre dans la vie que je consens à vous laisser.

Puis ramenant ses yeux de milady sur le papier, il lut :

— Ordre de conduire à… » Le nom est en blanc, interrompit de Winter ; si vous avez quelque préférence, vous me l’indiquerez ; et pour peu que ce soit à un millier de lieues de Londres, il sera fait droit à votre requête. Je reprends donc : « Ordre de conduire à… la nommée Charlotte Backson, flétrie par la justice du royaume de France, mais libérée après châtiment ; elle demeurera dans cette résidence, sans jamais s’en écarter de plus de trois lieues. En cas de tentative d’évasion, la peine de mort lui sera appliquée. Elle touchera cinq shillings par jour pour son logement et sa nourriture. »

— Cet ordre ne me concerne pas, répondit froidement milady, puisqu’un autre nom que le mien y est porté.

— Un nom ! Est-ce que vous en avez un ?

— J’ai celui de votre frère.

— Vous vous trompez, mon frère n’est que votre second mari, et le premier vit encore. Dites-moi son nom et je le mettrai en place du nom de Charlotte Backson. Non ?… vous ne voulez pas ? vous gardez le silence ? C’est bien ! vous serez écrouée sous le nom de Charlotte Backson.

Milady demeura silencieuse ; seulement, cette fois ce n’était plus par affectation, mais par terreur : elle crut l’ordre prêt à être exécuté : elle pensa que lord de Winter avait avancé son départ ; elle crut qu’elle était condamnée à partir le soir même. Tout dans son esprit fut donc perdu pendant un instant, quand tout à coup elle s’aperçut que l’ordre n’était revêtu d’aucune signature.

La joie qu’elle ressentit de cette découverte fut si grande, qu’elle ne put la cacher.

— Oui, oui, dit lord de Winter, qui s’aperçut de ce qui se passait en elle, oui, vous cherchez la signature, et vous vous dites : tout n’est pas perdu, puisque cet acte n’est pas signé ; on me le montre pour m’effrayer, voilà tout. Vous vous trompez : demain cet ordre sera envoyé à lord Buckingham ; après-demain il reviendra signé de sa main et revêtu de son sceau, et vingt-quatre heures après, c’est moi qui vous en réponds, il recevra son commencement d’exécution. Adieu, madame, voilà tout ce que j’avais à vous dire.

— Et moi je vous répondrai, monsieur, que cet abus de pouvoir, que cet exil sous un nom supposé sont une infamie.

— Aimez-vous mieux être pendue sous votre vrai nom, milady ? Vous le savez, les lois anglaises sont inexorables sur l’abus que l’on fait du mariage ; expliquez-vous franchement : quoique mon nom ou plutôt le nom de mon frère se trouve mêlé dans tout cela, je risquerai le scandale d’un procès public pour être sûr que du coup je serai débarrassé de vous.

Milady ne répondit pas, mais devint pâle comme un cadavre.

— Oh ! je vois que vous aimez mieux la pérégrination. À merveille, madame, et il y a un vieux proverbe qui dit que les voyages forment la jeunesse. Ma foi ! vous n’avez pas tort, après tout, et la vie est bonne. C’est pour cela que je ne me soucie pas que vous me l’ôtiez. Reste donc à régler l’affaire des cinq shillings ; je me montre un peu parcimonieux, n’est-ce pas ? cela tient à ce que je ne me soucie pas que vous corrompiez vos gardiens. D’ailleurs il vous restera toujours vos charmes pour les séduire. Usez-en si votre échec avec Felton ne vous a pas dégoûtée des tentatives de ce genre.

— Felton n’a point parlé, se dit Milady à elle-même, rien n’est perdu alors.

— Et maintenant, madame, à vous revoir. Demain je viendrai vous annoncer le départ de mon messager.

Lord de Winter se leva, salua ironiquement Milady et sortit.

Milady respira : elle avait encore quatre jours devant elle ; quatre jours lui suffiraient pour achever de séduire Felton.

Une idée terrible lui vint alors, c’est que lord de Winter enverrait peut-être Felton lui-même pour faire signer l’ordre à Buckingham ; de cette façon Felton lui échappait, et pour que la prisonnière réussît il fallait la magie d’une séduction continue.

Cependant, comme nous l’avons dit, une chose la rassurait : Felton n’avait pas parlé.

Elle ne voulut point paraître émue par les menaces de lord de Winter, elle se mit à table et mangea.

Puis, comme elle avait fait la veille, elle se mit à genoux, et répéta tout haut ses prières. Comme la veille, le soldat cessa de marcher et s’arrêta pour l’écouter.

Bientôt elle entendit des pas plus légers que ceux de la sentinelle qui venaient du fond du corridor et qui s’arrêtaient devant sa porte.

— C’est lui, dit-elle.

Et elle commença le même chant religieux qui la veille avait si violemment exalté Felton.

Mais, quoique sa voix douce, pleine et sonore eût vibré plus harmonieuse et plus déchirante que jamais, la porte resta close. Il parut bien à milady, dans un des regards furtifs qu’elle lançait sur le petit guichet, apercevoir à travers le grillage serré les yeux ardents du jeune homme mais, que ce fût une réalité ou une vision, cette fois il eut sur lui-même la puissance de ne pas entrer.

Seulement, quelques instants après qu’elle eut fini son chant religieux, milady crut entendre un profond soupir ; puis les mêmes pas qu’elle avait entendus s’approcher s’éloignèrent lentement et comme à regret.

QUATRIÈME JOURNÉE DE CAPTIVITÉ

Le lendemain, lorsque Felton entra chez milady, il la trouva debout, montée sur un fauteuil, tenant entre ses mains une corde tissée à l’aide de quelques mouchoirs de batiste déchirés en lanières tressées les unes avec les autres et attachées bout à bout ; au bruit que fit Felton en ouvrant la porte, milady sauta légèrement à bas de son fauteuil, et essaya de cacher derrière elle cette corde improvisée, qu’elle tenait à la main.

Le jeune homme était plus pâle encore que d’habitude, et ses yeux rougis par l’insomnie indiquaient qu’il avait passé une nuit fiévreuse.

Cependant son front était armé d’une sérénité plus austère que jamais.

Il s’avança lentement vers milady, qui s’était assise, et prenant un bout de la tresse meurtrière que par mégarde ou à dessein peut-être elle avait laissée passer :

— Qu’est-ce que cela, madame ? demanda-t-il froidement.

— Cela, rien, dit milady en souriant avec cette expression douloureuse qu’elle savait si bien donner à son sourire, l’ennui est l’ennemi mortel des prisonniers, je m’ennuyais et je me suis amusée à tresser cette corde.

Felton porta les yeux vers le point du mur de l’appartement devant lequel il avait trouvé milady debout sur le fauteuil où elle était assise maintenant, et au-dessus de sa tête il aperçut un crampon doré, scellé dans le mur, et qui servait à accrocher soit des hardes, soit des armes.

Il tressaillit, et la prisonnière vit ce tressaillement ; car, quoiqu’elle eût les yeux baissés, rien ne lui échappait.

— Et que faisiez-vous, debout sur ce fauteuil ? demanda-t-il.

— Que vous importe ? répondit milady.

— Mais, reprit Felton, je désire le savoir.

— Ne m’interrogez pas, dit la prisonnière, vous savez bien qu’à nous autres, véritables chrétiens, il nous est défendu de mentir.

— Eh bien, dit Felton, je vais vous le dire, ce que vous faisiez, ou plutôt ce que vous alliez faire, vous alliez achever l’œuvre fatale que vous nourrissez dans votre esprit : songez-y, madame, si notre Dieu défend le mensonge, il défend bien plus sévèrement encore le suicide.

— Quand Dieu voit une de ses créatures persécutée injustement, placée entre le suicide et le déshonneur, croyez-moi, monsieur, répondit milady d’un ton de profonde conviction, Dieu lui pardonne le suicide : car, alors, le suicide c’est le martyre.

— Vous en dites trop ou trop peu ; parlez, madame, au nom du ciel, expliquez-vous.

— Que je vous raconte mes malheurs, pour que vous les traitiez de fables ; que je vous dise mes projets, pour que vous alliez les dénoncer à mon persécuteur : non, monsieur ; d’ailleurs, que vous importe la vie ou la mort d’une malheureuse condamnée ? vous ne répondez que de mon corps, n’est-ce pas ? et pourvu que vous représentiez un cadavre, qu’il soit reconnu pour le mien, on ne vous en demandera pas davantage, et peut-être, même, aurez-vous double récompense.

— Moi, madame, moi ! s’écria Felton, supposer que j’accepterais jamais le prix de votre vie ; oh ! vous ne pensez pas ce que vous dites.

— Laissez-moi faire, Felton, laissez-moi faire, dit milady en s’exaltant, tout soldat doit être ambitieux, n’est-ce pas ? vous êtes lieutenant, eh bien, vous suivrez mon convoi avec le grade de capitaine.

— Mais que vous ai-je donc fait, dit Felton ébranlé, pour que vous me chargiez d’une pareille responsabilité devant les hommes et devant Dieu ? Dans quelques jours vous allez être loin d’ici, madame, votre vie ne sera plus sous ma garde, et, ajouta-t-il avec un soupir, alors vous en ferez ce que vous voudrez.

— Ainsi, s’écria milady comme si elle ne pouvait résister à une sainte indignation, vous, un homme pieux, vous que l’on appelle un juste, vous ne demandez qu’une chose : c’est de n’être point inculpé, inquiété pour ma mort !

— Je dois veiller sur votre vie, madame, et j’y veillerai.

— Mais comprenez-vous la mission que vous remplissez ? cruelle déjà si j’étais coupable, quel nom lui donnerez-vous, quel nom le Seigneur lui donnera-t-il, si je suis innocente ?

— Je suis soldat, madame, et j’accomplis les ordres que j’ai reçus.

— Croyez-vous qu’au jour du jugement dernier Dieu séparera les bourreaux aveugles des juges iniques ? vous ne voulez pas que je tue mon corps, et vous vous faites l’agent de celui qui veut tuer mon âme !

— Mais, je vous le répète, reprit Felton ébranlé, aucun danger ne vous menace, et je réponds de lord de Winter comme de moi-même.

— Insensé ! s’écria milady, pauvre insensé, qui ose répondre d’un autre homme quand les plus sages, quand les plus grands selon Dieu hésitent à répondre d’eux-mêmes, et qui se range du parti le plus fort et le plus heureux, pour accabler la plus faible et la plus malheureuse !

— Impossible, madame, impossible, murmura Felton, qui sentait au fond du cœur la justesse de cet argument : prisonnière, vous ne recouvrerez pas par moi la liberté, vivante, vous ne perdrez pas par moi la vie.

— Oui, s’écria milady, mais je perdrai ce qui m’est bien plus cher que la vie, je perdrai l’honneur, Felton ; et c’est vous, vous que je ferai responsable devant Dieu et devant les hommes de ma honte et de mon infamie.

Cette fois Felton, tout impassible qu’il était ou qu’il faisait semblant d’être, ne put résister à l’influence secrète qui s’était déjà emparée de lui : voir cette femme si belle, blanche comme la plus candide vision, la voir tour à tour éplorée et menaçante, subir à la fois l’ascendant de la douleur et de la beauté, c’était trop pour un visionnaire, c’était trop pour un cerveau miné par les rêves ardents de la foi extatique, c’était trop pour un cœur corrodé à la fois par l’amour du ciel qui brûle, par la haine des hommes qui dévore.

Milady vit le trouble, elle sentait par intuition la flamme des passions opposées qui brûlaient avec le sang dans les veines du jeune fanatique ; et, pareille à un général habile qui, voyant l’ennemi prêt à reculer, marche sur lui en poussant un cri de victoire, elle se leva, belle comme une prêtresse antique, inspirée comme une vierge chrétienne et, le bras étendu, le col découvert, les cheveux épars, retenant d’une main sa robe pudiquement ramenée sur sa poitrine, le regard illuminé de ce feu qui avait déjà porté le désordre dans les sens du jeune puritain, elle marcha vers lui, s’écriant sur un air véhément, de sa voix si douce, à laquelle, dans l’occasion, elle donnait un accent terrible :

Livre à Baal sa victime.

Jette aux lions le martyr

Dieu te fera repentir !…

Je crie à lui de l’abîme.

Felton s’arrêta sous cette étrange apostrophe, et comme pétrifié.

— Qui êtes-vous, qui êtes-vous ? s’écria-t-il en joignant les mains ; êtes-vous une envoyée de Dieu, êtes-vous un ministre des enfers, êtes-vous ange ou démon, vous appelez-vous Éloa ou Astarté ?

— Ne m’as-tu pas reconnue, Felton ? Je ne suis ni un ange, ni un démon, je suis une fille de la terre, je suis une sœur de ta croyance, voilà tout.

— Oui ! oui ! dit Felton, je doutais encore, mais maintenant je crois.

— Tu crois, et cependant tu es le complice de cet enfant de Bélial qu’on appelle lord de Winter ! Tu crois, et cependant tu me laisses aux mains de mes ennemis, de l’ennemi de l’Angleterre, de l’ennemi de Dieu ? Tu crois, et cependant tu me livres à celui qui remplit et souille le monde de ses hérésies et de ses débauches, à cet infâme Sardanapale que les aveugles nomment le duc de Buckingham et que les croyants appellent l’Antéchrist.

— Moi, vous livrer à Buckingham ! moi ! que dites-vous là ?

— Ils ont des yeux, s’écria milady, et ils ne verront pas ; ils ont des oreilles, et ils n’entendront point.

— Oui, oui, dit Felton en passant ses mains sur son front couvert de sueur, comme pour en arracher son dernier doute ; oui, je reconnais la voix qui me parle dans mes rêves ; oui, je reconnais les traits de l’ange qui m’apparaît chaque nuit, criant à mon âme qui ne peut dormir : « Frappe, sauve l’Angleterre, sauve-toi, car tu mourras sans avoir désarmé Dieu ! » Parlez, parlez ! s’écria Felton, je puis vous comprendre à présent.

Un éclair de joie terrible, mais rapide comme la pensée, jaillit des yeux de milady.

Si fugitive qu’eût été cette lueur homicide, Felton la vit et tressaillit comme si cette lueur eût éclairé les abîmes du cœur de cette femme.

Felton se rappela tout à coup les avertissements de lord de Winter, les séductions de milady, ses premières tentatives lors de son arrivée ; il recula d’un pas et baissa la tête, mais sans cesser de la regarder : comme si, fasciné par cette étrange créature, ses yeux ne pouvaient se détacher de ses yeux.

Milady n’était point femme à se méprendre au sens de cette hésitation. Sous ses émotions apparentes, son sang-froid glacé ne l’abandonnait point. Avant que Felton lui eût répondu et qu’elle fût forcée de reprendre cette conversation si difficile à soutenir sur le même accent d’exaltation, elle laissa retomber ses mains, et, comme si la faiblesse de la femme reprenait le dessus sur l’enthousiasme de l’inspirée :

— Mais, non, dit-elle, ce n’est pas à moi d’être la Judith qui délivrera Béthulie de cet Holopherne. Le glaive de l’éternel est trop lourd pour mon bras. Laissez-moi donc fuir le déshonneur par la mort, laissez-moi me réfugier dans le martyre. Je ne vous demande ni la liberté, comme ferait une coupable, ni la vengeance, comme ferait une païenne. Laissez-moi mourir, voilà tout. Je vous supplie, je vous implore à genoux ; laissez-moi mourir, et mon dernier soupir sera une bénédiction pour mon sauveur.

À cette voix douce et suppliante, à ce regard timide et abattu, Felton se rapprocha. Peu à peu l’enchanteresse avait revêtu cette parure magique qu’elle reprenait et quittait à volonté, c’est-à-dire la beauté, la douceur, les larmes et surtout l’irrésistible attrait de la volupté mystique, la plus dévorante des voluptés.

— Hélas ! dit Felton, je ne puis qu’une chose, vous plaindre si vous me prouvez que vous êtes une victime ! Mais lord de Winter a de cruels griefs contre vous. Vous êtes chrétienne, vous êtes ma sœur en religion ; je me sens entraîné vers vous, moi qui n’ai aimé que mon bienfaiteur, moi qui n’ai trouvé dans la vie que des traîtres et des impies. Mais vous, madame, vous si belle en réalité, vous si pure en apparence, pour que lord de Winter vous poursuive ainsi, vous avez donc commis des iniquités ?

— Ils ont des yeux, répéta milady avec un accent d’indicible douleur, et ils ne verront pas ; ils ont des oreilles, et ils n’entendront point.

— Mais, alors, s’écria le jeune officier, parlez, parlez donc !

— Vous confier ma honte ! s’écria milady avec le rouge de la pudeur au visage, car souvent le crime de l’un est la honte de l’autre ; vous confier ma honte, à vous homme, moi femme ! Oh ! continua-t-elle en ramenant pudiquement sa main sur ses beaux yeux, oh ! jamais, jamais je ne pourrai !

— À moi, à un frère ! s’écria Felton.

Milady le regarda longtemps avec une expression que le jeune officier prit pour du doute, et qui cependant n’était que de l’observation et surtout la volonté de fasciner.

Felton, à son tour suppliant, joignit les mains.

— Eh bien, dit milady, je me fie à mon frère, j’oserai !

En ce moment, on entendit le pas de lord de Winter ; mais, cette fois le terrible beau-frère de milady ne se contenta point, comme il avait fait la veille, de passer devant la porte et de s’éloigner, il s’arrêta, échangea deux mots avec la sentinelle, puis la porte s’ouvrit et il parut.

Pendant ces deux mots échangés, Felton s’était reculé vivement, et lorsque lord de Winter entra, il était à quelques pas de la prisonnière.

Le baron entra lentement, et porta son regard scrutateur de la prisonnière au jeune officier :

— Voilà bien longtemps, John, dit-il, que vous êtes ici ; cette femme vous a-t-elle raconté ses crimes ? alors je comprends la durée de l’entretien.

Felton tressaillit, et milady sentit qu’elle était perdue si elle ne venait au secours du puritain décontenancé.

— Ah ! vous craignez que votre prisonnière ne vous échappe ! dit-elle, eh bien, demandez à votre digne geôlier quelle grâce, à l’instant même, je sollicitais de lui.

— Vous demandiez une grâce ? dit le baron soupçonneux.

— Oui, milord, reprit le jeune homme confus.

— Et quelle grâce, voyons ? demanda lord de Winter.

— Un couteau qu’elle me rendra par le guichet, une minute après l’avoir reçu, répondit Felton.

— Il y a donc quelqu’un de caché ici que cette gracieuse personne veuille égorger ? reprit lord de Winter de sa voix railleuse et méprisante.

— Il y a moi, répondit milady.

— Je vous ai donné le choix entre l’Amérique et Tyburn, reprit lord de Winter, choisissez Tyburn, milady : la corde est, croyez-moi, encore plus sûre que le couteau.

Felton pâlit et fit un pas en avant, en songeant qu’au moment où il était entré, milady tenait une corde.

— Vous avez raison, dit celle-ci, et j’y avais déjà pensé ; puis elle ajouta d’une voix sourde : j’y penserai encore.

Felton sentit courir un frisson jusque dans la moelle de ses os ; probablement lord de Winter aperçut ce mouvement.

— Méfie-toi, John, dit-il, John, mon ami, je me suis reposé sur toi, prends garde ! Je t’ai prévenu ! D’ailleurs, aie bon courage, mon enfant, dans trois jours nous serons délivrés de cette créature, et où je l’envoie, elle ne nuira plus à personne.

— Vous l’entendez ! s’écria milady avec éclat, de façon que le baron crût qu’elle s’adressait au ciel et que Felton comprît que c’était à lui.

Felton baissa la tête et rêva.

Le baron prit l’officier par le bras en tournant la tête sur son épaule, afin de ne pas perdre milady de vue jusqu’à ce qu’il fût sorti.

— Allons, allons, dit la prisonnière lorsque la porte se fut refermée, je ne suis pas encore si avancée que je le croyais. Winter a changé sa sottise ordinaire en une prudence inconnue ; ce que c’est que le désir de la vengeance, et comme ce désir forme l’homme ! Quant à Felton, il hésite. Ah ! ce n’est pas un homme comme ce d’Artagnan maudit. Un puritain n’adore que les vierges, et il les adore en joignant les mains. Un mousquetaire aime les femmes, et il les aime en joignant les bras.

Cependant milady attendit avec impatience, car elle se doutait bien que la journée ne se passerait pas sans qu’elle revît Felton. Enfin, une heure après la scène que nous venons de raconter, elle entendit que l’on parlait bas à la porte, puis bientôt la porte s’ouvrit, et elle reconnut Felton.

Le jeune homme s’avança rapidement dans la chambre en laissant la porte ouverte derrière lui et en faisant signe à milady de se taire ; il avait le visage bouleversé.

— Que me voulez-vous ? dit-elle.

— Écoutez, répondit Felton à voix basse, je viens d’éloigner la sentinelle pour pouvoir rester ici sans qu’on sache que je suis venu, pour vous parler sans qu’on puisse entendre ce que je vous dis. Le baron vient de me raconter une histoire effroyable.

Milady prit son sourire de victime résignée, et secoua la tête.

— Ou vous êtes un démon, continua Felton, ou le baron, mon bienfaiteur, mon père, est un monstre. Je vous connais depuis quatre jours, je l’aime depuis dix ans, lui ; je puis donc hésiter entre vous deux : ne vous effrayez pas de ce que je vous dis, j’ai besoin d’être convaincu. Cette nuit, après minuit, je viendrai vous voir, vous me convaincrez.

— Non, Felton, non, mon frère, dit-elle, le sacrifice est trop grand, et je sens qu’il vous coûte. Non, je suis perdue, ne vous perdez pas avec moi. Ma mort sera bien plus éloquente que ma vie, et le silence du cadavre vous convaincra bien mieux que les paroles de la prisonnière.

— Taisez-vous, madame, s’écria Felton, et ne me parlez pas ainsi ; je suis venu pour que vous me promettiez sur l’honneur, pour que vous me juriez sur ce que vous avez de plus sacré, que vous n’attenterez pas à votre vie.

— Je ne veux pas promettre, dit milady, car personne plus que moi n’a le respect du serment, et, si je promettais, il me faudrait tenir.

— Eh bien, dit Felton, engagez-vous seulement jusqu’au moment où vous m’aurez revu. Si, lorsque vous m’aurez revu, vous persistez encore, eh bien, alors, vous serez libre, et moi-même je vous donnerai l’arme que vous m’avez demandée.

— Eh bien, dit milady, pour vous j’attendrai.

— Jurez-le.

— Je le jure par notre Dieu. Êtes-vous content ?

— Bien, dit Felton, à cette nuit !

Et il s’élança hors de l’appartement, referma la porte, et attendit en dehors, la demi-pique du soldat à la main, comme s’il eût monté la garde à sa place.

Le soldat revenu, Felton lui rendit son arme.

Alors, à travers le guichet dont elle s’était rapprochée, milady vit le jeune homme se signer avec une ferveur délirante et s’en aller par le corridor avec un transport de joie.

Quant à elle, elle revint à sa place, un sourire de sauvage mépris sur les lèvres, et elle répéta en blasphémant ce nom terrible de Dieu, par lequel elle avait juré sans jamais avoir appris à le connaître.

— Mon Dieu ! dit-elle, fanatique insensé ! mon Dieu ! c’est moi, moi et celui qui m’aidera à me venger.

CINQUIÈME JOURNÉE DE CAPTIVITÉ

Cependant milady en était arrivée à un demi-triomphe, et le succès obtenu doublait ses forces.

Il n’était pas difficile de vaincre, ainsi qu’elle l’avait fait jusque-là, des hommes prompts à se laisser séduire, et que l’éducation galante de la cour entraînait vite dans le piège ; milady était assez belle pour ne pas trouver de résistance de la part de la chair, et elle était assez adroite pour l’emporter sur tous les obstacles de l’esprit.

Mais, cette fois, elle avait à lutter contre une nature sauvage, concentrée, insensible à force d’austérité ; la religion et la pénitence avaient fait de Felton un homme inaccessible aux séductions ordinaires. Il roulait dans cette tête exaltée des plans tellement vastes, des projets tellement tumultueux, qu’il n’y restait plus de place pour aucun amour, de caprice ou de matière, ce sentiment qui se nourrit de loisir et grandit par la corruption. Milady avait donc fait brèche, avec sa fausse vertu, dans l’opinion d’un homme prévenu horriblement contre elle, et par sa beauté, dans le cœur et les sens d’un homme chaste et pur. Enfin, elle s’était donné la mesure de ses moyens, inconnus d’elle-même jusqu’alors, par cette expérience faite sur le sujet le plus rebelle que la nature et la religion pussent soumettre à son étude.

Bien des fois néanmoins pendant la soirée elle avait désespéré du sort et d’elle-même ; elle n’invoquait pas Dieu, nous le savons, mais elle avait foi dans le génie du mal, cette immense souveraineté qui règne dans tous les détails de la vie humaine, et à laquelle, comme dans la fable arabe, un grain de grenade suffit pour reconstruire un monde perdu.

Milady, bien préparée à recevoir Felton, put dresser ses batteries pour le lendemain. Elle savait qu’il ne lui restait plus que deux jours, qu’une fois l’ordre signé par Buckingham (et Buckingham le signerait d’autant plus facilement, que cet ordre portait un faux nom, et qu’il ne pourrait reconnaître la femme dont il était question), une fois cet ordre signé, disons-nous, le baron la faisait embarquer sur-le-champ, et elle savait aussi que les femmes condamnées à la déportation usent d’armes bien moins puissantes dans leurs séductions que les prétendues femmes vertueuses dont le soleil du monde éclaire la beauté, dont la voix de la mode vante l’esprit et qu’un reflet d’aristocratie dore de ses lueurs enchantées. Être une femme condamnée à une peine misérable et infamante n’est pas un empêchement à être belle, mais c’est un obstacle à jamais redevenir puissante. Comme tous les gens d’un mérite réel, milady connaissait le milieu qui convenait à sa nature, à ses moyens. La pauvreté lui répugnait, l’abjection la diminuait des deux tiers de sa grandeur. Milady n’était reine que parmi les reines ; il fallait à sa domination le plaisir de l’orgueil satisfait. Commander aux êtres inférieurs était plutôt une humiliation qu’un plaisir pour elle.

Certes, elle fût revenue de son exil, elle n’en doutait pas un seul instant ; mais combien de temps cet exil pouvait-il durer ? Pour une nature agissante et ambitieuse comme celle de milady, les jours qu’on n’occupe point à monter sont des jours néfastes ; qu’on trouve donc le mot dont on doive nommer les jours qu’on emploie à descendre ! Perdre un an, deux ans, trois ans, c’est-à-dire une éternité ; revenir quand d’Artagnan, heureux et triomphant, aurait, lui et ses amis, reçu de la reine la récompense qui leur était bien acquise pour les services qu’ils lui avaient rendus, c’étaient là de ces idées dévorantes qu’une femme comme milady ne pouvait supporter. Au reste, l’orage qui grondait en elle doublait sa force, et elle eût fait éclater les murs de sa prison, si son corps eût pu prendre un seul instant les proportions de son esprit.

Puis ce qui l’aiguillonnait encore au milieu de tout cela, c’était le souvenir du cardinal. Que devait penser, que devait dire de son silence le cardinal défiant, inquiet, soupçonneux, le cardinal, non seulement son seul appui, son seul soutien, son seul protecteur dans le présent, mais encore le principal instrument de sa fortune et de sa vengeance à venir ? Elle le connaissait, elle savait qu’à son retour, après un voyage inutile, elle aurait beau arguer de la prison, elle aurait beau exalter les souffrances subies, le cardinal répondrait avec ce calme railleur du sceptique puissant à la fois par la force et par le génie : « Il ne fallait pas vous laisser prendre ! »

Alors milady réunissait toute son énergie, murmurant au fond de sa pensée le nom de Felton, la seule lueur de jour qui pénétrât jusqu’à elle au fond de l’enfer où elle était tombée ; et comme un serpent qui roule et déroule ses anneaux pour se rendre compte à lui-même de sa force, elle enveloppait d’avance Felton dans les mille replis de son inventive imagination.

Cependant le temps s’écoulait, les heures les unes après les autres semblaient réveiller la cloche en passant, et chaque coup du battant d’airain retentissait sur le cœur de la prisonnière. À neuf heures, lord de Winter fit sa visite accoutumée, regarda la fenêtre et les barreaux, sonda le parquet et les murs, visita la cheminée et les portes, sans que, pendant cette longue et minutieuse visite, ni lui ni milady prononçassent une seule parole.

Sans doute que tous deux comprenaient que la situation était devenue trop grave pour perdre le temps en mots inutiles et en colère sans effet.

— Allons, allons, dit le baron en la quittant, vous ne vous sauverez pas encore cette nuit !

À dix heures, Felton vint placer une sentinelle ; milady reconnut son pas. Elle le devinait maintenant comme une maîtresse devine celui de l’amant de son cœur, et cependant milady détestait et méprisait à la fois ce faible fanatique.

Ce n’était point l’heure convenue, Felton n’entra point.

Deux heures après et comme minuit sonnait, la sentinelle fut relevée.

Cette fois c’était l’heure : aussi, à partir de ce moment, milady attendit-elle avec impatience.

La nouvelle sentinelle commença à se promener dans le corridor.

Au bout de dix minutes Felton vint.

Milady prêta l’oreille.

— Écoutez, dit le jeune homme à la sentinelle, sous aucun prétexte ne t’éloigne de cette porte, car tu sais que la nuit dernière un soldat a été puni par milord pour avoir quitté son poste un instant, et cependant c’est moi qui, pendant sa courte absence, avais veillé à sa place.

— Oui, je le sais, dit le soldat.

— Je te recommande donc la plus exacte surveillance. Moi, ajouta-t-il, je vais rentrer pour visiter une seconde fois la chambre de cette femme, qui a, j’en ai peur, de sinistres projets sur elle-même et que j’ai reçu l’ordre de surveiller.

— Bon, murmura milady, voilà l’austère puritain qui ment !

Quant au soldat, il se contenta de sourire.

— Peste ! mon lieutenant, dit-il, vous n’êtes pas malheureux d’être chargé de commissions pareilles, surtout si milord vous a autorisé à regarder jusque dans son lit.

Felton rougit ; dans toute autre circonstance il eut réprimandé le soldat qui se permettait une pareille plaisanterie ; mais sa conscience murmurait trop haut pour que sa bouche osât parler.

— Si j’appelle, dit-il, viens ; de même que si l’on vient, appelle-moi.

— Oui, mon lieutenant, dit le soldat.

Felton entra chez milady. Milady se leva.

— Vous voilà ? dit-elle.

— Je vous avais promis de venir, dit Felton, et je suis venu.

— Vous m’avez promis autre chose encore.

— Quoi donc ? mon Dieu ! dit le jeune homme, qui malgré son empire sur lui-même, sentait ses genoux trembler et la sueur poindre sur son front.

— Vous avez promis de m’apporter un couteau, et de me le laisser après notre entretien.

— Ne parlez pas de cela, madame, dit Felton, il n’y a pas de situation, si terrible qu’elle soit, qui autorise une créature de Dieu à se donner la mort. J’ai réfléchi que jamais je ne devais me rendre coupable d’un pareil péché.

— Ah ! vous avez réfléchi ! dit la prisonnière en s’asseyant sur son fauteuil avec un sourire de dédain ; et moi aussi j’ai réfléchi !

— À quoi ?

— Que je n’avais rien à dire à un homme qui ne tenait pas sa parole.

— Ô mon Dieu ! murmura Felton.

— Vous pouvez vous retirer, dit milady, je ne parlerai pas.

— Voilà le couteau ! dit Felton tirant de sa poche l’arme que, selon sa promesse, il avait apportée, mais qu’il hésitait à remettre à sa prisonnière.

— Voyons-le, dit milady.

— Pour quoi faire ?

— Sur l’honneur, je vous le rends à l’instant même ; vous le poserez sur cette table ; et vous resterez entre lui et moi.

Felton tendit l’arme à milady, qui en examina attentivement la trempe, et qui en essaya la pointe sur le bout de son doigt.

— Bien, dit-elle en rendant le couteau au jeune officier, celui-ci est en bel et bon acier ; vous êtes un fidèle ami, Felton.

Felton reprit l’arme et la posa sur la table comme il venait d’être convenu avec sa prisonnière.

Milady le suivit des yeux et fit un geste de satisfaction.

— Maintenant, dit-elle, écoutez-moi.

La recommandation était inutile : le jeune officier se tenait debout devant elle, attendant ses paroles pour les dévorer.

— Felton, dit milady avec une solennité pleine de mélancolie, Felton, si votre sœur, la fille de votre père, vous disait : « Jeune encore, assez belle par malheur, on m’a fait tomber dans un piège, j’ai résisté ; on a multiplié autour de moi les embûches, les violences, j’ai résisté ; on a blasphémé la religion que je sers, le Dieu que j’adore, parce que j’appelais à mon secours ce Dieu et cette religion, j’ai résisté ; alors on m’a prodigué les outrages, et comme on ne pouvait perdre mon âme, on a voulu à tout jamais flétrir mon corps ; enfin…

Milady s’arrêta, et un sourire amer passa sur ses lèvres.

— Enfin, dit Felton, enfin qu’a-t-on fait ?

— Enfin, un soir, on résolut de paralyser cette résistance qu’on ne pouvait vaincre : un soir, on mêla à mon eau un narcotique puissant ; à peine eus-je achevé mon repas, que je me sentis tomber peu à peu dans une torpeur inconnue. Quoique je fusse sans défiance, une crainte vague me saisit et j’essayai de lutter contre le sommeil ; je me levai, je voulus courir à la fenêtre, appeler au secours, mais mes jambes refusèrent de me porter ; il me semblait que le plafond s’abaissait sur ma tête et m’écrasait de son poids ; je tendis les bras, j’essayai de parler, je ne pus que pousser des sons inarticulés ; un engourdissement irrésistible s’emparait de moi, je me retins à un fauteuil, sentant que j’allais tomber, mais bientôt cet appui fut insuffisant pour mes bras débiles, je tombai sur un genou, puis sur les deux ; je voulus crier, ma langue était glacée ; Dieu ne me vit ni ne m’entendit sans doute, et je glissai sur le parquet, en proie à un sommeil qui ressemblait à la mort.

« De tout ce qui se passa dans ce sommeil et du temps qui s’écoula pendant sa durée, je n’eus aucun souvenir ; la seule chose que je me rappelle, c’est que je me réveillai couchée dans une chambre ronde, dont l’ameublement était somptueux, et dans laquelle le jour ne pénétrait que par une ouverture au plafond. Du reste, aucune porte ne semblait y donner entrée : on eût dit une magnifique prison.

« Je fus longtemps à pouvoir me rendre compte du lieu où je me trouvais et de tous les détails que je rapporte, mon esprit semblait lutter inutilement pour secouer les pesantes ténèbres de ce sommeil auquel je ne pouvais m’arracher ; j’avais des perceptions vagues d’un espace parcouru, du roulement d’une voiture, d’un rêve horrible dans lequel mes forces se seraient épuisées ; mais tout cela était si sombre et si indistinct dans ma pensée, que ces événements semblaient appartenir à une autre vie que la mienne et cependant mêlée à la mienne par une fantastique dualité.

« Quelque temps, l’état dans lequel je me trouvais me sembla si étrange, que je crus que je faisais un rêve. Je me levai chancelante, mes habits étaient près de moi, sur une chaise : je ne me rappelai ni m’être dévêtue, ni m’être couchée. Alors peu à peu la réalité se présenta à moi pleine de pudiques terreurs : je n’étais plus dans la maison que j’habitais ; autant que j’en pouvais juger par la lumière du soleil, le jour était déjà aux deux tiers écoulé ! c’était la veille au soir que je m’étais endormie ; mon sommeil avait donc déjà duré près de vingt-quatre heures. Que s’était-il passé pendant ce long sommeil ?

« Je m’habillai aussi rapidement qu’il me fut possible. Tous mes mouvements lents et engourdis attestaient que l’influence du narcotique n’était point encore entièrement dissipée. Au reste, cette chambre était meublée pour recevoir une femme ; et la coquette la plus achevée n’eût pas eu un souhait à former, qu’en promenant son regard autour de l’appartement elle n’eût vu son souhait accompli.

« Certes, je n’étais pas la première captive qui s’était vue enfermée dans cette splendide prison ; mais, vous le comprenez, Felton, plus la prison était belle, plus je m’épouvantais.

« Oui, c’était une prison, car j’essayai vainement d’en sortir. Je sondai tous les murs afin de découvrir une porte, partout les murs rendirent un son plein et mat.

« Je fis peut-être vingt fois le tour de cette chambre, cherchant une issue quelconque ; il n’y en avait pas : je tombai écrasée de fatigue et de terreur sur un fauteuil.

« Pendant ce temps, la nuit venait rapidement, et avec la nuit mes terreurs augmentaient : je ne savais si je devais rester où j’étais assise ; il me semblait que j’étais entourée de dangers inconnus, dans lesquels j’allais tomber à chaque pas. Quoique je n’eusse rien mangé depuis la veille, mes craintes m’empêchaient de ressentir la faim.

« Aucun bruit du dehors, qui me permît de mesurer le temps, ne venait jusqu’à moi ; je présumai seulement qu’il pouvait être sept ou huit heures du soir ; car nous étions au mois d’octobre, et il faisait nuit entière.

« Tout à coup, le cri d’une porte qui tourne sur ses gonds me fit tressaillir ; un globe de feu apparut au-dessus de l’ouverture vitrée du plafond, jetant une vive lumière dans ma chambre, et je m’aperçus avec terreur qu’un homme était debout à quelques pas de moi.

« Une table à deux couverts, supportant un souper tout préparé, s’était dressée comme par magie au milieu de l’appartement.

« Cet homme était celui qui me poursuivait depuis un an, qui avait juré mon déshonneur, et qui, aux premiers mots qui sortirent de sa bouche, me fit comprendre qu’il l’avait accompli la nuit précédente.

— L’infâme ! murmura Felton.

— Oh ! oui, l’infâme ! s’écria milady, voyant l’intérêt que le jeune officier, dont l’âme semblait suspendue à ses lèvres, prenait à cet étrange récit ; oh ! oui, l’infâme ! il avait cru qu’il lui suffisait d’avoir triomphé de moi dans mon sommeil, pour que tout fût dit ; il venait, espérant que j’accepterais ma honte, puisque ma honte était consommée ; il venait m’offrir sa fortune en échange de mon amour.

« Tout ce que le cœur d’une femme peut contenir de superbe mépris et de paroles dédaigneuses, je le versai sur cet homme ; sans doute, il était habitué à de pareils reproches ; car il m’écouta calme, souriant, et les bras croisés sur la poitrine ; puis, lorsqu’il crut que j’avais tout dit, il s’avança vers moi ; je bondis vers la table, je saisis un couteau, je l’appuyai sur ma poitrine.

« — Faites un pas de plus, lui dis-je, et outre mon déshonneur, vous aurez encore ma mort à vous reprocher.

« Sans doute, il y avait dans mon regard, dans ma voix, dans toute ma personne, cette vérité de geste, de pose et d’accent, qui porte la conviction dans les âmes les plus perverses, car il s’arrêta.

« Votre mort ! me dit-il ; oh ! non, vous êtes une trop charmante maîtresse pour que je consente à vous perdre ainsi, après avoir eu le bonheur de vous posséder une seule fois seulement. Adieu, ma toute belle ! j’attendrai, pour revenir vous faire ma visite, que vous soyez dans de meilleures dispositions.

« À ces mots, il donna un coup de sifflet ; le globe de flamme qui éclairait ma chambre remonta et disparut ; je me retrouvai dans l’obscurité. Le même bruit d’une porte qui s’ouvre et se referme se reproduisit un instant après, le globe flamboyant descendit de nouveau, et je me retrouvai seule.

« Ce moment fut affreux ; si j’avais encore quelques doutes sur mon malheur, ces doutes s’étaient évanouis dans une désespérante réalité : j’étais au pouvoir d’un homme que non seulement je détestais, mais que je méprisais ; d’un homme capable de tout, et qui m’avait déjà donné une preuve fatale de ce qu’il pouvait oser.

— Mais quel était donc cet homme ? demanda Felton.

— Je passai la nuit sur une chaise, tressaillant au moindre bruit, car à minuit à peu près, la lampe s’était éteinte, et je m’étais retrouvée dans l’obscurité. Mais la nuit se passa sans nouvelle tentative de mon persécuteur ; le jour vint : la table avait disparu ; seulement, j’avais encore le couteau à la main.

« Ce couteau c’était tout mon espoir.

« J’étais écrasée de fatigue ; l’insomnie brûlait mes yeux ; je n’avais pas osé dormir un seul instant : le jour me rassura, j’allai me jeter sur mon lit sans quitter le couteau libérateur que je cachai sous mon oreiller.

« Quand je me réveillai, une nouvelle table était servie.

« Cette fois, malgré mes terreurs, en dépit de mes angoisses, une faim dévorante se faisait sentir ; il y avait quarante-huit heures que je n’avais pris aucune nourriture : je mangeai du pain et quelques fruits ; puis, me rappelant le narcotique mêlé à l’eau que j’avais bue, je ne touchai point à celle qui était sur la table, et j’allai remplir mon verre à une fontaine de marbre scellée dans le mur, au-dessus de ma toilette.

« Cependant, malgré cette précaution, je ne demeurai pas moins quelque temps encore dans une affreuse angoisse ; mais mes craintes, cette fois, n’étaient pas fondées : je passai la journée sans rien éprouver qui ressemblât à ce que je redoutais.

« J’avais eu la précaution de vider à demi la carafe, pour qu’on ne s’aperçût point de ma défiance.

« Le soir vint, et avec lui l’obscurité ; cependant, si profonde qu’elle fût, mes yeux commençaient à s’y habituer ; je vis, au milieu des ténèbres, la table s’enfoncer dans le plancher ; un quart d’heure après, elle reparut portant mon souper ; un instant après, grâce à la même lampe, ma chambre s’éclaira de nouveau.

« J’étais résolue à ne manger que des objets auxquels il était impossible de mêler aucun somnifère : deux œufs et quelques fruits composèrent mon repas ; puis, j’allai puiser un verre d’eau à ma fontaine protectrice, et je le bus.

« Aux premières gorgées, il me sembla qu’elle n’avait plus le même goût que le matin : un soupçon rapide me prit, je m’arrêtai ; mais j’en avais déjà avalé un demi-verre.

« Je jetai le reste avec horreur, et j’attendis, la sueur de l’épouvante au front.

« Sans doute quelque invisible témoin m’avait vue prendre de l’eau à cette fontaine, et avait profité de ma confiance même pour mieux assurer ma perte si froidement résolue, si cruellement poursuivie.

« Une demi-heure ne s’était pas écoulée, que les mêmes symptômes se produisirent ; seulement, comme cette fois je n’avais bu qu’un demi-verre d’eau, je luttai plus longtemps, et, au lieu de m’endormir tout à fait, je tombai dans un état de somnolence qui me laissait le sentiment de ce qui se passait autour de moi, tout en m’ôtant la force ou de me défendre ou de fuir.

« Je me traînai vers mon lit, pour y chercher la seule défense qui me restât, mon couteau sauveur ; mais je ne pus arriver jusqu’au chevet : je tombai à genoux, les mains cramponnées à l’une des colonnes du pied ; alors, je compris que j’étais perdue. »

Felton pâlit affreusement, et un frisson convulsif courut par tout son corps.

— Et ce qu’il y avait de plus affreux, continua milady, la voix altérée comme si elle eût encore éprouvé la même angoisse qu’en ce moment terrible, c’est que, cette fois, j’avais la conscience du danger qui me menaçait ; c’est que mon âme, je puis le dire, veillait dans mon corps endormi ; c’est que je voyais, c’est que j’entendais : il est vrai que tout cela était comme dans un rêve ; mais ce n’en était que plus effrayant.

« Je vis la lampe qui remontait et qui peu à peu me laissait dans l’obscurité ; puis j’entendis le cri si bien connu de cette porte, quoique cette porte ne se fût ouverte que deux fois.

« Je sentis instinctivement qu’on s’approchait de moi : on dit que le malheureux perdu dans les déserts de l’Amérique sent ainsi l’approche du serpent.

« Je voulais faire un effort, je tentai de crier ; par une incroyable énergie de volonté je me relevai même, mais pour retomber aussitôt… et retomber dans les bras de mon persécuteur.

— Dites-moi donc quel était cet homme ? s’écria le jeune officier.

Milady vit d’un seul regard tout ce qu’elle inspirait de souffrance à Felton, en pesant sur chaque détail de son récit ; mais elle ne voulait lui faire grâce d’aucune torture. Plus profondément elle lui briserait le cœur, plus sûrement il la vengerait. Elle continua donc comme si elle n’eût point entendu son exclamation, ou comme si elle eût pensé que le moment n’était pas encore venu d’y répondre.

— Seulement, cette fois, ce n’était plus à une espèce de cadavre inerte, sans aucun sentiment, que l’infâme avait affaire. Je vous l’ai dit : sans pouvoir parvenir à retrouver l’exercice complet de mes facultés, il me restait le sentiment de mon danger : je luttai donc de toutes mes forces et sans doute j’opposai, tout affaiblie que j’étais, une longue résistance, car je l’entendis s’écrier :

« — Ces misérables puritaines ! je savais bien qu’elles lassaient leurs bourreaux, mais je les croyais moins fortes contre leurs séducteurs. »

« Hélas ! cette résistance désespérée ne pouvait durer longtemps, je sentis mes forces qui s’épuisaient, et cette fois ce ne fut pas de mon sommeil que le lâche profita, ce fut de mon évanouissement. »

Felton écoutait sans faire entendre autre chose qu’une espèce de rugissement sourd ; seulement la sueur ruisselait sur son front de marbre, et sa main cachée sous son habit déchirait sa poitrine.

— Mon premier mouvement, en revenant à moi, fut de chercher sous mon oreiller ce couteau que je n’avais pu atteindre ; s’il n’avait point servi à la défense, il pouvait au moins servir à l’expiation.

« Mais en prenant ce couteau, Felton, une idée terrible me vint. J’ai juré de tout vous dire et je vous dirai tout ; je vous ai promis la vérité, je la dirai, dût-elle me perdre.

— L’idée vous vint de vous venger de cet homme, n’est-ce pas ? s’écria Felton.

— Eh bien, oui ! dit milady : cette idée n’était pas d’une chrétienne, je le sais ; sans doute cet éternel ennemi de notre âme, ce lion rugissant sans cesse autour de nous la soufflait à mon esprit. Enfin, que vous dirai-je, Felton ? continua milady du ton d’une femme qui s’accuse d’un crime, cette idée me vint et ne me quitta plus sans doute. C’est de cette pensée homicide que je porte aujourd’hui la punition.

— Continuez, continuez, dit Felton, j’ai hâte de vous voir arriver à la vengeance.

— Oh ! je résolus qu’elle aurait lieu le plus tôt possible, je ne doutais pas qu’il ne revînt la nuit suivante. Dans le jour je n’avais rien à craindre.

« Aussi, quand vint l’heure du déjeuner, je n’hésitai pas à manger et à boire : j’étais résolue à faire semblant de souper, mais à ne rien prendre : je devais donc par la nourriture du matin combattre le jeûne du soir.

« Seulement je cachai un verre d’eau soustraite à mon déjeuner, la soif ayant été ce qui m’avait le plus fait souffrir quand j’étais demeurée quarante-huit heures sans boire ni manger.

« La journée s’écoula sans avoir d’autre influence sur moi que de m’affermir dans la résolution prise : seulement j’eus soin que mon visage ne trahît en rien la pensée de mon cœur, car je ne doutais pas que je ne fusse observée ; plusieurs fois même je sentis un sourire sur mes lèvres. Felton, je n’ose pas vous dire à quelle idée je souriais, vous me prendriez en horreur…

— Continuez, continuez, dit Felton, vous voyez bien que j’écoute et que j’ai hâte d’arriver.

— Le soir vint, les événements ordinaires s’accomplirent ; pendant l’obscurité, comme d’habitude, mon souper fut servi, puis la lampe s’alluma, et je me mis à table.

« Je mangeai quelques fruits seulement : je fis semblant de me verser de l’eau de la carafe, mais je ne bus que celle que j’avais conservée dans mon verre, la substitution, au reste, fut faite assez adroitement pour que mes espions, si j’en avais, ne conçussent aucun soupçon.

« Après le souper, je donnai les mêmes marques d’engourdissement que la veille ; mais cette fois, comme si je succombais à la fatigue ou comme si je me familiarisais avec le danger, je me traînai vers mon lit, et je fis semblant de m’endormir.

« Cette fois, j’avais retrouvé mon couteau sous l’oreiller, et tout en feignant de dormir, ma main serrait convulsivement la poignée.

« Deux heures s’écoulèrent sans qu’il se passât rien de nouveau : cette fois, ô mon Dieu ! qui m’eût dit cela la veille ? je commençais à craindre qu’il ne vînt pas.

« Enfin, je vis la lampe s’élever doucement et disparaître dans les profondeurs du plafond ; ma chambre s’emplit de ténèbres, mais je fis un effort pour percer du regard l’obscurité.

« Dix minutes à peu près se passèrent. Je n’entendais d’autre bruit que celui du battement de mon cœur.

« J’implorais le ciel pour qu’il vînt.

« Enfin j’entendis le bruit si connu de la porte qui s’ouvrait et se refermait ; j’entendis, malgré l’épaisseur du tapis, un pas qui faisait crier le parquet ; je vis, malgré l’obscurité, une ombre qui approchait de mon lit.

— Hâtez-vous, hâtez-vous ! dit Felton, ne voyez-vous pas que chacune de vos paroles me brûle comme du plomb fondu !

— Alors, continua milady, alors je réunis toutes mes forces, je me rappelai que le moment de la vengeance ou plutôt de la justice avait sonné ; je me regardai comme une autre Judith ; je me ramassai sur moi-même, mon couteau à la main, et quand je le vis près de moi, étendant les bras pour chercher sa victime, alors, avec le dernier cri de la douleur et du désespoir, je le frappai au milieu de la poitrine.

« Le misérable ! il avait tout prévu : sa poitrine était couverte d’une cotte de mailles ; le couteau s’émoussa.

« — Ah ! ah ! s’écria-t-il en me saisissant le bras et en m’arrachant l’arme qui m’avait si mal servie, vous en voulez à ma vie, ma belle puritaine ! mais c’est plus que de la haine, cela, c’est de l’ingratitude ! Allons, allons, calmez-vous, ma belle enfant ! j’avais cru que vous étiez adoucie. Je ne suis pas de ces tyrans qui gardent les femmes de force : vous ne m’aimez pas, j’en doutais avec ma fatuité ordinaire ; maintenant j’en suis convaincu. Demain, vous serez libre. »

« Je n’avais qu’un désir, c’était qu’il me tuât.

« — Prenez garde ! lui dis-je, car ma liberté c’est votre déshonneur. Oui, car, à peine sortie d’ici, je dirai tout, je dirai la violence dont vous avez usé envers moi, je dirai ma captivité. Je dénoncerai ce palais d’infamie ; vous êtes bien haut placé, milord, mais tremblez ! Au-dessus de vous il y a le roi, au-dessus du roi il y a Dieu. »

« Si maître qu’il parût de lui, mon persécuteur laissa échapper un mouvement de colère. Je ne pouvais voir l’expression de son visage, mais j’avais senti frémir son bras sur lequel était posée ma main.

« – Alors, vous ne sortirez pas d’ici, dit-il.

« – Bien, bien ! m’écriai-je, alors le lieu de mon supplice sera aussi celui de mon tombeau. Bien ! je mourrai ici et vous verrez si un fantôme qui accuse n’est pas plus terrible encore qu’un vivant qui menace !

« – On ne vous laissera aucune arme.

« – Il y en a une que le désespoir a mise à la portée de toute créature qui a le courage de s’en servir. Je me laisserai mourir de faim.

« – Voyons, dit le misérable, la paix ne vaut-elle pas mieux qu’une pareille guerre ? Je vous rends la liberté à l’instant même, je vous proclame une vertu, je vous surnomme la Lucrèce de l’Angleterre.

« – Et moi je dis que vous en êtes le Sextus, moi je vous dénonce aux hommes comme je vous ai déjà dénoncé à Dieu ; et s’il faut que, comme Lucrèce, je signe mon accusation de mon sang, je la signerai.

« – Ah ! ah ! dit mon ennemi d’un ton railleur, alors c’est autre chose. Ma foi, au bout du compte, vous êtes bien ici, rien ne vous manquera, et si vous vous laissez mourir de faim ce sera de votre faute. »

« À ces mots, il se retira, j’entendis s’ouvrir et se refermer la porte, et je restai abîmée, moins encore, je l’avoue, dans ma douleur, que dans la honte de ne m’être pas vengée.

« Il me tint parole. Toute la journée, toute la nuit du lendemain s’écoulèrent sans que je le revisse. Mais moi aussi je lui tins parole, et je ne mangeai ni ne bus ; j’étais, comme je le lui avais dit, résolue à me laisser mourir de faim.

« Je passai le jour et la nuit en prière, car j’espérais que Dieu me pardonnerait mon suicide.

« La seconde nuit la porte s’ouvrit ; j’étais couchée à terre sur le parquet, les forces commençaient à m’abandonner.

« Au bruit je me relevai sur une main.

« — Eh bien, me dit une voix qui vibrait d’une façon trop terrible à mon oreille pour que je ne la reconnusse pas, eh bien ! sommes-nous un peu adoucie et paierons nous notre liberté d’une seule promesse de silence ?

« Tenez, moi, je suis bon prince, ajouta-t-il, et, quoique je n’aime pas les puritains, je leur rends justice, ainsi qu’aux puritaines, quand elles sont jolies. Allons, faites-moi un petit serment sur la croix, je ne vous en demande pas davantage.

« – Sur la croix ! m’écriai-je en me relevant, car à cette voix abhorrée j’avais retrouvé toutes mes forces ; sur la croix ! je jure que nulle promesse, nulle menace, nulle torture ne me fermera la bouche ; sur la croix ! je jure de vous dénoncer partout comme un meurtrier, comme un larron d’honneur, comme un lâche ; sur la croix ! je jure, si jamais je parviens à sortir d’ici, de demander vengeance contre vous au genre humain entier.

« – Prenez garde ! dit la voix avec un accent de menace que je n’avais pas encore entendu, j’ai un moyen suprême, que je n’emploierai qu’à la dernière extrémité, de vous fermer la bouche ou du moins d’empêcher qu’on ne croie à un seul mot de ce que vous direz. »

« Je rassemblai toutes mes forces pour répondre par un éclat de rire.

« Il vit que c’était entre nous désormais une guerre éternelle, une guerre à mort.

« — Écoutez, dit-il, je vous donne encore le reste de cette nuit et la journée de demain ; réfléchissez : promettez de vous taire, la richesse, la considération, les honneurs mêmes vous entoureront ; menacez de parler, et je vous condamne à l’infamie.

« – Vous ! m’écriai-je, vous !

« – À l’infamie éternelle, ineffaçable !

« – Vous ! » répétai-je. Oh ! je vous le dis, Felton, je le croyais insensé !

« — Oui, moi ! reprit-il.

« – Ah ! laissez-moi, lui dis-je, sortez, si vous ne voulez pas qu’à vos yeux je me brise la tête contre la muraille !

« – C’est bien, reprit-il, vous le voulez, à demain soir !

« – À demain soir, répondis-je en me laissant tomber et en mordant le tapis de rage… »

Felton s’appuyait sur un meuble, et milady voyait avec une joie de démon que la force lui manquerait peut-être avant la fin du récit.

UN MOYEN DE TRAGÉDIE CLASSIQUE

Après un moment de silence employé par milady à observer le jeune homme qui l’écoutait, elle continua son récit :

— Il y avait près de trois jours que je n’avais ni bu ni mangé, je souffrais des tortures atroces : parfois il me passait comme des nuages qui me serraient le front, qui me voilaient les yeux : c’était le délire.

« Le soir vint ; j’étais si faible, qu’à chaque instant je m’évanouissais et à chaque fois que je m’évanouissais je remerciais Dieu, car je croyais que j’allais mourir.

« Au milieu de l’un de ces évanouissements, j’entendis la porte s’ouvrir ; la terreur me rappela à moi.

« Mon persécuteur entra suivi d’un homme masqué, il était masqué lui-même ; mais je reconnus son pas, je reconnus cet air imposant que l’enfer a donné à sa personne pour le malheur de l’humanité.

« — Eh bien ! me dit-il, êtes-vous décidée à me faire le serment que je vous ai demandé ?

« — Vous l’avez dit, les puritains n’ont qu’une parole ; la mienne, vous l’avez entendue : c’est de vous poursuivre sur la terre au tribunal des hommes, dans le ciel au tribunal de Dieu !

« — Ainsi, vous persistez ?

« — Je le jure devant ce Dieu qui m’entend ; je prendrai le monde entier à témoin de votre crime, et cela jusqu’à ce que j’aie trouvé un vengeur.

« — Vous êtes une prostituée, dit-il d’une voix tonnante, et vous subirez le supplice des prostituées ! Flétrie aux yeux du monde que vous invoquerez, tâchez de prouver à ce monde que vous n’êtes ni coupable ni folle !

« Puis, s’adressant à l’homme qui l’accompagnait :

« — Bourreau, dit-il, fais ton devoir.

— Oh ! son nom, son nom ! s’écria Felton ; son nom, dites-le-moi !

— Alors, malgré mes cris, malgré ma résistance, car je commençais à comprendre qu’il s’agissait pour moi de quelque chose de pire que la mort, le bourreau me saisit, me renversa sur le parquet, me meurtrit de ses étreintes, et suffoquée par les sanglots, presque sans connaissance, invoquant Dieu, qui ne m’écoutait pas, je poussai tout à coup un effroyable cri de douleur et de honte ; un fer brûlant, un fer rouge, le fer du bourreau, s’était imprimé sur mon épaule.

Felton poussa un rugissement.

— Tenez, dit milady, en se levant alors avec une majesté de reine, tenez, Felton, voyez comment on a inventé un nouveau martyre pour la jeune fille pure et cependant victime de la brutalité d’un scélérat. Apprenez à connaître le cœur des hommes, et désormais faites-vous moins facilement l’instrument de leurs injustes vengeances.

Milady d’un geste rapide ouvrit sa robe, déchira la batiste qui couvrait son sein, et, rouge d’une feinte colère et d’une honte jouée, montra au jeune homme l’empreinte ineffaçable qui déshonorait cette épaule si belle.

— Mais, s’écria Felton, c’est une fleur de lys que je vois là !

— Et voilà justement où est l’infamie, répondit Milady. La flétrissure d’Angleterre !… il fallait prouver quel tribunal me l’avait imposée, et j’aurais fait un appel public à tous les tribunaux du royaume ; mais la flétrissure de France… oh ! par elle, j’étais bien réellement flétrie.

C’en était trop pour Felton.

Pâle, immobile, écrasé par cette révélation effroyable, ébloui par la beauté surhumaine de cette femme qui se dévoilait à lui avec une impudeur qu’il trouva sublime, il finit par tomber à genoux devant elle comme faisaient les premiers chrétiens devant ces pures et saintes martyres que la persécution des empereurs livrait dans le cirque à la sanguinaire lubricité des populaces. La flétrissure disparut, la beauté seule resta.

— Pardon, pardon ! s’écria Felton, oh ! pardon !

Milady lut dans ses yeux : Amour, amour.

— Pardon de quoi ? demanda-t-elle.

— Pardon de m’être joint à vos persécuteurs.

Milady lui tendit la main.

— Si belle, si jeune ! s’écria Felton en couvrant cette main de baisers.

Milady laissa tomber sur lui un de ces regards qui d’un esclave font un roi. Felton était puritain : il quitta la main de cette femme pour baiser ses pieds ; il ne l’aimait déjà plus, il l’adorait.

Quand cette crise fut passée, quand milady parut avoir recouvré son sang-froid, qu’elle n’avait jamais perdu ; lorsque Felton eut vu se refermer sous le voile de la chasteté ces trésors d’amour qu’on ne lui cachait si bien que pour les lui faire désirer plus ardemment :

— Ah ! maintenant, dit-il, je n’ai plus qu’une chose à vous demander, c’est le nom de votre véritable bourreau ; car pour moi il n’y en a qu’un ; l’autre était l’instrument, voilà tout.

— Eh quoi, frère ! s’écria Milady, il faut encore que je te le nomme, et tu ne l’as pas deviné ?

— Quoi ! reprit Felton, lui !… encore lui !… toujours lui !… Quoi ! le vrai coupable ?…

— Le vrai coupable, dit milady, c’est le ravageur de l’Angleterre, le persécuteur des vrais croyants, le lâche ravisseur de l’honneur de tant de femmes, celui qui pour un caprice de son cœur corrompu va faire verser tant de sang à deux royaumes, qui protège les protestants aujourd’hui et qui les trahira demain.

— Buckingham ! c’est donc Buckingham ! s’écria Felton exaspéré.

Milady cacha son visage dans ses mains, comme si elle n’eût pu supporter la honte que lui rappelait ce nom.

— Buckingham, le bourreau de cette angélique créature ! s’écria Felton. Et tu ne l’as pas foudroyé, mon Dieu ! et tu l’as laissé noble, honoré, puissant pour notre perte à tous !

— Dieu abandonne qui s’abandonne lui-même, dit milady.

— Mais il veut donc attirer sur sa tête le châtiment réservé aux maudits ! continua Felton avec une exaltation croissante, il veut donc que la vengeance humaine prévienne la justice céleste !

— Les hommes le craignent et l’épargnent.

— Oh ! moi, dit Felton, je ne le crains pas et je ne l’épargnerai pas !…

Milady sentit son âme baignée d’une joie infernale.

— Mais comment lord de Winter, mon protecteur, mon père, demanda Felton, se trouve-t-il mêlé à tout cela ?

— Écoutez, Felton, reprit milady, car à côté des hommes lâches et méprisables, il est encore des natures grandes et généreuses. J’avais un fiancé, un homme que j’aimais et qui m’aimait ; un cœur comme le vôtre, Felton, un homme comme vous. Je vins à lui et je lui racontai tout, il me connaissait, celui-là, et ne douta point un instant. C’était un grand seigneur, c’était un homme en tout point l’égal de Buckingham. Il ne dit rien, il ceignit seulement son épée, s’enveloppa de son manteau et se rendit à Buckingham-Palace.

— Oui, oui, dit Felton, je comprends ; quoique avec de pareils hommes ce ne soit pas l’épée qu’il faille employer, mais le poignard.

— Buckingham était parti depuis la veille, envoyé comme ambassadeur en Espagne, où il allait demander la main de l’infante pour le roi Charles Ier, qui n’était alors que prince de Galles. Mon fiancé revint.

— Écoutez, me dit-il, cet homme est parti, et pour le moment, par conséquent, il échappe à ma vengeance ; mais en attendant soyons unis, comme nous devions l’être, puis rapportez-vous-en à lord de Winter pour soutenir son honneur et celui de sa femme.

— Lord de Winter ! s’écria Felton.

— Oui, dit milady, lord de Winter, et maintenant vous devez tout comprendre, n’est-ce pas ? Buckingham resta plus d’un an absent. Huit jours avant son arrivée, lord de Winter mourut subitement, me laissant sa seule héritière. D’où venait le coup ? Dieu, qui sait tout, le sait sans doute, moi je n’accuse personne…

— Oh ! quel abîme, quel abîme ! s’écria Felton.

— Lord de Winter était mort sans rien dire à son frère. Le secret terrible devait être caché à tous, jusqu’à ce qu’il éclatât comme la foudre sur la tête du coupable. Votre protecteur avait vu avec peine ce mariage de son frère aîné avec une jeune fille sans fortune. Je sentis que je ne pouvais attendre d’un homme trompé dans ses espérances d’héritage aucun appui. Je passai en France résolue à y demeurer pendant tout le reste de ma vie. Mais toute ma fortune est en Angleterre ; les communications fermées par la guerre, tout me manqua : force fut alors d’y revenir ; il y a six jours j’abordais à Portsmouth.

— Eh bien ? dit Felton.

— Eh bien, Buckingham apprit sans doute mon retour, il en parla à lord de Winter, déjà prévenu contre moi, et lui dit que sa belle-sœur était une prostituée, une femme flétrie. La voix pure et noble de mon mari n’était plus là pour me défendre. Lord de Winter crut tout ce qu’on lui dit, avec d’autant plus de facilité qu’il avait intérêt à le croire. Il me fit arrêter, me conduisit ici, me remit sous votre garde. Vous savez le reste : après-demain il me bannit, il me déporte ; après-demain il me relègue parmi les infâmes. Oh ! la trame est bien ourdie, allez ! le complot est habile et mon honneur n’y survivra pas. Vous voyez bien qu’il faut que je meure, Felton ; Felton, donnez-moi ce couteau.

Et à ces mots, comme si toutes ses forces étaient épuisées, milady se laissa aller débile et languissante entre les bras du jeune officier, qui, ivre d’amour, de colère et de voluptés inconnues, la reçut avec transport, la serra contre son cœur, tout frissonnant à l’haleine de cette bouche si belle, tout éperdu au contact de ce sein si palpitant.

— Non, non, dit-il ; non, tu vivras honorée et pure, tu vivras pour triompher de tes ennemis.

Milady le repoussa lentement de la main en l’attirant du regard ; mais Felton, à son tour, s’empara d’elle, l’implorant comme une Divinité.

— Oh ! la mort, la mort ! dit-elle en voilant sa voix et ses paupières, oh ! la mort plutôt que la honte ; Felton, mon frère, mon ami, je t’en conjure !

— Non, s’écria Felton, non, tu vivras, et tu seras vengée !

— Felton, je porte malheur à tout ce qui m’entoure ! Felton, abandonne-moi ! Felton, laisse-moi mourir !

— Eh bien, nous mourrons donc ensemble ! s’écria-t-il en appuyant ses lèvres sur celles de la prisonnière.

Plusieurs coups retentirent à la porte ; cette fois, milady le repoussa réellement.

— Écoutez, dit-elle, on nous a entendus, on vient ! c’en est fait, nous sommes perdus !

— Non, dit Felton, c’est la sentinelle qui me prévient seulement qu’une ronde arrive.

— Alors, courez à la porte et ouvrez vous-même.

Felton obéit ; cette femme était déjà toute sa pensée, toute son âme.

Il se trouva en face d’un sergent commandant une patrouille de surveillance.

— Eh bien, qu’y a-t-il ? demanda le jeune lieutenant.

— Vous m’aviez dit d’ouvrir la porte si j’entendais crier au secours, dit le soldat, mais vous aviez oublié de me laisser la clef ; je vous ai entendu crier sans comprendre ce que vous disiez, j’ai voulu ouvrir la porte, elle était fermée en dedans, alors j’ai appelé le sergent.

— Et me voilà, dit le sergent.

Felton, égaré, presque fou, demeurait sans voix.

Milady comprit que c’était à elle de s’emparer de la situation, elle courut à la table et prit le couteau qu’y avait déposé Felton :

— Et de quel droit voulez-vous m’empêcher de mourir ? dit-elle.

— Grand Dieu ! s’écria Felton en voyant le couteau luire à sa main.

En ce moment, un éclat de rire ironique retentit dans le corridor.

Le baron, attiré par le bruit, en robe de chambre, son épée sous le bras, se tenait debout sur le seuil de la porte.

— Ah ! ah ! dit-il, nous voici au dernier acte de la tragédie ; vous le voyez, Felton, le drame a suivi toutes les phases que j’avais indiquées ; mais soyez tranquille, le sang ne coulera pas.

Milady comprit qu’elle était perdue si elle ne donnait pas à Felton une preuve immédiate et terrible de son courage.

— Vous vous trompez, Milord, le sang coulera, et puisse ce sang retomber sur ceux qui le font couler !

Felton jeta un cri et se précipita vers elle ; il était trop tard : milady s’était frappée. Mais le couteau avait rencontré, heureusement, nous devrions dire adroitement, le busc de fer qui, à cette époque, défendait comme une cuirasse la poitrine des femmes ; il avait glissé en déchirant la robe, et avait pénétré de biais entre la chair et les côtes.

La robe de milady n’en fut pas moins tachée de sang en une seconde.

Milady était tombée à la renverse et semblait évanouie.

Felton arracha le couteau.

— Voyez, milord, dit-il d’un air sombre, voici une femme qui était sous ma garde et qui s’est tuée !

— Soyez tranquille, Felton, dit lord de Winter, elle n’est pas morte, les démons ne meurent pas si facilement, soyez tranquille et allez m’attendre chez moi.

— Mais, milord…

— Allez, je vous l’ordonne.

À cette injonction de son supérieur, Felton obéit ; mais, en sortant, il mit le couteau dans sa poitrine.

Quant à lord de Winter, il se contenta d’appeler la femme qui servait milady et, lorsqu’elle fut venue, lui recommandant la prisonnière toujours évanouie, il la laissa seule avec elle.

Cependant, comme à tout prendre, malgré ses soupçons, la blessure pouvait être grave, il envoya, à l’instant même, un homme à cheval chercher un médecin.

ÉVASION

Comme l’avait pensé lord de Winter, la blessure de milady n’était pas dangereuse ; aussi dès qu’elle se trouva seule avec la femme que le baron avait fait appeler et qui se hâtait de la déshabiller, rouvrit-elle les yeux.

Cependant, il fallait jouer la faiblesse et la douleur ; ce n’étaient pas choses difficiles pour une comédienne comme milady ; aussi la pauvre femme fut-elle si complètement dupe de sa prisonnière, que, malgré ses instances, elle s’obstina à la veiller toute la nuit.

Mais la présence de cette femme n’empêchait pas milady de songer.

Il n’y avait plus de doute, Felton était convaincu, Felton était à elle : un ange apparût-il au jeune homme pour accuser milady, il le prendrait certainement, dans la disposition d’esprit où il se trouvait, pour un envoyé du démon.

Milady souriait à cette pensée, car Felton, c’était désormais sa seule espérance, son seul moyen de salut.

Mais lord de Winter pouvait l’avoir soupçonné, mais Felton maintenant pouvait être surveillé lui-même.

Vers les quatre heures du matin, le médecin arriva ; mais depuis le temps où milady s’était frappée, la blessure s’était déjà refermée : le médecin ne put donc en mesurer ni la direction, ni la profondeur ; il reconnut seulement au pouls de la malade que le cas n’était point grave.

Le matin, milady, sous prétexte qu’elle n’avait pas dormi de la nuit et qu’elle avait besoin de repos, renvoya la femme qui veillait près d’elle.

Elle avait une espérance, c’est que Felton arriverait à l’heure du déjeuner, mais Felton ne vint pas.

Ses craintes s’étaient-elles réalisées ? Felton, soupçonné par le baron, allait-il lui manquer au moment décisif ? Elle n’avait plus qu’un jour : lord de Winter lui avait annoncé son embarquement pour le 23 et l’on était arrivé au matin du 22.

Néanmoins, elle attendit encore assez patiemment jusqu’à l’heure du dîner.

Quoiqu’elle n’eût pas mangé le matin, le dîner fut apporté à l’heure habituelle ; milady s’aperçut alors avec effroi que l’uniforme des soldats qui la gardaient était changé.

Alors elle se hasarda à demander ce qu’était devenu Felton. On lui répondit que Felton était monté à cheval il y avait une heure, et était parti.

Elle s’informa si le baron était toujours au château ; le soldat répondit que oui, et qu’il avait ordre de le prévenir si la prisonnière désirait lui parler.

Milady répondit qu’elle était trop faible pour le moment, et que son seul désir était de demeurer seule.

Le soldat sortit, laissant le dîner servi.

Felton était écarté ; les soldats de marine étaient changés, on se défiait donc de Felton.

C’était le dernier coup porté à la prisonnière.

Restée seule, elle se leva ; ce lit où elle se tenait par prudence et pour qu’on la crût gravement blessée, la brûlait comme un brasier ardent. Elle jeta un coup d’œil sur la porte : le baron avait fait clouer une planche sur le guichet ; il craignait sans doute que, par cette ouverture, elle ne parvint encore, par quelque moyen diabolique, à séduire les gardes.

Milady sourit de joie ; elle pouvait donc se livrer à ses transports sans être observée : elle parcourait la chambre avec l’exaltation d’une folle furieuse ou d’une tigresse enfermée dans une cage de fer. Certes, si le couteau lui fût resté, elle eût songé, non plus à se tuer elle-même, mais, cette fois, à tuer le baron.

À six heures, lord de Winter entra ; il était armé jusqu’aux dents. Cet homme, dans lequel, jusque-là, milady n’avait vu qu’un gentleman assez niais, était devenu un admirable geôlier : il semblait tout prévoir, tout deviner, tout prévenir.

Un seul regard jeté sur milady lui apprit ce qui se passait dans son âme.

— Soit, dit-il, mais vous ne me tuerez point encore aujourd’hui ; vous n’avez plus d’armes, et d’ailleurs je suis sur mes gardes. Vous aviez commencé à pervertir mon pauvre Felton : il subissait déjà votre infernale influence, mais je veux le sauver, il ne vous verra plus, tout est fini. Rassemblez vos hardes, demain vous partirez. J’avais fixé l’embarquement au 24, mais j’ai pensé que plus la chose serait rapprochée, plus elle serait sûre. Demain à midi j’aurai l’ordre de votre exil, signé Buckingham. Si vous dites un seul mot à qui que ce soit avant d’être sur le navire, mon sergent vous fera sauter la cervelle, et il en a l’ordre ; si, sur le navire, vous dites un mot à qui que ce soit avant que le capitaine vous le permette, le capitaine vous fait jeter à la mer, c’est convenu. Au revoir, voilà ce que pour aujourd’hui j’avais à vous dire. Demain je vous reverrai pour vous faire mes adieux !

Et sur ces paroles le baron sortit.

Milady avait écouté toute cette menaçante tirade le sourire du dédain sur les lèvres, mais la rage dans le cœur.

On servit le souper ; milady sentit qu’elle avait besoin de forces, elle ne savait pas ce qui pouvait se passer pendant cette nuit qui s’approchait menaçante, car de gros nuages roulaient au ciel, et des éclairs lointains annonçaient un orage.

L’orage éclata vers les dix heures du soir ; milady sentait une consolation à voir la nature partager le désordre de son cœur ; la foudre grondait dans l’air comme la colère dans sa pensée, il lui semblait que la rafale, en passant, échevelait son front comme les arbres dont elle courbait les branches et enlevait les feuilles ; elle hurlait comme l’ouragan, et sa voix se perdait dans la grande voix de la nature, qui, elle aussi, semblait gémir et se désespérer.

De temps en temps elle regardait une bague qu’elle portait à son doigt. Le chaton de cette bague contenait un poison subtil et violent ; c’était sa dernière ressource.

Tout à coup elle entendit frapper à une vitre, et, à la lueur d’un éclair, elle vit le visage d’un homme apparaître derrière les barreaux.

Elle courut à la fenêtre et l’ouvrit.

— Felton ! s’écria-t-elle, je suis sauvée !

— Oui, dit Felton ! mais silence, silence ! il me faut le temps de scier vos barreaux. Prenez garde seulement qu’ils ne vous voient par le guichet.

— Oh ! c’est une preuve que le Seigneur est pour nous, Felton, reprit milady, ils ont fermé le guichet avec une planche.

— C’est bien, Dieu les a rendus insensés ! dit Felton.

— Mais que faut-il que je fasse ? demanda milady.

— Rien, rien ; refermez la fenêtre seulement. Couchez-vous, ou, du moins, mettez-vous dans votre lit tout habillée ; quand j’aurai fini, je frapperai aux carreaux. Mais pourrez-vous me suivre ?

— Oh ! oui.

— Votre blessure ?

— Me fait souffrir, mais ne m’empêche pas de marcher.

— Tenez-vous donc prête au premier signal.

Milady referma la fenêtre, éteignit la lampe, et alla, comme le lui avait recommandé Felton, se blottir dans son lit. Au milieu des plaintes de l’orage, elle entendait le grincement de la lime contre les barreaux, et, à la lueur de chaque éclair, elle apercevait l’ombre de Felton derrière les vitres.

Elle passa une heure sans respirer, haletante, la sueur sur le front, et le cœur serré par une épouvantable angoisse à chaque mouvement qu’elle entendait dans le corridor.

Il y a des heures qui durent une année.

Au bout d’une heure, Felton frappa de nouveau.

Milady bondit hors de son lit et alla ouvrir. Deux barreaux de moins formaient une ouverture à passer un homme.

— Êtes-vous prête ? demanda Felton.

— Oui. Faut-il que j’emporte quelque chose ?

— De l’or, si vous en avez.

— Oui, heureusement on m’a laissé ce que j’en avais.

— Tant mieux, car j’ai usé tout le mien pour fréter une barque.

— Prenez, dit milady en mettant aux mains de Felton un sac plein d’or.

Felton prit le sac et le jeta au pied du mur.

— Maintenant, dit-il, voulez-vous venir ?

— Me voici.

Milady monta sur un fauteuil et passa tout le haut de son corps par la fenêtre : elle vit le jeune officier suspendu au-dessus de l’abîme par une échelle de corde.

Pour la première fois, un mouvement de terreur lui rappela qu’elle était femme.

Le vide l’épouvantait.

— Je m’en étais douté, dit Felton.

— Ce n’est rien, ce n’est rien, dit milady, je descendrai les yeux fermés.

— Avez-vous confiance en moi ? dit Felton.

— Vous le demandez !

— Rapprochez vos deux mains ; croisez-les. C’est bien.

Felton lui lia les deux poignets avec son mouchoir, puis par-dessus le mouchoir, avec une corde.

— Que faites-vous ? demanda milady avec surprise.

— Passez vos bras autour de mon cou et ne craignez rien.

— Mais je vous ferai perdre l’équilibre, et nous nous briserons tous les deux.

— Soyez tranquille, je suis marin.

Il n’y avait pas une seconde à perdre ; milady passa ses deux bras autour du cou de Felton et se laissa glisser hors de la fenêtre.

Felton se mit à descendre les échelons lentement et un à un. Malgré la pesanteur des deux corps, le souffle de l’ouragan les balançait dans l’air.

Tout à coup Felton s’arrêta.

— Qu’y a-t-il ? demanda milady.

— Silence, dit Felton, j’entends des pas.

— Nous sommes découverts !

Il se fit un silence de quelques instants.

— Non, dit Felton, ce n’est rien.

— Mais enfin quel est ce bruit ?

— Celui de la patrouille qui va passer sur le chemin de ronde.

— Où est le chemin de ronde ?

— Juste au-dessous de nous.

— Elle va nous découvrir.

— Non, s’il ne fait pas d’éclairs.

— Elle heurtera le bas de l’échelle.

— Heureusement elle est trop courte de six pieds.

— Les voilà, mon Dieu !

— Silence !

Tous deux restèrent suspendus, immobiles et sans souffle, à vingt pieds du sol ; pendant ce temps les soldats passaient au-dessous riant et causant.

Il y eut pour les fugitifs un moment terrible.

La patrouille passa ; on entendit le bruit des pas qui s’éloignait, et le murmure des voix qui allait s’affaiblissant.

— Maintenant, dit Felton, nous sommes sauvés.

Milady poussa un soupir et s’évanouit.

Felton continua de descendre. Parvenu au bas de l’échelle, et lorsqu’il ne sentit plus d’appui pour ses pieds, il se cramponna avec ses mains ; enfin, arrivé au dernier échelon il se laissa pendre à la force des poignets et toucha la terre. Il se baissa, ramassa le sac d’or et le prit entre ses dents.

Puis il souleva milady dans ses bras, et s’éloigna vivement du côté opposé à celui qu’avait pris la patrouille. Bientôt il quitta le chemin de ronde, descendit à travers les rochers, et, arrivé au bord de la mer, fit entendre un coup de sifflet.

Un signal pareil lui répondit, et, cinq minutes après, il vit apparaître une barque montée par quatre hommes.

La barque s’approcha aussi près qu’elle put du rivage, mais il n’y avait pas assez de fond pour qu’elle pût toucher le bord ; Felton se mit à l’eau jusqu’à la ceinture, ne voulant confier à personne son précieux fardeau.

Heureusement la tempête commençait à se calmer, et cependant la mer était encore violente ; la petite barque bondissait sur les vagues comme une coquille de noix.

— Au sloop ! dit Felton, et nagez vivement.

Les quatre hommes se mirent à la rame ; mais la mer était trop grosse pour que les avirons eussent grande prise dessus.

Toutefois on s’éloignait du château ; c’était le principal. La nuit était profondément ténébreuse, et il était déjà presque impossible de distinguer le rivage de la barque, à plus forte raison n’eût-on pas pu distinguer la barque du rivage.

Un point noir se balançait sur la mer… C’était le sloop.

Pendant que la barque s’avançait de son côté de toute la force de ses quatre rameurs, Felton déliait la corde, puis le mouchoir qui liait les mains de milady. Puis, lorsque ses mains furent déliées, il prit de l’eau de la mer et la lui jeta au visage. Milady poussa un soupir et ouvrit les yeux.

— Où suis-je ? dit-elle.

— Sauvée, répondit le jeune officier.

— Oh ! sauvée ! sauvée ! s’écria-t-elle. Oui, voici le ciel, voici la mer ! Cet air que je respire, c’est celui de la liberté. Ah !… merci, Felton, merci !

Le jeune homme la pressa contre son cœur.

— Mais qu’ai-je donc aux mains ? demanda Milady ; il me semble qu’on m’a brisé les poignets dans un étau.

En effet, milady souleva ses bras : elle avait les poignets meurtris.

— Hélas ! dit Felton en regardant ces belles mains et en secouant doucement la tête.

— Oh ! ce n’est rien, ce n’est rien ! s’écria milady : maintenant je me rappelle !

Milady chercha des yeux autour d’elle.

— Il est là, dit Felton en poussant du pied le sac d’or.

On s’approchait du sloop. Le marin de quart héla la barque, la barque répondit.

— Quel est ce bâtiment ? demanda milady.

— Celui que j’ai frété pour vous.

— Où va-t-il me conduire ?

— Où vous voudrez, pourvu que, moi, vous me jetiez à Portsmouth.

— Qu’allez-vous faire à Portsmouth ? demanda milady.

— Accomplir les ordres de lord de Winter, dit Felton avec un sombre sourire.

— Quels ordres ? demanda milady.

— Vous ne comprenez donc pas ? dit Felton.

— Non ; expliquez-vous, je vous en prie.

— Comme il se défiait de moi, il a voulu vous garder lui-même, et m’a envoyé à sa place faire signer à Buckingham l’ordre de votre déportation.

— Mais s’il se défiait de vous, comment vous a-t-il confié cet ordre ?

— Étais-je censé savoir ce que je portais ?

— C’est juste. Et vous allez à Portsmouth ?

— Je n’ai pas de temps à perdre : c’est demain le 23, et Buckingham part demain avec la flotte.

— Il part demain ! Pour où part-il ?

— Pour La Rochelle.

— Il ne faut pas qu’il parte ! s’écria milady, oubliant sa présence d’esprit accoutumée.

— Soyez tranquille, répondit Felton, il ne partira pas.

Milady tressaillit de joie ; elle venait de lire au plus profond du cœur du jeune homme : la mort de Buckingham y était écrite en toutes lettres.

— Felton… dit-elle, vous êtes grand comme Judas Macchabée ! Si vous mourez, je meurs avec vous, voilà tout ce que je puis vous dire.

— Silence, dit Felton, nous sommes arrivés.

En effet, on touchait au sloop.

Felton monta le premier à l’échelle et donna la main à milady, tandis que les matelots la soutenaient, car la mer était encore fort agitée.

Un instant après ils étaient sur le pont.

— Capitaine, dit Felton, voici la personne dont je vous ai parlé, et qu’il faut conduire saine et sauve en France.

— Moyennant mille pistoles, dit le capitaine.

— Je vous en ai donné cinq cents.

— C’est juste, dit le capitaine.

— Et voilà les cinq cents autres, reprit milady, en portant la main au sac d’or.

— Non, dit le capitaine, je n’ai qu’une parole, et je l’ai donnée à ce jeune homme ; les cinq cents autres pistoles ne me sont dues qu’en arrivant à Boulogne.

— Et nous y arriverons ?

— Sains et saufs, dit le capitaine, aussi vrai que je m’appelle Jack Buttler.

— Eh bien ! dit Milady, si vous tenez votre parole, ce n’est pas cinq cents, mais mille pistoles que je vous donnerai.

— Hurrah pour vous alors, ma belle dame, cria le capitaine, et puisse Dieu m’envoyer souvent des pratiques comme votre seigneurie !

— En attendant, dit Felton, conduisez-nous dans la petite baie de Chichester, en avant de Portsmouth ; vous savez qu’il est convenu que vous nous conduirez là.

Le capitaine répondit en commandant la manœuvre nécessaire, et vers les sept heures du matin le petit bâtiment jetait l’ancre dans la baie désignée.

Pendant cette traversée, Felton avait tout raconté à milady, comment, au lieu d’aller à Londres, il avait frété le petit bâtiment, comment il était revenu, comment il avait escaladé la muraille en plaçant dans les interstices des pierres, à mesure qu’il montait, des crampons, pour assurer ses pieds, et comment enfin, arrivé aux barreaux, il avait attaché l’échelle, milady savait le reste.

De son côté, milady essaya d’encourager Felton dans son projet, mais aux premiers mots qui sortirent de sa bouche, elle vit bien que le jeune fanatique avait plutôt besoin d’être modéré que d’être affermi. Il fut convenu que milady attendrait Felton jusqu’à dix heures ; si à dix heures il n’était pas de retour, elle partirait. Alors, en supposant qu’il fût libre, il la rejoindrait en France, au couvent des carmélites de Béthune.

CE QUI SE PASSAIT À PORTSMOUTH LE 23 AOÛT 1628

Felton prit congé de milady comme un frère qui va faire une simple promenade prend congé de sa sœur, en lui baisant la main.

Toute sa personne paraissait dans son état de calme ordinaire : seulement une lueur inaccoutumée brillait dans ses yeux, pareille à un reflet de fièvre ; son front était plus pâle encore que de coutume ; ses dents étaient serrées, et sa parole avait un accent bref et saccadé qui indiquait que quelque chose de sombre s’agitait en lui.

Tant qu’il resta sur la barque qui le conduisait à terre, il demeura le visage tourné du côté de milady, qui, debout sur le pont, le suivait des yeux. Tous deux étaient assez rassurés sur la crainte d’être poursuivis : on n’entrait jamais dans la chambre de milady avant neuf heures ; et il fallait trois heures pour venir du château à Londres.

Felton mit pied à terre, gravit la petite crête qui conduisait au haut de la falaise, salua milady une dernière fois, et prit sa course vers la ville.

Au bout de cent pas, comme le terrain allait en descendant, il ne pouvait plus voir que le mât du sloop.

Il courut aussitôt dans la direction de Portsmouth, dont il voyait en face de lui, à un demi-mille à peu près, se dessiner dans la brume du matin les tours et les maisons.

Au-delà de Portsmouth, la mer était couverte de vaisseaux dont on voyait les mâts, pareils à une forêt de peupliers dépouillés par l’hiver, se balancer sous le souffle du vent.

Felton, dans sa marche rapide, repassait ce que dix années de méditations ascétiques et un long séjour au milieu des puritains lui avaient fourni d’accusations vraies ou fausses contre le favori de Jacques VI et de Charles Ier.

Lorsqu’il comparait les crimes publics de ce ministre, crimes éclatants, crimes européens, si on pouvait le dire, avec les crimes privés et inconnus dont l’avait chargé milady, Felton trouvait que le plus coupable des deux hommes que renfermait Buckingham était celui dont le public ne connaissait pas la vie. C’est que son amour si étrange, si nouveau, si ardent, lui faisait voir les accusations infâmes et imaginaires de lady de Winter, comme on voit au travers d’un verre grossissant, à l’état de monstres effroyables, des atomes imperceptibles en réalité auprès d’une fourmi.

La rapidité de sa course allumait encore son sang : l’idée qu’il laissait derrière lui, exposée à une vengeance effroyable, la femme qu’il aimait ou plutôt qu’il adorait comme une sainte, l’émotion passée, sa fatigue présente, tout exaltait encore son âme au-dessus des sentiments humains.

Il entra à Portsmouth vers les huit heures du matin ; toute la population était sur pied. Le tambour battait dans les rues et sur le port ; les troupes d’embarquement descendaient vers la mer.

Felton arriva au palais de l’Amirauté, couvert de poussière et ruisselant de sueur. Sson visage, ordinairement si pâle, était pourpre de chaleur et de colère. La sentinelle voulut le repousser, mais Felton appela le chef du poste, et tirant de sa poche la lettre dont il était porteur :

— Message pressé de la part de lord de Winter, dit-il.

Au nom de lord de Winter, qu’on savait l’un des plus intimes de Sa Grâce, le chef de poste donna l’ordre de laisser passer Felton, qui, du reste, portait lui-même l’uniforme d’officier de marine.

Felton s’élança dans le palais.

Au moment où il entrait dans le vestibule un homme entrait aussi, poudreux, hors d’haleine, laissant à la porte un cheval de poste qui en arrivant tomba sur les deux genoux.

Felton et lui s’adressèrent en même temps à Patrick, le valet de chambre de confiance du duc. Felton nomma le baron de Winter, l’inconnu ne voulut nommer personne, et prétendit que c’était au duc seul qu’il pouvait se faire connaître. Tous deux insistaient pour passer l’un avant l’autre.

Patrick, qui savait que lord de Winter était en affaires de service et en relations d’amitié avec le duc, donna la préférence à celui qui venait en son nom. L’autre fut forcé d’attendre, et il fut facile de voir combien il maudissait ce retard.

Le valet de chambre fit traverser à Felton une grande salle dans laquelle attendaient les députés de La Rochelle conduits par le prince de Soubise, et l’introduisit dans un cabinet où Buckingham, sortant du bain, achevait sa toilette, à laquelle, cette fois comme toujours, il accordait une attention extraordinaire.

— Le lieutenant Felton, dit Patrick, de la part de lord de Winter.

— De la part de Lord de Winter ! répéta Buckingham, faites entrer.

Felton entra. En ce moment Buckingham jetait sur un canapé une riche robe de chambre brochée d’or, pour endosser un pourpoint de velours bleu tout brodé de perles.

— Pourquoi le baron n’est-il pas venu lui-même ? demanda Buckingham, je l’attendais ce matin.

— Il m’a chargé de dire à Votre Grâce, répondit Felton, qu’il regrettait fort de ne pas avoir cet honneur, mais qu’il en était empêché par la garde qu’il est obligé de faire au château.

— Oui, oui, dit Buckingham, je sais cela : il a une prisonnière.

— C’est justement de cette prisonnière que je voulais parler à Votre Grâce, reprit Felton.

— Eh bien, parlez.

— Ce que j’ai à vous dire ne peut être entendu que de vous, milord.

— Laissez-nous, Patrick, dit Buckingham, mais tenez-vous à portée de la sonnette ; je vous appellerai tout à l’heure.

Patrick sortit.

— Nous sommes seuls, monsieur, dit Buckingham, parlez.

— Milord, dit Felton, le baron de Winter vous a écrit l’autre jour pour vous prier de signer un ordre d’embarquement relatif à une jeune femme nommée Charlotte Backson.

— Oui, monsieur, et je lui ai répondu de m’apporter ou de m’envoyer cet ordre et que je le signerais.

— Le voici, milord.

— Donnez, dit le duc.

Et, le prenant des mains de Felton, il jeta sur le papier un coup d’œil rapide. Alors, s’apercevant que c’était bien celui qui lui était annoncé, il le posa sur la table, prit une plume et s’apprêta à signer.

— Pardon, milord, dit Felton arrêtant le duc, mais Votre Grâce sait-elle que le nom de Charlotte Backson n’est pas le véritable nom de cette jeune femme ?

— Oui, monsieur, je le sais, répondit le duc en trempant la plume dans l’encrier.

— Alors, Votre Grâce connaît son véritable nom ? demanda Felton d’une voix brève.

— Je le connais.

Le duc approcha la plume du papier. Felton pâlit.

— Et, connaissant ce véritable nom, reprit Felton, monseigneur signera tout de même ?

— Sans doute, dit Buckingham, et plutôt deux fois qu’une.

— Je ne puis croire, continua Felton d’une voix qui devenait de plus en plus brève et saccadée, que Sa Grâce sache qu’il s’agit de lady de Winter…

— Je le sais parfaitement, quoique je sois étonné que vous le sachiez, vous !

— Et Votre Grâce signera cet ordre sans remords ?

Buckingham regarda le jeune homme avec hauteur.

— Ah çà, monsieur, savez-vous bien, lui dit-il, que vous me faites là d’étranges questions, et que je suis bien simple d’y répondre ?

— Répondez-y, monseigneur, dit Felton ; la situation est plus grave que vous ne le croyez peut-être.

Buckingham pensa que le jeune homme, venant de la part de lord de Winter, parlait sans doute en son nom et se radoucit.

— Sans remords aucun, dit-il, et le baron sait comme moi que milady de Winter est une grande coupable, et que c’est presque lui faire grâce que de borner sa peine à l’exportation.

Le duc posa sa plume sur le papier.

— Vous ne signerez pas cet ordre, milord, dit Felton en faisant un pas vers le duc.

— Je ne signerai pas cet ordre, dit Buckingham ; et pourquoi ?

— Parce que vous descendrez en vous-même, et que vous rendrez justice à milady.

— On lui rendra justice en l’envoyant à Tyburn, dit Buckingham ; milady est une infâme.

— Monseigneur, milady est un ange, vous le savez bien, et je vous demande sa liberté.

— Ah çà ! dit Buckingham, êtes-vous fou de me parler ainsi ?

— Milord, excusez-moi ! je parle comme je puis ; je me contiens. Cependant, milord, songez à ce que vous allez faire, et craignez d’outrepasser la mesure !

— Plaît-il ?… Dieu me pardonne ! s’écria Buckingham, mais je crois qu’il me menace !

— Non, milord, je prie encore, et je vous dis : une goutte d’eau suffit pour faire déborder le vase plein, une faute légère peut attirer le châtiment sur la tête épargnée malgré tant de crimes.

— Monsieur Felton, dit Buckingham, vous allez sortir d’ici et vous rendre aux arrêts sur-le-champ.

— Vous allez m’écouter jusqu’au bout, milord. Vous avez séduit cette jeune fille, vous l’avez outragée, souillée ; réparez vos crimes envers elle, laissez-la partir librement, et je n’exigerai pas autre chose de vous.

— Vous n’exigerez pas ? dit Buckingham regardant Felton avec étonnement et appuyant sur chacune des syllabes des trois mots qu’il venait de prononcer.

— Milord, continua Felton s’exaltant à mesure qu’il parlait, milord, prenez garde, toute l’Angleterre est lasse de vos iniquités ; milord, vous avez abusé de la puissance royale que vous avez presque usurpée ; milord, vous êtes en horreur aux hommes et à Dieu ; Dieu vous punira plus tard, mais, moi, je vous punirai aujourd’hui.

— Ah ! ceci est trop fort ! cria Buckingham en faisant un pas vers la porte.

Felton lui barra le passage.

— Je vous le demande humblement, dit-il, signez l’ordre de mise en liberté de lady de Winter ; songez que c’est la femme que vous avez déshonorée.

— Retirez-vous ; monsieur, dit Buckingham, ou j’appelle et je vous fais chasser par mes gens !

— Vous n’appellerez pas, dit Felton en se jetant entre le duc et la sonnette placée sur un guéridon incrusté d’argent ; prenez garde, milord, vous voilà entre les mains de Dieu.

— Dans les mains du diable, vous voulez dire ! s’écria Buckingham en élevant la voix pour attirer du monde, sans cependant appeler directement.

— Signez, milord, signez la liberté de lady de Winter, dit Felton en poussant un papier vers le duc.

— De force ! vous moquez-vous ? Holà, Patrick !

— Signez, milord !

— Jamais !

— Jamais ?

— À moi ! cria le duc, et en même temps il sauta sur son épée.

Mais Felton ne lui donna pas le temps de la tirer : il tenait tout ouvert et caché dans son pourpoint le couteau dont s’était frappée milady ; d’un bond il fut sur le duc.

En ce moment Patrick entrait dans la salle en criant :

— Milord, une lettre de France.

— De France ! s’écria Buckingham, oubliant tout en pensant de qui lui venait cette lettre.

Felton profita du moment et lui enfonça dans le flanc le couteau jusqu’au manche.

— Ah ! traître, cria Buckingham, tu m’as tué !

— Au meurtre ! hurla Patrick.

Felton jeta les yeux autour de lui pour fuir, et, voyant la porte libre, s’élança dans la chambre voisine, qui était celle où attendaient, comme nous l’avons dit, les députés de La Rochelle, la traversa tout en courant et se précipita vers l’escalier ; mais, sur la première marche, il rencontra lord de Winter, qui, le voyant pâle, égaré, livide, taché de sang à la main et à la figure, lui sauta au cou en s’écriant :

— Je le savais ! je l’avais deviné ! et j’arrive trop tard d’une minute. Oh ! malheureux que je suis !

Felton ne fit aucune résistance. Lord de Winter le remit aux mains des gardes, qui le conduisirent, en attendant de nouveaux ordres, sur une petite terrasse dominant la mer, et il s’élança dans le cabinet de Buckingham.

Au cri poussé par le duc, à l’appel de Patrick, l’homme que Felton avait rencontré dans l’antichambre se précipita dans le cabinet.

Il trouva le duc couché sur un sofa, serrant sa blessure dans sa main crispée.

— La Porte, dit le duc d’une voix mourante, La Porte, viens-tu de sa part ?

— Oui, monseigneur, répondit le fidèle serviteur d’Anne d’Autriche, mais trop tard peut-être.

— Silence ! La Porte, on pourrait vous entendre. Patrick, ne laissez entrer personne. Oh ! je ne saurai pas ce qu’elle me fait dire ! mon Dieu, je me meurs !

Et le duc s’évanouit.

Cependant, lord de Winter, les députés, les chefs de l’expédition, les officiers de la maison de Buckingham, avaient fait irruption dans sa chambre ; partout des cris de désespoir retentissaient. La nouvelle qui emplissait le palais de plaintes et de gémissements en déborda bientôt partout et se répandit par la ville.

Un coup de canon annonça qu’il venait de se passer quelque chose de nouveau et d’inattendu.

Lord de Winter s’arrachait les cheveux.

— Trop tard d’une minute ! s’écriait-il. Trop tard d’une minute ! Oh ! mon Dieu, mon Dieu, quel malheur !

En effet, on était venu lui dire à sept heures du matin qu’une échelle de corde flottait à une des fenêtres du château ; il avait couru aussitôt à la chambre de milady, avait trouvé la chambre vide et la fenêtre ouverte, les barreaux sciés, il s’était rappelé la recommandation verbale que lui avait fait transmettre d’Artagnan par son messager, il avait tremblé pour le duc, et, courant à l’écurie, sans prendre le temps de faire seller son cheval, avait sauté sur le premier venu, était accouru ventre à terre, et sautant à bas dans la cour, avait monté précipitamment l’escalier, et, sur le premier degré, avait, comme nous l’avons dit, rencontré Felton.

Cependant le duc n’était pas mort : il revint à lui, rouvrit les yeux, et l’espoir rentra dans tous les cœurs.

— Messieurs, dit-il, laissez-moi seul avec Patrick et La Porte… Ah ! c’est vous, de Winter ! vous m’avez envoyé ce matin un singulier fou ! voyez l’état dans lequel il m’a mis !

— Oh ! milord ! s’écria le baron, milord, je ne m’en consolerai jamais !

— Et tu aurais tort, mon bon de Winter, dit Buckingham en lui tendant la main. Je ne connais pas d’homme qui mérite d’être regretté pendant toute la vie d’un autre homme. Mais laisse-nous, je t’en prie.

Le baron sortit en sanglotant.

Il ne resta dans le cabinet que le duc blessé, La Porte et Patrick. On cherchait un médecin, qu’on ne pouvait trouver.

— Vous vivrez, milord, vous vivrez, répétait, à genoux devant le sofa du duc, le messager d’Anne d’Autriche.

— Que m’écrivait-elle ? dit faiblement Buckingham tout ruisselant de sang et domptant, pour parler de celle qu’il aimait, d’atroces douleurs, que m’écrivait-elle ? Lis-moi sa lettre.

— Oh ! milord ! fit La Porte.

— Eh bien ! La Porte, ne vois-tu pas que je n’ai pas de temps à perdre ?

La Porte rompit le cachet et plaça le parchemin sous les yeux du duc ; mais Buckingham essaya vainement de distinguer l’écriture.

— Lis donc, dit-il, lis donc, je n’y vois plus ! lis donc, car bientôt peut-être je n’entendrai plus, et je mourrai sans savoir ce qu’elle m’a écrit.

La Porte ne fit plus de difficulté et lut :

« Milord,

« Par ce que j’ai, depuis que je vous connais, souffert par vous et pour vous, je vous conjure, si vous avez souci de mon repos, d’interrompre les grands armements que vous faites contre la France et de cesser une guerre dont on dit tout haut que la religion est la cause visible, et tout bas que votre amour pour moi est la cause cachée. Cette guerre peut non seulement amener pour la France et pour l’Angleterre de grandes catastrophes, mais encore pour vous, milord, des malheurs dont je ne me consolerais pas.

« Veillez sur votre vie, que l’on menace et qui me sera chère du moment où je ne serai pas obligée de voir en vous un ennemi.

« Votre affectionnée,

« Anne. »

Buckingham rappela tous les restes de sa vie pour écouter cette lecture ; puis, lorsqu’elle fut finie, comme s’il eût trouvé dans cette lettre un amer désappointement :

— N’avez-vous donc pas autre chose à me dire de vive voix, La Porte ? demanda-t-il.

— Si fait, monseigneur : la reine m’avait chargé de vous dire de veiller sur vous, car elle avait eu avis qu’on voulait vous assassiner.

— Et c’est tout, c’est tout ? reprit Buckingham avec impatience.

— Elle m’avait encore chargé de vous dire qu’elle vous aimait toujours.

— Ah ! fit Buckingham, Dieu soit loué ! ma mort ne sera donc pas pour elle la mort d’un étranger !

La Porte fondit en larmes.

— Patrick, dit le duc, apportez-moi le coffret où étaient les ferrets de diamants.

Patrick apporta l’objet demandé, que La Porte reconnut pour avoir appartenu à la reine.

— Maintenant le sachet de satin blanc, où son chiffre est brodé en perles.

Patrick obéit encore.

— Tenez, La Porte, dit Buckingham, voici les seuls gages que j’eusse à elle, ce coffret d’argent, et ces deux lettres. Vous les rendrez à Sa Majesté ; et pour dernier souvenir… (Il chercha autour de lui quelque objet précieux)… vous y joindrez…

Il chercha encore ; mais ses regards obscurcis par la mort ne rencontrèrent que le couteau tombé des mains de Felton, et fumant encore du sang vermeil étendu sur la lame.

— Et vous y joindrez ce couteau, dit le duc en serrant la main de La Porte.

Il put encore mettre le sachet au fond du coffret d’argent, y laissa tomber le couteau en faisant signe à La Porte qu’il ne pouvait plus parler ; puis, dans une dernière convulsion, que cette fois il n’avait plus la force de combattre, il glissa du sofa sur le parquet.

Patrick poussa un grand cri.

Buckingham voulut sourire une dernière fois ; mais la mort arrêta sa pensée, qui resta gravée sur son front comme un dernier baiser d’amour.

En ce moment le médecin du duc arriva tout effaré ; il était déjà à bord du vaisseau amiral, on avait été obligé d’aller le chercher là.

Il s’approcha du duc, prit sa main, la garda un instant dans la sienne, et la laissa retomber.

— Tout est inutile, dit-il, il est mort.

— Mort ! mort ! s’écria Patrick.

À ce cri toute la foule rentra dans la salle, et partout ce ne fut que consternation et que tumulte.

Aussitôt que lord de Winter vit Buckingham expiré, il courut à Felton, que les soldats gardaient toujours sur la terrasse du palais.

— Misérable ! dit-il au jeune homme qui, depuis la mort de Buckingham, avait retrouvé ce calme et ce sang-froid qui ne devaient plus l’abandonner. Misérable ! qu’as-tu fait ?

— Je me suis vengé ! dit-il.

— Toi ! dit le baron ; dis que tu as servi d’instrument à cette femme maudite ; mais je te le jure, ce crime sera son dernier crime.

— Je ne sais ce que vous voulez dire, reprit tranquillement Felton, et j’ignore de qui vous voulez parler, milord ; j’ai tué M. de Buckingham parce qu’il a refusé deux fois à vous-même de me nommer capitaine : je l’ai puni de son injustice, voilà tout.

De Winter, stupéfait, regardait les gens qui liaient Felton, et ne savait que penser d’une pareille insensibilité.

Une seule chose jetait cependant un nuage sur le front pur de Felton : à chaque bruit qu’il entendait, le naïf puritain croyait reconnaître les pas et la voix de milady venant se jeter dans ses bras pour s’accuser et se perdre avec lui.

Tout à coup il tressaillit, son regard se fixa sur un point de la mer, que de la terrasse où il se trouvait on dominait tout entière ; avec ce regard d’aigle du marin, il avait reconnu, là où un autre n’aurait vu qu’un goëland se balançant sur les flots, la voile du sloop qui se dirigeait vers les côtes de France.

Il pâlit, porta la main à son cœur, qui se brisait, et comprit toute la trahison.

— Une dernière grâce, milord ! dit-il au baron.

— Laquelle ? demanda celui-ci.

— Quelle heure est-il ?

Le baron tira sa montre.

— Neuf heures moins dix minutes, dit-il.

Milady avait avancé son départ d’une heure et demie ; dès qu’elle avait entendu le coup de canon qui annonçait le fatal événement, elle avait donné l’ordre de lever l’ancre.

La barque voguait sous un ciel bleu à une grande distance de la côte.

— Dieu l’a voulu, dit Felton avec la résignation du fanatique ; mais cependant sans pouvoir détacher les yeux de cet esquif à bord duquel il croyait sans doute distinguer le blanc fantôme de celle à qui sa vie allait être sacrifiée.

De Winter suivit son regard, interrogea sa souffrance et devina tout.

— Sois puni seul d’abord, misérable, dit lord de Winter à Felton, qui se laissait entraîner les yeux tournés vers la mer ; mais je te jure, sur la mémoire de mon frère que j’aimais tant, que ta complice n’est pas sauvée.

Felton baissa la tête sans prononcer une syllabe.

Quant à de Winter, il descendit rapidement l’escalier et se rendit au port.

EN FRANCE

La première crainte du roi d’Angleterre, Charles Ier, en apprenant cette mort, fut qu’une si terrible nouvelle ne décourageât les Rochelois ; il essaya, dit Richelieu dans ses mémoires, de la leur cacher le plus longtemps possible, faisant fermer les ports par tout son royaume, et prenant soigneusement garde qu’aucun vaisseau ne sortît jusqu’à ce que l’armée que Buckingham apprêtait fût partie, se chargeant, à défaut de Buckingham, de surveiller lui-même le départ.

Il poussa même la sévérité de cet ordre jusqu’à retenir en Angleterre l’ambassadeur de Danemark, qui avait pris congé, et l’ambassadeur ordinaire de Hollande, qui devait ramener dans le port de Flessingue les navires des Indes que Charles Ier avait fait restituer aux Provinces-Unies.

Mais comme il ne songea à donner cet ordre que cinq heures après l’événement, c’est-à-dire à deux heures de l’après-midi, deux navires étaient déjà sortis du port : l’un emmenant, comme nous le savons, milady, laquelle, se doutant déjà de l’événement, fut encore confirmée dans cette croyance en voyant le pavillon noir se déployer au mât du vaisseau amiral.

Quant au second bâtiment, nous dirons plus tard qui il portait et comment il partit.

Pendant ce temps, du reste, rien de nouveau au camp de La Rochelle. Seulement le roi, qui s’ennuyait fort, comme toujours, mais peut-être encore un peu plus au camp qu’ailleurs, résolut d’aller incognito passer les fêtes de Saint-Louis à Saint-Germain, et demanda au cardinal de lui faire préparer une escorte de vingt mousquetaires. Le cardinal, que l’ennui du roi gagnait quelquefois, accorda avec grand plaisir ce congé à son royal lieutenant, lequel promit d’être de retour vers le 15 septembre.

M. de Tréville, prévenu par Son Éminence, fit son portemanteau, et, comme, sans en savoir la cause, il savait le vif désir et même l’impérieux besoin que ses amis avaient de revenir à Paris, il va sans dire qu’il les désigna pour faire partie de l’escorte.

Les quatre jeunes gens surent la nouvelle un quart d’heure après M. de Tréville, car ils furent les premiers à qui il la communiqua. Ce fut alors que d’Artagnan apprécia la faveur que lui avait accordée le cardinal en le faisant enfin passer aux mousquetaires ; sans cette circonstance, il était forcé de rester au camp tandis que ses compagnons partaient.

On verra plus tard que cette impatience de remonter vers Paris avait pour cause le danger que devait courir madame Bonacieux en se rencontrant au couvent de Béthune avec milady, son ennemie mortelle. Aussi, comme nous l’avons dit, Aramis avait écrit immédiatement à Marie Michon, cette lingère de Tours qui avait de si belles connaissances, pour qu’elle obtînt que la reine donnât l’autorisation à madame Bonacieux de sortir du couvent et de se retirer soit en Lorraine, soit en Belgique. La réponse ne s’était pas fait attendre, et, huit ou dix jours après, Aramis avait reçu cette lettre :

« Mon cher cousin,

« Voici l’autorisation de ma sœur à retirer notre petite servante du couvent de Béthune, dont vous pensez que l’air est mauvais pour elle. Ma sœur vous envoie cette autorisation avec grand plaisir, car elle aime fort cette petite fille, à laquelle elle se réserve d’être utile plus tard.

« Je vous embrasse.

« Marie Michon. »

À cette lettre était jointe une autorisation ainsi conçue :

« La supérieure du couvent de Béthune remettra aux mains de la personne qui lui remettra ce billet la novice qui était entrée dans son couvent sous ma recommandation et sous mon patronage.

« Au Louvre, le 10 août 1628.

« Anne. »

On comprend combien ces relations de parenté entre Aramis et une lingère qui appelait la reine sa sœur avaient égayé la verve des jeunes gens ; mais Aramis, après avoir rougi deux ou trois fois jusqu’au blanc des yeux aux grosses plaisanteries de Porthos, avait prié ses amis de ne plus revenir sur ce sujet, déclarant que s’il lui en était dit encore un seul mot, il n’emploierait plus sa cousine comme intermédiaire dans ces sortes d’affaires.

Il ne fut donc plus question de Marie Michon entre les quatre mousquetaires, qui d’ailleurs avaient ce qu’ils voulaient : l’ordre de tirer madame Bonacieux du couvent des carmélites de Béthune. Il est vrai que cet ordre ne leur servirait pas à grand-chose tant qu’ils seraient au camp de La Rochelle, c’est-à-dire à l’autre bout de la France ; aussi d’Artagnan allait-il demander un congé à M. de Tréville, en lui confiant tout bonnement l’importance de son départ, lorsque cette nouvelle lui fut transmise, ainsi qu’à ses trois compagnons, que le roi allait partir pour Paris avec une escorte de vingt mousquetaires, et qu’ils faisaient partie de l’escorte.

La joie fut grande. On envoya les valets devant avec les bagages, et l’on partit le 16 au matin.

Le cardinal reconduisit Sa Majesté de Surgères à Mauzé, et là, le roi et son ministre prirent congé l’un de l’autre avec de grandes démonstrations d’amitié.

Cependant le roi, qui cherchait de la distraction, tout en cheminant le plus vite qu’il lui était possible, car il désirait être arrivé à Paris pour le 23, s’arrêtait de temps en temps pour voler la pie, passe-temps dont le goût lui avait autrefois été inspiré par de Luynes, et pour lequel il avait toujours conservé une grande prédilection. Sur les vingt mousquetaires, seize, lorsque la chose arrivait, se réjouissaient fort de ce bon temps ; mais quatre maugréaient de leur mieux. D’Artagnan surtout avait des bourdonnements perpétuels dans les oreilles, ce que Porthos expliquait ainsi :

— Une très grande dame m’a appris que cela veut dire que l’on parle de vous quelque part.

Enfin l’escorte traversa Paris le 23, dans la nuit ; le roi remercia M. de Tréville, et lui permit de distribuer des congés pour quatre jours, à la condition que pas un des favorisés ne paraîtrait dans un lieu public, sous peine de la Bastille.

Les quatre premiers congés accordés, comme on le pense bien, furent à nos quatre amis ; il y a plus, Athos obtint de M. de Tréville six jours au lieu de quatre et fit mettre dans ces six jours deux nuits de plus, car ils partirent le 24, à cinq heures du soir, et par complaisance encore, M. de Tréville postdata le congé du 25 au matin.

— Eh ! mon Dieu, disait d’Artagnan, qui, comme on le sait, ne doutait jamais de rien, il me semble que nous faisons bien de l’embarras pour une chose bien simple : en deux jours, et en crevant deux ou trois chevaux (peu m’importe, j’ai de l’argent), je suis à Béthune, je remets la lettre de la reine à la supérieure, et je ramène le cher trésor que je vais chercher, non pas en Lorraine, non pas en Belgique, mais à Paris, où il sera mieux caché, surtout tant que M. le cardinal sera à La Rochelle. Puis, une fois de retour de la campagne, eh bien, moitié par la protection de sa cousine, moitié en faveur de ce que nous avons fait personnellement pour elle, nous obtiendrons de la reine ce que nous voudrons. Restez donc ici, ne vous épuisez pas de fatigue inutilement. Moi et Planchet, c’est tout ce qu’il faut pour une expédition aussi simple.

À ceci Athos répondit tranquillement :

— Nous aussi, nous avons de l’argent ; car je n’ai pas encore bu tout à fait le reste du diamant, et Porthos et Aramis ne l’ont pas tout à fait mangé. Nous crèverons donc aussi bien quatre chevaux qu’un. Mais songez, d’Artagnan, ajouta-t-il d’une voix si sombre que son accent donna le frisson au jeune homme, songez que Béthune est une ville où le cardinal a donné rendez-vous à une femme qui, partout où elle va, mène le malheur après elle. Si vous n’aviez affaire qu’à quatre hommes, d’Artagnan, je vous laisserais aller seul ; vous avez affaire à cette femme, allons-y quatre, et plaise à Dieu qu’avec nos quatre valets nous soyons en nombre suffisant !

— Vous m’épouvantez, Athos, s’écria d’Artagnan ; que craignez-vous donc ? mon Dieu !

— Tout ! répondit Athos.

D’Artagnan examina les visages de ses compagnons, qui, comme celui d’Athos, portaient l’empreinte d’une inquiétude profonde, et l’on continua la route au plus grand pas des chevaux, mais sans ajouter une seule parole.

Le 25 au soir, comme ils entraient à Arras, et comme d’Artagnan venait de mettre pied à terre à l’auberge de la Herse-d’Or pour boire un verre de vin, un cavalier sortit de la cour de la poste, où il venait de relayer, prenant au grand galop, et avec un cheval frais, le chemin de Paris. Au moment où il passait de la grande porte dans la rue, le vent entrouvrit le manteau dont il était enveloppé, quoiqu’on fût au mois d’août, et enleva son chapeau, que le voyageur retint de sa main, au moment où il avait déjà quitté sa tête, et l’enfonça vivement sur ses yeux.

D’Artagnan, qui avait les yeux fixés sur cet homme, devint fort pâle et laissa tomber son verre.

— Qu’avez-vous, monsieur ? dit Planchet. Oh ! là, là ! accourez, messieurs, voilà mon maître qui se trouve mal.

Les trois amis accoururent et trouvèrent d’Artagnan qui, au lieu de se trouver mal, courait à son cheval. Ils l’arrêtèrent sur le seuil de la porte.

— Eh bien ! où diable vas-tu donc ainsi ? lui cria Athos.

— C’est lui ! s’écria d’Artagnan, pâle de colère et la sueur sur le front, c’est lui ! laissez-moi le rejoindre !

— Mais qui, lui ? demanda Athos.

— Lui, cet homme !

— Quel homme ?

— Cet homme maudit, mon mauvais génie, que j’ai toujours vu lorsque j’étais menacé de quelque malheur : celui qui accompagnait l’horrible femme lorsque je la rencontrai pour la première fois, celui que je cherchais quand j’ai provoqué Athos, celui que j’ai vu le matin du jour où madame Bonacieux a été enlevée ! l’homme de Meung enfin ! je l’ai vu, c’est lui ! Je l’ai reconnu quand le vent a entrouvert son manteau.

— Diable ! dit Athos rêveur.

— En selle, messieurs, en selle ! et poursuivons-le, nous le rattraperons.

— Mon cher, dit Aramis, songez qu’il va du côté opposé à celui où nous allons ; qu’il a un cheval frais et que nos chevaux sont fatigués ; que par conséquent nous crèverons nos chevaux sans même avoir la chance de le rejoindre.

— Eh ! monsieur ! s’écria un garçon d’écurie courant après l’inconnu, eh ! monsieur, voilà un papier qui s’est échappé de votre chapeau ! Eh ! monsieur ! eh ! eh !…

— Mon ami, dit d’Artagnan, une demi-pistole pour ce papier !

— Ma foi, monsieur, avec grand plaisir ; le voici.

Le garçon d’écurie, enchanté de la bonne journée qu’il avait faite, rentra dans la cour de l’hôtel ; d’Artagnan déplia le papier.

— Eh bien ? demandèrent ses amis en l’entourant.

— Rien qu’un mot ! dit d’Artagnan.

— Oui, dit Aramis, mais ce nom est un nom de ville ou de village.

— « Armentières », lut Porthos. Armentières, je ne connais pas cela.

— Et ce nom de ville ou de village est écrit de sa main ? s’écria Athos.

— Allons, allons, gardons soigneusement ce papier, dit d’Artagnan, peut-être n’ai-je pas perdu ma dernière pistole. À cheval, mes amis, à cheval. »

Et les quatre compagnons s’élancèrent au galop sur la route de Béthune.

LE COUVENT DES CARMÉLITES DE BÉTHUNE

Les grands criminels portent avec eux une espèce de prédestination qui leur fait surmonter tous les obstacles, qui les fait échapper à tous les dangers, jusqu’au moment que la Providence, lassée, a marqué pour l’écueil de leur fortune impie.

Il en était ainsi de milady : elle passa au travers des croiseurs des deux nations, et arriva à Boulogne sans aucun accident.

En débarquant à Portsmouth, milady était une Anglaise que les persécutions de la France chassaient de La Rochelle ; débarquée à Boulogne, après deux jours de traversée, elle se fit passer pour une Française que les Anglais inquiétaient à Portsmouth, dans la haine qu’ils avaient conçue contre la France.

Milady avait d’ailleurs le plus efficace des passeports, sa beauté et la générosité avec laquelle elle répandait les pistoles. Affranchie des formalités d’usage par le sourire affable et les manières galantes d’un vieux gouverneur du port, qui lui baisa la main, elle ne resta à Boulogne que le temps de mettre à la poste une lettre ainsi conçue :

— À Son Éminence monseigneur le cardinal de Richelieu, en son camp devant La Rochelle.

« Monseigneur, que Votre Éminence se rassure, Sa Grâce le duc de Buckingham ne partira point pour la France.

« Boulogne, 25 au soir.

« milady de ***. »

« P.-S. – Selon les désirs de Votre Éminence, je me rends au couvent des carmélites de Béthune, où j’attendrai ses ordres. »

Effectivement, le même soir, milady se mit en route ; la nuit la prit : elle s’arrêta et coucha dans une auberge ; puis, le lendemain, à cinq heures du matin, elle partit, et trois heures après, elle entra à Béthune.

Elle se fit indiquer le couvent des carmélites et y entra aussitôt. La supérieure vint au-devant d’elle ; milady lui montra l’ordre du cardinal, l’abbesse lui fit donner une chambre et servir à déjeuner.

Tout le passé s’était déjà effacé aux yeux de cette femme, et, le regard fixé vers l’avenir, elle ne voyait que la haute fortune que lui réservait le cardinal, qu’elle avait si heureusement servi, sans que son nom fût mêlé en rien à toute cette sanglante affaire. Les passions toujours nouvelles qui la consumaient donnaient à sa vie l’apparence de ces nuages qui volent dans le ciel, reflétant tantôt l’azur, tantôt le feu, tantôt le noir opaque de la tempête, et qui ne laissent d’autres traces sur la terre que la dévastation et la mort.

Après le déjeuner, l’abbesse vint lui faire sa visite. Il y a peu de distraction au cloître, et la bonne supérieure avait hâte de faire connaissance avec sa nouvelle pensionnaire.

Milady voulait plaire à l’abbesse. Or, c’était chose facile à cette femme si réellement supérieure : elle essaya d’être aimable : elle fut charmante, et séduisit la bonne supérieure par sa conversation si variée et par les grâces répandues dans toute sa personne.

L’abbesse, qui était une fille de noblesse, aimait surtout les histoires de cour, qui parviennent si rarement jusqu’aux extrémités du royaume et qui, surtout, ont tant de peine à franchir les murs des couvents, au seuil desquels viennent expirer les bruits du monde.

Milady, au contraire, était fort au courant de toutes les intrigues aristocratiques, au milieu desquelles, depuis cinq ou six ans, elle avait constamment vécu ; elle se mit donc à entretenir la bonne abbesse des pratiques mondaines de la cour de France, mêlées aux dévotions outrées du roi, elle lui fit la chronique scandaleuse des seigneurs et des dames de la cour, que l’abbesse connaissait parfaitement de nom, toucha légèrement les amours de la reine et de Buckingham, parlant beaucoup pour qu’on parlât un peu.

Mais l’abbesse se contenta d’écouter et de sourire, le tout sans répondre. Cependant, comme milady vit que ce genre de récit l’amusait fort, elle continua ; seulement, elle fit tomber la conversation sur le cardinal.

Mais elle était fort embarrassée ; elle ignorait si l’abbesse était royaliste ou cardinaliste : elle se tint dans un milieu prudent ; mais l’abbesse, de son côté, se tint dans une réserve plus prudente encore, se contentant de faire une profonde inclination de tête toutes les fois que la voyageuse prononçait le nom de Son Éminence.

Milady commença à croire qu’elle s’ennuierait fort dans le couvent ; elle résolut donc de risquer quelque chose pour savoir de suite à quoi s’en tenir. Voulant voir jusqu’où irait la discrétion de cette bonne abbesse, elle se mit à dire un mal, très dissimulé d’abord, puis très circonstancié du cardinal, racontant les amours du ministre avec madame d’Aiguillon, avec Marion de Lorme et avec quelques autres femmes galantes.

L’abbesse écouta plus attentivement, s’anima peu à peu et sourit.

— Bon ! dit milady, elle prend goût à mon discours. Si elle est cardinaliste, elle n’y met pas de fanatisme au moins.

Alors, elle passa aux persécutions exercées par le cardinal sur ses ennemis. L’abbesse se contenta de se signer, sans approuver ni désapprouver.

Cela confirma milady dans son opinion que la religieuse était plutôt royaliste que cardinaliste. Milady continua, renchérissant de plus en plus.

— Je suis fort ignorante de toutes ces matières-là, dit enfin l’abbesse, mais tout éloignées que nous sommes de la cour, tout en dehors des intérêts du monde où nous nous trouvons placées, nous avons des exemples fort tristes de ce que vous nous racontez là ; et l’une de nos pensionnaires a bien souffert des vengeances et des persécutions de M. le cardinal.

— Une de vos pensionnaires ? dit milady. Oh ! mon Dieu, pauvre femme, je la plains alors !

— Et vous avez raison, car elle est bien à plaindre : prison, menaces, mauvais traitements, elle a tout souffert. Mais, après tout, reprit l’abbesse, M. le cardinal avait peut-être des motifs plausibles pour agir ainsi, et quoiqu’elle ait l’air d’un ange, il ne faut pas toujours juger les gens sur la mine.

— Bon ! dit milady à elle-même, qui sait, je vais peut-être découvrir quelque chose ici, je suis en veine.

Et elle s’appliqua à donner à son visage une expression de candeur parfaite.

— Hélas ! dit milady, je le sais, on dit cela qu’il ne faut pas croire aux physionomies ; Mais à quoi croira-t-on cependant, si ce n’est au plus bel ouvrage du Seigneur ? Quant à moi, je serai trompée toute ma vie peut-être ; mais je me fierai toujours à une personne dont le visage m’inspirera de la sympathie.

— Vous seriez donc tentée de croire, dit l’abbesse, que cette jeune femme est innocente ?

— M. le cardinal ne punit pas que les crimes, dit-elle ; il y a certaines vertus qu’il poursuit plus sévèrement que certains forfaits.

— Permettez-moi, madame, de vous exprimer ma surprise, dit l’abbesse.

— Et sur quoi ? demanda milady avec naïveté.

— Mais sur le langage que vous tenez.

— Que trouvez-vous d’étonnant à ce langage ? demanda en souriant milady.

— Vous êtes l’amie du cardinal, puisqu’il vous envoie ici, et cependant…

— Et cependant j’en dis du mal, reprit milady, achevant la pensée de la supérieure.

— Au moins n’en dites-vous pas de bien.

— C’est que je ne suis pas son amie, dit-elle en soupirant, mais sa victime.

— Mais cependant cette lettre par laquelle il vous recommande à moi…

— Est un ordre à moi de me tenir dans une espèce de prison dont il me fera tirer par quelques-uns de ses satellites…

— Mais pourquoi n’avez-vous pas fui ?

— Où irais-je ? Croyez-vous qu’il y ait un endroit de la terre où ne puisse atteindre le cardinal, s’il veut se donner la peine de tendre la main ? Si j’étais un homme, à la rigueur cela serait possible encore ; mais une femme ! Que voulez-vous que fasse une femme ? Cette jeune pensionnaire que vous avez ici a-t-elle essayé de fuir, elle ?

— Non, c’est vrai ; mais elle, c’est autre chose, je la crois retenue en France par quelque amour.

— Alors, dit milady avec un soupir, si elle aime, elle n’est pas tout à fait malheureuse.

— Ainsi, dit l’abbesse en regardant milady avec un intérêt croissant, c’est encore une pauvre persécutée que je vois ?

— Hélas ! oui, dit milady.

L’abbesse regarda un instant milady avec inquiétude, comme si une nouvelle pensée surgissait dans son esprit.

— Vous n’êtes pas ennemie de notre sainte foi ? dit-elle en balbutiant.

— Moi ! s’écria milady, moi, protestante ? Oh ! non, j’atteste le Dieu qui nous entend que je suis au contraire fervente catholique.

— Alors, madame, dit l’abbesse en souriant, rassurez-vous, la maison où vous êtes ne sera pas une prison bien dure, et nous ferons tout ce qu’il faudra pour vous faire chérir la captivité. Il y a plus, vous trouverez ici cette jeune femme persécutée sans doute par suite de quelque intrigue de cour. Elle est aimable, gracieuse.

— Comment la nommez-vous ?

— Elle m’a été recommandée par quelqu’un de très haut placé, sous le nom de Ketty. Je n’ai pas cherché à savoir son autre nom.

— Ketty ! s’écria milady ; quoi, vous êtes sûre ?

— Qu’elle se fait appeler ainsi ? Oui, madame, la connaîtriez-vous ?

milady sourit à elle-même et à l’idée qui lui était venue que cette jeune femme pouvait être son ancienne camérière. Il se mêlait au souvenir de cette jeune fille un souvenir de colère, et un désir de vengeance avait bouleversé les traits de milady, qui reprirent au reste presque aussitôt l’expression calme et bienveillante que cette femme aux cent visages leur avait momentanément imprimée.

— Et quand pourrai-je voir cette jeune dame, pour laquelle je me sens déjà une si grande sympathie ? demanda milady.

— Ce soir, dit l’abbesse, dans la journée même. Mais vous voyagez depuis quatre jours, m’avez-vous dit vous-même ; ce matin vous vous êtes levée à cinq heures, vous devez avoir besoin de repos. Couchez-vous et dormez ; à l’heure du dîner nous vous réveillerons.

Quoique milady eût très bien pu se passer de sommeil, soutenue qu’elle était par toutes les excitations qu’une aventure nouvelle faisait éprouver à son cœur avide d’intrigues, elle n’en accepta pas moins l’offre de la supérieure : depuis douze ou quinze jours elle avait passé par tant d’émotions diverses que, si son corps de fer pouvait encore soutenir la fatigue, son âme avait besoin de repos.

Elle prit donc congé de l’abbesse et se coucha, doucement bercée par les idées de vengeance auxquelles l’avait tout naturellement ramenée le nom de Ketty. Elle se rappelait cette promesse presque illimitée que lui avait faite le cardinal, si elle réussissait dans son entreprise. Elle avait réussi, elle pourrait donc se venger de d’Artagnan.

Une seule chose épouvantait milady, c’était le souvenir de son mari ! le comte de La Fère, qu’elle avait cru mort ou du moins expatrié, et qu’elle retrouvait dans Athos, le meilleur ami de d’Artagnan.

Mais aussi, s’il était l’ami de d’Artagnan, il avait dû lui prêter assistance dans toutes les menées à l’aide desquelles la reine avait déjoué les projets de Son Éminence ; s’il était l’ami de d’Artagnan, il était l’ennemi du cardinal, et sans doute elle parviendrait à l’envelopper dans la vengeance aux replis de laquelle elle comptait étouffer le jeune mousquetaire.

Toutes ces espérances étaient de douces pensées pour milady ; aussi, bercée par elles, s’endormit-elle bientôt.

Elle fut réveillée par une voix douce qui retentit au pied de son lit. Elle ouvrit les yeux, et vit l’abbesse accompagnée d’une jeune femme aux cheveux blonds, au teint délicat, qui fixait sur elle un regard plein d’une bienveillante curiosité.

La figure de cette jeune femme lui était complètement inconnue. Toutes deux s’examinèrent avec une scrupuleuse attention, tout en échangeant les compliments d’usage : toutes deux étaient fort belles, mais de beautés tout à fait différentes. Cependant milady sourit en reconnaissant qu’elle l’emportait de beaucoup sur la jeune femme en grand air et en façons aristocratiques. Il est vrai que l’habit de novice que portait la jeune femme n’était pas très avantageux pour soutenir une lutte de ce genre.

L’abbesse les présenta l’une à l’autre ; puis, lorsque cette formalité fut remplie, comme ses devoirs l’appelaient à l’église, elle laissa les deux jeunes femmes seules.

La novice, voyant milady couchée, voulait suivre la supérieure, mais milady la retint.

— Comment ! madame, lui dit-elle, à peine vous ai-je aperçue et vous voulez déjà me priver de votre présence, sur laquelle je comptais cependant un peu, je vous l’avoue, pour le temps que j’ai à passer ici ?

— Non, madame, répondit la novice, seulement je craignais d’avoir mal choisi mon temps : vous dormiez, vous êtes fatiguée.

— Eh bien, dit milady, que peuvent demander les gens qui dorment ? un bon réveil. Ce réveil, vous me l’avez donné ; laissez-moi en jouir tout à mon aise.

Et lui prenant la main, elle l’attira sur un fauteuil qui était près de son lit.

La novice s’assit.

— Mon Dieu ! dit-elle, que je suis malheureuse ! voilà six mois que je suis ici, sans l’ombre d’une distraction ; vous arrivez, votre présence allait être pour moi une compagnie charmante, et voilà que, selon toute probabilité, d’un moment à l’autre je vais quitter le couvent !

— Comment ! dit milady, vous sortez bientôt ?

— Du moins, je l’espère, dit la novice avec une expression de joie qu’elle ne cherchait pas le moins du monde à déguiser.

— Je crois avoir appris que vous aviez souffert de la part du cardinal, continua milady. C’eût été un motif de plus de sympathie entre nous.

— Ce que m’a dit notre bonne mère est donc la vérité, que vous étiez aussi une victime de ce méchant cardinal ?

— Chut ! dit milady, même ici ne parlons pas ainsi de lui ; tous mes malheurs viennent d’avoir dit à peu près ce que vous venez de dire, devant une femme que je croyais mon amie et qui m’a trahie. Et vous êtes aussi, vous, la victime d’une trahison ?

— Non, dit la novice, mais de mon dévouement à une femme que j’aimais, pour qui j’eusse donné ma vie, pour qui je la donnerais encore.

— Et qui vous a abandonnée ? c’est cela !

— J’ai été assez injuste pour le croire, mais depuis deux ou trois jours j’ai acquis la preuve du contraire, et j’en remercie Dieu. Il m’aurait coûté de croire qu’elle m’avait oubliée. Mais vous, madame, continua la novice, il me semble que vous êtes libre, et que si vous vouliez fuir, il ne tiendrait qu’à vous.

— Où voulez-vous que j’aille, sans amis, sans argent, dans une partie de la France que je ne connais pas, où je ne suis jamais venue ?

— Oh ! s’écria la novice, quant à des amis, vous en aurez partout où vous vous montrerez, vous paraissez si bonne et vous êtes si belle !

— Cela n’empêche pas, reprit milady en adoucissant son sourire de manière à lui donner une expression angélique, que je suis seule et persécutée.

— Écoutez, dit la novice, il faut avoir bon espoir dans le ciel ; voyez-vous, il vient toujours un moment où le bien que l’on a fait plaide votre cause devant Dieu, et, tenez, peut-être est-ce un bonheur pour vous, tout humble et sans pouvoir que je suis, que vous m’ayez rencontrée, car, si je sors d’ici, eh bien ! j’aurai quelques amis puissants, qui, après s’être mis en campagne pour moi, pourront aussi se mettre en campagne pour vous.

— Oh ! quand j’ai dit que j’étais seule, dit milady, espérant faire parler la novice en parlant d’elle-même, ce n’est pas faute d’avoir aussi quelques connaissances haut placées ; mais ces connaissances tremblent elles-mêmes devant le cardinal. La reine elle-même n’ose pas soutenir contre le terrible ministre, et j’ai la preuve que Sa Majesté, malgré son excellent cœur, a plus d’une fois été obligée d’abandonner à la colère de Son Éminence les personnes qui l’avaient servie.

— Croyez-moi, madame, la reine peut avoir l’air d’avoir abandonné ces personnes-là ; mais il ne faut pas en croire l’apparence : plus elles sont persécutées, plus elle pense à elles, et souvent, au moment où elles y pensent le moins, elles ont la preuve d’un bon souvenir.

— Hélas ! dit milady, je le crois ; la reine est si bonne !

— Oh ! vous la connaissez donc, cette belle et noble reine, que vous parlez d’elle ainsi ! s’écria la novice avec enthousiasme.

— C’est-à-dire, reprit milady, poussée dans ses retranchements, qu’elle, personnellement, je n’ai pas l’honneur de la connaître ; mais je connais bon nombre de ses amis les plus intimes : je connais M. de Putange ; j’ai connu en Angleterre M. Dujart ; je connais M. de Tréville.

— M. de Tréville ? s’écria la novice, vous connaissez M. de Tréville ?

— Oui, parfaitement ; beaucoup même.

— Le capitaine des mousquetaires du roi ?

— Le capitaine des mousquetaires du roi.

— Oh ! mais vous allez voir, s’écria la novice, que tout à l’heure nous allons être des connaissances achevées, presque des amies. Si vous connaissez M. de Tréville, vous avez dû aller chez lui ?

— Souvent, dit milady, qui, entrée dans cette voie et s’apercevant que le mensonge réussissait, voulait le pousser jusqu’au bout.

— Chez lui, vous avez dû voir quelques-uns de ses mousquetaires ?

— Tous ceux qu’il reçoit habituellement, répondit milady, pour laquelle cette conversation commençait à prendre un intérêt réel.

— Nommez-moi quelques-uns de ceux que vous connaissez, et vous verrez qu’ils seront de mes amis.

— Mais, dit milady embarrassée, je connais M. de Louvigny, M. de Courtivron, M. de Férussac.

La novice la laissa dire, puis, voyant qu’elle s’arrêtait :

— Vous ne connaissez pas, dit-elle, un gentilhomme nommé Athos ?

Milady devint aussi pâle que les draps dans lesquels elle était couchée, et, si maîtresse qu’elle fût d’elle-même, ne put s’empêcher de pousser un cri en saisissant la main de son interlocutrice et en la dévorant du regard.

— Quoi ! qu’avez-vous ? Oh ! mon Dieu ! demanda cette pauvre jeune femme, ai-je donc dit quelque chose qui vous ait blessée ?

— Non, mais ce nom m’a frappée, parce que, moi aussi j’ai connu ce gentilhomme, et qu’il me paraît étrange de trouver quelqu’un qui le connaisse beaucoup.

— Oh ! oui ! beaucoup ! beaucoup ! non seulement lui, mais encore ses amis, MM. Porthos et Aramis.

— En vérité ? eux aussi je les connais, s’écria milady, qui sentit le froid pénétrer jusqu’à son cœur.

— Eh bien, si vous les connaissez, vous devez savoir qu’ils sont bons et francs compagnons. Que ne vous adressez-vous à eux, si vous avez besoin d’appui ?

— C’est-à-dire, balbutia milady, je ne suis liée réellement avec aucun d’eux ; je les connais pour en avoir beaucoup entendu parler par un de leurs amis, M. d’Artagnan.

— Vous connaissez M. d’Artagnan ! s’écria la novice à son tour, en saisissant la main de milady et en la dévorant des yeux.

Puis remarquant l’étrange expression du regard de milady.

— Pardon, madame, dit-elle, vous le connaissez, à quel titre ?

— Mais, reprit milady embarrassée, mais à titre d’ami.

— Vous me trompez, madame, dit la novice, vous avez été sa maîtresse !

— C’est vous qui l’avez été, madame, s’écria milady à son tour.

— Moi ! dit la novice.

— Oui, vous ; je vous connais maintenant ; vous êtes madame Bonacieux.

La jeune femme se recula pleine de surprise et de terreur.

— Oh ! ne niez pas, répondez, reprit milady.

— Eh bien ! oui, madame, je l’aime, dit la novice. Sommes-nous rivales ?

La figure de milady s’illumina d’un feu tellement sauvage que, dans toute autre circonstance, madame Bonacieux se fût enfuie d’épouvante ; mais elle était toute à sa jalousie.

— Voyons, dites, madame, reprit madame Bonacieux avec une énergie dont on l’eût crue incapable, avez-vous été ou êtes-vous sa maîtresse ?

— Oh ! non ! s’écria milady avec un accent qui n’admettait pas le doute sur sa vérité, jamais ! jamais !

— Je vous crois, dit madame Bonacieux, mais pourquoi donc, alors, vous être écriée ainsi ?

— Comment, vous ne comprenez pas ? dit milady, qui était déjà remise de son trouble, et qui avait retrouvé toute sa présence d’esprit.

— Comment voulez-vous que je comprenne ? je ne sais rien.

— Vous ne comprenez pas que M. d’Artagnan étant mon ami, il m’avait prise pour confidente ?

— Vraiment !

— Vous ne comprenez pas que je sais tout, votre enlèvement de la petite maison de Saint-Germain, son désespoir, celui de ses amis, leurs recherches inutiles depuis ce moment ! Et comment ne voulez-vous pas que je m’en étonne, quand, sans m’en douter, je me trouve en face de vous, de vous dont nous avons parlé si souvent ensemble, de vous qu’il aime de toute la force de son âme, de vous qu’il m’avait fait aimer avant que je vous eusse vue ! Ah ! chère Constance, je vous trouve donc, je vous vois donc enfin !

Et milady tendit ses bras à madame Bonacieux, qui, convaincue par ce qu’elle venait de lui dire, ne vit plus dans cette femme, qu’un instant auparavant elle avait crue sa rivale, qu’une amie sincère et dévouée.

— Oh ! pardonnez-moi ! pardonnez-moi ! s’écria-t-elle en se laissant aller sur son épaule, je l’aime tant !

Ces deux femmes se tinrent un instant embrassées. Certes, si les forces de milady eussent été à la hauteur de sa haine, madame Bonacieux ne fût sortie que morte de cet embrassement. Mais, ne pouvant pas l’étouffer, elle lui sourit.

« Oh ! chère belle, chère bonne petite, dit milady, que je suis heureuse de vous voir ! Laissez-moi vous regarder. Et, en disant ces mots, elle la dévorait effectivement du regard. Oui, c’est bien vous. Ah ! d’après ce qu’il m’a dit, je vous reconnais à cette heure, je vous reconnais parfaitement.

La pauvre jeune femme ne pouvait se douter de ce qui se passait d’affreusement cruel derrière le rempart de ce front pur, derrière ces yeux si brillants où elle ne lisait que de l’intérêt et de la compassion.

— Alors vous savez ce que j’ai souffert, dit madame Bonacieux, puisqu’il vous a dit ce qu’il souffrait. Mais souffrir pour lui, c’est du bonheur.

Milady reprit machinalement :

— Oui, c’est du bonheur.

Elle pensait à autre chose.

— Et puis, continua madame Bonacieux, mon supplice touche à son terme ; demain, ce soir peut-être, je le reverrai, et alors le passé n’existera plus.

— Ce soir ? demain ? s’écria milady tirée de sa rêverie par ces paroles ; que voulez-vous dire ? attendez-vous quelque nouvelle de lui ?

— Je l’attends lui-même.

— Lui-même ? d’Artagnan, ici !

— Lui-même.

— Mais, c’est impossible ! il est au siège de La Rochelle avec le cardinal ; il ne reviendra à Paris qu’après la prise de la ville.

— Vous le croyez ainsi, mais est-ce qu’il y a quelque chose d’impossible à mon d’Artagnan, noble et loyal gentilhomme !

— Oh ! je ne puis vous croire.

— Eh bien ! lisez donc ! dit, dans l’excès de son orgueil et de sa joie, la malheureuse jeune femme en présentant une lettre à milady.

— L’écriture de madame de Chevreuse ! se dit en elle-même milady. Ah ! j’étais bien sûre qu’ils avaient des intelligences de ce côté-là !

Et elle lut avidement ces quelques lignes :

« Ma chère enfant, tenez-vous prête ; notre ami vous verra bientôt, et il ne vous verra que pour vous arracher de la prison où votre sûreté exigeait que vous fussiez cachée ; préparez-vous donc au départ et ne désespérez jamais de nous.

« Notre charmant Gascon vient de se montrer brave et fidèle comme toujours, dites-lui qu’on lui est bien reconnaissant quelque part de l’avis qu’il a donné. »

— Oui, oui, dit milady, oui, la lettre est précise. Savez-vous quel est cet avis ?

— Non. Je me doute seulement qu’il aura prévenu la reine de quelque nouvelle machination du cardinal.

— Oui, c’est cela sans doute, dit milady en rendant la lettre à madame Bonacieux et en laissant retomber sa tête pensive sur sa poitrine.

En ce moment on entendit le galop d’un cheval.

— Oh ! s’écria madame Bonacieux en s’élançant à la fenêtre, serait-ce déjà lui ?

Milady était restée dans son lit, pétrifiée par la surprise ; tant de choses inattendues lui arrivaient tout à coup, que pour la première fois la tête lui manquait.

— Lui ! lui ! murmura-t-elle ; serait-ce lui ! Et elle demeurait dans son lit les yeux fixes.

— Hélas, non ! dit madame Bonacieux, c’est un homme que je ne connais pas, et qui cependant a l’air de venir ici ; oui, il ralentit sa course, il s’arrête à la porte, il sonne.

Milady sauta hors de son lit.

— Vous êtes bien sûre que ce n’est pas lui ? dit-elle.

— Oh ! oui, bien sûre.

— Vous avez peut-être mal vu.

— Oh ! je verrais la plume de son feutre, le bout de son manteau, que je le reconnaîtrais, lui !

Milady s’habillait toujours.

— N’importe ! cet homme vient ici, dites-vous ?

— Oui, il est entré.

— C’est ou pour vous ou pour moi.

— Oh ! mon Dieu, comme vous semblez agitée !

— Oui ! je l’avoue, je n’ai pas votre confiance, je crains tout du cardinal.

— Chut ! dit madame Bonacieux, on vient.

Effectivement la porte s’ouvrit et la supérieure entra.

— Est-ce vous qui arrivez de Boulogne ? demanda-t-elle à milady.

— Oui, c’est moi, répondit celle-ci ; et, tâchant de ressaisir son sang-froid : qui me demande ?

— Un homme qui ne veut pas dire son nom, mais qui vient de la part du cardinal.

— Et qui veut me parler ? demanda milady.

— Qui veut parler à une dame arrivant de Boulogne.

— Alors faites entrer, madame, je vous prie.

— Oh ! mon Dieu, mon Dieu, dit madame Bonacieux, serait-ce quelque mauvaise nouvelle ?

— J’en ai peur.

— Je vous laisse avec cet étranger ; mais aussitôt son départ, si vous le permettez, je reviendrai.

— Comment donc ! je vous en prie.

La supérieure et madame Bonacieux sortirent.

Milady resta seule, les yeux fixés sur la porte ; un instant après on entendit le bruit d’éperons qui retentissaient sur les escaliers, puis les pas se rapprochèrent, puis la porte s’ouvrit, et un homme parut.

Milady jeta un cri de joie. Cet homme c’était le comte de Rochefort, l’âme damnée de Son Éminence.

DEUX VARIÉTÉS DE DÉMONS

« Ah ! s’écrièrent ensemble Rochefort et milady, c’est vous !

— Oui, c’est moi.

— Et vous arrivez ? demanda milady.

— De La Rochelle. Et vous ?

— D’Angleterre.

— Buckingham ?

— Mort, ou blessé dangereusement ; comme je partais sans avoir rien pu obtenir de lui, un fanatique venait de l’assassiner.

— Ah ! fit Rochefort avec un sourire, voilà un hasard bien heureux ! et qui satisfera Son Éminence ! L’avez-vous prévenue ?

— Je lui ai écrit de Boulogne. Mais comment êtes-vous ici ?

— Son Éminence, inquiète, m’a envoyé à votre recherche.

— Je suis arrivée d’hier seulement.

— Et qu’avez-vous fait depuis hier ?

— Je n’ai pas perdu mon temps.

— Oh ! je m’en doute bien !

— Savez-vous qui j’ai rencontré ici ?

— Non.

— Devinez.

— Comment voulez-vous ?

— Cette jeune femme que la reine a tirée de prison.

— La maîtresse du petit d’Artagnan ?

— Oui, madame Bonacieux, dont le cardinal ignorait la retraite.

— Eh bien, dit Rochefort, voilà encore un hasard qui peut aller de pair avec l’autre. M. le cardinal est en vérité un homme privilégié.

— Comprenez-vous mon étonnement, continua milady, quand je me suis trouvée face à face avec cette femme ?

— Vous connaît-elle ?

— Non.

— Alors elle vous regarde comme une étrangère ?

Milady sourit.

— Je suis sa meilleure amie !

— Sur mon honneur, dit Rochefort, il n’y a que vous, ma chère comtesse, pour faire de ces miracles-là.

— Et bien m’en a pris, chevalier, dit milady, car savez-vous ce qui se passe ?

— Non.

— On va la venir chercher demain ou après-demain avec un ordre de la reine.

— Vraiment ? et qui cela ?

— D’Artagnan et ses amis.

— En vérité, ils en feront tant, que nous serons obligés de les envoyer à la Bastille.

— Pourquoi n’est-ce point déjà fait ?

— Que voulez-vous ! parce que M. le cardinal a pour ces hommes une faiblesse que je ne comprends pas.

— Vraiment ? Eh bien, dites-lui ceci, Rochefort ; dites-lui que notre conversation à l’auberge du Colombier-Rouge a été entendue par ces quatre hommes ; dites-lui qu’après son départ l’un d’eux est monté et m’a arraché par violence le sauf-conduit qu’il m’avait donné ; dites-lui qu’ils avaient fait prévenir lord de Winter de mon passage en Angleterre ; que, cette fois encore, ils ont failli faire échouer ma mission, comme ils ont fait échouer celle des ferrets ; dites-lui que parmi ces quatre hommes, deux seulement sont à craindre, d’Artagnan et Athos ; dites-lui que le troisième, Aramis, est l’amant de madame de Chevreuse : il faut laisser vivre celui-là, on sait son secret, il peut être utile ; quant au quatrième, Porthos, c’est un sot, un fat et un niais : qu’il ne s’en occupe même pas.

— Mais ces quatre hommes doivent être à cette heure au siège de La Rochelle.

— Je le croyais comme vous ; mais une lettre que madame Bonacieux a reçue de madame de Chevreuse, et qu’elle a eu l’imprudence de me communiquer, me porte à croire que ces quatre hommes au contraire sont en campagne pour la venir enlever.

— Diable ! comment faire ?

— Que vous a dit le cardinal à mon égard ?

— De prendre vos dépêches écrites ou verbales, de revenir en poste, et, quand il saura ce que vous avez fait, il avisera à ce que vous devez faire.

— Je dois donc rester ici ? demanda milady.

— Ici ou dans les environs.

— Vous ne pouvez m’emmener avec vous ?

— Non, l’ordre est formel : aux environs du camp, vous pourriez être reconnue, et votre présence, vous le comprenez, compromettrait Son Éminence, surtout après ce qui vient de se passer là-bas. Seulement, dites-moi d’avance où vous attendrez des nouvelles du cardinal, que je sache toujours où vous retrouver.

— Écoutez, il est probable que je ne pourrai rester ici.

— Pourquoi ?

— Vous oubliez que mes ennemis peuvent arriver d’un moment à l’autre.

— C’est vrai ; mais alors cette petite femme va échapper à Son Éminence ?

— Bah ! dit milady avec un sourire qui n’appartenait qu’à elle, vous oubliez que je suis sa meilleure amie.

— Ah ! c’est vrai ; je puis donc dire au cardinal, à l’endroit de cette femme…

— Qu’il soit tranquille, acheva milady.

— Voilà tout ?

— Il saura ce que cela veut dire.

— Il le devinera.

— Maintenant, voyons, que dois-je faire ? demanda Rochefort.

— Repartir à l’instant même, il me semble que les nouvelles que vous reportez valent bien la peine que l’on fasse diligence.

— Ma chaise s’est cassée en entrant à Lilliers.

— À merveille.

— Comment, à merveille ?

— Oui, j’ai besoin de votre chaise, moi, dit la comtesse.

— Et comment partirai-je, alors ?

— À franc étrier.

— Vous en parlez bien à votre aise, cent quatre-vingts lieues !

— Qu’est-ce que cela ?

— On les fera. Après ?

— En repassant à Lilliers, vous me renvoyez la chaise avec ordre à votre domestique de se mettre à ma disposition.

— Bien.

— Vous avez sans doute sur vous quelque ordre du cardinal ?

— J’ai mon plein pouvoir.

— Vous le montrez à l’abbesse, et vous dites qu’on viendra me chercher, soit aujourd’hui, soit demain, et que j’aurai à suivre la personne qui se présentera en votre nom.

— Très bien !

— N’oubliez pas de me traiter durement en parlant de moi à l’abbesse.

— À quoi bon ?

— Je suis une victime du cardinal. Il faut bien que j’inspire de la confiance à cette pauvre petite madame Bonacieux.

— C’est juste. Maintenant voulez-vous me faire un rapport de tout ce qui est arrivé ?

— Mais je vous ai raconté les événements, vous avez bonne mémoire, répétez les choses comme je vous les ai dites, un papier se perd.

— Vous avez raison ; seulement que je sache où vous retrouver, que je n’aille pas courir inutilement dans les environs.

— C’est juste, attendez.

— Voulez-vous une carte ?

— Oh ! je connais ce pays à merveille.

— Vous ! quand donc y êtes-vous venue ?

— J’y ai été élevée.

— Vraiment ?

— C’est bon à quelque chose, vous le voyez, que d’avoir été élevée quelque part.

— Vous m’attendrez donc ?…

— Laissez-moi réfléchir un instant… Eh ! tenez, à Armentières.

— Qu’est-ce que cela Armentières ?

— Une petite ville sur la Lys. Je n’aurai qu’à traverser la rivière et je suis en pays étranger.

— À merveille, mais il est bien entendu que vous ne traverserez la rivière qu’en cas de danger.

— C’est bien entendu, dit la comtesse.

— Et, dans ce cas, comment saurai-je où vous êtes ?

— Vous n’avez pas besoin de votre laquais ?

— Non.

— C’est un homme sûr ?

— À l’épreuve.

— Donnez-le-moi ; personne ne le connaît : je le laisse à l’endroit que je quitte, et il vous conduit où je suis.

— Et vous dites que vous m’attendez à Argentières ? demanda Rochefort.

— À Armentières, répondit milady.

— Écrivez-moi ce nom-là sur un morceau de papier, de peur que je ne l’oublie. Ce n’est pas compromettant, un nom de ville, n’est-ce pas ?

— Eh ! qui sait ? mais n’importe, dit milady en écrivant le nom sur une demi-feuille de papier, je me compromets.

— Bien, dit Rochefort en prenant des mains de milady le papier, qu’il plia et qu’il enfonça dans la coiffe de son feutre. D’ailleurs, soyez tranquille, je vais faire comme les enfants, et, dans le cas où je perdrais ce papier, répéter le nom tout le long de la route. Maintenant, est-ce tout ?

— Je le crois.

— Cherchons bien : Buckingham mort ou grièvement blessé ; votre entretien avec le cardinal entendu des quatre mousquetaires ; lord de Winter prévenu de votre arrivée à Portsmouth ; d’Artagnan et Athos à la Bastille ; Aramis l’amant de madame de Chevreuse ; Porthos un fat ; madame Bonacieux retrouvée ; vous envoyer la chaise le plus tôt possible ; mettre mon laquais à votre disposition ; faire de vous une victime du cardinal, pour que l’abbesse ne prenne aucun soupçon ; Armentières sur les bords de la Lys : est-ce cela ?

— En vérité, mon cher chevalier, vous êtes un miracle de mémoire. À propos, ajoutez une chose.

— Laquelle ?

— J’ai vu de très jolis bois qui doivent toucher au jardin du couvent. Dites qu’il m’est permis de me promener dans ces bois ; qui sait ? j’aurai peut-être besoin de sortir par une porte de derrière.

— Vous pensez à tout.

— Et vous, vous oubliez une chose…

— Laquelle ? interrompit le comte.

— C’est de me demander si j’ai besoin d’argent.

— C’est juste, combien voulez-vous ?

— Tout ce que vous aurez d’or.

— J’ai cinq cents pistoles à peu près.

— J’en ai autant. Avec mille pistoles on fait face à tout. Videz vos poches.

— Voilà, comtesse.

— Bien, mon cher comte. Et vous partez ?… demanda milady.

— Dans une heure, le temps de manger un morceau, pendant lequel j’enverrai chercher un cheval de poste.

— À merveille. Adieu, comte.

— Adieu, comtesse.

— Recommandez-moi au cardinal, dit milady.

— Recommandez-moi à Satan, répliqua Rochefort.

Milady et Rochefort échangèrent un sourire et se séparèrent.

Une heure après, Rochefort partit au grand galop de son cheval ; cinq heures après il passait à Arras.

Nos lecteurs savent déjà comment il avait été reconnu par d’Artagnan, et comment cette reconnaissance, en inspirant des craintes aux quatre mousquetaires, avait donné une nouvelle activité à leur voyage.

UNE GOUTTE D’EAU

À peine Rochefort fut-il sorti, que madame Bonacieux rentra. Elle trouva milady le visage riant.

— Eh bien, dit la jeune femme, ce que vous craigniez est donc arrivé ; ce soir ou demain le cardinal vous envoie prendre ?

— Comment savez-vous cela ? demanda milady.

— Je l’ai entendu de la bouche même du messager.

— Venez vous asseoir ici près de moi, dit milady.

— Me voici.

— Attendez que je m’assure si personne ne nous écoute.

— Pourquoi toutes ces précautions ?

— Vous allez le savoir.

Milady se leva et alla à la porte, l’ouvrit, regarda dans le corridor, et revint s’asseoir près de madame Bonacieux.

— Alors, dit-elle, il a bien joué son rôle.

— Qui cela ?

— Celui qui s’est présenté à l’abbesse comme l’envoyé du cardinal.

— C’était donc un rôle qu’il jouait ?

— Oui, mon enfant.

— Cet homme n’est donc point ?…

— Cet homme, dit milady en baissant la voix, c’est mon frère.

— Votre frère ! s’écria madame Bonacieux.

— Il n’y a que vous qui sachiez ce secret, mon enfant ; si vous le confiez à qui que ce soit au monde, je serai perdue, et vous aussi peut-être.

— Ô mon Dieu !

— Écoutez ; voici ce qui se passe ; mon frère, qui venait à mon secours pour m’enlever ici de force, s’il le fallait, a rencontré l’émissaire du cardinal qui venait me chercher. Il l’a suivi. Arrivé à un endroit du chemin solitaire et écarté, il a mis l’épée à la main en sommant le messager de lui remettre les papiers dont il était porteur. Le messager a voulu se défendre : mon frère l’a tué.

— Oh ! fit madame Bonacieux en frissonnant.

— C’était le seul moyen, songez-y. Alors mon frère a résolu de substituer la ruse à la force : il a pris les papiers, il s’est présenté ici comme l’émissaire du cardinal lui-même, et dans une heure ou deux, une voiture doit venir me prendre de la part de Son Éminence.

— Je comprends ; cette voiture, c’est votre frère qui vous l’envoie.

— Justement ; mais ce n’est pas le tout, cette lettre que vous avez reçue, et que vous croyez de madame de Chevreuse…

— Eh bien ?

— Elle est fausse.

— Comment cela ?

— Oui, fausse : c’est un piège pour que vous ne fassiez pas de résistance quand on viendra vous chercher.

— Mais c’est d’Artagnan qui viendra.

— Détrompez-vous, d’Artagnan et ses amis sont retenus au siège de La Rochelle.

— Comment savez-vous cela ?

— Mon frère a rencontré des émissaires du cardinal en habits de mousquetaires. On vous aurait appelée à la porte, vous auriez cru avoir affaire à des amis, on vous enlevait et on vous ramenait à Paris.

— Oh ! mon Dieu ! ma tête se perd au milieu de ce chaos d’iniquités. Je sens que si cela durait, continua madame Bonacieux en portant ses mains à son front, je deviendrais folle.

— Attendez…

— Quoi ?

— J’entends le pas d’un cheval, c’est celui de mon frère qui repart, je veux lui dire un dernier adieu ; venez.

Milady ouvrit la fenêtre et fit signe à madame Bonacieux de l’y rejoindre. La jeune femme y alla.

Rochefort passait au galop.

— Adieu, frère ! s’écria milady.

Le chevalier leva la tête, vit les deux jeunes femmes, et, tout courant, fit à milady un signe amical de la main.

— Ce bon Georges ! dit-elle en refermant la fenêtre avec une expression de visage pleine d’affection et de mélancolie.

Et elle revint s’asseoir à sa place, comme si elle eût été plongée dans des réflexions toutes personnelles.

— Chère dame ! dit madame Bonacieux, pardon de vous interrompre ! mais que me conseillez-vous de faire, mon Dieu ! Vous avez plus d’expérience que moi, parlez, je vous écoute.

— D’abord, dit milady, il se peut que je me trompe et que d’Artagnan et ses amis viennent véritablement à votre secours.

— Oh ! c’eût été trop beau ! s’écria madame Bonacieux, et tant de bonheur n’est pas fait pour moi.

— Alors, vous comprenez ; ce serait tout simplement une question de temps, une espèce de course à qui arrivera le premier : si ce sont vos amis qui l’emportent en rapidité, vous êtes sauvée ; si ce sont les satellites du cardinal, vous êtes perdue.

— Oh ! oui ! oui ! perdue sans miséricorde ! Que faire donc ? que faire ?

— Il y aurait un moyen bien simple, bien naturel.

— Lequel, dites ?

— Ce serait d’attendre, cachée dans les environs, et de s’assurer ainsi quels sont les hommes qui viendront vous demander.

— Mais où attendre ?

— Oh ! ceci n’est point une question ; moi-même je m’arrête et je me cache à quelques lieues d’ici en attendant que mon frère vienne me rejoindre ; eh bien ! je vous emmène avec moi, nous nous cachons et nous attendons ensemble.

— Mais on ne me laissera pas partir, je suis ici presque prisonnière.

— Comme on croit que je pars sur un ordre du cardinal, on ne vous croira pas très pressée de me suivre.

— Eh bien ?

— Eh bien ! la voiture est à la porte, vous me dites adieu, vous montez sur le marchepied pour me serrer dans vos bras une dernière fois ; le domestique de mon frère, qui vient me prendre est prévenu, il fait un signe au postillon, et nous partons au galop.

— Mais d’Artagnan, d’Artagnan, s’il vient ?

— Ne le saurons-nous pas ?

— Comment ?

— Rien de plus facile : nous renvoyons à Béthune ce domestique de mon frère, à qui, je vous l’ai dit, nous pouvons nous fier ; il prend un déguisement et se loge en face du couvent ; si ce sont les émissaires du cardinal qui viennent, il ne bouge pas ; si c’est M. d’Artagnan et ses amis, il les amène où nous sommes.

— Il les connaît donc ?

— Sans doute, n’a-t-il pas vu M. d’Artagnan chez moi !

— Oh ! oui, oui, vous avez raison. Ainsi, tout va bien, tout est pour le mieux ; mais ne nous éloignons pas d’ici.

— À sept ou huit lieues tout au plus, nous nous tenons sur la frontière, par exemple, et à la première alerte, nous sortons de France.

— Et d’ici là, que faire ?

— Attendre.

— Mais s’ils arrivent ?

— La voiture de mon frère arrivera avant eux.

— Si je suis loin de vous quand on viendra vous prendre, à dîner ou à souper, par exemple ?

— Faites une chose.

— Laquelle ?

— Dites à votre bonne supérieure que, pour nous quitter le moins possible, vous lui demanderez la permission de partager mon repas.

— Le permettra-t-elle ?

— Quel inconvénient y a-t-il à cela ?

— Oh ! très bien ! de cette façon nous ne nous quitterons pas un instant !

— Eh bien, descendez chez elle pour lui faire votre demande ; je me sens la tête lourde, je vais faire un tour au jardin.

— Allez ; et où vous retrouverai-je ?

— Ici, dans une heure.

— Ici, dans une heure ! Oh ! vous êtes bonne, et je vous remercie.

— Comment ne m’intéresserais-je pas à vous, quand vous ne seriez pas belle et charmante ? n’êtes-vous pas l’amie d’un de mes meilleurs amis ?

— Cher d’Artagnan ! oh ! comme il vous remerciera !

— Je l’espère bien. Allons, tout est convenu ; descendons.

— Vous allez au jardin ?

— Oui.

— Suivez ce corridor ; un petit escalier vous y conduit.

— À merveille, merci.

Et les deux femmes se quittèrent en échangeant un charmant sourire.

Milady avait dit la vérité : elle avait la tête lourde, car ses projets mal classés s’y heurtaient comme dans un chaos. Elle avait besoin d’être seule pour mettre un peu d’ordre dans ses idées ; elle voyait vaguement dans l’avenir ; mais il lui fallait un peu de silence et de quiétude pour donner à toutes ses idées, encore confuses, une forme distincte, un plan arrêté.

Ce qu’il y avait de plus pressé, c’était d’enlever madame Bonacieux, de la mettre en lieu de sûreté, et là, le cas échéant, de s’en faire un otage. Milady commençait à redouter l’issue de ce duel terrible, où ses ennemis mettaient autant de persévérance qu’elle mettait, elle, d’acharnement.

D’ailleurs elle sentait, comme on sent venir un orage, que cette issue était proche et ne pouvait manquer d’être terrible.

Le principal pour elle, comme nous l’avons dit, était donc de tenir madame Bonacieux entre ses mains. Madame Bonacieux, c’était la vie de d’Artagnan ; c’était plus que sa vie, c’était celle de la femme qu’il aimait. C’était, en cas de mauvaise fortune, un moyen de traiter et d’obtenir sûrement de bonnes conditions.

Or, ce point était arrêté. Madame Bonacieux, sans défiance, la suivait ; une fois cachée avec elle à Armentières, il était facile de lui faire croire que d’Artagnan n’était pas venu à Béthune. Dans quinze jours au plus, Rochefort serait de retour. Pendant ces quinze jours, d’ailleurs, elle aviserait à ce qu’elle aurait à faire pour se venger des quatre amis. Elle ne s’ennuierait pas, Dieu merci ! car elle aurait le plus doux passe-temps que les événements puissent accorder à une femme de son caractère : une bonne vengeance à perfectionner.

Tout en rêvant, elle jetait les yeux autour d’elle et classait dans sa tête la topographie du jardin. Milady était comme un bon général, qui prévoit tout ensemble la victoire et la défaite, et qui est tout près, selon les chances de la bataille, à marcher en avant ou à battre en retraite.

Au bout d’une heure, elle entendit une douce voix qui l’appelait : c’était celle de madame Bonacieux. La bonne abbesse avait naturellement consenti à tout, et, pour commencer, elles allaient souper ensemble.

En arrivant dans la cour, elles entendirent le bruit d’une voiture qui s’arrêtait a la porte.

Milady écouta.

— Entendez-vous ? dit-elle.

— Oui, le roulement d’une voiture.

— C’est celle que mon frère nous envoie.

— Oh ! mon Dieu !

— Voyons, du courage !

On sonna à la porte du couvent, milady ne s’était pas trompée.

— Montez dans votre chambre, dit-elle à madame Bonacieux, vous avez bien quelques bijoux que vous désirez emporter.

— J’ai ses lettres, dit-elle.

— Eh bien ! allez les chercher et venez me rejoindre chez moi ; nous souperons à la hâte, peut-être voyagerons-nous une partie de la nuit : il faut prendre des forces.

— Grand Dieu ! dit madame Bonacieux en mettant la main sur sa poitrine, le cœur m’étouffe, je ne puis marcher !

— Du courage ! allons, du courage ! pensez que dans un quart d’heure vous êtes sauvée, et songez que ce que vous allez faire, c’est pour lui que vous le faites.

— Oh ! oui, tout, tout pour lui. Vous m’avez rendu mon courage par un seul mot. Allez, je vous rejoins.

Milady monta vivement chez elle ; elle y trouva le laquais de Rochefort, et lui donna ses instructions.

Il devait attendre à la porte ; si par hasard les mousquetaires paraissaient, la voiture partait au galop, faisait le tour du couvent, et allait attendre milady à un petit village qui était situé de l’autre côté du bois.

Dans ce cas, milady traversait le jardin et gagnait le village à pied ; nous l’avons dit déjà, milady connaissait à merveille cette partie de la France.

Si les mousquetaires ne paraissaient pas, les choses allaient comme il était convenu. Madame Bonacieux montait dans la voiture sous prétexte de lui dire adieu et milady enlevait madame Bonacieux.

Madame Bonacieux entra, et pour lui ôter tout soupçon si elle en avait, milady répéta devant elle au laquais toute la dernière partie de ses instructions.

Milady fit quelques questions sur la voiture ; c’était une chaise attelée de trois chevaux, conduite par un postillon : le laquais de Rochefort devait la précéder en courrier.

C’était à tort que milady craignait que madame Bonacieux eût des soupçons, la pauvre jeune femme était trop pure pour soupçonner dans une autre femme une telle perfidie ; d’ailleurs le nom de la comtesse de Winter, qu’elle avait entendu prononcer par l’abbesse, lui était parfaitement inconnu, et elle ignorait même qu’une femme eût eu une part si grande et si fatale aux malheurs de sa vie.

— Vous le voyez, dit milady, lorsque le laquais fut sorti, tout est prêt. L’abbesse ne se doute de rien et croit qu’on me vient chercher de la part du cardinal. Cet homme va donner les derniers ordres : prenez la moindre chose, buvez un doigt de vin et partons.

— Oui, dit machinalement madame Bonacieux, oui, partons.

Milady lui fit signe de s’asseoir devant elle, lui versa un petit verre de vin d’Espagne et lui servit un blanc de poulet.

— Voyez, lui dit-elle, si tout ne nous seconde pas : voici la nuit qui vient ; au point du jour nous serons arrivées dans notre retraite, et nul ne pourra se douter où nous sommes. Voyons, du courage, prenez quelque chose.

Madame Bonacieux mangea machinalement quelques bouchées et trempa ses lèvres dans son verre.

— Allons donc, allons donc, dit milady portant le sien à ses lèvres, faites comme moi.

Mais au moment où elle l’approchait de sa bouche, sa main resta suspendue : elle venait d’entendre sur la route comme le roulement lointain d’un galop qui allait s’approchant ; puis, presque en même temps, il lui sembla entendre des hennissements de chevaux.

Ce bruit la tira de sa joie comme un bruit d’orage réveille au milieu d’un beau rêve ; elle pâlit et courut à la fenêtre, tandis que madame Bonacieux, se levant toute tremblante, s’appuyait sur sa chaise pour ne point tomber.

On ne voyait rien encore, seulement on entendait le galop qui allait toujours se rapprochant.

— Oh ! mon Dieu, dit madame Bonacieux, qu’est-ce que ce bruit ?

— Celui de nos amis ou de nos ennemis, dit milady avec son sang-froid terrible. Restez où vous êtes, je vais vous le dire.

Madame Bonacieux demeura debout, muette, immobile et pâle comme une statue.

Cependant le bruit devenait plus fort ; les chevaux ne devaient pas être à plus de cent cinquante pas ; si on ne les apercevait point encore, c’est que la route faisait un coude. Toutefois, le bruit devenait si distinct qu’on eût pu compter les chevaux par le bruit saccadé de leurs fers.

Milady regardait de toute la puissance de son attention ; il faisait juste assez clair pour qu’elle pût reconnaître ceux qui venaient.

Tout à coup, au détour du chemin, elle vit reluire des chapeaux galonnés et flotter des plumes ; elle compta deux, puis cinq puis huit cavaliers ; l’un d’eux précédait tous les autres de deux longueurs de cheval.

Milady poussa un rugissement étouffé. Dans celui qui tenait la tête elle reconnut d’Artagnan.

— Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! s’écria madame Bonacieux, qu’y a-t-il donc ?

— C’est l’uniforme des gardes de M. le cardinal ; pas un instant à perdre ! s’écria milady. Fuyons, fuyons !

— Oui, oui, fuyons, répéta madame Bonacieux, mais sans pouvoir faire un pas, clouée qu’elle était à sa place par la terreur.

On entendit les cavaliers qui passaient sous la fenêtre.

— Venez donc ! mais venez donc ! s’écriait milady en essayant de traîner la jeune femme par le bras. Grâce au jardin, nous pouvons fuir encore, j’ai la clef ; mais hâtons-nous, dans cinq minutes il serait trop tard.

Madame Bonacieux essaya de marcher, fit deux pas et tomba sur ses genoux.

Milady essaya de la soulever et de l’emporter, mais elle ne put en venir à bout.

En ce moment on entendit le roulement de la voiture, qui à la vue des mousquetaires partait au galop. Puis, trois ou quatre coups de feu retentirent.

— Une dernière fois, voulez-vous venir ? s’écria milady.

— Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! vous voyez bien que les forces me manquent ; vous voyez bien que je ne puis marcher, fuyez seule.

— Fuir seule ! vous laisser ici ! non, non, non, jamais ! , s’écria milady.

Tout à coup, un éclair livide jaillit de ses yeux ; d’un bond, éperdue, elle courut à la table, versa dans le verre de madame Bonacieux le contenu d’un chaton de bague qu’elle ouvrit avec une promptitude singulière.

C’était un grain rougeâtre qui se fondit aussitôt.

Puis, prenant le verre d’une main ferme :

— Buvez, dit-elle, ce vin vous donnera des forces, buvez.

Et elle approcha le verre des lèvres de la jeune femme, qui but machinalement.

— Ah ! ce n’est pas ainsi que je voulais me venger, dit milady en reposant avec un sourire infernal le verre sur la table, mais, ma foi ! on fait ce qu’on peut.

Et elle s’élança hors de l’appartement.

Madame Bonacieux la regarda fuir, sans pouvoir la suivre ; elle était comme ces gens qui rêvent qu’on les poursuit et qui essayent vainement de marcher.

Quelques minutes se passèrent ; un bruit affreux retentissait à la porte ; à chaque instant madame Bonacieux s’attendait à voir reparaître milady, qui ne reparaissait pas.

Plusieurs fois, de terreur sans doute, la sueur monta froide à son front brûlant.

Enfin elle entendit le grincement des grilles qu’on ouvrait, le bruit des bottes et des éperons retentit par les escaliers ; il se faisait un grand murmure de voix qui allaient se rapprochant, et au milieu desquelles il lui semblait entendre prononcer son nom.

Tout à coup elle jeta un grand cri de joie et s’élança vers la porte, elle avait reconnu la voix de d’Artagnan.

— D’Artagnan ! d’Artagnan ! s’écria-t-elle, est-ce vous ? Par ici !

— Constance ! Constance ! répondit le jeune homme, où êtes-vous ? Mon Dieu !

Au même moment la porte de la cellule céda au choc plutôt qu’elle ne s’ouvrit ; plusieurs hommes se précipitèrent dans la chambre ; madame Bonacieux était tombée dans un fauteuil sans pouvoir faire un mouvement.

D’Artagnan jeta un pistolet encore fumant qu’il tenait à la main, et tomba à genoux devant sa maîtresse ; Athos repassa le sien à sa ceinture ; Porthos et Aramis, qui tenaient leurs épées nues, les remirent au fourreau.

— Oh ! d’Artagnan ! mon bien-aimé d’Artagnan ! tu viens donc enfin, tu ne m’avais pas trompée ; c’est bien toi !

— Oui, oui, Constance. Réunis enfin !

— Oh ! elle avait beau dire que tu ne viendrais pas, j’espérais sourdement ; je n’ai pas voulu fuir. Oh ! comme j’ai bien fait, comme je suis heureuse !

À ce mot, elle, Athos, qui s’était assis tranquillement, se leva tout à coup.

— Elle ! qui, elle ? demanda d’Artagnan.

— Mais ma compagne ; celle qui, par amitié pour moi, voulait me soustraire à mes persécuteurs ; celle qui, vous prenant pour des gardes du cardinal, vient de s’enfuir.

— Votre compagne ! s’écria d’Artagnan, devenant plus pâle que le voile blanc de sa maîtresse, de quelle compagne voulez-vous donc parler ?

— De celle dont la voiture était à la porte, d’une femme qui se dit votre amie, d’Artagnan ; d’une femme à qui vous avez tout raconté.

— Son nom ! s’écria d’Artagnan ; mon Dieu ! ne savez-vous donc pas son nom ?

— Si fait ! on l’a prononcé devant moi, attendez ; mais, c’est étrange… Ah ! mon Dieu ! ma tête se trouble, je n’y vois plus…

— À moi ! mes amis, à moi ! ses mains sont glacées, s’écria d’Artagnan, elle se trouve mal. Grand Dieu ! elle perd connaissance.

Tandis que Porthos appelait au secours de toute la puissance de sa voix, Aramis courut à la table pour prendre un verre d’eau ; mais il s’arrêta en voyant l’horrible altération du visage d’Athos, qui, debout devant la table, les cheveux hérissés, les yeux glacés de stupeur, regardait l’un des verres et semblait en proie au doute le plus affreux.

— Oh ! disait Athos, oh ! non, c’est impossible ! Dieu ne permettrait pas un pareil crime !

— De l’eau ! de l’eau ! criait d’Artagnan ; de l’eau !

— Oh ! Pauvre femme ! pauvre femme ! murmurait Athos d’une voix brisée.

Madame Bonacieux rouvrit les yeux sous les baisers de d’Artagnan.

— Elle revient à elle ! s’écria le jeune homme ; oh ! mon Dieu, mon Dieu, je te remercie !

— Madame, dit Athos, madame, au nom du ciel, à qui ce verre vide ?

— À moi, monsieur, répondit la jeune femme d’une voix mourante.

— Mais qui vous a versé le vin qui était dans ce verre ?

— Elle !

— Mais, qui donc, elle ?

— Ah ! je me souviens, dit madame Bonacieux, la comtesse de Winter.

Les quatre amis poussèrent un seul et même cri, mais celui d’Athos domina tous les autres.

En ce moment le visage de madame Bonacieux devint livide, une douleur sourde la terrassa, elle tomba haletante dans les bras de Porthos et d’Aramis.

D’Artagnan saisit les mains d’Athos avec une angoisse difficile à décrire.

— Eh quoi ! dit-il, tu crois ?…

Sa voix s’éteignit dans un sanglot.

— Je crois tout, dit Athos en se mordant les lèvres jusqu’au sang.

— D’Artagnan, d’Artagnan, s’écria madame Bonacieux, où es-tu ? ne me quitte pas, tu vois bien que je vais mourir !

D’Artagnan lâcha les mains d’Athos, qu’il tenait encore entre ses mains crispées, et courut à elle.

Son visage si beau était tout bouleversé, ses yeux vitreux n’avaient déjà plus de regard, un tremblement convulsif agitait son corps, la sueur coulait sur son front.

— Au nom du ciel, courez appeler, Porthos, Aramis ; demandez du secours !

— Inutile, dit Athos, inutile, au poison qu’elle verse il n’y a pas de contre-poison.

— Oui, oui, du secours, du secours, murmura madame Bonacieux ; du secours !

Puis, rassemblant toutes ses forces, elle prit la tête du jeune homme entre ses deux mains, le regarda un instant comme si toute son âme était passée dans son regard, et, avec un cri sanglotant, elle appuya ses lèvres sur les siennes.

— Constance, Constance ! s’écria d’Artagnan.

Un soupir s’échappa de la bouche de madame Bonacieux, effleurant celle de d’Artagnan ; ce soupir, c’était cette âme si chaste et si aimante qui remontait au ciel.

D’Artagnan ne serrait plus qu’un cadavre entre ses bras.

Le jeune homme poussa un cri et tomba près de sa maîtresse, aussi pâle et aussi glacé qu’elle.

Porthos pleura ! Aramis montra le poing au ciel ! Athos fit le signe de la croix.

En ce moment un homme parut sur la porte, presque aussi pâle que ceux qui étaient dans la chambre, et regarda tout autour de lui, vit madame Bonacieux morte et d’Artagnan évanoui.

Il apparaissait juste à cet instant de stupeur qui suit les grandes catastrophes.

— Je ne m’étais pas trompé, dit-il ; voilà M. d’Artagnan, et vous êtes ses trois amis, MM. Athos, Porthos et Aramis.

Ceux dont les noms venaient d’être prononcés regardaient l’étranger avec étonnement, il leur semblait à tous trois le reconnaître.

— Messieurs, reprit le nouveau venu, vous êtes comme moi à la recherche d’une femme qui, ajouta-t-il avec un sourire terrible, a dû passer par ici, car j’y vois un cadavre.

Les trois amis restèrent muets ; seulement la voix comme le visage leur rappelait un homme qu’ils avaient déjà vu, cependant, ils ne pouvaient se souvenir dans quelles circonstances.

— Messieurs, continua l’étranger, puisque vous ne voulez pas reconnaître un homme qui probablement vous doit la vie deux fois, il faut bien que je me nomme ; je suis lord de Winter, le beau-frère de cette femme.

Les trois amis jetèrent un cri de surprise.

Athos se leva et lui tendit la main.

— Soyez le bienvenu, milord, dit-il, vous êtes des nôtres.

— Je suis parti cinq heures après elle de Portsmouth, dit lord de Winter, je suis arrivé trois heures après elle à Boulogne, je l’ai manquée de vingt minutes à Saint-Omer ; enfin, à Lilliers, j’ai perdu sa trace. J’allais au hasard, m’informant à tout le monde, quand je vous ai vus passer au galop ; j’ai reconnu M. d’Artagnan. Je vous ai appelés, vous ne m’avez pas répondu ; j’ai voulu vous suivre, mais mon cheval était trop fatigué pour aller du même train que les vôtres. Et cependant il paraît que malgré la diligence que vous avez faite, vous êtes encore arrivés trop tard.

— Vous voyez, dit Athos en montrant à lord de Winter madame Bonacieux morte et d’Artagnan que Porthos et Aramis essayaient de rappeler à la vie.

— Sont-ils donc morts tous deux ? demanda froidement lord de Winter.

— Non, heureusement, répondit Athos, M. d’Artagnan n’est qu’évanoui.

— Ah ! tant mieux, dit Lord de Winter.

En effet, en ce moment d’Artagnan rouvrit les yeux.

Il s’arracha des bras de Porthos et d’Aramis et se jeta comme un insensé sur le corps de sa maîtresse.

Athos se leva, marcha vers son ami d’un pas lent et solennel, l’embrassa tendrement, et, comme il éclatait en sanglots, il lui dit de sa voix si noble et si persuasive :

— Ami, sois homme : les femmes pleurent les morts, les hommes les vengent !

— Oh ! oui, dit d’Artagnan, oui ! si c’est pour la venger, je suis prêt à te suivre.

Athos profita de ce moment de force que l’espoir de la vengeance rendait à son malheureux ami pour faire signe à Porthos et à Aramis d’aller chercher la supérieure.

Les deux amis la rencontrèrent dans le corridor, encore toute troublée et tout éperdue de tant d’événements ; elle appela quelques religieuses, qui, contre toutes les habitudes monastiques, se trouvèrent en présence des cinq hommes.

— Madame, dit Athos en passant le bras de d’Artagnan sous le sien, nous abandonnons à vos soins pieux le corps de cette malheureuse femme. Ce fut un ange sur la terre avant d’être un ange au ciel. Traitez-la comme une de vos sœurs ; nous reviendrons un jour prier sur sa tombe.

D’Artagnan cacha sa figure dans la poitrine d’Athos et éclata en sanglots.

— Pleure, dit Athos, pleure, cœur plein d’amour, de jeunesse et de vie. Hélas ! je voudrais bien pouvoir pleurer comme toi !

Et il entraîna son ami, affectueux comme un père, consolant comme un prêtre, grand comme l’homme qui a beaucoup souffert.

Tous cinq, suivis de leurs valets, tenant leurs chevaux par la bride, s’avancèrent vers la ville de Béthune, dont on apercevait le faubourg, et ils s’arrêtèrent devant la première auberge qu’ils rencontrèrent.

— Mais, dit d’Artagnan, ne poursuivons-nous pas cette femme ?

— Plus tard, dit Athos ; j’ai des mesures à prendre.

— Elle nous échappera, reprit le jeune homme, elle nous échappera, Athos, et ce sera ta faute.

— Je réponds d’elle, dit Athos.

D’Artagnan avait une telle confiance dans la parole de son ami, qu’il baissa la tête et entra dans l’auberge sans rien répondre.

Porthos et Aramis se regardaient, ne comprenant rien à l’assurance d’Athos.

Lord de Winter croyait qu’il parlait ainsi pour engourdir la douleur de d’Artagnan.

— Maintenant, messieurs, dit Athos lorsqu’il se fut assuré qu’il y avait cinq chambres de libres dans l’hôtel, retirons-nous chacun chez soi ; d’Artagnan a besoin d’être seul pour pleurer et vous pour dormir. Je me charge de tout, soyez tranquilles.

— Il me semble cependant, dit lord de Winter, que s’il y a quelque mesure à prendre contre la comtesse, cela me regarde ; c’est ma belle-sœur.

— Et moi, dit Athos, c’est ma femme !

D’Artagnan tressaillit, car il comprit qu’Athos était sûr de sa vengeance, puisqu’ il révélait un pareil secret ; Porthos et Aramis se regardèrent en pâlissant. Lord de Winter pensa qu’Athos était fou.

— Retirez-vous donc, dit Athos, et laissez-moi faire. Vous voyez bien qu’en ma qualité de mari cela me regarde. Seulement, d’Artagnan, si vous ne l’avez pas perdu, remettez-moi ce papier qui s’est échappé du chapeau de cet homme et sur lequel est écrit le nom de la ville…

— Ah ! dit d’Artagnan, je comprends ; ce nom écrit de sa main…

— Tu vois bien, dit Athos, qu’il y a un Dieu dans le ciel.

L’HOMME AU MANTEAU ROUGE

Le désespoir d’Athos avait fait place à une douleur concentrée, qui rendait plus lucides encore les brillantes facultés d’esprit de cet homme.

Tout entier à une seule pensée, celle de la promesse qu’il avait faite et de la responsabilité qu’il avait prise, il se retira le dernier dans sa chambre, pria l’hôte de lui procurer une carte de la province, se courba dessus, interrogea les lignes tracées, reconnut que quatre chemins différents se rendaient de Béthune à Armentières, et fit appeler les valets.

Planchet, Grimaud, Mousqueton et Bazin se présentèrent et reçurent les ordres clairs, ponctuels et graves d’Athos. Ils devaient partir au point du jour, le lendemain, et se rendre à Armentières, chacun par une route différente. Planchet, le plus intelligent des quatre, devait suivre celle par laquelle avait disparu la voiture sur laquelle les quatre amis avaient tiré, et qui était accompagnée, on se le rappelle, du domestique de Rochefort.

Athos mit les valets en campagne d’abord, parce que, depuis que ces hommes étaient à son service et à celui de ses amis, il avait reconnu en chacun d’eux des qualités différentes et essentielles ; puis, des valets qui interrogent inspirent aux passants moins de défiance que leurs maîtres, et trouvent plus de sympathie chez ceux auxquels ils s’adressent.

Enfin, milady connaissait les maîtres, tandis qu’elle ne connaissait pas les valets ; au contraire, les valets connaissaient parfaitement milady.

Tous quatre devaient se trouver réunis le lendemain à onze heures à l’endroit indiqué ; s’ils avaient découvert la retraite de m,ilady, trois resteraient à la garder, le quatrième reviendrait à Béthune pour prévenir Athos et servir de guide aux quatre amis.

Ces dispositions prises, les valets se retirèrent à leur tour.

Athos alors se leva de sa chaise, ceignit son épée, s’enveloppa dans son manteau, et sortit de l’hôtel ; il était dix heures à peu près. À dix heures du soir, on le sait, en province les rues sont peu fréquentées. Athos cependant cherchait visiblement quelqu’un à qui il pût adresser une question. Enfin il rencontra un passant attardé, s’approcha de lui, lui dit quelques paroles. L’homme auquel il s’adressait recula avec terreur, cependant il répondit aux paroles du mousquetaire par une indication. Athos offrit à cet homme une demi-pistole pour l’accompagner ; mais l’homme refusa.

Athos s’enfonça dans la rue que l’indicateur avait désignée du doigt ; mais, arrivé à un carrefour, il s’arrêta de nouveau, visiblement embarrassé. Cependant, comme, plus qu’aucun autre lieu, le carrefour lui offrait la chance de rencontrer quelqu’un, il s’y arrêta. En effet, au bout d’un instant, un veilleur de nuit passa. Athos lui répéta la même question qu’il avait déjà faite à la première personne qu’il avait rencontrée. Le veilleur de nuit laissa apercevoir la même terreur, refusa à son tour d’accompagner Athos, et lui montra de la main le chemin qu’il devait suivre.

Athos marcha dans la direction indiquée et atteignit le faubourg situé à l’extrémité de la ville opposée à celle par laquelle lui et ses compagnons étaient entrés. Là il parut de nouveau inquiet et embarrassé, et s’arrêta pour la troisième fois.

Heureusement un mendiant passa, qui s’approcha d’Athos pour lui demander l’aumône. Athos lui proposa un écu pour l’accompagner où il allait. Le mendiant hésita un instant, mais à la vue de la pièce d’argent qui brillait dans l’obscurité il se décida et marcha devant Athos.

Arrivé à l’angle d’une rue, il lui montra de loin une petite maison isolée, solitaire, triste ; Athos s’en approcha, tandis que le mendiant, qui avait reçu son salaire, s’en éloignait à toutes jambes.

Athos en fit le tour, avant de distinguer la porte au milieu de la couleur rougeâtre dont cette maison était peinte. Aucune lumière ne paraissait à travers les gerçures des contrevents, aucun bruit ne pouvait faire supposer qu’elle fût habitée ; elle était sombre et muette comme un tombeau.

Trois fois Athos frappa sans qu’on lui répondît. Au troisième coup cependant des pas intérieurs se rapprochèrent ; enfin la porte s’entrebâilla, et un homme de haute taille, au teint pâle, aux cheveux et à la barbe noire, parut.

Athos et lui échangèrent quelques mots à voix basse, puis l’homme à la haute taille fit signe au mousquetaire qu’il pouvait entrer. Athos profita à l’instant même de la permission, et la porte se referma derrière lui.

L’homme qu’Athos était venu chercher si loin et qu’il avait trouvé avec tant de peine, le fit entrer dans son laboratoire, où il était occupé à retenir avec des fils de fer les os cliquetants d’un squelette. Tout le corps était déjà rajusté : la tête seule était posée sur une table.

Tout le reste de l’ameublement indiquait que celui chez lequel on se trouvait s’occupait de sciences naturelles : il y avait des bocaux pleins de serpents, étiquetés selon les espèces ; des lézards desséchés reluisaient comme des émeraudes taillées dans de grands cadres de bois noir ; enfin, des bottes d’herbes sauvages, odoriférantes et sans doute douées de vertus inconnues au vulgaire des hommes, étaient attachées au plafond et descendaient dans les angles de l’appartement.

Du reste, pas de famille, pas de serviteurs ; l’homme à la haute taille habitait seul cette maison.

Athos jeta un coup d’œil froid et indifférent sur tous les objets que nous venons de décrire, et, sur l’invitation de celui qu’il venait chercher, s’assit près de lui.

Alors il lui expliqua la cause de sa visite et le service qu’il réclamait ; mais à peine eut-il exposé sa demande, que l’inconnu, qui était resté debout devant le mousquetaire, recula de terreur et refusa. Alors Athos tira de sa poche un petit papier sur lequel étaient écrites deux lignes accompagnées d’une signature et d’un sceau, et le présenta à celui qui donnait trop prématurément ces signes de répugnance. L’homme à la grande taille eut à peine lu ces deux lignes, vu la signature et reconnu le sceau, qu’il s’inclina en signe qu’il n’avait plus aucune objection à faire, et qu’il était prêt à obéir.

Athos n’en demanda pas davantage, il se leva, salua, sortit, reprit en s’en allant le chemin qu’il avait suivi pour venir, rentra dans l’hôtel et s’enferma chez lui.

Au point du jour, d’Artagnan entra dans sa chambre et demanda ce qu’il fallait faire.

— Attendre, répondit Athos.

Quelques instants après, la supérieure du couvent fit prévenir les mousquetaires que l’enterrement de la victime de milady aurait lieu à midi. Quant à l’empoisonneuse, on n’en avait pas eu de nouvelles ; seulement elle avait dû fuir par le jardin, sur le sable duquel on avait reconnu la trace de ses pas et dont on avait retrouvé la porte fermée ; quant à la clé, elle avait disparu.

À l’heure indiquée, lord de Winter et les quatre amis se rendirent au couvent : les cloches sonnaient à toute volée, la chapelle était ouverte ; la grille du chœur était fermée. Au milieu du chœur, le corps de la victime, revêtue de ses habits de novice, était exposé. De chaque côté du chœur et derrière des grilles s’ouvrant sur le couvent était toute la communauté des carmélites, qui écoutait de là le service divin et mêlait son chant au chant des prêtres, sans voir les profanes et sans être vue d’eux.

À la porte de la chapelle, d’Artagnan sentit son courage qui fuyait de nouveau ; il se retourna pour chercher Athos, mais Athos avait disparu.

Fidèle à sa mission de vengeance, Athos s’était fait conduire au jardin ; et là, sur le sable, suivant les pas légers de cette femme qui avait laissé une trace sanglante partout où elle avait passé, il s’avança jusqu’à la porte qui donnait sur le bois, se la fit ouvrir, et s’enfonça dans la forêt.

Alors tous ses doutes se confirmèrent : le chemin par lequel la voiture avait disparu contournait la forêt. Athos suivit le chemin quelque temps les yeux fixés sur le sol ; de légères taches de sang, qui provenaient d’une blessure faite ou à l’homme qui accompagnait la voiture en courrier, ou à l’un des chevaux, piquetaient le chemin. Au bout de trois quarts de lieue à peu près, à cinquante pas de Festubert, une tache de sang plus large apparaissait ; le sol était piétiné par les chevaux. Entre la forêt et cet endroit dénonciateur, un peu en arrière de la terre écorchée, on retrouvait la même trace de petits pas que dans le jardin ; la voiture s’était arrêtée.

En cet endroit, milady était sortie du bois et était montée dans la voiture.

Satisfait de cette découverte qui confirmait tous ses soupçons, Athos revint à l’hôtel et trouva Planchet qui l’attendait avec impatience.

Tout était comme l’avait prévu Athos.

Planchet avait suivi la route, avait comme Athos remarqué les taches de sang, comme Athos il avait reconnu l’endroit où les chevaux s’étaient arrêtés ; mais il avait poussé plus loin qu’Athos, de sorte qu’au village de Festubert, en buvant dans une auberge, il avait, sans avoir eu besoin de questionner, appris que la veille, à huit heures et demie du soir, un homme blessé, qui accompagnait une dame qui voyageait dans une chaise de poste, avait été obligé de s’arrêter, ne pouvant aller plus loin. L’accident avait été mis sur le compte de voleurs qui auraient arrêté la chaise dans le bois. L’homme était resté dans le village, la femme avait relayé et continué son chemin.

Planchet se mit en quête du postillon qui avait conduit la chaise, et le retrouva. Il avait conduit la dame jusqu’à Fromelles, et de Fromelles elle était partie pour Armentières. Planchet prit la traverse, et à sept heures du matin il était à Armentières.

Il n’y avait qu’un seul hôtel, celui de la Poste. Planchet alla s’y présenter comme un laquais sans place qui cherchait une condition. Il n’avait pas causé dix minutes avec les gens de l’auberge, qu’il savait qu’une femme seule était arrivée à onze heures du soir, avait pris une chambre, avait fait venir le maître d’hôtel et lui avait dit qu’elle désirerait demeurer quelque temps dans les environs.

Planchet n’avait pas besoin d’en savoir davantage. Il courut au rendez-vous, trouva les trois laquais exacts à leur poste, les plaça en sentinelles à toutes les issues de l’hôtel, et vint trouver Athos, qui achevait de recevoir les renseignements de Planchet, lorsque ses amis rentrèrent.

Tous les visages étaient sombres et crispés, même le doux visage d’Aramis.

— Que faut-il faire ? demanda d’Artagnan.

— Attendre, répondit Athos.

Chacun se retira chez soi.

À huit heures du soir, Athos donna l’ordre de seller les chevaux, et fit prévenir lord de Winter et ses amis qu’ils eussent à se préparer pour l’expédition.

En un instant tous cinq furent prêts. Chacun visita ses armes et les mit en état. Athos descendit le premier et trouva d’Artagnan déjà à cheval et s’impatientant.

— Patience, dit Athos, il nous manque encore quelqu’un.

Les quatre cavaliers regardèrent autour d’eux avec étonnement, car ils cherchaient inutilement dans leur esprit quel était ce quelqu’un qui pouvait leur manquer.

En ce moment Planchet amena le cheval d’Athos, le mousquetaire sauta légèrement en selle.

— Attendez-moi, dit-il, je reviens.

Et il partit au galop.

Un quart d’heure après, il revint effectivement accompagné d’un homme masqué et enveloppé d’un grand manteau rouge.

Lord de Winter et les trois mousquetaires s’interrogèrent du regard. Nul d’entre eux ne put renseigner les autres, car tous ignoraient ce qu’était cet homme. Cependant ils pensèrent que cela devait être ainsi, puisque la chose se faisait par l’ordre d’Athos.

À neuf heures, guidée par Planchet, la petite cavalcade se mit en route, prenant le chemin qu’avait suivi la voiture.

C’était un triste aspect que celui de ces six hommes courant en silence, plongés chacun dans sa pensée, mornes comme le désespoir, sombres comme le châtiment.

LE JUGEMENT

C’était une nuit orageuse et sombre, de gros nuages couraient au ciel, voilant la clarté des étoiles, la lune ne devait se lever qu’à minuit.

Parfois, à la lueur d’un éclair qui brillait à l’horizon, on apercevait la route qui se déroulait blanche et solitaire ; puis, l’éclair éteint, tout rentrait dans l’obscurité.

À chaque instant Athos invitait d’Artagnan, toujours à la tête de la petite troupe, à reprendre son rang qu’au bout d’un instant il abandonnait de nouveau ; il n’avait qu’une pensée, c’était d’aller en avant, et il allait.

On traversa en silence le village de Festubert, où était resté le domestique blessé, puis on longea le bois de Richebourg. Arrivés à Herlier, Planchet, qui dirigeait toujours la colonne, prit à gauche.

Plusieurs fois, lord de Winter, soit Porthos, soit Aramis, avaient essayé d’adresser la parole à l’homme au manteau rouge ; mais à chaque interrogation qui lui avait été faite, il s’était incliné sans répondre. Les voyageurs avaient alors compris qu’il y avait quelque raison pour que l’inconnu gardât le silence, et ils avaient cessé de lui adresser la parole.

D’ailleurs l’orage grossissait, les éclairs se succédaient rapidement, le tonnerre commençait à gronder, et le vent, précurseur de l’ouragan, sifflait dans la plaine, agitant les plumes des cavaliers.

La cavalcade prit le grand trot.

Un peu au-delà de Fromelles, l’orage éclata. On déploya les manteaux. Il restait encore trois lieues à faire ; on les fit sous des torrents de pluie.

D’Artagnan avait ôté son feutre et n’avait pas mis son manteau ; il trouvait plaisir à laisser ruisseler l’eau sur son front brûlant et sur son corps agité de frissons fiévreux.

Au moment où la petite troupe avait dépassé Goskal et allait arriver à la poste, un homme, abrité sous un arbre, se détacha du tronc avec lequel il était resté confondu dans l’obscurité, et s’avança jusqu’au milieu de la route, mettant son doigt sur ses lèvres.

Athos reconnut Grimaud.

— Qu’y a-t-il donc ? s’écria d’Artagnan, aurait-elle quitté Armentières ?

Grimaud fit de sa tête un signe affirmatif. D’Artagnan grinça des dents.

— Silence, d’Artagnan ! dit Athos, c’est moi qui me suis chargé de tout, c’est donc à moi d’interroger Grimaud.

— Où est-elle ? demanda Athos.

Grimaud étendit la main dans la direction de la Lys.

— Loin d’ici ? demanda Athos.

Grimaud présenta à son maître son index plié.

— Seule ? demanda Athos.

Grimaud fit signe que oui.

— Messieurs, dit Athos, elle est seule à une demi-lieue d’ici, dans la direction de la rivière.

— C’est bien, dit d’Artagnan ; conduis-nous, Grimaud.

Grimaud prit à travers champs, et servit de guide à la cavalcade.

Au bout de cinq cents pas à peu près, on trouva un ruisseau que l’on traversa à gué.

À la lueur d’un éclair, on aperçut le village d’Erquinheim.

— Est-ce là ? demanda d’Artagnan.

Grimaud secoua la tête en signe de négation.

— Silence donc ! dit Athos.

Et la troupe continua son chemin.

Un autre éclair brilla ; Grimaud étendit le bras, et à la lueur bleuâtre du serpent de feu on distingua une petite maison isolée, au bord de la rivière, à cent pas d’un bac.

Une fenêtre était éclairée.

— Nous y sommes, dit Athos.

En ce moment, un homme couché dans le fossé se leva : c’était Mousqueton. Il montra du doigt la fenêtre éclairée.

— Elle est là, dit-il.

— Et Bazin ? demanda Athos.

— Tandis que je gardais la fenêtre, il gardait la porte.

— Bien, dit Athos, vous êtes tous de fidèles serviteurs.

Athos sauta à bas de son cheval, dont il remit la bride aux mains de Grimaud, et s’avança vers la fenêtre après avoir fait signe au reste de la troupe de tourner du côté de la porte.

La petite maison était entourée d’une haie vive, de deux ou trois pieds de haut. Athos franchit la haie, parvint jusqu’à la fenêtre privée de contrevents, mais dont les demi-rideaux étaient exactement tirés.

Il monta sur le rebord de pierre, afin que son œil pût dépasser la hauteur des rideaux.

À la lueur d’une lampe, il vit une femme enveloppée d’une mante de couleur sombre, assise sur un escabeau, près d’un feu mourant. Ses coudes étaient posés sur une mauvaise table, et elle appuyait sa tête dans ses deux mains blanches comme l’ivoire.

On ne pouvait distinguer son visage, mais un sourire sinistre passa sur les lèvres d’Athos. Il n’y avait pas à s’y tromper : c’était bien celle qu’il cherchait.

En ce moment un cheval hennit. Milady releva la tête, vit, collé à la vitre, le visage pâle d’Athos, et poussa un cri.

Athos comprit qu’il était reconnu, poussa la fenêtre du genou et de la main ; la fenêtre céda, les carreaux se rompirent, et Athos, pareil au spectre de la vengeance, sauta dans la chambre. Milady courut à la porte et l’ouvrit. Plus pâle et plus menaçant encore qu’Athos, d’Artagnan était sur le seuil.

Milady recula en poussant un cri ; d’Artagnan, croyant qu’elle avait quelque moyen de fuir et craignant qu’elle ne leur échappât, tira un pistolet de sa ceinture ; mais Athos leva la main.

— Remets cette arme à sa place, d’Artagnan, dit-il, il importe que cette femme soit jugée et non assassinée. Attends encore un instant, d’Artagnan, et tu seras satisfait ! Entrez, messieurs.

D’Artagnan obéit, car Athos avait la voix solennelle et le geste puissant d’un juge envoyé par le Seigneur lui-même. Derrière d’Artagnan, entrèrent Porthos, Aramis, lord de Winter et l’homme au manteau rouge.

Les quatre valets gardaient la porte et la fenêtre.

Milady était tombée sur sa chaise les mains étendues, comme pour conjurer cette terrible apparition. En apercevant son beau-frère, elle jeta un cri terrible.

— Que demandez-vous ? s’écria milady.

— Nous demandons, dit Athos, Charlotte Backson, qui s’est appelée d’abord la comtesse de La Fère, puis lady de Winter, baronne de Sheffield.

— C’est moi, murmura-t-elle au comble de la terreur. Que me voulez-vous ?

— Nous voulons vous juger selon vos crimes, dit Athos ; vous serez libre de vous défendre, justifiez-vous si vous pouvez. Monsieur d’Artagnan, à vous d’accuser le premier.

D’Artagnan s’avança.

— Devant Dieu et devant les hommes, dit-il, j’accuse cette femme d’avoir empoisonné Constance Bonacieux, morte hier soir.

Il se retourna vers Porthos et vers Aramis.

— Nous attestons, dirent d’un seul mouvement les deux mousquetaires.

D’Artagnan continua :

— Devant Dieu et devant les hommes, j’accuse cette femme d’avoir voulu m’empoisonner moi-même, dans du vin qu’elle m’avait envoyé de Villeroy, avec une fausse lettre, comme si le vin venait de mes amis ; Dieu m’a sauvé ; mais un homme est mort à ma place, qui s’appelait Brisemont.

— Nous attestons, dirent de la même voix Porthos et Aramis.

— Devant Dieu et devant les hommes, j’accuse cette femme de m’avoir poussé au meurtre du baron de Wardes ; et, comme personne n’est là pour attester la vérité de cette accusation, je l’atteste, moi. J’ai dit.

Et d’Artagnan passa de l’autre côté de la chambre avec Porthos et Aramis.

— À vous, Milord, dit Athos.

Le baron s’approcha à son tour.

— Devant Dieu et devant les hommes, dit-il, j’accuse cette femme d’avoir fait assassiner le duc de Buckingham.

— Le duc de Buckingham assassiné ! s’écrièrent d’un seul cri tous les assistants.

— Oui, dit le baron, assassiné ! Sur la lettre d’avis que vous m’aviez écrite, j’avais fait arrêter cette femme, et je l’avais donnée en garde à un loyal serviteur ; elle a corrompu cet homme, elle lui a mis le poignard dans la main, elle lui a fait tuer le duc, et dans ce moment peut-être Felton paie de sa tête le crime de cette furie.

Un frémissement courut parmi les juges à la révélation de ces crimes encore inconnus.

— Ce n’est pas tout, reprit lord de Winter, mon frère, qui vous avait faite son héritière, est mort en trois heures d’une étrange maladie qui laisse des taches livides sur tout le corps. Ma sœur, comment votre mari est-il mort ?

— Horreur ! s’écrièrent Porthos et Aramis.

— Assassin de Buckingham, assassin de Felton, assassin de mon frère, je demande justice contre vous, et je déclare que si on ne me la fait pas, je me la ferai !

Et lord de Winter alla se ranger près de d’Artagnan, laissant la place libre à un autre accusateur.

Milady laissa tomber son front dans ses deux mains et essaya de rappeler ses idées confondues par un vertige mortel.

— À mon tour, dit Athos, tremblant lui-même comme le lion tremble à l’aspect du serpent, à mon tour. J’épousai cette femme quand elle était jeune fille, je l’épousai malgré toute ma famille ; je lui donnai mon bien, je lui donnai mon nom, et un jour je m’aperçus que cette femme était flétrie : cette femme était marquée d’une fleur de lys sur l’épaule gauche.

— Oh ! dit milady en se levant, je défie de retrouver le tribunal qui a prononcé sur moi cette sentence infâme. Je défie de retrouver celui qui l’a exécutée.

— Silence ! dit une voix. À ceci, c’est à moi de répondre !

Et l’homme au manteau rouge s’approcha à son tour.

— Quel est cet homme, quel est cet homme ? s’écria milady suffoquée par la terreur et dont les cheveux se dénouèrent et se dressèrent sur sa tête livide comme s’ils eussent été vivants.

Tous les yeux se tournèrent sur cet homme, car à tous, excepté à Athos, il était inconnu.

Encore Athos le regardait-il avec autant de stupéfaction que les autres, car il ignorait comment il pouvait se trouver mêlé en quelque chose à l’horrible drame qui se dénouait en ce moment.

Après s’être approché de milady, d’un pas lent et solennel, de manière que la table seule le séparât d’elle, l’inconnu ôta son masque.

Milady regarda quelque temps avec une terreur croissante ce visage pâle encadré de cheveux et de favoris noirs, dont la seule expression était une impassibilité glacée, puis tout à coup :

— Oh ! non, non, dit-elle en se levant et en reculant jusqu’au mur ; non, c’est une apparition infernale ! ce n’est pas lui ! À moi ! à moi ! s’écria-t-elle d’une voix rauque en se retournant vers la muraille, comme si elle eût pu s’y ouvrir un passage avec ses mains.

— Mais qui êtes-vous donc ? s’écrièrent tous les témoins de cette scène.

— Demandez-le à cette femme, dit l’homme au manteau rouge, car vous voyez bien qu’elle m’a reconnu, elle.

— Le bourreau de Lille, le bourreau de Lille ! s’écria milady en proie à une terreur insensée et se cramponnant des mains à la muraille pour ne pas tomber.

Tout le monde s’écarta, et l’homme au manteau rouge resta seul debout au milieu de la salle.

— Oh ! grâce ! grâce ! pardon ! cria la misérable en tombant à genoux.

L’inconnu laissa le silence se rétablir.

— Je vous le disais bien, qu’elle m’avait reconnu, reprit-il. Oui, je suis le bourreau de la ville de Lille, et voici mon histoire.

Tous les yeux étaient fixés sur cet homme dont on attendait les paroles avec une avide anxiété.

— Cette jeune femme était autrefois une jeune fille aussi belle qu’elle est belle aujourd’hui. Elle était religieuse au couvent des bénédictines de Templemar. Un jeune prêtre au cœur simple et croyant desservait l’église de ce couvent ; elle entreprit de le séduire et y réussit. Elle eût séduit un saint.

Leurs vœux à tous deux étaient sacrés, irrévocables ; leur liaison ne pouvait durer longtemps sans les perdre tous deux. Elle obtint de lui qu’ils quitteraient le pays ; mais pour quitter le pays, pour fuir ensemble, pour gagner une autre partie de la France, où ils pussent vivre tranquilles parce qu’ils seraient inconnus, il fallait de l’argent ; ni l’un ni l’autre n’en avait. Le prêtre vola les vases sacrés, les vendit ; mais comme ils s’apprêtaient à partir, ils furent arrêtés tous deux.

Huit jours après, elle avait séduit le fils du geôlier et s’était sauvée. Le jeune prêtre fut condamné à dix ans de fers et à la flétrissure. J’étais le bourreau de la ville de Lille, comme dit cette femme. Je fus obligé de marquer le coupable, et le coupable, messieurs, c’était mon frère !

Je jurai alors que cette femme qui l’avait perdu, qui était plus que sa complice, puisqu’elle l’avait poussé au crime, partagerait au moins le châtiment. Je me doutai du lieu où elle était cachée, je la poursuivis, je l’atteignis, je la garrottai, et je lui imprimai la même flétrissure que j’avais imprimée à mon frère.

Le lendemain de mon retour à Lille, mon frère parvint à s’échapper à son tour, on m’accusa de complicité, et l’on me condamna à rester en prison à sa place tant qu’il ne se serait pas constitué prisonnier. Mon pauvre frère ignorait ce jugement, il avait rejoint cette femme, ils avaient fui ensemble dans le Berry, et là, il avait obtenu une petite cure. Cette femme passait pour sa sœur.

Le seigneur de la terre sur laquelle était située l’église du curé vit cette prétendue sœur et en devint amoureux, amoureux au point qu’il lui proposa de l’épouser. Alors elle quitta celui qu’elle avait perdu pour celui qu’elle devait perdre, et devint la comtesse de La Fère.

Tous les yeux se tournèrent vers Athos, dont c’était le véritable nom, et qui fit signe de la tête que tout ce qu’avait dit le bourreau était vrai.

— Alors, reprit celui-ci, fou, désespéré, décidé à se débarrasser d’une existence à laquelle elle avait tout enlevé, honneur et bonheur, mon pauvre frère revint à Lille, et apprenant l’arrêt qui m’avait condamné à sa place, se constitua prisonnier et se pendit le même soir au soupirail de son cachot.

Au reste, c’est une justice à leur rendre, ceux qui m’avaient condamné me tinrent parole. À peine l’identité du cadavre fut-elle constatée qu’on me rendit ma liberté. Voilà le crime dont je l’accuse, voilà la cause pour laquelle je l’ai marquée.

— Monsieur d’Artagnan, dit Athos, quelle est la peine que vous réclamez contre cette femme ?

— La peine de mort ! répondit d’Artagnan.

— Milord de Winter, continua Athos, quelle est la peine que vous réclamez contre cette femme ?

— La peine de mort ! reprit lord de Winter.

— Messieurs Porthos et Aramis, reprit Athos, vous qui êtes ses juges, quelle est la peine que vous portez contre cette femme ?

— La peine de mort ! répondirent d’une voix sourde les deux mousquetaires.

Milady poussa un hurlement affreux, et fit quelques pas vers ses juges en se traînant sur ses genoux.

Athos étendit la main vers elle.

Anne de Breuil, comtesse de La Fère, milady de Winter, dit-il, vos crimes ont lassé les hommes sur la terre et Dieu dans le ciel. Si vous savez quelque prière, dites-la, car vous êtes condamnée et vous allez mourir.

À ces paroles, qui ne lui laissaient aucun espoir, milady se releva de toute sa hauteur et voulut parler, mais les forces lui manquèrent. Elle sentit qu’une main puissante et implacable la saisissait par les cheveux et l’entraînait aussi irrévocablement que la fatalité entraîne l’homme. Elle ne tenta donc pas même de faire résistance et sortit de la chaumière.

Lord de Winter, d’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis sortirent derrière elle. Les valets suivirent leurs maîtres et la chambre resta solitaire avec sa fenêtre brisée, sa porte ouverte et sa lampe fumeuse qui brûlait tristement sur la table.

L’EXÉCUTION

Il était minuit à peu près ; la lune, échancrée par sa décroissance et ensanglantée par les dernières traces de l’orage, se levait derrière la petite ville d’Armentières, qui détachait sur sa lueur blafarde la silhouette sombre de ses maisons et le squelette de son haut clocher découpé à jour. En face, la Lys roulait ses eaux pareilles à une rivière d’étain fondu ; tandis que sur l’autre rive on voyait la masse noire des arbres se profiler sur un ciel orageux envahi par de gros nuages cuivrés qui faisaient une espèce de crépuscule au milieu de la nuit. À gauche s’élevait un vieux moulin abandonné, aux ailes immobiles, dans les ruines duquel une chouette faisait entendre son cri aigu, périodique et monotone. Çà et là dans la plaine, à droite et à gauche du chemin que suivait le lugubre cortège, apparaissaient quelques arbres bas et trapus, qui semblaient des nains difformes accroupis pour guetter les hommes à cette heure sinistre.

De temps en temps un large éclair ouvrait l’horizon dans toute sa largeur, serpentait au-dessus de la masse noire des arbres et venait comme un effrayant cimeterre couper le ciel et l’eau en deux parties. Pas un souffle de vent ne passait dans l’atmosphère alourdie. Un silence de mort écrasait toute la nature ; le sol était humide et glissant de la pluie qui venait de tomber, et les herbes ranimées jetaient leur parfum avec plus d’énergie.

Deux valets traînaient milady, qu’ils tenaient chacun par un bras ; le bourreau marchait derrière, et lord de Winter, d’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis marchaient derrière le bourreau.

Planchet et Bazin venaient les derniers.

Les deux valets conduisaient milady du côté de la rivière. Sa bouche était muette ; mais ses yeux parlaient avec leur inexprimable éloquence, suppliant tour à tour chacun de ceux qu’elle regardait.

Comme elle se trouvait de quelques pas en avant, elle dit aux valets :

— Mille pistoles à chacun de vous si vous protégez ma fuite ; mais si vous me livrez à vos maîtres, j’ai ici près des vengeurs qui vous feront payer cher ma mort.

Grimaud hésitait. Mousqueton tremblait de tous ses membres.

Athos, qui avait entendu la voix de milady, s’approcha vivement ; lord de Winter en fit autant.

— Renvoyez ces valets, dit-il ; elle leur a parlé, ils ne sont plus sûrs.

On appela Planchet et Bazin, qui prirent la place de Grimaud et de Mousqueton.

Arrivés au bord de l’eau, le bourreau s’approcha de milady et lui lia les pieds et les mains.

Alors elle rompit le silence pour s’écrier :

— Vous êtes des lâches, vous êtes des misérables assassins, vous vous mettez à dix pour égorger une femme ; prenez garde, si je ne suis point secourue, je serai vengée.

— Vous n’êtes pas une femme, dit froidement Athos, vous n’appartenez pas à l’espèce humaine : vous êtes un démon échappé de l’enfer et que nous allons y faire rentrer.

— Oh ! messieurs les hommes vertueux ! dit milady, faites attention que celui qui touchera un cheveu de ma tête est à son tour un assassin.

— Le bourreau peut tuer, sans être pour cela un assassin, madame, dit l’homme au manteau rouge en frappant sur sa large épée : c’est le dernier juge, voilà tout : Nachrichter, comme disent nos voisins les Allemands.

Et, comme il la liait en disant ces paroles, milady poussa deux ou trois cris sauvages, qui firent un effet sombre et étrange en s’envolant dans la nuit et en se perdant dans les profondeurs du bois.

— Mais si je suis coupable, si j’ai commis les crimes dont vous m’accusez, hurlait milady, conduisez-moi devant un tribunal, vous n’êtes pas des juges, vous, pour me condamner.

— Je vous avais proposé Tyburn, dit lord de Winter, pourquoi n’avez-vous pas voulu ?

— Parce que je ne veux pas mourir ! s’écria milady en se débattant, parce que je suis trop jeune pour mourir !

— La femme que vous avez empoisonnée à Béthune était plus jeune encore que vous, madame, et cependant elle est morte, dit d’Artagnan.

— J’entrerai dans un cloître, je me ferai religieuse, dit milady.

— Vous étiez dans un cloître, dit le bourreau, et vous en êtes sortie pour perdre mon frère.

Milady poussa un cri d’effroi et tomba sur ses genoux.

Le bourreau la souleva sous les bras, et voulut l’emporter vers le bateau.

— Oh ! mon Dieu ! s’écria-t-elle, mon Dieu ! allez-vous donc me noyer !

Ces cris avaient quelque chose de si déchirant, que d’Artagnan, qui d’abord était le plus acharné à la poursuite de milady, se laissa aller sur une souche, et pencha la tête, se bouchant les oreilles avec les paumes de ses mains ; et cependant, malgré cela, il l’entendait encore menacer et crier.

D’Artagnan était le plus jeune de tous ces hommes, le cœur lui manqua.

— Oh ! je ne puis voir cet affreux spectacle, dit-il ; je ne puis consentir à ce que cette femme meure ainsi.

Milady avait entendu ces quelques mots, et elle s’était reprise à une lueur d’espérance.

— D’Artagnan ! d’Artagnan ! cria-t-elle, souviens-toi que je t’ai aimé !

Le jeune homme se leva et fit un pas vers elle.

Mais Athos, brusquement, tira son épée, se mit sur son chemin.

— Si vous faites un pas de plus, d’Artagnan, dit-il, nous croiserons le fer ensemble.

D’Artagnan tomba à genoux et pria.

— Allons, continua Athos, bourreau, fais ton devoir.

— Volontiers, monseigneur, dit le bourreau, car aussi vrai que je suis bon catholique, je crois fermement être juste en accomplissant ma fonction sur cette femme.

— C’est bien.

Athos fit un pas vers milady.

— Je vous pardonne, dit-il, le mal que vous m’avez fait ; je vous pardonne mon avenir brisé, mon honneur perdu, mon amour souillé et mon salut à jamais compromis par le désespoir où vous m’avez jeté. Mourez en paix !

Lord de Winter s’avança à son tour.

— Je vous pardonne, dit-il, l’empoisonnement de mon frère, l’assassinat de Sa Grâce lord Buckingham ; je vous pardonne la mort du pauvre Felton, je vous pardonne vos tentatives sur ma personne. Mourez en paix !

— Et moi, dit d’Artagnan, pardonnez-moi, madame, d’avoir, par une fourberie indigne d’un gentilhomme, provoqué votre colère ; et, en échange, je vous pardonne le meurtre de ma pauvre amie et vos vengeances cruelles pour moi. Je vous pardonne et je pleure sur vous. Mourez en paix.

— I am lost ! murmura en anglais milady. I must die.

— Oui, oui, murmura Athos, qui parlait l’anglais comme sa langue maternelle ; oui, vous êtes perdue, oui, il faut mourir.

Alors elle se releva d’elle-même, jeta tout autour d’elle un de ces regards clairs qui semblaient jaillir d’un œil de flamme.

Elle ne vit rien.

Elle écouta, et n’entendit rien.

Elle n’avait autour d’elle que des ennemis.

— Où vais-je mourir ? dit-elle.

— Sur l’autre rive, répondit le bourreau.

Alors il la fit entrer dans la barque, et, comme il allait y mettre le pied, Athos lui remit une somme d’argent.

— Tenez, dit-il, voici le prix de l’exécution ; que l’on voie bien que nous agissons en juges.

— C’est bien, dit le bourreau ; et que maintenant, à son tour, cette femme sache que je n’accomplis pas mon métier, mais mon devoir.

Et il jeta l’argent dans la rivière.

— Voyez, dit Athos, cette femme a un enfant, et cependant elle n’a pas dit un mot de son enfant !

Le bateau s’éloigna vers la rive gauche de la Lys, emportant la coupable et l’exécuteur ; tous les autres demeurèrent sur la rive droite, où ils étaient tombés à genoux.

Le bateau glissait lentement le long de la corde du bac, sous le reflet d’un nuage pâle qui surplombait l’eau en ce moment.

On le vit aborder sur l’autre rive ; les personnages se dessinaient en noir sur l’horizon rougeâtre.

Milady, pendant le trajet, était parvenue à détacher la corde qui liait ses pieds : en arrivant sur le rivage, elle sauta légèrement à terre et prit la fuite.

Mais le sol était humide : en arrivant au haut du talus, elle glissa et tomba sur ses genoux.

Une idée superstitieuse la frappa sans doute : elle comprit que le ciel lui refusait son secours et resta dans l’attitude où elle se trouvait, la tête inclinée et les mains jointes.

Alors on vit, de l’autre rive, le bourreau lever lentement ses deux bras ; un rayon de lune se refléta sur la lame de sa large épée, les deux bras retombèrent ; on entendit le sifflement du cimeterre et le cri de la victime, puis une masse tronquée s’affaissa sous le coup.

Alors le bourreau détacha son manteau rouge, l’étendit à terre, y coucha le corps, y jeta la tête, le noua par les quatre coins, le chargea sur son épaule et remonta dans le bateau.

Arrivé au milieu de la Lys, il arrêta la barque, et suspendant son fardeau au-dessus de la rivière :

— Laissez passer la justice de Dieu ! cria-t-il à haute voix.

Et il laissa tomber le cadavre au plus profond de l’eau, qui se referma sur lui.

UN MESSAGER DU CARDINAL

Trois jours après, les quatre mousquetaires rentraient à Paris ; ils étaient restés dans les limites de leur congé, et le même soir ils allèrent faire leur visite accoutumée à M. de Tréville.

— Eh bien, messieurs, leur demanda le brave capitaine, vous êtes-vous bien amusés dans votre excursion ?

— Prodigieusement, répondit Athos, les dents serrées.

Le 6 du mois suivant, le roi, tenant la promesse qu’il avait faite au cardinal de quitter Paris pour revenir à La Rochelle, sortit de sa capitale tout étourdi encore de la nouvelle qui venait de s’y répandre que Buckingham venait d’être assassiné.

Quoique prévenue que l’homme qu’elle avait tant aimé courait un danger, la reine, lorsqu’on lui annonça cette mort, ne voulut pas la croire ; il lui arriva même de s’écrier imprudemment :

— C’est faux ! il vient de m’écrire.

Mais le lendemain il lui fallut bien croire à cette fatale nouvelle ; La Porte, retenu comme tout le monde en Angleterre par les ordres du roi Charles Ier, arriva porteur du dernier et funèbre présent que Buckingham envoyait à la reine.

La joie du roi avait été très vive ; il ne se donna pas la peine de la dissimuler et la fit même éclater avec affectation devant la reine. Louis XIII, comme tous les cœurs faibles, manquait de générosité.

Mais bientôt le roi redevint sombre et mal portant : son front n’était pas de ceux qui s’éclaircissent pour longtemps ; il sentait qu’en retournant au camp il allait reprendre son esclavage, et cependant il y retournait.

Le cardinal était pour lui le serpent fascinateur et il était, lui, l’oiseau qui voltige de branche en branche sans pouvoir lui échapper.

Aussi le retour vers La Rochelle était-il profondément triste. Nos quatre amis surtout faisaient l’étonnement de leurs camarades ; ils voyageaient ensemble, côte à côte, l’œil sombre et la tête baissée. Athos relevait seul de temps en temps son large front, un éclair brillait dans ses yeux, un sourire amer passait sur ses lèvres, puis, pareil à ses camarades, il se laissait de nouveau aller à ses rêveries.

Aussitôt l’arrivée de l’escorte dans une ville, dès qu’ils avaient conduit le roi à son logis, les quatre amis se retiraient ou chez eux ou dans quelque cabaret écarté, où ils ne jouaient ni ne buvaient ; seulement ils parlaient à voix basse en regardant avec attention si nul ne les écoutait.

Un jour que le roi avait fait halte sur la route pour voler la pie, et que les quatre amis, selon leur habitude, au lieu de suivre la chasse, s’étaient arrêtés dans un cabaret sur la grand’route, un homme, qui venait de La Rochelle à franc étrier, s’arrêta à la porte pour boire un verre de vin, et plongea son regard dans l’intérieur de la chambre où étaient attablés les quatre mousquetaires.

— Holà ! monsieur d’Artagnan, dit-il, n’est-ce point vous que je vois là-bas ?

D’Artagnan leva la tête et poussa un cri de joie. Cet homme qu’il appelait son fantôme, c’était son inconnu de Meung, de la rue des Fossoyeurs et d’Arras.

D’Artagnan tira son épée et s’élança vers la porte.

Mais cette fois, au lieu de fuir, l’inconnu s’élança à bas de son cheval, et s’avança à la rencontre de d’Artagnan.

— Ah ! monsieur, dit le jeune homme, je vous rejoins donc enfin. Cette fois vous ne m’échapperez pas.

— Ce n’est pas mon intention non plus, monsieur, car cette fois je vous cherchais. Au nom du roi, je vous arrête.

— Comment ! que dites-vous ? s’écria d’Artagnan.

— Je dis que vous ayez à me rendre votre épée, monsieur, et cela sans résistance. Il y va de la tête, je vous en avertis.

— Qui êtes-vous donc ? demanda d’Artagnan en baissant son épée, mais sans la rendre encore.

— Je suis le chevalier de Rochefort, répondit l’inconnu, l’écuyer de M. le cardinal de Richelieu, et j’ai ordre de vous ramener à Son Éminence.

— Nous retournons auprès de Son Éminence, monsieur le chevalier, dit Athos en s’avançant, et vous accepterez bien la parole de M. d’Artagnan, qu’il va se rendre en droite ligne à La Rochelle.

— Je dois le remettre entre les mains des gardes qui le ramèneront au camp.

— Nous lui en servirons, monsieur, sur notre parole de gentilshommes ! Mais sur notre parole de gentilshommes aussi, ajouta Athos en fronçant le sourcil, M. d’Artagnan ne nous quittera pas.

Le chevalier de Rochefort jeta un coup d’œil en arrière et vit que Porthos et Aramis s’étaient placés entre lui et la porte ; il comprit qu’il était complètement à la merci de ces quatre hommes.

— Messieurs, dit-il, si M. d’Artagnan veut me rendre son épée, et joindre sa parole à la vôtre, je me contenterai de votre promesse de conduire M. d’Artagnan au quartier de monseigneur le cardinal.

— Vous avez ma parole, monsieur, dit d’Artagnan, et voici mon épée.

— Cela me va d’autant mieux, ajouta Rochefort, qu’il faut que je continue mon voyage.

— Si c’est pour rejoindre milady, dit froidement Athos, c’est inutile, vous ne la retrouverez pas.

— Qu’est-elle donc devenue ? demanda vivement Rochefort.

— Revenez au camp et vous le saurez.

Rochefort demeura un instant pensif, puis, comme on n’était plus qu’à une journée de Surgères, jusqu’où le cardinal devait venir au-devant du roi, il résolut de suivre le conseil d’Athos et de revenir avec eux.

D’ailleurs ce retour lui offrait un avantage, c’était de surveiller lui-même son prisonnier.

On se remit en route.

Le lendemain, à trois heures de l’après-midi, on arriva à Surgères. Le cardinal y attendait Louis XIII. Le ministre et le roi y échangèrent force caresses, se félicitèrent de l’heureux hasard qui débarrassait la France de l’ennemi acharné qui ameutait l’Europe contre elle. Après quoi, le cardinal, qui avait été prévenu par Rochefort que d’Artagnan était arrêté, et qui avait hâte de le voir, prit congé du roi en l’invitant à venir voir le lendemain les travaux de la digue qui étaient achevés.

En revenant le soir à son quartier du pont de La Pierre, le cardinal trouva debout, devant la porte de la maison qu’il habitait, d’Artagnan sans épée et les trois mousquetaires armés.

Cette fois, comme il était en force, il les regarda sévèrement, et fit signe de l’œil et de la main à d’Artagnan de le suivre.

D’Artagnan obéit.

— Nous t’attendrons, d’Artagnan, dit Athos assez haut pour que le cardinal l’entendît.

Son Éminence fronça le sourcil, s’arrêta un instant, puis continua son chemin sans prononcer une seule parole.

D’Artagnan entra derrière le cardinal, et Rochefort derrière d’Artagnan ; la porte fut gardée.

Son Éminence se rendit dans la chambre qui lui servait de cabinet, et fit signe à Rochefort d’introduire le jeune mousquetaire.

Rochefort obéit et se retira.

D’Artagnan resta seul en face du cardinal, c’était sa seconde entrevue avec Richelieu, et il avoua depuis qu’il avait été bien convaincu que ce serait la dernière.

Richelieu resta debout, appuyé contre la cheminée, une table était dressée entre lui et d’Artagnan.

— Monsieur, dit le cardinal, vous avez été arrêté par mes ordres.

— On me l’a dit, monseigneur.

— Savez-vous pourquoi ?

— Non, monseigneur ; car la seule chose pour laquelle je pourrais être arrêté est encore inconnue de Son Éminence.

Richelieu regarda fixement le jeune homme.

— Oh ! Oh ! dit-il, que veut dire cela ?

— Si monseigneur veut m’apprendre d’abord les crimes qu’on m’impute, je lui dirai ensuite les faits que j’ai accomplis.

— On vous impute des crimes qui ont fait choir des têtes plus hautes que la vôtre, dit le cardinal.

— Lesquels, monseigneur ? demanda d’Artagnan avec un calme qui étonna le cardinal lui-même.

— On vous impute d’avoir correspondu avec les ennemis du royaume, on vous impute d’avoir surpris les secrets de l’État, on vous impute d’avoir essayé de faire avorter les plans de votre général.

— Et qui m’impute cela, monseigneur ? dit d’Artagnan, qui se doutait que l’accusation venait de milady : une femme flétrie par la justice du pays, une femme qui a épousé un homme en France et un autre en Angleterre, une femme qui a empoisonné son second mari et qui a tenté de m’empoisonner moi-même.

— Que dites-vous donc là, monsieur ? s’écria le cardinal étonné ; et de quelle femme parlez-vous ainsi ?

— De milady de Winter, répondit d’Artagnan, oui, de milady de Winter, dont, sans doute, Votre Éminence ignorait tous les crimes lorsqu’elle l’a honorée de sa confiance.

— Monsieur, dit le cardinal, si milady de Winter a commis les crimes que vous dites, elle sera punie.

— Elle l’est, monseigneur.

— Et qui l’a punie ?

— Nous.

— Elle est en prison ?

— Elle est morte.

— Morte ! répéta le cardinal, qui ne pouvait croire à ce qu’il entendait ; morte ! n’avez-vous pas dit qu’elle était morte ?

— Trois fois elle avait essayé de me tuer, et je lui avais pardonné, mais elle a tué la femme que j’aimais, alors, mes amis et moi, nous l’avons prise, jugée et condamnée.

D’Artagnan alors raconta l’empoisonnement de madame Bonacieux dans le couvent des Carmélites de Béthune, le jugement de la maison isolée, l’exécution sur les bords de la Lys.

Un frisson courut par tout le corps du cardinal, qui cependant ne frissonnait pas facilement.

Mais tout à coup, comme subissant l’influence d’une pensée muette, la physionomie du cardinal, sombre jusqu’alors, s’éclaircit peu à peu et arriva à la plus parfaite sérénité.

— Ainsi, dit-il avec une voix dont la douceur contrastait avec la sévérité de ses paroles, vous vous êtes constitués juges, sans penser que ceux qui n’ont pas mission de punir et qui punissent sont des assassins.

— Monseigneur, je vous jure que je n’ai pas eu un instant l’intention de défendre ma tête contre vous. Je subirai le châtiment que Votre Éminence voudra bien m’infliger. Je ne tiens pas assez à la vie pour craindre la mort.

— Oui, je le sais, vous êtes un homme de cœur, monsieur, dit le cardinal avec une voix presque affectueuse : je puis donc vous dire d’avance que vous serez jugé, condamné même.

— Un autre pourrait répondre à Votre Éminence qu’il a sa grâce dans sa poche ; moi je me contenterai de vous dire : ordonnez, monseigneur, je suis prêt.

— Votre grâce ! dit Richelieu surpris.

— Oui, monseigneur, dit d’Artagnan.

— Et signée de qui ?… du roi ?…

Et le cardinal prononça ces mots avec une singulière expression de mépris.

— Non, de Votre Éminence.

— De moi ! vous êtes fou, monsieur.

— Monseigneur reconnaîtra sans doute son écriture.

Et d’Artagnan présenta au cardinal le précieux papier qu’Athos avait arraché à milady, et qu’il avait donné à d’Artagnan pour lui servir de sauvegarde.

Son Éminence prit le papier et lut d’une voix lente et en appuyant sur chaque syllabe :

« C’est par mon ordre et pour le bien de État que le porteur du présent a fait ce qu’il a fait.

« Au camp devant La Rochelle, ce 3 août 1628.

« Richelieu. »

Le cardinal, après avoir lu ces deux lignes, tomba dans une rêverie profonde, mais il ne rendit pas le papier à d’Artagnan.

— Il médite de quel genre de supplice il me fera mourir, se dit tout bas d’Artagnan. Eh bien ! ma foi, il verra comment meurt un gentilhomme.

Le jeune mousquetaire était en excellente disposition pour trépasser héroïquement.

Richelieu pensait toujours, roulait et déroulait le papier dans ses mains. Enfin il leva la tête, fixa son regard d’aigle sur cette physionomie loyale, ouverte, intelligente, lut sur ce visage sillonné de larmes toutes les souffrances qu’il avait endurées depuis un mois, et songea pour la troisième ou quatrième fois combien cet enfant de vingt et un ans avait d’avenir, et quelles ressources son activité, son courage et son esprit pouvaient offrir à un bon maître.

D’un autre côté, les crimes, la puissance, le génie infernal de milady l’avaient plus d’une fois épouvanté. Il sentait comme une joie secrète d’être à jamais débarrassé de ce complice dangereux.

Il déchira lentement le papier que d’Artagnan lui avait si généreusement remis.

— Je suis perdu, dit en lui-même d’Artagnan.

Et il s’inclina profondément devant le cardinal en homme qui dit : « Seigneur, que votre volonté soit faite. »

Le cardinal s’approcha de la table, et, sans s’asseoir, écrivit quelques lignes sur un parchemin dont les deux tiers étaient déjà remplis et y apposa son sceau.

— Ceci est ma condamnation, dit d’Artagnan, il m’épargne l’ennui de la Bastille et les lenteurs d’un jugement. C’est encore fort aimable à lui.

— Tenez, monsieur, dit le cardinal au jeune homme, je vous ai pris un blanc-seing et je vous en rends un autre. Le nom manque sur ce brevet : vous l’écrirez vous-même.

D’Artagnan prit le papier en hésitant et jeta les yeux dessus.

C’était une lieutenance dans les mousquetaires.

D’Artagnan tomba aux pieds du cardinal.

— Monseigneur, dit-il, ma vie est à vous ; disposez-en désormais ; mais cette faveur que vous m’accordez, je ne la mérite pas : j’ai trois amis qui sont plus méritants et plus dignes…

— Vous êtes un brave garçon, d’Artagnan, interrompit le cardinal en lui frappant familièrement sur l’épaule, charmé qu’il était d’avoir vaincu cette nature rebelle. Faites de ce brevet ce qu’il vous plaira. Seulement rappelez-vous que, quoique le nom soit en blanc, c’est à vous que je le donne.

— Je ne l’oublierai jamais, répondit d’Artagnan ; Votre Éminence peut en être certaine.

Le cardinal se retourna et dit à haute voix :

— Rochefort !

Le chevalier, qui sans doute était derrière la porte entra aussitôt.

— Rochefort, dit le cardinal, vous voyez M. d’Artagnan ; je le reçois au nombre de mes amis. Ainsi donc, que l’on s’embrasse et que l’on soit sage si l’on tient à conserver sa tête.

Rochefort et d’Artagnan s’embrassèrent du bout des lèvres ; mais le cardinal était là, qui les observait de son œil vigilant.

Ils sortirent de la chambre en même temps.

— Nous nous retrouverons, n’est-ce pas, monsieur ?

— Quand il vous plaira, fit d’Artagnan.

— L’occasion viendra, répondit Rochefort.

— Hum ! fit Richelieu en ouvrant la porte.

Les deux hommes se sourirent, se serrèrent la main et saluèrent Son Éminence.

— Nous commencions à nous impatienter, dit Athos.

— Me voilà, mes amis ! répondit d’Artagnan, non seulement libre, mais en faveur.

— Vous nous conterez cela ?

— Dès ce soir. Mais pour le moment, séparons-nous.

En effet, dès le soir même d’Artagnan se rendit au logis d’Athos, qu’il trouva en train de vider sa bouteille de vin d’Espagne, occupation qu’il accomplissait religieusement tous les soirs.

Il lui raconta ce qui s’était passé entre le cardinal et lui, et tirant le brevet de sa poche :

— Tenez, mon cher Athos, voilà, dit-il, qui vous revient tout naturellement.

Athos sourit de son doux et charmant sourire :

— Ami, dit-il, pour Athos c’est trop ; pour le comte de La Fère, c’est trop peu. Gardez ce brevet, il est à vous ; hélas ! mon Dieu, vous l’avez acheté assez cher.

D’Artagnan sortit de la chambre d’Athos, et entra dans celle de Porthos.

Il le trouva vêtu d’un magnifique habit, couvert de broderies splendides, et se mirant dans une glace.

— Ah ! ah ! dit Porthos, c’est vous, cher ami ! comment trouvez-vous que ce vêtement me va ?

— À merveille, dit d’Artagnan, mais je viens vous proposer un habit qui vous ira mieux encore.

— Lequel ? demanda Porthos.

— Celui de lieutenant aux mousquetaires.

D’Artagnan raconta à Porthos son entrevue avec le cardinal, et tirant le brevet de sa poche :

— Tenez, mon cher, dit-il, écrivez votre nom là-dessus, et soyez bon chef pour moi.

Porthos jeta les yeux sur le brevet, et le rendit à d’Artagnan, au grand étonnement du jeune homme.

— Oui, dit-il, cela me flatterait beaucoup, mais je n’aurais pas assez longtemps à jouir de cette faveur. Pendant notre expédition de Béthune, le mari de ma duchesse est mort ; de sorte que, mon cher, le coffre du défunt me tendant les bras, j’épouse la veuve. Tenez, j’essayais mon habit de noce. Gardez la lieutenance, mon cher, gardez.

Et il rendit le brevet à d’Artagnan.

Le jeune homme entra chez Aramis.

Il le trouva agenouillé devant un prie-Dieu, le front appuyé contre son livre d’heures ouvert.

Il lui raconta son entrevue avec le cardinal, et tirant pour la troisième fois son brevet de sa poche :

— Vous, notre ami, notre lumière, notre protecteur invisible, dit-il, acceptez ce brevet ; vous l’avez mérité plus que personne, par votre sagesse et vos conseils toujours suivis de si heureux résultats.

— Hélas ! cher ami, dit Aramis, nos dernières aventures m’ont dégoûté tout à fait de la vie d’homme d’épée. Cette fois, mon parti est pris irrévocablement : après le siège j’entre chez les lazaristes. Gardez ce brevet, d’Artagnan, le métier des armes vous convient, vous serez un brave et aventureux capitaine.

D’Artagnan, l’œil humide de reconnaissance et brillant de joie, revint à Athos, qu’il trouva toujours attablé et mirant son dernier verre de malaga à la lueur de la lampe.

— Eh bien, dit-il, eux aussi m’ont refusé.

— C’est que personne, cher ami, n’en était plus digne que vous.

Il prit une plume, écrivit sur le brevet le nom de d’Artagnan, et le lui remit.

— Je n’aurai donc plus d’amis, dit le jeune homme. Hélas ! plus rien que d’amers souvenirs.

Et il laissa tomber sa tête entre ses deux mains, tandis que deux larmes roulaient le long de ses joues.

— Vous êtes jeune, vous, répondit Athos, et vos souvenirs amers ont le temps de se changer en doux souvenirs.

ÉPILOGUE

La Rochelle, privée du secours de la flotte anglaise et de la division promise par Buckingham, se rendit après un siège d’un an ; le 28 octobre 1628, on signa sa capitulation.

Le roi fit son entrée à Paris le 23 décembre de la même année. On lui fit un triomphe comme s’il revenait de vaincre l’ennemi et non des Français. Il entra par le faubourg Saint-Jacques sous des arcs de verdure.

D’Artagnan prit possession de son grade. Porthos quitta le service et épousa, dans le courant de l’année suivante, madame Coquenard. Le coffre tant convoité contenait huit cent mille livres.

Mousqueton eut une livrée magnifique, et de plus la satisfaction, qu’il avait ambitionnée toute sa vie, de monter derrière un carrosse doré.

Aramis, après un voyage en Lorraine, disparut tout à coup et cessa d’écrire à ses amis. On apprit plus tard, par madame de Chevreuse, que cédant à sa vocation, il s’était retiré dans un couvent ; seulement on ne sut jamais lequel.

Bazin devint frère lai.

Athos resta mousquetaire sous les ordres de d’Artagnan jusqu’en 1633, époque à laquelle, à la suite d’un voyage qu’il fit en Touraine, il quitta aussi le service sous prétexte qu’il venait de recueillir un petit héritage en Roussillon.

Grimaud suivit Athos.

D’Artagnan se battit trois fois avec Rochefort et le blessa trois fois.

— Je vous tuerai probablement à la quatrième, lui dit-il en lui tendant la main pour le relever.

— Il vaut donc mieux, pour vous et pour moi, que nous en restions là, répondit le blessé. Corbleu, je suis plus votre ami que vous ne pensez, car dès la première rencontre j’aurais pu, en disant un mot au cardinal, vous faire couper le cou.

Ils s’embrassèrent cette fois, mais de bon cœur et sans arrière-pensée.

Planchet obtint de Rochefort le grade de sergent dans le régiment de Piémont.

M. Bonacieux vivait fort tranquille, ignorant parfaitement ce qu’était devenue sa femme et ne s’en inquiétant guère. Un jour, il eut l’imprudence de se rappeler au souvenir du cardinal. Le cardinal lui fit répondre qu’il allait pourvoir à ce qu’il ne manquât jamais de rien désormais.

En effet, le lendemain, M. Bonacieux, étant sorti à sept heures du soir de chez lui pour se rendre au Louvre, ne reparut plus rue des Fossoyeurs. L’avis de ceux qui parurent les mieux informés fut qu’il était nourri et logé dans quelque château royal aux frais de Sa généreuse Éminence.

fin des trois mousquetaires.

Los tres mosqueteros

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Prefacio

EN EL QUE SE HACE CONSTAR QUE, PESE A SUS NOMBRES EN «OS» Y EN «IS», LOS HEROES DE LA HISTORIA QUE VAMOS A TENER EL HONOR DE CONTAR A NUESTROS LECTORES NO TIENEN NADA DE MITOLOGICO

Hace aproximadamente un año, cuando hacía investigación es en la Biblioteca Real para mi historia de Luis XIV, di por casualidad con las Memorias del señor D'Artagnan, impresas -como la mayoría de las obras de esa época, en que los autores pretendían decir la verdad sin ir a darse una vuelta más o menos larga por la Bastilla- en Amsterdam, por el editor Pierre Rouge. El título me sedujo: las llevé a mi casa, con el permiso del señor bibliotecario por supuesto, y las devoré.

No es mi intención hacer aquí un análisis de esa curiosa obra, y me contentaré con remitir a ella a aquellos lectores míos que aprecien los cuadros de época. Encontrarán ahí retratos esbozados de mano maestra; y aunque esos bocetos estén, la mayoría de las veces, trazados sobre puertas de cuartel y sobre paredes de taberna, no dejarán de reconocer, con tanto parecido como en la historia del señor Anquetil, las imágenes de Luis XIII, de Ana de Austria, de Richelieu, de Mazarino y de la mayoría de los cortesanos de la época.

Mas, como se sabe, lo que sorprende el espíritu caprichoso del poeta no siempre es lo que impresiona a la masa de lectores. Ahora bien, al admirar, como los demás admirarán sin duda, los detalles que hemos señalado, lo que más nos preocupó fue una cosa a la que, por supuesto, nadie antes que nosotros había prestado la menor atención.

D'Artagnan cuenta que, en su primera visita al señor de Tréville, capitán de los mosqueteros del rey, encontró en su antecámara a tres jóvenes que servían en el ilustre cuerpo en el que él solicitaba el honor de ser recibido, y que tenían por nombre los de Athos, Porthos y Aramis.

Confesamos que estos tres nombres extranjeros nos sorprendieron, y al punto nos vino a la mente que no eran más que seudónimos con ayuda de los cuales D'Artagnan había disimulado nombres tal vez ilustres, si es que los portadores de esos nombres prestados no los habían escogido ellos mismos el día en que, por capricho, por descontento o por falta de fortuna, se habían endosado la simple casaca de mosquetero.

Desde ese momento no tuvimos reposo hasta encontrar, en las obras coetáneas, una huella cualquiera de esos nombres extraordinarios que tan vivamente habían despertado nuestra curiosidad.

Sólo el catálogo de los libros que leímos para llegar a esa meta llenaría un folletón entero cosa que quizá fuera muy instructiva, pero a todas luces poco divertida para nuestros lectores. Nos contentaremos, pues, con decirles que en el momento en que, desalentados de tantas investigaciones infructuosas, íbamos a abandonar nuestra búsqueda, encontramos por fin, guiados por los consejos de nuestro ilustre y sabio amigo Paulin Paris, un manuscrito in-folio, con la signatura núm. 4772 ó 4773, no lo recordamos exactamente, titulado así:

Memorias del señor conde de la Fère, referentes a algunos de los sucesos que pasaron en Francia hacia finales del reinado del rey Luis XIII y el comienzo del reinado del rey Luis XIV. Adivínese si fue grande nuestra alegría cuando, al hojear el manuscrito, última esperanza nuestra, encontramos en la vigésima página el nombre de Athos, en la vigésima séptima el nombre de Porthos y en la trigésima primera el nombre de Aramis.

El descubrimiento de un manuscrito completamente desconocido, en una época en que la ciencia histórica es impulsada a tan alto grado, nos pareció casi milagroso. Por eso nos apresuramos a solicitar permiso para hacerlo imprimir con objeto de presentarnos un día con el bagaje de otros a la Academia de inscripciones y bellas letras, si es que no conseguimos, cosa muy probable, entrar en la Academia francesa con nuestro propio bagaje. Debemos decir que ese permiso nos fue graciosamente otorgado; lo que consignamos aquí para desmentir públicamente a los malévolos que pretenden que vivimos bajo un gobierno más bien poco dispuesto con los literatos.

Ahora bien, lo que hoy ofrecemos a nuestros lectores es la primera parte de ese manuscrito, restituyéndole el título que le conviene, comprometiéndonos a publicar inmediatamente la segunda si, como estamos seguros, esta primera parte obtiene el éxito que merece.

Mientras tanto, como el padrino es un segundo padre, invitamos al lector a echar la culpa de su placer o de su aburrimiento a nosotros y no al conde de La Fère.

Sentado esto, pasemos a nuestra historia.

Los tres presentes del señor D'Artagnan padre

El primer lunes del mes de abril de 1625, el burgo de Meung, donde nació el autor del Roman de la Rose, parecía estar en una revolución tan completa como si los hugonotes hubieran venido a hacer de ella una segunda Rochelle. Muchos burgueses, al ver huir a las mujeres por la calle Mayor, al oír gritar a los niños en el umbral de las puertas, se apresuraban a endosarse la coraza y, respaldando su aplomo algo incierto con un mosquete o una partesana, se dirigían hacia la hostería del Franc Meunier, ante la cual bullía, creciendo de minuto en minuto, un grupo compacto, ruidoso y lleno de curiosidad.

En ese tiempo los pánicos eran frecuentes, y pocos días pasaban sin que una aldea a otra registrara en sus archivos algún acontecimiento de ese género. Estaban los señores que guerreaban entre sí; estaba el rey que hacía la guerra al cardenal; estaba el Español que hacía la guerra al rey. Luego, además de estas guerras sordas o públicas, secretas o patentes, estaban los ladrones, los mendigos, los hugonotes, los lobos y los lacayos que hacían la guerra a todo el mundo. Los burgueses se armaban siempre contra los ladrones, contra los lobos, contra los lacayos, con frecuencia contra los señores y los hugonotes, algunas veces contra el rey, pero nunca contra el cardenal ni contra el Español. De este hábito adquirido resulta, pues, que el susodicho primer lunes del mes de abril de 1625, los burgueses, al oír el barullo y no ver ni el banderín amarillo y rojo ni la librea del duque de Richelieu, se precipitaron hacia la hostería del Franc Meunier.

Llegados allí, todos pudieron ver y reconocer la causa de aquel jaleo.

Un joven..., pero hagamos su retrato de un solo trazo: figuraos a don Quijote a los dieciocho años, un don Quijote descortezado, sin cota ni quijotes, un don Quijote revestido de un jubón de lana cuyo color azul se había transformado en un matiz impreciso de heces y de azul celeste. Cara larga y atezada; el pómulo de las mejillas saliente, signo de astucia; los músculos maxilares enormente desarrollados, índice infalible por el que se reconocía al gascón, incluso sin boina, y nuestro joven llevaba una boina adornada con una especie de pluma; los ojos abiertos a inteligentes; la nariz ganchuda, pero finamente diseñada; demasiado grande para ser un adolescente, demasiado pequeña para ser un hombre hecho, un ojo poco acostumbrado le habría tomado por un hijo de aparcero de viaje, de no ser por su larga espada que, prendida de un tahalí de piel, golpeaba las pantorrillas de su propietario cuando estaba de pie, y el pelo erizado de su montura cuando estaba a caballo.

Porque nuestro joven tenía montura, y esa montura era tan notable que fue notada: era una jaca del Béam, de doce á catorce años, de pelaje amarillo, sin crines en la cola, mas no sin gabarros en las patas, y que, caminando con la cabeza más abajo de las rodillas, lo cual volvía inútil la aplicación de la martingala, hacía pese a todo sus ocho leguas diarias. Por desgracia, las cualidades de este caballo estaban tan bien ocultas bajo su pelaje extraño y su porte incongruente que, en una época en que todo el mundo entendía de caballos, la aparición de la susodicha jaca en Meung, donde había entrado hacía un cuarto de hora más o menos por la puerta de Beaugency, produjo una sensación cuyo disfavor repercutió sobre su caballero.

Y esa sensación había sido tanto más penosa para el joven D'Artagnan (así se llamaba el don Quijote de este nuevo Rocinante) cuanto que no se le ocultaba el lado ridículo que le prestaba, por buen caballero que fuese, semejante montura; también él había lanzado un fuerte suspiro al aceptar el regalo que le había hecho el señor D'Artagnan padre. No ignoraba que una bestia semejante valía por lo menos veinte libras; cierto que las palabras con que el presente vino acompañado no tenían precio.

—Hijo mío —había dicho el gentilhombre gascón en ese puro patois de Béam del que jamás había podido desembarazarse Enrique IV—, hijo mío, este caballo ha nacido en la casa de vuestro padre, tendrá pronto trece años, y ha permanecido aquí todo ese tiempo, lo que debe llevaros a amarlo. No lo vendáis jamás, dejadle morir tranquila y honorablemente de viejo; y si hacéis campaña con él, cuidadlo como cuidaríais a un viejo servidor. En la corte —continuó el señor D'Artagnan padre—, si es que tenéis el honor de ir a ella, honor al que por lo demás os da derecho vuestra antigua nobleza, mantened dignamente vuestro nombre de gentilhombre, que ha sido dignamente llevado por vuestros antepasados desde hace más de quinientos años. Por vos y por los vuestros (por los vuestros entiendo vuestros parientes y amigos) no soportéis nunca nada salvo del señor cardenal y del rey. Por el valor, entendedlo bien, sólo por el valor se labra hoy día un gentilhombre su camino. Quien tiembla un segundo deja escapar quizá el cebo que precisamente durante ese segundo la fortuna le tendía. Sois joven, debéis ser valiente por dos razones: la primera, porque sois gascón, y la segunda porque sois hijo mío. No temáis las ocasiones y buscad las aventuras. Os he hecho aprender a manejar la espada; tenéis un jarrete de hierro, un puño de acero; batíos por cualquier motivo; batíos, tanto más cuanto que están prohibidos los duelos, y por consiguiente hay dos veces valor al batirse. No tengo, hijo mío, más que quince escudos que daros, mi caballo y los consejos que acabáis de oír. Vuestra madre añadirá la receta de cierto bálsamo que supo de una gitana y que tiene una virtud milagrosa para curar cualquier herida que no alcance el corazón. Sacad provecho de todo, y vivid felizmente y por mucho tiempo. Sólo tengo una cosa que añadir, y es un ejemplo que os propongo, no el mío porque yo nunca he aparecido por la corte y sólo hice las guerras de religión como voluntario; me refiero al señor de Tréville, que fue antaño vecino mío, y que tuvo el honor siendo niño de jugar con nuestro rey Luis XIII, a quien Dios conserve. A veces sus juegos degeneraban en batalla, y en esas batallas no siempre era el rey el más fuerte. Los golpes que en ellas recibió le proporcionaron mucha estima y amistad hacia el señor de Tréville. Más tarde, el señor de Tréville se batió contra otros en su primer viaje a Paris, cinco veces; tras la muerte del difunto rey hasta la mayoría del joven, sin contar las guerras y los asedios, siete veces; y desde esa mayoría hasta hoy, quizá cien. Y pese a los edictos, las ordenanzas y los arrestos, vedle capitán de los mosqueteros, es decir, jefe de una legión de Césares a quien el rey hace mucho caso y a quien el señor cardenal teme, precisamente él que, como todos saben, no teme a nada. Además, el señor de Tréville gana diez mil escudos al año; es por tanto un gran señor. Comenzó como vos: idle a ver con esta carta, y amoldad vuestra conducta a la suya, para ser como él.

Con esto, el señor D'Artagnan padre ciñó a su hijo su propia espada, lo besó tiernamente en ambas mejillas y le dio su bendición.

Al salir de la habitación paterna, el joven encontró a su madre, que lo esperaba con la famosa receta cuyo empleo los consejos que acabamos de referir debían hacer bastante frecuente. Los adioses fueron por este lado más largos y tiernos de lo que habían sido por el otro, no porque el señor D'Artagnan no amara a su hijo, que era su único vástago, sino porque el señor D'Artagnan era hombre, y hubiera considerado indigno de un hombre dejarse llevar por la emoción, mientras que la señora D'Artagnan era mujer y, además, madre. Lloró en abundancia y, digámoslo en alabanza del señor D'Artagnan hijo, por más esfuerzo que él hizo por aguantar sereno como debía estarlo un futuro mosquetero, la naturaleza pudo más, y derramó muchas lágrimas de las que a duras penas consiguió ocultar la mitad.

El mismo día el joven se puso en camino, provisto de los tres presentes paternos y que estaban compuestos, como hemos dicho, por trece escudos, el caballo y la carta para el señor de Tréville; como es lógico, los consejos le habían sido dados por añadidura.

Con semejante vademécum, D'Artagnan se encontró, moral y físicamente, copia exacta del héroe de Cervantes, con quien tan felizmente le hemos comparado cuando nuestros deberes de historiador nos han obligado a trazar su retrato. Don Quijote tomaba los molinos de viento por gigantes y los carneros por ejércitos: D'Artagnan tomó cada sonrisa por un insulto y cada mirada por una provocación. De ello resultó que tuvo siempre el puño apretado desde Tarbes hasta Meung y que, un día con otro, llevó la mano a la empuñadura de su espada diez veces diarias; sin embargo, el puño no descendió sobre ninguna mandíbula, ni la espada salió de su vaina. Y no es que la vista de la malhadada jaca amarilla no hiciera florecer sonrisas en los rostros de los que pasaban; pero como encima de la jaca tintineaba una espada de tamaño respetable y encima de esa espada brillaba un ojo más feroz que noble, los que pasaban reprimían su hilaridad, o, si la hilaridad dominaba a la prudencia, trataban por lo menos de reírse por un solo lado, como las máscaras antiguas. D'Artagnan permaneció, pues, majestuoso a intacto en su susceptibilidad hasta esa desafortunada villa de Meung.

Pero aquí, cuando descendía de su caballo a la puerta del Franc Meunier sin que nadie, hostelero, mozo o palafrenero, hubiera venido a coger el estribo de montar, D'Artagnan divisó en una ventana entreabierta de la planta baja a un gentilhombre de buena estatura y altivo gesto aunque de rostro ligeramente ceñudo, hablando con dos personas que parecían escucharle con deferencia. D'Artagnan, según su costumbre, creyó muy naturalmente ser objeto de la conversación y escuchó. Esta vez D'Artagnan sólo se había equivocado a medias: no se trataba de él, sino de su caballo. El gentilhombre parecía enumerar a sus oyentes todas sus cualidades y como, según he dicho, los oyentes parecían tener gran deferencia hacia el narrador, se echaban a reír a cada instante. Como media sonrisa bastaba para despertar la irascibilidad del joven, fácilmente se comprenderá el efecto que en él produjo tan ruidosa hilaridad.

Sin embargo, D'Artagnan quiso primero hacerse idea de la fisonomía del impertinente que se burlaba de él. Clavó su mirada altiva sobre el extraño y reconoció un hombre de cuarenta a cuarenta y cinco años, de ojos negros y penetrantes, de tez pálida, nariz fuertemente pronunciada, mostacho negro y perfectamente recortado; iba vestido con un jubón y calzas violetas con agujetas de igual color, sin más adorno que las cuchilladas habituales por las que pasaba la camisa. Aquellas calzas y aquel jubón, aunque nuevos, parecían arrugados como vestidos de viaje largo tiempo encerrados en un baúl. D'Artagnan hizo todas estas observaciones con la rapidez del observador más minucioso, y, sin duda, por un sentimiento instintivo que le decía que aquel desconocido debía tener gran influencia sobre su vida futura.

Y como en el momento en que D'Artagnan fijaba su mirada en el gentilhombre de jubón violeta, el gentilhombre hacía respecto a la jaca bearnesa una de sus más sabias y más profundas demostraciones, sus dos oyentes estallaron en carcajadas, y él mismo dejó, contra su costumbre, vagar visiblemente, si es que se puede hablar así, una pálida sonrisa sobre su rostro. Aquella vez no había duda, D'Artagnan era realmente insultado. Por eso, lleno de tal convicción, hundió su boina hasta los ojos y, tratando de copiar algunos aires de corte que había sorprendido en Gascuña entre los señores de viaje, se adelantó, con una mano en la guarnición de su espada y la otra apoyada en la cadera. Desgraciadamente, a medida que avanzaba, la cólera le enceguecía más y más, y en vez del discurso digno y altivo que había preparado para formular su provocación, sólo halló en la punta de su lengua una personalidad grosera que acompañó con un gesto furioso.

—¡Eh, señor! —exclamó—. ¡Señor, que os ocultáis tras ese postigo! Sí, vos, decidme un poco de qué os reís, y nos reiremos juntos.

El gentilhombre volvió lentamente los ojos de la montura al caballero, como si hubiera necesitado cierto tiempo para comprender que era a él a quien se dirigían tan extraños reproches; luego, cuando no pudo albergar ya ninguna duda, su ceño se frunció ligeramente y tras una larga pausa, con un acento de ironía y de insolencia imposible de describir, respondió a D'Artagnan:

—Yo no os hablo, señor.

—¡Pero yo sí os hablo! —exclamó el joven exasperado por aquella mezcla de insolencia y de buenas maneras, de conveniencias y de desdenes.

El desconocido lo miró un instante todavía con su leve sonrisa y, apartándose de la ventana, salió lentamente de la hostería para venir a plantarse a dos pasos de D'Artagnan frente al caballo. Su actitud tranquila y su fisonomía burlona habían redoblado la hilaridad de aquellos con quienes hablaba y que se habían quedado en la ventana.

D'Artagnan, al verle llegar, sacó su espada un pie fuera de la vaina.

—Decididamente este caballo es, o mejor, fue en su juventud botón de oro —dijo el desconocido continuando las investigaciones comenzadas y dirigiéndose a sus oyentes de la ventana, sin aparentar en modo alguno notar la exasperación de D'Artagnan, que sin embargo estaba de pie entre él y ellos; es un color muy conocido en botánica, pero hasta el presente muy raro entre los caballos.

—¡Así se ríe del caballo quien no osaría reírse del amo! —exclamó el émulo de Tréville, furioso.

—Señor —prosiguió el desconocido—, no río muy a menudo, como vos mismo podéis ver por el aspecto de mi rostro; pero procuro conservar el privilegio de reír cuando me place.

—¡Y yo —exclamó D'Artagnan— no quiero que nadie ría cuando no me place!

—¿De verdad, señor? —continuó el desconocido más tranquilo que nunca—. Pues bien, es muy justo —y girando sobre sus talones se dispuso a entrar de nuevo en la hostería por la puerta principal, bajo la que D'Artagnan, al llegar, había observado un caballo completamente ensillado.

Pero D'Artagnan no tenía carácter para soltar así a un hombre que había tenido la insolencia de burlarse de él. Sacó su espada por entero de la funda y comenzó a perseguirle gritando:

—¡Volveos, volveos, señor burlón, para que no os hiera por la espalda!

—¡Herirme a mí! —dijo el otro girando sobre sus talones y mirando al joven con tanto asombro como desprecio—. ¡Vamos, vamos, querido, estáis loco!

Luego, en voz baja y como si estuviera hablando consigo mismo:

—Es enojoso —prosiguió—. ¡Qué hallazgo para su majestad, que busca valientes de cualquier sitio para reclutar mosqueteros!

Acababa de terminar cuando D'Artagnan le alargó una furiosa estocada que, de no haber dado con presteza un salto hacia atrás, es probable que hubiera bromeado por última vez. El desconocido vio entonces que la cosa pasaba de broma, sacó su espada, saludó a su adversario y se puso gravemente en guardia. Pero en el mismo momento, sus dos oyentes, acompañados del hostelero, cayeron sobre D'Artagnan a bastonazos, patadas y empellones. Lo cual fue una diversión tan rápida y tan completa en el ataque, que el adversario de D'Artagnan, mientras éste se volvía para hacer frente a aquella lluvia de golpes, envainaba con la misma precisión, y, de actor que había dejado de ser, se volvía de nuevo espectador del combate, papel que cumplió con su impasibilidad de siempre, mascullando sin embargo:

—¡Vaya peste de gascones! ¡Ponedlo en su caballo naranja, y que se vaya!

—¡No antes de haberte matado, cobarde! —gritaba D'Artagnan mientras hacía frente lo mejor que podía y sin retroceder un paso a sus tres enemigos, que lo molían a golpes.

—¡Una gasconada más! —murmuró el gentilhombre—. ¡A fe mía que estos gascones son incorregibles! ¡Continuad la danza, pues que lo quiere! Cuando esté cansado ya dirá que tiene bastante.

Pero el desconocido no sabía con qué clase de testarudo tenía que habérselas; D'Artagnan no era hombre que pidiera merced nunca. El combate continuó, pues, algunos segundos todavía; por fin, D'Artagnan, agotado dejó escapar su espada que un golpe rompió en dos trozos. Otro golpe que le hirió ligeramente en la frente, lo derribó casi al mismo tiempo todo ensangrentado y casi desvanecido.

En este momento fue cuando de todas partes acudieron al lugar de la escena. El hostelero, temiendo el escándalo, llevó con la ayuda de sus mozos al herido a la cocina, donde le fueron otorgados algunos cuidados.

En cuanto al gentilhombre, había vuelto a ocupar su sitio en la ventana y miraba con cierta impaciencia a todo aquel gentío cuya permanencia allí parecía causarle viva contrariedad.

—Y bien, ¿qué tal va ese rabioso? —dijo volviéndose al ruido de la puerta que se abrió y dirigiéndose al hostelero que venía a informarse sobre su salud.

—¿Vuestra excelencia está sano y salvo? —preguntó el hostelero.

—Sí, completamente sano y salvo, mi querido hostelero, y soy yo quien os prequnta qué ha pasado con nuestro joven.

—Ya esta mejor —dijo el hostelero—: se ha desvanecido totalmente.

—¿De verdad? —dijo el gentilhombre.

—Pero antes de desvanecerse ha reunido todas sus fuerzas para llamaros y desafiaros al llamaros.

—¡Ese buen mozo es el diablo en persona! —exclamó el desconocido.

—¡Oh, no, excelencia, no es el diablo! —prosiguió el hostelero con una mueca de desprecio—. Durante su desvanecimiento lo hemos registrado, y en su paquete no hay más que una camisa y en su bolsa nada más que doce escudos, lo cual no le ha impedido decir al desmayarse que, si tal cosa le hubiera ocurrido en Paris, os arrepentiríais en el acto, mientras que aquí sólo os arrepentiréis más tarde.

—Entonces —dijo fríamente el desconocido—, es algún príncipe de sangre disfrazado.

—Os digo esto, mi señor —prosiguió el hostelero—, para que toméis precauciones.

—¿Y ha nombrado a alguien en medio de su cólera?

—Lo ha hecho, golpeaba sobre su bolso y decía: «Ya veremos lo que el señor de Tréville piensa de este insulto a su protegido.»

—¿El señor de Tréville? —dijo el desconocido prestando atención—. ¿Golpeaba sobre su bolso pronunciando el nombre del señor de Tréville?... Veamos, querido hostelero: mientras vuestro joven estaba desvanecido estoy seguro de que no habréis dejado de mirar también ese bolso. ¿Qué había?

—Una carta dirigida al señor de Tréville, capitán de los mosqueteros.

—¿De verdad?

—Como tengo el honor de decíroslo, excelencia.

El hostelero, que no estaba dotado de gran perspiscacia, no observó la expresión que sus palabras habían dado a la fisonomía del desconocido. Este se apartó del reborde de la ventana sobre el que había permanecido apoyado con la punta del codo, y frunció el ceño como hombre inquieto.

—¡Diablos! —murmuró entre dientes—. ¿Me habrá enviado Tréville a ese gascón? ¡Es muy joven! Pero una estocada es siempre una estocada, cualquiera que sea la edad de quien la da, y no hay por qué desconfiar menos de un niño que de cualquier otro; basta a veces un débil obstáculo para contrariar un gran designio.

Y el desconocido se sumió en una reflexión que duró algunos minutos.

—Veamos, huésped —dijo—, ¿es que no me vais a librar de ese frenético? En conciencia, no puedo matarlo, y sin embargo —añadió con una expresión fríamente amenazadora—, sin embargo, me molesta. ¿Dónde está?

—En la habitación de mi mujer, donde se le cura, en el primer piso.

—¿Sus harapos y su bolsa están con él? ¿No se ha quitado el jubón?

—Al contrario, todo está abajo, en la cocina. Pero dado que ese joven loco os molesta...

—Por supuesto. Provoca en vuestra hostería un escándalo que las gentes honradas no podrían aguantar. Subid a vuestro cuarto, haced mi cuenta y avisad a mi lacayo.

—¿Cómo? ¿El señor nos deja ya?

—Lo sabéis de sobra, puesto que os he dado orden de ensillar mi caballo. ¿No se me ha obedecido?

—Claro que sí, y como vuestra excelencia ha podido ver, su caballo está en la entrada principal, completamente aparejado para partir.

—Está bien, haced entonces lo que os he pedido.

—¡Vaya! —se dijo el hostelero—. ¿Tendrá miedo del muchacho?

Pero una mirada imperativa del desconocido vino a detenerle en seco. Saludó humildemente y salió.

—No es preciso advertir a milady sobre este bribón —continuó el extraño—. No debe tardar en pasar; viene incluso con retraso. Decididamente es mejor que monte a caballo y que vaya a su encuentro... ¡Sólo que si pudiera saber lo que contiene esa carta dirigida a Tréville!...

Y el desconocido, siempre mascullando, se dirigió hacia la cocina.

Durante este tiempo, el huésped, que no dudaba de que era la presencia del muchacho lo que echaba al desconocido de su hostería, había subido a la habitación de su mujer y había encontrado a D'Artagnan dueño por fin de sus sentidos. Entonces, tratando de hacerle comprender que la policía podría jugarle una mala pasada por haber ido a buscar querella a un gran señor - porque, en opinión del huésped, el desconocido no podía ser más que un gran señor—, le convenció para que, pese a su debilidad, se levantase y prosiguiese su camino. D'Artagnan, medio aturdido, sin jubón y con la cabeza toda envuelta en vendas, se levantó y, empujado por el hostelero, comenzó a bajar; pero al llegar a la cocina, lo primero que vio fue a su provocador que hablaba tranquilamente al estribo de una pesada carroza tirada por dos gruesos caballos normandos.

Su interlocutora, cuya cabeza aparecía enmarcada en la portezuela, era una mujer de veinte a veintidós años. Ya hemos dicho con qué rapidez percibía D'Artagnan una fisonomía; al primer vistazo comprobó que la mujer era joven y bella. Pero esta belleza le sorprendió tanto más cuanto que era completamente extraña a las comarcas meridionales que D'Artagnan había habitado hasta entonces. Era una persona pálida y rubia, de largos cabellos que caían en bucles sobre sus hombros, de grandes ojos azules lánguidos, de labios rosados y manos de alabastro. Hablaba muy vivamente con el desconocido.

—Entonces, su eminencia me ordena... —decía la dama.

—Volver inmediatamente a Inglaterra, y avisarle directamente si el duque abandona Londres.

—Y ¿en cuanto a mis restantes instrucciones? —preguntó la bella viajera.

—Están guardadas en esa caja, que sólo abriréis al otro lado del canal de la Mancha.

—Muy bien, ¿qué haréis vos?

—Yo regreso a París.

—¿Sin castigar a ese insolente muchachito? —preguntó la dama.

El desconocido iba a responder; pero en el momento en que abría la boca, D'Artagnan, que lo había oído todo, se abalanzó hacia el umbral de la puerta.

—Es ese insolente muchachito el que castiga a los otros —exclamó—, y espero que esta vez aquel a quien debe castigar no escapará como la primera.

—¿No escapará? —dijo el desconocido frunciendo el ceño.

—No, delante de una mujer no osaríais huir, eso presumo.

—Pensad —dijo milady al ver al gentilhombre llevar la mano a su espada—, pensad que el menor retraso puede perderlo todo.

—Tenéis razón —exclamó el gentilhombre—; partid, pues, por vuestro lado; yo parto por el mío.

Y saludando a la dama con un gesto de cabeza, se abalanzó sobre su caballo, mientras el cochero de la carroza azotaba vigorosamente a su tiro. Los dos interlocutores partieron pues al galope, alejándose cada cual por un lado opuesto de la calle.

—¡Eh, vuestro gasto! —vociferó el hostelero, cuyo afecto a su viajero se trocaba en profundo desdén al ver que se alejaba sin saldar sus cuentas.

—Paga, bribón —gritó el viajero, siempre galopando, a su lacayo, el cual arrojó a los pies del hostelero dos o tres monedas de plata, y se puso a galopar tras su señor.

—¡Ah, cobarde! ¡Ah, miserable! ¡Ah, falso gentilhombre! —exclamó D'Artagnan lanzándose a su vez tras el lacayo.

Pero el herido estaba demasiado débil aún para soportar semejante sacudida. Apenas hubo dado diez pasos, cuando sus oídos le zumbaron, le dominó un vahído, una nube de sangre pasó por sus ojos, y cayó en medio de la calle gritando todavía:

—¡Cobarde, cobarde, cobarde!

—En efecto, es muy cobarde —murmuró el hostelero aproximándose a D'Artagnan, y tratando mediante esta adulación de reconciliarse con el obre muchacho, como la garza de la fábula con su limaco nocturno.

—Sí, muy cobarde —murmuró D'Artagnan—; pero ella, ¡qué hermosa!

—¿Quién ella? —preguntó el hostelero.

—Milady —balbuceó D'Artagnan.

Y se desvaneció por segunda vez.

—Es igual —dijo el hostelero—, pierdo dos, pero me queda éste, al que estoy seguro de conservar por lo menos algunos días. Siempre son once escudos de ganancia.

Ya se sabe que once escudos constituían precisamente la suma que quedaba en la bolsa de D'Artagnan.

El hostelero había contado con once días de enfermedad, a escudo por día; pero había contado con ello sin su viajero. Al día siguiente, a las cinco de la mañana, D'Artagnan se levantó, bajó él mismo a la cocina, pidió, además de otros ingredientes cuya lista no ha llegado hasta nosotros, vino, aceite, romero, y, con la receta de su madre en la mano, se preparó un bálsamo con el que ungió sus numerosas heridas, renovando él mismo sus vendas y no queriendo admitir la ayuda de ningún médico. Gracias sin duda a la eficacia del bálsamo de Bohemia, y quizá también gracias a la ausencia de todo doctor, D'Artagnan se encontró de pie aquella misma noche, y casi curado al día siguiente.

Pero en el momento de pagar aquel romero, aquel aceite y aquel vino, único gasto del amo que había guardado dieta absoluta mientras que, por el contrario, el caballo amarillo, al decir del hostelero al menos, había comido tres veces más de lo que razonablemente se hubiera podido suponer por su talla, D'Artagnan no encontró en su bolso más que su pequeña bolsa de terciopelo raído así como los once escudos que contenía; en cuanto a la carta dirigida al señor de Tréville, había desaparecido.

El joven comenzó por buscar aquella carta con gran impaciencia, volviendo y revolviendo veinte veces sus bolsos y bolsillos, buscando y rebuscando en su talego, abriendo y cerrando su bolso; pero cuando se hubo convencido de que la carta era inencontrable, entró en un tercer acceso de rabia que a punto estuvo de provocarle un nuevo consumo de vino y de aceite aromatizados; porque, al ver a aquel joven de mala cabeza acalorarse y amenazar con romper todo en el establecimiento si no encontraban su carta, el hostelero había cogido ya un chuzo, su mujer un mango de escoba, y sus criados los mismos bastones que habían servido la víspera.

—¡Mi carta de recomendación! —gritaba D'Artagnan—. ¡Mi carta de recomendación, por todos los diablos, u os ensarto a todos como a hortelanos!

Desgraciadamente, una circunstancia se oponía a que el joven cumpliera su amenaza; y es que, como ya lo hemos dicho, su espada se había roto en dos trozos durante la primera refriega, cosa que él había olvidado por completo. Y de ello resultó que cuando D'Artagnan quiso desenvainar, se encontró armado pura y simplemente con un trozo de espada de ocho o diez pulgadas más o menos, que el hostelero había encasquetado cuidadosamente en la vaina. En cuanto al resto de la hoja, el chef la había ocultado hábilmente para hacerse una aguja mechera.

Sin embargo, esta decepción no hubiera detenido probablemente a nuestro fogoso joven, si el huésped no hubiera pensado que la reclamación que le dirigía su viajero era perfectamente justa.

—Pero, en realidad —dijo bajando su chuzo—, ¿dónde está esa carta?

—Sí, ¿dónde está esa carta? —gritó D'Artagnan—. Os prevengo ante todo que esa carta es para el señor de Tréville, y que es preciso que aparezca; porque si no aparece él sabrá de sobra hacerla aparecer.

Esta amenaza acabó por intimidar al hostelero. Después del rey y del señor cardenal, el señor de Tréville era el hombre cuyo nombre era quizá el repetido con más frecuencia por los militares a incluso por los burgueses. También estaba el padre Joseph cierto; pero su nombre a él nunca le era pronunciado sino en voz baja, ¡tan grande era el terror que inspiraba la eminencia gris, como se llamaba al familiar del cardenal!

Por eso, arrojando su chuzo lejos de sí, y ordenando a su mujer hacer otro tanto con su mango de escoba y a sus servidores con sus bastones, fue el primero que dio ejemplo en buscar la carta perdida.

—¿Es que esa carta encerraba algo precioso? —preguntó el hostelero al cabo de un instante de investigaciones inútiles.

—¡Diablos! ¡Ya lo creo! —exclamó el gascón, que contaba con aquella carta para hacer su carrera en la corte—. Contenía mi fortuna.

—¿Bonos contra el Tesoro? —preguntó el hostelero inquieto.

—Bonos contra la tesorería particular de Su Majestad —respondió D'Artagnan que, contando con entrar en el servicio del rey gracias a esta recomendación, creía poder dar aquella respuesta algo aventurada sin mentir.

—¡Diablos! —dijo el hostelero completamente desesperado.

—Pero no importa —continuó D'Artagnan con el aplomo nacional—, no importa; el dinero no es nada, pero esa carta sí lo era todo. Hubiera preferido perder antes mil pistolas que perderla.

Nada arriesgaba diciendo veinte mil, pero cierto pudor juvenil lo contuvo.

Un rayo de luz alcanzó de pronto la mente del hostelero, que se daba a todos los diablos al no encontrar nada.

—Esa carta no se ha perdido —exclamó.

—¡Ah! —dijo D'Artagnan.

—No; os la han robado.

—¿Robado? ¿Y quién?

—El gentilhombre de ayer. Bajó a la cocina, donde estaba vuestro jubón. Se quedó allí solo. Apostaría que ha sido él quien la ha robado.

—¿Lo creéis? —respondió D'Artagnan poco convencido, porque sabía mejor que nadie la importancia completamente personal de aquella carta, y no veía en ella nada que pudiera provocar la codicia. El hecho es que ninguno de los criados, ninguno de los viajeros presentes hubiera ganado nada poseyendo aquel papel.

—Decís, pues —respondió D'Artagnan—, que sospecháis de ese impertinente gentilhombre.

—Os digo que estoy seguro —continuó el hostelero—; cuando yo le anuncié que Vuestra Señoría era el protegido del señor de Tréville, y que teníais incluso una carta para ese ilustre gentilhombre, pareció muy inquieto, me preguntó dónde estaba aquella carta, y bajó inmediatamente a la cocina donde sabía que estaba vuestro jubón.

—Entonces es mi ladrón —respondió D'Artagnan—; me quejaré al señor de Tréville, y el señor de Tréville se quejará al rey.— Luego sacó majestuosamente dos escudos de su bolsillo, se los dio al hostelero, que lo acompañó, sombrero en mano, hasta la puerta, y subió a su caballo amarillo, que le condujo sin otro accidente hasta la puerta Saint Antoine, en París, donde su propietario lo vendió por tres escudos, lo cual era pagarlo muy bien, dado que D'Artagnan lo había agotado hasta el exceso durante la última etapa. Además, el chalán a quien D'Artagnan lo cedió por las nueve libras susodichas no ocultó al joven que sólo le daba aquella exorbitante suma debido a la originalidad de su color.

D'Artagnan entró, pues, en París a pie, llevando su pequeño paquete bajo el brazo, y caminó hasta encontrar una habitación de alquiler que convino a la exigüidad de sus recursos. Aquella habitación era una especie de buhardilla, sita en la calle des Fossoyeurs, cerca del Luxemburgo.

Tan pronto como hubo gastado su último denario, D'Artagnan tomó posesión de su alojamiento, pasó el resto de la jornada cosiendo su jubón y sus calzas de pasamanería, que su madre había descosido de un jubón casi nuevo del señor D'Artagnan padre, y que le había dado a escondidas; luego fue al paseo de la Ferraille—, para mandar poner una hoja a su espada; luego volvió al Louvre para informarse del primer mosquetero que encontró de la ubicación del palacio del señor de Tréville que estaba situado en la calle del Vieux Colombier, es decir, precisamente en las cercanías del cuarto apalabrado por D'Artagnan, circunstancia que le pareció de feliz augurio para el éxito de su viaje.

Tras ello, contento por la forma en que se había conducido en Meung sin remordimientos por el pasado, confiando en el presente y lleno de esperanza en el porvenir, se acostó y se durmió con el sueño del valiente.

Aquel sueño, todavía totalmente provinciano, le llevó hasta las nueve de la mañana, hora en que se levantó para dirigirse al palacio de aquel famoso señor de Tréville, el tercer personaje del reino según la estimación paterna.

La antecámara del señor de Tréville

El señor de Troisville, como todavía se llamaba su familia en Gascuña, o el señor de Tréville, como había terminado por llamarse él mismo en Paris, había empezado en realidad como D'Artagnan, es decir, sin un cuarto, pero con ese caudal de audacia, de ingenio y de entendimiemto que hace que el más pobre hidalgucho gascón reciba con frecuencia de sus esperanzas de la herencia paterna más de lo que el más rico gentilhombre de Périgord o de Berry recibe en realidad. Su bravura insolente, su suerte más insolente todavía en un tiempo en que los golpes llovían como chuzos, le habían izado a la cima de esa difícil escala que se llama el favor de la corte, y cuyos escalones había escalado de cuatro en cuatro.

Era el amigo del rey, que honraba mucho, como todos saben, la memoria de su padre Enrique IV. El padre del señor de Tréville le había servido tan fielmente en sus guerras contra la Liga que, a falta de dinero contante y sonante - cosa que toda la vida le faltó al bearnés, el cual pagó siempre sus deudas con la única cosa que nunca necesitó pedir prestada, es decir, con el ingenio-, que a falta de dinero contante y sonante, decimos, le había autorizado, tras la rendición de Paris, a tomar por armas un león de oro pasante sobre gules con esta divisa: Fidelis et fortis. Era mucho para el honor, pero mediano para el bienestar. Por eso, cuando el ilustre compañero del gran Enrique murió, dejó por única herencia al señor su hijo, su espada y su divisa. Gracias a este doble don y al nombre sin tacha que lo acompañaba, el señor de Tréville fue admitido en la casa del joven príncipe, donde se sirvió también de su espada y fue tan fiel a su divisa que Luis XIII, uno de los buenos aceros del reino, solía decir que si tuviera un amigo en ocasión de batirse, le daría por consejo tomar por segundo primero a él, y a Tréville después, y quizá incluso antes que a él.

Por eso Luis XIII tenía un afecto real por Tréville, un afecto de rey, afecto egoísta, es cierto, pero que no por ello dejaba de ser afecto. Y es que, en aquellos tiempos desgraciados, se buscaba sobre todo rodearse de hombres del temple de Tréville. Muchos podían tomar por divisa el epiteto de fuerte, que formaba la segunda parte de su exergo; pero pocos gentileshombres podían reclamar el epíteto de fiel, que formaba la primera. Tréville era uno de estos últimos; era una de esas raras organizaciones, de inteligencia obediente como la del dogo, de valor ciego, de vista rápida, de mano pronta, a quien el ojo le había sido dado sólo para ver si el rey estaba descontento de alguien, y la mano para golpear a ese alguien enfadoso: un Besme, un Maurevers, un Poltrot de Méré, un Vitry. En fin, en el caso de Tréville, había faltado hasta aquel entonces la ocasión; pero la acechaba y se prometía cogerla por los pelos si alguna vez pasaba al alcance de su mano. Por eso hizo Luis XIII a Tréville capitán de sus mosqueteros, que eran a Luis XIII, por la devoción o mejor por el fanatismo, lo que sus ordinarios eran a Enrique III y lo que su guarda escocesa a Luis XI.

Por su parte, y desde ese punto de vista, el cardenal no le iba a la zaga al rey. Cuando hubo visto la formidable elite de que Luis XIII se rodeaba, ese segundo, o mejor, ese primer rey de Francia también había querido tener su guardia. Tuvo por tanto sus mosqueteros como Luis XIII tenía los suyos, y se veía a estas dos potencias rivales seleccionar para su servicio, en todas las provincias de Francia a incluso en todos los Estados extranjeros, a los hombres célebres por sus estocadas. Por eso Richelieu y Luis XIII disputaban a menudo, mientras jugaban su partida de ajedrez, por la noche, sobre el mérito de sus servidores. Cada cual ponderaba los modales y el valor de los suyos; y al tiempo que se pronunciaban en voz alta contra los duelos y contra las riñas, los excitaban por lo bajo a llegar a las manos, y concebían un auténtico pesar o una alegría inmoderada por la derrota o la victoria de los suyos. Así al menos lo dicen las Memorias de un hombre que estuvo en algunas de esas derrotas y en muchas de esas victorias.

Tréville había captado el lado débil de su amo, y gracias a esta habilidad debía el largo y constante favor de un rey que no ha dejado reputación de haber sido muy fiel a sus amistades. Hacía desfilar a sus mosqueteros entre el cardenal Armand Duplessis con un aire burlón que erizaba de cólera el mostacho gris de Su Eminencia. Tréville entendía admirablemente bien la guerra de aquella época, en la que, cuando no se vivía a expensas del enemigo, se vivía a expensas de sus compatriotas: sus soldados formaban una legión de jaraneros, indisciplinada para cualquier otro que no fuera él.

Desaliñados, borrachos, despellejados, los mosqueteros del rey, o mejor los del señor de Tréville, se desparramaban por las tabernas, por los paseos, por los juegos públicos, gritando fuerte y retorciéndose los mostachos, haciendo sonar sus espuelas, enfrentándose con placer a los guardias del señor cardenal cuando los encontraban; luego, desenvainando en plena calle entre mil bromas; muertos a veces, pero seguros en tal caso de ser llorados y vengados; matando con frecuencia, y seguros entonces de no enmohecer en prisión, porque allí estaba el señor de Tréville para reclamarlos. Por eso el señor de Tréville era alabado en todos los tonos, cantado en todas las gamas por aquellos hombres que le adoraban y que, bandidos todos como eran, temblaban ante él como escolares ante su maestro, obedeciendo a la menor palabra y prestos a hacerse matar para lavar el menor reproche.

El señor de Tréville había usado esta palanca poderosa en favor del rey en primer lugar y de los amigos del rey, y luego en favor de él mismo y sus amigos. Por lo demás, en ninguna de las Memorias de esa época que tantas Memorias ha dejado se ve que ese digno gentilhombre haya sido acusado, ni siquiera por sus enemigos - y los tenía tanto entre las gentes de pluma como entre las gentes de espada - en ninguna parte se ve, decimos, que ese digno gentilhombre haya sido acusado de hacerse pagar la cooperación de sus secuaces. Con un raro ingenio para la intriga, que lo hacía émulo de los mayores intrigantes había permanecido honesto. Es más, a pesar de las grandes estocadas que dejan a uno derrengado y de los ejercicios penosos que fatigan, se había convertido en uno de los más galantes trotacalles, en uno de los más finos lechuguinos, en uno de los más alambicados habladores ampulosos de su época; se hablaba de las aventuras galantes de Tréville como veinte años antes se había hablado de las de Bassompierre, lo que no era poco decir. El capitán de los mosqueteros era, pues, admirado, temido y amado, lo cual constituye el apogeo de las fortunas humanas.

Luis XIV absorbió a todos los pequeños astros de su corte en su vasta irradiación; pero su padre, sol pluribus impar, dejó su esplendor personal a cada uno de sus favoritos, su valor individual a cada uno de sus cortesanos. Además de los resplandores del rey y del cardenal, se contaban entonces en París más de doscientos pequeños resplandores algo solicitados. Entre los doscientos pequeños resplandores, el de Tréville era uno de los más buscados.

El patio de su palacio, situado en la calle del Vieux Colombier, se parecía a un campamento, y esto desde las seis de la mañana en verano y desde las ocho en invierno. De cincuenta a sesenta mosqueteros, que parecían turnarse para presentar un número siempre imponente, se paseaban sin cesar armados en plan de guerra y dispuestos a todo. A lo largo de aquellas grandes escalinatas, sobre cuyo emplazamiento nuestra civilización construiría una casa entera, subían y bajaban solicitantes de París que corrían tras un favor cualquiera, gentilhombres de provincia ávidos para ser enrolados, y lacayos engalanados con todos los colores que venían a traer al señor de Tréville los mensajes de sus amos. En la antecámara, sobre altas banquetas circulares, descansaban los elegidos, es decir, aquellos que estaban convocados. Allí había murmullo desde la mañana a la noche, mientras el señor de Tréville, en su gabinete contiguo a esta antecámara, recibía las visitas, escuchaba las quejas, daba sus órdenes y, como el rey en su balcón del Louvre, no tenía más que asomarse a la ventana para pasar revista de hombres y de armas.

El día en que D'Artagnan se presentó, la asamblea era imponente, sobre todo para un provinciano que llegaba de su provincia: es cierto que el provinciano era gascón, y que sobre todo en esa época los compatriotas de D'Artagnan tenían fama de no dejarse intimidar fácilmente. En efecto, una vez que se había franqueado la puerta maciza, enclavijada por largos clavos de cabeza cuadrangular, se caía en medio de una tropa de gentes de espada que se cruzaban en el patio interpelándose, peleándose y jugando entre sí. Para abrirse paso en medio de todas aquellas olas impetuosas habría sido preciso ser oficial, gran señor o bella mujer.

Fue, pues, por entre ese tropel y ese desorden por donde nuestro joven avanzó con el corazón palpitante, ajustando su largo estoque a lo largo de sus magras piernas, y poniendo una mano en el borde de sus sombrero de fieltro con esa media sonrisa del provinciano apurado que quiere mostrar aplomo. Cuando había pasado un grupo, entonces respiraba con más libertad; pero comprendía que se volvían para mirarlo y, por primera vez en su vida, D'Artagnan, que hasta aquel día había tenido una buena opinión de sí mismo, se sintió ridículo.

Llegado a la escalinata, fue peor aún; en los primeros escalones había cuatro mosqueteros que se divertían en el ejercicio siguiente, mientras diez o doce camaradas suyos esperaban en el rellano a que les tocara la vez para ocupar plaza en la partida.

Uno de ellos, situado en el escalón superior, con la espada desnuda en la mano, impedía o al menos se esforzaba por impedir que los otros tres subieran.

Estos tres esgrimían contra él sus espadas agilísimas. D'Artagnan tomó al principio aquellos aceros por floretes de esgrima, los creyó botonados; pero pronto advirtió por ciertos rasguños que todas las armas estaban, por el contrario, afiladas y aguzadas a placer, y con cada uno de aquellos rasguños no sólo los espectadores sino incluso los actores reían como locos.

El que ocupaba el escalón en aquel momento mantenía a raya maravillosamente a sus adversarios. Se hacía círculo en torno a ellos; la condición consistía en que a cada golpe el tocado abandonara la partida, perdiendo su turno de audiencia en beneficio del tocador. En cinco minutos, tres fueron rozados, uno en el puño, otro en el mentón, otro en la oreja, por el defensor del escalón, que no fue tocado - destreza que le valió, según las condiciones pactadas, tres turnos de favor.

Aunque no fuera difícil, dado que quería ser asombrado, este pasatiempo asombró a nuestro joven viajero; en su provincia, esa tierra donde sin embargo se calientan tan rápidamente los cascos, había visto algunos preliminares de duelos, y la gasconada de aquellos cuatro jugadores le pareció la más rara de todas las que hasta entonces había oído, incluso en Gascuña. Se creyó transportado a ese país de gigantes al que Gulliver fue más tarde y donde pasó tanto miedo, y sin embargo no había llegado al final: quedaban el rellano y la antecámara.

En el rellano no se batían, contaban aventuras con mujeres, y en la antecámara historias de la corte. En el rellano, D'Artagnan se ruborizó; en la antecámara, tembló. Su imaginación despierta y vagabunda, que en Gascuña le hacía temible a las criadas a incluso alguna vez a las dueñas, no había soñado nunca, ni siquiera en esos momentos de delirio, la mitad de aquellas maravillas amorosas ni la cuarta parte de aquellas proezas galantes, realzadas por los nombres más conocidos y los detalles menos velados. Pero si su amor por las buenas costumbres fue sorprendido en el rellano, su respeto por el cardenal fue escandalizado en la antecámara. Allí, para gran sorpresa suya, D'Artagnan oía criticar en voz alta la política que hacía temblar a Europa, y la vida privada del cardenal, que a tantos altos y poderosos personajes había llevado al castigo por haber tratado de profundizar en ella: aquel gran hombre, reverenciado por el señor D'Artagnan padre, servía de hazmerreír a los mosqueteros del señor de Tréville, que se metían con sus piernas zambas y con su espalda encorvada; unos cantaban villancicos sobre la señora D'Aiguillon, su amante, y sobre la señora de Combalet, su nieta, mientras otros preparaban partidas contra los pajes y los guardias del cardenal duque, cosas todas que parecían a D'Artagnan monstruosas imposibilidades.

Sin embargo, cuando el nombre del rey intervenía a veces de improviso en medio de todas aquellas rechiflas cardenalescas, una especie de mordaza calafateaba por un momento todas aquellas bocas burlonas; miraban con vacilación en torno, y parecían temer la indiscreción del tabique del gabinete del señor de Tréville; pero pronto una alusión volvía a llevar la conversación a Su Eminencia, y entonces las risotadas iban en aumento, y no se escatimaba luz sobre todas sus acciones.

-Desde luego, éstas son gentes que van a ser encarceladas y colgadas - pensó D'Artagnan con terror-, y yo, sin ninguna duda, con ellos porque desde el momento en que los he escuchado y oído seré tenido por cómplice suyo. ¿Qué diría mi señor padre, que tanto me ha recomendado respetar al cardenal, si me supiera en compañía de semejantes paganos?

Por eso, como puede suponerse sin que yo lo diga, D'Artagnan no osaba entregarse a la conversación; sólo miraba con todos sus ojos, escuchando con todos sus oídos, tendiendo ávidamente sus cinco sentidos para no perderse nada, y, pese a su confianza en las recomendaciones paternas, se sentía llevado por sus gustos y arrastrado por sus instintos a celebrar más que a censurar las cosas inauditas que allí pasaban.

Sin embargo, como era absolutamente extraño el montón de cortesanos del señor de Tréville, y era la primera vez que se le veía en aquel lugar, vinieron a preguntarle lo que deseaba. A esta pregunta, D'Artagnan se presentó con mucha humildad, se apoyó en el título de compatriota, y rogó al ayuda de cámara que había venido a hacerle aquella pregunta pedir por él al señor de Tréville un momento de audiencia, petición que éste prometió en tono protector transmitir en tiempo y lugar.

D'Artagnan, algo recuperado de su primera sorpresa, tuvo entonces la oportunidad de estudiar un poco las costumbres y las fisonomías.

En el centro del grupo más animado había un mosquetero de gran estatura, de rostro altanero y una extravagancia de vestimenta que atraía sobre él la atención general. No llevaba, por de pronto, la casaca de uniforme, que, por lo demás, no era totalmente obligatoria en aquella época de libertad menor pero de mayor independencia, sino una casaca azul celeste, un tanto ajada y raída, y sobre ese vestido un tahalí magnífico, con bordados de oro, que relucía como las escamas de que el agua se cubre a plena luz del día. Una capa larga de terciopelo carmesí caía con gracia sobre sus hombros, descubriendo solamente por delante el espléndido tahalí, del que colgaba un gigantesco estoque.

Este mosquetero acababa de dejar la guardia en aquel mismo instante, se quejaba de estar constipado y tosía de vez en cuando con afectación. Por eso se había puesto la capa, según decía a los que le rodeaban, y mientras hablaba desde lo alto de su estatura retorciéndose desdeñosamente su mostacho, admiraban con entusiasmo el tahalí bordado, y D'Artagnan más que ningún otro.

-¿Qué queréis? - decía el mosquetero-. La moda lo pide; es una locura, lo sé de sobra, pero es la moda. Por otro lado, en algo tiene que emplear uno el dinero de su legítima.

-¡Ah, Porthos! - exclamó uno de los asistentes-. No trates de hacernos creer que ese tahalí te viene de la generosidad paterna; te lo habrá dado la dama velada con la que te encontré el otro domingo en la puerta Saint Honoré.

-No, por mi honor y fe de gentilhombre: lo he comprado yo mismo, y con mis propios dineros - respondió aquel al que acababan de designar con el nombre de Porthos.

-Sí, como yo he comprado - dijo otro mosquetero - esta bolsa nueva con lo que mi amante puso en la vieja.

-Es cierto - dijo Porthos-, y la prueba es que he pagado por él doce pistolas.

La admiración acreció, aunque la duda continuaba existiendo.

-¿No es así, Aramis? - dijo Porthos volviéndose hacia otro mosquetero.

Este otro mosquetero hacía contraste perfecto con el que le interrogaba y que acababa de designarle con el nombre de Aramis: era éste un joven de veintidós o veintitrés años apenas, de rostro ingenuo y dulzarrón, de ojos negros y dulces y mejillas rosas y aterciopeladas como un melocotón en otoño; su mostacho fino dibujaba sobre su labio superior una línea perfectamente recta; sus manos parecían temer bajarse, por miedo a que sus venas se hinchasen, y de vez en cuando se pellizcaba el lóbulo de las orejas para mantenerlas de un encarnado tierno y transparente. Por hábito, hablaba poco y lentamente, saludaba mucho, reía sin estrépito mostrando sus dientes, que tenía hermosos y de los que, como del resto de su persona, parecía tener el mayor cuidado. Respondió con un gesto de cabeza afirmativo a la interpelación de su amigo.

Esta afirmación pareció haberle disipado todas las dudas respecto al tahalí; continuaron, pues, admirándolo, pero ya no volvieron a hablar de él; y por uno de esos virajes rápidos del pensamiento, la conversación pasó de golpe a otro tema.

-¿Qué pensáis de lo que cuenta el escudero de Chalais? - preguntó otro mosquetero sin interpelar directamente a nadie y dirigiéndose por el contrario a todo el mundo.

-¿Y qué es lo que cuenta? - preguntó Porthos en tono de suficiencia.

-Cuenta que ha encontrado en Bruselas a Rochefort, el instrumento ciego del cardenal, disfrazado de capuchino; ese maldito Rochefort, gracias a ese disfraz, engañó al señor de Laigues como a necio que es.

-Como a un verdadero necio - dijo Porthos ; pero ¿es seguro?

-Lo sé por Aramis - respondió el mosquetero.

-¿De veras?

-Lo sabéis bien, Porthos - dijo Aramis ; os lo conté a vos mismo ayer, no hablemos pues más.

-No hablemos más, esa es vuestra opinión - prosiguió Porthos-. ¡No hablemos más! ¡Maldita sea! ¡Qué rápido concluís! ¡Cómo! El cardenal hace espiar a un gentilhombre, hace robar su correspondencia por un traidor, un bergante, un granuja; con la ayuda de ese espía y gracias a esta correspondencia, hace cortar el cuello de Chalais, con el estúpido pretexto de que ha querido matar al rey y casar a Monsieur con la reina. Nadie sabía una palabra de este enigma, vos nos lo comunicasteis ayer, con gran satisfacción de todos, y cuando estamos aún todos pasmados por la noticia, venís hoy a decirnos: ¡No hablemos más!

-Hablemos entonces, pues que lo deseáis - prosiguió Aramis con paciencia.

-Ese Rochefort - dijo Porthos-, si yo fuera el escudero del pobre Chalais, pasaría conmigo un mal rato.

-Y vos pasaríais un triste cuarto de hora con el duque Rojo - prosiguió Aramis.

-¡Ah! ¡El duque Rojo! ¡Bravo bravo el duque Rojo! - respondió Porthos aplaudiendo y aprobando con - la cabeza-. El «duque Rojo» tiene gracia. Haré correr el mote, querido, estad tranquilo. ¡Tiene ingenio este Aramis! ¡Qué pena que no hayáis podido seguir vuestra vocación, querido, qué delicioso abad habríais hecho!

-¡Bah!, no es más que un retraso momentáneo - prosiguió Aramis : un día lo seré. Sabéis bien, Porthos, que sigo estudiando teología para ello.

-Hará lo que dice - prosiguió Porthos-, lo hará tarde o temprano.

-Temprano - dijo Aramis.

-Sólo espera una cosa para decidirse del todo y volver a ponerse su sotana, que está colgada debajo del uniforme, prosiguió un mosquetero.

-¿Y a qué espera? - preguntó otro.

-Espera a que la reina haya dado un heredero a la corona de Francia.

-No bromeemos sobre esto, señores - dijo Porthos ; gracias a Dios, la reina está todavía en edad de darlo.

-Dicen que el señor de Buckingham está en Francia - prosiguió Aramis con una risa burlona que daba a aquella frase, tan simple en apariencia, una significación bastante escandalosa.

-Aramis, amigo mío, por esta vez os equivocáis - interrumpió Porthos-, y vuestra manía de ser ingenioso os lleva siempre más allá de los límites; si el señor de Tréville os oyese, os arrepentiríais de hablar así.

-¿Vais a soltarme la lección, Porthos? - exclamó Aramis, con ojos dulces en los que se vio pasar como un relámpago.

-Querido, sed mosquetero o abad. Sed lo uno o lo otro, pero no lo uno y lo otro - prosiguió Porthos-. Mirad, Athos os lo acaba de decir el otro día: coméis en todos los pesebres. ¡Ah!, no nos enfademos, os lo suplico, sería inútil, sabéis de sobra lo que hemos convenido entre vos, Athos y yo. Vais a la casa de la señora D'Aiguillon, y le hacéis la corte; vais a la casa de la señora de Bois Tracy, la prima de la señora de Chevreuse, y se dice que vais muy adelantado en los favores de la dama. ¡Dios mío!, no confeséis vuestra felicidad, no se os pide vuestro secreto, es conocida vuestra discreción. Pero dado que poseéis esa virtud, ¡qué diablos!, usadla para con Su Majestad. Que se ocupe quien quiera y como se quiera del rey y del cardenal; pero la reina es sagrada, y si se habla de ella, que sea para bien.

Porthos, sois pretencioso como Narciso, os lo aviso - respondió Aramis-, sabéis que odio la moral, salvo cuando la hace Athos. En cuanto a vos, querido, tenéis un tahalí demasiado magnífico para estar fuerte en la materia. Seré abad si me conviene; mientras tanto, soy mosquetero: y en calidad de tal digo lo que me place, y en este momento me place deciros que me irritáis.

-¡Aramis!

-¡Porthos!

-¡Eh, señores, señores! - gritaron a su alrededor.

-El señor de Tréville espera al señor D'Artagnan - interrumpió el lacayo abriendo la puerta del gabinete.

Ante este anuncio, durante el cual la puerta permanecía abierta, todos se callaron, y en medio del silencio general el joven gascón cruzó la antecámara en una parte de su longitud y entró donde el capitán de los mosqueteros, felicitándose con toda su alma por escapar tan a punto al fin de aquella extravagante querella.

La audiencia

El señor de Tréville estaba en aquel momento de muy mal humor; sin embargo, saludó cortésmente al joven, que se inclinó hasta el suelo, y sonrió al recibir su cumplido, cuyo acento bearnés le recordó a la vez su juventud y su región, doble recuerdo que hace sonreír al hombre en todas las edades. Pero acordándose casi al punto de la antecámara y haciendo a D'Artagnan un gesto con la mano, como para pedirle permiso para terminar con los otros antes de comenzar con él, llamó tres veces, aumentando la voz cada vez, de suerte que recorrió todos los tonos intermedios entre el acento imperativo y el acento irritado:

¡Athos! ¡Porthos! ¡Aramis!

Los dos mosqueteros con los que ya hemos trabado conocimiento, y que respondían a los dos últimos de estos tres nombres, dejaron en seguida los grupos de que formaban parte y avanzaron hacia el gabinete cuya puerta se cerró detrás de ellos una vez que hubieron franqueado el umbral. Su continente, aunque no estuviera completamente tranquilo, excitó sin embargo, por su abandono lleno a la vez de dignidad y de sumisión, la admiración de D'Artagnan, que veía en aquellos hombres semidioses, y en su jefe un Júpiter olímpico armado de todos sus rayos.

Cuando los dos mosqueteros hubieron entrado, cuando la puerta fue cerrada tras ellos, cuando el murmullo zumbante de la antecámara, al que la llamada que acababa de hacerles había dado sin duda nuevo alimento, hubo empezado de nuevo, cuando, al fin, el señor de Tréville hubo recorrido tres o cuatro veces, silencioso y fruncido el ceño, toda la longitud de su gabinete pasando cada vez entre Porthos y Aramis, rígidos y mudos como en desfile se detuvo de pronto frente a ellos, y abarcándolos de los pies a la cabeza con una mirada irritada: ¿Sabéis lo que me ha dicho el rey exclamó , y no más tarde que ayer noche? ¿Lo sabéis, señores?

No respondieron tras un instante de silencio los dos mosqueteros ; no, señor, lo ignoramos.

Pero espero que haréis el honor de decírnoslo añadió Aramis en su tono más cortés y con la más graciosa reverencia.

Me ha dicho que de ahora en adelante reclutará sus mosqueteros entre los guardias del señor cardenal.

¡Entre los guardias del señor cardenal! ¿Y eso por qué? preguntó vivamente Porthos.

Porque ha comprendido que su vino peleón necesitaba ser remozado con una mezcla de buen vino.

Los dos mosqueteros se ruborizaron hasta el blanco de los ojos. D'Artagnan no sabía dónde estaba y hubiera querido estar a cien pies bajo tierra.

Sí, sí continuó el señor de Tréville animándose , sí, y Su Majestad tenía razón, porque, por mi honor, es cierto que los mosqueteros juegan un triste papel en la corte. El señor cardenal contaba ayer, durante el juego del rey, con un aire de condolencia que me desagradó mucho que anteayer esos malditos mosqueteros, esos juerguistas (y reforzaba estas palabras con un acento irónico que me desagradó más todavía), esos matasietes (añadió mirándome con su ojo de ocelote), se habían retrasado en la calle Férou, en una taberna, y que una ronda de sus guardias (creí que iba a reírse en mis narices) se había visto obligada a detener a los perturbadores. ¡Diablos!, debéis saber algo. ¡Arrestar mosqueteros! ¡Erais vosotros, vosotros, no lo neguéis, os han reconocido y el cardenal ha dado vuestros nombres! Es culpa mía, sí, culpa mía, porque soy yo quien elijo a mis hombres. Veamos vos, Aramis, ¿por qué diablos me habéis pedido la casaca cuando tan bien ibais a estar bajo la sotana? Y vos, Porthos, veamos, ¿tenéis un tahalí de oro tan bello sólo para colgar en él una espada de paja? ¡Y Athos! No veo a Athos. ¿Dónde está?

Señor respondió tristemente Aramis , está enfermo, muy enfermo.

¿Enfermo, muy enfermo, decís? ¿Y de qué enfermedad?

Temen que sea la viruela, señor respondió Porthos, queriendo terciar con una frase en la conversación , y sería molesto porque a buen seguro le estropearía el rostro.

¡Viruela! ¡Vaya gloriosa historia la que me contáis, Porthos!... ¿Enfermo de viruela a su edad?... ¡No!... sino herido sin duda, muerto quizá... ¡Ah!, si ya lo sabía yo... ¡Maldita sea! Señores mosqueteros, sólo oigo una cosa, que se frecuentan los malos lugares, que se busca querella en la calle y que se saca la espada en las encrucijadas. No quiero, en fin, que se dé motivos de risa a los guardias del señor cardenal, que son gentes valientes, tranquilas, diestras, que nunca se ponen en situación de ser arrestadas, y que, por otro lado, no se dejarían detener..., estoy seguro. Preferirían morir allí mismo antes que dar un paso atrás... Largarse, salir pitando, huir, ¡bonita cosa para los mosqueteros del rey!

Porthos y Aramis temblaron de rabia. De buena gana habrían estrangulado al señor de Tréville, si en el fondo de todo aquello no hubieran sentido que era el gran amor que les tenía lo que le hacía hablar así. Golpeaban el suelo con el pie, se mordían los labios hasta hacerse sangre y apretaban con toda su fuerza la guarnición de su espada. Fuera se había oído llamar, como ya hemos dicho, a Athos, Porthos y Aramis, y se había adivinado, por el tono de la voz del señor de Tréville, que estaba completamente encolerizado. Diez cabezas curiosas se habían apoyado en los tapices y palidecían de furia, porque sus orejas pegadas a la puerta no perdían sílaba de cuanto se decía, mientras que sus bocas iban repitiendo las palabras insultantes del capitán a toda la población de la antecámara. En un instante, desde la puerta del gabinete a la puerta de la calle, todo el palacio estuvo en ebullición.

¡Los mosqueteros del rey se hacen arrestar por los guardias del señor cardenal! continuó el señor de Tréville, tan furioso por dentro como sus soldados, pero cortando sus palabras y hundiéndolas una a una, por así decir, y como otras tantas puñaladas en el pecho de sus oyentes . ¡Ay, seis guardias de Su Eminencia arrestan a seis mosqueteros de Su Majestad! ¡Por todos los diablos! Yo he tomado mi decisión. Ahora mismo voy al Louvre; presento mi dimisión de capitán de los mosqueteros del rey para pedir un tenientazgo entre los guardias del cardenal, y si me rechaza, por todos los diablos, ¡me hago abad!

A estas palabras el murmullo del exterior se convirtió en una explosión; por todas partes no se oían más que juramentos y blasfemias. Los ¡maldición!, los ¡maldita sea!, los ¡por todos los diablos! se cruzaban, en el aire. D'Artagnan buscaba una tapicería tras la cual esconderse, y sentía un deseo desmesurado de meterse debajo de la mesa.

Bueno, mi capitán dijo Porthos, fuera de sí , la verdad es que éramos seis contra seis, pero fuimos cogidos traicioneramente, y antes de que hubiéramos tenido tiempo de sacar nuestras espadas, dos de nosotros habían caído muertos, y Athos, herido gravemente, no valía mucho más. Ya conocéis vos a Athos; pues bien, capitán, trató de levantarse dos veces, y volvió a caer las dos veces. Sin embargo, no nos hemos rendido, ¡no!, nos han llevado a la fuerza. En camino, nos hemos escapado. En cuanto a Athos, lo creyeron muerto, y lo dejaron tranquilamente en el campo de batalla, pensando que no valía la pena llevarlo.

Esa es la historia. ¡Qué diablos, capitán, no se ganan todas las batallas! El gran Pompeyo perdió la de Farsalia, y el rey Francisco I, que según lo que he oído decir valía tanto como él, perdió sin embargo la de Pavía.

Y tengo el honor de aseguraros que yo maté a uno con su propia espada dijo Aramis porque la mía se rompió en el primer encuentro... Matado o apuñalado, señor, como más os plazca.

Yo no sabía eso prosiguió el señor de Tréville en un tono algo sosegado . Por lo que veo, el señor cardenal exageró.

Pero, por favor, señor continuó Aramis, que, al ver a su cap¡tán aplacarse, se atrevía a aventurar un ruego , por favor, señor, no digáis que el propio Athos está herido, sería para desesperarse que llegara a oídos del rey, y como la herida es de las más graves, dado que después de haber atravesado el hombro ha penetrado en el pecho, sería de temer...

En el mismo instante, la cortina se alzó y una cabeza noble y hermosa, pero horriblemente pálida, apareció bajo los flecos:

¡Athos! exclamaron los dos mosqueteros.

¡Athos! repitió el mismo señor de Tréville.

Me habéis mandado llamar, señor dijo Athos al señor de Tréville con una voz debilitada pero perfectamente calma , me habéis llamado por lo que me han dicho mis compañeros, y me apresuro a ponerme a vuestras órdenes; aquí estoy, señor, ¿qué me queréis?

Y con estas palabras, el mosquetero, con firmeza irreprochable, ceñido como de costumbre, entró con paso firme en el gabinete. El señor de Tréville, emocionado hasta el fondo de su corazón por aquella prueba de valor, se precipitó hacia él. Estaba diciéndoles a estos señores añadió , que prohíbo a mis mosqueteros exponer su vida sin necesidad, porque las personas valientes son muy caras al rey, y el rey sabe que sus mosqueteros son las personas más valientes de la tierra. Vuestra mano, Athos.

Y sin esperar a que el recién venido respondiese por sí mismo a aquella prueba de afecto, al señor de Tréville cogía su mano derecha y se la apretaba con todas sus fuerzas sin darse cuenta de que Athos, cualquiera que fuese su dominio sobre sí mismo, dejaba escapar un gesto de dolor y palidecía aún más, cosa que habría podido creerse imposible.

La puerta había quedado entrearbierta, tanta sensación había causado la llegada de Athos, cuya herida, pese al secreto guardado, era conocida de todos. Un murmullo de satisfacción acogió las últimas palabras del capitán, y dos o tres cabezas, arrastradas por el entusiasmo, aparecieron por las aberturas de la tapicería. Iba sin duda el señor de Tréville a reprimir con vivas palabras aquella infracción a las leyes de la etiqueta, cuando de pronto sintió la mano de Athos crisparse en la suya, y dirigiendo los ojos hacia él se dio cuenta de que iba a desvanecerse. En el mismo instante, Athos, que había reunido todas sus fuerzas para luchar contra el dolor, vencido al fin por él, cayó al suelo como si estuviese muerto.

¡Un cirujano! gritó el señor de Tréville . ¡El mío, el del rey, el mejor! ¡Un cirujano! Si no, maldita sea, mi valiente Athos va a morir.

A los gritos del señor de Tréville todo el mundo se precipitó en su gabinete sin que él pensara en cerrar la puerta a nadie, afanándose todos en torno del herido. Pero todo aquel afán hubiera sido inútil si el doctor exigido no hubiera sido hallado en el palacio mismo; atravesó la multitud, se acercó a Athos, que continuaba desvanecido y como todo aquel ruido y todo aquel movimiento le molestaba mucho, pidio como primera medida y como la más urgente que el mosquetero fuera llevado a una habitación vecina. Por eso el señor de Tréville abrió una puerta y mostró el camino a Porthos y a Aramis, que llevaron a su compañero en brazos.

Detrás de este grupo iba el cirujano, y detrás del cirujano la puerta se cerró.

Entonces el gabinete del señor de Tréville, aquel lugar ordinariamente tan respetado, se convirtió por un momento en una sucursal de la antecámara. Todos disertaban, peroraban, hablaban en voz alta, jurando, blasfemando, enviando al cardenal y a sus guardias a todos los diablos.

Un instante después, Porthos y Aramis volvieron; sólo el cirujano y el señor de Tréville se habían quedado junto al herido.

Por fin, el señor de Tréville regresó también. El herido había recuperado el conocimiento; el cirujano declaraba que el estado del mosquetero nada tenía que pudiese inquietar a sus amigos, habiendo sido ocasionada su debilidad pura y simplemente por la pérdida de sangre.

Luego el señor de Tréville hizo un gesto con la mano y todos se retiraron excepto D'Artagnan, que no olvidaba que tenía audiencia y que, con su tenacidad de gascón, había permanecido en el mismo sitio.

Cuando todo el mundo hubo salido y la puerta fue cerrada, el señor de Tréville se volvió y se encontró solo con el joven. El suceso que acababa de ocurrir le había hecho perder algo el hilo de sus ideas. Se informó de lo que quería el obstinado solicitante. D'Artagnan entonces dio su nombre, y el señor de Tréville, trayendo a su memoria de golpe todos sus recuerdos del presente y del pasado, se puso al corriente de la situación.

Perdón le dijo sonriente , perdón, querido compatriota, pero os había olvidado por completo. ¡Qué queréis! Un capitán no es nada más que un padre de familia cargado con una responsabilidad mayor que un padre de familia normal. Los soldados son niños grandes; pero como debo hacer que las órdenes del rey, y sobre todo las del señor cardenal, se cumplan...

D'Artagnan no pudo disimular una sonrisa. Ante ella, el señor de Tréville pensó que no se las había con un imbécil y, yendo derecho al grano, cambiando de conversación, dijo:

Quise mucho a vuestro señor padre. ¿Qué puedo hacer por su hijo? Daos prisa, mi tiempo no es mío.

Señor dijo D'Artagnan , al dejar Tarbes y venir hacia aquí, me proponía pediros, en recuerdo de esa amistad cuya memoria no habéis perdido, una casaca de mosquetero; pero después de cuanto he visto desde hace dos horas, comprendo que un favor semejante sería enorme, y tiemblo de no merecerlo.

En efecto, joven, es un favor respondió el señor de Tréville ; pero quizá no esté tan por encima de vos como creéis o fingís creerlo. Sin embargo, una decisión de Su Majestad ha previsto este caso, y os anuncio con pesar que no se recibe a nadie como mosquetero antes de la prueba previa de algunas campañas, de ciertas acciones de brillo, o de un servicio de dos años en algún otro regimiento menos favorecido que el nuestro.

D'Artagnan se inclinó sin responder nada. Se sentía aún más deseoso de endosarse el uniforme de mosquetero desde que había tan grandes dificultades en obtenerlo.

Pero prosiguió Tréville fijando sobre su compatriota una mirada tan penetrante que se hubiera dicho que quería leer hasta el fondo de su corazón , pero por vuestro padre, antiguo compañero mío como os he dicho, quiero hacer algo por vos, joven. Nuestros cadetes de Béarn no son por regla general ricos, y dudo de que las cosas hayan cambiado mucho de cara desde mi salida de la provincia. No debéis tener, para vivir, demasiado dinero que hayáis traído con vos.

D'Artagnan se irguió con un ademán orgulloso que quería decir que él no pedía limosna a nadie.

Está bien, joven, está bien continuó Tréville ya conozco esos ademanes; yo vine a Paris con cuatro escudos en mi bolsillo, y me hubiera batido con cualquiera que me hubiera dicho que no me hallaba en situación de comprar el Louvre.

D'Artagnan se irguió más y más; gracias a la venta de su caballo, comenzaba su carrera con cuatro escudos más de los que el señor de Tréville había comenzado la suya.

Debéis, pues, decía yo, tener necesidad de conservar lo que tenéis, por fuerte que sea esa suma; pero debéis necesitar también perfeccionaros en los ejercicios que convienen a un gentilhombre. Escribiré hoy mismo una carta al director de la Academia Real y desde mañana os recibirá sin retribución alguna. No rechacéis este pequeño favor. Nuestros gentiles hombres de mejor cuna y más ricos lo solicitan a veces sin poder obtenerlo. Aprenderéis el manejo del caballo, esgrima y danza; haréis buenos conocimientos, y de vez en cuando volveréis a verme para decirme cómo os encontráis y si puedo hacer algo por vos.

Por desconocedor que fuera D'Artagnan de las formas de la corte, se dio cuenta de la frialdad de aquel recibimiento.

¡Desgraciadamente, señor dijo veo la falta que hoy me hace la carta de recomendación que mi padre me había entregado para vos!

En efecto respondió el señor de Tréville , me sorprende que hayáis emprendido tan largo viaje sin ese viático obligado, único recurso de nosotros los bearneses.

La tenía, señor, y, a Dios gracias, en buena forma exclamó D'Artagnan ; pero me fue robada pérfidamente.

Y contó toda la escena de Meung, describió al gentilhombre desconocido en sus menores detalles, todo ello con un calor y una verdad que encantaron al señor de Tréville.

Sí que es extraño dijo este último pensando . ¿Habíais hablado de mí en voz alta?

Sí, señor, sin duda cometí esa imprudencia; qué queréis, un nombre como el vuestro debía servirme de escudo en el camino. ¡Juzgad si me puse a cubierto a menudo!

La adulación estaba muy de moda entonces, y el señor de Tréville amaba el incienso como un rey o como un cardenal. No pudo impedirse por tanto sonreír con satisfacción visible, pero aquella sonrisa se borró muy pronto, volviendo por sí mismo a la aventura de Meung.

Decidme repuso , ¿no tenía ese gentilhombre una ligera cicatriz en la sien?

Sí, como lo haría la rozadura de una bala.

¿No era un hombre de buen aspecto?

Sí.

¿Y de gran estatura?

Sí.

¿Pálido de tez y moreno de pelo?

Sí, sí, eso es. ¿Cómo es, señor, que conocéis a ese hombre? ¡Ah, si alguna vez lo encuentro, y os juro que lo encontraré, aunque sea en el infierno...!

¿Esperaba a una mujer? prosiguió Tréville.

Al menos se marchó tras haber hablado un instante con aquella a la que esperaba.

¿No sabéis cuál era el tema de su conversación?

El le entregaba una caja, le decía que aquella caja contenía sus instrucciones, y le recomendaba no abrirla hasta Londres.

¿Era inglesa esa mujer?

La llamaba Milady.

¡El es! murmuró Tréville . ¡El es! Y yo le creía aún en Bruselas.

Señor, sabéis quién es ese hombre exclamó D'Artagnan . Indicadme quién es y dónde está, y os libero de todo, incluso de vuestra promesa de hacerme ingresar en los mosqueteros; porque antes que cualquier otra cosa quiero vengarme.

Guardaos de ello, joven exclamó Tréville ; antes bien, si lo veis venir por un lado de la calle, pasad al otro. No os enfrentéis a semejante roca: os rompería como a un vaso.

Eso no impide dijo D'Artagnan que si alguna vez lo encuentro...

Mientras tanto prosiguió Tréville , no lo busquéis, si tengo algún consejo que daros.

De pronto Tréville se detuvo, impresionado por una sospecha súbita. Aquel gran odio que manifestaba tan altivamente el joven viajero por aquel hombre que, cosa bastante poco verosímil, le había robado la carta de su padre, aquel odio ¿no ocultaba alguna perfidia? ¿No le habría sido enviado aquel joven por Su Eminencia? ¿No vendría para tenderle alguna trampa? Ese presunto D'Artagnan ¿no sería un emisario del cardenal que trataba de introducirse en su casa, y que le habían puesto al lado para sorprender su confianza y para perderlo más tarde, como mil veces se había hecho? Miró a D'Artagnan más fijamente aún que la vez primera. Sólo se tranquilizó a medias por el aspecto de aquellá fisonomía chispeante de ingenio astuto y de humildad afectada.

«Sé de sobra que es gascón pensó . Pero puede serlo tanto para el cardenal como para mí. Veamos, probémosle.»

Amigo mío le dijo lentamente quiero, como a hijo de mi viejo amigo (porque tengo por verdadera la historia de esa carta perdida), quiero dijo , para reparar la frialdad que habéis notado ante todo en mi recibimiento, descubriros los secretos de nuestra política. El rey y el cardenal son los mejores amigos del mundo: sus aparentes altercados no son más que para engañar a los imbéciles. No pretendo que un compatriota, un buen caballero, un muchacho valiente, hecho para avanzar, sea víctima de todos esos fingimientos y caiga como un necio en la trampa, al modo de tantos otros que se han perdido por ello. Pensad que yo soy adicto a estos dos amos todopoderosos, y que nunca mis diligencias serias tendrán otro fin que el servicio del rey y del señor cardenal, uno de los más ilustres genios que Francia ha producido. Ahora, joven, regulad vuestra conducta sobre esto, y si tenéis, bien por familia, bien por amigos, bien por propio instinto, alguna de esas enemistades contra el cardenal semejante a las que vemos manifestarse en los gentiles hombres, decidme adiós y despidámonos. Os ayudaré en mil circunstancias, pero sin relacionaros con mi persona. Espero que mi franqueza, en cualquier caso, os hará amigo mío; porque sois, hasta el presente, el único joven al que he hablado como lo hago.

Tréville se decía aparte para sí:

«Si el cardenal me ha despachado a este joven zorro, a buen seguro, él, que sabe hasta qué punto lo execro, no habrá dejado de decir a su espía que el mejor medio de hacerme la corte es echar pestes de él; así, pese a mis protestas, el astuto compadre va a responderme con toda seguridad que siente horror por Su Eminencia.»

Ocurrió de muy otra forma a como esperaba Tréville; D'Artagnan respondió con la mayor simplicidad:

Señor, llego a París con intenciones completamente idénticas. Mi padre me ha recomendado no aguantar nada salvo del rey, del señor cardenal y de vos, a quienes tiene por los tres primeros de Francia.

D'Artagnan añadía el señor de Tréville a los otros dos, como podemos darnos cuenta; pero pensaba que este añadido no tenía por qué estropear nada. Tengo, pues, la mayor veneración por el señor cardenal continuó , y el más profundo respeto por sus actos. Tanto mejor para mí, señor, si me habláis, como decís, con franqueza; porque entonces me haréis el honor de estimar este parecido de gustos; mas si habéis tenido alguna desconfianza, muy natural por otra parte, siento que me pierdo diciendo la verdad; pero, tanto peor; así no dejaréis de estimarme, y es lo que quiero más que cualquier otra cosa en el mundo.

El señor de Tréville quedó sorprendido hasta el extremo. Tanta penetración, tanta franqueza, en fin, le causaba admiración, pero no disipaba enteramente sus dudas; cuanto más superior fuera este joven a los demás, tanto más era de temer si se engañaba. Sin embargo, apretó la mano de D'Artagnan, y le dijo:

Sois un joven honesto, pero en este momento no puedo hacer nada por vos más que lo que os he ofrecido hace un instante. Mi palacio estará siempre abierto para vos. Más tarde, al poder requerirme a todas horas y por tanto aprovechar todas las ocasiones, obtendréis probablemente lo que deseáis obtener.

Eso quiere decir, señor prosiguió D'Artagnan , que esperáis a que vuelva digno de ello. Pues bien, estad tranquilo, añadió con la familiaridad del gascón , no esperaréis mucho tiempo.

Y saludó para retirarse como si el resto corriese en adelante de su cuenta.

Pero esperad dijo el señor de Tréville deteniéndolo , os he prometido una carta para el director de la Academia. ¿Sois demasiado orgulloso para aceptarla, mi joven gentilhombre?

No, señor dijo D'Artagnan ; os respondo que no ocurrirá con esta como con la otra. La guardaré tan bien que os juro que llegará a su destino, y ¡ay de quien intente robármela!

El señor de Tréville sonrió ante esa fanfarronada y, dejando a su joven compatriota en el vano de la ventana, donde se encontraba y donde habían hablado juntos, fue a sentarse a una mesa y se puso a escribir la carta de recomendación prometida. Durante ese tiempo, D'Artagnan, que no tenía nada mejor que hacer, se puso a batir una marcha contra los cristales, mirando a los mosqueteros que se iban uno tras otro, y siguiéndolos con la mirada hasta que desaparecían al volver la calle.

El señor de Tréville, después de haber escrito la carta, la selló y, levantándose, se acercó al joven para dársela; pero en el momento mismo en que D'Artagnan extendía la mano para recibirla, el señor de Tréville quedó completamante estupefacto al ver a su protegido dar un salto, enrojecer de cólera y lanzarse fuera del gabinete gritando:

¡Ah, maldita sea! Esta vez no se me escapará.

¿Pero quién? preguntó el señor de Tréville.

¡El, mi ladrón! respondió D'Artagnan . ¡Ah, traidor!

Y desapareció.

¡Diablo de loco! murmuró el señor de Tréville . A menos añadió una manera astuta de zafarse, al ver que ha marrado su golpe. que no sea

El hombro de Athos, el tahalí de Porthos y el pañuelo de Aramis

D'Artagnan, furioso, había atravesado la antecámara de tres saltos y se abalanzaba a la escalera cuyos escalones contaba con descender de cuatro en cuatro cuando, arrastrado por su carrera, fue a dar de cabeza en un mosquetero que salía del gabinete del señor de Tréville por una puerta de excusado; y al golpearle con la frente en el hombro, le hizo lanzar un grito o mejor un aullido.

-Perdonadme - dijo D'Artagnan tratando de reemprender su carrera-, perdonadme, pero tengo prisa.

Apenas había descendido el primer escalón cuando un puño de hierro le cogió por su bandolera y lo detuvo.

-¡Tenéis prisa! - exclamó el mosquetero, pálido como un lienzo-. Con ese pretexto golpeáis, decís: «Perdonadme», y creéis que eso basta. De ningún modo, amiguito. ¿Creéis que porque habéis oído al señor de Tréville hablarnos un poco bruscamente hoy, se nos puede tratar como él nos habla? Desengañaos, compañero; vos no sois el señor de Tréville.

-A fe mía - replicó D'Artagnan al reconocer a Athos, el cual, tras el vendaje realizado por el doctor, volvía a su alojamiento-, a fe mía que no lo he hecho a propósito, ya he dicho «Perdonadme». Me parece, pues, que es bastante. Sin embargo, os lo repito, y esta vez es quizá demasiado, palabra de honor, tengo prisa, mucha prisa. Soltadme, pues, os lo suplico y dejadme ir a donde tengo que hacer.

-Señor - dijo Áthos soltándole-, no sois cortés. Se ve que venís de lejos.

D'Artagnan había ya salvado tres o cuatro escalones, pero a la observación de Athos se detuvo en seco.

-¡Por todos los diablos, señor! - dijo-. Por lejos que venga no sois vos quien me dará una lección de Buenos modales, os lo advierto. -Puede ser - dijo Athos.

-Ah, si no tuviera tanta prisa - exclamó D'Artagnan-, y si no corriese detrás de uno...

-Señor apresurado, a mí me encontraréis sin correr, ¿me oís?

-¿Y dónde, si os place?

-Junto a los Carmelitas Descalzos.

-¿A qué hora?

-A las doce.

-A las doce, de acuerdo, allí estaré.

-Tratad de no hacerme esperar, porque a las doce y cuarto os prevengo que seré yo quien corra tras vos y quien os corte las orejas a la carrera.

-¡Bueno! - le gritó D'Artagnan-. Que sea a las doce menos diez.

Y se puso a correr como si lo llevara el diablo, esperando encontrar todavía a su desconocido, a quien su paso tranquilo no debía haber llevado muy lejos.

Pero a la puerta de la calle hablaba Porthos con un soldado de guardia. Entre los dos que hablaban, había el espacio justo de un hombre. D'Artagnan creyó que aquel espacio le bastaría, y se lanzó para pasar como una flecha entre ellos dos. Pero D'Artagnan no había contado con el viento. Cuando iba a pasar, el viento sacudió en la amplia capa de Porthos, y D'Artagnan vino a dar precisamente en la capa. Sin duda, Porthos tenía razones para no abandonar aquella parte esencial de su vestimenta, porque en lugar de dejar ir el faldón que sostenía, tiró de él, de tal suerte que D'Artagnan se enrolló en el terciopelo con un movimiento de rotación que explica la resistencia del obstinado Porthos.

D'Artagnan, al oír jurar al mosquetero, quiso salir de debajo de la capa que lo cegaba, y buscó su camino por el doblez. Temía sobre todo haber perjudicado el lustre del magnífico tahalí que conocemos; pero, al abrir tímidamente los ojos, se encontró con la nariz pegada entre los dos hombros de Porthos, es decir, encima precisamente del tahalí.

¡Ay!, como la mayoría de las cosas de este mundo que sólo tienen apariencia el tahalí era de oro por delante y de simple búfalo por detrás. Porthos, como verdadero fanfarrón que era, al no poder tener un tahalí de oro, completamente de oro, tenía por lo menos la mitad; se comprende así la necesidad del resfriado y la urgencia de la capa.

-¡Por mil diablos! - gritó Porthos haciendo todo lo posible por desembarazarse de D'Artagnan que le hormigueaba en la espalda-. ¿Tenéis acaso la rabia para lanzaros de ese modo sobre las personas?

-Perdonadme - dijo D'Artagnan reapareciendo bajo el hombro del gigante-, pero tengo mucha prisa, como detrás de uno, y...

-¿Es que acaso olvidáis vuestros ojos cuando corréis? - preguntó Porthos.

-No - respondió D'Artagnan picado-, no, y gracias a mis ojos veo incluso lo que no ven los demás.

Porthos comprendió o no comprendió; lo cierto es que dejándose llevar por su cólera dijo:

-Señor, os desollaréis, os lo aviso, si os restregáis así en los mosqueteros.

-¿Desollar, señor? - dijo D'Artagnan-. La palabra es dura.

-Es la que conviene a un hombre acostumbrado a mirar de frente a sus enemigos.

-¡Pardiez! De sobra sé que no enseñáis la espalda a los vuestros.

Y el joven, encantado de su travesura, se alejó riendo a mandíbula batiente.

Porthos echó espuma de rabia a hizo un movimiento para precipitarse sobre D'Artagnan.

-Más tarde, más tarde - le gritó éste-, cuando no tengáis vuestra capa.

-A la una, pues, detrás del Luxemburgo.

-Muy bien, a la una - respondió D'Artagnan volviendo la esquina de la calle.

Pero ni en la calle que acababa de recorrer, ni en la que abarcaba ahora con la vista vio a nadie. Por despacio que hubiera andado el desconocido, había hecho camino; quizá también había entrado en alguna casa. D'Artagnan preguntó por él a todos los que encontró, bajó luego hasta la barcaza, subió por la calle de Seine y la Croix Rouge; pero nada, absolutamente nada. Sin embargo, aquella carrera le resultó beneficiosa en el sentido de que a medida que el sudor inundaba su frente su corazón se enfriaba.

Se puso entonces a reflexionar sobre los acontecimientos que acababan de ocurrir; eran abundantes y nefastos: eran las once de la mañana apenas, y la mañana le había traído ya el disfavor del señor de Tréville, que no podría dejar de encontrar algo brusca la forma en que D’Artagnan lo había abandonado.

Además, había pescado dos buenos duelos con dos hombres capaces de matar, cada uno, tres D'Artagnan; en fin, con dos mosqueteros, es decir, con dos de esos seres que él estimaba tanto que los ponía, en su pensamiento y en su corazón, por encima de todos los demás hombres.

La coyuntura era triste. Seguro de ser matado por Athos, se comprende que el joven no se inquietara mucho de Porthos. Sin embargo, como la esperanza es lo último que se apaga en el corazón del hombre, llegó a esperar que podría sobrevivir, con heridas terribles, por supuesto, a aquellos dos duelos, y, en caso de supervivencia, se hizo para el futuro las reprimendas siguientes:

-¡Qué atolondrado y ganso soy! Ese valiente y desgraciado Athos estaba herido justamente en el hombro contra el que yo voy a dar con la cabeza como si fuera un morueco. Lo único que me extraña es que no me haya matado en el sitio; estaba en su derecho y el dolor que le he causado ha debido de ser atroz. En cuanto a Porthos..., ¡oh, en cuanto a Porthos, a fe que es más divertido!

Y a pesar suyo, el joven se echó a reír, mirando no obstante si aquella risa aislada, y sin motivo a ojos de quienes le viesen reír, iba a herir a algún viandante.

-En cuanto a Porthos, es más divertido; pero no por ello dejo de ser un miserable atolondrado. No se lanza uno así sobre las personas sin decir cuidado, no, y no se va a mirarlos debajo de la capa para ver lo que no hay. Me habría perdonado de buena gana, seguro; me habría perdonado si no le hubiera hablado de ese maldito tahalí, con palabras encubiertas, cierto; sí, bellamente encubiertas. ¡Ah, soy un maldito gascón, sería ingenioso hasta en la sartén de freír! ¡Vamos, D'Artagnan, amigo mío - continuó, hablándole a sí mismo con toda la confianza que creía deberse - si escapas a ésta, cosa que no es probable, se trata de ser en el futuro de una cortesía perfecta. En adelante es preciso que te admiren, que te citen como modelo. Ser atento y cortés no es ser cobarde. Mira mejor a Aramis: Aramis es la dulzura, es la gracia en persona. ¡Y bien!, ¿a quién se le ha ocurrido alguna vez decir que Aramis era un cobarde? No desde luego que a nadie y de ahora en adelante quiero tomarle en todo por modelo. ¡Ah, precisamente ahí está!

D'Artagnan, mientras caminaba monologando, había llegado a unos pocos pasos del palacio D'Aiguillon y ante este palacio había visto a Aramis hablando alegremente con tres gentileshombres de la guardia del rey. Por su parte, Aramis vio a D'Artagnan; pero como no olvidaba que había sido delante de aquel joven ante el que el señor de Tréville se había irritado tanto por la mañana, y como un testigo de los reproches que los mosqueteros habían recibido no le resultaba en modo alguno agradable, fingía no verlo. D'Artagnan, entregado por entero a sus planes de conciliación y de cortesía, se acercó a los cuatro jóvenes haciéndoles un gran saludo acompañado de la más graciosa sonrisa. Aramis inclinó ligeramente la cabeza, pero no sonrió. Por lo demás, los cuatro interrumpieron en aquel mismo instante su conversación.

D'Artagnan no era tan necio como para no darse cuenta de que estaba de más; pero no era todavía lo suficiente ducho en las formas de la alta sociedad para salir gentilmente de una situación falsa como lo es, por regla general, la de un hombre que ha venido a mezclarse con personas que apenas conoce y en una conversación que no le afecta. Buscaba por tanto en su interior un medio de retirarse lo menos torpemente posible, cuando notó que Aramis había dejado caer su pañuelo y, por descuido sin duda, había puesto el pie encima; le pareció llegado el momento de reparar su inconveniencia: se agachó, y con el gesto más gracioso que pudo encontrar, sacó el pañuelo de debajo del pie del mosquetero, por más esfuerzos que hizo éste por retenerlo, y le dijo devolviéndoselo:

-Señor, aquí tenéis un pañuelo que en mi opinión os molestaría mucho perder.

En efecto, el pañuelo estaba ricamente bordado y llevaba una corona y armas en una de sus esquinas. Aramis se ruborizó excesivamente y arrancó más que cogió el pañuelo de manos del gascón.

-¡Ah, ah! - exclamó uno de los guardias-. Encima dirás, discreto Aramis, que estás a mal con la señora de Bois Tracy, cuando esa graciosa dama tiene la cortesía de prestarte sus pañuelos.

Aramis lanzó a D'Artagnan una de esas miradas que hacen comprender a un hombre que acaba de ganarse un enemigo mortal; luego, volviendo a tomar su tono dulzarrón, dijo:

-Os equivocáis, señores, este pañuelo no es mío, y no sé por qué el señor ha tenido la fantasía de devolvérmelo a mí en vez de a uno de vosotros, y prueba de lo que digo es que aquí está el mío, en mi bolsillo.

A estas palabras, sacó su propio pañuelo, pañuelo muy elegante también, y de fina batista, aunque la batista fuera cara en aquella época, pero pañuelo bordado, sin armas, y adornado con una sola inicial, la de su propietario.

Esta vez, D'Artagnan no dijo ni pío, había reconocido su error, pero los amigos de Aramis no se dejaron convencer por sus negativas, y uno de ellos, dirigiéndose al joven mosquetero con seriedad afectada, dijo:

-Si fuera como pretendes, me vería obligado, mi querido Aramis, a pedírtelo; porque, como sabes, Bois Tracy es uno de mis íntimos, y no quiero que se haga trofeo de las prendas de su mujer.

-Lo pides mal - respondió Aramis ; y aun reconociendo la justeza de tu reclamación en cuanto al fondo, me negaré debido a la forma.

-El hecho es - aventuró tímidamente D'Artagnan-, que yo no he visto salir el pañuelo del bolsillo del señor Aramis. Tenía el pie encima, eso es todo, y he pensado que, dado que tenía el pie, el pañuelo era suyo.

-Y os habéis equivocado, querido señor - respondió fríamente Aramis, poco sensible a la reparación.

Luego, volviéndose hacia aquel de los guardias que se había declarado amigo de Bois Tracy, continuó:

-Además, pienso, mi querido íntimo de Bois Tracy, que yo soy amigo suyo no menos cariñoso que puedas serlo tú; de suerte que, en rigor, este pañuelo puede haber salido tanto de tu bolsillo como del mío.

-¡No, por mi honor! - exclamó el guardia de Su Majestad.

-Tú vas a jurar por tu honor y yo por mi palabra, y entonces evidentemente uno de nosotros dos mentirá. Mira, hagámosio mejor, Montaran, cojamos cada uno la mitad.

-¿Del pañuelo?

-Sí.

-De acuerdo - exclamaron lo otros dos guardias - el juicio del rey Salomón. Decididamente, Aramis, estás lleno de sabiduría.

Los jóvenes estallaron en risas, y como es lógico, el asunto no tuvo más continuación. Al cabo de un instante la conversación cesó, y los tres guardias y el mosquetero, después de haberse estrechado cordialmente las manos, tiraron los tres guardias por su lado y Aramis por el suyo.

-Este es el momento de hacer las paces con ese hombre galante - se dijo para sí D'Artagnan, que se había mantenido algo al margen durante toda la última parte de aquella conversación. Y con estas buenas intenciones, acercándose a Aramis, que se alejaba sin prestarle más atención, le dijo:

-Señor, espero que me perdonéis.

-¡Ah, señor! - le interrumpió Aramis-. Permitidme haceros observar que no habéis obrado en esta circunstancia como un hombre galante debe hacerlo.

-¡Cómo, señor! - exclamó D'Artagnan-. Suponéis...

-Supongo, señor, que no sois un imbécil, y que sabéis bien, aunque lleguéis de Gascuña, que no se pisan sin motivo los pañuelos de bolsillo. ¡Qué diablos! Paris no está empedrado de batista.

-Señor, os equivocáis tratando de humillarme - dijo D'Artagnan, en quien el carácter peleón comenzaba a hablar más alto que las resoluciones pacíficas-. Soy de Gascuña, cierto, y puesto que lo sabéis, no tendré necesidad de deciros que los gascones son poco sufridos; de suerte que cuando se han excusado una vez, aunque sea por una tontería, están convencidos de que ya han hecho más de la mitad de lo que debían hacer.

-Señor, lo que os digo - respondió Aramis-, no es para buscar pelea. A Dios gracias no soy un espadachín, y siendo sólo mosquetero por ínterin, sólo me bato cuando me veo obligado, y siempre con gran repugnancia; pero esta vez el asunto es grave, porque tenemos a una dama comprometida por vos. -Por nosotros querréis decir - exclamó D'Artagnan.

-¿Por qué habéis tenido la torpeza de devolverme el pañuelo?

-¿Por qué habéis tenido vos la de dejarlo caer?

-He dicho y repito, señor, que ese pañuelo no ha salido de mi bolsillo.

-¡Pues bien, mentís dos veces, señor, porque yo lo he visto salir de él!

-¡Ah, con que lo tomáis en ese tono, señor gascón! ¡Pues bien, yo os enseñaré a vivir!

-Y yo os enviaré a vuestra misa, señor abate. Desenvainad, si os place, y ahora mismo.

-No, por favor, querido amigo; no aquí, al menos. ¿No veis que estamos frente al palacio D'Aiguillon, que está lleno de criaturas del cardenal? ¿Quién me dice que no es Su Eminencia quien os ha encargado procurarle mi cabeza? Pero yo aprecio mucho mi cabeza, dado que creo que va bastante correctamente sobre mis hombros. Quiero mataros, estad tranquilo, pero mataros dulcemente, en un lugar cerrado y cubierto, allí donde no podáis jactaros de vuestra muerte ante nadie.

-Me parece bien, pero no os fiéis, y llevad vuestro pañuelo, os pertenezca o no; quizá tengáis ocasión de serviros de él.

-¿El señor es gascón? - preguntó Aramis.

-Sí. El señor no pospone una cita por prudencia.

-La prudencia, señor, es una virtud bastante inútil para los mosqueteros, lo sé, pero indispensable a las gentes de Iglesia; y como sólo soy mosquetero provisionalmente, tengo que ser prudente. A las dos tendré el honor de esperaros en el palacio del señor de Tréville. Allí os indicaré los buenos lugares.

Los dos jóvenes se saludaron, luego Aramis se alejó remontando la calle que subía al Luxemburgo, mientras D'Artagnan, viendo que la hora avanzaba, tomaba el camino de los Carmelitas Descalzos, diciendo para sí: -Decididamente, no puedo librarme; pero por lo menos, si soy muerto, seré muerto por un mosquetero.

Los mosqueteros del rey y los guardias del señor cardenal

D'Artagnan no conocía a nadie en París. Fue por tanto a la cita de Athos sin llevar segundo, resuelto a contentarse con los que hubiera escogido su adversario. Por otra parte tenía la intención formal de dar al valiente mosquetero todas las excusas pertinentes, pero sin debilidad, por temor a que resultara de aquel duelo algo que siempre resulta molesto en un asunto de este género, cuando un hombre joven y vigoroso se bate contra un adversario herido y debilitado: vencido, duplica el triunfo de su antagonista; vencedor, es acusado de felonía y de fácil audacia.

Por lo demás, o hemos expuesto mal el carácter de nuestro buscador de aventuras, o nuestro lector ha debido observar ya que D'Artagnan no era un hombre ordinario. Por eso, aun repitiéndose a sí mismo que su muerte era inevitable, no se resignó a morir suavemente, como cualquier otro menos valiente y menos moderado que él hubiera hecho en su lugar. Reflexionó sobre los distintos caracteres de aquellos con quienes iba a batirse, y empezó a ver más claro en su situación. Gracias a las leales excusas que le preparaba, esperaba hacer un amigo de Athos, cuyos aires de gran señor y cuya actitud austera le agradaron mucho. Se prometía meter miedo a Porthos con la aventura del tahalí, que, si no quedaba muerto en el acto, podía contar a todo el mundo, relato que, hábilmente manejado para ese efecto, debía cubrir a Porthos de ridículo; por último, en cuanto al socarrón de Aramis, no le tenía demasiado miedo, y suponiendo que llegase hasta él, se encargaba de despacharlo aunque parezca imposible, o al menos señalarle el rostro, como César había recomendado hacer a los soldados de Pompeyo, dañar para siempre aquella belleza de la que estaba tan orgulloso.

Además había en D'Artagnan ese fondo inquebrantable de resolución que habían depositado en su corazón los consejos de su padre, consejos cuya sustancia era: «No aguantar nada de nadie salvo del rey, del cardenal y del señor de Tréville.» Voló, pues, más que caminó, hacia el convento de los Carmelitas Descalzados, o mejor Descalzos, como se decía en aquella época, especie de construcción sin ventanas, rodeada de prados áridos, sucursal del Pré aux Clers, y que de ordinario servía para encuentros de personas que no tenían tiempo que perder.

Cuando D'Artagnan llegó a la vista del pequeño terreno baldío que se extendía al pie de aquel monasterio, Athos hacía sólo cinco minutos que esperaba, y daban las doce. Era por tanto puntual como la Samaritana y el más riguroso casuista en duelos no podría decir nada.

Athos, que seguía sufriendo cruelmente por su herida, aunque hubiera sido vendada a las nueve por el cirujano del señor de Tréville, estaba sentado sobre un mojón y esperaba a su adversario con aquella compostura apacible y aquel aire digno que no le abandonaban nunca. Al ver a D'Artagnan, se levantó y dio cortésmente algunos pasos a su encuentro. Este, por su parte, no abordó a su adversario más que con sombrero en mano y su pluma colgando hasta el suelo.

-Señor - dijo Athos-, he hecho avisar a dos amigos míos que me servirán de padrinos, pero esos dos amigos aún no han llegado. Me extraña que tarden: no es lo habitual en ellos.

-Yo no tengo padrinos, señor - dijo D'Artagnan-, porque, llegado ayer mismo a Paris, no conozco aún a nadie, salvo al señor de Tréville, al que he sido recomendado por mi padre, que tiene el honor de ser uno de sus pocos amigos.

Athos reflexionó un instante.

-¿No conocéis más que al señor de Tréville? - preguntó.

-No, señor, no conozco a nadie más que a él...

-¡Vaya..., pero... - prosiguió Athos hablando a medias para sí mismo, a medias para D'Artagnan-, vaya, pero si os mato daré la impresión de un traganiños!

-No demasiado, señor - respondió D'Artagnan con un saludo que no carecía de dignidad ; no demasiado, pues que me hacéis el honor de sacar la espada contra mí con una herida que debe molestaros mucho.

-Mucho me molesta, palabra, y me habéis hecho un daño de todos los diablos, debo decirlo; pero lucharé con la izquierda, es mi costumbre en semejantes circunstancias. No creáis por ello que os hago gracia, manejo limpiamente la espada con las dos manos; será incluso desventaja para vos: un zurdo es muy molesto para las personas que no están prevenidas. Lamento no haberos participado antes esta circunstancia.

-Señor - dijo D'Artagnan inclinándose de nuevo-, sois realmente de una cortesía por la que no os puedo quedar más reconocido.

-Me dejáis confuso - respondió Athos con su aire de gentilhombre ; hablemos pues de otra cosa, os lo suplico, a menos que esto os resulte desagradable. ¡Por todos los diablos! ¡Qué daño me habéis hecho! El hombro me arde...

-Si permitierais... - dijo D'Artagnan con timidez.

-¿Qué, señor?

-Tengo un bálsamo milagroso para las heridas, un bálsamo que me viene de mi madre, y que yo mismo he probado.

-¿Y?

-Pues que estoy seguro de que en menos de tres días este bálsamo os curará y al cabo de los tres días, cuando estéis curado, señor, sera para mí siempre un gran honor ser vuestro hombre.

D'Artagnan dijo estas palabras con una simplicidad que hacía honor a su cortesía, sin atentar en modo alguno contra su valor.

-¡Pardiez, señor! - dijo Athos-. Es esa una propuesta que me place, no que la acepte, pero huele a gentilhombre a una legua. Así es como hablaban y obraban aquellos valientes del tiempo de Carlomagno, en quienes todo caballero debe buscar su modelo. Desgraciadamente, no estamos ya en los tiempos del gran emperador. Estamos en la época del señor cardenal, y de aquí a tres días se sabría, por muy guardado que esté el secreto se sabría, digo, que debemos batirnos, y se opondrían a nuestro combate... Vaya, esos trotacalles ¿no acabarán de venir?

-Si tenéis prisa, señor - dijo D'Artagnan a Athos con la misma simplicidad con que un instante antes le había propuesto posponer el duelo tres días-, si tenéis prisa y os place despacharme en seguida, no os preocupéis, os lo ruego.

-Es esa una frase que me agrada - dijo Athos haciendo un gracioso gesto de cabeza a D'Artagnan-, no es propia de un hombre sin cabeza, y a todas luces lo es de un hombre valiente. Señor, me gustan los hombres de vuestro temple y veo que si no nos matamos el uno al otro, tendré más tarde verdadero placer en vuestra conversación. Esperemos a esos señores, os lo ruego, tengo tiempo, y será más correcto. ¡Ah, ahí está uno según creo!

En efecto, por la esquina de la calle de Vaugirard comenzaba a aparecer el gigantesco Porthos.

-¡Cómo! - exclamó D'Artagnan-. ¿Vuestro primer testigo es el señor Porthos? -Sí. ¿Os contraría?

-No, de ningún modo.

-Y ahí está el segundo.

D'Artagnan se volvió hacia el lado indicado por Athos y reconoció a Aramis.

-¡Qué! - exclamó con un acento más asombrado que la primera vez-. ¿Vuestro segundo testigo es el señor Aramis?

-Claro, ¿no sabéis que no se nos ve jamás a uno sin los otros, y que entre los mosqueteros y entre los guardias, en la corte y en la ciudad, se nos llama Athos, Porthos y Aramis o los tres inseparables? Bueno como vos llegáis de Dax o de Pau...

-De Tarbes - dijo D'Artagnan.

-...os está permitido ignorar este detalle - dijo Athos.

-A fe mía - dijo D'Artagnan-, que estáis bien llamados, señores, y mi aventura, si tiene alguna resonancia, probará al menos que vuestra unión no está fundada en el contraste.

Entre tanto Porthos se había acercado, había saludado a Athos con la mano; luego, al volverse hacia D'Artagnan, había quedado estupefacto.

Digamos de pasada que había cambiado de tahalí, y dejado su capa.

-¡Ah, ah! - exclamó-. ¿Qué es esto?

-Este es el señor con quien me bato - dijo Athos señalando con la mano a D'Artagnan, y saludándole con el mismo gesto.

-Con él me bato también yo - dijo Porthos.

-Pero a la una - respondió D'Artagnan.

-Y también yo me bato con este señor - dijo Aramis llegando a su vez al lugar.

-Pero a las dos - dijo D'Artagnan con la misma calma.

-Pero ¿por qué te bates tú, Athos? - preguntó Aramis.

-A fe que no lo sé demasiado; me ha hecho daño en el hombro. ¿Y tú, Porthos?

-A fe que me bato porque me bato - respondió Porthos enrojeciendo.

Athos, que no se perdía una, vio pasar una fina sonrisa por los labios del gascón.

-Hemos tenido una discusión sobre indumentaria - dijo el joven.

-¿Y tú, Aramis? - preguntó Athos.

-Yo me bato por causa de teología - respondió Aramis haciendo al mismo tiempo una señal a D'Artagnan con la que le rogaba tener en secreto la causa del duelo.

Athos vio pasar una segunda sonrisa por los labios de D'Artagnan.

-¿De verdad? - dijo Athos.

-Sí, un punto de San Agustín sobre el que no estamos de acuerdo - dijo el gascón.

-Decididamente es un hombre de ingenio - murmuró Athos.

-Y ahora que estáis juntos, señores - dijo D'Artagnan-, permitidme que os presente mis excusas.

A la palabra «excusas», una nube pasó por la frente de Athos, una sonrisa altanera se deslizó por los labios de Porthos, y una señal negativa fue la respuesta de Aramis.

-No me comprendéis, señores - dijo D'Artagnan alzando la cabeza, en la que en aquel momento jugaba un rayo de sol que doraba las facciones finas y osadas : os pido excusas en caso de que no pueda pagaros mi deuda a los tres, porque el señor Athos tiene derecho a matarme primero, lo cual quita mucho valor a vuestra deuda, señor Porthos, y hace casi nula la vuestra, señor Aramis. Y ahora, señores, os lo repito, excusadme, pero sólo de eso, ¡y en guardia!

A estas palabras, con el gesto más desenvuelto que verse pueda, D'Artagnan sacó su espada.

La sangre había subido a la cabeza de D'Artagnan, y en aquel momento habría sacado su espada contra todos los mosqueteros del reino, como acababa de hacerlo contra Athos, Porthos y Aramis.

Eran las doce y cuarto. El sol estaba en su cenit y el emplazamiento escogido para ser teatro del duelo estaba expuesto a todos sus ardores.

-Hace mucho calor - dijo Athos sacando a su vez la espada-, y sin embargo no podría quitarme mi jubón, porque todavía hace un momento he sentido que mi herida sangraba, y temo molestar al señor mostrándole sangre que no me haya sacado él mismo.

-Cierto, señor - dijo D'Artagnan-, y sacada por otro o por mí, os aseguro que siempre veré con pesar la sangre de un caballero tan valiente; por eso me batiré yo también con jubón como vos.

-Vamos, vamos - dijo Porthos-, basta de cumplidos, y pensad que nosotros esperamos nuestro turno.

-Hablad por vos solo, Porthos, cuando digáis semejantes incongruencias - interrumpió Aramis-. Por lo que a mí se refiere, encuentro las cosas que esos señores se dicen muy bien dichas y a todas luces dignas de dos gentileshombres.

-Cuando queráis, señor - dijo Athos poniéndose en guardia.

-Esperaba vuestras órdenes - dijo D'Artagnan cruzando el hierro.

Pero apenas habían resonado los dos aceros al tocarse cuando una cuadrilla de guardias de Su Eminencia, mandada por el señor de Jussac, apareció por la esquina del convento.

-¡Los guardias del cardenal! - gritaron a la vez Porthos y Aramis-. ¡Envainad las espadas, señores, envainad las espadas!

Pero era demasiado tarde. Los dos combatientes habían sido vistos en una postura que no permitía dudar de sus intenciones.

-¡Hola! - gritó Jussac avanzando hacia ellos y haciendo una señal a sus hombres de hacer otro tanto-. ¡Hola, mosqueteros! ¿Nos estamos batiendo? ¿Para qué queremos entonces los edictos?

-Sois muy generosos, señores guardias - dijo Athos lleno de rencor, porque Jussac era uno de los agresores de la antevíspera-. Si os viésemos batiros, os respondo de que nos guardaríamos mucho de impedíroslo. Dejadnos pues hacerlo, y podréis tener un rato de placer sin ningún gasto.

-Señores - dijo Jussac-, con gran pesar os declaro que es imposible. Nuestro deber ante todo. Envainad, pues, por favor, y seguidnos.

-Señor - dijo Aramis parodiando a Jussac-, con gran placer obedeceríamos vuestra graciosa invitación, si ello dependiese de nosotros; pero desgraciadamente es imposible: el señor de Tréville nos lo ha prohibido. Pasad, pues, de largo, es lo mejor que podéis hacer.

Aquella broma exasperó a Jussac.

-Cargaremos contra vosotros si desobedecéis.

-Son cinco - dijo Athos a media voz-, y nosotros sólo somos tres; seremos batidos y tendremos que morir aquí, porque juro que no volveré a aparecer vencido ante el capitán.

Entonces Porthos y Aramis se acercaron inmediatamente uno a otro, mientras Jussac alineaba a sus hombres.

Este solo momento bastó a D'Artagnan para tomar una decisión: era uno de esos momentos que deciden la vida de un hombre, había que elegir entre el rey y el cardenal; hecha la elección, había que perseverar en ella. Batirse, es decir, desobedecer la ley, es decir, arriesgar la cabeza, es decir, hacerse de un solo golpe enemigo de un ministro más poderoso que el rey mismo, eso es lo que vislumbró el joven y, digámoslo en alabanza suya, no dudó un segundo. Voviéndose, pues, hacia Athos y sus amigos dijo:

-Señores, añadiré, si os place, algo a vuestras palabras. Habéis dicho que no sois más que tres, pero a mí me parece que somos cuatro. -Pero vos no sois de los nuestros - dijo Porthos.

-Es cierto - respondió D'Artagnan ; no tengo el hábito, pero sí el alma. Mi corazón es mosquetero, lo siento de sobra, señor, y eso me entusiasma.

-Apartaos, joven - gritó Jussac, que sin duda por sus gestos y la expresión de su rostro había adivinado el designio de D'Artagnan-. Podéis retiraros, os lo permitimos. Salvad vuestra piel, de prisa.

D'Artagnan no se movió.

-Decididamente sois un valiente - dijo Athos apretando la mano del joven.

-¡Vamos, vamos, tomemos una decisión! - prosiguió Jussac.

-Veamos - dijeron Porthos y Aramis-, hagamos algo.

-El señor está lleno de generosidad - dijo Athos.

Pero los tres pensaban en la juventud de D'Artagnan y temían su inexperiencia.

-No seremos más que tres, uno de ellos herido, además de un niño - prosiguió Athos-, y no por eso dejarán de decir que éramos cuatro hombres.

-¡Sí, pero retroceder...! - dijo Porthos.

-Es difícil - añadió Athos.

D'Artagnan comprendió su falta de resolución.

-Señores, ponedme a prueba - dijo-, y os juro por mi honor que no quiero marcharme de aquí si somos vencidos.

-¿Cómo os llamáis, valiente? - dijo Athos.

-D'Artagnan, señor.

-¡Pues bien, Athos, Porthos, Aramis y D'Artagnan, adelante! - gritó Athos.

-¿Y bien? Veamos, señores, ¿os decidís a decidiros? - gritó por tercera vez Jussac.

-Está resuelto, señores - dijo Athos.

-¿Y qué decisión habéis tomado? - preguntó Jussac.

-Vamos a tener el honor de cargar contra vos - respondió Aramis, alzando con una mano su sombrero y sacando su espada con la otra.

-¡Ah! ¿Os resistís? - exclamó Jussac.

-¡Por todos los diablos! ¿Os sorprende?

Y los nueve combatientes se precipitaron unos contra otros con una furia que no excluía cierto método.

Athos cogió a un tal Cahusac, favorito del cardenal; Porthos tuvo a Biscarat y Aramis se vio frente a dos adversarios.

En cuanto a D'Artagnan, se encontró lanzado contra el mismo Jussac.

El corazón del joven gascón batía hasta romperle el pecho, no de miedo, a Dios gracias, del que no conocía siquiera la sombra, sino de emulación; se batía como un tigre furioso, dando vueltas diez veces en torno a su adversario, cambiando veinte veces sus guardias y su terreno. Jussac era, como se decía entonces, un enamorado de la espada, y la había practicado mucho; sin embargo, pasaba todos los apuros del mundo defendiéndose contra un adversario que, ágil y saltarín, se alejaba a cada momento de las reglas recibidas, atacando por todos los lados a la vez, y precaviéndose además como hombre que tiene el mayor respeto por su epidermis.

Por fin la lucha terminó por hacer perder la paciencia a Jussac. Furioso de ser tenido en jaque por aquel al que había mirado como a un niño, se calentó y comenzó a cometer errores. D'Artagnan que, a pesar de la práctica, poseía una profunda teoría, redobló la agilidad. Jussac, queriendo terminar, lanzó una terrible estocada a su adversario tirándose a fondo; pero éste paró primero, y mientras Jussac se ponía en pie, deslizándose como una serpiente bajo su acero, le pasó su espada a través del cuerpo. Jussac cayó como una mole.

D'Artagnan lanzó entonces una mirada inquieta y rápida sobre el campo de batalla.

Aramis había matado ya a uno de sus adversarios; pero el otro le acosaba vivamente. Sin embargo, Aramis estaba en buena situación y aún podía defenderse.

Biscarat y Porthos acababan de hacer un golpe doble: Porthos había recibido una estocada atravesándole el brazo, y Biscarat atravesándole el muslo. Pero como ninguna de las dos heridas era grave, no se batían sino con más encarnizamiento.

Athos, herido de nuevo por Cahusac, palidecía a ojos vistas, pero no retrocedía un ápice: se había limitado a cambiar de mano su espada, y se batía con la izquierda.

Según las leyes del duelo de esa época, D'Artagnan podía socorrer a uno; mientras buscaba con los ojos qué compañero tenía necesidad de su ayuda sorprendió una mirada de Athos. Aquella mirada era de una elocuencia sublime. Athos moriría antes que pedir socorro; pero podía mirar, y con la mirada pedir apoyo. D'Artagnan lo adivinó, dio un salto terrible y cayó sobre el flanco de Cahusac gritando:

-¡A mí, señor guardia, que yo os mato!

Cahusac se volvió, justo a tiempo. Athos, a quien sólo su extremado valor sostenía, cayó sobre una rodilla.

-¡Maldita sea! - gritó a D'Artagnan-. ¡No lo matéis, joven, os lo suplico; tengo un viejo asunto que terminar con él cuando esté curado y con buena salud! Desarmadle solamente, quitadle la espada. ¡Eso es, bien, muy bien!

Esta exclamación le había sido arrancada a Athos por la espada de Cahusac, que saltaba a veinte pasos de él. D'Artagnan y Cahusac se lanzaron a la vez, uno para recuperarla, el otro para apoderarse de ella; pero D'Artagnan, más rápido llegó el primero y puso el pie encima.

Cahusac corrió hacia aquel de los guardias que había matado Aramis, se apoderó de su acero y quiso volver a D'Artagnan; pero en su camino se encontró con Athos, que durante aquella pausa de un instante que le había procurado D'Artagnan había recuperado el aliento y que, por temor a que D'Artagnan le matase a su enemigo, quería volver a empezar el combate.

D'Artagnan comprendió que sería contrariar a Athos no dejarle actuar. En efecto, algunos segundos después, Cahusac cayó con la garganta atravesada por una estocada.

En ese mismo instante, Aramis apoyaba su espada contra el pecho de su adversario derribado, y le forzaba a pedir merced.

Quedaban Porthos y Biscarat: Porthos hacía mil fanfarronadas preguntando a Bicarat qué hora podía ser, y le felicitaba por la compañía que acababa de obtener su hermano en el regimiento de Navarra; pero, mientras bromeaba, nada ganaba. Biscarat era uno de esos hombres de hierro que no caen más que muertos.

Sin embargo, había que terminar. La ronda podía llegar y prender a todos los combatientes, heridos o no, realistas o cardenalistas. Athos, Aramis y D'Artagnan rodearon a Biscarat y le conminaron a rendirse. Aunque solo contra todos y con una estocada que le atravesaba el muslo, Biscarat quería seguir; pero Jussac, que se había levantado sobre el codo, le gritó que se rindiera. Biscarat era gascón como D'Artagnan; hizo oídos sordos y se contentó con reír, y entre dos quites, encontrando tiempo para dibujar con la punta de su espada un lugar en el suelo, dijo parodiando un versículo de la Biblia:

-Aquí morirá Biscarat, el único de los que están con él!

-Pero están cuatro contra ti; acaba, te lo ordeno.

-¡Ah! Si lo ordenas, es distinto - dijo Biscarat ; como eres mi brigadier, debo obedecer.

Y dando un salto hacia atrás, rompió la espada sobre su rodilla para no entregarla, arrojó los trozos por encima de la tapia del convento y se cruzó de brazos silbando un motivo cardenalista.

La bravura siempre es respetada, incluso en un enemigo. Los mosqueteros saludaron a Biscarat con sus espadas y las devolvieron a la vaina. D'Artagnan hizo otro tanto, y luego, ayudado por Biscarat, el único que había quedado en pie, llevó bajo el soportal del convento a Jussac, Cahusac y a aquel de los adversarios de Aramis que sólo había sido herido. El cuarto, como ya hemos dicho, estaba muerto. Luego hicieron sonar la campana y llevando cuatro de las cinco espadas se encaminaron ebrios de alegría hacia el palacio del señor de Tréville.

Se les veía con los brazos entrelazados, ocupando todo lo ancho de la calle, y agrupando tras sí a todos los mosqueteros que encontraban, por lo que, al fin, aquello fue una marcha triunfal. El corazón de D'Artagnan nadaba en la ebriedad, caminaba entre Athos y Porthos apretándolos con ternura. -Si todavía no soy mosquetero - dijo a sus nuevos amigos al franquear la puerta del palacio del señor de Tréville-, al menos ya soy aprendiz, ¿no es verdad?

Su majestad el rey Luis XIII

El suceso hizo mucho ruido. El señor de Tréville bramó en voz alta contra sus mosqueteros, y los felicitó en voz baja; pero como no había tiempo que perder para prevenir al rey el señor de Tréville se apresuró a dirigirse al Louvre. Era demasiado tarde, el rey se hallaba encerrado con el cardenal, y dijeron al señor de Tréville que el rey trabajaba y que no podía recibir en aquel momento. Por la noche, el señor de Tréville acudió al juego del rey. El rey ganaba, y como su majestad era muy avaro, estaba de excelente humor; por ello, cuando el rey vio de lejos a Tréville, dijo:

-Venid aquí, señor capitán, venid que os riña; ¿sabéis que Su Eminencia ha venido a quejárseme de vuestros mosqueteros, y ello con tal emoción que esta noche Su Eminencia está enfermo? ¡Pero, bueno, vuestros mosqueteros son incorregibles, son gentes de horca!

-No, Sire respondió Tréville, que vio a la primera ojeada cómo iban a desarrollarse las cosas ; no, todo lo contrario, son buenas criaturas, dulces como corderos, y que no tienen más que un deseo, de eso me hago responsable: y es que su espada no salga de la vaina más que para el servicio de Vuestra Majestad. Pero, qué queréis, los guardias del señor cardenal están buscándoles pelea sin cesar, y por el honor mismo del cuerpo los pobres jóvenes se ven obligados a defenderse.

-¡Escuchad al señor de Tréville! - dijo el rey-. ¡Escuchadle! ¡Se diría que habla de una comunidad religiosa! En verdad, mi querido capitán, me dan ganas de quitaros vuestro despacho y dárselo a la señorita de Chemerault, a quien he prometido una abadía. Pero no penséis que os creeré sólo por vuestra palabra. Me llaman Luis el Justo, señor de Tréville, y ahora mismo lo veremos.

-Porque me fío de esa justicia, Sire, esperaré paciente y tranquilo el capricho de Vuestra Majestad.

-Esperad pues, señor, esperad - dijo el rey-, no os haré esperar mucho.

En efecto, la suerte cambiaba, y como el rey empezaba a perder lo que había ganado, no era difícil encontrar un pretexto para hacer - perdónesenos esta expresión de jugador, cuyo origen, lo confesamos, lo desconocemos - para hacer el carlomagno. El rey se levantó, pues, al cabo de un instante y, metiendo en su bolsillo el dinero que tenía ante sí y cuya mayor parte procedía de su ganancia, dijo:

-La Vieuville, tomad mi puesto, tengo que hablar con el señor de Tréville por un asunto de importancia... ¡Ah!..., yo tenía ochenta luises ante mí; poned la misma suma, para que quienes han perdido no tengan motivos de queja. La justicia ante todo.

Luego, volviéndose hacia el señor de Tréville y caminando con él hacia el vano de una ventana, continuó:

-Y bien, señor, vos decís que son los guardias de la Eminentísima los que han buscado pelea a vuestros mosqueteros.

-Sí, Sire, como siempre.

-Y ¿cómo ha ocurrido la cosa? Porque como sabéis, mi querido capitán, es preciso que un juez escuche a las dos partes.

-Dios mío, de la forma más simple y más natural. Tres de mis mejores soldados, a quienes Vuestra Majestad conoce de nombre y cuya devoción ha apreciado más de una vez, y que tienen, puedo afirmarlo al rey, su servicio muy en el corazón; tres de mis mejores soldados, digo, los señores Athos, Porthos y Aramis, habían hecho una excursión con un joven cadete de Gascuña que yo les había recomendado aquella misma mañana. La excursión iba a tener lugar en SaintGermain, según creo, y se habían citado en los Carmelitas Descalzos, cuando fue perturbada por el señor de Jussac y los señores Cahusac, Biscarat y otros dos guardias que ciertamente no venían allí en tan numerosa compañía sin mala intención contra los edictos.

-¡Ah, ah!, me dais que pensar - dijo el rey ; sin duda iban para batirse ellos mismos.

-No los acuso, Sire, pero dejo a Vuestra Majestad apreciar qué pueden ir a hacer cuatro hombres armados a un lugar tan desierto como lo están los alrededores del convento de los Carmelitas.

-Sí, tenéis razón, Tréville, tenéis razón.

-Entonces, cuando vieron a mis mosqueteros, cambiaron de idea y olvidaron su odio particular por el odio de cuerpo; porque Vuestra Majestad no ignora que los mosqueteros, que son del rey y nada más que para el rey, son los enemigos de los guardias, que son del señor cardenal.

-Sí, Tréville, sí - dijo el rey melancólicamente-, y es muy triste, creedme, ver de este modo dos partidos en Francia, dos cabezas en la realeza; pero todo esto acabará, Tréville, todo esto acabará. Decís, pues, que los guardias han buscado pelea a los mosqueteros.

-Digo que es probable que las cosas hayan ocurrido de este modo, pero no lo juro, Sire. Ya sabéis cuán difícil de conocer es la verdad, y a menos de estar dotado de ese instinto admirable que ha hecho llamar a Luis XIII el Justo...

-Y tenéis razón, Tréville, pero no estaban solos vuestros mosqueteros, ¿no había con ellos un niño?

-Sí, Sire, y un hombre herido, de suerte que tres mosqueteros del rey, uno de ellos herido, y un niño no solamente se han enfrentado a cinco de los más terribles guardias del cardenal, sino que aun han derribado a cuatro por tierra.

-Pero ¡eso es una victoria! - exclamó el rey radiante-. ¡Una victoria completa!

-Sí, Sire, tan completa como la del puente de Cé.

-¿Cuatro hombres, uno de ellos herido y otro un niño decís?

-Un joven apenas hombre, que se ha portado tan perfectamente en esta ocasión que me tomaré la libertad de recomendarlo a Vuestra Majestad.

-¿Cómo se llama?

-D'Artagnan, Sire. Es hijo de uno de mis más viejos amigos; el hijo de un hombre que hizo con el rey vuestro padre, de gloriosa memoria, la guerra partidaria.

-¿Y decís que se ha portado bien ese joven? Contadme eso, Tréville; ya sabéis que me gustan los relatos de guerra y combate.

Y el rey Luis XIII se atusó orgullosamente su mostacho poniéndose en jarras.

-Sire - prosiguió Tréville-, como os he dicho, el señor D'Artagnan es casi un niño, y como no tiene el honor de ser mosquetero, estaba vestido de paisano; los guardias del señor cardenal, reconociendo su gran juventud, y que además era extraño al cuerpo, le invitaron a retirarse antes de atacar.

-¡Ah! Ya veis, Tréville - interrumpió el rey-, que son ellos los que han atacado.

-Exactamente, Sire; sin ninguna duda; le conminaron, pues, a retirarse, pero él respondió que era mosquetero de corazón y todo él de Su Majestad, y que por eso se quedaría con los señores mosqueteros.

-¡Bravo joven! - murmuró el rey.

-Y en efecto, permanció a su lado; y Vuestra Majestad tiene a un campeón tan firme que fue él quien dio a Jussac esa terrible estocada que encoleriza tanto al señor cardenal.

-¿Fue él quien hirió a Jussac? - exclamó el rey - ¡El, un niño! Eso es imposible, Tréville.

-Ocurrió como tengo el honor de decir a Vuestra Majestad.

-¡Jussac, uno de los primeros aceros del reino!

-¡Pues bien, Sire, ha encontrado su maestro!

-Quiero ver a ese joven, Tréville, quiero verlo, y si se puede hacer algo, pues bien, nosotros nos ocuparemos.

-¿Cuándo se dignará recibirlo Vuestra Majestad?

-Mañana a las doce, Tréville.

-¿Lo traigo solo?

-No, traedme a los cuatro juntos. Quiero darles las gracias a todos a la vez; los hombres adictos son raros, Tréville, y hay que recompensar la adhesión.

-A las doce, Sire, estaremos en el Louvre.

-¡Ah! Por la escalera pequeña, Tréville, por la escalera pequeña. Es inútil que el cardenal sepa...

-Sí, Sire.

-¿Comprendéis, Tréville? Un edicto es siempre un edicto; está prohibido batirse a fin de cuentas.

-Pero ese encuentro, Sire, se sale a todas luces de las condiciones ordinarias de un duelo: es una riña, y la prueba es que eran cinco guardias del cardenal contra mis tres mosqueteros y el señor D'Artagnan.

-Exacto - dijo el rey ; pero no importa, Tréville; de todas formas, venid por la escalera pequeña.

Tréville sonrió. Pero como era ya mucho para él haber obtenido que aquel niño se revolviese contra su maestro, saludó respetuosamen al rey, y con su licencia se despidió de él.

Aquella misma tarde los tres mosqueteros fueron advertidos del honor que se les había concedido. Como conocían desde hacia tiempo al rey, no se enardecieron demasiado; pero D'Artagnan, con su imaginación gascona, vio venir su fortuna y pasó la noche haciendo sueños dorados. Por eso, a las ocho de la mañana estaba en casa de Athos.

D'Artagnan encontró al mosquetero completamente vestido y dispuesto a salir. Como la cita con el rey no era hasta las doce, había proyectado con Porthos y Aramis ir a jugar a la pelota a un garito situado al lado de las caballerizas del Luxemburgo. Athos invitó a D'Artagn a seguirlos, y pese a su ignorancia de aquel juego, al que nunca ha jugado, éste aceptó, sin saber qué hacer de su tiempo desde las nueve de la mañana que apenas eran hasta las doce.

Los dos mosqueteros hablan llegado ya y peloteaban juntos. Athos, que era muy aficionado a todos los ejercicios corporales, pasó con D'Artagnan al lado opuesto, y los desafió. Pero al primer movimiento que intentó, aunque jugaba con la mano derecha, comprendió que su herida era demasiado reciente aún para permitirle semejante ejercicio. D'Artagnan se quedó, pues, solo, y como declaró que era demasiado torpe para sostener un partido en regla, continuaron enviando solamente pelotas sin contar los tantos. Pero una de aquellas pelotas, lanzada por el puño hercúleo de Porthos, pasó tan cerca del rostro de D'Artagnan que pensó que, si en lugar de pasarle de lado, le hubiera dado, su audiencia se habría probablemente perdido, dado que le hubiera sido del todo imposible presentarse ante el rey. Y como, según su imaginación gascona, de aquella audiencia dependía todo su porvenir, saludó cortésmente a Porthos y Aramis, declarando que no proseguirla la partida sino cuando estuviera en situación de hacerles frente, y se volvió para situarse junto a la soga y en la galería.

Por desgracia para D'Artagnan, entre los espectadores se encontraba un guardia de Su Eminencia, el cual, todo enardecido aun por la derrota de sus compañeros, y llegado la víspera solamente, se había prometido aprovechar la primera ocasión de vengarla. Creyó, pues, que la ocasión había llegado y, dirigiéndose a su vecino, dijo:

-No es sorprendente que ese joven tenga miedo de una pelota, es sin duda un aprendiz de mosquetero.

D'Artagnan se volvió como si una serpiente lo hubiera mordido y miró fijamente al guardia que acababa de decir aquella insolente frase.

-¡Pardiez! - prosiguió aquél rizándose insolentemente el mostacho-. Miradme cuanto queráis, mi querido señor, he dicho lo que he dicho.

-Y como lo que habéis dicho está demasiado claro para que vuestras palabras necesiten una explicación - respondió D'Artagnan en voz baja-, os ruego que me sigáis.

-Y eso, ¿cuándo? - preguntó el guardia con el mismo aire burlón.

-Ahora mismo, si os place.

-Y ¿sabéis por casualidad quién soy?

-Lo ignoro completamente, y no me inquieta.

-Pues os equivocáis, porque si supieseis mi nombre, quizá no tuvierais tanta prisa.

-¿Cómo os llamáis?

-Bernajoux, para serviros.

-Pues bien, señor Bernajoux - dijo tranquilamente D'Artagnan-, voy a esperaros a la puerta.

-Id, señor, os sigo.

-No os apresuréis, señor, que no se den cuenta de que salimo juntos; comprended que, para lo que vamos a hacer, demasiada gente nos molestaría.

-Está bien - respondió el guardia asombrado de que su nombre no hubiera producido más efecto sobre el joven.

En efecto, el nombre de Bernajoux era conocido de todo el mundo, a excepción quizá de D'Artagnan solamente; porque era uno de esos que figuraba la mayoría de las veces en las riñas cotidianas que todos los edictos del rey y del cardenal no habían podido reprimir.

Porthos y Aramis estaban tan ocupados con su partido y Athos los miraba con tanta atención que no vieron siquiera salir a su joven compañero, que, como había dicho al guardia de Su Eminencia, se detuvo en la puerta; un momento después, éste bajaba a su vez. Como D'Artagnan no tenía tiempo que perder, dado que la audiencia del rey estaba fijada para las doce, echó una ojeada en torno suyo y, viendo que la calle estaba desierta, dijo a su adversario:

-A fe mía que, aunque os llaméis Bernajoux, es una suerte para vos tener que habérosla sólo con un aprendiz de mosquetero; pero tranquilizaos, lo haré lo mejor que pueda. ¡En guardia!

-Pero - dijo aquel a quien D'Artagnan provocaba de ese modo- me parece que el lugar está bastante mal escogido, y que estaríam mejor detrás de la abadía de Saint Germain o en el Pré aux Clercs.

-Lo que decís está muy puesto en razón - respondió D'Artagnan ; desgraciadamente, no me sobra el tiempo, tengo una cita a las doce en punto. ¡En guardia, pues, señor, en guardia!

Bernajoux no era hombre para hacerse repetir dos veces semejate cumplido. En el mismo instante su espada brilló en su mano y lanzó sobre su adversario al que, gracias a su gran juventud, espera intimidar.

Pero D'Artagnan había hecho la víspera su aprendizaje, y recién salido de su victoria, todo henchido de su futuro favor, había resuelto no retroceder un paso; por eso los dos aceros se encontraron metidos hasta las guardas, y como D'Artagnan se mantenía firme en su puesto fue su adversario el que dio un paso en retirada. Pero D Artagnan aprovechó el momento en que, en ese movimiento, el acero de Bernajoux se desviaba de la línea, libró, se lanzó a fondo y tocó a su adversa en el hombro. En seguida D'Artagnan dio un paso hacia atrás a su vez y levantó su espada; pero Bernajoux le gritó que no era nada, y tirándose ciegamente sobre él, se ensartó él mismo. Sin embargo, como no caía, como no se declaraba vencido, sino que sólo se iba acercando hacia el palacio del señor de la Trémouille a cuyo servicio tenía un pariente, D'Artagnan, ignorando él mismo la gravedad de la última herida que su adversario había recibido, le acosaba vivamente, y sin duda lo iba a rematar de una tercera estocada cuando, habiéndose extendido el rumor que se alzaba en la calle hasta el juego de pelota, dos de los amigos del guardia, que le habían oído intercambiar algunas palabras con D'Artagnan y que le habían visto salir a raíz de aquellas palabras, se precipitaron espada en mano fuera del garito y cayeron sobre el vencedor. Pero al momento Athos, Porthos y Aramis aparecieron a su vez, y en el momento en que los guardias atacaban a su joven camarada, los forzaron a volverse. En aquel momento Bernajoux cayó; y como los guardias eran sólo dos contra cuatro, se pusieron a gritar: «¡A nosotros, palacio de la Trémouille!» A estos gritos, todos los que había en el palacio salieron, abalazándose sobre los cuatro compañeros que por su parte se pusieron a gritar: «¡A nosotros, mosqueteros! »

Este grito era atendido con frecuencia; porque se sabía a los mosqueteros enemigos de su Eminencia, y se los amaba por el odio que sentían hacia el cardenal. Por eso los guardias de otras compañías distintas a las que pertenecían al duque Rojo, como lo había llamado Aramis, por lo general tomaban partido en esta clase de querellas por los mosqueteros del rey. De tres guardias de la compañía del señor Des Essarts que pasaban, dos vinieron, pues, en ayuda de los cuatro compañeros, mientras el otro corría al palacio del señor de Tréville, gritando: «iA nosotros, mosqueteros, a nosotros!». Como de costumbre, el palacio del señor de Tréville estaba lleno de soldados de esa arma, que acudieron en socorro de sus camaradas. La refriega se hizo general, pero la fuerza estaba del lado de los mosqueteros: los guardias del cardenal y las gentes del señor de La Trémouille se retiraron al palacio, cuyas puertas cerraron justo a tiempo para impedir que sus enemigos hicieran irrupción a la vez que ellos. En cuanto al herido, había sido transportado dentro al principio y, como hemos dicho, en muy mal estado.

La agitación llegaba a su colmo entre los mosqueteros y sus aliados, y se deliberaba ya si, para castigar la insolencia que habían tenido los criados del señor de La Trémouille de hacer una salida contra los mosqueteros del rey, no se prendería fuego a su palacio. La proposición había sido hecha y acogida con entusiasmo cuando afortunadamente sonaron las once; D'Artagnan y sus compañeros se acordaron de su audiencia y, como habrían sentido que se diera un golpe tan hermoso sin ellos, consiguieron calmar los ánimos. Se contentaron, pues, con arrojar algunos adoquines contra las puertas, pero las puertas resistieron; entonces se cansaron; por otro lado, aquellos que debían ser mirados como cabecillas de la empresa habían abandonado hacía un instante el grupo y se encaminaban hacia el palacio del señor de Tréville, que los esperaba, al corriente ya de esta algarada.

-Deprisa, al Louvre - dijo-, al Louvre sin perder un instante, y tratemos de ver al rey antes de que sea prevenido por el cardenal; nosotros le contaremos las cosas como una continuación del asunto de ayer, y los dos pasarán juntos.

El señor de Tréville, acompañado de los cuatro jóvenes, se encaminó pues hacia el Louvre; pero, para gran asombro del capitán de los mosqueteros, le anunciaron que el rey habla ido a montería del ciervo en el bosque de Saint Germain. El señor de Tréville se hizo repetir dos veces aquella nueva, y a cada vez sus compañeros vieron su rostro ensombrecerse.

-¿Acaso Su Majestad - preguntó - tenía desde ayer el proyecto de esta cacería?

-No, Excelencia - respondió el ayuda de cámrara-. Ha sido el montero mayor el que ha venido a anunciarle esta mañana que la pasada noche habían apartado un ciervo para él. Al principio respondió que no iría, luego no ha sabido resistir al placer que le proponía esa caza, y después de comer ha partido.

-¿Ha visto el rey al cardenal? - preguntó el señor de Tréville.

-Lo más probable - respondió el ayuda de cámara-, porque esta mañana he visto los caballos de carroza de Su Eminencia, he preguntado dónde iba, y me han contestado: «A Saint Germain».

-Estamos prevenidos - dijo el señor de Tréville-. Señores, veré al rey esta noche; en cuanto a vos, os aconsejo no arriesgaros.

El aviso era demasiado razonable y sobre todo venía de un hombre que conocía demasiado bien al rey para que los cuatro jóvenes trataran de discutirlo. El señor de Tréville les invitó pues a volver cada uno a su alojamiento y a esperar sus noticias.

Al entrar en su palacio, el señor de Tréville pensó que había que tomar la delantera quejándose el primero. Envió a uno de sus criados a casa del señor de La Trémouille con una carta en la que rogaba echar fuera de su casa al guardia del señor cardenal, y reprender a su gentes por la audacia que habían tenido de hacer una salida contra los mosqueteros. Pero el señor de La Trémouille, ya prevenido por su escudero, del que, como se sabe, Bernajoux era pariente, le hizo responder que no correspondía ni al señor de Tréville ni a sus mosqueteros quejarse, sino más bien al contrario, a él, contra cuyas gentes habían cargado los mosqueteros y cuyo palacio habían querido quemar. Como el debate entre estos dos señores habría podido durar largo tiempo, porque cada uno debía, naturalmente, mantenerse en sus trece, al señor de Tréville se le ocurrió un expediente que tenía por meta acabar con todo, y era ir a buscar él mismo al señor de La Trémouille.

Se dirigió; pues, en seguida a su palacio, y se hizo anunciar.

Los dos señores se saludaron cortésmente, ya que, si no había amistad entre ellos, había al menos estima. Los dos eran personas de ánimo y de honor, y como el señor de La Trémouille, protestante y que sólo veía rara vez al rey, no era de ningún partido, no llevaba por lo general a sus relaciones sociales prevención alguna. Aquella vez, sin embargo, su acogida, aunque cortés, fue más fría que de costumbre.

-Señor - dijo el señor de Tréville-, ambos creemos tener motivo de queja uno del otro, y yo mismo he venido para que juntos saquemos este asunto a la luz.

-De buen grado - respondió el señor de La Trémouille-, pero os prevengo que estoy bien informado, y toda la culpa es de vuestros mosqueteros.

-Sois un hombre demasiado justo y demasiado razonable, señor - dijo el señor de Tréville-, para no aceptar la propuesta que voy a haceros.

-Hacedla, señor, os escucho.

-¿Cómo se encuentra el señor Bernajoux, el pariente de vuestro escudero?

-Pues muy mal, séñor. Además de la estocada que ha recibido en el brazo y que no es nada peligrosa, ha pescado otra que le ha atravesado el pulmón, al punto de que el médico dice tristes cosas.

-Pero ¿ha conservado el herido su conocimiento?

-Perfectamente.

-¿Habla?

-Con dificultad, pero habla.

-Pues bien, señor, vayamos a su lado; conjurémosle, en nombre del Dios ante el que quizá va a ser llamado, a decir la verdad. Le tomo por juez de su propia causa, señor, y lo que diga lo creeré.

El señor de La Trémouille reflexionó un instante; luego, como era difícil hacer una proposición más razonable, aceptó.

Ambos bajaron a la habitación donde estaba el enfermo. Este, al ver entrar a estos dos nobles señores que venían a visitarlo, trató de levantarse en el lecho, pero estaba demasiado débil y, agotado por el esfuerzo que había hecho, volvió a caer casi sin conocimiento.

El señor de La Trémouille se acercó a él y le hizo respirar sales que le devolvieron a la vida. Entonces el señor de Tréville, no queriendo que se le pudiese acusar de haber influenciado al enfermo, invitó al señor de La Trémouille a interrogarle él mismo.

Lo que había previsto el señor de Tréville ocurrió. Colocado entre la vida y la muerte como Bernajoux estaba, no tuvo siquiera la idea de callar un instante la verdad; contó a los dos señores las cosas exactamente tal como habían ocurrido.

Era todo lo que quería el señor de Tréville; deseó a Bernajoux una pronta convalecencia, se despidió del señor de La Trémouille, volvió a su palacio e hizo avisar a los cuatro amigos que les esperaba a cenar.

El señor de Tréville recibía a muy buena compañía, por supuesto anticardenalista. Se comprende, pues, que la conversación girase durante toda la cena sobre los dos fracasos que acababan de sufrir los guardias de Su Eminencia. Y como D'Artagnan había sido el héroe de aquellas dos jornadas, fue sobre él sobre el que cayeron todas las felicitaciones, que Athos, Porthos y Aramis le dejaron no sólo como buenos amigos sino como hombres que habían tenido con bastante frecuencia su vez para dejarle a él la suya.

Hacia las seis, el señor de Tréville anunció que se veía obligado a ir al Louvre; pero como la hora de la audiencia concedida por Su Majestad había pasado, en lugar de solicitar la entrada por la escalera pequeña, se plantó con los cuatro hombres en la antecámara. El rey no había vuelto aún de caza. Nuestros jóvenes hacía apenas media hora que esperaban, mezclados con el gentío de los cortesanos, cuando todas las puertas se abrieron y se anunció a Su Majestad.

A este anuncio, D'Artagnan se sintió temblar hasta la médula de los huesos. El instante que iba a seguir debía, con toda probabilidad, decidir el resto de su vida. Por eso sus ojos se fijaron con angustia en la puerta por la que debía entrar el rey.

Luis XIII apareció marchando el primero; iba vestido con el traje de caza, lleno de polvo aún, con botas altas y con la fusta en la mano. A la primera ojeada, D'Artagnan juzgó que el ánimo del rey se hallaba en plena tormenta.

Esta disposición, por visible que fuera en Su Majestad, no impidió a los cortesanos alinearse a su paso: en las antecámaras reales más vale ser visto con mirada irritada que no ser visto en absoluto. Los tres mosqueteros no titubearon pues y dieron un paso hacia adelante, mientras que D'Artagnan por el contrario permaneció oculto tras ellos; pero aunque el rey conocía personalmente a Athos, Porthos y Aramis, pasó ante ellos sin mirarlos, sin hablarles y como si jamás los hubiera visto. En cuanto al señor de Tréville, cuando los ojos del rey se detuvieron un instante sobre él, sostuvo aquella mirada con tanta firmeza que fue el rey quien apartó la vista; tras ello, siempre mascullando, Su Majestad volvió a sus habitaciones.

-Las cosas van mal - dijo Athos sonriendo-, y todavía no nos harán caballeros de la orden esta vez.

-Esperad aquí diez minutos - dijo el señor de Tréville-, y si al cabo de diez minutos no me veis salir, regresad a mi palacio, porque será inútil que me esperéis más tiempo.

Los cuatro jóvenes esperaron diez minutos, un cuarto de hora, veinte minutos; y viendo que el señor de Tréville no aparecía, se fueron muy inquietos por lo que fuera a suceder.

El señor de Tréville había entrado osadamente en el gabinete del rey, y había encontrado a Su Majestad de muy mal humor, sentado en un sillón y golpeando sus botas con el mango de su fusta, cosa que no le había impedido pedirle con la mayor flema noticias de su salud.

-Mala, señor, mala - respondió el rey-, me aburro.

En efecto, era la peor enfermedad de Luis XIII, quien a menudo tomaba a uno de sus cortesanos, lo atraía a una ventana y le decía: Señor tal, aburrámonos juntos.

-¡Cómo! ¡Vuestra Majestad se aburre! - dijo el señor de Tréville-. ¿Acaso no ha recibido placer hoy de la caza?

-¡Vaya placer, señor! Todo degenera, a fe mía, y no sé si es la caza la que no tiene ya rastro o son los perros los que no tienen nariz. Lanzamos un ciervo de diez años, lo corremos durante seis horas, y cuando está a punto de ser cogido, cuando Saint Simon pone ya la trompa en su boca para hacer sonar el alalí, icrac!, toda la jauría se deja engañar y se lanza sobre un cervato. Como veis me veré obligado a renunciar a la montería como he renunciado a la caza de vuelo. ¡Ay, soy un rey muy desgraciado, señor de Tréville! No tenía más que un gerifalte y se murió anteayer.

-En efecto, Sire, comprendo vuestra desesperación, y la desgracia es grande; pero según creo os queda todavía un buen número de halcones, gavilanes y terzuelos.

-Y ningún hombre para instruirlos; los halconeros se van, sólo yo conozco ya el arte de la montería. Después de mí todo estará dicho, y se cazará con armadijos, cepos y trampas. ¡Si tuviera tiempo todavía de formar alumnos! Pero sí, el señor cardenal está que no me deja un momento de reposo, que me habla de España, que me habla de Austria, que me habla de Inglaterra. ¡Ah!, a propósito del señor cardenal, señor de Tréville, estoy descontento de vos.

El señor de Tréville esperaba al rey en este esguince. Conocía al rey de mucho tiempo atrás; había comprendido que todas sus lamentaciones no eran más que un prefacio, una especie de excitación para alentarse a sí mismo, y que era a donde había llegado por fin a donde quería venir.

-¿Y en qué he sido yo tan desafortunado para desagradar a Vuestra Majestad? - preguntó el señor de Tréville fingiendo el más profundo asombro.

-¿Así es como hacéis vuestra tarea señor? - prosiguió el rey sin responder directamente a la pregunta del señor de Tréville-. ¿Para eso es para lo que os he nombrado capitán de mis mosqueteros, para que asesinen a un hombre, amotinen todo un barrio y quieran incendiar Paris sin que vos digáis una palabra? Pero por lo demás –continuó el rey-, sin duda me apresuro a acusaros, sin duda los perturbadores están en prisión y vos venís a anunciarme que se ha hecho justicia.

-Sire - respondió tranquilamente el señor de Tréville-, vengo por el contrario a pedirla.

-¿Y contra quién? - exclamó el rey.

-Contra los calumniadores - dijo el señor de Tréville.

-¡Vaya, eso sí que es nuevo! - prosiguió el rey-. ¿No iréis a decirme que esos tres malditos mosqueteros, Athos, Porthos y Aramis y vuestro cadete de Béarn no se han arrojado como furias sobre el pobre Bernajoux y no lo han maltratado de tal forma que es probable que esté a punto de fallecer? ¿No iréis a decir luego que no han asediado el palacio del duque de La Trémouille, ni que no han querido quemarlo? Cosa que no habría sido gran desgracia en tiempo de guerra, dado que es un nido de hugonotes, pero que en tiempo de paz es un ejemplo molesto. Decid, ¿vais a negar todo esto?

-¿Y quién os ha hecho ese hermoso relato, Sire? - preguntó tranquilamente el señor de Tréville.

-¿Quién me ha hecho ese hermoso relato, señor? ¿Y quién queréis que sea, si no aquel que vela cuando yo duermo, que trabaja cuando yo me divierto, que lleva todo dentro y fuera del reino, tanto en Francia como en Europa?

-Su majestad quiere hablar de Dios, sin duda - dijo el señor de Tréville-, porque no conozco más que a Dios que esté por encima de Su Majestad.

-No, señor; me refiero al sostén del Estado, a mi único servidor, a mi único amigo, al señor cardenal.

-Su eminencia no es Su Santidad, Sire.

-¿Qué queréis decir con eso, señor?

-Que no hay nadie más que el papa que sea infalible, y que esa infalibilidad no se extiende a los cardenales.

-¿Queréis decir que me engaña, queréis decir que me traiciona? Entonces le acusáis. Veamos, decid, confesad francamente de qué le acusáis.

-No, Sire, pero digo que se equivoca; digo que ha sido mal informado; digo que se ha apresurado a acusar a los mosqueteros de Vuestra Majestad, para con los que es injusto, y que no ha ido a sacar sus informes de buena fuente.

-La acusación viene del señor de La Trémouille, del duque mismo. ¿Qué respondéis a eso?

-Podría responder, Sire, que está demasiado interesado en la cuestión para ser un testigo imparcial; pero lejos de eso, Sire, tengo al duque por un gentilhombre, y me remito a él, pero con una condición, Sire.

-¿Cuál?

-Que Vuestra Majestad le haga venir, le interrogue pero por sí misma, frente a frente, sin testigos, y que yo vea a Vuestra Majestad tan pronto como haya recibido al duque.

-¡Claro que sí! - dijo el rey-. ¿Y vos os remitís a lo que diga el señor de La Trémouille? -Sí, Sire.

-¿Aceptáis su juicio?

-Indudablemente.

-¿Y os someteréis a las reparaciones que exija?

-Totalmente.

-¡La Chesnaye! - gritó el rey-. ¡La Chesnaye!

El ayuda de cámara de confianza de Luis XIII, que permanecía siempre a la puerta, entró.

-La Chesnaya - dijo el rey-, que vayan inmediatamente a buscarme al señor de La Trémouille; quiero hablar con él esta noche.

-¿Vuestra Majestad me da su palabra de que no verá a nadie entre el señor de Trémouille y yo?

-A nadie, palabra de gentilhombre.

-Hasta mañana entonces, Sire.

-Hasta mañana, señor.

-¿A qué hora, si le place a Vuestra Majestad?

-A la hora que queráis. -Pero si vengo demasiado de madrugada temo despertar a Vuestra Majestad.

-¿Despertarme? ¿Acaso duermo? Yo no duermo ya, señor; sueño algunas cosas, eso es todo. Venid, pues, tan pronto como queráis, a las siete; pero ¡ay de vos si vuestros mosqueteros son culpables!

-Si mis mosqueteros son culpables, Sire, los culpables serán puestos en manos de Vuestra Majestad, que ordenará de ellos lo que le plazca. ¿Vuestra Majestad exige alguna cosa más? Que hable, estoy dispuesto a obedecerla.

-No, señor, no, y no sin motivo se me ha llamado Luis el Justo. Hasta mañana pues, señor, hasta mañana.

-Dios guarde hasta entonces a Vuestra Majestad.

Aunque poco durmió el rey, menos durmió aún el señor de Tréville; había hecho avisar aquella misma noche a sus tres mosqueteros y a su compañero para que se encontrasen en su casa a las seis y media de la mañana. Los llevó con él sin afirmarles nada, sin prometerles nada, y sin ocultarles que el favor de ellos y el suyo propio estaba en manos del azar.

Llegado al pie de la pequeña escalera, les hizo esperar. Si el rey seguía irritado contra ellos, se alejarían sin ser vistos; si el rey consentía en recibirlos, no habría más que hacerlos llamar.

Al llegar a la antecámara particular del rey, el señor de Tréville encontró a La Chesnaye, quien le informó de que no habían encontrado al duque de La Trémouille la noche de la víspera en su palacio, que había regresado demasiado tarde para presentarse en el Louvre, que acababa de llegar y que estaba en aquel momento con el rey.

Esta circunstancia plugo mucho al señor de Tréville, que así estuvo seguro de que ninguna sugerencia extraña se deslizaría entre la deposición de La Trémouille y él.

En efecto, apenas habían transcurrido diez minutos cuando la puerta del gabinete se abrió y el señor de Tréville vio salir al duque de La Trémouille, el cual vino a él y le dijo:

-Señor de Tréville, Su Majestad acaba de enviarme a buscar para saber cómo sucedieron las cosas ayer por la mañana en mi palacio. Le he dicho la verdad, es decir, que la culpa era de mis gentes, y que yo estaba dispuesto a presentaros mis excusas. Puesto que os encuentro, dignaos recibirlas y tenerme siempre por uno de vuestros amigos.

-Señor duque - dijo el señor de Tréville-, estaba tan lleno de confianza en vuestra lealtad que no quise junto a Su Majestad otro defensor que vos mismo. Veo que no me había equivocado, y os agradezco que haya todavía en Francia un hombre de quien se puede decir sin engañarse lo que yo he dicho de vos.

-¡Está bien, está bien! - dijo el rey, que había escuchado todos estos cumplidos entre las dos puertas-. Sólo que decidle, Tréville, puesto que se quiere uno de vuestros amigos, que yo también quisiera ser uno de los suyos, pero que me descuida; que hace ya tres años que no le he visto, y que sólo lo veo cuando le mando buscar. Decidle todo eso de mi parte, porque son cosas que un rey no puede decir por sí mismo.

-Gracias, Sire, gracias - dijo el duque ; pero que Vuestra Majestad esté seguro de que no suelen ser los más adictos, y no lo digo por el señor de Tréville, aquellos que ve a todas horas del día.

-¡Ah! Habéis oído lo que he dicho; tanto mejor, duque, tanto mejor - dijo el rey adelantándose hasta la puerta-. ¡Ay sois vos, Tréville! ¿Dónde están vuestros mosqueteros? Anteayer os había dicho que me los trajeseis. ¿Por qué no lo habéis hecho?

-Están abajo, Sire, y con vuestra licencia La Chesnaye va a decirles que suban.

-Sí, sí, que vengan en seguida; van a ser las ocho y a las nueve espero una visita. Id, señor duque, y volved sobre todo. Entrad Tréville.

El duque saludó y salió. En el momento en que abría la puerta, los tres mosqueteros y D'Artagnan, conducidos por La Chesnaye, aparecían en lo alto de la escalera.

-Venid, mis valientes - dijo el rey-, venid; tengo que reñiros.

Los mosqueteros se aproximaron inclinándose; D'Artagnan les siguió detrás.

-¡Diablos! - continuó el rey-. Entre vosotros cuatro, ¡siete guardias de Su Eminencia puestos fuera de combate en dos días! Es demasiado, señores, es demasiado. A esta marcha, Su Eminencia se verá obligado a renovar su compañía dentro de tres semanas, y yo a hacer aplicar los edictos en todo rigor. Uno por casualidád, no digo que no; pero siete en dos días, lo repito, es demasiado, es muchísimo.

-Por eso, Sire, Vuestra Majestad ve que vienen todo contritos y todo arrepentidos a presentaros excusas.

-¡Todo contritos y todo arrepentidos! ¡Hum! - dijo el rey-. No me fío una pizca de sus caras hipócritas; hay ahí detrás, sobre todo, una cara de gascón. Venid aquí, señor.

D'Artagnan, que comprendió que era a él a quien se dirigía el cumplido, se acercó adoptando su aspecto más desesperado.

-Bueno, pero ¿no me decíais que era un joven? ¡Si es un niño, señor de Tréville, un verdadero niño! ¿Y ha sido él quien ha dado esa ruda estocada a Jussac?

-Y las dos bellas estocadas a Bernajoux.

-¿De verdad?

-Sin contar - dijo Athos-, que si no me hubiera sacado de las manos de Biscarat, a buen seguro no habría tenido yo el honor de hacer en este momento mi más humilde reverencia a Vuestra Majestad.

-¡Pero entonces este bearnés es un verdadero demonio! Voto a los clavos, señor de Tréville, como habría dicho el rey mi padre. En este oficio, se deben agujerear muchos jubones y romper muchas espadas. Pero los gascones suelen ser pobres, ¿no es asî?

-Sire, debo decir que aún no se han encontrado minas de oro en sus montañas, aunque el Señor les deba de sobra ese milagro en recompensa por la forma en que apoyaron las pretensiones del rey vuestro padre.

-Lo cual quiere decir que son los gascones los que me han hecho rey a mí mismo, dado que yo soy el hijo de mi padre, ¿no es así, Tréville? Pues bien, sea en buena hora, no digo que no. La Chesnaye, id a ver si, hurgando en todos mis bolsillos, encontráis cuarenta pistolas; y si las encontráis, traédmelas. Y ahora, veamos, joven, con la mano en el corazón, ¿cómo ocurrió?

D'Artagnan contó la aventura de la víspera en todos sus detalles: cómo no habiendo podido dormir de la alegría que experimentaba por ver a Su Majestad, había llegado al alojamiento de sus amigos tres horas antes de la audiencia; cómo habían ido juntos al garito, y cómo por el temor que había manifestado de recibir un pelotazo en la cara, había sido objeto de la burla de Bernajoux, que había estado a punto de pagar aquella burla con la pérdida de la vida, y el señor de La Trémouille, que en nada se había mezclado, con la pérdida de su palacio.

-Está bien eso - murmuró el rey ; sí, así es como el duque me lo ha contado. ¡Pobre cardenal! Siete hombres en dos días, y de los más queridos; pero basta ya, señores, ¿me entendéis? Es bastante; os habéis tomado vuestra revancha por lo de la calle Férou, y más; debéis estar satisfechos.

-Si Vuestra Majestad lo está - dijo Tréville-, nosotros lo estamos.

-Sí, lo estoy - añadió el rey tomando un puñado de oro de la mano de La Chesnaye y poniéndolo en la de D'Artagnan-. He aquí, dijo, una prueba de mi satisfacción.

En esa época, las ideas de orgullo que son de recibo en nuestros días apenas estaban aún de moda. Un gentilhombre recibía de mano a mano dinero del rey, y no por ello se sentía humillado en nada. D'Artagnan puso, pues, las cuarenta pistolas en su bolso sin andarse con melindres y agradeciéndoselo mucho por el contrario a Su Majestad.

-¡Bueno! - dijo el rey, mirando su péndola-. Bueno, y ahora que son ya las ocho y media, retiraos; porque, ya os lo he dicho, espero a alguien a las nueve. Gracias por vuestra adhesión, señores. Puedo contar con ella, ¿no es cierto?

-¡Oh, Sire! - exclamaron a una los cuatro compañeros-. Nos haríamos cortar en trozos por Vuestra Majestad.

-Bien, bien, pero permaneced enteros; es mejor, y me seréis más útiles. Tréville - añadió el rey a media voz mientras los otros se retiraban-, como no tenéis plaza en los mosqueteros y como, además, para entrar en ese cuerpo hemos decidido que había que hacer un noviciado, colocad a ese joven en la compañía de los guardias del señor Des Essarts, vuestro cuñado. ¡Ah, pardiez, Tréville! Me regocijo con la mueca que va a hacer el cardenal; estará furioso, pero me da lo mismo; estoy en mi derecho.

Y el rey saludó con la mano a Tréville, que salió y vino a reunirse con sus mosqueteros, a los que encontró repartiendo con D'Artagnan las cuarenta pistolas.

Y el cardenal, como había dicho Su Majestad, se puso efectivamente furioso, tan furioso que durante ocho días abandonó el juego del rey, lo cual no impedía al rey ponerle la cara más encantadora del mundo, y todas las veces que lo encontraba preguntarle con su voz más acariciadora:

-Y bien, señor cardenal, ¿cómo van ese pobre Bernajoux y ese pobre Jussac, que son vuestros?

Los mosqueteros por dentro

Cuando D'Artagnan estuvo fuera del Louvre y hubo consultado a sus amigos sobre el empleo que debía hacer de su parte de las cuarenta pistolas, Athos le aconsejó que encargase una buena comida en la Pomme de Pin, Porthos que tomase un lacayo, y Aramis que se echase una amante conveniente.

La comida se celebró aquel mismo día, y el lacayo sirvió la mesa. La comida había sido encargada por Athos y el lacayo proporcionado por Porthos. Era un picardo al que el glorioso mosquetero había contratado aquel mismo día y para esta ocasión en el puente de la Tournelle, mientras hacía círculos al escupir en el agua.

Porthos había pretendido que tal ocupación era prueba de una organización reflexiva y contemplativa, y lo había llevado sin más recomendación. La gran cara de aquel gentilhombre, a cuya cuenta se creyó contratado, había seducido a Planchet - tal era el nombre del picardo ; hubo en él una ligera decepción cuando vio que el puesto estaba ya ocupado por un cofrade llamado Mosquetón y cuando Porthos le hubo manifestado que la situación de su casa, aunque grande, no soportaba dos criados, y que tenía que entrar al servicio de D'Artagnan. Sin embargo, cuando asistió a la comida que daba su amo y le vio sacar para pagar un puñado de oro de su bolsillo, creyó labrada su fortuna y agradeció al cielo haber caído en posesión de semejante Creso; perseveró en esa opinion hasta después del festín, con cuyas sobras reparó largas abstinencias. Pero al hacer aquella noche la cama de su amo, las quimeras de Planchet se desvanecieron. La cama era lo único del alojamiento, que se componía de una antecámara y de un dormitorio. Planchet se acostó en la antecámara sobre una colcha sacada del lecho de D'Artagnan, de la que D'Artagnan prescindió en adelante.

Athos, por su parte, tenía un criado que había hecho ingresar a su servicio de una forma muy particular, y que se llamaba Grimaud. Era muy silencioso aquel digno señor. Hablamos de Athos, por supuesto. Desde hacía cinco o seis años vivía en la más profunda intimidad con sus compañeros Athos y Aramis, los cuales recordaban haberle visto sonreír a menudo, pero jamás le habían oído reír. Sus palabras eran breves y expresivas, diciendo siempre lo que querían decir, nada más: nada de adornos, nada de florituras, nada de arabescos. Su conversación era un hecho sin ningún episodio.

Aunque Athos apenas tuviera treinta años y fuese de gran belleza de cuerpo y espíritu, nadie le conocía amantes. Jamás hablaba de mujeres. Sólo que no impedía que se hablase de ellas delante de él, aunque fuera fácil ver que tal género de conversación, al que no se mezclaba más que con palabras amargas y observaciones misantrópicas, le era completamente desagradable. Su reserva, su hurañía y su mutismo hacían de él casi un viejo; para no ir contra sus costumbres había habituado a Grimaud a obedecerle a un simple gesto o a un simple movimiento de labios. No le hablaba más que en las circunstancias supremas.

A veces, Grimaud, que temía a su amo como al fuego, teniendo a la vez por su persona un gran apego y por su genio una gran veneración, creía haber entendido perfectamente lo que deseaba, se apresuraba para ejecutar la orden recibida y hacía precisamente lo contrario. Entonces Athos se encogía de hombros y sin encolerizarse vapuleaba a Grimaud. Esos días hablaba un poco.

Porthos, como se habrá podido ver, tenía un carácter completamente opuesto al de Athos: no sólo hablaba mucho, sino que hablaba a voz en grito; poco le importaba por otro lado, hay que hacerle justicia, que se le escuchase o no; hablaba por el placer de hablar y por el placer de oírse; hablaba de todo salvo de ciencias, alegando a este respecto el odio inveterado que desde su infancia tenía, segun decía, a los sabios. Tenía menos estilo que Athos, y el sentimiento de su inferioridad a este respecto a menudo le había hecho, desde el comienzo de su relación, injusto con ese gentilhombre, al que se había esforzado por superar con sus espléndidos trajes. Pero con una simple casaca de mosquetero y sólo por su forma de echar atrás la cabeza y dar un paso, Athos ocupaba en el mismo instante el sitio que le era debido y relegaba al fastuoso Porthos a segunda fila. Porthos se consolaba llenando la antecámara del señor de Tréville y los cuerpos de guardia del Louvre con el estruendo de sus aventuras galantes, de las que Athos no hablaba nunca; y por el momento, tras haber pasado de la nobleza de ropa a la nobleza de espada, de la fontanera a la baronesa, no había para Porthos otra cosa que una princesa extranjera que le quería una enormidad.

Un viejo proverbio dice: «A tal amo, tal criado.» Pasemos, pues, del criado de Athos al criado de Porthos, de Grimaud a Mosquetón.

Mosquetón era un normando a quien su amo había cambiado el pacífico nombre de Boniface por el infinitamente más sonoro y belicoso de Mosquetón. Había entrado al servicio de Porthos a condición de ser vestido y alojado solamente, pero de modo magnífico; no exigía más que dos horas diarias para consagrarlas a una industria que debía bastarle a satisfacer sus demás necesidades. Porthos había aceptado el trato: la cosa iba de maravilla. Hacía cortar para Mosquetón jubones de sus vestidos viejos y de sus capas de repuesto, y gracias a un sastre muy inteligente que le ponía sus pingajos como nuevos dándoles la vuelta, y de cuya mujer se sospechaba que quería hacer descender a Porthos de sus costumbres aristocráticas, Mosquetón hacía muy buena figura detrás de su amo.

En cuanto a Aramis, cuyo carácter creemos haber expuesto suficientemente - carácter que, por lo demás, como el de sus compañeros, podremos seguir en su desarrollo-, su lacayo se llamaba Bazin. Debido a la esperanza que su amo tenía de recibir un día las órdenes, iba vestido siempre de negro, como debe estarlo el servidor de un eclesiástico. Era un hombre del Berry, de treinta y cinco a cuarenta años, dulce, apacible, regordete, que ocupaba los ocios que su amo le dejaba leyendo obras pías, haciendo si acaso para dos una cena de pocos platos pero excelente. Por lo demás, era mudo, ciego, sordo y de una fidelidad a toda prueba.

Ahora que conocemos, aunque no sea más que superficialmente, a amos y criados, pasemos a las viviendas ocupadas por cada uno de ellos.

Athos vivía en la calle Férou, a dos pasos del Luxemburgo; su alojamiento se componía de dos pequeñas habitaciones, muy decentemente amuebladas, en una casa adornada, cuya hospedera aún joven y realmente todavía bella le ponía inútilmente ojos de cordera. Algunos retazos de un gran esplendor pasado se manifestaba aquí y allá en las paredes de este modesto alojamiento: era, por ejemplo, una espada, ricamente damasquinada, que remontaba por la forma a los tiempos de Francisco I y cuya empuñadura solamente, incrustada de piedras preciosas, podía valer doscientas pistolas y que sin embargo, en sus momentos de mayor penuria, Athos no había consentido nunca en empeñar ni en vender. Aquella espada había sido durante mucho tiempo la ambición de Porthos. Porthos habría dado diez años de su vida por poseer aquella espada.

Cierto día que tenía una cita con una duquesa, trató incluso de pedirla en préstamo a Athos. Athos, sin decir nada, vació sus bolsillos, amontonó todas sus joyas: bolsas, cordones y cadenas de oro, y ofreció todo a Porthos; pero en cuanto a la espada, le dijo, estaba empotrada en su sitio y sólo debía dejarlo cuando su amo abandonara su alojamiento. Además de su espada, había también un retrato que representaba a un señor de los tiempos de Enrique III, vestido con la mayor elegancia, y que llevaba la encomienda del Santo Espíritu, y este retrato tenía con Athos ciertos parecidos de líneas, ciertas similitudes de familia que indicaban que aquel gran señor, caballero de órdenes del rey, era su antepasado.

Finalmente, un cofre de magnífica orfebrería, con las mismas armas que la espada y el retrato, hacía un juego de chimenea que se daba de patadas espantosamente con el resto de los adornos. Athos llevaba siempre consigo la llave de aquel cofre. Pero cierto día lo había abierto delante de Porthos, y Porthos había podido asegurarse de que el cofre no contenía más que cartas y papeles: cartas de amor y papeles de familia sin duda.

Porthos vivía en un piso muy amplio y de aparencia suntuosa, en la calle del Vieux Colombier. Cada vez que pasaba con un amigo por delante de sus ventanas, en una de las cuales Mosquetón estaba siempre vestido con gran librea, Porthos alzaba la cabeza y la mano y decía: ¡He ahí mi mansión! Pero jamás se le encontraba en casa, jamás invitaba a nadie a subir, y nadie podía hacerse una idea de lo que aquella suntuosa apariencia encerraba de riquezas reales.

En cuanto a Aramis, habitaba un pequeño piso compuesto por un gabinete un comedor y un dormitorio, dormitorio que, situado como el resto del alojamiento en la planta baja, daba a un pequeño jardín lozano, verde, umbroso a impenetrable a los ojos del vecindario.

En cuanto a D'Artagnan, ya sabemos cómo se había alojado y ya hemos trabado conocimientos con su lacayo, maese Planchet.

D'Artagnan, que era muy curioso por naturaleza, como lo son por lo demás las personas que tienen el genio de la intriga, hizo cuantos esfuerzos pudo por saber lo que eran realmente Athos, Porthos y Aramis; porque bajo esos nombres de guerra, cada uno de los jóvenes ocultaba sus nombres de gentilhombre, Athos sobre todo, que olía a gran señor a la legua. Se dirigió, pues, a Porthos para informarse sobre Athos y Aramis, y a Aramis para conocer a Porthos.

Por desgracia, el propio Porthos no sabía de la vida de su silencioso camarada más de lo que había dejado traslucir. Se decía que había tenido grandes fracasos en sus aventuras amorosas, y que una horrible traición había envenenado para siempre la vida de aquel hombre galante. ¿Cuál era esa traición? Todos lo ignoraban.

En cuanto a Porthos, a excepción de su verdadero nombre, que sólo el señor de Tréville sabía, así como el de sus dos camaradas, su vida era fácil de conocer. Vanidoso a indiscreto, se veía a su través como a través de un cristal. Lo único que hubiera podido despistar al investigador habría sido creerse todo lo bueno que él mismo decía de sí.

En cuanto a Aramis, pese a su aire de no tener ningún secreto, era - muchacho todo adobado en misterios, que respondía poco a las preguntas que se le hacían sobre los otros, y eludía aquellas que se le hacían sobre él. Un día, D'Artagnan, después de haberle interrogado largo tiempo sobre Porthos y haberse enterado del rumor que corría sobre las aventuras galantes del mosquetero con una princesa, quiso saber a qué atenerse sobre las aventuras de su interlocutor.

-Y vos, querido compañero - le dijo-, ¿vos qué habláis de las baronesas, de las condesas y de las princesas de los demás?

-Perdón - interrumpió Aramis-, he hablado porque el propio Porthos habla de ellas, porque ha gritado todas esas hermosas cosas delante de mí. Pero, mi querido señor D'Artagnan, creed que, si las hubiera recibido de otra fuente, o si me hubieran sido confiadas, no habría habido confesor más discreto que yo.

-No lo dudo - prosiguió D'Artagnan ; pero, en fin, me parece que vos mismo tenéis bastante familiaridad con los escudos de armas: testigo, cierto pañuelo bordado al que debo el honor de vuestro conocimiento.

Aramis aquella vez no se enfadó, sino que adoptó su aire más modesto y respondió afectuosamente:

-Querido, no olvidéis que quiero ser de iglesia - y que huyo de todas las ocasiones mundanas. Aquel pañuelo que visteis en modo alguno me había sido confiado; había sido olvidado en mi casa por uno de mis amigos. Tuve que recogerlo para no comprometerlos, a él y a la dama a la que ama. En cuanto a mí, no tengo ni quiero tener amantes, siguiendo en esto el ejemplo muy juicioso de Athos, que no las tiene más que yo.

-Pero, ¡qué diablos!, no sois abad, dado que sois mosquetero.

-Mosquetero por ínterin, querido, como dice el cardenal, mosquetero contra mi gusto, pero hombre de iglesia en el corazón, creedme. Athos y Porthos me metieron ahí para entretenerme: tuve, en el momento de ser ordenado, una pequeña dificultad con... Pero esto apenas os interesa, y os robo un tiempo precioso.

-Nada de eso, me interesa mucho - exclamó D'Artagnan-, y por ahora no tengo absolutamente nada que hacer.

-Sí, pero yo tengo que rezar mi breviario - respondió Aramis-, después de componer algunos versos que me ha pedido la señora D'Aiguillon; luego debo pasar por la calle Saint Honoré, para comprar carmín para la señora de Chevreuse. Como veis, querido amigo, si nada os apremia, yo estoy muy apremiado.

Y Aramis tendió afectuosamente la mano a su joven compañero, y se despidió de él.

Por más esfuerzos que hizo, D'Artagnan no pudo saber más sobre sus tres nuevos amigos. Tomó, pues, la decisión de creer para el presente todo cuanto se decía de su pasado, esperando revelaciones más serias y más amplias del porvenir. Mientras tanto, consideró a Athos como a un Aquiles, a Porthos como a un Ayax, y a Aramis como a un José.

Por lo demás, la vida de los cuatro jóvenes era alegre. Athos jugaba, y siempre con mala fortuna. Sin embargo, jamás pedía prestado un céntimo a sus amigos, aunque su bolsa estuviera sin cesar a su servicio; y cuando había apostado sobre su palabra, siempre hacía despertar a su acreedor a la seis de la mañana para pagarle su deuda de la víspera.

Porthos tenía rachas: esos días, si ganaba, se le veía insolente y espléndido; si perdía, desaparecía por completo durante algunos días, al cabo de los cuales reaparecía con el rostro descolorido y mal gesto, pero con dinero en sus bolsillos.

En cuanto a Aramis, no jugaba jamás. Pero era el peor mosquetero y el invitado más desagradable que se pudiese ver. Tenía siempre que trabajar. A veces, en medio de una comida, cuando todos con la incitación del vino y el calor de la conversación, creían que había aún para dos o tres horas de permanencia en la mesa, Aramis miraba a su reloj, se levantaba con una graciosa sonrisa y se despedía de la compañía para ir, decía él, a consultar a un casuista con el que tenía cita. Otras veces regresaba a su alojamiento para escribir una tesis y rogaba a sus amigos no distraerle.

Entonces Athos sonreía con aquella encantadora sonrisa melancólica que tan bien sentaba a su noble figura, y Porthos bebía jurando que Aramis no sería nunca más que un cura de aldea.

Planchet, el criado de D'Artagnan, soportó noblemente la buena fortuna; recibía treinta sous diarios, y durante un mes venía al alojamiento alegre como un pinzón y afable con su amo. Cuando el viento de la adversidad comenzó a soplar sobre la pareja de la calle des Fossayeurs, es decir, cuándo las cuarenta pistolas del rey Luis XIII fueron comidas o casi, comenzó con quejas que Athos encontró nauseabundas Porthos indecentes y Aramis ridículas. Athos aconsejó, pues, a D'Ártágnan despedir al bribón; Porthos quería que antes lo apaleara, y Aramis pretendió que un amo no debía oír más que los cumplidos que se hacen de él.

-Es muy fácil para vos decir eso - dijo D'Artagnan ; a vos, Athos, que vivís mudo con Grimaud, que le prohibís hablar y que, por tanto, no tenéis nunca malas palabras con él; a vos, Porthos, que lleváis un tren magnífico y que sois un dios para vuestro criado Mosquetón, y a vos finalmente, Aramis, que siempre distraído por vuestros estudios teológicos, inspiráis un profundo respeto a vuestro servidor Bazin, hombre dulce y religioso; pero yo, que no tengo ni consistencia ni recursos, yo, que no soy mosquetero ni siquiera guardia, yo, ¿qué haré yo para inspirar cariño, temor o respeto a Planchet?

-La cosa es grave - respondieron los tres amigos ; es un asunto interno; con los criados ocurre como con las mujeres, hay que ponerlos en seguida en el sitio que uno desea que permanezcan. Reflexionad, pues.

D'Artagnan reflexionó y se decidió por vapulear a Planchet provisionalmente, cosa que fue ejecutada con la conciencia que D’Artagnan ponía en todo; luego, después de haberlo vapuleado bien, le prohibió abandonar su servicio sin su permiso. Porque, añadió, el porvenir no me puede fallar; espero inevitablemente tiempos mejores. Tu fortuna está, pues, hecha si te quedas a mi lado, y yo soy demasiado buen amo para privarte de tu fortuna concediéndote el despido que me pides.

Esta manera de actuar infundió en los mosqueteros mucho respeto hacia la política de D'Artagnan, Planchet quedó igualmente admirado y no habló más de irse.

La vida de los cuatro jóvenes se había hecho común; D'Artagnan, que no tenía ningún hábito, puesto que llegaba de su provincia y caía en medio de un mundo totalmente nuevo para él, tomó por eso los hábitos de sus amigos.

Se levantaban hacia las ocho en invierno, hacia las seis en verano, y se iban a recibir órdenes y a ver cómo iban los asuntos del señor de Tréville. D'Artagnan, aunque no fuese mosquetero, hacía el servicio con una puntualidad conmovedora: estaba siempre de guardia, porque siempre hacía compañía a aquel de sus tres amigos que montaba la suya. Se le conocía en el palacio de los mosqueteros y todos le tenían por un buen camarada; el señor de Tréville, que le había apreciado a la primera ojeada y que le tenía verdadero afecto, no cesaba de recomendarlo al rey.

Por su parte, los tres mosqueteros querían mucho a su joven camarada. La amistad que unía a aquellos cuatro hombres, y la necesidad de verse tres o cuatro veces por día, bien para un duelo, bien para asuntos, bien por placer, les hacían correr sin cesar a unos tras otros como sombras; y se encontraba siempre a los inseparables buscándose del Luxemburgo a la plaza Saint Sulpice, o de la calle del Vieux-Colombier al Luxemburgo.

Mientras tanto, las promesas del señor de Tréville seguían su curso. Un buen día, el rey ordenó al señor caballero Des Essarts tomar a D'Artagnan como cadete en su compáñía de guardias. D'Artagnan endosó suspirando aquel uniforme que hubiera querido trocar, al precio de diez años de su existencia, por la casaca de mosquetero. Pero el señor de Tréville prometió aquel favor tras un noviciado de dos años, noviciado que podía ser abreviado por otra parte si se le presentaba a D'Artagnan ocasión de hacer algún servicio al rey o de acometer alguna acción brillante. D'Artagnan se retiró con esta promesa y desde el día siguiente comenzó su servicio.

Entonces fue cuando les llegó a Athos, Porthos y Aramis el turno de montar guardia con D'Artagnan cuando estaba de guardia. La compañía del señor caballero Des Essarts tomó así cuatro hombres en lugar de uno el día en que tomó a D'Artagnan.

Una intriga de corte

Sin embargo, las cuarenta pistolas del rey Luis XIII, como todas las cosas de este mundo, después de haber tenido un comienzo habían tenido un fin, y a partir de ese fin nuestros cuatro compañeros habían caído en apuros. Al principio Athos sostuvo durante algún tiempo a la asociación con sus propios dineros. Le había sucedido Porthos. y gracias a una de esas desapariciones a las que estaban habituados. durante casi quince días había subvenido aún a las necesidades de todos; por fin había llegado la vez de Aramis, que había cumplido de buena gana, y que, según decía, vendiendo sus libros de teología había logrado procurarse algunas pistolas.

Entonces, como de costumbre, recurrieron al señor de Tréville, que dio algunos adelantos sobre el sueldo; pero aquellos adelantos no podían llevar muy lejos a tres mosqueteros que tenían muchas cuentas atrasadas, y a un guardia que no las tenía siquiera.

Finalmente, cuando se vio que iba a faltar de todo, se reunieron en un último esfuerzo ocho o diez pistolas que Porthos jugó. Desgraciadamente, estaba en mala vena: perdió todo, además de veinticinco pistolas sobre palabra.

Entonces los apuros se convirtieron en penuria: se vio a los hambrientos seguidos de sus lacayos correr las calles y los cuerpos de guardia, trincando de sus amigos de fuera todas las cenas que pudieron encontrar; porque, siguiendo la opinión de Aramis, en la prosperidad había que sembrar comidas a diestro y siniestro para recoger algunas en la desgracia.

Athos fue invitado cuatro veces y llevó cada vez a sus amigos con sus criados. Porthos tuvo seis ocasiones a hizo lo propio con sus camaradas; Aramis tuvo ocho. Era un hombre que, como se habrá podido comprender, hacía poco ruido y mucha tarea.

En cuanto a D'Artagnan, que no conocía aún a nadie en la capital, no halló más que un desayuno de chocolate en casa de un cura de su región, y una cena en casa de un corneta de los guardias. Llevó su ejército a casa del cura, a quien devoraron sus provisiones de dos meses, y a casa del corneta, que hizo maravillas; pero, como decía Planchet, sólo se come una vez, aunque se coma mucho.

D'Artagnan se encontró, pues, bastante humillado por no tener mas que una comida y media - porque el desayuno en casa del cura no podía contar más que por media comida - que ofrecer a sus compañeros a cambio de los festines que se habían procurado Athos, Porthos y Aramis. Se creía en deuda con la sociedad, olvidando, en su buena fe completamente juvenil, que él había alimentado a aquella compañía durante un mes, y su espíritu inquieto se puso a trabajar activamente. Reflexionó que aquella coalición de cuatro hombres jóvenes, valientes, emprendedores y activos debía tener otra meta que paseos contoneándose, lecciones de esgrima y bromas más o menos ingeniosas.

En efecto, cuatro hombres como ellos, cuatro hombres consagrados unos a otros desde la bolsa hasta la vida, cuatro hombres apoyándose siempre, sin retroceder nunca, ejecutando aisladamente o juntos las resoluciones adoptadas en común: cuatro brazos amenazando los cuatro puntos cardinales o volviéndose hacia un solo punto debían inevitablemente, bien de modo subterráneo, bien a la luz, bien a cara descubierta, bien mediante labor de zapa, bien por la astucia, bien por la fuerza, abrirse camino hacia la meta que quisieran alcanzar, por más prohibida o alejada que estuviese. Lo único que asombraba a D'Artagnan es que sus compañeros no hubieran pensado esto.

El sí, él lo pensaba, y seriamente incluso, estrujándose el cerebro para encontrar dirección a aquella fuerza única multiplicada por cuatro, con la que no dudaba que, como con la palanca que buscaba Arquímedes, se podía levantar el mundo, cuando llamaron suavemente a la puerta. D'Artagnan despertó a Planchet y le ordenó ir a abrir.

Que de la frase, «D'Artagnan despertó a Planchet», el lector no vaya a suponer que era de noche o que aún no había llegado el día. ¡No! Acababan de sonar las cuatro. Planchet, dos horas antes, había venido a pedir de cenar a su amo, que le respondió con el refrán: «Quien duerme come». Y Planchet comía durmiendo.

Fue introducido un hombre de cara bastante simple y que tenía aspecto de burgués.

De buena gana hubiera querido Planchet, para postre, oír la conversación; pero el burgués declaró a D'Artagnan que por ser importante y confidencial lo que tenía que decirle deseaba permanecer a solas con él.

D'Artagnan despidió a Planchet e hizo sentarse a su visitante.

Hubo un momento de silencio durante el cual los dos hombres se miraron para establecer un conocimiento previo, tras lo cual D'Artagnan se inclinó en señal de que escuchaba.

-He oído hablar del señor D'Artagnan como de un joven muy valiente - dijo el burgués-, y esa reputación de que goza con motivo me ha decidido a confiarle un secreto.

-Hablad, señor, hablad - dijo D'Artagnan, que por instinto olfateó algo ventajoso.

El burgués hizo una nueva pausa y continuó:

-Mi mujer es costurera de la reina, señor, y no carece ni de prudencia ni de belleza. Hace casi tres años que me hicieron desposarla, aunque no tenía más que una pequeña dote, porque el señor de La Porte el portamantas de la reina, es su padrino y la protege...

-¿Y bien, señor? - preguntó D'Artagnan.

-¡Pues bien! - prosiguió el burgués-. Pues bien - señor, mi mujer ha sido raptada ayer por la mañana cuando salía de su cuarto de trabajo.

-¿Y quién ha raptado a vuestra mujer?

-Con seguridad no sé nada, señor, pero sospecho de alguien.

-¿Y quién es esa persona de la que sospecháis?

-Un hombre que la perseguía desde hace tiempo.

-¡Diablos!

-Pero permitid que os diga, señor - prosiguió el burgués-, que estoy convencido de que en todo esto hay menos amor que política.

-Menos amor que política - dijo D'Artagnan con un gesto pensativo-. ¿Y qué sospecháis?

-No sé si debería deciros lo que sospecho...

-Señor, os haré observar que yo no os pido absolutamente nada. Sois vos quien habéis venido. Sois vos quien me habéis dicho que tenéis un secreto que confiarme. Obrad, pues, a vuestro gusto, aún estáis a tiempo de retiraros.

-No, señor, no; me parecéis un joven honesto, y tendré confianza en vos. Creo, pues, que mi mujer no ha sido detenida por sus amores, sino por los de una dama más importante que ella.

-¡Ah ah! ¿No será por los amores de la señora de Bois Tracy? - dijo D Artagnan, que quiso aparentar ante su burgués que estaba al corriente de los asuntos de la corte.

-Más importante, señor más importante.

-¿De la señora D'Aiguillon?

-Más importante todavía.

-¿De la señora de Chevreuse?

-¡Más alto, mucho más alto!

-De la... - D'Artagnan se detuvo.

-Sí, señor - respondió tan bajo que apenas se pudo oír al espantado burgués.

-¿Y con quién?

-¿Con quién puede ser si no es con el duque de...

-El duque de...

-¡Sí, señor! - respondió el burgués dando a su voz una entonación más sorda todavía.

-Pero ¿cómo sabéis vos todo eso?

-¡Ah! ¿Que cómo lo sé?

-Sí, ¿cómo lo sabéis? Nada de confidencias a medias o... ¿Comprendéis?

-Lo sé por mi mujer, señor por mi propia mujer.

-Que lo sabe..., ¿por quién?

-Por el señor de La Porte. ¿No os he dicho que era la ahijada del señor de La Porte el hombre de confianza de la reina? Pues bien, el señor de La Porte la puso junto a Su Majestad para que nuestra pobre reina tuviera al menos alguien de quien fiarse, abandonada como está por el rey, espiada como está por el cardenal, traicionada como es por todos.

-¡Ah, ah! Ya se van concretando las cosas - dijo D'Artagnan.

-Mi mujer vino hace cuatro días, señor; una de sus condiciones era que vendría a verme dos veces por semana; porque, como tengo el honor de deciros, mi mujer me quiere mucho; mi mujer, pues vino y me confió que la reina, en aquel momento, tenía grandes temores.

-¿De verdad?

-Sí, el señor cardenal, a lo que parece, la persigue y acosa más que nunca. No puede perdonarle la historia de la zarabanda. ¿Sabéis vos la historia de la zarabanda?

-Pardiez, claro que la sé - respondió D'Artagnan, que no sabía nada en absoluto, pero que quería aparentar estar al corriente.

-De suerte que ahora ya no es odio; es venganza.

-¿De veras?

-Y la reina cree...

-Y bien, ¿qué cree la reina?

-Cree que han escrito al señor duque de Buckingham en su nombre.

-¿En nombre de la reina?

-Sí, para hacerle venir a Paris, y una vez venido a Paris, para atraerle a alguna trampa.

-¡Diablo! Pero vuestra mujer, mi querido señor, ¿qué tiene que ver en todo esto?

-Es conocida su adhesión a la reina, y se la quiere alejar de su ama, o intimidarla por estar al tanto de los secretos de Su Majestad, o seducirla para servirse de ella como espía.

-Es probable - dijo D'Artagnan ; pero al hombre que la ha raptado, ¿lo conocéis?

-Os he dicho que creía conocerle.

-¿Su nombre?

-No lo sé; lo que únicamente sé es que es una criatura del cardenal, su instrumento ciego.

-Pero ¿lo habéis visto?

-Sí, mi mujer me lo ha mostrado un día.

-¿Tiene algunas señas por las que se le pueda reconocer?

-Por supuesto, es un señor de gran estatura, pelo negro, tez morena, mirada penetrante, dientes blancos y una cicatriz en la sien.

-¡Una cicatriz en la sien! - exclamó D'Artagnan-. Y además dientes blancos, mirada penetrante, tez morena, pelo negro y gran estatura. ¡Es mi hombre de Meung!

-¿Es vuestro hombre, decís?

-Sí, sí; pero esto no importa. No, me equivoco, esto simplifica mucho las cosas por el contrario; si vuestro hombre es el mío, ejecutaré dos venganzas de un golpe; eso es todo; pero ¿dónde coger a ese hombre?

-No lo sé.

-¿No tenéis ninguna información sobre su domicilio?

-Ninguna; un día que yo llevaba a mi mujer al Louvre, él salía al tiempo que ella iba a entrar, y me lo señaló.

-¡Diablo! ¡Diablo! - murmuró D'Artagnan-. Todo esto es muy vago. ¿Por quién habéis sabido el rapto de vuestra mujer?

-Por el señor de La Porte.

-¿Os ha dado algún detalle?

-El no tenía ninguno.

-¿Y vos no habéis sabido nada por otro lado?

-Sí, he recibido...

-¿Qué?

-Pero no sé si no cometo una gran imprudencia.

-¿Volvéis otra vez a las andadas? Sin embargo, os haré observar que esta vez es algo tarde para retrocedes.

-Yo no retrocedo, voto a bríos - exclamó el burgués jurando para hacerse ilusiones-. Además, palabra de Bonacieux...

-Os llamáis Bonacieux? - le interrumpió D'Artagnan.

-Sí, ése es mi nombre.

-Decíais, pues, ¡palabra de Bonacieux! Perdón si os he interrumpido; pero me parecía que ese nombre no me era desconocido.

-Es posible, señor. Yo soy vuestro casero.

-¡Ah, ah! - dijo D'Artagnan semincorporándose y saludando-. ¿Sois mi casero?

-Sí, señor, sí. Y como desde hace tres meses estáis en mi casa, y como, distraído sin duda por vuestras importantes ocupaciones, os habéis olvidado de pagar mi alquiler, como, digo yo, no os he atormentado un solo instante, he pensado que tendríais en cuenta mi delicadeza.

-¡Cómo no, mi querido señor Bonacieux! - prosiguió D'Artagnan-. Creed que estoy plenamente agradecido por semejante proceder y que, como os he dicho, si puedo serviros en algo...

-Os creo, señor, os creo, y como iba diciéndoos, palabra de Bonacieux, tengo confianza en vos.

-Acabad, pues, lo que habéis comenzado a decirme.

El burgués sacó un papel de su bolsillo y lo presentó a D'Artagnan.

-¡Una carta! - dijo el joven.

-Que he recibido esta mañana.

D'Artagnan la abrió, y como el día empezaba a declinar, se acercó a la ventana. El burgués le siguió.

«No busquéis a vuestra mujer - leyó D'Artagnan ; os será devuelta cuando ya no haya necesidad de ella. Si dais un solo paso para encontrarla estáis perdido.»

-Desde luego es positivo - continuó D'Artagnan ; pero, después de todo, no es más que una amenaza.

-Sí, peso esa amenaza me espanta; yo, señor, no soy un hombre de espada en absoluto; y le tengo miedo a la Bastilla.

-¡Hum! - hizo D'Artagnan-. Pero es que yo temo la Bastilla tanto como vos. Si no se tratase más que de una estocada, pase todavía.

-Sin embargo, señor, había contado con vos para esta ocasión.

¿Sí?

-Al veros rodeado sin cesar de mosqueteros de aspecto magnífico y reconocer que esos mosqueteros eran los del señor de Tréville, y por consiguiente enemigos del cardenal, había pensado que vos y vuestros amigos, además de hacer justicia a nuestra pobre reina, estaríais encantados de jugarle una mala pasada a Su Eminencia.

-Sin duda.

-Y además había pensado que, debiéndome tres meses de alquiler de los que nunca os he hablado...

-Sí, sí, ya me habéis dado ese motivo, y lo encuentro excelente.

-Contando además con que, mientras me hagáis el honor de permanecer en mi casa, no os hablaré nunca de vuestro alquiler futuro...

-Muy bien.

-Y añadid a eso, si fuera necesario, que cuento con ofreceros una cincuentena de pistolas si, contra toda probabilidad, os hallarais en apuros en este momento.

-De maravilla; pero entonces, ¿sois rico, mi querido señor Bonacieux?

-Vivo con desahogo, señor, esa es la palabra; he amontonado algo así como dos o tres mil escudos de renta en el comercio de la mercería, y sobre todo colocado al unos fondos en el último viaje del célebre navegante Jean Mocquet de suerte que, como comprenderéis, señor... ¡Ah! Pero... - exclamó el burgués.

-¿Qué? - preguntó D'Artagnan.

-¿Qué veo ahî?

-¿Dónde?

-En la calle, frente a vuestras ventanas, en el hueco de aquella puerta: un hombre embozado en una capa.

-¡Es él! - gritaron a la vez D'Artagnan y el burgués, reconociendo los dos al mismo tiempo a su hombre.

-¡Ah! Esta vez - exclamó D'Artagnan saltando sobre su espada-, esta vez no se me escapará.

Y sacando su espada de la vaina, se precipitó fuera del alojamiento.

En la escalera encontró a Athos y Porthos que venían a verle. Se apartaron. D'Artagnan pasó entre ellos como una saeta.

-¡Vaya! ¿Adónde comes de ese modo? - le gritaron al mismo tiempo los dos mosqueteros.

-¡El hombre de Meung! - respondió D'Artagnan, y desapareció.

D'Artagnan había contado más de una vez a sus amigos su aventura con el desconocido, así como la aparición de la bella viajera a la que aquel hombre había parecido confiar una misiva tan importante.

La opinión de Athos había sido que D'Artagnan había perdido su carta en la pelea. Un gentilhombre, según él - y, por la descripción que D'Artagnan había hecho del desconocido, no podía ser más que un gentilhombre-, un gentilhombre debía ser incapaz de aquella bajeza, de robar una carta.

Porthos no había visto en todo aquello más que una cita amorosa dada por una dama a un caballero o por un caballero a una dama, y que había venido a turbar la presencia de D'Artagnan y de su caballo amarillo.

Aramis había dicho que esta clase de cosas, por ser misteriosas, más valía no profundizarlas.

Comprendieron, pues por algunas palabras escapadas a D'Artagnan, de qué asunto se trataba, y como pensaron que después de haber cogido a su hombre o haberlo perdido de vista, D'Artagnan terminaría por volver a subir a su casa, prosiguieron su camino.

Cuando entraron en la habitación de D'Artagnan, la habitación estaba vacía: el casero, temiendo las secuelas del encuentro que sin duda iba a tener lugar entre el joven y el desconocido, había juzgado, debido a la exposición que él mismo había hecho de su carácter, que era prudente poner pies en polvorosa.

D'Artagnan se perfila

Como habían previsto Athos y Porthos, al cabo de una media hora D'Artagnan regresó. También esta vez había perdido a su hombre, que había desaparecido como por encanto. D'Artagnan había corrido, espada en mano, por todas las calles de alrededor, pero no había encontrado nada que se pareciese a aquel a quien buscaba; luego, por fin, había vuelto a aquello por lo que habría debido empezar quizá, y que era llamar a la puerta contra la que el desconocido se había apoyado; pero fue inútil que hubiera hecho sonar diez o doce veces seguidas la aldaba, nadie había respondido, y los vecinos que, atraídos por el ruido, habían acudido al umbral de su puerta o habían puesto las narices en sus ventanas, le habían asegurado que aquella casa, cuyos vanos por otra parte estaban cerrados, estaba desde hace seis meses completamente deshabitada.

Mientras D'Artagnan corría por calles y llamaba a las puertas, Aramis se había reunido con sus dos compañeros, de suerte que, al volver a su casa, D'Artagnan encontró la reunión al completo.

-¿Y bien? - dijeron a una los tres mosqueteros al ver entrar a D'Artagnan con el sudor en la frente y el rostro alterado por la cólera.

-¡Y bien! - exclamó éste arrojando la espada sobre la cama-. Ese hombre tiene que ser el diablo en persona; ha desaparecido como un fantasma, como una sombra, como un espectro.

-¿Creéis en las apariciones? - le preguntó Athos a Porthos.

-Yo no creo más que en lo que he visto, y como nunca he visto apariciones, no creo en ellas.

-La Biblia - dijo Aramis - hace ley el creer en ellas; la sombra de Samuel se apareció a Saúl - y es un artículo de fe que me molestaría ver puesto en duda, Porthos.

-En cualquier caso, hombre o diablo, cuerpo o sombra, ilusión o realidad, ese hombre ha nacido para mi condenación, porque su fuga nos hace fallar un asunto soberbio, señores, un asunto en el que había cien pistolas y quizá más para ganar.

-¿Cómo? - dijeron a la vez Porthos y Aramis.

En cuanto a Athos, fiel a su sistema de mutismo, se contentó con interrogar a D'Artagnan con la mirada.

-Planchet - dijo D'Artagnan a su criado, que pasaba en aquel momento la cabeza por la puerta entreabierta para tratar de sorprender algunas migajas de la conversación-, bajad a casa de mi casero, el señor Bonacieux, y decidle que nos envíe media docena de botellas de vino de Beaugency: es el que prefiero.

-¡Vaya! ¿Es que tenéis crédito con vuestro casero? - preguntó Porthos.

-Sí - respondió D'Artagnan-, desde hoy. Y estad tranquilos, que, si su vino es malo, le enviaremos a buscar otro.

-Hay que usar y no abusar - dijo silenciosamente Aramis.

-Siempre he dicho que D'Artagnan era la cabeza fuerte de nosotros cuatro - dijo Athos, quien, despues de haber emitido esta opinión, a la que D'Artagnan respondió con un saludo, cayó al punto en su silencio acostumbrado.

-Pero, en fin, veamos, ¿qué pasa? - preguntó Porthos.

-Sí - dijo Aramis-, confiádnoslo, mi querido amigo, a no ser que el honor de alguna dama se halle interesado por esa confidencia, en cuyo caso haríais mejor guardándola para vos.

-Tranquilizaos - respondió D'Artagnan-, ningún honor tendrá que quejarse de lo que tengo que deciros.

Y entonces contó a sus amigos palabra por palabra lo que acababa de ocurrir entre él y su huésped, y cómo el hombre que había raptado a la mujer del digno casero era el mismo con el que había tenido que disputar en la hostería del Franc Meunier.

-Vuestro asunto no es malo - dijo Athos después de haber degustado el vino como experto a indicado con un signo de cabeza que lo encontraba bueno-, y se podrá sacar de ese buen hombre de cincuenta a sesenta pistolas. Ahora queda por saber si cincuenta o sesenta pistolas valen la pena de arriesgar cuatro cabezas.

-Pero prestad atención - exclamó D'Artagnan-, hay una mujer en este asunto, una mujer raptada, una mujer a la que sin duda se amenaza, a la que quizá se tortura, y todo ello porque es fiel a su ama.

-Tened cuidado, D'Artagnan, tened cuidado - dijo Aramis-, os acaloráis demasiado, en mi opinión, por la suerte de la señora Bonacieux. La mujer ha sido creada para nuestra perdición, y de ella es de donde nos vienen todas nuestras miserias.

A esta sentencia de Aramis, Athos frunció el ceño y se mordió los labios.

-No me inquieto por la señora Bonacieux - exclamó D'Artagnan-, sino por la reina, a quien el rey abandona, a quien el cardenal persigue y que ve caer, una tras otra, las cabezas de todos sus amigos.

-¿Por qué ella ama lo que más detestamos del mundo, a los españoles y a los ingleses?

-España es su patria - respondió D'Artagnan-, y es muy lógico que ame a los españoles, que son hijos de la misma tierra que ella. En cuanto al segundo reproche que le hacéis, he oído decir que no amaba a los ingleses, sino a un inglés.

-¡Y a fe mía - dijo Athos - hay que confesar que ese inglés es bien digno de ser amado! Jamás he visto mayor estilo que el suyo.

-Sin contar con que se viste como nadie - dijo Porthos-. Estaba yo en el Louvre el día en que esparció sus perlas, y, ipardiez!, yo cogí dos que vendí por diez pistolas la pieza. Y tú, Aramis, ¿le conoces?

-Tan bien como vosotros, señores, porque yo era uno de aquellos a los que se detuvo en el jardín de Amiens, donde me había introducido el señor de Putange, el caballerizo de la reina. En aquella época yo estaba en el seminario, y la aventura me pareció cruel para el rey.

-Lo cual no me impediría - dijo D'Artagnan-, si supiera dónde está el duque de Buckingham, cogerle por la mano y conducirle junto a la reina, aunque no fuera más que para hacer rabiar al señor cardenal; porque nuestro verdadero, nuestro único, nuestro eterno enemigo, señores, es el cardenal, y si pudiéramos encontrar un medio de jugarle alguna pasada cruel, confieso que comprometería de buen grado micabeza.

-Y el mercero, D'Artagnan - prosiguió Athos-, ¿os ha dicho que la reina pensaba que se había hecho venir a Buckingham con un falso aviso?

-Eso teme ella.

-Esperad - dijo Aramis.

-¿Qué? - preguntó Porthos.

-Seguid, seguid, trato de acordarme de las circunstancias.

-Y ahora estoy convencido - dijo D'Artagnan-, de que el rapto de esa mujer de la reina está relacionado con los acontecimientos de que hablamos, y quizá con la presencia de Buckingham en Paris.

-El gascón está lleno de ideas - dijo Porthos con admiración.

-Me gusta mucho oírle hablar - dijo Athos-, su patois me divierte.

-Señores - prosiguió Aramis-, escuchad esto.

-Escuchemos a Aramis - dijeron los tres amigos.

-Ayer me encontraba yo en casa de un sabio doctor en teología al que consulto a veces por mis estudios...

Athos sonrió.

-Vive en un barrio desierto - continuó Aramis-, sus gustos, su profesión lo exigen. Y en el momento en que yo salía de su casa...

-¿Y bien? - preguntaron sus oyentes-. ¿En el momento en que salíais de su casa?

Aramis pareció hacer un esfuerzo sobre sí mismo, como un hombre que, en plena corriente de mentira, se ve detener por un obstáculo imprevisto; pero los ojos de sus tres compañeros estaban fijos en él, sus orejas esperaban abiertas, no había medio de retroceder.

-Ese doctor tiene una nieta - continuó Aramis.

-¡Ah! ¡Tiene una nieta! - interrumpió Porthos.

-Dama muy respetable - dijo Aramis.

Los tres amigos se pusieron a reír.

-¡Ah, si os reís o si dudáis - prosiguió Aramis-, no sabréis nada!

-Somos creyentes como mahometanos y mudos como catafalcos-. - dijo Athos.

-Entonces continúo - prosiguió Aramis-. Esa nieta viene a veces a ver a su tío; y ayer ella, por casualidad, se encontraba allí al mismo tiempo que yo, y tuve que ofrecerme para conducirla a su carroza.

-¡Ah! ¿Tiene una carroza la nieta del doctor? - interrumpió Porthos, uno de cuyos defectos era una gran incontinencia de lengua-. Buen conocimiento, amigo mío.

-Porthos - prosiguió Aramis-, ya os he hecho notar más de una vez que sois muy indiscreto, y que eso os perjudica con las mujeres.

-Señores, señores - exclamó D'Artagnan, que entreveía el fondo de la aventura-, la cosa es seria; tratemos, pues, de no bromear si podemos. Seguid, Aramis, seguid.

-De pronto, un hombre alto, moreno, con ademanes de gentilhombre..., vaya, de la clase del vuestro, D'Artagnan.

-El mismo quizá - dijo éste.

-Es posible... - continuó Aramis - se acercó a mí, acompañado por cinco o seis hombres que le seguían diez pasos atrás, y con el tono más cortés me dijo: «Señor duque, y vos madame», continuó dirigiéndose a la dama a la que yo llevaba del brazo...

-¿A la nieta del doctor?

-¡Silencio, Porthos! - dijo Athos-. Sois insoportable.

«Haced el favor de subir en esa carroza, y eso sin tratar de poner la menor resistencia, sin hacer el menor ruido.»

-Os había tomado por Buckingham! - exclamó D'Artagnan.

-Eso creo - respondió Aramis.

-Pero ¿y la dama? - preguntó Porthos.

-¡La había tomado por la reina! - dijo D'Artagnan.

-Exactamente - respondió Aramis.

-¡El gascón es el diablo! - exclamó Athos-. Nada se le escapa.

-El hecho es - dijo Porthos - que Aramis es de la estatura y tiene algo de porte del hermoso duque; pero, sin embargo, me parece que el traje de mosquetero...

-Yo tenía una capa enorme - dijo Aramis.

-En el mes de julio, ¡diablos! - dijo Porthos-. ¿Es que el doctor teme que seas reconocido?

-Me cabe en la cabeza incluso - dijo Athos - que el espía se haya dejado engañar por el porte; pero el rostro...

-Yo llevaba un gran sombrero - dijo Aramis.

-¡Dios mío, cuántas precauciones para estudiar teología!

-Señores, señores - dijo D'Artagnan-, no perdamos nuestro tiempo bromeando; dividámonos y busquemos a la mujer del mercero, es la llave de la intriga.

-¡Una mujer de condición tan inferior! ¿Lo creéis, D'Artagnan? - preguntó Porthos estirando los labios con desprecio.

-Es la ahijada de La Porte, el ayuda de cámara de confianza de la reina. ¿No os lo he dicho, señores. Y además, quizá sea un cálculo de Su Majestad haber ido, en esta ocasión, a buscar sus apoyos tan bajo. Las altas cabezas se ven de lejos, y el cardenal tiene buena vista.

-¡Y bien! - dijo Porthos-. Arreglad primero precio con el mercero, y buen precio.

-Es inútil - dijo D'Artagnan - porque creo que, si no nos paga, quedaremos suficientemente pagados por otro lado.

En aquel momento, un ruido precipitado resonó en la escalera, la puerta se abrió con estrépito y el malhadado mercero se abalanzó en la habitación donde se celebraba el consejo.

-¡Ah, señores! - exclamó - ¡Salvadme, en nombre del cielo, salvadme! Hay cuatro hombres que vienen para detenerme! ¡Salvadme, salvadme!

Porthos y Aramis se levantaron.

-Un momento - exclamó D'Artagnan haciéndoles señas de que devolviesen a la vaina sus espadas medio sacadas ; un momento, no es valor lo que aquí se necesita, es prudencia.

-Sin embargo - exclamó Porthos-, no dejaremos...

-Vos dejaréis hacer a D'Artagnan - dijo Athos ; es, lo repito, la cabeza fuerte de todos nosotros, y por lo que a mí se refiere, declaro que yo le obedezco. Haz lo que quieras, D'Artagnan.

En aquel momento, los cuatro guardias aparecieron a la puerta de la antecámara, y al ver a cuatro mosqueteros en pie y con la espada en el costado, dudaron seguir adelante.

-Entrad, señores, entrad - gritó D'Artagnan-, aquí estáis en mi casa, y todos nosotros somos fieles servidores del rey y del señor cardenal.

-¿Entonces, señores, no os opondréis a que ejecutemos las órdenes que hemos recibido? - preguntó aquel que parecía el jefe de la cuadrilla.

-Al contrario, señores, y os echaríamos una mano si fuera necesario.

-Pero ¿qué dice? - masculló Porthos.

-Eres un necio - dijo Athos-. ¡Silencio!

-Pero me habéis prometido... - dijo en voz baja el pobre mercero.

-No podemos salvaros más que estando libres - respondió rápidamente y en voz baja D'Artagnan-, y si hiciéramos ademán de defenderos, se nos detendría con vos.

-Me parece, sin embargo...

-Adelante, señores, adelante - dijo en voz alta D'Artagnan-, no tengo ningún motivo para defender al señor. Le he visto hoy por primera vez, y ¡en qué ocasión! El mismo os la dirá: para venir a reclamarme el precio de mi alquiler. ¿Es cierto, señor Bonacieux? ¡Responded!

-Es la verdad pura - exclamó el mercero-, pero el señor no os dice...

-Silencio sobre mí, silencio sobre mis amigos, silencio sobre la reina sobre todo, o perderéis a todo el mundo sin salvaros. ¡Vamos, vamos, señores, llevaos a este hombre!

Y D Artagnan empujó al mercero todo aturdido a las manos de los guardias, diciéndole:

-Sois un tunante querido. ¡Venir a pedirme dinero a mí, a un mosquetero! ¡A prisión, señores, una vez más, llevadle a prisión, y guardadle bajo llave el mayor tiempo posible, eso me dará tiempo para pagar!

Los esbirros se confundieron en agradecimientos y se llevaron su presa.

En el momento en que bajaban, D'Artagnan palmoteó sobre el hombro del jefe:

-¿Y no beberé yo a vuestra salud y vos a la mía? - dijo llenando dos vasos de vino de Béaugency que tenía gracias a la liberalidad del señor Bonacieux.

-Será para mí un gran honor - dijo el jefe de los esbirros-, y acepto con gratitud.

-Entonces, a la vuestra, señor... ¿cómo os llamáis?

-Boisrenad.

-¡Señor Boisrenard!

-¡A la vuestra, mi gentilhombre! ¿A vuestra vez, cómo os llamáis, si os place?

-D'Artagnan.

-¡A la vuestra, señor D'Artagnan!

-¡Y por encima de todas éstas - exclamó D'Artagnan como arrebatado por su entusiasmo-, a la del rey y del cardenal!

Quizá el jefe de los esbirros hubiera dudado de la sinceridad de D'Artagnan si el vino hubiera sido malo, pero al ser bueno el vino, se quedó convencido.

-Pero ¿qué diablo de villanía habéis hecho? - dijo Porthos cuando el aguacil en jefe se hubo reunido con sus compañeros y los cuatro amigos se encontraron solos-. ¡Vaya! ¡Cuatro mosqueteros dejan arrestar en medio de ellos a un desgraciado que pide ayuda! ¡Un gentilhombre brindar con un corchete!

-Porthos - dijo Aramis-, ya Athos lo ha prevenido que eras un necio, y yo soy de su opinión. D'Artagnan, eres un gran hombre, y para cuando estés en el puesto del señor de Tréville, pido tu protección para conseguir tener una abadía.

-¡Maldita sea! No lo entiendo - dijo Porthos-. ¿Aprobáis lo que D'Artagnan acaba de hacer?

-Claro que sí - dijo Athos ; y no solamente apruebo lo que acaba de hacer, sino que incluso le felicito por ello.

-Y ahora, señores - dijo D'Artagnan sin tomarse el trabajo de explicar su conducta a Porthos-, todos para uno y uno para todos, esa es nuestra divisa, ¿no es así?

-Pero... - dijo Porthos.

-¡Extiende la mano y jura! - gritaron a la vez Athos y Aramis.

Vencido por el ejemplo, rezongando por lo bajo, Porthos extendió la mano y los cuatro amigos repitieron a un solo grito la fórmula dictada por D'Artagnan:

«Todos para uno, uno para todos.»

-Está bien, que cada cual se retire ahora a su casa - dijo D'Artagnan como si no hubiera hecho otra cosa en toda su vida que ordenar-, y atención, porque a partir de este momento, henos aquí enfrentados al cardenal.

Una ratonera en el siglo XVII

La invención de la ratonera no data de nuestros días; cuando las sociedades, al formarse, inventaron un tipo de policía cualquiera, esta policía, a su vez, inventó las ratoneras.

Como quizá nuestros lectores no estén familiarizado aún con el argot de la calle de Jérusalem, y como desde que escribimos - y hace ya unos quince años de esto - es ésta la primera vez que empleamos esa palabra aplicada a esa cosa, expliquémosles lo que es una ratonera.

Cuando, en una casa cualquiera, se ha detenido a un individuo sospechoso de un crimen cualquiera, se mantiene en secreto el arresto; se ponen cuatro o cinco hombres emboscados en la primera pieza, se abre la puerta a cuantos llaman, se la cierra tras ellos y se los detiene; de esta forma, al cabo de dos o tres días, se tiene a casi todos los habituales del establecimiento.

He ahí lo que es una ratonera.

Se hizo, pues, una ratonera de la vivienda de maese Bonacieux, y todo aquel que apareció fue detenido a interrogado por las gentes del señor cardenal. Excusamos decir que, como un camino particular conducía al primer piso que habitaba D'Artagnan, los que venían a su casa eran exceptuados entre todas las visitas.

Además allí sólo venían los tres mosqueteros; se habían puesto a buscar cada uno por su lado, y nada habían encontrado ni descubierto. Athos había llegado incluso a preguntar al señor de Tréville, cosa que, dado el mutismo habitual del digno mosquetero, había asombrado a su capitán. Pero el señor de Tréville no sabía nada, salvo que la última vez que había visto al cardenal, al rey y a la reina, el cardenal tenía el gesto preocupado, el rey estaba inquieto y los ojos de la reina indicaban que había pasado la noche en vela o llorando. Pero esta última circunstancia le había sorprendido poco: la reina, desde su matrimonio, velaba y lloraba mucho.

El señor de Tréville recomendó en cualquier caso a Athos el servicio del rey y sobre todo de la reina, rogándole hacer la misma recomendación a sus compañeros.

En cuanto a D'Artagnan, no se movía de su casa. Había convertido su habitación en observatorio. Desde las ventanas veía llegar a los que venían a hacerse prender; luego, como había quitado las baldosas del suelo como había horadado el esamblaje y sólo un simple techo le separaba de la habitación inferior, en la que se hacían los interrogatorios, oía todo cuanto pasaba entre los inquisidores y los acusados.

-¿La señora Bonacieux os ha entregado alguna cosa para su marido o para alguna otra persona?

-¿El señor Bonacieux os ha entregado alguna cosa para su mujer o para alguna otra persona?

-¿Alguno de los dos os ha hecho alguna confidencia de viva voz?

-Si supieran algo, no preguntarían así - se dijo a sí mismo D'Artagnan-. Ahora bien ¿qué tratan de saber? Si el duque de Buckingham se halla en Paris y si ha tenido o debe tener alguna entrevista con la reina.

D'Artagnan se detuvo ante esta idea que, después de todo lo que había oído, no carecía de verosimilitud.

Mientras tanto la ratonera estaba en servicio permanentemente, y la vigilancia de D'Artagnan también.

La noche del día siguiente al arresto del pobre Bonacieux cuando Athos acababa de dejar a D'Artagnan para ir a casa del señor de Trévilie cuando acababan de sonar las nueve, y cuando Planchet, que no había hecho todavía la cama, comenzaba su tarea, se oyó llamar a la puerta de la calle; al punto esa puerta se abrió y se volvió a cerrar: alguien acababa de caer en la ratonera.

D'Artagnan se abalanzó hacia el sitio desenlosado, se acostó boca abajo y escuchó.

No tardaron en oírse gritos, luego gemidos que se trataban de ahogar. En cuanto al interrogatorio, no se trataba de eso.

-¡Diablos! - se dijo D'Artagnan-. Me parece que es una mujer: la registran, ella resiste, la violentan, ¡miserables!

Y D'Artagnan, pese a su prudencia, se contenía para no mezclarse en la escena que ocurría debajo de él.

-Pero si os digo que soy la dueña de la casa, señores; os digo que soy la señora Bonacieux; los digo que pertenezco a la reina! - gritaba la desgraciada mujer.

-¡La señora Bonacieux! - murmuró D'Artagnan-. ¿Seré lo bastante afortunado para haber encontrado lo que todo el mundo busca?

-Precisamente a vos estábamos esperando - dijeron los interrogadores.

La voz se volvió más y más ahogada: un movimiento tumultuoso hizo resonar el artesonado. La víctima se resistía tanto como una mujer puede resistir a cuatro hombres.

-Perdón, señores, per... - murmuró la voz, que no hizo oír más que sonidos inarticulados.

-La amordazan, van a llevársela - exclamó D'Artagnan irguiéndose como movido por un resorte-. Mi espada; bueno, está a mi lado. ¡Planchet!

-¿Señor?

-Corre a buscar a Athos, Porthos y Aramis. Uno de los tres estará probablemente en su casa, quizá ya hayan vuelto los tres. Que cojan las armas, que vengan, que acudan. ¡Ah!, ahora que me acuerdo, Athos está con el señor de Tréville.

-Pero ¿dónde vais, señor, dónde vais?

-Bajo por la ventana - exclamó D'Artagnan - para llegar antes; tú, vuelve a poner las baldosas, barre el suelo, sal por la puerta y corre donde te digo.

-¡Oh, señor, señor, vais a mataros! - exclamó Planchet.

-¡Cállate, imbécil! - dijo D'Artagnan.

Y aferrándose con la mano al reborde de su ventana, se dejó caer desde el primer piso, que afortunadamente no era elevado, sin hacerse ningún rasguño.

Al punto se fue a llamar a la puerta murmurando:

-Voy a dejarme coger yo también en la ratonera, y pobres de los gatos que ataquen a semejante ratón.

Apenas la aldaba hubo resonado bajo la mano del joven cuando el tumulto cesó, unos pasos se acercaron, se abrió la puerta y D'Artagnan, con la espada desnuda, se abalanzó en la vivienda de maese Bonacieux, cuya puerta, movida sin duda por algún resorte, volvió a cerrarse tras él.

Entonces, quienes habitaban aún la desgraciada casa de Bonacieux y los vecinos más próximos oyeron grandes gritos pataleos, entrechocar de espaldas y un ruido prolongado de muebles. Luego, un momento después, aquellos que sorprendidos por aquel ruido habían salido a las ventanas para conocer la causa, pudieron ver cómo la puerta se abría y no salir a cuatro hombres vestidos de negro, sino volar como cuervos espantados, dejando por tierra y en las esquinas de las mesas plumas de sus alas, es decir, jirones de sus vestidos y trozos de sus capas.

D'Artagnan fue vencedor sin mucho trabajo, hay que decirlo, porque sólo uno de los aguaciles estaba armado y aún se defendió por guardar las formas. Es cierto que los otros tres habían tratado de matar al joven con las sillas, los taburetes y las vasijas; pero dos o tres rasguños hechos por la tizona del gascón les habían asustado. Diez minutos habían bastado a su derrota, y D'Artagnan se había hecho dueño del campo de batalla.

Los vecinos, que habían abierto las ventanas con la sagre fría peculiar de los habitantes de Paris en aquellos tiempos de tumultos y de riñas perpetuas, las volvieron a cenrar cuando hubieron visto huir a los cuatro hombres negros: su instinto les decía que por el momento todo estaba acabado.

Además se hacía tarde, y entonces, como hoy, se acostaban temprano en el barrio de Luxemburgo.

D'Artagnan, solo con la señora Bonacieux, se volvió hacia ella: la pobre mujer estaba derribada sobre un butacón y semidesvestida. D'Artagnan la examinó de una ojeada rápida.

Era una encantadora mujer de veinticinco a veintiséis años, morena con ojos azules, con una nariz ligeramente respingona, dientes admirables, un tinte marmóreo de rosa y de ópalo. Hasta ahí llegaban los signos que podían hacerla confundir con una gran dama. Las manos eran blancas, pero sin finura: los pies no anunciaban a la mujer de calidad. Afortunadamente, D'Artagnan no se hallaba preocupado todavía por estos detalles.

Mientras D'Artagnan examinaba a la señora Bonacieux y estaba a sus pies, como hemos dicho, vio en el suelo un fino pañuelo de batista, que recogió según su costumbre, y en una de cuyas esquinas reconoció la misma inicial que había visto en el pañuelo que le había obligado a batirse con Aramis.

Desde aquel momento, D'Artagnan desconfiaba de los pañuelos blasonados; por eso, sin decir nada, volvió a poner el que había recogido en el bolsillo de la señora Bonacieux.

En aquel instante, la señora Bonacieux recobraba el sentido. Abrió los ojos, miró con terror en torno suyo, vio que la habitación estaba vacía y que estaba sola con su liberador. Le tendió al punto las manos sonriendo. La señora Bonacieux tenía la sonrisa más encantadora del mundo.

-¡Ah, señor! - dijo ella-. Sois vos quien me habéis salvado; permitidme que os dé las gracias.

-Señora - dijo D'Artagnan-, no he hecho más que lo que todo gentilhombre hubiera hecho en mi lugar; no me debéis, pues, ningún agradecimiento.

-Claro que sí, señor, claro que sí, y espero probaros que no habéis prestado un servicio a una ingrata. Pero ¿qué querían de mí esos hombres, a los que al principio he tomado por ladrones, y por qué el señor Bonacieux no está aquí?

-Señora, esos hombres eran mucho más peligrosos de lo que pudiera serlo los ladrones, porque son agentes del señor cardenal, y en cuánto a vuestro marido, el - señor Bónacieux no está aquí porque ayer vinieron a prenderlo para conducirlo a la Bastilla.

-¡Mi marido en la Bastilla! - exclamó la señora Bonacieux-. ¡Oh, Dios mío! ¿Qué ha hecho? ¡Pobre querido mío, él, la inocencia misma!

Y alguna cosa como una sonrisa apuntaba sobre el rostro aún todo asustado de la joven.

-¿Qué ha hecho, señora? - dijo D'Artagnan-. Creo que su único crimen es tener a la vez la dicha y la desgracia de ser vuestro marido.

-Pero, señor, sabéis entonces...

-Sé que habéis sido raptada, señora.

-¿Y por quién? ¿Lo sabéis? ¡Oh, si lo sabéis, decídmelo!

-Por un hombre de cuarenta a cuarenta y cinco años, de pelo negro, de tez morena, con una cicatriz en la sien izquierda.

-¡Eso es, eso es! Pero ¿y su nombre?

-¡Ah, su nombre! Es lo que yo ignoro.

-¿Y mi marido sabía que había sido raptada?

-Había sido advertido por una carta que le había escrito el raptor mismo.

-¿Y sospecha - preguntó la señora Bonacieux con apuro - la causa de este suceso?

-Lo atribuía, según creo, a una causa política.

-Yo al principio dudé, y ahora pienso como él. ¿Así es que mi querido Bonacieux no ha sospechado ni un solo instante de mí...?

-¡Lejos de ello, señora, estaba muy orgulloso de vuestra sabiduría y sobre todo de vuestro amor!

Una segunda sonrisa casi imperceptible afloró a los labios rosados de la hermosa joven.

-Pero - prosiguió D'Artagnan - ¿cómo habéis huido?

-He aprovechado un momento en que me han dejado sola, y como desde esta mañana sabía a qué atenerme sobre mi rapto, con la ayuda de mis sábanas he bajado por la ventana; entonces, como creía aquí a mi marido, he acudido corriendo.

-¿Para poneros bajo su protección?

-¡Oh! No, pobre hombre, yo sabía de sobra que él era incapaz de defenderme; pero como podía servirnos para otra cosa, quería prevenirle.

-¿De qué?

-¡Oh! Ese no es mi secreto, no puedo por tanto decíroslo.

-Y además - dijo D'Artagnan - (perdón, señora, si, como guardia que soy, os llamo a la prudencia), además creo que no estamos aquí en lugar oportuno para hacer confidencias. Los hombres que he puesto en fuga van a volver con ayuda; si nos encuentran aquí, estamos perdidos. Yo he hecho avisar a tres de mis amigos, pero ¡quién sabe si los habrán encontrado en sus casas!

-Sí, sí, tenéis razón - exclamó la señora Bonacieux asustada ; huyamos, corramos.

Tras estas palabras, pasó su brazo bajo el de D'Artagnan y lo apretó vivamente.

-Pero ¿adónde huir? - dijo D'Artagnan-. ¿Adónde correr?

-Lo primero, alejémonos de esta casa, después ya veremos.

Y la joven y el joven, sin molestarse en cerrar la puerta, descendieron rápidamente por la calle des Fossoyeurs, se adentraron por la calle des Fossés Monsieur le Prince y no se detuvieron hasta la plaza Saint-Sulpice.

-¿Y ahora qué vamos a hacer - preguntó D'Artagnan - y adónde queréis que os conduzca?

-Me resulta muy difícil responderos, os lo confieso - dijo la señora Bonacieux ; mi intención era hacer avisar al señor de La Porte por medio de mi marido, a fin de que el señor de La Porte pudiera decirnos precisamente lo que había pasado en el Louvre desde hacía tres días, y si había peligro para mí en presentarme.

-Pero yo - dijo D'Artagnan - puedo avisar al señor de La Porte.

-Sin duda; sólo que hay un obstáculo, y es que al señor Bonacieux lo conocen en el Louvre y le dejarían pasar, mientras que a vos no os conocen y os cerrarán la puerta.

-¡Ah, bah! - dijo D'Artagnan-. Vos tenéis en algún postigo del Louvre un conserje que os es adicto, y que gracias a una contraseña...

La señora Bonacieux miró fijamente al joven.

-¿Y si os diera esa contraseña - dijo ella - la olvidaríais tan pronto como la hubierais utilizado?

-¡Palabra de honor, a fe de gentilhombre! - dijo D'Artagnan con un acento en cuya verdad nadie podía equivocarse.

-Bueno, os creo: tenéis aspecto de joven valiente y por otra parte vuestra fortuna está quizá al cabo de vuestra dedicación.

-Haré sin promesa y por conciencia todo cuanto pueda para servir al rey y ser agradable a la reina - dijo D'Artagnan ; disponed, pues, de mí como de un amigo.

-¿Y a mí dónde me meteréis durante ese tiempo?

-¿No tenéis una persona a cuya casa pueda el señor de La Porte venir a buscaros?

-No, no quiero fiarme de nadie.

-Esperad - dijo D'Artagnan-, estamos a la puerta de Athos. Sí, ésta es.

-¿Quién es Athos?

-Uno de mis amigos.

-¿Y si está en casa y me ve?

-No está, y me llevaré la llave después de haberos hecho entrar en su habitación.

-¿Y si vuelve?

-No volverá; además se le dirá que he traído una mujer, y que esa mujer está en su casa.

-Pero eso me comprometerá mucho, ¿no lo sabéis?

-¡Qué os importa! Nadie os conoce; además, nos hallamos en una situación de pasar por alto algunas conveniencias.

-Entonces vamos a casa de vuestro amigo. ¿Dónde vive?

-En la calle Férou, a dos pasos de aquí.

-Vamos.

Y los dos reemprendieron su carrera. Como había previsto D'Artagnan, Athos no estaba en su casa; tomó la llave, que tenían la costumbre de darle como a un amigo de la casa, subió la escalera a introdujo a la señora Bonacieux en la pequeña habitación cuya descripción ya hemos hecho.

-Estáis en vuestra casa - dijo él-, tened cuidado, cerrad las ventanas por dentro y no abráis a nadie, a menos que oigáis dar tres golpes así, mirad - y golpeó tres veces: dos golpes cercanos uno al otro y bastante fuerte, y un golpe más distante y más ligero.

-Está bien - dijo la señora Bonacieux ; ahora me toca a mí daros mis instrucciones.

-Escucho.

-Presentaros en el portillo del Louvre por el lado de la calle de l'Echelle y preguntad por Germain.

-Está bien. ¿Y después?

-Os preguntará qué queréis, y entonces vos le responderéis con estas dos palabras: Tours y Bruxelles. Al punto se pondrá a vuestras órdenes.

-¿Y qué le ordenaré yo?

-Ir a buscar al señor de La Porte, el ayuda de cámara de la reina.

-¿Y cuando haya ido a buscarle y el señor de La Porte haya venido?

-Me lo enviaréis.

-Está bien, pero ¿cómo os volveré a ver?

-¿Os importa mucho volverme a ver?

-Por supuesto.

-Pues bien, dejadme a mí ese cuidado, y estad tranquilo.

-Cuento con vuestra palabra.

-Contad con ella.

D'Artagnan saludó a la señora Bonacieux lanzándole la mirada más amorosa que le fue posible concentrar sobre su encantadora personita, y. mientras bajaba la escalera, oyó la puerta cerrarse tras él con doble vuelta de llave. En dos saltos estuvo en el Louvre; cuando entraba en el postigo de l'Echelle sonaban las diez. Todos los acontecimientos que acabamos de contar habían sucedido en media hora.

Todo se cumplió como lo había anunciado la señora Bonacieux. A la consigna convenida, Germain se inclinó; diez minutos después, La Porte estaba en la portería; en dos palabras, D'Artagnan le puso al corriente y le indicó dónde estaba la señora Bonacieux. La Porte se aseguró por dos veces la exactitud de las señas, y partió corriendo. Sin embargo, apenas hubo dado diez pasos cuando volvió.

-Joven - le dijo a D'Artagnan-, un consejo.

-¿Cuál?

-Podríais ser molestado por lo que acaba de pasar.

-¿Lo creéis?

-Sí.

-¿Tenéis algún amigo cuya péndola se retrase?

-¿Para...?

-Id a verle para que pueda testimoniar que estabais en su casa a las nueve y media. En justicia, esto se llama una coartada.

D'Artagnan encontró prudente el consejo; puso pies en polvorosa, llegó a casa del señor de Tréville; pero en lugar de pasar al salón con todo el mundo, pidió entrar en el gabinete. Como D'Artagnan era uno de los habituales del palacio, no hubo ninguna dificultad para acceder a su demanda; y fueron a avisar al señor de Tréville que su joven compatriota, teniendo algo importante que decide, solicitaba una audiencia particular. Cinco minutos después, el señor de Tréville preguntaba a D'Artagnan qué podía hacer por él y cuál era el motivo de su visita a una hora tan avanzada.

-¡Perdón, señor! - dijo D'Artagnan, que había aprovechado el momento en que se había quedado solo para retrasar el reloj tres cuartos de hora-. He pensado que como no eran más que las nueve y veinticinco minutos, aún había tiempo para presentarme en vuestra casa.

-¡Las nueve y veinticinco minutos! - exclamó el señor de Tréville mirando su péndola-. ¡Pero es imposible!

-Ya lo veis, señor - dijo D'Artagnan-, eso lo testimonia.

-Es exacto - dijo el señor de Tréville-, habría creído que era más tarde. Pero veamos, ¿qué queréis?

Entonces D'Artagnan le hizo al señor de Tréville una larga historia sobre la reina. Le expuso los temores que había concebido respecto a Su Majestad; le contó que había oído decir los proyectos del cardenal respecto a Buckingham, y todo ello con una tranquilidad y un aplomo del que el señor de Tréville fue tanto mejor la víctima cuanto que, como ya hemos dicho, él mismo había notado algo nuevo entre el cardenal, el rey y la reina.

Al sonar las diez, D'Artagnan abandonó al señor de Tréville, que le agradeció sus informes, le recomendó tener siempre en el corazón el servicio del rey y de la reina, y se volvió al salón. Pero al pie de la escalera, D'Artagnan se acordó de que había olvidado su bastón; por lo tanto subió precipitadamente, volvió a entrar en el gabinete, con una vuelta de dedo puso de nuevo el péndulo en su hora para que no se pudiese percibir al día siguiente que había sido movido, y seguro desde entonces de que tenía un testigo para probar su coartada, bajó la escalera y pronto se encontró en la calle.

La intriga se anuda

Una vez hecha la visita al señor de Tréville, D'Artagnan tomó, todo pensativo, el camino más largo para regresar a su casa.

¿En qué pensaba D'Artagnan, que se apartaba así de su ruta, mirando las estrellas del cielo, tan pronto suspirando como sonriendo?

Pensaba en la señora Bonacieux. Para un aprendiz de mosquetero, la joven era casi una idealidad amorosa. Bonita, misteriosa, iniciada en casi todos los secretos de la corte, que reflejaban tanta encantadora gravedad sobre sus trazos graciosos, era sospechosa de no ser insensible, lo cual es un atractivo irresistible para los amantes novicios; además, D'Artagnan la había liberado de manos de aquellos demonios que querían registrarla y maltratarla, y este importante servicio había establecido entre ella y él uno de esos sentimientos de gratitud que fácilmente adoptan un carácter más tierno.

D'Artagnan se veía ya, ¡tan deprisa caminan los sueños en alas de la imaginación!, abordado por un mensajero de la joven que le daba algún billete de cita, una cadena de oro o un diamante. Ya hemos dicho que los jóvenes caballeros recibían sin vergüenza de su rey: añadamos que, en aquel tiempo de moral fácil, no tenían tampoco vergüenza con sus amantes, ni de que éstas les dejaran casi siempre preciosos y duraderos recuerdos, como si ellas hubieran tratado de conquistar la fragilidad de sus sentimientos con la solidez de sus dones.

Se hacía entonces carrera por medio de las mujeres, sin ruborizarse. Las que no eran más que bellas, daban su belleza, y de ahí viene sin duda el proverbio según el cual la joven más bella del mundo no puede dar más que lo que tiene. Las que eran ricas daban además una parte de su dinero, y se podría citar un buen número de héroes de esa galante época que no hubieran ganado ni sus espuelas primero, ni sus batallas luego, sin la bolsa más o menos provista que su amante ataba al arzón de su silla.

D'Artagnan no poseía nada: la indecisión del provinciano, barniz ligero, flor efímera, vello de melocotón, se había evaporado al viento de los consejos poco ortodoxos que los tres mosqueteros daban a su amigo. D'Artagnan, siguiendo la extraña costumbre de la época, miraba a Paris como en campaña, y esto ni más ni menos que en Flandes: el español allá lejos, la mujer aquí. Por todas partes había un enemigo que combatir contribuciones que alcanzar.

Pero, digámoslo, por ahora D'Artagnan estaba movido por un sentimiento más noble y más desinteresado. El mercero le había dicho que era rico: el joven había podido adivinar que, con un necio como lo era el señor Bonacieux, debía ser la mujer quien tenía la llave de la bolsa. Pero todo esto no había influido para nada en el sentimiento producido por la visita de la señora Bonacieux, y el interés había permanecido casi extraño a este comienzo de amor que había sido la continuación. Decimos casi, porque la idea de que una mujer joven, bella, graciosa, espiritual, es rica al mismo tiempo, nada quita a ese comienzo de amor, todo lo contrario, lo corrobora.

Hay en la holgura una multitud de cuidados y de caprichos aristocráticos que le van bien a la belleza. Unas medias finas y blancas, un vestido de seda, un bordado de encaje, una bonita zapatilla en el pie, una cinta nueva en la cabeza, no hacen bonita a una mujer fea, pero hacen bella a una mujer bonita, sin contar que las manos ganan con todo esto; las manos, sobre todo en las mujeres, necesitan permanecer ociosas para permanecer bellas.

Además D'Artagnan, como sabe muy bien el lector, a quien no hemos ocultado el estado de su fortuna, D'Artagnan no era millonario; esperaba serlo algún día, pero el tiempo que él mismo se fijaba para ese feliz cambio estaba bastante lejos. Mientras tanto, ¡qué desesperación ver a una mujer que se ama desear esas mil naderías con que las mujeres hacen su dicha, y no poder darle esas mil naderías! Al menos, cuando la mujer es rica y el amante no lo es, lo que no puede ofrecerle, ella misma se lo ofrece; y aunque por regla general ella se consiga tal disfrute con el dinero del marido, raro es que sea él a quien dé las gracias.

Además D'Artagnan, dispuesto a ser el amante más tierno, era mientras tanto un amigo abnegado. En medio de sus proyectos amorosos sobre la mujer del mercero, no olvidaba a los suyos. La bonita señora Bonacieux era mujer para pasear por el llano de Saint Denis o entre el tumulto de Saint Germain, en compañía de Athos, de Porthos y Aramis, a los cuales D'Artagnan estaría orgulloso de mostrar una conquista semejante. Luego, cuando se ha caminado mucho tiempo, llega el hambre: D'Artagnan tras algún tiempo había notado esto. Harían breves comidas encantadoras en las que se toca por un lado la mano de un amigo, y por el otro el pie de una amante. En fin, en los momentos de apuros, en las situaciones extremas, D'Artagnan sería el salvador de sus amigos.

¿Y el señor Bonacieux, a quien D'Artagnan había empujado a las manos de los esbirros renegándole en alta voz y a quien había prometido en voz baja salvarle? Debemos confesar a nuestros lectores que D'Artagnan no pensaba en él ni por un momento, o que, si pensaba, era para decirse que estaba bien donde estaba, fuera en la parte que fuera. El amor es la más egoísta de todas las pasiones.

Sin embargo, que nuestros lectores se tranquilicen: si D'Artagnan olvida a su hospedero o hace ademán de olvidarlo so pretexto de que no sabe adónde ha sido conducido, nosotros no lo olvidamos, y nosotros sabemos dónde está. Pero por ahora, hagamos como el gascón enamorado. En cuanto al digno mercero, volveremos a él más tarde.

D'Artagnan, mientras reflexionaba en sus futuros amores, mientras hablaba a la noche, mientras sonreía a las estrellas, remontaba la calle du Cherche Midi o Chasse Midi, como se llamaba entonces. Como se encontraba en el barrio de Aramis, le había venido la idea de ir a visitar a su amigo, para darle algunas explicaciones sobre los motivos que le habían hecho enviar a Planchet con la invitación de presentarse inmediatamente en la ratonera. Ahora bien, si Aramis se hubiera encontrado en su casa cuando Planchet había ido a ella, habría corrido indudablemente a la calle des Fossoyeurs, y al no encontrar quizá a nadie más que a sus dos compañeros, ni unos ni otros habían sabido lo que aquello quería decir. Esa molestia merecía, pues, una explicación; he ahí lo que se decía en voz alta D’Artagnan.

Además, por lo bajo, pensaba que aquella era para él una ocasión de hablar de la bonita señora Bonacieux, de la que su espíritu, si no su corazón, estaba ya totalmente lleno. A propósito de un primer amor no es necesario pedir discreción. Este primer amor va acompañado de una alegría tan grande que es preciso que esa alegría desborde; sin eso, os ahogaría.

Desde hacía dos horas París estaba sombrío y comenzaba a quedarse desierto. Las once sonaban en todos los relojes del barrio de Saint-Germain, hacía una temperatura suave. D'Artagnan seguía una calleja situada sobre el emplazamiento por el que hoy pasa la calle d Assas, respirando las emanaciones embalsamadas que venían con el viento de la calle de Vaugirard y que enviaban los jardines refrescados por el rocío del atardecer y por la brisa de la noche. A lo lejos resonaban, amortiguados no obstante por buenos postigòs, los cantos de los bebedores en algunas tabernas perdidas en el llano. Llegado al cabo de la callejuela, D'Artagnan torció a la izquierda. La casa que habitaba Aramis se hallaba situada entre la calle Cassete y la calle Servandoni.

D'Artagnan acababa de dejar atrás la calle Cassete y reconocía ya la puerta de la casa de su amigo, enterrada bajo un macizo de sicomoros y de clemátides que formaban un vasto anillo por encima de ella, cuando percibió algo como una sombra que salía de la calle Servandoni. Ese algo estaba envuelto en una capa, y D'Artagnan creyó al principio que era un hombre; pero por la pequeñez de la talla, por la incertidumbre de los andares, por el embarazo del paso, pronto reconoció a una mujer. Es más, aquella mujer, como si no hubiera estado bien segura de la casa que buscaba, alzaba los ojos para orientarse, se detenía, volvía atrás, luego volvía de nuevo. D'Artagnan quedó intrigado.

«¡Y si fuera a ofrecerle mis servicios! - pensó-. Por su aspecto se ve que es joven; quizá sea hermosa. ¡Oh! Sí. Pero una mujer que corre las calles a esta hora no sale más que para reunirse con su amante. ¡Maldita sea! Si fuera a perturbar la cita, sería un mal comienzo para entrar en relaciones.»

Sin embargo, la joven seguía avanzando, contando las casas y las ventanas. No era, por lo demás, cosa larga ni difícil. No había más que tres palacetes en aquella parte de la calle, y dos ventanas con vistas sobre aquella calle: la una era de un pabellón paralelo al que ocupaba Aramis, la otra era la del propio Aramis.

-¡Pardiez! - se dijo D'Artagnan, a quien la nieta del teólogo venía a las mientes-. ¡Pardiez! Estaría bueno que esa paloma rezagada buscase la casa de nuestro amigo. Pero, por vida mía, eso sería demasiado. ¡Ah, mi querido Aramis, por esta vez, quiero tener el corazón limpio!

Y D'Artagnan, haciéndose lo más delgado que pudo, se puso a cubierto en el lado más oscuro de la calle, junto a un banco de piedra situado en el fondo de un nicho.

La joven continuó avanzando, porque además de la ligereza de su paso, que le había traicionado, acababa de hacer oír una breve tos que denunciaba una voz de las más frescas. D’Artagnan pensó que aquella tos era una señal.

Sin embargo, bien porque se hubiera respondido a aquella tos mediante un signo equivalente que había fijado las irresoluciones de la nocturna buscadora, bien porque sin ayuda extraña hubiera reconocido que había llegado al fin de su camino, se acercó resueltamente al postigo de Aramis y llamó con tres intervalos iguales con su dedo encorvado.

-¡Vaya con Aramis! - murmuró D'Artagnan-. ¡Ah, señor hipócrita, os he cogido haciendo teología!

Apenas fueron dados los tres golpes cuando la ventana interior se abrió y una luz apareció a través de los vidrios del postigo.

-¡Ah, ah! - hizo el indiscreto no de las puertas, sino de las ventanas-. ¡Vaya!, esperaban la visita. Veamos, el postigo va a abrirse y la dama entrará escalando. ¡Muy bien!

Pero, para gran asombro de D Artagnan, el postigo permaneció cerrado. Además, la luz que había resplandecido un instante desapareció y todo volvió a la oscuridad.

D'Artagnan pensó que aquello no podía durar así, y continuó mirando con todos sus ojos y escuchando con todas sus orejas.

Tenía razón: al cabo de unos segundos, dos golpes secos resonaron en el interior.

La joven de la calle respondió con un solo golpe seco, y el postigo se entreabrió.

Júzguese si D'Artagnan miraba y escuchaba con avidez.

Desgraciadamente, la luz había sido llevada a otra habitación. Pero los ojos del joven se habían habituado a la noche. Por otra parte, los ojos de los gascones tienen, como los de los gatos, según se asegura, la propiedad de ver durante la noche.

D'Artagnan vio, pues, que la joven sacaba de su bolso un objeto blanco que desplegó con viveza y que tomó la forma de un pañuelo. Desplegado aquel objeto, hizo notar una esquina a su interlocutor.

Esto recordó a D'Artagnan aquel pañuelo que había encontrado a los pies de la señora Bonacieux, que le había recordado el que habia encontrado a los pies de Aramis.

¿Qué diablos podía, pues, significar aquel pañuelo?

Situado donde estaba, D'Artagnan no podía ver el rostro de Aramis, y decimos de Aramis porque el joven no tenía ninguna duda de que era su amigo quien dialogaba desde el interior con la dama del exterior; la curiosidad pudo en él más que la prudencia y aprovechando la preocupación en que la vista del pañuelo parecía sumir a los dos personajes que hemos puesto en escena, salió de su escondite, y raudo como una centella, pero ahogando el ruido de sus pasos, fue a pegarse a una esquina del muro, desde el que su mirada podía hundirse perfectamente en el interior de la habitación de Aramis.

Llegado allí, D'Artagnan pensó lanzar un grito de sorpresa: no era Aramis quien hablaba con la visitante nocturna, era una mujer. Sólo que D'Artagnan veía bastante para reconocer la forma de sus vestidos, pero no para distinguir sus rasgos.

En el mismo instante, la mujer de la habitación sacó un segundo pañuelo de su bolsillo y lo cambió por aquel que acababan de mostrarle. Luego entre las dos mujeres fueron pronunciadas algunas palabras. Por fin el postigo se cerró. La mujer que se hallaba en el exterior de la ventana se volvió y vino a pasar a cuatro pasos de D'Artagnan bajando la toca de su manto; pero la precaución había sido tomada demasiado tarde y D'Artagnan había reconocido a la señora Bonacieux.

¡La señora Bonacieux! La sospecha de que era ella le había cruzado por el espíritu cuando había sacado el pañuelo de su bolso; pero ¿por qué motivo la señora Bonacieux, que había enviado a buscar al señor de La Porte para hacerse llevar por él al Louvre, corría las calles de París sola a las once y media de la noche, con riesgo de hacerse raptar por segunda vez?

Era preciso, por tanto, que fuera por un asunto muy importante. ¿Y qué asunto hay importante para una mujer de veinticinco años? El amor.

Pero ¿era por su cuenta o por cuenta de otra persona por lo que se exponía a semejantes azares? Esto era lo que se preguntaba a sí mismo el joven, a quien el demonio de los celos mordía en el corazón ni más ni menos que a un amante titulado.

Había por otra parte un medio muy simple de asegurarse adónde iba la señora Bonacieux: era seguirla. Este medio era tan simple que D'Artagnan lo empleó naturalmente y por instinto.

Pero a la vista del joven que se separaba del muro como una estatua de su nicho, y al ruido de los pasos que oyó resonar tras ella, la señora Bonacieux lanzó un pequeño grito y huyó.

D'Artagnan corrió tras ella. No era una cosa difícil para él alcanzar a una mujer embarazada por su manto. La alcanzó, pues, un tercio más allá de la calle en que se había adentrado. La desgraciada estaba agotada, no de fatiga sino de terror, y cuando D'Artagnan le puso la mano sobre el hombro, ella cayó sobre una rodilla gritando con voz estrangulada:

-Matadme si queréis, pero no sabréis nada.

D'Artagnan la alzó pasándole el brazo en torno al talle; pero como sintió por su peso que estaba a punto de desvanecerse, se apresuró a traquilizarla con protestas de afecto. Tales protestas no significaban nada para la señora Bonacieux, porque semejantes protestas pueden hacerse con las peores intenciones del mundo; pero la voz era todo. La joven creyó reconocer el sonido de aquella voz; volvió a abrir los ojos, lanzó una mirada sobre el hombre que le había causado tan gran miedo y, al reconocer a D'Artagnan, lanzó un grito de alegría.

-¡Oh, sois vos! ¡Sois vos! - dijo-. ¡Gracias, Dios mío!

-Sí, soy yo - dijo D'Artagnan-, yo, a quien Dios ha enviado para velar por vos.

-¿Era con esa intención con la que me seguíais? - preguntó con una sonrisa llena de coquetería la joven cuyo carácter algo burlón la dominaba, y en la que todo temor había desaparecido desde el momento mismo en que había reconocido un amigo en aquel a quien había tomado por un enemigo.

-No - dijo D'Artagnan-, no, lo confieso, es el azar el que me ha puesto en vuestra ruta; he visto una mujer llamar a la ventana de uno de mis amigos...

-¿De uno de vuestros amigos? - interrumpió la señora Bonacieux. - Sin duda; Aramis es uno de mis mejores amigos.

-¡Aramis! ¿Quién es ése?

-Vamos! ¿Vais a decirme que no conocéis a Aramis?

-Es la primera vez que oigo pronunciar ese nombre.

-Entonces, ¿es la primera vez que vais a esa casa?

-Claro.

-¿Y no sabíais que estuviese habitada por un joven?

-No.

-¿Por un mosquetero?

-De ninguna manera.

-¿No es, pues, a él a quien veníais a buscar?

-De ningún modo. Además, ya lo habéis visto, la persona con quien he hablado es una mujer.

-Es cierto; pero esa mujer es de las amigas de Aramis.

-Yo no sé nada de eso.

-Se aloja en su casa.

-Eso no me atañe.

-Pero ¿quién es ella?

-¡Oh! Ese no es secreto mío.

-Querida señora Bonacieux, sois encantadora; pero al mismo tiempo sois la mujer más misteriosa...

-¿Es que pierdo con eso?

-No, al contrario, sois adorable.

-Entonces, dadme el brazo.

-De buena gana. ¿Y ahora?

-Ahora conducidme.

-¿Adónde?

-Adonde voy.

-Pero ¿adónde vais?

-Ya lo veréis, puesto - que me dejaréis en la puerta.

-¿Habrá que esperaros.

-Será inútil.

-Entonces, ¿volveréis sola?

-Quizá sí, quizá no.

-Y la persona que os acompañará luego, ¿será un hombre, será una mujer?

-No sé nada todavía.

-Yo sí, yo sí lo sabré.

-¿Y cómo?

-Os esperaré para veros salir.

-En ese caso, ¡adiós!

-¿Cómo?

-No tengo necesidad de vos.

-Pero habíais reclamado...

-La ayuda de un gentilhombre, y no la vigilancia de un espía.

-La palabra es un poco dura.

-¿Cómo se llama a los que siguen a las personas a pesar suyo?

-Indiscretos.

-La palabra es demasiado suave.

-Vamos, señora, me doy cuenta de que hay que hacer todo lo que vos queráis.

-¿Por qué privaros del mérito de hacerlo en seguida?

-¿No hay alguno que se ha arrepentido de ello?

-Y vos, ¿os arrepentís en realidad?

-Yo no sé nada de mí mismo. Pero lo que sé es que os prometo hacer todo lo que queráis si me dejáis acompañaros hasta donde vayáis.

Y me dejaréis después?

-Sí.

-¿Sin espiarme a mi salida?

-No.

-¿Palabra de honor?

-¡A fe de gentilhombre!

-Tomad entonces mi brazo y caminemos.

D'Artagnan ofreció su brazo a la señora Bonacieux, que se cogió de él, mitad riendo, mitad temblando, y los dos juntos ganaron lo alto de la calle La Harpe. Llegada allí la joven pareció dudar, como ya había hecho en la calle Vaugirard. Sin embargo, por ciertos signos, pareció reconocer una puerta; y se acercó a ella.

-Y ahora, señor - dijo-, aquí es donde tengo que venir; mil gracias por vuestra honorable compañía, que me ha salvado de todos los peligros a que habría estado expuesta. Pero ha llegado el momento de cumplir vuestra palabra: yo he llegado a mi destino.

-¿Y no tendréis nada que temer a la vuelta?

-No tendré que temer más que a los ladrones.

-¿Y eso no es nada?

-¿Qué podrían robarme? No tengo un denario encima.

-Olvidáis ese bello pañuelo bordado, blasonado.

-¿Cuál?

-El que encontré a vuestros pies y que metí en vuestro bolsillo.

-¡Callaos, callaos, desgraciado! - exclamó la joven-. ¿Queréis perderme?

-Ya veis que todavía hay peligro para vos, puesto que una sola palabra os hace temblar y confesáis que si oyesen esa palabra estaríais perdida. ¡Ah, señora - exclamó D'Artagnan cogiéndole la mano y cubriéndola con una ardiente mirada-, sed más generosa, confiad en mí! No habéis leído todavía en mis ojos que no hay más que afecto y simpatía en mi corazón.

-Claro que sí - respondió la señora Bonacieux - y si me pedís mis secretos, os los diré; pero los de los demás, es otra cosa.

-Está bien - dijo D'Artagnan-, yo los descubriré; puesto que tales secretos pueden tener influencia sobre vuestra vida, es preciso que esos secretos se conviertan en los míos.

-Guardaos de ello - exclamó la joven con una serenidad que hizo temblar a D'Artagnan a su pesar-. ¡No os mezcléis en nada de lo que me atañe, no tratéis de ayudarme en lo que hago! Y esto os lo pido en nombre del interés que os inspiro, en nombre del servicio que me habéis hecho, y que no olvidaré en mi vida. Creed ante todo en lo que os digo. No os ocupéis más de mí, no existo más para vos, que sea como si no me hubierais visto jamás.

-¿Aramis debe hacer lo mismo que yo, señora? - dijo D'Artagnan picado.

-Es ya la segunda o tercera vez que pronunciáis ese nombre, señor, y sin embargo os he dicho que no lo conocía.

-¿No conocéis al hombre a cuyo postigo vais a llamar? Vamos, señora, ¿no me creéis demasiado crédulo?

-Confesad que habéis inventado esa historia para hacerme hablar, y que vos mismo habéis creado ese personaje.

-Yo no he inventado nada, señora, no creo nada, digo la exacta verdad.

-¿Y decíis que uno de vuestros amigos vive en esa casa?

-Lo digo y lo repito por tercera vez, en esa casa es donde vive mi amigo, y ese amigo es Aramis.

-Todo esto se aclarará más tarde - murmuró la joven ; ahora, señor, callaos.

-Si pudierais ver mi corazón completamente al descubierto - dijo D'Artagnan-, leeríais en él tanta curiosidad que tendríais piedad de mí, y tanto amor que al instante satisfaríais incluso mi curiosidad. No tenéis nada que temer de quienes os aman.

-Habláis muy deprisa de amor, señor - dijo la mujer moviendo la cabeza.

-Es que el amor me ha venido deprisa y por primera vez, y aún no tengo veinte años.

La joven lo miró a hurtadillas

-Escuchad, estoy tras su rastro dijo D'Artagnan - Hace tres meses estuve a punto de tener un duelo con Aramis por un pañuelo semejante al que habéis mostrado a aquella mujer que estaba en su casa, por un pañuelo marcado de la misma manera, estoy seguro.

-Señor - dijo la joven-, me cansáis, os lo juro, con esas preguntas.

-Pero vos, señora, tan prudente pensad en ello; si fuerais arrestada con ese pañuelo, y si ese pañuelo fuera cogido, ¿no os comprometeríais?

-¿Y por qué? ¿Las iniciales no son las mías: C. B., Costance Bonacieux?

-O Camille de Bois Tracy.

-Silencio, señor, una vez mas, ¡silencio! ¡Ah! Puesto que los peligros que corro no os detienen, pensad en los que podéis correr vos.

-¿Yo?

-Sí, vos. Corréis peligro en la cárcel, corréis peligro de muerte por el hecho de conocerme.

-Entonces no os dejo.

-Señor - dijo la joven suplicando y juntando las manos-, señor, en el nombre del cielo, en el nombre del honor de un militar, en el nombre de la cortesía de un gentilhombre, alejaos; ved, suenan las doce, es la hora en que me esperan.

-Señora - dijo el joven inclinándose-, no sé negar nada a quien me lo pide así; contentaos, ya me alejo.

-Pero ¿no me seguiréis, no me espiaréis?

-Regreso a mi casa ahora mismo.

-¡Ah, ya sabía yo que erais un buen joven! - exclamó la señora Bonacieux tendiéndole una mano y poniendo la otra en la aldaba de una pequeña puerta casi perdida en el muro.

D'Artagnan tomó la mano que se le tendía y la besó ardientemente.

-¡Ay, preferiría no haberos visto jamás! - exclamó D'Artagnan con aquella brutalidad ingenua que las mujeres prefieren con frecuencia a las afectaciones de la cortesía, porque descubre el fondo del pensamiento y prueba que el sentimiento domina sobre la razón.

-¡Pues bien! - prosiguió la señora Bonacieux con una voz casi acariciadora y estrechando la mano de D'Artagnan, que no había abandonado la suya-. ¡Pues bien¡ Yo no diré tanto como vos: lo que está perdido para hoy no está perdido para el futuro. ¿Quién sabe si cuando yo esté libre un día no satisfaré vuestra curiosidad?

-¿Y hacéis la misma promesa a mi amor? - exclamó D'Artagnan en el colmo de la alegría.

-¡Oh! Por ese lado, no quiero comprometerme, eso dependerá de los sentimientos que vos sepáis inspirarme.

-Así, hoy, señora...

-Hoy, señor, no estoy segura más que del agradecimiento.

-¡Ah! Sois muy encantadora - dijo D'Artagnan con tristeza-, y abusáis de mi amor.

-No, yo use de vuestra generosidad, eso es todo. Pero, creedlo, con ciertas personas todo se recobra.

-¡Oh, me hacéis el más feliz de los hombres! No olvidéis esta noche, no olvidéis esta promesa.

-Estad tranquilo, en tiempo y lugar me acordaré de todo. ¡Y bien, partid pues, partid, en nombre del cielo! Me esperaban a las doce en punto, y voy retrasada.

-Cinco minutos.

-Sí; pero en ciertas circunstancias cinco minutos son cinco siglos.

-Cuando se ama.

-¿Y quién os dice que no tengo un asunto amoroso?

-¿Es un hombre el que os espera? - exclamó D'Artagnan-. ¡Un hombre!

-Vamos, que la discusión vuelve a empezar - dijo la señora Bonacieux con media sonrisa que no estaba exenta de cierto tinte de impaciencia.

-No, no, me voy; creo en vos, quiero tener todo el mérito de mi afecto, aunque ese afecto sea una estupidez. ¡Adiós, señora, adiós!

Y como si no se sintiera con fuerza para separarse de la mano que sostenía más que mediante una sacudida, se alejó corriendo, mientras la señora Bonacieux llamaba, como en el postigo, con tres golpes lentos y regulares; luego, llegado al ángulo de la calle, él se volvió: la puerta se había abierto y vuelto a cerrar, la bonita mercera había desaparecido.

D'Artagnan prosiguió su camino, había dado su palabra de no espiar a la señora Bonacieux, y aunque la vida de ella dependiera del lugar adonde había ido a reunirse, o de la persona que debía acompañarla, D'Artagnan habría vuelto a su casa, puesto que había dicho que volvía. Cinco minutos después estaba en la calle des Fossoyeurs.

-Pobre Athos - decía-, no sabrá lo que esto quiere decir. Se habrá dormido mientras me esperaba, o habrá regresado a su casa, y al volver se habrá enterado de que había ido allí una mujer. ¡Una mujer en casa de Athos! Después de todo - continuó D'Artagnan-, también había una en casa de Aramis. Todo esto es muy extraño y me intriga mucho saber cómo va a terminar.

-Mal, señor, mal - respondió una voz que el joven reconoció como la de Planchet; porque monologando en voz alta, a la manera de las personas muy preocupadas, se había adentrado por el camino al fondo del cual estaba la escalera que conducía a su habitación.

-¿Cómo mal? ¿Qué quieres decir, imbécil? - preguntó D'Artagnan-. ¿Qué ha pasado?

-Toda clase de desgracias.

-¿Cuáles?

-En primer lugar, el señor Athos está arrestado.

-¡Arrestado! ¡Athos! ¡Arrestado! ¿Por qué?

-Lo encontraron en vuestra casa; lo tomaron por vos.

-¿Y quién lo ha arrestado?

-La guardia que fueron a buscar los hombres negros que vos pusisteis en fuga.

-¡Por qué no ha dicho su nombre! ¿Por qué no ha dicho que no tenía nada que ver con este asunto?

-Se ha guardado mucho de hacerlo, señor; al contrario, se ha acercado a mí y me ha dicho: «Es tu amo el que necesita su libertad en este momento, y no yo, porque él sabe todo y yo no sé nada. Le creerán arrestado, y esto le dará tiempo; dentro de tres días diré quién soy, y entonces tendrán que dejarme salir.»

-¡Bravo, Athos! Noble corazón - murmuró D'Artagnan-, en eso le reconozco. ¿Y qué han hecho los esbirros?

-Cuatro se lo han llevado no sé adónde, a la Bastilla o al Fort-l'Evêque; dos se han quedado con los hombres negros, que han registrado por todas partes y que han cogido todos los papeles. Por fin, los dos últimos, durante esta comisión, montaban guardia en la puerta; luego, cuando todo ha acabado, se han marchado dejando la casa vacía y completamente abierta.

-¿Y Porthos y Aramis?

-Yo no los encontré, no han venido.

-Pero pueden venir de un momento a otro, porque tú les dejaste el recado de que los esperaba.

-Sí, señor.

-Bueno, no te muevas de aquí; si vienen, avísales de lo que me ha pasado, que me esperen en la taberna de la Pomme du Pin; aquí habría peligro, la casa puede ser espiada. Corro a casa del señor de Tréville para anunciarle todo esto, y me reúno con ellos.

-Está bien, señor - dijo Planchet.

-Pero tú te quedas, tú no tengas miedo - dijo D'Artagnan volviendo sobre sus pasos para recomendar valor a su lacayo.

-Estad tranquilo, señor - dijo Planchet ; no me conocéis todavía: soy valiente cuando me pongo a ello; la cosa consiste en ponerme; además, soy picardo.

-Entonces, de acuerdo - dijo D'Artagnan ; te haces matar antes que abandonar tu puesto.

-Sí, señor, y no hay nada que no haga para probar al señor que le soy adicto.

-Bueno - se dijo a sí mismo D'Artagnan-, parece que el método que empleé con este muchacho es decididamente bueno; lo usaré en su momento.

Y con toda la rapidez de sus piernas, algo fatigadas ya sin embargo por las carreras de la jornada, D'Artagnan se dirigió hacia la calle du Vieux Colombier.

El señor de Tréville no estaba en su palacio; su compañía se hallaba de guardia en el Louvre; él estaba en el Louvre con su compañía.

Había que llegar hasta el señor de Tréville; era importante que fuera prevenido de lo que pasaba. D'Artagnan decidió entrar en el Louvre. Su traje de guardia de la compañía del señor Des Essarts debía servirle de pasaporte.

Descendió, pues, la calle des Petits Augustins y subió el muelle para tomar el Pont Neuf. Por un instante tuvo la idea de pasar en la barca, pero al llegar a la orilla del agua había introducido maquinalmente su mano en el bolsillo y se había dado cuenta de que no tenía con qué pagar al barquero.

Cuando llegaba a la altura de la calle Guénégaud, vio desembocar de la calle Dauphine un grupo compuesto por dos personas cuyo aspecto le sorprendió.

Las dos personas que componían el grupo eran: la una, un hombre; la otra, una mujer.

La mujer tenía el aspecto de la señora Bonacieux, y el hombre se parecía a Aramis hasta el punto de ser tomado por él.

Además, la mujer tenía aquella capa negra que D'Artagnan veía aún recortarse sobre el postigo de la calle de Vaugirard y sobre la puerta de la calle de La Harpe.

Además, el hombre llevaba el uniforme de los mosqueteros.

El capuchón de la mujer estaba vuelto, el hombre tenía su pañuelo sobre su rostro; los dos, esa doble precaución lo indicaba, los dos tenían, pues, interés en no ser reconocidos.

Ellos tomaron el puente; era el camino de D'Artagnan, puesto que D'Artagnan se dirigía al Louvre; D'Artagnan los siguió.

D'Artagnan no había dado veinte pasos cuando quedó convencido de que aquella mujer era la señora Bonacieux y de que aquel hombre era Aramis.

En el mismo instante sintió que todas las sospechas de los celos se agitaban en su corazón.

Era doblemente traicionado por su amigo y por aquella a la que amaba ya como a una amante. La señora Bonacieux le había jurado por todos los dioses que no conocía a Aramis, y un cuarto de hora después de que ella le hubiera hecho este juramento la volvía a encontrar del brazo de Aramis.

D'Artagnan no reflexionó que conocía a la bonita mercera desde hacía tres horas, que no le debía a él nada más que un poco de gratitud por haberla liberado de los hombres perversos que querían raptarla, y que ella no le había prometido nada. Se miró como un amante ultrajado, traicionado, escarnecido; la sangre y la cólera le subieron al rostro, resolvió aclararlo todo.

La joven mujer y el joven hombre se habían dado cuenta de que los seguían, y habían doblado el paso. D'Artagnan tomó carrera, los sobrepasó, luego volvió sobre ellos en el momento en que se encontraban ante la Samaritaine, alumbrada por un reverbero que proyectaba su claridad sobre toda aquella parte del puente.

D'Artagnan se detuvo ante ellos, y ellos se detuvieron ante él.

-¿Qué queréis, señor? - preguntó el mosquetero retrocediendo un paso y con un acento extranjero que probaba a D'Artagnan que se había equivocado en una parte de sus conjeturas.

-¡No es Aramis! - exclamó.

-No, señor, no soy Aramis, y por vuestra exclamación veo que me habéis tomado por otro, y os perdono.

-¡Vos me perdonáis! - exclamó D'Artagnan. -Sí - respondió el desconocido-. Dejadme, pues, pasar, porque nada tenéis conmigo.

-Tenéis razón, señor - dijo D'Artagnan-, nada tengo con vos, sí con la señora.

-¡Con la señora! Vos no la conocéis - dijo el extranjero.

-Os equivocáis, señor, la conozco.

-¡Ah! - dijo la señora Bonacieux con un tono de reproche-. ¡Ah, señor! Tenía yo vuestra palabra de militar y vuestra fe de gentilhombre; esperaba contar con ellas.

-Y yo, señora - dijo D'Artagnan embarazado-. Me habíais prometido.

-Tomad mi brazo, señora - dijo el extranjero-, y continuemos nuestro camino.

Sin embargo, D'Artagnan, aturdido, aterrado, anonadado por todo lo que le pasaba, permanecía en pie y con los brazos cruzados ante el mosquetero y la señora Bonacieux.

El mosquetero dio dos pasos hacia adelante y apartó a D'Artagnan con la mano.

D'Artagnan dio un salto hacia atrás y sacó su espada.

Al mismo tiempo y con la rapidez de la centella, el desconocido sacó la suya.

-¡En nombre del cielo, milord! - exclamó la señora Bonacieux arrojándose entre los combatientes y tomando las espadas con sus manos.

-¡Milord! - exclamó D'Artagnan iluminado por una idea súbita-. ¡Milord! Perdón señor, es que vois sois...

-Milord el duque de Buckingham - dijo la señora Bonacieux a media voz ; y ahora podéis perdernos a todos.

-Milord, madame, perdón, cien veces perdón; pero yo la amaba, milord, y estaba celoso; vos sabéis lo que es amar, milord; perdonadme y decidme cómo puedo hacerme matar por vuestra gracia.

-Sois un joven valiente - dijo Buckingham tendiendo a D'Artagnan una mano que éste apretó respetuosamente ; me ofrecéis vuestros servicios, los acepto; seguidnos a veinte pasos hasta el Louvre. ¡Y si alguien nos espía, matadlo!

D'Artagnan puso su espada desnuda bajo su brazo, dejó adelantarse a la señora Bonacieux y al duque veinte pasos y los siguió, dispuesto a ejecutar a la letra las instrucciones del noble y elegante ministro de Carlos I.

Pero afortunadamente el joven secuaz no tuvo ninguna ocasión de dar al duque aquella prueba de su devoción; y la joven y el hermoso mosquetero entraron en el Louvre por el postigo de L'Echelle sin haber sido inquietados.

En cuanto a D'Artagnan, se volvió al punto a la taberna de la Pomme du Pin, donde encontró a Porthos y a Aramis que lo esperaban.

Pero sin darles otra explicación sobre la molestia que les había causado, les dijo que había terminado solo el asunto para el que por un instante había creído necesitar su intervención.

Y ahora, arrastrados como estamos por nuestro relato, dejemos a nuestros tres amigos volver cada uno a su casa, y sigamos por el laberinto del Louvre al duque de Buckingham y a su guía.

Georges Villiers, duque de Buckingham

La señora Bonacieux y el duque entraron en el Louvre sin dificultad; la señora Bonacieux era conocida por pertenecer a la reina; el duque llevaba el uniforme de los mosqueteros del señor de Tréville que, como hemos dicho, estaba de guardia aquella noche. Además, Germain era adicto a los intereses de la reina, y si algo pasaba, la señora Bonacieux sería acusada de haber introducido a su amante en el Louvre, eso es todo; cargaba con el crimen: su reputación estaba perdida, cierto, pero ¿qué valor tiene en el mundo la reputación de una simple mercera?

Un vez entrados en el interior del patio, el duque y la joven siguieron el pie de los muros durante un espacio de unos veinticinco pasos; recorrido ese espacio la señora Bonacieux empujó una pequeña puerta de servicio, abierta durante el día, pero cerrada generalmente por la noche; la puerta cedió; los dos entraron y se encontraron en la oscuridad, pero la señora Bonacieux conocía todas las vueltas y revueltas de aquella parte del Louvre, destinada a las personas de la servidumbre. Cerró las puertas tras ella, tomó al duque por la mano, dio algunos pasos a tientas, asió una barandilla, tocó con el pie un escalón y comenzó a subir la escalera; el duque contó dos pisos. Entonces ella torció a la derecha, siguió un largo corredor, volvió a bajar un piso, dio algunos pasos más todavía, introdujo una llave en una cerradura, abrió una puerta y empujó al duque en una habitación iluminada solamente por una lámpara de noche diciendo: «Quedad aquí, milord duque, vendrán». Luego salió por la misma puerta, que cerró con llave, de suerte que el duque se encontró literalmente prisionero.

Sin embargo, por más solo que se encontraba, hay que decirlo, el duque de Buckingham no experimentó por un instante siquiera temor; uno de los rasgos salientes de su carácter era la búsqueda de la aventura y el amor por lo novelesco. Valiente, osado, emprendedor, no era la primera vez que arriesgaba su vida en semejantes tentativas; había sabido que aquel presunto mensaje de Ana de Austria, fiado en el cual había venido a París, era una trampa, y en lugar de regresar a Inglaterra, abusando de la posición en que se le había puesto, había declarado a la reina que no partiría sin haberla visto. La reina se había negado rotundamente al principio, luego había temido que el duque, exasperado, cometiese alguna locura. Ya estaba decidida a recibirlo y a suplicarle que partiese al punto cuando, la tarde misma de aquella decisión, la señora Bonacieux, que estaba encargada de ir a buscar al duque y conducirle al Louvre, fue raptada. Durante dos días se ignoró completamente lo que había sido de ella, y todo quedó en suspenso. Pero una vez libre, una vez puesta de nuevo en contacto con La Porte, las cosas habían recuperado su curso, y ella acababa de realizar la peligrosa empresa que, sin su arresto, habría ejecutado tres días antes.

Buckingham, que se había quedado solo, se acercó a un espejo. Aquel vestido de mosquetero le iba de maravilla.

A los treinta y cinco años que entonces tenía, pasaba, y con razón, por el gentilhombre más hermoso y por el caballero más elegante de Francia y de Inglaterra.

Favorito de dos reyes, rico en millones, todopoderoso en el reino que agitaba según su fantasía y calmaba a su capricho, Georges Villiers, duque de Buckingham, había emprendido una de esas existencias fabulosas que quedan en el curso de los siglos como asombro para la posteridad.

Por eso, seguro de sí mismo, convencido de su poder, cierto de que las leyes que rigen a los demás hombres no podían alcanzarlo, iba erecho al fin que se había fijado, por más que ese fin fuera tan elevado y tan deslumbrante que para cualquier otro sólo mirarlo habría sido locura. Así es como había conseguido acercarse varias veces a la bella y orgullosa Ana de Austria y hacerse amar a fuerza de deslumbramiento.

Georges Villiers se situó, pues, ante un espejo, como hemos dicho, devolvió a su bella cabellera rubia las ondulaciones que el peso del sombrero le había hecho perder, se atusó su mostacho, y con el corazón todo henchido de alegría, feliz y orgulloso de alcanzar el momento que durante tanto tiempo había deseado, se sonrió a sí mismo de orgullo y de esperanza.

En aquel momento, un puerta oculta en la tapicería se abrió y apareció una mujer. Buckingham vio aquella aparición en el cristal; lanzó un grito, ¡era la reina!

Ana de Austria tenía entonces veintiséis o veintisiete años, es decir, se encontraba en todo el esplendor de su belleza.

Su caminar era el de una reina o de una diosa; sus ojos, que despedían reflejos de esmeralda, eran perfectamente bellos, y al mismo tiempo llenos de dulzura y de majestad.

Su boca era pequeña y bermeja y aunque su labio inferior, como el de los príncipes de la Casa de Austria, sobresalía ligeramente del otro, era eminentemente graciosa en la sonrisa, pero también profundamente desdeñosa en el desprecio.

Su piel era citada por su suavidad y su aterciopelado, su mano y sus brazos eran de una belleza sorprendente y todos los poetas de la época los cantaban como incomparables.

Finalmente, sus cabellos, que de rubios que eran en su juventud se habían vuelto castaños, y que llevaba rizados, muy claros y con mucho polvo, enmarcaban admirablemente su rostro, en el que el censor más rígido no hubiera podido desear más que un poco menos de rouge, y el escultor más exigente sólo un poco más de finura en la nariz.

Buckingham permaneció un instante deslumbrado; jamás Ana de Austria le había parecido tan bella en medio de los bailes, de las fiestas, de los carruseles como le pareció en aquel momento, vestida con un simple vestido de satén blanco y acompañada de doña Estefanía, la única de sus mujeres españolas que no había sido expulsada por los celos del rey y por las persecuciones de Richelieu.

Ana de Austria dio dos pasos hacia adelante; Buckingham se precipitó a sus rodillas y, antes de que la reina hubiera podido impedírselo, besó los bajos de su vestido.

-Duque, ya sabéis que no he sido yo quien os ha hecho escribir.

-¡Oh! Sí, señora, sí, vuestra majestad - exclamó el duque-, sé que he sido un loco, un insensato por creer que la nieve se animaría, que el mármol se calentaría; mas, ¿qué queréis? Cuando se ama se cree fácilmente en el amor; además, no he perdido todo en este viaje, puesto que os veo.

-Sí - respondió Ana-, pero debéis saber por qué y cómo os veo, milord. Os veo por piedad hacia vos mismo; os veo porque, insensible a todas mis penas, os habéis obstinado en permanecer en una ciudad en la que, permaneciendo, corréis riesgo de la vida y me hacéis a mí correr el riesgo de mi honor; os veo para deciros que todo nos separa, las profundidades del mar, la enemistad de los reinos, la santidad de los juramentos. Es sacrilegio luchar contra tantas cosas, milord. Os veo, en fin para deciros que no tenemos que vernos más.

-Hablad, señora; hablad, reina - dijo Buckingham ; la dulzura de vuestra voz cubre la dureza de vuestras palabras. ¡Vos habláis de sacrilegio! Pero el sacrilegio está en la separación de corazones que Dios había formado el uno para el otro.

-Milord - exclamó la reina-, olvidáis que nunca os he dicho que os amaba.

-Pero jamás me habéis dicho que no me amarais; y, realmente, decirme semejantes palabras, sería por parte de vuestra majestad una ingratitud demasiado grande. Porque, decidme, ¿dónde encontráis un amor semejante al mío, un amor que ni el tiempo, ni la ausencia, ni la desesperación pueden apagar, un amor que se contenta con una cinta extraviada, con una mirada perdida, con una palabra escapada? Hace tres años, señora, que os vi por primera vez, y desde hace tres años os amo así. ¿Queréis que os diga cómo estabais vestida la primera vez que os vi? ¿Queréis que detalle cada uno de los adornos de vuestro tocado? Mirad, aún lo veo; estabais sentada en un cojín cuadrado, a la moda de España; teníais un vestido de satén verde con brocados de oro y de plata; las mangas colgantes y anudadas sobre vuestros hellos brazos, sobre esos brazos admirables, con gruesos diamantes; teníais una gorguera cerrada, un pequeño bonete sobre vuestra cabeza del color de vuestro vestido, y sobre ese bonete una pluma de garza. ¡Oh! Mirad, mirad, cierro los ojos y os veo tal cual erais entonces; los abro y os veo cual sois ahora, es decir, ¡cien veces más bella aún!

-¡Qué locura! - murmuró Ana de Austria, que no tenía el valor de admitirle al duque haber conservado tan bien su retrato en su corazón-. ¡Qué locura alimentar una pasión inútil con semejantes recuerdos!

-¿Y con qué queréis entonces que yo viva? Yo no tengo más que recuerdos. Es mi felicidad, es mi tesoro, es mi esperanza. Cada vez que os veo, es un diamante más que guardo en el escriño de mi corazón. Este es el cuarto que vos dejáis caer y que yo recojo; porque en tres años, señora, no os he visto más que cuatro veces: esa primera de que acabo de hablaros, la segunda en casa de la señora de Chevreuse, la tercera en los jardines de Amiens.

-Duque - dijo la reina ruborizándose - no habléis de esa noche.

-¡Oh! Al contrario, hablemos, señora, hablemos de ella; es la noche feliz y resplandeciente de mi vida. ¿Os acordáis de la bella noche que hacía? ¡Cuán dulce y perfumado era el aire, cuán azul el cielo todo esmaltado de estrellas! ¡Ah! Aquella vez, señora, pude estar un instante a solas con vos; aquella vez vos estabais dispuesta a decirme todo: el aislamiento de vuestra vida, las penas de vuestro corazón. Vos estabais apoyada en mi brazo, mirad, en éste. Al inclinar mi cabeza a vuestro lado, yo sentía vuestros hermosos cabellos rozar mi rostro, y cada vez que me rozaban yo temblaba de la cabeza a los pies. ¡Oh, reina, reina! ¡Oh! No sabéis cuánta felicidad del cielo, cuánta alegría del paraíso hay encerradas en un momento semejante. Mirad, mis bienes, mi fortuna, mi gloria, ¡todos los días que me quedan por vivir a cambio de un momento semejante y de una noche parecida! Porque esa noche, señora, esa noche vos me amabais, os lo juro.

-Milord, es posible, sí, que la influencia del lugar, que el encanto de aquella hermosa noche, que la fascinación de vuestra mirada, que esas mil circunstancias, en fin, que se juntan a veces para perder a una mujer, se hayan agrupado en torno mío en aquella noche fatal; pero ya lo visteis, milord; la reina vino en ayuda de la mujer que flaqueaba: a la primera palabra que osasteis decir, a la primera osadía a la que tuve que responder, pedí ayuda.

-¡Oh! Sí, sí, eso es cierto, y cualquier otro amor distinto al mío habría sucumbido a esa prueba; pero mi amor, en mi caso, ha salido de ella ardiente y más eterno. Creisteis huir de mí volviendo a París, creisteis que no osaría abandonar el tesoro que mi amo me había encargado vigilar. ¡Ah, qué me importan a mí todos los tesoros del mundo ni todos los reyes de la tierra! Ocho días después, yo estaba de regreso, señora. Y esa vez, nada tuvisteis que decirme: yo había arriesgado mi favor, mi vida, por veros un segundo, no toqué siquiera vuestra mano, y vos me perdonasteis al verme tan sometido y arrepentido.

-Sí, pero la calumnia se ha apoderado de todas esas locuras en las que yo no contaba para nada, y vos lo sabéis bien, milord. El rey, excitado por el señor cardenal, organizó un escándalo terrible: la señora de Vernet ha sido echada, Putange exiliado, la señora de Chevreuse ha caído en desgracia, y cuando vos quisisteis volver como embajador de Francia, recordad, milord, que el rey mismo se opuso.

-Sí, y Francia va a pagar con una guerra el rechazo de su rey. Yo no puedo veros, señora; pues bien, quiero que cada día oigáis hablar de mí. ¿Qué otro objetivo pensáis que han tenido esa expedición de Ré y esa liga con los protestantes de la Rochelle que proyecto? ¡El placer de veros!. No tengo la esperanza de penetrar a mano armada hasta Paris, lo sé de sobra; pero esta guerra podrá llevar a una paz, esa paz necesitará un negociador, ese negociador seré yo. Entonces no se atreverán a rechazarme, y volveré a Paris, y os veré, y seré feliz un instante. Cierto que miles de hombres habrán pagado mi dicha con su vida; pero ¿qué me importaría a mí, dado que os vuelvo a ver? Todo esto es quizá muy loco, quizá muy insensato; pero decidme, ¿qué mujer tiene un amante más enamorado? ¿Qué reina ha tenido un servidor más ardiente?

-Milord, milord, invocáis para vuestra defensa cosas que os acusan incluso; milord, todas esas pruebas de amor que queréis darme son casi crímenes.

-Porque vos no me amáis, señora; si me amaseis, todo esto lo veríais de otro modo; si me amaseis, ¡oh!, si vos me amaseis sería demasiada felicidad y me volvería loco. ¡Ah! La señora de Chevreuse, de la que hace un momento hablabais, la señora de Chevreuse ha sido menos cruel que vos; Holland - la amó y ella respondió a su amor.

-La señora de Chevreuse no era reina - murmuró Ana de Austria, vencida a pesar suyo por la expresión de un amor tan profundo.

-¿Me amaríais entonces si no lo fuerais, señora, decid, me amaríais entonces? ¿Puedo, pues, creer que es la dignidad sola de vuestro rango la que os hace cruel para mí? ¿Puedo, pues, creer que si vos hubierais sido la señora de Chevreuse, el pobre Buckingham habría podido esperar? Gracias por esas dulces palabras, mi bella Majestad, cien veces gracias.

-¡Ah! Milord, habéis entendido mal, habéis interpretado mal; yo no he querido decir...

-¡Silencio! ¡Silencio! - dijo el duque-. Si yo soy feliz por un error, no tengáis la crueldad de quitármelo. Lo habéis dicho vos misma, se me ha atraído a una trampa, tal vez deje mi vida en ella porque, mirad, es extraño, pero desde hace algún tiempo tengo presentimientos de que voy a morir - y el duque sonrió con una sonrisa triste y encantadora a la vez.

-¡Oh, Dios mío! - exclamó Ana de Austria con un acento de terror que probaba que sentía por el duque un interés mayor del que quería confesar.

-No os digo esto para asustaros, señora, no; es incluso ridículo lo que os digo, y creedme que no me preocupo nada por semejantes sueños. Pero esa palabra que acabáis de decirme, esa esperanza que casi me habéis dado, lo habrá pagado todo, incluso mi vida.

-¡Y bien! - dijo Ana de Austria-. Yo también, duque, tengo presentimientos, también yo tengo sueños. He soñado que os veía tendido, sangrando, víctima de una herida.

-¿En el lado izquierdo, no es verdad, con un cuchillo? - interrumpió Buckingham.

-Sí, eso es, milord, eso es, en el lado izquierdo, con un cuchillo. ¿Quién ha podido deciros que yo había tenido ese sueño? No lo he confiado más que a Dios, a incluso en mis plegarias.

-No quiero más, y vos me amáis, señora, está claro.

-¿Que yo os amo?

-Sí, vos. ¿Os enviaría Dios los mismos sueños que a mí si no me amaseis? ¿Tendríamos los mismos presentimientos si nuestras dos existencias no estuvieran en contacto por el corazón? Vos me amáis, oh, reina, y ¿me lloraréis?

-¡Oh, Dios mío, Dios mío! - exclamó Ana de Austria-. Es más de lo que puedo soportar. Mirad, duque, en el nombre del cielo, partid, retiraos; no sé si os amo o si no os amo, pero lo que sé es que no seré perjura. Tened, pues, piedad de mí y partid. ¡Oh! Si fuerais herido en Francia, si murieseis en Francia, si pudiera suponer que vuestro amor por mí fue causa de vuestra muerte, no me consolaría jamás, me volvería loca por ello. Partid, pues, partid, os lo suplico.

-¡Oh, qué bella estáis así! ¡Cuánto os amo! - dijo Buckingham.

-¡Partid, partid! Os lo suplico, y volved más tarde; volved como embajador, volved como ministro, volved rodeado de guardias que os defiendan, de servidores que vigilen por vos, y entonces no temeré más por vuestra vida y sentiré dicha en volveros a ver.

-¡Oh! ¿Es cierto lo que me decís?

-Sí...

-Pues entonces, una prenda de vuestra indulgencia, un objeto que venga de vos y que me recuerde que no he tenido un sueño; algo que vos hayáis llevado y que yo pueda llevar a mi vez, un anillo, un collar, una cadena.

-¿Y os iréis, os iréis si os doy lo que me pedís?

-Sí.

-¿En el mismo momento?

-Sí.

-¿Abandonaréis Francia, volveréis a Inglaterra?

-Sí, os lo juro.

-Esperad, entonces, esperad.

Y Ana de Austria regresó a sus habitaciones y salió casi al momento, llevando en la mano un pequeño cofre de palo de rosa con sus iniciales, incrustado de oro.

-Tomad, milord duque - dijo-, guardad esto en recuerdo mío.

Buckingham tomó el cofre y cayó por segunda vez de rodillas.

-Me habíais prometido iros - dijo la reina.

-Y mantengo mi palabra. Vuestra mano, vuestra mano, señora, y me voy.

Ana de Austria tendió su mano cerrando los ojos y apoyándose con la otra en Estefanía, porque sentía que las fuerzas iban a faltarle.

Buckingham apoyó con pasión sus labios sobre aquella bella mano; luego, al alzarse, dijo:

-Si antes de seis meses no estoy muerto, os habré visto, señora, aunque tenga que desquiciar el mundo para ello.

Y, fiel a la promesa hecha, se lanzó fuera de la habitación.

En el corredor encontró a la señora Bonacieux que lo esperaba y que, con las mismas precauciones y la misma fortuna, volvió a conducirlo fuera del Louvre.

El señor Bonacieux

Como se ha podido observar, en todo esto había un personaje que, pese a su posición, no había parecido inquietarse más que a medias; este personaje era el señor Bonacieux, respetable mártir de las intrigas políticas y amorosas que tan bien se encadenaban unas a otras, en aquella época a la vez tan caballeresca y tan galante.

Afortunadamente - lo recuerde el lector o no lo recuerde-, afortunadamente hemos prometido no perderlo de vista.

Los esbirros que lo habían detenido lo condujeron directamente a la Bastilla, donde, todo tembloroso, se le hizo pasar por delante de un pelotón de soldados que cargaban sus mosquetes.

Allí, introducido en una galería semisubtenánea, fue objeto, por parte de quienes lo habían llevado, de las más groseras injurias y del más feroz trato. Los esbirros veían que no se las habían con un gentilhombre, y lo trataban como a verdadero patán.

Al cabo de media hora aproximadamente, un escribano vino a poner fin a sus torturas, pero no a sus inquietudes, dando la orden de conducir al señor Bonacieux a la cámara de interrogatorios. Generalmente se interrogaba a los prisioneros en sus casas, pero con el señor Bonacieux no se guardaban tantas formas.

Dos guardias se apoderaron del mercero, le hicieron atravesar un patio, le hicieron adentrarse por un corredor en el que había tres centinelas, abrieron una puerta y lo empujaron en una habitación baja, donde por todo mueble no había más que una mesa, una silla y un comisario.

El comisario estaba sentado en la silla y se hallaba ocupado escribiendo algo sobre la mesa. Los dos guardias condujeron al prisionero ante la mesa y, a una señal del comisario, se alejaron fuera del alcance de la voz.

El comisario, que hasta entonces había mantenido la cabeza inclinada sobre sus papeles, la alzó para ver con quién tenía que habérselas. Aquel comisario era un hombre de facha repelente, la nariz puntiaguda, las mejillas amarillas y salientes, los ojos pequeños pero investigadores y vivos, y la fisonomía tenía al mismo tiempo algo de garduña y de zorro. Su cabeza sostenida por un cuello largo y móvil, salía de su amplio traje negro balanceándose con un movimiento casi parecido al de la tortuga cuando saca su cabeza fuera de su caparazón.

Comenzó por preguntar al señor Bonacieux sus apellidos y su nombre, su edad, su estado y su domicilio.

El acusado respondió que se llamaba Jacques Michel Bonacieux, que tenía cincuenta y un años, mercero retirado, y que vivía en la calle des Fossoyeurs, número 11.

Entonces el comisario, en lugar de continuar interrogándole, le soltó un largo discurso sobre el peligro que corre un burgués oscuro mezclándose en asuntos públicos.

Complicó este exordio con una exposición en la que contó el poder y los actos del señor cardenal, aquel ministro incomparable, aquel triunfador de los ministros pasados, aquel ejemplo de los ministros futuros: actos y poder a los que nadie se oponía impunemente.

Después de esta segunda parte de su discurso, fijando su mirada de gavilán sobre el pobre Bonacieux, lo invitó a reflexionar sobre la gravedad de la situación.

Las reflexiones del mercero estaban ya hechas; lanzaba pestes contra el momento en que el señor de La Porte había tenido la idea de casarlo con su ahijada, y sobre todo contra el momento en que esta ahijada había sido admitida como costurera de la reina.

El fondo del carácter de maese Bonacieux era un profundo egoísmo mezclado a una avaricia sórdida todo ello sazonado con una cobardía extrema. El amor que le había inspirado su joven mujer, por ser un sentimiento totalmente secundario, no podía luchar con los sentimientos primitivos que acabamos de enumerar.

Bonacieux reflexionó, en efecto, sobre lo que acababan de decirle.

-Pero, señor comisario - dijo tímidamente-, estad seguro de que conozco y aprecio más que nadie el mérito de la incomparable Eminencia por la que tenemos el honor de ser gobernados.

-¿De verdad? - preguntó el comisario con aire de duda-. Si realmente fuera así, ¿cómo es que estáis en la Bastilla?

-Cómo estoy, o mejor, por qué estoy - replicó el señor Bonacieux-, eso es lo que me es completamente imposible deciros, dado que yo mismo lo ignoro; pero a buen seguro no es por haber contrariado, conscientemente al menos, al señor cardenal.

-Sin embargo, es preciso que hayáis cometido un crimen, puesto que estáis aquí acusado de alta traición.

-¡De alta traición! - exclamó Bonacieux-. ¡De alta traición! ¿Y cómo queréis vos que un pobre mercero que detesta a los hugonotes y que aborrece a los españoles esté acusado de alta traición? Reflexionad, señor, es materialmente imposible.

-Señor Bonacieux - dijo el comisario mirando al acusado como si sus pequeños ojos tuvieran la facultad de leer hasta lo más profundo de los corazones-, señor Bonacieux, ¿tenéis mujer?

-Sí, señor - respondió el mercero todo temblando, sintiendo que ahí era donde el asunto iba a embrollarse; es decir, la tenía.

-¿Cómo? ¡La teníais! ¿Pues qué habéis hecho de ella, si ya no la tenéis?

-Me la han raptado, señor.

-¿Os la han raptado? - prosiguió el comisario-. ¿Y sabéis quién es el hombre que ha cometido ese rapto?

-Creo conocerlo.

-¿Quién es?

-Pensad que yo no afirmo nada, señor comisario, y que yo sólo sospecho.

-¿De quién sospecháis? Veamos, responded con franqueza.

El señor Bonacieux se hallaba en la mayor perplejidad: ¿debía negar todo o decir todo? Negando todo, podría creerse que sabía demasiado para confesar; diciendo todo, daba prueba de buena voluntad. Se decidió por tanto a decirlo todo.

-Sospecho - dijo - de un hombre alto, moreno, de buen aspecto, que tiene todo el aire de un gran señor; nos ha seguido varias veces, según me ha parecido, cuando iba a esperar a mi mujer al postigo del Louvre para llevarla a casa.

El comisario pareció experimentar cierta inquietud.

-¿Y su nombre? - dijo.

-¡Oh! En cuanto a su nombre, no sé nada, pero si alguna vez lo vuelvo a encontrar lo reconoceré al instante, os respondo de ello, aunque fuera entre mil personas.

La frente del comisario se ensombreció.

-¿Lo reconoceríais entre mil, decís? - continuo.

-Es decir - prosiguió Bonacieux, que vio que había ido descaminado-, es decir...

-Habéis respondido que lo reconoceríais - dijo el comsario ; está bien, basta por hoy; antes de que sigamos adelante es preciso que alguien sea prevenido de que conocéis al raptor de vuestra mujer.

-Pero yo no os he dicho que le conociese - exclamó Bonacieux desesperado-. Os he dicho, por el contrario...

-Llevaos al prisionero - dijo el comisario a los dos guardias.

-¿Y dónde hay que conducirlo? - preguntó el escribano.

-A un calabozo.

-¿A cuál?

-¡Oh, Dios mío! Al primero que sea, con tal que cierre bien - respondió el comisario con una indiferencia que llenó de horror al pobre Bonacieux.

-¡Ay! ¡Ay! - se dijo-. La desgracia ha caído sobre mi cabeza; mi mujer habrá cometido algún crimen espantoso; me creen su cómplice, y me castigarán con ella; ella habrá hablado, habrá confesado que me había dicho todo; una mujer, ¡es tan débil! ¡Un calabozo, el primero que sea! ¡Eso es! Una noche pasa pronto; y mañana a la rueda, a la horca. ¡Oh, Dios mío! ¡Tened piedad de mí!

Sin escuchar para nada las lamentaciones de maese Bonacieux, lamentaciones a las que por otra parte debían estar acostumbrados, los dos guardias cogieron al prisionero por un brazo y se lo llevaron, mientras el comisario escribía deprisa una carta que su escribano esperaba.

Bonacieux no pegó ojo, y no porque su calabozo fuera demasiado desagradable, sino porque sus inquietudes eran demasiado grandes. Permaneció toda la noche sobre su taburete, temblando al menor ruido; y cuando los primeros rayos del día se deslizaron en la habitacion, la aurora le pareció haber tornado tintes fúnebres.

De golpe oyó correr los cerrojos, y tuvo un sobresalto terrible. Creía que venían a buscarlo para conducirlo al cadalso; así, cuando vio pura y simplemente aparecer, en lugar del verdugo que esperaba, a su comisario y su escribano de la víspera, estuvo a punto de saltarles al cuello.

-Vuestro asunto se ha complicado desde ayer por la noche, buen hombre - le dijo el comisario-, y os aconsejo decir toda la verdad; porque solo vuestro arrepentimiento puede aplacar la cólera del cardenal.

-Pero si yo estoy dispuesto a decir todo - exclamó Bonacieux-, al menos todo lo que sé. Interrogad, os lo suplico. -Primero, ¿dónde está vuestra mujer?

-Pero si ya os he dicho que me la habían raptado.

-Sí, pero desde ayer a las cinco de la tarde, gracias a vos, se ha escapado.

-¡Mi mujer se ha escapado! - exclamó Bonacieux-. ¡Oh, la desgraciada! Señor si se ha escapado, no es culpa mía os lo juro.

-¿Qué fuisteis, pues, a hacer a casa del señor D'Artagnan, vuestro vecino, con el que tuvisteis una larga conferencia durante el día?

-¡Ah! Sí, señor comisario, sí, eso es cierto, y confieso que me equivoqué. Estuve en casa del señor D'Artagnan.

-¿Cuál era el objeto de esa visita?

-Pedirle que me ayudara a encontrar a mi mujer. Creía que tenía derecho a reclamarla; me equivocaba, según parece, y por eso os pido perdón.

-¿Y qué respondió el señor D'Artagnan?

-El señor D'Artagnan me prometió su ayuda; pero pronto me di cuenta de que me traicionaba.

-¡Os burláis de la justicia! El señor D'Artagnan ha hecho un pacto con vos y, en virtud de ese pacto, él ha puesto en fuga a los hombres de policía que habían detenido a vuestra mujer, y la ha sustraído a todas las investigaciones.

-¡El señor D'Artagnan ha raptado a mi mujer! ¡Vaya! Pero ¿qué me decís?

-Por suerte, D'Artagnan está en nuestras manos, y vais a ser careado con él.

-¡Ah? A fe que no pido otra cosa - exclamó Bonacieux-, no me molestará ver un rostro conocido.

-Haced entrar al señor D'Artagnan - dijo el comisario a los dos guardias.

Los dos guardias hicieron entrar a Athos.

-Señor D'Artagnan - dijo el comisario dirigiéndose a Athos-, declarad lo que ha pasado entre vos y el señor.

-¡Pero - exclamó Bonacieux - si no es el señor D'Artagnan ése que me mostráis!

-¡Cómo! ¿No es el señor D'Artagnan? - exclamó el comisario.

-En modo alguno - respondió Bonacieux.

-¿Cómo se llama el señor? - preguntó el comisario.

-No puedo decíroslo, no lo conozco.

-¡Cómo! ¿No lo conocéis?

-No.

-¿No lo habéis visto jamás?

-Sí, lo he visto, pero no sé cómo se llama.

-¿Vuestro nombre? - preguntó el comisario.

-Athos - respondió el mosquetero.

-Pero eso no es un nombre de hombre, ¡eso es un nombre de montaña! - exclamó el pobre interrogador, que comenzaba a perder la cabeza.

-Es mi nombre - dijo tranquilamente Athos.

-Pero vos habéis dicho que os llamabais D'Artagnan.

-¿Yo?

-Sí, vos.

-Veamos, cuando me han dicho: «Vos sois el señor D'Artagnan», yo he respondido: «¿Lo creéis así?» Mis guardias han exclamado que estaban seguros. Yo no he querido contrariarlos. Además, yo podía equivocarme.

-Señor, insultáis a la majestad de la justicia.

-De ningún modo - dijo tranquilamente Athos.

-Vos sois el señor D'Artagnan.

-Como veis, sois vos el que aún me lo decís.

-Pero - exclamó a su vez el señor Bonacieux - os digo, señor comisario, que no tengo la más minima duda. El señor D'Artagnan es mi huésped, y en consecuencia, aunque no me pague mis alquileres, y precisamente por eso, debo conocerlo. El señor D'Artagnan es un joven de diecinueve a veinte años apenas, y este señor tiene treinta por lo menos. El señor D'Artagnan está en los guardias del señor Des Essarts, y este señor está en la compañía de los mosqueteros del señor de Tréville: mirad el uniforme, señor comisario, mirad el uniforme.

-Es cierto - murmuró el comisario ; es malditamente cierto.

En aquel momento la puerta se abrió de golpe, y un mensajero, introducido por uno de los carceleros de la Bastilla, entregó una carta al comisario.

-¡Oh, la desgraciada! - exclamó el comisario.

-¿Cómo? ¿Qué decís? ¿De quién habláis? ¡Espero que no sea de mi mujer!

-Al contrario, es de ella. Bonito asunto el vuestro.

-¡Vaya! - exclamó el mercero exasperado-. Haced el favor de decirme, señor, cómo ha podido empeorar por lo que mi mujer haya hecho mientras yo estoy en prisión.

-Porque lo que ha hecho es la consecuencia de un plan tramado entre vosotros, un plan infernal.

-Os juro, señor comisario, que estáis en el más profundo error; que yo no sé nada de nada de lo que debía hacer mi mujer, que soy completamente extraño a lo que ella ha hecho y, que si ella ha hecho tonterías, reniego de ella, la desmiento, la maldigo.

-¡Bueno! - dijo Athos al comisario-. Si ya no tenéis necesidad de mí aquí, enviadme a alguna parte; vuestro señor Bonacieux es irritante.

-Volved a llevar a los prisioneros a sus calabozos - dijo el comisario señalando con el mismo gesto a Athos y a Bonacieux-, que sean guardados con mayor severidad que nunca.

-Sin embargo - dijo Athos con su calma habitual-, si vos estáis buscando al señor D'Artagnan, no veo demasiado bien en qué puedo yo reemplazarlo.

-¡Haced lo que he dicho! - exclamó el comisario-. Y en el secreto más absoluto. ¡Ya habéis oído!

Athos siguió a sus guardias encogiéndose de hombros, y el señor Bonacieux lanzando lamentaciones capaces de ablandar el corazón de un tigre.

Llevaron al mercero al mismo calabozo en que había pasado la noche, y lo dejaron solo toda la jornada. Durante toda la jornada el señor Bonacieux lloró como un verdadero mercero, dado que no era un hombre de espada, tal como él mismo nos ha dicho.

Por la noche, hacia las ocho, en el momento en que iba a decidirse a meterse en la cama, oyó pasos en su corredor. Aquellos pasos se acercaron a su calabozo, su puerta se abrió y aparecieron los guardias.

-Seguidme - dijo un exento que venía tras los guardias.

-¡Que os siga! - exclamó Bonacieux-. ¿Que os siga a esta hora? ¿Y adónde, Dios mío?

-Adonde tenemos orden de llevaros.

-Pero eso no es una respuesta.

-Sin embargo, es la única que podemos daros.

-¡Ay, Dios mío, Dios mío! - murmuró el pobre mercero-. Esta vez sí que estoy perdido.

Y siguió maquinalmente y sin resistencia a los guardias que venían a buscarlo.

Tomó el mismo corredor que ya había tomado, atravesó un primer patio, luego un segundo cuerpo de edificios; finalmente, a la puerta del patio de entrada, encontró un coche rodeado de cuatro guardias a caballo. Lo hicieron subir en aquel coche, el exento se colocó tras él, cerraron la portezuela con llave, y los dos se encontraron en una prisión rodante.

El coche se puso en movimiento, lento como un carromato fúnebre. A través de la reja cerrada con candado, el prisionero veía las casas y el camino, eso era todo; pero, como auténtico parisiense que era, Bonacieux reconocía cada calle por los guardacantones, por las muestras, por los reverberos. En el momento de llegar a Saint Paul, lugar donde se ejecutaba a los condenados de la Bastilla, estuvo a punto de desvanecerse y se persignó dos veces. Había creído que el coche debía detenerse allí. Sin embargo, el coche siguió.

Más lejos, un gran terror lo invadió otra vez. Fue al bordear el cementerio de Saint Jean, donde se enterraba a los criminales de Estado. Sólo una cosa lo tranquilizó algo, y es que antes de enterrarlos se les cortaba por regla general la cabeza, y su cabeza estaba aún sobre sus hombros. Pero cuando vio que el coche tomaba la ruta de la Grève, cuando vio los techos picudos del Ayuntamiento, cuando el coche se adentró bajo la arcada, creyó que todo había terminado para él, quiso confesarse con el exento, y, tras su negativa, lanzó gritos tan lastimeros que el exento le anunció que, si seguía ensordeciéndole así, le pondría una mordaza.

Aquella amenaza tranquilizó algo a Bonacieux: si hubieran tenido que ejecutarlo en Grève, no merecía la pena amordazarlo, porque estaban a punto de llegar al lugar de la ejecución. En efecto, el coche cruzó la plaza fatal sin detenerse. Ya sólo quedaba que temer la Croix du Trahoir: precisamente el coche tomó el camino de ella.

Esta vez no había duda, era la Croix du-Trahoir, donde se ejecutaba a los criminales subalternos. Bonacieux se había jactado creyéndose digno de Saint Paul o de la plaza de Grève: ¡era en la Croix duTrahoir donde iban a terminar su viaje y su destino! No podía ver todavía aquella maldita cruz, pero la sentía en cierto modo venir a su encuentro. Cuando no estuvo más que a una veintena de pasos, oyó un rumor y el coche se detuvo. Era más de lo que podía soportar el pobre Bonacieux, ya derrumbado por las sucesivas emociones que había experimentado; lanzó un débil gemido, que hubiera podido tomarse por el último suspiro de un moribundo, y se desvaneció.

El hombre de Meung

Aquella reunión era producida no por la espera de un hombre al que debían colgar, sino por la contemplación de un ahorcado.

El coche, detenido un instante, prosiguió, pues, su marcha, atravesó la multitud, continuó su camino, enfiló la calle Saint Honoré, volvió la calle des Bons Enfants y se detuvo ante una puerta baja.

La puerta se abrió, dos guardias recibieron en sus brazos a Bonacieux, sostenido por el exento; lo metieron por una avenida, lo hicieron subir una escalera y lo depositaron en una antecámara.

Todos estos movimientos eran realizados por él de una forma maquinal.

Había andado como se anda en sueños; había entrevisto los objetos a través de una niebla; sus oídos habían percibido los sonidos sin comprenderlos; hubieran podido ejecutarlo en aquel momento sin que él hubiera hecho un gesto para emprender su defensa, sin que hubiera lanzado un grito para implorar piedad.

Permaneció, pues, sentado de este modo en la banqueta, con la espalda apoyada en la pared y los brazos colgantes, en la misma postura en que los guardias lo habían depositado.

Sin embargo, como al mirar en torno suyo no viese ningún objeto amenazador, como nada indicase que corría un peligro real, como la banqueta estaba convenientemente blanda, como la pared estaba recubierta de hermoso cuero de Córdoba, como grandes cortinas de damasco rojo flotaban ante la ventana, retenidas por alzapaños de oro, comprendió poco a poco que su terror era exagerado, y comenzó a mover la cabeza de derecha a izquierda y de arriba abajo.

Con este movimiento, al que nadie se opuso, recuperó algo de valor y se arriesgó a encoger una pierna, luego la otra; por fin, ayudándose de sus dos manos, se levantó de la banqueta y se encontró sobre sus pies.

En aquel momento, un oficial de buen aspecto abrió una portezuela, continuó cambiando aún algunas palabras con una persona que se encontraba en la habitación vecina y, volviéndose hacia el prisionero, dijo:

-¿Sois vos quien se llama Bonacieux?

-Sí, señor oficial - balbuceó el mercero, más muerto que vivo-, para serviros.

-Entrad - dijo el oficial.

Y se echó a un lado para que el mercero pudiera pasar. Aquel obedeció sin réplica y entró en la habitación en la que parecía ser esperado.

Era un gran gabinete, de paredes adornadas con armas ofensivas y defensivas, cerrado y sofocante, y en el que ya había fuego aunque todavía apenas fuera a finales del mes de septiembre. Una mesa cuadrada, cubierta de libros y papeles sobre los que había, desenrollado, un piano inmenso de la ciudad de La Rochelle, estaba en medio de la pieza.

De pie ante la chimenea estaba un hombre de mediana talla, de aspecto altivo y orgulloso, de ojos penetrantes, de frente amplia, de rostro enteco que alargaba más incluso una perilla coronada por un par de mostachos. Aunque aquel hombre tuviera de treinta y seis a treinta y siete años apenas, pelo, mostacho y perilla iban agrisándose. Aquel hombre, menos la espada, tenía todo el aspecto de un hombre de guerra, y sus botas de búfalo, aún ligeramente cubiertas de polvo, indicaban que había montado a caballo durante el día.

Aquel hombre era Armand Jean Duplessis, cardenal de Richelieu, no tal como nos lo representaran cascado como un viejo, sufriendo como un mártir, el cuerpo quebrado, la voz apagada, enterrado en un gran sillón como en una tumba anticipada que no viviera más que por la fuerza de un genio ni sostuviera la lucha con Europa más que con la eterna aplicación de su pensamiento sino tal cual era realmente en esa época, es decir, diestro y galante caballero débil de cuerpo ya, pero sostenido por esa potencia moral que hizo de él uno de los hombres más extraordinarios que hayan existido; preparándose, en fin, tras haber sostenido al duque de Nevers en su ducado de Mantua, tras haber tomado Nîmes, Castres y Uzes, a expulsar a los ingleses de la isla de Ré y a sitiar La Rochelle.

A primera vista, nada denotaba, pues, al cardenal y era imposible a quienes no conocían su rostro adivinar ante quién se encontraban.

El pobre mercero permaneció de pie a la puerta, mientras los ojos del personaje que acabamos de describir se fijaban en él y parecían penetrar hasta el fondo del pasado.

-¿Está ahí ese Bonacieux? - pregunto tras un momento de silencio.

-Sí, monseñor - contestó el oficial.

-Esta bien, dadme esos papeles y dejadnos.

El oficial cogió de la mesa los papeles señalados, los entregó a quien se los pedía, se inclinó hasta el suelo y salió.

Bonacieux reconoció en aquellos papeles sus interrogatorios de la Bastilla. De vez en cuando, el hombre de la chimenea alzaba los ojos por encima de la escritura y los hundía como dos puñales hasta el fondo del corazón del pobre mercero.

Al cabo de diez minutos de lectura y de diez segundos de examen, el cardenal se había decidido.

-Esa cabeza no ha conspirado nunca - murmuró ; pero no importa, veamos de todas formas.

-Estáis acusado de alta traición - dijo lentamente el cardenal.

-Es lo que ya me han informado, monseñor - exclamó Bonacieux, dando a su interrogador el título que había oído al oficial darle ; pero yo os juro que no sabía nada de ello.

El cardenal reprimió una sonrisa.

-Habéis conspirado con vuestra mujer, con la señora de Chevreuse y con milord el duque de Buckingham.

-En realidad, monseñor - respondió el mercero-, he oído pronunciar todos esos nombres.

-¿Y en qué ocasión?

-Ella decía que el cardenal de Richelieu había atraído al duque de Buckingham a París para perderlo y para perder a la reina con él.

-¿Ella decía eso? - exclamó el cardenal con violencia.

-Sí, monseñor; pero yo le he dicho que se equivocaba por mantener tales opiniones, y que Su Eminencia era incapaz...

-Callaos, sois un imbécil - prosiguió el cardenal.

-Es precisamente eso lo que mi mujer me respondió, monseñor.

-¿Sabéis quién ha raptado a vuestra mujer?

-No, monseñor.

-Sin embargo, ¿tenéis sospechas?

-Sí, monseñor, pero esas sospechas han parecido contrariar al señor comisario y ya no las tengo.

-Vuestra mujer se ha escapado, ¿lo sabíais?

-No, monseñor, lo he sabido después de haber entrado en prisión, y siempre por la mediación del señor comisario, un hombre muy amable.

El cardenal reprimió una segunda sonrisa.

-Entonces, ¿ignoráis lo que ha sido de vuestra mujer después de su fuga?

-Completamente, monseñor; habrá debido volver al Louvre.

-A la una de la mañana no había vuelto aún.

-¡Ah Dios mío! Pero entonces ¿qué habrá sido de ella?

-Ya lo sabremos, estad tranquilo; nada se oculta al cardenal; el cardenal lo sabe todo.

-En tal caso, monseñor, ¿creéis que el cardenal consentirá en decirme qué ha ocurrido con mi mujer?

-Quizá; pero es preciso primero que confeséis todo lo que sepáis relativo a las relaciones de vuestra mujer con la señora de Chevreuse.

-Pero, monseñor, yo no sé nada; no la he visto nunca.

-Cuando íbais a buscar a vuestra mujer al Louvre, ¿volvía ella directamente a casa?

-Casi nunca: tenía que ver a vendedores de tela, a cuyas casas yo la llevaba.

-¿Y cuántos vendedores de telas había?

-Dos, monseñor.

-¿Dónde viven?

-Uno en la calle de Vaugirard; el otro en la calle de La Harpe.

-¿Entrasteis en sus casas con ella?

-Nunca, monseñor; la esperaba a la puerta.

-¿Y qué pretexto os daba para entrar así completamente sola?

-No me lo daba; me decía que esperase, y yo esperaba.

-Sois un marido complaciente, mi querido señor Bonacieux - dijo el cardenal.

«¡Él me llama su querido señor! - dijo para sí mismo el mercero-. ¡Diablos, las cosas van bien!»

-¿Reconoceríais esas puertas?

-Sí.

-Sabéis los números?,¿Cuáles son?

-Número 25 en la calle de Vaugirard; número 75 en la calle de La Harpe.

-Está bien - dijo el cardenal.

A estas palabras, cogió una campanilla de plata y llamó; el official volvió a entrar.

-Idme a buscar a Rochefort - dijo a media voz-, y que venga inmediatamente si ha vuelto.

-El conde está ahí - dijo el official-, pide hablar al instante con Vuestra Eminencia.

-¡Con Vuestra Eminencia! - murmuró Bonacieux, que sabía que tal era el título que ordinariamente se daba al señor cardenal-. ¡Con Vuestra Eminencia!

-¡Que venga entonces, que venga! - dijo vivamente Richelieu.

El official se lanzó fuera de la habitación con esa rapidez que ponían de ordinario todos los servidores del cardenal en obedecerle.

-¡Con Vuestra Eminencia! - murmuraba Bonacieux haciendo girar los ojos extraviados.

No habían transcurrido cinco segundos desde la desaparición del official, cuando la puerta se abrió y un nuevo personaje entró.

-¡Es él! - exclamó Bonacieux.

-¿Quién es él? - preguntó el cardenal.

-El que ha raptado a mi mujer.

El cardenal llamó por segunda vez. El official reapareció.

-Devolved este hombre a manos de sus dos guardias, y que espere a que yo lo llame ante mí.

-¡No, monseñor! ¡No, no es él! - exclamó Bonacieux-. No, me he equivocado, es otro que se le parece algo. El señor es un hombre honrado.

-Llevaos a este imbécil - dijo el cardenal.

El official cogió a Bonacieux por debajo del brazo y volvió a llevarlo a la antecámara donde encontró a sus dos guardias.

El nuevo personaje al que se acababa de introducir siguió con ojos de impaciencia a Bonacieux hasta que éste hubo salido, y cuando 1a puerta fue cerrada tras él, dijo aproximándose rápidamente al cardenal.

-Han sido vistos.

-¿Quiénes? - preguntó Su Eminencia.

-Ella y él.

-¿La reina y el duque? - exclamó Richelieu.

-Sí.

-¿Y dónde?

-En el Louvre.

-¿Estáis seguro?

-Completamente.

-¿Quién os lo ha dicho?

-La señora de Lannoy, que es completamente de Vuestra Eminencia, como sabéis.

-¿Por qué no lo ha dicho antes?

-Sea por casualidad o por desconfianza, la reina ha hecho acostarse a la señora de Fargis en su habitación, y la ha tenido allí toda la jornada.

-Está bien, hemos perdido. Tratemos de tomar nuestra revancha.

-Os ayudaré con toda mi alma, monseñor, estad tranquilo.

-¿Cuándo ha sido?

-A las doce y media de la noche, la reina estaba con sus mujeres...

-¿Dónde?

-En su cuarto de costura...

-Bien.

-Cuando han venido a entregarle un pañuelo de parte de su costurera...

-¿Después?

-Al punto la reina ha manifestado una gran emoción, y pese al rouge con que tenía el rostro cubierto, ha palidecido.

-¡Y después! ¡Después!

-Sin embargo, se ha levantado, y con voz alterada, ha dicho: «Señoras, esperadme diez minutos, luego vengo.» Y ha abierto la puerta de su alcoba, y luego ha salido.

-¿Por qué la señora de Lannoy no ha venido a preveniros al instante?

-Nada era seguro todavía; además, la reina había dicho: «Señoras, esperadme»; y no se atrevía a desobedecer a la reina.

-¿Y cuánto tiempo ha estado la reina fuera de su cuarto?

-Tres cuartos de hora.

-¿La acompañaba alguna de sus mujeres?

-Doña Estefanía solamente.

-¿Y luego ha vuelto?

-Sí, pero para coger un pequeño cofre de palo de rosa con sus iniciales y salir en seguida.

-Y cuando ha vuelto más tarde, ¿traía el cofre?

-No.

-¿La señora de Lannoy sabía qué había en ese cofre?

-Sí, los herretes de diamantes que Su Majestad ha dado a la reina.

-¿Y ha vuelto sin ese cofre?

-Sí.

-¿La opinión de la señora de Lannoy es que se los ha entregado a Buckingham?

-Está segura.

-¿Y cómo?

-Durante el día, la señora de Lannoy, en su calidad de azafata de atavío de la reina, ha buscado ese cofre, se ha mostrado inquieta al no encontrarlo y ha terminado por pedir noticias a la reina.

-¿Y entonces, la reina?...

-La reina se ha puesto muy roja y ha respondido que por haber roto la víspera uno de sus herretes lo había enviado a reparar a su orfebre.

-Hay que pasar por él y asegurarse si la cosa es cierta o no.

-Ya he pasado.

-Y bien, ¿el orfebre?

-El orfebre no ha oído hablar de nada.

-¡Bien! ¡Bien! Rochefort, no todo está perdido, y quizá..., quizá todo sea para mejor.

-El hecho es que no dudo de que el genio de Vuestra Eminencia...

-Reparará las tonterías de mi guardia, ¿no es eso?

-Es precisamente lo que iba a decir si Vuestra Eminencia me hubiera dejado acabar mi frase.

-Ahora, ¿sabéis dónde se ocultaban la duquesa de Chevreuse y el duque de Buckingham?

-No, monseñor, mis gentes no han podido decirme nada positivo al respecto.

-Yo sí lo sé.

-¿Vos, monseñor?

-Sí, o al menos lo creo. Estaban el uno en la calle de Vaugirard, número 25, y la otra en la calle de La Harpe, número 75.

-¿Quiere Vuestra Eminencia que los haga arrestar a los dos?

-Será demasiado tarde, habrán partido.

-No importa, podemos asegurarnos.

-Tomad diez hombres de mis guardias y registrad las dos casas.

-Voy monseñor.

Y Rochefort se abalanzó fuera de la habitación.

El cardenal, ya solo, reflexionó un instante y llamó por tecera vez. Apareció el mismo oficial.

-Haced entrar al prisionero - dijo el cardenal.

Maese Bonacieux fue introducido de nuevo y, a una seña del cardenal, el oficial se retiró.

-Me habéis engañado - dijo severamente el cardenal.

-¡Yo! - exclamó Bonacieux-. ¡Yo engañar a Vuestra Eminencia!

-Vuestra mujer, al ir a la calle de Vaugirard y a la calle de La Harpe, no iba a casa de vendedores de telas.

-¿Y adónde iba, santo cielo?

-Iba a casa de la duquesa de Chevreuse y a casa del duque de Buckingham.

-Sí - dijo Bonacieux echando mano de todos sus recursos-, sí, eso es, Vuestra Eminencia tiene razón. Muchas veces le he dicho a mi mujer que era sorprendente que vendedores de telas vivan en casas semejantes, en casas que no tenían siquiera muestras, y las dos veces mi mujer se ha echado a reír. ¡Ah, monseñor! - continuó Bonacieux arrojándose a los pies de la Eminencia-. ¡Ah! ¡Con cuánto motivo sois el cardenal, el gran cardenal, el hombre de genio al que todo el mundo reverencia!

El cardenal, por mediocre que fuera el triunfo alcanzado sobre un ser tan vulgar como era Bonacieux, no dejó de gozarlo durante un instante; luego, casi al punto, como si un nuevo pensamiento se presentara a su espíritu, una sonrisa frunció sus labios y, tendiendo la mano al mercero, le dijo:

-Alzaos, amigo mío, sois un buen hombre.

-¡El cardenal me ha tocado la mano! ¡Yo he tocado la mano del gran hombre! - exclamó Bonacieux-. ¡El gran hombre me ha llamado su amigo!

-Sí, amigo mío, sí - dijo el cardenal con aquel tono paternal que sabía adoptar a veces, pero que sólo engañaba a quien no le conocía ; y como se ha sospechado de vos injustamente, hay que daros una indemnización. ¡Tomad! Coged esa bolsa de cien pistolas, y perdonadme.

-¡Que yo os perdone, monseñor! - dijo Bonacieux dudando en tomar la bolsa, temiendo sin duda que aquel don no fuera más que una chanza-. Pero vos sois libre de hacerme arrestar, sois bien libre de hacerme torturar, sois bien libre de hacerme prender; sois el amo, y yo no tendría la más minima palabra que decir. ¿Perdonaros, monseñor? ¡Vamos, no penséis más en ello!

-¡Ah, mi querido Bonacieux! Sois generoso ya lo veo, y os lo agradezco. Tomad, pues, esa bolsa. ¿Os vais sin estar demasiado descontento?

-Me voy encantado, monseñor.

-Adiós, entonces, o mejor, hasta la vista, porque espero que nos volvamos a ver.

-Siempre que monseñor quiera, estoy a las órdenes de Su Eminencia.

-Será a menudo, estad tranquilo, porque he hallado un gusto extremo con vuestra conversación.

-¡Oh, monseñor!

-Hasta la vista, señor Bonacieux, hasta la vista.

Y el cardenal le hizo una señal con la mano, a la que Bonacieux respondió inclinándose hasta el suelo; luego salió a reculones, y cuando estuvo en la antecámara el cardenal le oyó que en su entusiasmo, se desgañitaba a grito pelado: «¡Viva monseñor! ¡Viva Su Eminencia! ¡Viva el gran cardenal!» El cardenal escuchó sonriendo aquella brillante manifestación de sentimientos entusiastas de maese Bonacieux; luego, cuando los gritos de Bonacieux se hubieron perdido en la lejanía:

-Bien - dijo-. De ahora en adelante será un hombre que se haga matar por mí.

Y el cardenal se puso a examinar con la mayor atención el mapa de La Rochelle que, como hemos dicho, estaba extendido sobre su escritorio, trazando con un lápiz la línea por donde debía pasar el famoso dique que dieciocho meses más tarde cerraba el puerto de la ciudad sitiada.

Cuando se hallaba en lo más profundo de sus meditaciones estratégicas, la puerta volvió a abrirse y Rochefort entró.

-¿Y bien? - dijo vivamente el cardenal, levantándose con la presteza que probaba el grado de importancia que concedía a la comisión que había encargado al conde.

-¡Y bien! - dijo éste-. Una mujer de veintiséis a veintiocho años y un hombre de treinta y cinco a cuarenta años se han alojado, efectivamente, el uno cuatro días y la otra cinco, en las casas indicadas por Vuestra Eminencia; pero la mujer ha partido esta noche pasada y el hombre esta mañana.

-¡Eran ellos! - exclamó el cardenal, que miraba el péndulo-. Y ahora - continuó-, es demasiado tarde para correr tras ellos: la duquesa está en Tours y el duque en Boulogne. Es en Londres donde hay que alcanzarlos.

-¿Cuáles son las órdenes de Vuestra Eminencia?

-Ni una palabra de lo que ha pasado; que la reina permanezca totalmente segura; que ignore que sabemos su secreto, que crea que estamos a la busca de una conspiración cualquiera. Enviadme al guardasellos Séguier.

-¿Y ese hombre, ¿qué ha hecho de él Vuestra Eminencia?

-¿Qué hombre? - preguntó el cardenal.

-El tal Bonacieux.

-He hecho todo lo que se podía hacer con él. Lo he convertido en espía de su mujer.

El conde de Rochefort se inclinó como hombre que reconocía la gran superioridad del maestro, y se retiró.

Una vez que se quedó solo, el cardenal se sentó de nuevo, escribió una carta que selló con su sello particular, luego llamó. El oficial entró por cuarta vez.

-Hacedme venir a Vitray - dijo - y decidle que se apreste para un viaje.

Un instante después, el hombre que había pedido estaba de pie ante él, calzado con botas y espuelas.

-Vitray - dijo-, vais a partir inmediatamente para Londres. No os detendréis un instante en el camino. Entregaréis esta carta a milady. Aquí tenéis un vale de doscientas pistolas, pasad por casa de mi tesorero y haceos pagar. Hay otro tanto a recoger si estáis aquí de regreso dentro de seis días y si habéis hecho bien mi comisión.

El mensajero, sin responder una sola palabra se inclinó, cogió la carta, el vale de doscientas pistolas y salió.

He aquí lo que contenía la carta:

«Milady,

Asistid al primer baile a que asista el duque de Buckingham. Tendrá en su jubón doce herretes de diamantes, acercaos a él y quitadle dos.

Tan pronto como esos herretes estén en vuestro poder, avisadme.»

Gentes de toga y gentes de espada

Al día siguiente de aquel en que estos acontecimientos tuvieron lugar, no habiendo reaparecido Athos todavía, el señor de Tréville fue avisado por D'Artagnan y por Porthos de su desaparición.

En cuanto a Aramis, había solicitado un permiso de cinco días y estaba en Rouen, según decían, por asuntos de familia.

El señor de Tréville era el padre de sus soldados. El menor y más desconocido de ellos, desde el momento en que llevaba el uniforme de la compañía, estaba tan seguro de su ayuda y de su apoyo como habría podido estarlo de su propio hermano.

Se presentó, pues, al momento ante el teniente de lo criminal. Se hizo venir al oficial que mandaba el puesto de la Croix Rouge, y los informes sucesivos mostraron que Athos se hallaba alojado momentáneamente en Fort l'Évêque.

Athos había pasado por todas las pruebas que hemos visto sufrir a Bonacieux.

Hemos asistido a la escena de careo entre los dos cautivos. Athos, que nada había dicho hasta entonces por miedo a que D'Artagnan, inquieto a su vez no hubiera tenido el tiempo que necesitaba, Athos declaró a partir de ese momento que se llamaba Athos y no D'Artagan.

Añadió que no conocía ni al señor ni a la señora Bonacieux, que jamás había hablado con el uno ni con la otra; que hacia las diez de la noche había ido a hacer una visita al señor D'Artagnan, su amigo, pero que hasta esa hora había estado en casa del señor de Tréville donde había cenado: veinte testigos - añadió - podían atestiguar el hecho y nombró a varios gentileshombres distinguidos, entre otros al señor duque de La Trémouille.

El segundo comisario quedó tan aturdido como el primero por la declaración simple y firme de aquel mosquetero, sobre el cual de buena gana habrían querido tomar la revancha que las gentes de toga tanto gustan de obtener sobre las gentes de espada; pero el nombre del señor de Tréville y el del señor duque de La Trémouille merecían reflexión.

También Athos fue enviado al cardenal, pero desgraciadamente el cardenal estaba en el Louvre con el rey.

Era precisamente el momento en que el señor de Tréville, al salir de casa del teniente de lo criminal y de la del gobernador del Fort l'Evêque, sin haber podido encontrar a Athos, llegó al palacio de Su Majestad.

Como capitán de los mosqueteros, el señor de Tréville tenía a toda hora acceso al rey.

Ya se sabe cuáles eran las prevenciones del rey contra la reina, prevenciones hábilmente mantenidas por el cardenal que, en cuestión de intrigas, desconfiaba infinitamente más de las mujeres que de los hombres. Una de las grandes causas de esa prevención era sobre todo la amistad de Ana de Austria con la señora de Chevreuse. Estas dos mujeres le inquietaban más que las guerras con España, las complicaciones con Inglaterra y la penuria de las finanzas. A sus ojos y en su pensamiento, la señora de Chevreuse servía a la reina no sólo en sus intrigas políticas, sino, cosa que le atormentaba más aún, en sus intrigas amorosas.

A la primera frase que le había dicho el señor cardenal, que la señora de Chevreuse, exiliada en Tours y a la que se creía en esa ciudad, había venido a Paris y que durante los cinco días que había permanecido en ella había despistado a la policía, el rey se había encolerizado con furia. Caprichoso a infiel, el rey quería ser llamado Luis el Justo y Luis el Casto. La posteridad comprenderá difícilmente este carácter que la historia sólo explica por hechos y nunca por razonamientos.

Pero cuando el cardenal añadió que no solamente la señora de Chevreuse había venido a París, sino que además la reina se había relacionado con ella con ayuda de una de esas correspondencias misteriosas que en aquella época se denominaba una cábala, cuando afirmó que él, el cardenal, estaba a punto de desenredar los hilos más oscuros de aquella intriga, cuando, en el momento de arrestar con las manos en la masa, en flagrante delito, provisto de todas las pruebas, al emisario de la reina junto a la exiliada, un mosquetero había osado interrumpir violentamente el curso de la justicia cayendo, espada en mano, sobre honradas gentes de ley encargadas de examinar con imparcialidad todo el asunto para ponerlo ante los ojos del rey, Luis XIII no se contuvo más y dio un paso hacia las habitaciones de la reina con esa pálida y muda indignación que, cuando estallaba, llevaba a ese príncipe hasta la más fría crueldad.

Y, sin embargo, en todo aquello el cardenal no había dicho aún una palabra del duque de Buckingham.

Fue entonces cuando el señor de Tréville entró, frío, cortés y con una vestimenta irreprochable.

Advertido de lo que acababa de pasar por la presencia del cardenal y por la alteración del rostro del rey, el señor de Tréville se sintió fuerte como Sansón ante los Filisteos.

Luis XIII ponía ya la mano sobre el pomo de la puerta; al ruido que hizo el señor de Tréville al entrar, se volvió.

-Llegáis en el momento justo, señor - dijo el rey que, cuando sus pasiones habían subido a cierto punto, no sabía disimular-, y me entero de cosas muy bonitas a cuenta de vuestros mosqueteros.

-Y yo - respondió fríamente el señor de Tréville - tengo muy bonitas cosas de que informarle sobre sus gentes de toga.

-¿De verdad? - dijo el rey con altivez.

-Tengo el honor de informar a Vuestra Majestad - continuó el señor de Tréville en el mismo tono - de que una partida de procuradores, de comisarios y de gentes de policía, gentes todas muy estimables pero muy encarnizadas, según parece, contra el uniforme, se ha permitido arrestar en una casa, llevar en plena calle y arrojar en el Fort-l'Evêque, y todo con una orden que se han negado a presentar, a uno de mis mosqueteros, o mejor dicho, de los vuestros, sire, de conducta irreprochable, de reputación casi ilustre y a quien Vuestra Majestad conoce favorablemente: el señor Athos.

-Athos - dijo el rey maquinalmente-. Sí, por cierto, conozco ese nombre.

-Que Vuestra Majestad lo recuerde - dijo el señor de Tréville-. El señor Athos es ese mosquetero que en el importuno duelo que sabéis tuvo la desgracia de herir gravemente al señor de Cahusac. A propósito, monseñor - continuó Tréville, dirigiéndose al cardenal-, el señor de Cahusac está completamente restablecido, ¿no es así?

-¡Gracias! - dijo el cardenal mordiéndose los labios de cólera.

-El señor Athos había ido a hacer una visita a uno de sus amigos entonces ausente - prosiguió el señor de Tréville-. A un joven bearnés, cadete en los guardias de Su Majestad en la compañía de Des Essarts; pero apenas acababa de instalarse en casa de su amigo y de coger un libro para esperarlo, cuando una nube de corchetes y de soldados, todos juntos, sitiaron la casa, hundieron varias puertas...

El cardenal hizo una seña al rey que significaba: «Es por el asunto de que os he hablado.»

-Ya sabemos todo eso - replicó el rey - porque todo eso se ha hecho a nuestro servicio.

-Entonces - dijo Tréville-, es también por servicio de Vuestra Majestad por lo que se coge a uno de mis mosqueteros inocentes, por lo que se le pone entre dos guardias como a un malhechor, y por lo que pasea en medio de una población insolente a ese hombre galantes que ha vertido diez veces su sangre al servicio de Vuestra Majestad y que está dispuesto a verterla todavía.

-¡Bah! - dijo el rey, vacilando-. ¿Han pasado así las cosas?

-El señor de Tréville no dice - dijo el cardenal con la mayor flema- que ese mosquetero inocente, ese hombre galante una hora antes, acababa de herir a estocadas a cuatro comisarios instructores delegados por mí para instruir un asunto de la más alta importancia.

-Desafío a Vuestra Eminencia a probarlo - exclamó el señor de Tréville con su franqueza completamente gascona y su rudeza militar-. Porque una hora antes, el señor Athos, quien debo confiar a Vuestra Majestad que es un hombre de la mayor calidad, me hacía el honor, después de haber cenado conmigo, de charlar en el salón de mi palacio con el señor duque de La Trémouille y el señor conde de Chalus, que se encontraban allí.

El rey miró al cardenal.

-Un atestado da fe de ello - dijo el cardenal, respondiendo en voz alta a la interrogación muda de Su Majestad - y las gentes maltratadas han redactado el siguiente, que tengo el honor de presentar a Vuestra Majestad.

-¿Atestado de gentes de toga vale tanto como la palabra de honor de un hombre de espada? - respondió orgullosamente Tréville.

-Vamos, vamos, Tréville, callaos - dijo el rey.

-Si su Eminencia tiene alguna sospecha contra uno de mis mosqueteros - dijo Tréville-, la justicia del señor cardenal es bastante conocida como para que yo mismo pida una investigación.

-En la casa en que se ha hecho esa inspección judicial - continuó el cardenal, impasible - se aloja, según creo, un bearnés amigo del mosquetero.

-¿Vuestra Eminencia se refiere al señor D'Artagnan?

-Me refiero a un joven al que vos protegéis, señor de Tréville.

-Sí, Eminencia, es ese mismo.

-No sospecháis que ese joven haya dado malos consejos...

-¿A Athos, a un hombre que le dobla en edad? - interrumpió el señor de Tréville-. No, monseñor. Además, el señor D'Artagnan ha pasado la noche conmigo.

-¡Vaya! - dijo el cardenal-. Todo el mundo ha pasado la noche con usted.

-¿Dudaría Su Eminencia de mi palabra? - dijo Tréville, con el rubor de la cólera en la frente.

-¡No, Dios me guarde de ello! - dijo el cardenal-. Sólo que... ¿a qué hora estaba él con vos?

-¡Puedo decirlo a sabiendas a Vuestra Eminencia porque cuando él entraba me fijé que eran las nueve y media en el péndulo, aunque yo hubiera creído que era más tarde!

-¿Y a qué hora ha salido de vuestro palacio?

-A las diez y media, una hora después del suceso.

-En fin - respondió el cardenal, que no sospechaba ni por un momento de la lealtad de Tréville, y que sentía que la victoria se le escapaba-, en fin, Athos ha sido detenido en esa casa de la calle des Fossoyeurs.

-¿Le está prohibido a un amigo visitar a otro amigo? ¿A un mosquetero de mi compañía confraternizar con un guardia de la compañía del señor Des Essarts?

-Sí, cuando la casa en la que confraterniza con ese amigo es sospechosa.

-Es que esa casa es sospechosa, Tréville - dijo el rey-. Quizá no lo sabíais.

-En efecto, sire, lo ignoraba. En cualquier caso, puede ser sospechosa en cualquier parte; pero niego que lo sea en la parte que habita el señor D'Artagnan; porque puedo afirmaros, sire, que de creer en lo que ha dicho, no existe ni un servidor más fiel de Su Majestad, ni un admirador más profundo del señor cardenal.

-¿No es ese D'Artagnan el que hirió un día a Jussac en ese desafortunado encuentro que tuvo lugar junto al convento de los Carmelitas Descalzos? - preguntó el rey mirando al cardenal, que enrojeció de despecho.

-Y al día siguiente a Bernajoux. Sí, sire; sí, ése es, y Vuestra Majestad tiene buena memoria.

-Entonces, ¿qué decidimos? - dijo el rey.

-Eso atañe a Vuestra Majestad más que a mí - dijo el cardenal-. Yo afirmaría la culpabilidad.

-Y yo la niego - dijo Tréville-. Pero Su Majestad tiene jueces y sus jueces decidirán.

-Eso es - dijo el rey-. Remitamos la causa a los jueces; su misión es juzgar, y juzgarán.

-Sólo que - prosiguió Tréville - es muy triste que, en estos tiempos desgraciados que vivimos la vida más pura, la virtud más irrefutable no eximan a un hombre de la infamia y de la persecución. Y el ejército no estará demasiado contento, puedo responder de ello, de estar expuesto a tratos rigurosos por asuntos de policía.

La frase era imprudente, pero el señor de Tréville la había lanzado con conocimiento de causa. Quería una explosión, por eso de que la mina hace fuego, y el fuego ilumina.

-¡Asuntos de policía! - exclamó el rey, repitiendo las palabras del señor de Tréville-. ¡Asuntos de policía! ¿Y qué sabéis vos de eso, señor? Mezclaos con vuestros mosqueteros y no me rompáis la cabeza. En vuestra opinión parece que si por desgracia se detiene a un mosquetero, Francia está en peligro. ¡Cuánto escándalo por un mosquetero! ¡Vive el cielo que haré detener a diez! ¡Cien, incluso; toda la compañía! Y no quiero que se oiga ni una palabra.

-Desde el momento en que son sospechosos a Vuestra Majestad - dijo Tréville-, los mosqueteros son culpables; por eso me veis, sire, dispuesto a devolveros mi espada; porque, después de haber acusado a mis soldados, no dudo que el señor cardenal terminará por acusarme a mí mismo; así, pues, es mejor que me constituya prisionero con el señor Athos, que ya está detenido, y con el señor d'Artagnan, a quien se arrestará sin duda.

-Cabezota gascón - ¿terminaréis? - dijo el rey.

-Sire - respondió Tréville sin bajar ni por asomo la voz-, ordenad que se me devuelva mi mosquetero o que sea juzgado.

-Se le juzgará - dijo el cardenal.

-¡Pues bien tanto mejor! Porque en tal caso pediré a Su Majestad permiso para abogar por él.

El rey temió un estallido.

-Si Su Eminencia - dijo - no tiene personalmente motivos...

El cardenal vio venir al rey y se le adelantó.

-Perdón - dijo-, pero desde el momento en que Vuestra Majestad ve en mí un juez predispuesto, me retiro.

-Veamos - dijo el rey-. ¿Me juráis vos, por mi padre, que el señor Athos estaba con vos durante el suceso y que no ha tomado parte en él?

-Por vuestro glorioso padre y por vos mismo, que sois lo que yo amo y venero más en el mundo, ¡lo juro!

-¿Queréis reflexionar, sire? - dijo el cardenal-. Si soltamos de este modo al prisionero, no podremos conocer nunca la verdad.

-El señor Athos seguirá estando ahí - prosigió el señor de Tréville-, dispuesto a responder cuando plazca a las gentes de toga interrogarlo. No escapará, señor cardenal, estad tranquilo, yo mismo respondo de él.

-Claro que no desertará - dijo el rey-. Se le encontrará siempre, como dice el señor de Tréville. Además - añadió, bajando la voz y mirando con aire suplicante a Su Eminencia-, démosle seguridad: eso es política.

Esta política de Luis XIII hizo sonreír a Richelieu.

-Ordenad, sire - dijo-. Tenéis el derecho de gracia.

-El derecho de gracia no se aplica más que a los culpables - dijo Tréville, que quería tener la última palabra - y mi mosquetero es inocente. No es, pues, gracia lo que vais a conceder, sire, es justicia.

-¿Y está en Fort l'Evêque? - dijo el rey.

-Sí, sire, y en secreto, en un calabozo, como el último de los criminales.

-¡Diablos! ¡Diablos! - murmuró el rey-. ¿Qué hay que hacer?

-Firmar la orden de puesta en libertad y todo estará dicho - añadió el cardenal-. Yo creo, como Vuestra Majestad, que la garantía del señor de Tréville es más que suficiente.

Tréville se inclinó respetuosamente con una alegría que no estaba exenta de temor; hubiera preferido una resistencia porfiada del cardenal a aquella repentina facilidad.

El rey firmó la orden de excarcelación y Tréville se la llevó sin demora.

En el momento en que iba a salir, el cardenal le dirigió una sonrisa amistosa y dijo al rey:

-Una buena armonía reina entre los jefes y los soldados de vuestros mosqueteros, sire; eso es muy beneficioso para el servicio y muy honorable para todos.

-Me jugará alguna mala pasada de un momento a otro - decía Tréville-. Nunca se tiene la última palabra con un hombre semejante. Pero démonos prisa porque el rey puede cambiar de opinión en seguridad, y á fin de cuentas es más difícil volver a meter en la Bastilla o en Fort l'Evêque a un hombre que ha salido de ahí que guardar un prisionero que ya se tiene.

El señor de Tréville hizo triunfalmente su entrada en el Fort l'Évêque, donde liberó al mosquetero, a quien su apacible indiferencia no había abandonado.

Luego, la primera vez que volvió a ver a D'Artagnan, le dijo:

-Escapáis de una buena, vuestra estocada a Jussac está pagada. Queda todavía la de Bernajoux, y no debéis fiaros demasiado.

Por lo demás, el señor de Tréville tenía razón en desconfiar del cardenal y en pensar que no todo estaba terminado, porque apenas hubo cerrado el capitán de los mosqueteros la puerta tras él cuando Su Eminencia dijo al rey:

-Ahora que no estamos más que nosotros dos, vamos a hablar seriamente, si place a Vuestra Majestad. Sire, el señor de Buckingham estaba en París desde hace cinco días y hasta esta mañana no ha partido.

Donde el señor guardasellos Séguier buscó más de una vez la campana para tocarla como lo hacía antaño

Es imposible hacerse una idea de la impresión que estas pocas palabras produjeron en Luis XIII. Enrojeció y palideció sucesivamente; y el cardenal vio en seguida que acababa de conquistar de un solo golpe todo el terreno que había perdido.

-¡El señor de Buckingham en Paris! - exclamó - ¿Y qué viene a hacer?

-Sin duda, a conspirar con vuestros enemigos los hugonotes y los españoles.

-¡No, pardiez, no! ¡A conspirar contra mi honor con la señora de Chevreuse, la señora de Longueville y los Condé!

-¡Oh sire, qué idea! La reina es demasiado prudente y, sobre todo, ama demasiado a Vuestra Majestad.

-La mujer es débil, señor cardenal - dijo el rey ; y en cuanto a amarme mucho, tengo hecha mi opinión sobre ese amor.

-No por ello dejo de mantener - dijo el cardenal - que el duque de Buckingham ha venido a Paris por un plan completamente politico.

-Y yo estoy seguro de que ha venido por otra cosa, señor cardenal; pero si la reina es culpable, ¡que tiemble!

-Por cierto - dijo el cardenal-, por más que me repugne detener mi espíritu en una traición semejante, Vuestra Majestad me da que pensar: la señora de Lannoy, a quien por orden de Vuestra Majestad he interrogado varias veces, me ha dicho esta mañana que la noche pasada Su Majestad había estado en vela hasta muy tarde, que esta mañana había llorado mucho y que durante todo el día había estado escribiendo.

-A él indudablemente - dijo el rey-. Cardenal, necesito los papeles de la reina.

-Pero ¿cómo cogerlos, sire? Me parece que no es Vuestra Majestad ni yo quienes podemos encargarnos de una misión semejante.

-¿Cómo se cogieron cuando la mariscala D'Ancre? - exclamó el rey en el más alto grado de cólera-. Se registraron sus armarios y por último se la registró a ella misma.

-La mariscala D'Ancre no era más que la mariscala D'Ancre, una aventurera florentina, sire, eso es todo, mientras que la augusta esposa de Vuestra Majestad es Ana de Austria, reina de Francia, es decir, una de las mayores princesas del mundo.

-Por eso es más culpable, señor duque. Cuanto más ha olvidado la alta posición en que estaba situada, tanto más bajo ha descendido. Además, hace tiempo que estoy decidido a terminar con todas sus pequeñas intrigas de política y de amor. A su lado tiene también a un tal La Porte...

-A quien yo creo la clave de todo esto, lo confieso - dijo el cardenal.

-Entonces, ¿vos pensáis, como yo, que ella me engaña? - dijo el rey.

-Yo creo, y lo repito a Vuestra Majestad, que la reina conspira contra el poder de su rey, pero nunca he dicho contra su honor.

-Y yo os digo que contra los dos; yo os digo que la reina no me ama; yo os digo que ama a otro; ¡os digo que ama a ese infame duque de Buckingham! ¿Por qué no lo habéis hecho arrestar mientras estaba en París?

-¡Arrestar al duque! ¡Arrestar al primer ministro del rey Carlos I! Pensad en ello, sire. ¡Qué escándalo! Y si las sospechas de Vuestra Majestad, de las que yo sigo dudando, tuvieran alguna consistencia, ¡qué escándalo terrible! ¡Qué escándalo desesperante!

-Pero puesto que se exponía como un vagabundo y un ladronzuelo, había...

Luis XIII se detuvo por sí mismo espantado de lo que iba a decir, mientras que Richelieu, estirando el cuello, esperaba inútilmente la palabra que había quedado en los labios del rey.

-¿Había?

-Nada - dijo el rey-, nada. Pero en todo el tiempo que ha estado en Paris, ¿le habéis perdido de vista?

-No, sire.

-Dónde se alojaba?

-In la calle de La Harpe, número 75.

-¿Dónde está eso?

-Junto al Luxemburgo.

-¿Y estáis seguro de que la reina y él no se han visto?

-Creo que la reina está demasiado vinculada a sus deberes, sire.

-Pero se han escrito; es a él a quien la reina ha escrito durante todo el día; señor duque, ¡necesito esas cartas!

-Pero, sire...

-Señor duque, al precio que sea las quiero.

-Haré observar, sin embargo, a Vuestra Majestad...

-¿Me traicionáis vos también, señor cardenal, para oponeros siempre así a mis deseos? ¿Estáis de acuerdo con los españoles y con los ingleses, con la señora de Chevreuse y con la reina?

-Sire - respondió suspirando el cardenal-, creía estar al abrigo de semejante sospecha.

-Señor cardenal, ya me habéis oído: quiero esas cartas.

-No habría más que un medio.

-¿Cuál?

-Sería encargar de esta misión al señor guardasellos Séguier. La cosa entra por entero en los deberes de su cargo.

-¡Que envíen a buscarlo ahora mismo!

-Debe estar en mi casa, sire; hice que le rogasen pasarse por allí, y cuando he venido al Louvre he dejado la orden de hacerle esperar si se presentaba.

-¡Que vayan a buscarlo ahora mismo!

-Las órdenes de Vuestra Majestad serán cumplidas, pero...

-¿Pero qué?

-La reina se negará quizá a obedecer.

-¿Mis órdenes?

-Sí, si ignora que esas órdenes vienen del rey.

-Pues bien para que no lo dude, voy a prevenirla yo mismo.

-Vuestra Majestad no debe olvidar que he hecho todo cuanto he podido para prevenir una ruptura.

-Sí duque, sé que vos sois muy indulgente con la reina, demasiado indulgente quizá, y os prevengo que luego tendremos que hablar de esto.

-Cuando le plazca a Vuestra Majestad; pero siempre estaré feliz y orgulloso, sire, de sacrificarme a la buena armonía que deseo ver reinar entre vos y la reina de Francia.

-Bien, cardenal, bien; pero mientras tanto enviad en busca del señor guardasellos; yo entro en los aposentos de la reina.

Y abriendo la puerta de comunicación, Luis XIII se adentró por el corredor que conducía de sus habitaciones a las de Ana de Austria.

La reina estaba en medio de sus mujeres, la señora de Guitaut, la señora de Sablé, la señora de Montbazon y la señora de Guéménée. En un rincón estaba aquella camarista española, doña Estefanía, que la había seguido desde Madrid. La señora de Guéménée leía, y todo el mundo escuchaba con atención a la lectora, a excepción de la reina que, por el contrario, había provocado aquella lectura a fin de poder seguir el hilo de sus propios pensamientos mientras fingía escuchar.

Estos pensamientos, pese a lo dorados que estaban por un último reflejo de amor, no eran menos tristes. Ana de Austria, privada de la confianza de su marido, perseguida por el odio del cardenal, que no podía perdonarle haber rechazado un sentimiento más dulce, con los ojos puestos en el ejemplo de la reina madre, a quien aquel odio había atormentado toda su vida - aunque María de Médicis, si hay que creer las Memorias de la época, hubiera comenzado por conceder al cardenal el sentimiento que Ana de Austria terminó siempre por negarle-. Ana de Austria había visto caer a su alrededor a sus servidores más abnegados, sus confidentes más íntimos, sus favoritos más queridos. Como esos desgraciados dotados de un don funesto, llevaba la desgracia a cuanto tocaba; su amistad era un signo fatal que apelaba a la persecución. La señora Chevreuse y la señora de Vernet estaban exiliadas; finalmente, La Porte no ocultaba a su ama que esperaba ser arrestado de un momento a otro.

Fue el instante en que estaba sumida en la más profunda y sombría de estas reflexiones cuando la puerta de la habitación se abrio y entró el rey.

La lectora se calló al momento, todas las damas se levantaron y se hizo un profundo silencio.

En cuanto al rey, no hizo ninguna demostración de cortesía; sólo, deteniéndose ante la reina, dijo con voz alterada:

-Señora, vais a recibir la visita del señor canciller, que os comunicará ciertos asuntos que le he encargado.

La desgraciada reina, a la que amenazaba constantemente con el divorcio, el exilio e incluso el juicio, palideció bajo el rouge y no pudo impedirse decir:

-Pero ¿por qué esta visita, sire? ¿Qué va a decirme el señor canciller que Vuestra Majestad no pueda decirme por sí misma?

El rey giró sobre sus talones sin responder y casi en ese mismo instante el capitán de los guardias, el señor de Guitaut, anunció la visita del señor canciller.

Cuando el canciller apareció, el rey había salido ya por otra puerta.

El canciller entró medio sonriendo, medio ruborizándose. Como probablemente volveremos a encontrarlo en el curso de esta historia, no estaría mal que nuestros lectores traben desde ahora conocimiento con él.

El tal canciller era un hombre agradable. Fue Des Roches de Masle, canónigo de Notre Dame y que en otro tiempo había sido ayuda de cámara del cardenal, quien le propuso a Su Eminencia como un hombre totalmente adicto. El cardenal se fio y le fue bien.

Contaban de él algunas historias, entre otras ésta:

Tras una juventud tormentosa, se había retirado a un convento para expiar al menos durante algún tiempo las locuras de la adolescencia.

Pero, al entrar en aquel santo lugar, el pobre penitente no pudo cerrar la puerta con la rapidez suficiente para que las pasiones de que huía no entraran con él. Estaba obsesionado sin tregua, y el superior, a quien había confiado esa desgracia, queriendo ayudarlo en lo que pudiese, le había recomendado para conjurar al demonio tentador recurrir a la cuerda de la campana y echarla al vuelo. Al ruido delator, los monjes sabrían que la tentación asediaba a un hermano, y toda la comunidad se pondría a rezar.

El consejo pareció bueno al futuro canciller. Conjuró al espíritu maligno con gran acompañamiento de plegarias hechas por los monjes; pero el diablo no se deja desposeer fácilmente de una plaza en la que ha sentado sus reales; a medida que redoblaban los exorcismos, redoblaba él las tentaciones; de suerte que día y noche la campana repicaba anunciando el extremo deseo de mortificación que experimentaba el penitente.

Los monjes no tenían ni un instante de reposo. Por el día no hacían más que subir y bajar las escaleras que conducían a la capilla; por la noche, además de completas y maitines, estaban obligados a saltar veinte veces fuera de sus camas y a prosternarse en las baldosas de sus celdas.

Se ignora si fue el diablo quien soltó la presa o fueron los monjes quienes se cansaron; pero al cabo de tres meses, el diablo reapareció en el mundo con la reputación del más terrible poseso que jamás haya existido.

Al salir del convento entró en la magistratura, se convirtió en presidente con birrete en el puesto de su tío, abrazó el partido del cardenal, cosa que no probaba poca sagacidad; se hizo canciller, sirvió a su eminencia con celo en su odio contra la reina madre y en su venganza contra Ana de Austria; estimuló a los jueces en el asunto de Chalais, alentó los ensayos del señor de Laffemas, gran ahorcador de Francia; finalmente, investido de toda la confianza del cardenal, confianza que tan bien se había ganado, vino a recibir la singular comisión para cuya ejecución se presentaba en el aposento de la reina.

La reina estaba aún de pie cuando él entró, pero apenas lo hubo visto se volvió a sentar en su sillón a hizo seña a sus mujeres de volverse a sentar en sus cojines y taburetes, y con un tono de suprema altivez preguntó:

-Qué deseáis, señor y con qué fin os presentáis aquí?

-Para hacer en nombre del rey, señora, y salvo el respeto que tengo el honor de deber a Vuestra Majestad, una indagación completa en vuestros papeles.

-¡Cómo, señor! Una indagación en mis papeles... ¡A mi! ¡Qué cosa más indigna!

-Os ruego que me perdonéis, señora, pero en esta circunstancia no soy sino el instrumento de que el rey se sirve. ¿No acaba de salir de aquí Su Majestad y no os ha invitado ella misma a prepararos para esta visita?

-Registrad, pues, señor; soy una criminal según parece: Estefanía, dadle las llaves de mis mesas y de mis secreteres.

El canciller hizo una visita por pura formalidad a los muebles, pero sabía de sobra que no era en un mueble donde la reina había debido guardar la importante carta que había escrito durante el día.

Cuando el canciller hubo abierto y cerrado veinte veces los cajones del secreter, tuvo, pese a los titubeos que experimentaba, tuvo, digo, que llegar a la conclusión del asunto, es decir, a registrar a la propia reina. El canciller avanzó, pues, hacia Ana de Austria, y con un tono muy perplejo y aire muy embarazado, dijo:

-Y ahora sólo me queda por hacer la indagación principal.

-¿Cuál? - preguntó la reina, que no comprendía o que, mejor dicho, no quería comprender.

-Su Majestad está segura de que ha sido escrita por vos una carta durante el día; sabe que aún no ha sido enviada a su destinatario. Esa carta no se encuentra ni en vuestra mesa ni en vuestro secreter y, sin embargo, esa carta está en alguna parte.

-¿Os atreveríais a poner la mano sobre vuestra reina? - dijo Ana de Austria, irguiéndose en toda su altivez y fijando sobre el canciller sus ojos, cuya expresión se había vuelto casi amenazadora.

-Yo soy un súbdito fiel del rey, señora; y todo cuanto Su Majestad ordene lo haré.

-Pues bien es cierto - dijo Ana de Austria-, y los espías del señor cardenal le han servido bien. Hoy he escrito una carta, esa carta no está en ninguna parte. La carta está aquí.

Y la reina llevó su bella mano a su blusa.

-Entonces, dadme esa carta, señora - dijo el canciller.

-No se la daré más que al rey, señor - dijo Ana.

-Si el rey hubiera querido que esa carta le hubiera sido entregada, señora, os la hubiera pedido él mismo. Pero, os lo repito, es a mí a quien ha encargado reclamárosla, y si no la entregáis...

-¿Y bien?

-También me ha encargado cogérosla.

-Cómo, ¿qué queréis decir?

-Que mis órdenes van lejos, señora, y que estoy autorizado a buscar el papel sospechoso en la persona misma de Vuestra Majestad.

-¡Qué horror! - exclamó la reina.

-¿Queréis pues, hacer las cosas fáciles?

-Esa conducta es de una violencia infame, ¿lo sabíais, señor?

-El rey manda, señora, perdonadme.

-No lo soportaré; no, no, ¡antes morir! - exclamó la reina, en la que se revolvía la sangre imperiosa de la española y de la austríaca.

El canciller hizo una profunda reverencia, luego, con la intención bien patente de no retroceder un ápice en el cumplimiento de la comisión que se le había encargado y como hubiera podido hacerlo un ayudante de verdugo en la cámara de torturas, se acercó a Ana de Austria, de cuyos ojos se vieron en el mismo instante brotar lágrimas de rabia.

Como hemos dicho, la reina era de una gran belleza.

El cometido podía, pues, pasar por delicado, y el rey había llegado, a fuerza de celos contra Buckingham, a no estar celoso de nadie.

Sin duda el canciller Séguier buscó en ese momento con los ojos el cordón de la famosa campana; pero al no encontrarlo, tomó su decisión y tendió la mano hacia el lugar en que la reina había confesado que se encontraba el papel. Ana de Austria dio un paso hacia atrás, tan pálida que se hubiera dicho que iba a morir; y apoyándose con la mano izquierda, para no caer, en una mesa que se encontraba tras ella, sacó con la derecha un papel de su pecho y lo tendió al guardasellos.

-Tomad, señor, ahí está la carta - exclamó la reina, con voz entrecortada y temblorosa-. Cogedla y libradme de vuestra odiosa presencia.

El canciller, que por su parte tembiaba por una emoción fácil de concebir, cogió la carta, saludó hasta el suelo y se retiró.

Apenas se hubo cerrado la puerta tras él, cuando la reina cayó semidesvanecida en brazos de sus mujeres.

El canciller fue a llevar la carta al rey sin haber leído una sola palabra. El rey la cogió con la mano temblorosa, buscó el destinatario, que faltaba; se puso muy pálido, la abrió lentamente; luego, al ver por las primeras letras que estaba dirigida al rey de España, leyó con rapidez.

Era todo un plan de ataque contra el cardenal. La reina invitaba a su hermano y al emperador de Austria a fingir, heridos como estaban por la política de Richelieu, cuya eterna preocupación fue el sometimiento de la casa de Austria, que declaraban la guerra a Francia y que imponían como condición de la paz el despido del cardenal; pero de amor no había una sola palabra en toda aquella carta.

El rey, todo contento, se informó de si el cardenal estaba aún en el Louvre. Se le dijo que Su Eminencia esperaba, en el gabinete de trabajo, las órdenes de Su Majestad.

El rey se dirigió al punto a su lado.

-Tomad, duque - le dijo ; teníais razón y era yo el que estaba equivocado; toda la intriga es política, y no había ningún asunto de amor en esta carta. En cambio se trata, y mucho, de vos.

El cardenal tomó la carta y la leyó con la mayor atención; luego, cuando hubo llegado al fin la releyó una segunda vez.

-¡Bien! - dijo-. Vuestra Majestad ya ve hasta dónde llegan mis enemigos: se os amenaza con dos guerras si no me echáis. En verdad, yo en vuestro lugar, sire, cedería a tan poderosas instancias y, por mi parte, yo me retiraría de los asuntos públicos con verdadera dicha.

-¿Qué decís, duque?

-Digo, sire, que mi salud se pierde en estas luchas excesivas y en estos trabajos eternos. Digo que lo más probable es que yo no pueda soportar las fatigas del asedio de La Rochelle, y que más valdría que nombrarais para él al señor de Condé, o al señor de Basompierre o a algún valiente que se halle en situación de dirigir la guerra, y no a mí, que soy un hombre de iglesia, al que se aleja constantemente de mi vocación para aplicarme a cosas para las que no tengo ninguna aptitud. Seréis más feliz en el interior, sire, y no dudo que seréis más grande en el extranjero.

-Señor duque - dijo el rey - comprendo, estad tranquilo; todos los que son nombrados en esa carta serán castigados como merecen, y la reina también.

-¿Qué decís, sire? Dios me guarde de que, por mí, la reina sufra la menor contrariedad. Ella siempre me ha creído su enemigo, sire, aunque Vuestra Majestad puede atestiguar que yo siempre la he apoyado calurosamente, incluso contra vos. ¡Oh, si ella traicionase a Vuestra Majestad en su honor, sería otra cosa, y yo sería el primero en decir: «¡Nada de gracia sire, nada de gracia para la culpable!» Afortunadamente no es nada de eso, y Vuestra Majestad acaba de adquirir una nueva prueba.

-Es cierto, señor cardenal - dijo el rey-, y teníais razón, como siempre; pero no por ello deja la reina de merecer toda mi cólera.

-Sois vos, sire, quien habéis incurrido en la suya; y si realmente ella hiciera ascos seriamente a Vuestra Majestad, yo lo comprendería; Vuestra Majestad la ha tratado con una severidad...

-Así es como trataré siempre a mis enemigos y a los vuestros, duque, por alto que estén colocados y sea cual sea el peligro que yo coma por actuar severamente con ellos.

-La reina es mi enemiga, pero no la vuestra, sire; al contrario, es una esposa abnegada, sumisa a irreprochable; dejadme, pues, sire, interceder por ello junto a Vuestra Majestad.

-¡Entonces que se humille, y que venga a mí la primera!

-Al contrario, sire, dad ejemplo: vos habéis cometido el primer error, puesto que sois vos quien habéis sospechado de la reina.

-¿Que yo vaya el primero? - dijo el rey-. ¡Jamás!

-Sire, os lo suplico.

-Además, ¿cómo iría yo el primero?

-Haciendo una cosa que sabéis que le gustaría.

-¿Cuál?

-Dad un baile; ya sabéis cuánto le gusta a la reina la danza; os prometo que su rencor no resistirá ante semejante tentación.

-Señor cardenal, vos sabéis que no me gustan todos esos placeres mundanos.

-Por eso la reina os quedará más agradecida, puesto que sabe vuestra antipatía por ese placer; además, será una ocasión para ella de ponerse esos bellos herretes de diamantes que acabáis de darle por su cumpleaños el otro día, y que aún no ha tenido tiempo de ponerse.

-Ya veremos, señor cardenal, ya veremos - dijo el rey, que en su alegría por hallar a la reina culpable de un crimen que le importaba poco a inocente de una falta que temía mucho, estaba dispuesto a reconciliarse con ella-. Ya veremos; pero, por mi honor, sois demasiado indulgente.

-Sire - dijo el cardenal - dejad la severidad a los ministros, la indulgencia es la virtud real; usadla y veréis cómo os encontraréis bien.

Tras esto, el cardenal, oyendo dar en el péndulo las once, se inclinó profundamente pidiendo permiso al rey para retirarse y suplicándole que se reconciliase con la reina.

Ana de Austria, que a consecuencia de la confiscación de su carta esperaba algún reproche, quedó muy sorprendida al ver al día siguiento al rey hacer tentativas de acercamiento hacia ella. Su primer movimiento fue de repulsa, su orgullo de mujer y su dignidad de reina habían sido, los dos, tan cruelmente ofendidos que no podía reconciliarse así, a la primera; pero, vencida por el consejo de sus mujeres, tuvo finalmente aspecto de comenzar a olvidar. El rey aprovechó aquel primer momento de retorno para decirle que contaba con dar de un momento a otro una fiesta.

Era una cosa tan rara una fiesta para la pobre Ana de Austria que, como había pensado el cardenal, ante este anuncio la última huella de sus resentimientos desapareció, si no de su corazón, al menos de su rostro. Ella preguntó qué día debía tener lugar aquella fiesta, pero el rey respondió que tenía que entenderse sobre este punto con el cardenal.

En efecto, todos los días el rey preguntaba al cardenal en qué época tendría lugar aquella fiesta, y todos los días, el cardenal, con un pretexto cualquiera, difería fijarla.

Así pasaron diez días.

El octavo día después de la escena que hemos contado, el cardenal recibió una carta, con sello de Londres, que contenía solamente estas pocas líneas:

«Los tengo; pero no puedo abandonar Londres, dado que me falta dinero; enviadme quinientas pistolas, y, cuatro o cinco días después de haberlas recibido, estaré en Paris.»

El mismo día en que el cardenal hubo recibido esta carta, el rey le dirigió su pregunta habitual.

Richelieu contó con los dedos y se dijo en voz baja:

-Ella llegará, según dice, cuatro o cinco días después de haber recibido el dinero; se necesitan cuatro o cinco días para que el dinero llegue, cuatro o cinco para que ella vuelva, lo cual hacen diez días; ahora demos su parte a los vientos contrarios, a la mala suerte, a las debilidades de mujer y pongamos doce días.

-¡Y bien, señor duque! - dijo el rey-. ¿Habéis calculado?

-Sí, siré; hoy estamos a 20 de septiembre; los regidores de la ciudad dan una fiesta el 3 de octubre. Resultará todo de maravilla, porque así no parecerá que volvéis a la reina.

Luego el cardenal añadió:

-A propósito, sire, no olvidéis decir a Su Majestad, la víspera de esa fiesta, que deseáis ver cómo le sientan sus herretes de diamantes.

El matrimonio Bonacieux

Era la segunda vez que el cardenal insistía en ese punto de los herretes de diamantes con el rey. Luis XIII quedó sorprendido, pues, por aquella insistencia, y pensó que tal recomendación ocultaba algún misterio.

Más de una vez el rey había sido humillado porque el cardenal - cuya policía, sin haber alcanzado la perfección de la policía moderna, era excelente - estuviese mejor informado que él mismo de lo que pasaba en su propio matrimonio. Esperó, pues, sacar, de un encuentro con Ana de Austria, alguna luz de aquella conversación y volver luego junto a Su Eminencia con algún secreto que el cardenal supiese o no supiese, lo cual, tanto en un caso como en otro, le realzaba infinitamente a los ojos de su ministro.

Fue, pues, en busca de la reina y, según su costumbre, la abordó con nuevas amenazas contra quienes la rodeaban. Ana de Austria bajó la cabeza y dejó pasar el torrente sin responder, esperando que terminaría por detenerse; pero no era eso lo que quería Luis XIII; Luis XIII quería una discusión de la que saliese alguna luz nueva, convencido como estaba de que el cardenal tenía alguna segunda intención y maquinaba una sorpresa terrible como sabía hacer Su Eminencia. Y llegó a esa meta con su persistencia en acusar.

-Pero - exclamó Ana de Austria, cansada de aquellos vagos ataques-, pero sire, no me decís todo lo que tenéis en el corazón. ¿Qué he hecho yo? Veamos, ¿qué nuevo crimen he cometido? Es posible que Vuestra Majestad haga todo este escándalo por una carta escrita a mi hermano.

El rey, atacado a su vez de una manera tan directa, no supo qué responder; pensó que aquel era el momento de colocar la recomendación que no debía hacer más que la víspera de la fiesta.

-Señora - dijo con majestad-, habrá dentro de poco un baile en el Ayuntamiento; espero que para honrar a nuestros valientes regidores aparezcáis en traje de ceremonia y sobre todo adornada con los herretes de diamantes que os he dado por vuestro cumpleaños. Esa es mi respuesta.

La respuesta era terrible. Ana de Austria creyó que Luis XIII lo sabía todo, y que el cardenal había conseguido de él ese largo disimulo de siete a ocho días, que cuadraba por lo demas con su carácter. Se puso excesivamente pálida, apoyó sobre una consola su mano de admirable belleza y que parecía en ese momento una mano de cera y, mirando al rey con los ojos espantados, no respondió ni una sola sílaba.

-¿Habéis oído, señora? - dijo el rey, que gozaba con aquel embarazo en toda su extensión, pero sin adivinar la causa-. ¿Habéis oído?

-Sí, sire, he oído - balbuceó la reina.

-¿Iréis a ese baile?

-Sí.

-Con vuestros herretes?

La palidez de la reina aumentó aún más, si es que era posible; el rey se percató de ello, y lo disfrutó con esa fría crueldad que era una de las partes malas de su carácter.

-Entonces, convenido - dijo el rey-. Eso era todo lo que tenía que deciros.

-Pero ¿qué día tendrá lugar el baile? - preguntó Ana de Austria. Luis XIII sintió instintivamente que no debía responder a aquella pregunta, pues la reina la había hecho con una voz casi moribunda.

-Muy pronto, señora - dijo ; pero no me acuerdo con precisión de la fecha del día, se la preguntaré al cardenal.

-¿Ha sido el cardenal quien os ha anunciado esa fiesta? - exclamó la reina.

-Sí, señora - respondió el rey asombrado-. Pero ¿por qué?

-¿Ha sido él quien os ha dicho que me invitéis a aparecer con los herretes?

-Es decir, señora...

-¡Ha sido él, sire, ha sido él!

-¡Y bien! ¿Qué importa que haya sido él o yo? ¿Hay algún crimen en esa invitación?

-No, sire.

-Entonces, ¿os presentaréis?

-Sí, sire.

-Está bien - dijo el rey, retirándose-. Está bien, cuento con ello.

La reina hizo una reverencia, menos por etiqueta que porque sus rodillas flaqueaban bajo ella.

El rey partió encantado.

-Estoy perdida - murmuró la reina-. Perdida porque el cardenal lo sabe todo, y es él quien empuja al rey, que todavía no sabe nada, pero que sabrá todo muy pronto. ¡Estoy perdida! ¡Dios mío, Dios mío Dios mío!

Se arrodilló sobre un cojín y rezó con la cabeza hundida entre sus brazos palpitantes.

En efecto, la posición era terrible. Buckingham había vuelto a Londres, la señora de Chevreuse estaba en Tours. Más vigilada que nunca, la reina sentía sordamente que una de sus mujeres la traicionaba, sin saber decir cuál. La Porte no podía abandonar el Louvre. No tenía a nadie en el mundo en quien fiarse.

Por eso, en presencia de la desgracia que la amenazaba y del abandono que era el suyo, estalló en sollozos.

-¿No puedo yo servir para nada a Vuestra Majestad? - dijo de pronto una voz llena de dulzura y de piedad.

La reina se volvió vivamente, porque no había motivo para equivocarse en la expresión de aquella voz: era una amiga quien así hablaba.

En efecto, en una de las puertas que daban a la habitación de la reina apareció la bonita señora Bonacieux; estaba ocupada en colocar los vestidos y la ropa en un gabinete cuando el rey había entrado; no había podido salir, y había oído todo.

La reina lanzó un grito agudo al verse sorprendida, porque en su turbación no reconoció al principio a la joven que le había sido dada por La Porte.

-¡Oh, no temáis nada, señora! - dijo la joven juntando las manos y llorando ella misma las angustias de la reina-. Pertenezco a Vuestra Majestad en cuerpo y alma, y por lejos que esté de ella, por inferior que sea mi posición, creo que he encontrado un medio para librar a Vuestra Majestad de preocupaciones.

-¡Vos! ¡Oh, cielos! ¡Vos! - exclamó la reina-. Pero veamos, miradme a la cara. Me traicionan por todas partes, ¿puedo fiarme de vos?

-¡Oh, señora! - exclamó la joven cayendo de rodillas-. Por mi alma, ¡estoy dispuesta a morir por Vuestra Majestad!

Esta exclamación había salido del fondo del corazón y, como el primero, no podía engañar.

-Sí - continuó la señora Bonacieux-. Sí, aquí hay traidores; pero por el santo nombre de la Virgen, os juro que nadie es más adicta que yo a Vuestra Majestad. Esos herretes que el rey pide de nuevo se los habéis dado al duque de Buckingham, ¿no es así? ¿Esos herretes estaban guardados en una cajita de palo de rosa que él llevaba bajo el brazo? ¿Me equivoco acaso? ¿No es as?

-¡Oh, Dios mío! ¡Dios mío! - murmuró la reina cuyos dientes castañeaban de terror.

-Pues bien, esos herretes - prosiguió la señora Bonacieux - hay que recuperarlos.

-Sí, sin duda, hay que hacerlo - exclamó la reina-. Pero ¿cómo, cómo conseguirlo?

-Hay que enviar a alguien al duque.

-Pero ¿quién...? ¿Quién...? ¿De quién fiarme?

-Tened confianza en mí, señora; hacedme ese honor, mi reina, y yo encontraré el mensajero.

-¡Pero será preciso escribir!

-¡Oh, sí! Es indispensable. Dos palabras de mano de Vuestra Majestad y vuestro sello particular.

-Pero esas dos palabras, ¡son mi condena, son el divorcio, el exilio!

-¡Sí, si caen en manos infames! Pero yo respondo de que esas dos palabras sean remitidas a su destinatario.

-¡Oh, Dios mío! ¡Es preciso, pues, que yo ponga mi vida, mi honor, mi reputación en vuestras manos!

-¡Sí, sí, señora, lo es, y yo salvaré todo esto!

-Pero ¿cómo? Decídmelo al menos.

-Mi marido ha sido puesto en libertad hace tres días; aún no he tenido tiempo de volverlo a ver. Es un hombre bueno y honesto que no tiene odio ni amor por nadie. Hará lo que yo quiera; partirá a una orden mía, sin saber lo que lleva, y entregará la carta de Vuestra Majestad, sin saber siquiera que es de Vuestra Majestad, al destinatario que se le indique.

La reina tomó las dos manos de la joven en un arrebato apasionado, la miró como para leer en el fondo de su corazón, y al no ver más que sinceridad en sus bellos ojos la abrazó tiernamente.

-¡Haz eso - exclamó-, y me habrás salvado la vida, habrás salvado mi honor!

-¡Oh! No exageréis el servicio que yo tengo la dicha de haceros; yo no tengo que salvar de nada a Vuestra Majestad, que es solamente víctima de pérfidas conspiraciones.

-Es cierto, es cierto, hija mía - dijo la reina-. Y tienes razón.

-Dadme, pues, esa carta, señora, el tiempo apremia.

La reina corrió a una pequeña mesa sobre la que había tinta, papel y plumas; escribió dos líneas, selló la carta con su sello y la entregó a la señora Bonacieux.

-Y ahora - dijo la reina-, nos olvidamos de una cosa muy necesaria...

-¿Cuál?

-El dinero.

La señora Bonacieux se ruborizó.

-Sí, es cierto - dijo-. Confesaré a Vuestra Majestad que mi marido.

-Tu marido no lo tiene, es eso lo que quieres decir.

-Claro que sí, lo tiene pero es muy avaro, es su defecto. Sin embargo que Vuestra Majestad no se inquiete, encontraremos el medio...

-Es que yo tampoco tengo - dijo la reina (quienes lean las Memorias de la señora de Motteville no se extrañarán de esta respuesta)-. Pero espera.

Ana de Austria corrió a su escritorio.

-Toma - dijo-. Ahí tienes un anillo de gran precio, según aseguran; procede de mi hermano el rey de España, es mío y puedo disponer de él. Toma ese anillo y hazlo dinero, y que tu marido parta.

-Dentro de una hora seréis obedecida.

-Ya ves el destinatario - añadió la reina hablando tan bajo que apenas podía oírse lo que decía: A Milord el duque de Buckingham, en Londres.

-La carta le será entregada personalmente.

-¡Muchacha generosa! - exclamó Ana de Austria.

La señora Bonacieux besó las manos de la reina, ocultó el papel en su blusa y desapareció con la ligereza de un pájaro.

Diez minutos más tarde estaba en su casa; como le había dicho a la reina no había vuelto a ver a su marido desde su puesta en libertad; por tanto ignoraba el cambio que se había operado en él respecto del cardenal, cambio que habían logrado la lisonja y el dinero de Su Eminencia y que habían corroborado, luego, dos o tres visitas del conde de Rochefort, convertido en el mejor amigo de Bonacieux, al que había hecho creer sin mucho esfuerzo que ningún sentimiento culpable le había llevado al rapto de su mujer, sino que era solamente una precaución política.

Encontró al señor Bonacieux solo; el pobre hombre ponía a duras penas orden en la casa, cuyos muebles había encontrado casi rotos y cuyos armarios casi vacíos, pues no es la justicia ninguna de las tres cosas que el rey Salomón indica que no dejan huellas de su paso. En cuanto a la criada, había huido cuando el arresto de su amo. El terror había ganado a la pobre muchacha hasta el punto de que no había dejado de andar desde Paris hasta Bourgogne, su país natal.

El digno mercero había participado a su mujer, tan pronto como estuvo de vuelta en casa, su feliz retorno, y su mujer le había respondido para felicitarle y para decirle que el primer momento que pudiera escamotear a sus deberes sería consagrado por entero a visitarle.

Aquel primer momento se había hecho esperar cinco días, lo cual en cualquier otra circunstancia hubiera parecido algo largo a maese Bonacieux; pero en la visita que había hecho al cardenal y en las visitas que le hacía Rochefort, había amplio tema de reflexión, y como se sabe, nada hace pasar el tiempo como reflexionar.

Tanto más cuanto que las reflexiones de Bonacieux eran todas color de rosa. Rochefort le llamaba su amigo, su querido Bonacieux, y no cesaba de decirle que el cardenal le hacía el mayor caso. El mercero se veía ya en el camino de los honores y de la fortuna.

Por su parte, la señora Bonacieux había reflexionado, pero hay que decirlo, por otro motivo muy distinto que la ambición; a pesar suyo, sus pensamientos habían tenido por móvil constante aquel hermoso joven tan valiente y que parecía tan amoroso. Casada a los dieciocho años con el señor Bonacieux, habiendo vivido siempre en medio de los amigos de su marido, poco susceptibles de inspirar un sentimiento cualquiera a una joven cuyo corazón era más elevado que su posición, la señora Bonacieux había permanecido insensible a las seducciones vulgares; pero, en esa época sobre todo, el título de gentilhombre tenía gran influencia sobre la burguesía y D'Artagnan era geltihombre; además, llevaba el uniforme de los guardias que después del uniforme de los mosqueteros era el más apreciado de las damas. Era, lo repetimos, hermoso, joven, aventurero; hablaba de amor como hombre que ama y que tiene sed de ser amado; tenía más de lo que es preciso para enloquecer a una cabeza de veintitrés años y la señora Bonacieux había llegado precisamente a esa dichosa edad de la vida.

Aunque los dos esposos no se hubieran visto desde hacía más de ocho días, y aunque graves acontecimientos habían pasado entre ellos, se abordaron, pues, con cierta preocupación; sin embargo, el señor Bonacieux manifestó una alegría real y avanzó hacia su mujer con los brazos abiertos.

La señora Bonacieux le presentó la frente.

-Hablemos un poco - dijo ella.

-¿Cómo? - dijo Bonacieux, extrañado.

-Sí, tengo una cosa de la mayor importancia que deciros.

-Por cierto, que yo también tengo que haceros algunas preguntas bastante serias. Explicadme un poco vuestro rapto, por favor.

-Por el momento no se trata de eso - dijo la señora Bonacieux.

-¿Y de qué se trata entonces? ¿De mi cautividad?

-Me enteré de ella el mismo día; pero como no erais culpable de ningún crimen, como no erais cómplice de ninguna intriga, como no sabíais nada, en fin, que pudiera comprometeros, ni a vos ni a nadie, no he dado a ese suceso más importancia de la que merecía.

-¡Habláis muy a vuestro gusto señora! - prosiguió Bonacieux, herido por el poco interés que le testimoniaba su mujer-. ¿Sabéis que he estado metido un día y una noche en un calabozo de la Bastilla?

-Un día y una noche que pasan muy pronto; dejemos, pues, vuestra cautividad, y volvamos a lo que me ha traído a vuestro lado.

-¿Cómo? ¡Lo que os trae a mi lado! ¿No es, pues, el deseo de volver a ver a un marido del que estáis separada desde hace ocho días? - pregunto el mercero picado en lo más vivo.

-Es eso en primer lugar, y además otra cosa.

-¡Hablad!

-Una cosa del mayor interés y de la que depende nuestra fortuna futura quizá.

-Nuestra fortuna ha cambiado mucho de cara desde que os vi, señora Bonacieux, y no me extrañaría que de aquí a algunos meses causara la envidia de mucha gente.

-Sí, sobre todo si queréis seguir las instrucciones que voy a daros.

-¿A mî?

-Sí, a vos. Hay una buena y santa acción que hacer, señor, y mucho dinero que ganar al mismo tiempo.

La señora Bonacieux sabía que hablando de dinero a su marido le cogía por el lado débil.

Pero aunque un hombre sea mercero, cuando ha hablado diez minutos con el cardenal Richelieu, no es el mismo hombre.

-¡Mucho dinero que ganar! - dijo Bonacieux estirando los labios.

-Sí, mucho.

-¿Cuánto, más o menos?

-Quizá mil pistolas.

-¿Lo que vais a pedirme es, pues, muy grave?

-Sí.

-¿Qué hay que hacer?

-Saldréis inmediatamente, yo os entregaré un papel del que no os desprenderéis bajo ningún pretexto, y que pondréis en propia mano de alguien.

-¿Y adónde tengo que ir?

-A Londres.

-¡Yo a Londres! Vamos, estáis de broma, yo no tengo nada que hacer en Londres.

-Pero otros necesitan que vos vayáis.

-¿Quiénes son esos otros? Os lo advierto, no voy a hacer nada más a ciegas, y quiero saber no sólo a qué me expongo, sino también por quién me expongo.

-Una persona ilustre os envía, una persona ilustre os, espera; la recompensa superará vuestros deseos, he ahí cuanto puedo prometeros.

-¡Intrigas otra vez, siempre intrigas! Gracias, yo ahora no me fío, y el cardenal me ha instruido sobre eso.

-¡El cardenal! - exclamó la señora Bonacieux-. ¡Habéis visto al cardenal!

-El me hizo llamar - respondió orgullosamente el mercero.

-Y vos aceptasteis su invitación, ¡qué imprudente!

-Debo decir que no estaba en mi mano aceptar o no aceptar, porque yo estaba entre dos guardias. Es cierto además que, como entonces yo no conocía a Su Eminencia, si hubiera podido dispensarme de esa visita, hubiera estado muy encantado.

-¿Os ha maltratado entonces? ¿Os ha amenazado acaso?

-Me ha tendido la mano y me ha llamado su amigo, ¡su amigo! ¿Oís, señora? ¡Yo soy el amigo del gran cardenal!

-¡Del gran cardenal!

-¿Le negaríais, por casualidad ese título, señora?

-Yo no le niego nada, pero os digo que el favor de un ministro es efímero, y que hay que estar loco para vincularse a un ministro; hay poderes que están por encima del suyo, que no descansan en el capricho de un hombre o en el resultado de un acontecimiento; de esos poderes es de los que hay que burlarse.

-Lo siento, señora, pero no conozco otro poder que el del gran hombre a quien tengo el honor de servir.

-¿Vos servís al cardenal?

-Sí, señora, y como su servidor no permitiré que os dediquéis a conspiraciones contra el Estado, y que vos misma sirváis a las intrigas de una mujer que no es francesa y que tiene el corazón español. Afortunadamente el cardenal está ahí, su mirada alerta vigila y penetra hasta el fondo del corazón.

Bonacieux repetía palabra por palabra una frase que había oído decir al conde de Rochefort; pero la pobre mujer, que había contado con su marido y que, en aquella esperanza, había respondido por él a la reina, no tembló menos, tanto por el peligro en el que ella había estado a punto de arrojarse, como por la impotencia en que se encontraba. Sin embargo, conociendo la debilidad y sobre todo la codicia de su marido, no desesperaba de atraerle a sus fines.

-¡Ah! Sois cardenalista, señor - exclamó-. ¡Conque servís al partido de los que maltratan a vuestra mujer a insultan a vuestra reina!

-Los intereses particulares no son nada ante los intereses de todos. Yo estoy de parte de quienes salvan al Estado - dijo con énfasis Bonacieux.

Era otra frase del conde de Rochefort, que él había retenido y que hallaba ocasión de meter.

-¿Y sabéis lo que es el Estado de que habláis? - dijo la señora Bonacieux, encogiéndose de hombros-. Contentaos con ser un burgués sin fineza ninguna, y dad la espalda a quien os ofrece muchas ventajas.

-¡Eh eh! - dijo Bonacieux, golpeando sobre una bolsa de panza redondeada y que devolvió un sonido argentino-. ¿Qué decís vos de esto, señora predicadora?

-¿De dónde viene ese dinero?

-¿No lo adivináis?

-¿Del cardenal?

-De él y de mi amigo el conde de Rochefort.

-¡El conde de Rochefort! ¡Pero si ha sido él quien me ha raptado!

-Puede ser, señora.

-¿Y vos recibís dinero de ese hombre?

-¿No me habéis dicho vos que ese rapto era completamente politico?

-Sí; pero ese rapto tenía por objeto hacerme traicionar a mi ama, arrancarme mediante torturas confesiones que pudieran comprometer el honor y quizá la vida de mi augusta ama.

-Señora - prosiguió Bonacieux - vuestra augusta ama es una pérfida española, y lo que el cardenal hace está bien hecho.

-Señor - dijo la joven-, os sabía cobarde, avaro a imbécil, ¡pero no os sabía infame!

-Señora - dijo Bonacieux, que no había visto nunca a su mujer encolerizada y que se echaba atrás ante la ira conyugal-. Señora, ¿qué decís?

-¡Digo que sois un miserable! - continuó la señora Bonacieux, que vio que recuperaba alguna influencia sobre su marido-. ¡Ah, hacéis política vos! ¡Y encima política cardenalista! ¡Ah, os venderíais en cuerpo y alma al demonio por dinero!

-No, pero al cardenal sí.

-¡Es la misma cosa! - exclamó la joven-. Quien dice Richelieu dice Satán.

-Callaos, señora, callaos, podrían oírnos.

-Sí, tenéis razón, y sería vergonzoso para vos vuestra propia cobardía.

-Pero ¿qué exigís entonces de mí? Veamos.

-Ya os lo he dicho: que partáis al instante, señor, que cumpláis lealmente la comisión que yo me digno encargaros y, con esta condición, olvido todo, perdono; y hay más - ella le tendió la mano- : os devuelvo mi amistad.

Bonacieux era cobarde y avaro; pero amaba a su mujer: se enterneció. Un hombre de cincuenta años no guarda durante mucho tiempo rencor a una mujer de veintitrés. La señora Bonacieux vio que dudaba.

-Entonces, ¿estáis decidido? - dijo ella.

-Pero, querida amiga, reflexionad un poco en lo que exigís de mí; Londres está lejos de Paris, muy lejos, y quizá la comisión que me encarguéis no esté exenta de peligro.

-¡Qué importa si los evitáis!

-Mirad, señora Bonacieux - dijo el mercero-. Mirad, decididamente, me niego: las intrigas me dan miedo. He visto la Bastilla. ¡Brrrr! ¡La Bastilla es horrible! Nada más pensar en ella se me pone la carne de gallina. Me han amenazado con la tortura. ¿Sabéis vos lo que es la tortura? Cuñas de madera que os meten entre las piernas hasta que los huesos estallan! No, decididamente, no iré. Y ¡pardiez!, ¿por qué no vais vos misma? Porque en verdad creo que hasta ahora he estado engañado sobre vos: ¡creo que sois un hombre, y de los más rabiosos incluso!

-Y vos, vos sois una mujer, una miserable mujer, estúpida y tonta. ¡Ah, tenéis miedo! Pues bien, si no partís ahora mismo, os hago detener por orden de la reina, y os hago meter en la Bastilla que tanto teméis.

Bonacieux cayó en una reflexión profunda; pesó detenidamente las dos cóleras en su cerebro, la del cardenal y la de la reina; la del cardenal prevaleció con mucha diferencia.

-Hacedme detener de parte de la reina - dijo - y yo apelaré a Su Eminencia.

Por vez primera, la señora Bonacieux vio que había ido demasiado lejos, y quedó asustada por haber avanzado tanto. Contempló un instante con horror aquel rostro estúpido, de una resolución invencible, como el de esos tontos que tienen miedo.

-¡Pues entonces, sea! - dijo-. Quizá, a fin de cuentas, tengáis razón: un hombre sabe mucho más que las mujeres de política, y vos sobre todo, señor Bonacieux, que habéis hablado con el cardenal. Y sin embargo, es muy duro - añadió - que mi marido, que un hombre con cuyo afecto yo creía poder contar me trate tan descortésmente y no satisfaga en nada mi fantasía.

-Es que vuestras fantasías pueden llevar muy lejos - respondió Bonacieux, triunfante - y desconfío de ellas.

-Renunciaré, pues, a ellas - dijo la joven suspirando-. Está bien, no hablemos más.

-Si al menos me dijerais qué tenía que hacer en Londres - prosiguió Bonacieux, que recordaba un poco tarde que Rochefort le había encomendado tratar de sorprender los secretos de su mujer.

-Es inútil que lo sepáis - dijo la joven, a quien una desconfianza instintiva impulsaba ahora hacia trás : era una bagatela de las que gustan a las mujeres, una compra con la que había mucho que ganar.

Pero cuanto más se resistía la joven, tanto más pensaba Bonacieux que el secreto que ella se negaba a confiarle era importante. Por eso decidió correr inmediatamente a casa del conde de Rochefort y decirle que la reina buscaba un mensajero para enviarlo a Londres.

-Perdonadme si os dejo, querida señora Bonacieux - dijo él ; pero por no saber que vendríais hoy he quedado citado con uno de mis amigos; vuelvo ahora mismo, y si queréis esperarme, aunque sólo sea medio minuto, tan pronto como haya terminado con ese amigo, vuelvo para recogeros y, como comienza a hacerse tarde, acompañaros al Louvre.

-Gracias, señor - respondió la señora Bonacieux ; no sois lo suficientemente valiente para serme de ninguna utilidad, y volveré al Louvre perfectamente sola.

-Como os plazca, señora Bonacieux - respondió el exmercero-. ¿Os veré pronto?

-Claro que sí; espero que la próxima semana mi servicio me deje alguna libertad, y la aprovecharé para venir a ordenar nuestras cosas, que deben estar algo desordenadas.

-Está bien; os esperaré. ¿No me guardáis rencor?

-¡Yo! Por nada del mundo.

-¿Hasta pronto entonces?

-Hasta pronto.

Bonacieux besó la mano de su mujer y se alejó rápidamente.

-¡Vaya! - dijo la señora Bonacieux cuando su marido hubo cerrado la puerta de la calle y ella se encontró sola-. ¡Sólo le faltaba a este imbécil ser cardenalista! Y yo que había asegurado a la reina, yo que había prometido a mi pobre ama... ¡Ay, Dios mío, Dios mío! Me va a tomar por una de esas miserables que pupulan por palacio y que han puesto junto a ella para espiarla. ¡Ay, señor Bonacieux! Nunca os he amado mucho, pero ahora es mucho peor: os odio, y ¡palabra que me la pagaréis!

En el momento en que decía estas palabras, un golpe en el techo la hizo alzar la cabeza, y una voz, que vino a ella a través del piso, gritó:

-Querida señora Bonacieux, abridme la puerta pequeña de la avenida y bajo junto a vos.

El amante y el marido

-¡Ay, señora! - dijo D'Artagnan entrando por la puerta que le abría la joven-. Permitidme decíroslo, tenéis un triste marido.

-¡Entonces habéis oído nuestra conversación! - preguntó vivamente la señora Bonacieux, mirando a D'Artagnan con inquietud.

-Toda entera.

-Dios mío, ¿cómo?

-Mediante un procedimiento conocido por mí, gracias al cual oí también la conversación más animada que tuvisteis con los esbirros del cardenal.

-¿Y qué habéis comprendido de lo que decíamos?

-Mil cosas: en primer lugar, que vuestro marido es un necio y un imbécil, afortunadamente; luego, que estáis en un apuro, cosa que me ha encantado y que me da ocasión de ponerme a vuestro servicio, y Dios sabe si estoy dispuesto a arrojarme al fuego por vos; finalmente que la reina necesita que un hombre valiente, inteligente y adicto haga por ella un viaje a Londres. Yo tengo al menos dos de las tres cualidades que necesitáis, y heme aquí.

La señora Bonacieux no respondió, pero su corazón batía de alegría y una secreta esperanza brilló en sus ojos.

-¿Y qué garantía me daréis - preguntó - si consiento en confiaros esta misión?

-Mi amor por vos. Veamos, decid, ordenad: ¿qué hay que hacer?

-¡Dios mío, Dios mío! - murmuró la joven-. Debo confiaros un secreto semejante, señor. ¡Sois casi un niño!

-Bueno, veo que os falta alguien que os responda por mí.

-Confieso que eso me tranquilizarla mucho.

-¿Conocéis a Athos?

-No.

-¿A Porthos?

-No.

-¿A Aramis?

-No. ¿Quiénes son esos señores?

-Mosqueteros del rey. ¿Conocéis al señor de Tréville, su capitán?

-¡Oh, sí, a ese lo conozco. ¡No personalmente, sino por haber oído hablar de él más de una vez a la reina como de un valiente y leal gentilhombre.

-¿No teméis que él os traicione por el cardenal, no es así?

-¡Oh, no, seguro que no!

-Pues bien, reveladle vuestro secreto y preguntadle si por importante, por precioso, por terrible que sea podéis confiármelo.

-Pero ese secreto no me pertenece y no puedo revelarlo de ese modo.

-Ibais a confiar de buena gana en el señor Bonacieux - dijo D'Artagnan con despecho.

-Como se confía una carta al hueco de un árbol, al ala de un pichón, al collar de un perro.

-Sin embargo yo, como veis, os amo.

-Vos lo decís.

-¡Soy un hombre galante!

-Lo creo.

-¡Soy valiente!

-¡Oh, de eso estoy segura!

-Entonces, ponedme a prueba.

La señora Bonacieux miró al joven, contenida por una última duda. Pero había tal ardor en sus ojos, tal persuasión en su voz, que se sintió arrastrada a fiarse de él. Además, se hallaba en una de esas circunstancias en que hay que arriesgar el todo por el todo. La reina estaba tan perdida por una exagerada discreción como por una excesiva confianza. Además, confesémoslo, el sentimiento involuntario que experimentaba por aquel joven proector la decidió a hablar.

-Escuchad - le dijo-. Me rindo a vuestras protestas y cedo ante vuestras palabras. Pero os juro ante Dios que nos oye, que si me traicionáis y mis enemigos me perdonan, me mataré acusándoos de mi muerte.

-Y yo yo os juro ante Dios, señora - dijo D'Artagnan-, que, si soy cogido durante el cumplimiento de las órdenes que vais a darme, moriré antes de hacer o decir nada que comprometa a alguien.

Entonces la joven le confió el terrible secreto del que el azar le había revelado ya una parte frente a la Samaritana. Esta fue su mutua declaración de amor.

D'Artagnan resplandecía de alegría y de orgullo. Aquel secreto que poseía, aquella mujer a la que amaba, la confianza y el amor hacían de él un gigante.

-Parto - dijo-. Parto al instante.

-¡Cómo! ¿Partís? - exclamó la señora Bonacieux-. ¿Y vuestro regimiento-, vuestro capitán?

-Por mi alma, me habéis hecho olvidar todo eso, querida Constance. Sí, tenéis razón, necesito un permiso.

-Un obstáculo todavía - murmuró la señora Bonacieux con dolor.

-¡Oh, ese - exclamó D'Artagnan, tras un momento de reflexión- lo superaré-, estad tranquila!

-¿Cómo?

-Iré a buscar esta misma noche al señor de Tréville, a quien encargaré que pida para mí este favor a su cuñado el señor des Essarts. - Ahora, otra cosa.

-¿Qué? - preguntó D'Artagnan, viendo que la señora Bonacieux dudaba en continuar.

-¿Quizá no tengáis dinero?

-Quizá demasiado - dijo D'Artagnan, sonriendo.

-Entonces - prosiguió la señora Bonacieux abriendo un armario y sacando de ese armario la bolsa que media hora antes acariciaba tan amorosamente su marido - tomad esta bolsa.

-¡El del cardenal! - exclamó estallando de risa D'Artagnan que, como se recordará, gracias a sus baldosas levantadas no se había perdido una sílaba de la conversación del mercero y de su mujer.

-El del cardenal - dijo la señora Bonacieux-. Como veis, se presenta bajo un aspecto bastante respetable.

-¡Pardiez! - exclamó D'Artagnan-. Será una cosa doblemente divertida: ¡Salvar a la reina con el dinero de Su Eminencia!

-Sois un joven amable y encantador - dijo la señora Bonacieux-. Estad seguro de que Su Majestad no será nada ingrata.

-¡Oh, yo ya estoy bien recompensado! - exclamó D'Artagnan-. Os amo, vos me permitís decíroslo: es ya más dicha de la que me atrevía a esperar.

-¡Silencio! - dijo la señora Bonacieux, estremeciéndose.

-¿Qué?

-Están hablando en la calle.

-Es la voz...

-De mi marido. ¡Sí, lo he reconocido!

D'Artagnan corrió a lá puerta y pasó el cerrojo.

-Que no entre hasta que yo no haya salido, y cuando yo salga, vos le abrís.

-Pero también yo debería haberme marchado. Y la desaparición de ese dinero, ¿cómo justificarla si estoy yo aquí?

-Tenéis razón, hay que salir.

-¿Salir? ¿Y cómo? Nos verá si salimos.

-Entonces hay que subir a mi casa.

-¡Ah! - exclamó la señora Bonacieux-. Me decís eso en un tono que me da miedo.

La señora Bonacieux pronunció estas palabras con una lágrima en los ojos. D'Artagnan vio esa lágrima y, turbado, enternecido, se arrojó a sus pies.

-En mi casa - dijo - estaréis tan segura como en un templo, os doy mi palabra de gentilhombre.

-Partamos - dijo ella-. Me fío de vos, amigo mío.

D'Artagnan volvió a abrir con precaución el cerrojo y los dos juntos, ligeros como sombras, se deslizaron por la puerta interior hacia la avenida, subieron sin ruido la escalera y entraron en la habitación de D'Artagnan.

Una vez allí, para mayor seguridad, el joven atrancó la puerta; se acercaron los dos a la ventana, y por una rendija del postigo vieron al señor Bonacieux que hablaba con un hombre de capa.

A la vista del hombre de capa, D'Artagnan dio un salto y, sacando a medias la espada, se lanzó hacia la puerta.

Era el hombre de Meung.

-¿Qué vais a hacer? - exclamó la señora Bonacieux-. Nos perdéis.

-¡Pero he jurado matar a ese hombre! - dijo D'Artagnan.

-Vuestra vida está consagrada en este momento y no os pertenece. En nombre de la reina, os prohíbo meteros en ningún peligro extraño al del viaje.

-Y en vuestro nombre, ¿no ordenáis nada?

-En mi nombre - dijo la señora Bonacieux, con viva emoción-, en mi nombre, os lo suplico. Pero escuchemos, me parece que hablan de mí.

D'Artagnan se acercó a la ventana y prestó oído.

El señor Bonacieux había abierto su puerta, y al ver la habitación vacía, había vuelto junto al hombre de la capa al que había dejado solo un instante.

-Se ha marchado - dijo-. Habrá vuelto al Louvre.

-¿Estáis seguro - respondió el extranjero - de que no ha sospechado de las intenciones con que habéis salido?

-No respondió Bonacieux con suficiencia-. Es una mujer demasiado superficial.

-El cadete de los guardias, ¿está en su casa?

-No lo creo; como veis, su postigo está cerrado y no se ve brillar ninguna luz a través de las rendijas.

-Es igual, habría que asegurarse.

-¿Cómo?

-Yendo a llamar a su puerta.

-Preguntaré a su criado.

-Id.

Bonacieux regresó a su casa, pasó por la misma puerta que acababa de dar paso a los dos fugitivos, subió hasta el rellano de D'Artagnan y llamó.

Nadie respondió. Porthos, para dárselas de importante, había tomado prestado aquella tarde a Planchet. En cuanto a D'Artagnan, tenía mucho cuidado con dar la menor señal de existencia.

En el momento en que el dedo de Bonacieux resonó sobre la puerta, los dos jóvenes sintieron saltar sus corazones.

-No hay nadie en su casa - dijo Bonacieux.

-No importa, volvamos a la vuestra, estaremos más seguros que en el umbral de una puerta.

-¡Ay, Dios mío! - murmuró la señora Bonacieux-. No vamos a oír nada.

-Al contrario - dijo D'Artagnan - les oiremos mejor. D'Artagnan levantó las tres o cuatro baldosas que hacían de su habitación otra oreja de Dionisio, extendió un tapiz en el suelo, se puso de rodillas a hizo señas a la señora Bonacieux de inclinarse, como él hacía, hacia la abertura. - ¿Estáis seguro de que no hay nadie? - dijo el desconcido.

-Respondo de ello - dijo Bonacieux.

-¿Y pensáis que vuestra mujer...?

-Ha vuelto al Louvre.

-¿Sin hablar con nadie más que con vos?

-Estoy seguro.

-Es un punto importante, ¿comprendéis?

-Entonces, ¿la noticia que os he llevado tiene un valor...?

-Muy grande, mi querido Bonacieux, no os lo oculto.

-Entonces, ¿el cardenal estará contento conmigo?

-No lo dudo.

-¡El gran cardenal!

-¿Estáis seguro de que en su conversación con vos vuestra mujer no ha pronunciado nombres propios?

-No lo creo.

-¿No ha nombrado ni a la señora de Chevreuse, ni al señor de Buckingham,ni a la señora de Vernel?

-No, ella me ha dicho sólo que queria enviarme a Londres para servir a los intereses de una persona ilustre.

-¡Traidor! - murmuró la señora Bonacieux.

-¡Silencio! - dijo D Artagnan cogiéndole una mano que ella le abandonó sin pensar.

-No importa - continuó el hombre de la capa-. Sois un necio por no haber fingido aceptar el encargo, ahora tendríais la carta; el Estado al que se amenaza estaría a salvo, y vos...

-¿Y yo?

-Pues bien, vos , el cardenal os daría títulos de nobleza...

-¿Os lo ha dicho?

-Sí, yo sé que quería daros esa sorpresa.

-Estad tranquilo - prosiguió Bonacieux-. Mi mujer me adora, todavía hay tiempo.

-¡Imbécil! - murmuró la señora Bonacieux.

-¡Silencio! - dijo D'Artagnan, apretándole más fuerte la mano.

-¿Cómo que aún hay tiempo? - prosiguió el hombre de la capa.

-Vuelvo al Louvre, pregunto por la señora Bonacieux, le digo que lo he pensado, que me hago cargo del asunto, obtengo la carts y corro adonde el cardenal.

-¡Bien! Id deprisa; yo volveré pronto para saber el resultado de vuestra gestión.

El desconocido salió.

-¡Infame! - dijo la señora Bonacieux, dirigiendo todavía este epíteto a su marido.

-¡Silencio! - repitió D'Artagnan apretándole la mano más fuertemente aún.

Un aullido terrible interrumpió entonces las reflexiones de D'Artagnan y de la señora Bonacieux. Era su marido, que se había percatado de la desaparición de su bolsa y que maldecía al ladrón.

-¡Oh, Dios mío! - exclamó la señora Bonacieux-. Va a alborotar a todo el barrio.

Bonacieux chilló mucho tiempo; pero como semejantes gritos, dada su frecuencia, no atraían a nadie en la calle des Fossoyeurs y, como por otra parte la casa del mercero tenía desde hacía algún tiempo mala fama al ver que nadie acudía salió gritando, y se oyó su voz que se alejaba en dirección de la calle du Bac.

-Y ahora que se ha marchado, os toca alejaros a vos - dijo la señora Bonacieux-. Valor, pero sobre todo prudencia, y pensad que os debéis a la reina.

-¡A ella y a vos! - exclamó D'Artagnan-. Estad tranquila, bella Constance volveré digno de su reconocimiento; pero ¿volveré tan digno de vuestro amor?

La joven no respondió más que con el vivo rubor que coloreó sus mejillas. Algunos instantes después, D'Artagnan salía a su vez, envuelto, él también, en una gran capa que alzaba caballerosamente la vaina de una larga espada.

La señora Bonacieux le siguió con los ojos, con esa larga mirada de amor con que la mujer acompaña al hombre del que se siente amar; pero cuando hubo desaparecido por la esquina de la calle, cayó de rodillas y, uniendo las manos, exclamó:

-¡Oh, Dios mío! ¡Proteged a la reina, protegedme a mí!

Plan de campaña

D'Artagnan se dirigió directamente a casa del señor de Tréville. Había pensado que, en pocos minutos, el cardenal sería advertido por aquel maldito desconocido que parecía ser su agente, y pensaba con razón que no había un instante que perder.

El corazón del joven desbordaba de alegría. Ante él se presentaba una ocasión en la que había a la vez gloria que adquirir y dinero que ganar, y como primer aliento acababa de acercarle a una mujer a la que adoraba. Este azar, de golpe, hacía por él más que lo que hubiera osado pedir a la Providencia.

El señor de Tréville estaba en su salón con su corte habitual de gentileshombres. D'Artagnan, a quien se conocía como familiar de la casa, fue derecho a su gabinete y le avisó de que le esperaba para una cosa importante.

D'Artagnan estaba allí hacía apenas cinco minutos cuando el señor de Tréville entró. A la primera ojeada y ante la alegría que se pintó sobre su rostro, el digno capitán comprendió que efectivamente pasaba algo nuevo.

Durante todo el camino, D'Artagnan se había preguntado si se confiaría al señor de Tréville o si solamente le pediría concederle carta blanca para un asunto secreto. Pero el señor de Tréville había sido siempre tan perfecto para él, era tan adicto al rey y a la reina, odiaba tan cordialmente al cardenal, que el joven resolvió decirle todo.

-¿Me habéis hecho llamar, mi joven amigo? - dijo el señor de Tréville.

-Sí, señor - dijo D'Artagnan-, y espero que me perdonéis por haberos molestado cuando sepáis el importante asunto de que se trata.

-Decid entonces, os escucho.

-No se trata de nada menos - dijo D'Artagnan bajando la voz - que del honor y quizá de la vida de la reina.

-¿Qué decís? - preguntó el señor de Tréville mirando en torno suyo si estaban completamente solos y volviendo a poner su mirada interrogadora en D'Artagnan.

-Digo, señor, que el azar me ha hecho dueño de un secreto...

-Que yo espero que guardaréis, joven, por encima de vuestra vida.

-Pero que debo confiaros a vos, señor, porque sólo vos podéis ayudarme en la misión que acabo de recibir de Su Majestad.

-¿Ese secreto es vuestro?

-No, señor, es de la reina.

-¿Estáis autorizado por Su Majestad para confiármelo?

-No, señor, porque, al contrario, se me ha recomendado el más profundo misterio.

-¿Por qué entonces ibais a traicionarlo por mí?

-Porque ya os digo que sin vos no puedo nada y porque tengo miedo de que me neguéis la gracia que vengo a pediros si no sabéis con qué objeto os lo pido.

- Guardad vuestro secreto, joven, y decidme lo que deseáis.

-Deseo que obtengáis para mí, del señor des Essarts, un permiso de quince días.

-¿Cuándo?

-Esta misma noche.

-¿Abandonáis Paris?

-Voy con una misión.

-¿Podéis decirme adónde?

-A Londres.

-¿Está alguien interesado en que no lleguéis a vuestra meta?

-El cardenal, según creo, daría todo el oro del mundo por impedirme alcanzarlo.

-¿Y vais solo?

-Voy solo.

-En ese caso, no pasaréis de Bondy. Os lo digo yo, palabra de Tréville.

-¿Por qué?

-Porque os asesinarán.

-Moriré cumpliendo con mi deber.

-Pero vuestra misión no será cumplida.

-Es cierto - dijo D'Artagnan.

-Creedme - continuó Tréville-, en las empresas de este género hay que ser cuatro para que llegue uno.

-¡Ah!, tenéis razón, señor! – dijo D’Artagnan-. Vos conocéis a Athos, Porthos y Aramis y vos sabéis si puedo disponer de ellos.

-¿Sin confiarles el secreto que yo no he querido saber?

-Nos hemos jurado, de una vez por todas, confianza ciega y abnegación a toda prueba; además, podéis decirles que tenéis toda vuestra confianza en mí, y ellos no serán más incrédulos que vos.

-Puedo enviarles a cada uno un permiso de quince días, eso es todo: a Athos, a quien su herida hace siempre sufrir, para ir a tomar las aguas de Forges; a Porthos y a Aramis para que acompañen a su amigo, a quien no quieren abandonar en una situación tan dolorosa. El envío de su permiso será la prueba de que autorizo su viaje.

-Gracias, señor, sois cien veces bueno.

-Id a buscarlos ahora mismo, y que se haga todo esta noche. ¡Ah!, y lo primero escribid vuestra petición al señor Des Essarts. Quizá tengáis algún espía a vuestros talones, y vuestra visita, que en tal caso ya es conocida del cardenal, será legitimada de este modo.

D'Artagnan formuló aquella solicitud, y el señor de Tréville, al recibirla en sus manos, aseguró que antes de las dos de la mañana los cuatro permisos estarían en los domicilios respectivos de los viajeros.

-Tened la bondad de enviar el mío a casa de Athos - dijo D'Artagnan-. Temo que de volver a mi casa tenga algún mal encuentro.

-Estad tranquilo. ¡Adiós, y buen viaje! A propósito - dijo el señor de Tréville llamándole.

D'Artagnan volvió sobre sus pasos.

-¿Tenéis dinero?

D'Artagnan hizo sonar la bolsa que tenía en su bolsillo.

-¿Bastante? - preguntó el señor de Tréville.

-Trescientas pistolas.

-Está bien, con eso se va al fin del mundo; id pues.

D'Artagnan saludó al señor de Tréville, que le tendió la mano; D'Artagnan la estrechó con un respeto mezclado de gratitud. Desde que había llegado a Paris, no había tenido más que motivos de elogio para aquel hombre excelente a quien siempre había encontrado digno, leal y grande.

Su primera visita fue para Aramis; no había vuelto a casa de su amigo desde la famosa noche en que había seguido a la señora Bonacieux. Hay más: apenas había visto al joven mosquetero, y cada vez que lo había vuelto a ver, había creído observar una profunda tristeza en su rostro.

Aquella noche, Aramis velaba, sombrío y soñador; D'Artagnan le hizo algunas preguntas sobre aquella melancolía profunda; Aramis se excusó alegando un comentario del capítulo dieciocho de San Agustín que tenía que escribir en latín para la semana siguiente, y que le preocupaba mucho.

Cuando los dos amigos hablaban desde hacía algunos instantes, un servidor del señor de Tréville entró llevando un sobre sellado.

-¿Qué es eso? - preguntó Aramis.

-El permiso que el señor ha pedido - respondió el lacayo.

-Yo no he pedido ningún permiso.

-Callaos y tomadlo - dijo D'Artagnan-. Y vos, amigo mío, tomad esta media pistola por la molestia; le diréis al señor de Tréville que el señor Aramis se lo agradece sinceramente. Idos.

El lacayo saludó hasta el suelo y salió.

-¿Qué significa esto? - preguntó Aramis.

-Coged lo que os hace falta para un viaje de quince días y seguidme.

-Pero no puedo dejar Paris en este momento sin saber...

Aramis se etuvo.

-Lo que ha pasado con ella, ¿no es eso? - continuó D'Artagnan.

-¿Quién? - prosiguió Aramis.

-La mujer que estaba aquí, la mujer del pañuelo bordado.

-¿Quién os ha dicho que aquí había una mujer? - replicó Aramis tornándose pálido como la muerte.

-Yo la vi.

-¿Y sabéis quién es?

-Creo sospecharlo al menos.

-Escuchad - dijo Aramis-, puesto que sabéis tantas cosas, ¿sabéis qué ha sido de esa mujer?

-Presumo que ha vuelto a Tours.

-¿A Tours? Sí, eso puede ser, la conocéis. Pero ¿cómo ha vuelto a Tours sin decirme nada?

-Porque temió ser detenida.

-¿Cómo no me ha escrito?

-Porque temió comprometeros.

-¡D'Artagnan, me devolvéis la vida! - exclamó Aramis-. Me creía despreciado, traicionado. ¡Estaba tan contento de volverla a ver! Yo no podía creer que arriesgase su libertad por mí, y sin embargo, ¿por qué causa habrá vuelto a Paris?

-Por la causa que hoy nos hace ir a Inglaterra.

-¿Y cuál es esa causa? - preguntó Aramis.

-La sabréis un día, Aramis; por el momento, yo imitaré la discreción de la nieta del doctor.

Aramis sonrió, porque se acordaba del cuento que había referido cierta noche a sus amigos.

-¡Pues bien! Dado que ella ha abandonado Paris y que vos estáis seguro de ello, D'Artagnan, nada me detiene aquí y yo estoy dispuesto a seguiros. Decís que vamos a...

-A casa de Athos por el momento, y, si queréis venir, os invito a daros prisa, porque hemos perdido ya demasiado tiempo. A propósito, avisad a Bazin.

-¿Bazin viene con nosotros? - preguntó Aramis.

-Quizá. En cualquier caso, está bien que por ahora nos siga a casa de Athos.

Aramis llamó a Bazin, y tras haberle ordenado ir a reunirse con él a casa de Athos, tomando su capa, su espada y sus tres pistolas, y abriendo inútilmente tres o cuatro cajones para ver si encontraba en ellos alguna pistola extraviada, dijo:

-Partamos, pues.

Luego, cuando estuvo bien seguro de que aquella búsqueda era superflua, siguió a D'Artagnan, preguntándose cómo era que el joven cadete de los guardias había sabido quién era la mujer a la que él había dado hospitalidad y conociese mejor que él lo que había sido de ella.

Al salir, Aramis puso su mano sobre el brazo de D'Artagnan y, mirándole fijamente, dijo:

-¿Vos no habéis hablado de esa mujer a nadie?

-A nadie en el mundo.

-¿Ni siquiera a Athos y a Porthos?

-No les he soplado ni la menor palabra.

-En buena hora.

Y tranquilo respecto a este importante punto, Aramis continuó su camino con D'Artagnan, y pronto los dos juntos llegaron a casa de Athos.

Lo encontraron con su permiso en una mano y la carta del señor de Tréville en la otra.

-¿Podéis explicarme lo que significa este permiso y esta carta que acabo de recibir? - dijo Athos asombrado.

«Mi querido Athos: Puesto que vuestra salud lo exige de modo indispensable, quiero que descanséis quince días. Id, pues, a tomar las aguas de Forges o cualquiera otra que os convenga, y restableceros pronto. Vuestro afectísimo Tréville.»

-Pues bien, ese permiso y esa carta significan que hay que seguirme, Athos.

-¿A las aguas de Forges?

-Allí o a otra parte. -¿Para servicio del rey?

-Del rey o de la reina. ¿No somos servidores de Sus Majestades?

En aquel momento entró Porthos.

-¡Pardiez! - dijo-. Vaya cosa más extraña. ¿Desde cuándo entre los mosqueteros se concede a la gente permisos sin que los pidan?

-Desde que tienen amigos que los piden para ellos - dijo D'Artagnan.

-¡Ah, ah! - dijo Porthos-. Parece que hay novedades.

-Sí, nos vamos - dijo Aramis.

-¿Adónde? - preguntó Porthos.

-A fe que no sé nada - dijo Athos ; pregúntaselo a D'Artagnan.

-A Londres, señores - dijo D'Artagnan.

-¡A Londres! - exclamó Porthos-. ¿Y qué vamos a hacer nosotros en Londres?

-Eso es lo que no puedo deciros, señores, y tenéis que fiaros de mí.

-Pero para ir a Londres - añadió Porthos-, se necesita dinero, y yo no lo tengo.

-Ni yo - dijo Aramis.

-Ni yo - dijo Athos.

-Yo lo tengo - prosiguió D'Artagnan sacando su tesoro de su bolso y depositándolo sobre la mesa-. En esa bolsa hay trescientas pistolas; tomemos cada uno setenta y cinco; es más de lo que se necesita para ir a Londres y volver. Además, estad tranquilos, no todos llegaremos a Londres.

-Y eso ¿por qué?

-Porque según todas las probabilidades, habrá alguno de nosotros que se quede en el camino.

-¿Es acaso una campaña lo que emprendemos?

-Y de las más peligrosas, os lo advierto.

-¡Vaya! Pero dado que corremos el riesgo de hacernos matar - dijo Porthos-, me gustaría saber por qué al menos.

-Lo sabrás más adelante - dijo Athos.

-Sin embargo - dijo Aramis-, yo soy de la opinión de Porthos.

-¿Suele el rey rendiros cuenta? No, os dice buenamente: Señores se pelea en Gascuña o en Flandes, id a batiros; y vos vais. ¿Por qué? No os preocupáis siquiera.

-D'Artagnan tiene razón - dijo Athos-, aquí están nuestros tres permisos que proceden del señor de Tréville, y ahí hay trescientas pistolas que vienen de no sé dónde. Vamos a hacernos matar allí donde se nos dice que vayamos. ¿Vale la vida la pena de hacer tantas preguntas? D'Artagnan, yo estoy dispuesto a seguirte.

-Y yo también - dijo Porthos.

-Y yo también - dijo Aramis-. Además, no me molesta dejar París. Necesito distracciones.

-¡Pues bien, tendréis distracciones, señores, estad tranquilos! - dijo D'Artagnan.

-Y ahora, ¿cuándo partimos? - dijo Athos.

-Inmediatamente - respondió D'Artagnan ; no hay un minuto que perder.

-¡Eh, Grimaud, Planchet, Mosquetón, Bazin! - gritaron los cuatro jóvenes llamando a sus lacayos-. Dad grasa a nuestras botas y traed los caballos de palacio.

En efecto, cada mosquetero dejaba en el palacio general, como en un cuartel, su caballo y el de su criado.

Planchet, Grimaud, Mosquetón y Bazin partieron a todo correr.

-Ahora, establezcamos el plan de campaña - dijo Porthos-. ¿Dónde vamos primero?

-A Calais - dijo D'Artagnan ; es la línea más recta para llegar a Londres.

-¡Bien! - dijo Porthos-. Mi opinión es ésta.

-Habla.

-Cuatro hombres que viajan juntos serían sospechosos; D'Artagnan nos dará a cada uno sus instrucciones, yo partiré delante por la ruta de Boulogne para aclarar el camino; Athos partirá dos horas después por la de Amiens; Aramis nos seguirá por la de Noyon; en cuanto a D'Artagnan, partirá por la que quiera, con los vestidos de Planchet, mientras Planchet nos seguirá vestido de D'Artagnan y con el uniforme de los guardias.

-Señores - dijo Athos-, mi opinión es que no conviene meter para nada lacayos en un asunto semejante; un secreto puede ser traicionado por azar por gentileshombres, pero es casi siempre vendido por lacayos.

-El plan de Porthos me parece impracticable - dijo D'Artagnan-, porque yo mismo ignoro qué instrucciones puedo daros. Yo soy portador de una carta, eso es todo. No la sé y por tanto no puedo hacer tres copias de esa carta, puesto que está sellada; en mi opinión, hay que viajar en compañía. Esa carta está aquí, en mi bolsillo - y mostró el bolsillo en que estaba la carta-. Si muero, uno de vosotros la cogerá y continuaréis la ruta; si éste muere, le tocará a otro, y así sucesivamente; con tal que uno solo llegue, se habrá hecho lo que había que hacer.

-¡Bravo, D'Artagnan! Tu opinión es la mía - dijo Athos-. Además, hay que ser consecuente: voy a tomar las aguas, vosotros me acompañáis; en lugar de Forges, voy a tomar baños de mar: soy libre. Si se nos quiere detener, muestro la carta del señor de Tréville, y vosotros mostráis vuestros permisos; si se nos ataca, nosotros nos defenderemos; si se nos juzga, defenderemos erre que erre que no teníamos otra intención que meternos cierto número de veces en el mar; darían buena cuenta de cuatro hombres aislados, mientras que cuatro hombres juntos son una tropa. Armaremos a los cuatro lacayos de pistolas y mosquetones; si se envía un ejército contra nosotros, libraremos batalla, y el superviviente, como ha dicho D'Artagnan, llevará la carta.

-Bien dicho - exclamó Aramis ; no hablas con frecuencia, Athos, pero cuando hablas es como San Juan Boca de Oro. Adopto el plan de Athos. ¿Y tú, Porthos?

-Yo también - dijo Porthos-, si conviene a D'Artagnan. D'Artagnan, portador de la carta, es naturalmente el jefe de la empresa; que él decida y nosotros obedeceremos.

-Pues bien - dijo D'Artagnan-, decido que adoptemos el plan de Athos y que partamos dentro de media hora.

-¡Adoptado! - contestaron a coro los tres mosqueteros.

Y cada cual alargando la mano hacia la bolsa, cogió setenta y cinco pistolas a hizo sus preparativos para partir a la hora convenida.

El viaje

A las dos de la mañana, nuestros cuatro aventureros salieron de Paris por la puerta de Saint Denis; mientras fue de noche, permanecieron mudos; a su pesar, sufrían la influencia de la oscuridad y veían acechanzas por todas partes.

A los primeros rayos del día, sus lenguas se soltaron; con el sol, la alegría volvió: era como en la víspera de un combate, el corazón palpitaba, los ojos reían; se sentía que la vida que quizá se iba a abandonar era, a fin de cuentas, algo bueno.

El aspecto de la caravana, por lo demás, era de lo más formidable: los caballos negros de los mosqueteros, su aspecto marcial, esa costumbre de escuadrón que hace marchar regularmente a esos nobles compañeros del soldado hubieran traicionado el incógnito más estricto.

Los seguían los criados, armados hasta los dientes.

Todo fue bien hasta Chantilly, adonde llegaron hacia las ocho de la mañana. Había que desayunar. Descendieron ante un albergue que recomendaba una muestra que representaba a San Martín dando la mitad de su capa a un pobre. Ordenaron a los lacayos no desensillar los caballos y mantenerse dispuestos para volver a partir inmediatamente.

Entraron en la sala común y se sentaron en una mesa.

Un gentilhombre que acababa de llegar por la ruta de San Martín estaba sentado en aquella misma mesa y desayunaba. El entabló conversación sobre cosas sin importancia y los viajeros respondieron; él bebió a su salud y los viajeros le devolvieron la cortesia.

Pero en el momento en que Mosquetón venía a anunciar que los caballos estaban listos y que se levantaba la mesa, el extranjero propuso a Porthos beber a la salud del cardenal. Porthos respondio que no deseaba otra cosa si el desconocido, a su vez, quería beber a la salud del rey. El desconocido exclamó que no conocía más rey que Su Eminencia. Porthos lo llamó borracho; el desconocido saco su espada.

-Habéis hecho una tontería - dijo Athos ; no importa, ya no se puede retroceder ahora: matad a ese hombre y venid a reuniros con nosotros lo más rápido que podáis.

Y los tres volvieron a montar a caballo y partieron a rienda suelta, mientras que Porthos prometía a su adversario perforarle con todas las estocadas conocidas en la esgrima.

-¡Uno! - dijo Athos al cabo de quinientos pasos.

-Pero ¿por qué ese hombre ha atacado a Porthos y no a cualquier otro? - preguntó Aramis.

-Porque por hablar Porthos más alto que todos nosotros, le ha tomado por el jefe - dijo D'Artagnan.

-Siempre he dicho que este cadete de Gascuña era un pozo de sabiduría - murmuró Athos.

Y los viajeros continuaron su ruta.

En Beauvais se detuvieron dos horas, tanto para dejar respirar a los caballos como para esperar a Porthos. Al cabo de dos horas, como Porthos no llegaba, ni noticia alguna de él, volvieron a ponerse en camino.

A una legua de Beauvais, en un lugar en que el camino se encontraba encajonado entre dos taludes, encontraron ocho o diez hombres que, aprovechando que la ruta estaba desempedrada en aquel lugar, fingían trabajar en ella cavando agujeros y haciendo rodadas en el fango.

Aramis, temiendo ensuciarse sus botas en aquel mortero artificial, los apostrofó duramente. Athos quiso retenerlo; era demasiado tarde. Los obreros se pusieron a insultar a los viajeros a hicieron perder con su insolencia la cabeza incluso al frío Athos, que lanzó su caballo contra uno de ellos.

Entonces, todos aquellos hombres retrocedieron hasta una zanja y cogieron mosquetes ocultos; resultó de ello que nuestros siete viajeros fueron literalmente pasados por las armas. Aramis recibió una bala que le atravesó el hombro, y Mosquetón otra que se alojó en las partes carnosas que prolongan el bajo de los riñones. Sin embargo, Mosquetón sólo se cayó del caballo, no porque estuviera gravemente herido, sino porque como no podía ver su herida creyó sin duda estar más peligrosamente herido de lo que lo estaba.

-Es una emboscada - dijo D'Artagnan-, no piquemos el cebo, y en marcha.

Aramis, aunque herido como estaba se agarró a las crines de su caballo, que le llevó con los otros. El de Mosquetón se les había reunido y galopaba completamente solo a su lado.

-Así tendremos un caballo de recambio - dijo Athos.

-Preferiría tener un sombrero - dijo D'Artagnan ; el mío se lo ha llevado una bala. Ha sido una suerte que la carta que llevo no haya estado dentro.

-¡Vaya, van a matar al pobre Porthos cuando pase! - dijo Aramis.

-Si Porthos estuviera sobre sus piernas, ya se nos habría unido - dijo Athos-. Mi opinión es que, sobre la marcha, el borracho se ha despejado.

Y galoparon aún durante dos horas, aunque los caballos estuvieran tan fatigados que era de temer que negasen muy pronto el servicio.

Los viajeros habían cogido la trocha, esperando de esta forma ser menos inquietados; pero en Crèvecoeur, Aramis declaró que no podía seguir. En efecto, había necesitado de todo su coraje que ocultaba bajo su forma elegante y sus ademanes corteses para llegar hasta allí. A cada momento palidecía, y tenían que sostenerlo sobre su caballo; lo bajaron a la puerta de una taberna, le dejaron a Bazin que, por lo demás, en una escaramuza era más embarazoso que útil, y volvieron a - partir con la esperanza de ir a dormir a Amiens.

-¡Pardiez! - dijo Athos cuando se encontraron en camino, reducidos a dos amos y a Grimaud y Planchet-. ¡Pardiez! No seré yo su víctima, y os aseguro que no me harán abrir la boca ni sacar la espada de aquí a Calais... Lo juro...

-No juremos - dijo D'Artagnan-, galopemos si nuestros caballos consienten en ello.

Y los viajeros hundieron sus espuelas en el vientre de sus caballos, que, vigorosamente estimulados, volvieron a encontrar fuerzas. Llegaron a Amiens a medianoche y descendieron en el albergue del Lis d'Or.

El hostelero tenía el aspecto del más honesto hombre de la tierra; recibió a los viajeros con su palmatoria en una mano y su bonete de algodón en la otra; quiso alojar a los dos viajeros a cada uno en una habitación encantadora, pero desgraciadamente cada una de aquellas habitaciones estaba en una punta del hotel. D'Artagnan y Athos las rechazaron; el hostelero respondió,que no había otras dignas de Sus Excelencias; pero los viajeros declararon que se acostarían en la habitación común, cada uno sobre un colchón que pondrían en el suelo. El hostelero insistió, los viajeros se obstinaron: hubo que hacer lo que querían.

Acababan de disponer el lecho y de atrancar la puerta por dentro, cuando llamaron al postigo del patio; preguntaron quién estaba allí, reconocieron la voz de sus criados y abrieron.

En efecto, eran Planchet y Grimaud.

-Grimaud bastará para guardar los caballos - dijo Planchet ; si los señores quieren, yo me acostaré atravesando la puerta; de esta forma, estarán seguros de que nadie llegará hasta ellos.

-¿Y en qué te acostarás? - dijo D'Artagnan.

-He aquí mi cama - respondió Planchet.

Y mostró un haz de paja.

-Ven entonces - dijo D'Artagnan ; tienes razón: la cara del hostelero no me gusta, es demasiado graciosa.

-Ni a mí tampoco - dijo Athos.

Planchet subió por la ventana y se instaló atravesado junto a la puerta, mientras Grimaud iba a encerrarse en la cuadra, respondiendo de que a las cinco él y los cuatro caballos estarían dispuestos.

La noche fue bastante tranquila. Hacia las dos de la mañana intentaron abrir la puerta, pero cuando Ptanchet se despertó sobresaltado y gritó: «¿Quién va?», le respondieron que se equivocaban, y se alejaron.

A las cuatro de la mañana, se oyó un gran escándalo en las cuadras; Grimaud había querido despertar a los mozos de cuadra, y los mozos de cuadra le golpeaban. Cuando abrieron la ventana, se vio al pobre muchacho sin conocimiento, la cabeza hendida por un golpe del mango de un horcón.

Planchet bajó entonces al patio y quiso ensillar los caballos; los caballos estaban extenuados. Sólo el de Mosquetón, que había viajado sin amo durante cinco o seis horas la víspera, habría podido continuar la ruta; pero por un error inconcebible, el veterinario al que se había mandado a buscar, según parecía, para sangrar al caballo del hostelero, había sangrado al de Mosquetón.

Aquello comenzaba a ser inquietante: todos aquellos accidentes sucesivos eran quizá resultado del azar, pero podían también ser muy bien fruto de una conspiración. Athos y D'Artagnan salieron, mientras Planchet iba a informarse de si había tres caballos en venta por los alrededores. A la puerta había dos caballos completamente equipados, fuertes y vigorosos. Aquello arreglaba el asunto. Preguntó dónde estaban los dueños; le dijeron que los dueños habían pasado la noche en el albergue y saldaban su cuenta en aquel momento con el amo.

Athos bajó para pagar el gasto, mientras D'Artagnan y Planchet estaban en la puerta de la caller el hostelero se hallaba en una habitación baja y alejada, a la que rogó a Athos que pasase.

Athos entró sin desconfianza y sacó dos pistolas para pagar: el hostelero estaba solo y sentado ante su mesa, uno de cuyos cajones estaba entreabierto. Tomó el dinero que le ofreció Athos, lo hizo dar vueltas y más vueltas en sus manos y de pronto, gritando que la moneda era falsa, declaró que iba a hacerle detener, a él y a su compañero, por monederos falsos.

-¡Bribón! - dijo Athos, avanzando hacia él-. ¡Voy a cortarte las orejas!

En aquel mismo instante, cuatro hombres armados hasta los dientes entraron por las puertas laterales y se arrojaron sobre Athos.

-¡Me han cogido! - gritó Athos con todas las fuerzas de sus pulmones-. ¡Largaos, D'Artagnan! ¡Pica espuelas, pícalas! - y soltó dos tiros de pistola.

D'Artagnan y Planchet no se lo hicieron repetir dos veces, soltaron los dos caballos que esperaban a la puerta, saltaron encima, les hundieron las espuelas en el vientre y partieron a galope tendido.

-¿Sabes qué ha sido de Athos? - preguntó D'Artagnan a Planchet mientras corrían.

-¡Ay, señor! - dijo Planchet-. He visto caer a dos por los dos disparos, y me ha parecido, a través de la vidriera, que luchaba con la espada con los otros.

-¡Bravo, Athos! - murmuró D'Artagnan-. ¡Cuando pienso que hay que abandonarlo! De todos modos, quizá nos espera otro tanto a dos pasos de aquí. ¡Adelante, Planchet, adelante! Eres un valiente.

-Ya os lo dije, señor - respondió Planchet ; en los picardos, eso se ve con el uso, estoy en mi tierra, y eso me excita.

Y los dos juntos, picando espuelas, llegaron a Saint Omer de un solo tirón. En Saint Omer hicieron respirar a los caballos brida en mano, por miedo a contratiempos, y comieron un bocado deprisa y de pie en la calle; tras lo cual, volvieron a partir.

A cien pasos de las puertas de Calais, el caballo de D'Artagnan cayó, y ya no hubo medio de hacerlo levantarse: la sangre le salía por la nariz y por los ojos; quedaba sólo el de Planchet, pero éste se había parado y no hubo medio de hacerle andar.

Afortunadamente, como hemos dicho, estaban a cien pasos de la ciudad; dejaron las dos monturas en la carretera y corrieron al puerto. Planchet hizo observar a su amo un gentilhombre que llegaba con su criado y que no les precedía más que en una cincuentena de pasos.

Se aproximaron rápidamente a aquel hombre que parecía muy agitado. Tenía las botas cubiertas de polvo y se informaba sobre si podría pasar en aquel mismo momento a Inglaterra.

-Nada sería más fácil - le respondió el patrón de un navío dispuesto a hacerse a la vela ; pero esta mañana ha llegado la orden de no dejar partir a nadie sin un permiso expreso del señor cardenal.

-Tengo ese permiso - dijo el gentilhombre sacando un papel de su bolso ; aquí está.

-Hacedlo visar por el gobernador del puerto - dijo el patrón y dadme preferencia.

-¿Dónde encontraré al gobernador?

-En su casa de campo.

-¿Y dónde está situada esa casa?

-A un cuarto de legua de la villa; mirad, desde aquí la veréis al pie de aquella pequeña prominencia, aquel techo de pizarra.

-¡Muy bien! - dijo el gentilhombre.

Y seguido de su lacayo, tomó el camino de la casa de campo del gobernador.

D'Artagnan y Planchet siguieron al gentilhombre a quinientos pasos de distancia.

Una vez fuera de la villa, D'Artagnan apresuró el paso y alcanzó al gentilhombre cuando éste entraba en un bosquecillo.

-Señor - le dijo D'Artagnan-, parece que tenéis mucha prisa.

-No puedo tener más, señor.

-Estoy desesperado - dijo D'Artagnan-, porque como también tengo prisa, querría pediros un favor.

-¿Cuál?

-Que me dejéis pasar primero.

-Imposible - dijo el gentilhombre ; he hecho sesenta leguas en cuarenta y cuatro horas y es preciso que mañana a mediodía esté en Londres.

-Y yo he hecho el mismo camino en cuarenta horas y es preciso que mañana a las diez de la mañana esté en Londres.

-Caso perdido, señor; pero yo he llegado el primero y no pasaré el segundo.

-Caso perdido, señor; pero yo he llegado el segundo y pasaré el primero.

-¡Servicio del rey! - dijo el gentilhombre.

-¡Servicio mío! - dijo D'Artagnan.

-Me parece que es una mala pelea la que me buscáis.

-¡Pardiez! ¿Qué queréis que sea?

-¿Qué deseáis?

-¿Queréis saberlo?

-Por supuesto.

-Pues bien, quiero la orden de que sois portador, dado que yo no la tengo y dado que necesito una.

-¿Bromeáis, verdad?

-No bromeo nunca.

-¡Dejadme pasar!

-No pasaréis.

-Mi valiente joven, voy a romperos la cabeza. ¡Eh, Lubin, mis pistolas!

-Planchet - dijo D'Artagnan-, encárgate tú del criado, yo me encargo del amo.

Planchet, enardecido por la primera proeza, saltó sobre Lubin, y como era fuerte y vigoroso, dio con sus riñones en el suelo y le puso la rodilla en el pecho.

-Cumplid vuestro cometido, señor - dijo Planchet-, que yo ya he hecho el mío.

Al ver esto, el gentilhombre sacó su espada y se abalanzó sobre D'Artagnan; pero tenía que habérselas con un adversario terrible.

En tres segundos D'Artagnan le suministró tres estocadas, diciendo a cada una:

-Una por Athos, otra por Porthos, y otra por Aramis.

A la tercera, el gentilhombre cayó como una mole.

D'Artagnan le creyó muerto, o al menos desvanecido, y se aproximó a él para cogerle la orden, pero en el momento en que extendía el brazo para registrarlo, el herido, que no había soltado su espada, le asestó un pinchazo en el pecho diciendo:

-Una por vos.

-¡Y una por mí! ¡Para el final la buena! - exclamó D'Artagnan furioso, clavándole en tierra con una cuarta estocada en el vientre.

Aquella vez el gentilhombre cerró los ojos y se desvaneció.

D'Artagnan registró el bolsillo en que había visto poner la orden de paso y la cogió. Estaba a nombre del conde de Wardes.

Luego, lanzando una última ojeada sobre el hermoso joven, que apenas tenía veinticinco años y al que dejaba allí tendido, privado del sentido y quizá muerto, lanzó un suspiro sobre aquel extraño destino que lleva a los hombres a destruirse unos a otros por intereses de personas que les son extrañas y que a menudo no saben siquiera que existen.

Pero muy pronto fue sacado de estas cavilaciones por Lubin, que lanzaba aullidos y pedía ayuda con todas sus fuerzas.

Planchet le puso la mano en la garganta y apretó con todas sus fuerzas.

-Señor - dijo - mientras lo tenga así, no gritará, de eso estoy seguro; pero tan pronto como lo suelte, volverá a gritar. Es, según creo, normando, y los normandos son cabezotas.

-¡Espera! - dijo D'Artagnan.

Y cogiendo su pañuelo lo amordazó.

-Ahora - dijo Planchet - atémoslo a un árbol.

La cosa fue hecha a conciencia, luego arrastraron al conde de Wardes junto a su doméstico; y como la noche comenzaba a caer y el atado y el herido estaban algunos pasos dentro del bosque, era evidente que debían quedarse allí hasta el día siguiente.

-¡Y ahora - dijo D'Artagnan-, a casa del gobernador!

-Pero estáis herido, me parece - dijo Planchet.

-No es nada; ocupémonos de lo que más urge; luego ya volveremos a mi herida que, además, no me parece muy peligrosa.

Y los dos se encaminaron deprisa hacia la casa de campo del digno funcionario.

Anunciaron al señor conde de Wardes.

D'Artagnan fue introducido.

-¿Tenéis una orden firmada del cardenal? - dijo el gobernador.

-Sí, señor - respondió D'Artagnan-, aquí está.

-¡Ah, ah! Está en regla y bien certificada - dijo el gobernador.

-Es muy simple - respondió D'Artagnan-,soy uno de sus más fieles-.

-Parece que Su Eminencia quiere impedir a alguien llegar a Inglaterra.

-Sí, a un tal D'Artagnan, un gentilhombre bearnés que ha salido de París con tres amigos suyos con la intención de llegar a Londres.

-¿Le conocéis vos personalmente? - preguntó el gobernador.

-¿A quién?

-A ese D'Artagnan.

-De maravilla.

-Dadme sus señas entonces.

-Nada más fácil.

Y D'Artagnan hizo rasgo por rasgo la descripción del conde de Wardes.

-¿Va acompañado? - preguntó el gobernador.

-Sí, de un criado llamado Lubin.

-Se tendrá cuidado con ellos y, si les ponemos la mano encima, Su Eminencia puede estar tranquilo, serán devueltos a Paris con una buena escolta.

-Y si lo hacéis, señor gobernador - dijo D'Artagnan-, habréis hecho méritos ante el cardenal.

-Lo veréis a vuestro regreso, señor conde?

-Sin ninguna duda.

-Os suplico que le digáis que soy su servidor.

-No dejaré de hacerlo.

Y contento por esta promesa, el goberandor visó el pase y lo entregó a D'Artagnan.

D'Artagnan no perdió su tiempo en cumplidos inútiles, saludó al gobernador, le dio las gracias y partió.

Una vez fuera, él y Planctîet tomaron su camino y, dando un gran rodeo, evitaron el bosque y volvieron a entrar por otra puerta.

El navío continuaba dispuesto para partir, el patrón esperaba en el puerto.

-¿Y bien? - dijo al ver a D'Artagnan.

-Aquí está mi pase visado - dijo éste.

-¿Y aquel otro gentilhombre?

-No pasará hoy - dijo D'Artagnan-, pero estad tranquilo, yo pagaré el pasaje por nosotros dos.

-En tal caso, partamos - dijo el patrón.

-¡Partamos! - repitió D'Artagnan.

Y saltó con Planchet al bote; cinco minutos después estaban a bordo.

Justo a tiempo: a media legua en alta mar, D'Artagnan vio brillar una luz y oyó una detonación.

Era el cañonazo que anunciaba el cierre del puerto.

Era momento de ocuparse de su herida; afortunadamente, como D'Artagnan había pensado, no era de las más peligrosas: la punta de la espada había encontrado una costilla y se había deslizado a lo largo del hueso; además, la camisa se había pegado al punto a la herida, y apenas si había destilado algunas gotas de sangre.

D'Artagnan estaba roto de fatiga; extendieron para él un colchón en el puente, se echó encima y se durmió.

Al día siguiente, al levantar el día se encontró a tres o cuatro leguas aún de las costas de Inglaterra; - la brisa había sido débil toda la noche y habían andado poco.

A las diez, el navío echaba el ancla en el puerto de Douvres.

A las diez y media, D'Artagnan ponía el pie en tierra de Inglaterra, exclamando:

-¡Por fin, heme aquí!

Pero aquello no era todo; había que ganar Londres. En Inglaterra, la posta estaba bastante bien servida. D'Artagnan y Planchet tomaron cada uno una jaca, un postillón corrió por delante de ellos; en cuatro horas se plantaron en las puertas de la capital.

D'Artagnan no conocía Londres, D'Artagnan no sabía ni una palabra de inglés; pero escribió el nombre de Buckingham en un papel, y todos le indicaron el palacio del duque.

El duque estaba cazando en Windsor, con el rey.

D'Artagnan preguntó por el ayuda de cámara de confianza del duque, el cual, por haberle acompañado en todos sus viajes, hablaba perfectamente francés; le dijo que llegaba de Paris para un asunto de vida o muerte, y que era preciso que hablase con su amo al instante.

La confianza con que hablaba D'Artagnan convenció a Patrice, que así se llamaba este ministro del ministro. Hizo ensillar dos caballos y se encargó de conducir al joven guardia. En cuanto a Planchet, le habían bajado de su montura rígido como un junco; el pobre muchacho se hallaba en el límite de sus fuerzas; D'Artagnan parecía de hierro.

Llegaron al castillo; allí se informaron: el rey y Buckingham cazaban pájaros en las marismas situadas a dos o tres leguas de allí.

A los veinte minutos estuvieron en el lugar indicado. Pronto Patrice oyó la voz de su señor que llamaba a su halcón.

-¿A quién debo anunciar a milord el duque? - preguntó Patrice.

-Al joven que una noche buscó querella con él en el Pont Neuf, frente a la Samaritaine.

-¡Singular recomendación!

-Ya veréis cómo vale tanto como cualquier otra.

Patrice puso su caballo al galope, alcanzó al duque y le anunció en los términos que hemos dicho que un mensajero le esperaba.

Buckingham reconoció a D'Artagnan al instante, y temiendo que en Francia pasaba algo cuya noticia se le hacía llegar, no perdió más que el tiempo de preguntar dónde estaba quien la traía; y habiendo reconocido de lejos el uniforme de los guardias puso su caballo al galope y vino derecho a D'Artagnan. Patrice, por discreción, se mantuvo aparte.

-¿No le ha ocurrido ninguna desgracia a la reina? - exclamó Buckingham, pintándose en esta pregunta todo su pensamiento y todo su amor.

-No lo creo; sin embargo, creo que corre algún gran peligro del que sólo Vuestra Gracia puede sacarla.

-¿Yo? - exclamó Buckingham-. ¡Bueno, me sentiría muy feliz de servirla para alguna cosa! ¡Hablad! ¡Hablad!

-Tomad esta carta - dijo D'Artagnan.

-¡Esta carta! ¿De quién viene esta carta?

-De Su Majestad, según pienso.

-¡De Su Majestad! - dijo Buckingham palideciendo hasta tal punto que D'Artagnan creyó que iba a marearse.

Y rompió el sello.

-¿Qué es este desgarrón? - dijo mostrando a D'Artagnan un lugar en el que se hallaba atravesada de parte a parte.

-¡Ah, ah! - dijo D'Artagnan-. No había visto eso; es la espada del conde de Wardes la que ha hecho ese hermoso agujero al agujerearme el pecho.

-¿Estáis herido? - preguntó Buckingham rompiendo el sello.

-¡Oh! ¡No es nada! - dijo D'Artagnan-. Un rasguño.

-¡Justo cielo! ¡Qué he leído! - exclamó el duque-. Patrice, quédate aquí, o mejor, reúnete con el rey donde esté, y di a Su Majestad que le suplico humildemente excusarme, pero un asunto de la más alta importancia me llama a Londres. Venid, señor, venid.

Y los dos juntos volvieron a tomar al galope el camino de la capital.

La condesa de Winter

Durante el camino, el duque se hizo poner al corriente por D'Artagnan no de cuanto había pasado, sino de lo que D'Artagnan sabía. Al unir lo que había oído salir de la boca del joven a sus recuerdos propios, pudo, pues, hacerse una idea bastante exacta de una situación, de cuya gravedad, por lo demás, la carta de la reina, por corta y poco explícita que fuese, le daba la medida. Pero lo que le extrañaba sobre todo es que el cardenal, interesado como estaba en que aquel joven no pusiera el pie en Inglaterra, no hubiera logrado detenerlo en ruta.

Fue entonces, y ante la manifestación de esta sorpresa, cuando D'Artagnan le contó las precauciones tomadas, y cómo gracias a la abnegación de sus tres amigos, que había diseminado todo ensangrentados en el camino, había llegado a librarse, salvo la estocada que había atravesado el billete de la reina y que había devuelto al señor de Wardes en tan terrible moneda. Al escuchar este relato hecho con la mayor simplicidad, el duque miraba de vez en cuando al joven con aire asombrado, como si no hubiera podido comprender que tanta prudencia, coraje y abnegación hubieran venido a un rostro que no indicaba todavía los veinte años.

Los caballos iban como el viento y en algunos minutos estuvieron a las puertas de Londres. D'Artagnan había creído que al llegar a la ciudad el duque aminoraría la marcha del suyo, pero no fue así: continuó su camino a todo correr, inquietándose poco de si derribaba a quienes se hallaban en su camino. En efecto, al atravesar la ciudad, ocurrieron dos o tres accidentes de este género; pero Buckingham no volvió siquiera la cabeza para mirar qué había sido de aquellos a los que había volteado. D'Artagnan le seguía en medio de gritos que se parecían mucho a maldiciones.

Al entrar en el patio del palacio, Buckingham saltó de su caballo y, sin preocuparse por lo que le ocurriría, lanzó la brida sobre el cuello y se abalanzó hacia la escalinata. D'Artagnan hizo otro tanto, con alguna inquietud más sin embargo, por aquellos nobles animales cuyo mérito había podido apreciar; pero tuvo el consuelo de ver que tres o cuatro criados se habían lanzado de las cocinas y las cuadras y se apoderaban al punto de sus monturas.

El duque caminaba tan rápidamente que D'Artagnan apenas podía seguirlo. Atravesó sucesivamente varios salones de una elegancia de la que los mayores señores de Francia no tenían siquiera idea, y llegó por fin a un dormitorio que era a la vez un milagro de gusto y de riqueza. En la alcoba de esta habitación había una puerta, oculta en la tapicería, que el duque abrió con una llavecita de oro que llevaba colgada de su cuello por una cadena del mismo metal. Por discreción, D'Artagnan se había quedado atrás; pero en el momento en que Buckingham franqueaba el umbral de aquella puerta, se volvió, y viendo la indecisión del joven:

-Venid - le dijo-, y si tenéis la dicha de ser admitido en presencia de Su Majestad, decidle lo que habéis visto.

Alentado por esta invitación, D'Artagnan siguió al duque, que cerró la puerta tras él.

Los dos se encontraron entonces en una pequeña capilla tapizada toda ella de seda de Persia y brocada de oro, ardientemente iluminada por un gran número de bujías. Encima de una especie de altar, y debajo de un dosel de terciopelo azul coronado de plumas btancas y rojas, había un retrato de tamaño natural representando a Ana de Austria, tan perfectamente parecido que D'Artagnan lanzó un grito de sorpresa: se hubiera creído que la reina iba a hablar.

Sobre el altar, y debajo del retrato, estaba el cofre que guardaba los herretes de diamantes.

El duque se acercó al altar, se arrodilló como hubiera podido hacerlo un sacerdote ante Cristo; luego abrió el cofre.

-Mirad - le dijo sacando del cofre un grueso nudo de cinta azul todo resplandeciente de diamantes-. Mirad, aquí están estos preciosos herretes con los que había hecho juramento de ser enterrado. La reina me los había dado, la reina me los pide; que en todo se haga su voluntad, como la de Dios.

Luego se puso a besar unos tras otros aquellos herretes de los que tenía que separarse. De pronto, lanzó un grito terrible.

-¿Qué pasa? - preguntó D'Artagnan con inquietud-. ¿Y qué os ocurre, milord?

-Todo está perdido - exclamó Buckingham, volviéndose pálido como un muerto ; dos de estos herretes faltan, no hay más que diez.

-Milord, ¿los ha perdido o cree que se los han robado?

-Me los han robado - repuso el duque-. Y es el cardenal quien ha dado el golpe. Mirad, las cintas que los sostenían han sido cortadas con tijeras.

-Si milord pudiera sospechar quién ha cometido el robo... Quizá esa persona los tenga aún en sus manos.

-¡Esperad, esperad! - exclamó el duque-. La única vez que me he puesto estos herretes fue en el baile del rey, hace ocho días, en Windsor. La condesa de Winter, con quien estaba enfadado, se me acercó durante ese baile. Aquella reconciliación era una venganza de mujer celosa. Desde ese día no la he vuelto a ver. Esa mujer es un agente del cardenal.

-¡Pero los tiene entonces en todo el mundo! - exclamó D'Artagnan.

-¡Oh, sí sí! - dijo Buckingham, apretando los dientes de cólera-. Sí, es un luchador terrible. Pero, no obstante, ¿cuándo ha de tener lugar ese baile?

-El próximo lunes.

-¡El próximo lunes! Todavía cinco días; es más tiempo del que necesitamos. ¡Patrice! - exclamó el duque, abriendo la puerta de la capilla-. ¡Patrice!

Su ayuda de cámara de confianza apareció.

-¡Mi joyero y mi secretario!

El ayuda de cámara salió con una presteza y un mutismo que probaban el hábito que había contraído de obedecer ciegamente y sin réplica.

Pero aunque fuera el joyero llamado en primer lugar, fue el secretario quien apareció antes. Era muy simple, vivía en palacio. Encontró a Buckingham sentado ante una mesa en su dormitorio y escribiendo algunas órdenes de su propio puño.

-Señor Jackson - le dijo-, vais a daros un paseo hasta casa del lord canciller y decirle que le encargo la ejecución de estas órdenes. Deseo que sean promulgadas al instante.

-Pero, monseñor, si el lord canciller me interroga por los motivos que han podido llevar a Vuestra Gracia a una medida tan extraordinaria, ¿qué responderé?

-Que tal ha sido mi capricho, y que no tengo que dar cuenta a nadie de mi voluntad.

-¿Será esa la respuesta que deberá transmitir a Su Majestad - repuso sonriendo el secretario - si por casualidad Su Majestad tuviera la curiosidad de saber por qué ningún bajel puede salir de los puertos de Gran Bretaña?

-Tenéis razón señor - respondió Buckingham - En tal caso le dirá al rey que he decidido la guerra, y que esta medida es mi primer acto de hostilidad contra Francia.

El secretario se inclinó y salió.

-Ya estamos tranquilos por ese lado - dijo Buckingham, volviéndose hacia D'Artagnan-. Si los herretes no han partido ya para Francia, no llegarán antes que vos.

-Y eso, ¿por qué?

-Acabo de embargar a todos los navíos que se encuentran en este momento en los puertos de Su Majestad, y a menos que haya un permiso particular, ni uno solo se atreverá a levar anclas.

D'Artagnan miró con estupefacción a aquel hombre que ponía el poder ¡limitado de que estaba revestido por la confianza de un rey al servicio de sus amores. Buckingham vio en la expresión del rostro del joven lo que pasaba en su pensamiento y sonrió.

-Sí - dijo - sí, es que Ana de Austria es mi verdadera reina; a una palabra de ella traicionaría a mi país, traicionaría a mi rey, traicionaría a mi Dios. Ella me pidió no enviar a los protestantes de La Rochelle la ayuda que yo les había prometido, y no lo he hecho. Faltaba así a mi palabra, ¡pero no importa! Obedecía a su deseo. ¿No he sido suficientemente pagado por mi obediencia? Porque a esa obediencia debo precisamente su retrato.

D'Artagnan admiró de qué hilos frágiles y desconocidos están a veces suspendidos los destinos de un pueblo y la vida de los hombres.

Estaba él en lo más profundo de sus reflexiones, cuando entró el orfebre: era un irlandés de los más hábiles en su arte, y que confesaba él mismo ganar cien mil libras al año con el duque de Buckingham.

-Señor O'Reilly - le dijo el duque, conduciéndolo a la capilla-, ved estos herretes de diamantes y decidme cuánto vale cada pieza.

El orfebre lanzó una sola ojeada sobre la forma elegante en que estaban engastados, calculó uno con otro el valor de los diamantes y sin duda alguna:

-Mil quinientas pistolas la pieza, milord - respondió.

-¿Cuántos días se necesitarían para hacer dos herretes como estos? Como veis, faltan dos.

-Ocho días, milord.

-Los pagaré a tres mil pistolas la pieza, pero los necesito para pasado mañana.

-Los tendrá, milord.

-Sois un hombre preciso, señor O'Reilly, pero esto no es todo; esos herretes no pueden ser confiados a nadie, es preciso que sean hechos en este palacio.

-Imposible, milord, sólo yo puedo realizarlos para que no se vea la diferencia entre los nuevos y los viejos.

-Entonces, mi querido señor O'Reilly, sois mi prisionero, y aunque ahora quisierais salir de mi palacio no podríais; decidid, pues. Decidme los nombres de los ayudantes que necesitáis, y designad los utensilios que deben traer.

El orfebre conocía al duque, sabía que cualquier observación era inútil, y por eso tomó al instante su decisión.

-¿Me será permitido avisar a mi mujer? - preguntó.

-¡Oh! Os será incluso permitido verla, mi querido señor O'Reilly; vuestro cautiverio será dulce, estad tranquilo; y como toda molestia vale una compensación, además del precio de los dos herretes, aquí tenéis un buen millar de pistolas para haceros olvidar la molestia que os causo.

D'Artagnan no volvía del asombro que le causaba aquel ministro, que movía a su placer hombres y millones.

En cuanto al orfebre, escribía a su mujer enviándole el bono de mil pistolas y encargándola devolverle a cambio su aprendiz más hábil, un surtido de diamantes cuyo peso y título le daba, y una lista de los instrumentos que le eran necesarios.

Buckingham condujo al orfebre a la habitación que le estaba destinada y que, al cabo de media hora, fue transformada en taller. Luego puso un centinela en cada puerta con prohibición de dejar entrar a quienquiera que fuese, a excepción de su ayuda de cámara Patrice. Es inútil añadir que al orfebre O'Reilly y a su ayudante les estaba absolutamente prohibido salir bajo el pretexto que fuera.

Arreglado este punto, el duque volvió a D'Artagnan.

-Ahora, joven amigo mío - dijo-, Inglaterra es nuestra. ¿Qué queréis qué deseáis?

-Una cama - respondió D'Artagnan-. Os confieso que por el momento es lo que más necesito.

Buckingham dio a D'Artagnan una habitación que pegaba con la suya. Quería tener al joven bajo su mano, no porque desconfiase de él, sino para tener alguien con quien hablar constantemente de la reina.

Una hora después fue promulgada en Londres la ordenanza de no dejar salir de los puertos ningún navío cargado para Francia, ni siquiera el paquebote de las camas. A los ojos de todos, aquello era una declaración de guerra entre los dos reinos.

Dos días después, a las once, los dos herretes en diamantes estaban acabados y tan perfectamente imitados, tan perfectamente parejos que Buckingham no pudo reconocer los nuevos de los antiguos, y los más expertos en semejante materia se habrían equivocado igual que él.

Al punto hizo llamar a D'Artagnan.

-Mirad - le dijo-. Aquí están los herretes de diamantes que habéis venido a buscar, y sed mi testigo de que todo cuanto el poder humano podía hacer lo he hecho.

-Estad tranquilo, milord, diré lo que he visto; pero ¿me entrega Vuestra Gracia los herretes sin la caja?

-La caja os sería un embarazo. Además, la caja es para mí tanto más preciosa cuanto que sólo me queda ella. Diréis que la conservo yo.

-Haré vuestro encargo palabra por palabra, milord.

-Y ahora - prosiguió Buckingham, mirando fijamente al joven-, ¿cómo saldaré mi deuda con vos?

D'Artagnan enrojeció hasta el blanco de los ojos. Vio que el duque buscaba un medio de hacerle aceptar algo, y aquella idea de que la sangre de sus compañeros y la suya iban a ser pagadas por el oro inglés le repugnaba extrañamente.

-Entendámonos milord - respondió D'Artagnan-, y sopesemos bien los hechos por adelantado, a fin de que no haya desprecio en ello. Estoy al servicio del rey y de la reina de Francia, y formo parte de la compañía de los guardias del señor des Essarts quien, como su cuñado el señor de Tréville, está particularmente vinculado a Sus Majestades. Por tanto, lo he hecho todo por la reina y nada por Vuestra Gracia. Es más, quizá no hubiera hecho nada de todo esto si no hubiera tratado de ser agradable a alguien que es mi dama, como la reina lo es vuestra.

-Sí - dijo el duque, sonriendo-, y creo incluso conocer a esa persona, es...

-Milord, yo no la he nombrado - interrumpió vivamente el joven.

-Es justo - dijo el duque-. Es, pues, a esa persona a quien debo estar agradecido por vuestra abnegación.

-Vos lo habéis dicho, milord, porque precisamente en este momento en que se trata de guerra, os confieso que no veo en Vuestra Gracia más que a un inglés, y por consiguiente a un enemigo al que estaría más encantado de encontrar en el campo de batalla que en el parque de Windsor o en los corredores del Louvre; lo cual, por lo demás, no me impedirá ejecutar punto por punto mi misión y hacerme matar si es necesario para cumplirla; pero, lo repito a Vuestra Gracia, sin que tenga que agradecerme personalmente lo que por mí hago en esta segunda entrevista más de lo que hice por ella en la primera.

-Nosotros decimos: «Orgulloso como un escocés» - murmuró Buckingham.

-Y nosotros decimos: «Orgulloso como un gascón» - respondió D'Artagnan. Los gascones son los escoceses de Francia.

D'Artagnan saludó al duque y se dispuso a partir.

-¡Y bien! ¿Os vais ya? ¿Por dónde? ¿Cómo?

-Es cierto.

-¡Dios me condene! Los franceses no temen a nada.

-Había olvidado que Inglaterra era una isla y que vos erais el rey.

-Id al puerto, buscad el bricbarca Sund, entregad esta carta al capitán; él os conducirá a un pequeño puerto donde ciertamente no os esperan, y donde no atracan por regla general más que barcos de pesca.

-¿Cómo se llama ese puerto?

-Saint Valèry; pero, esperad: llegado allí, entraréis en un mal albergue sin nombre y sin muestra, un verdadero garito de marineros; no podéis confundiros, no hay más que uno.

-¿Después?

-Preguntaréis por el hostelero, y le diréis: Forward.

-Lo cual quiere decir...

-Adelante: es la contraseña. Os dará un caballo completamente ensillado y os indicará el camino que debéis seguir; encontraréis de ese modo cuatro relevos en vuestra ruta. Si en cada uno de ellos queréis dar vuestra dirección de Paris, los cuatro caballos os seguirán; ya conocéis dos, y me ha parecido que sabéis apreciarlos como aficionado: son los que hemos montado; creedme, los otros no les son inferiores. Estos cuatro caballos están equipados para campaña. Por orgulloso que seáis, no os negaréis a aceptar uno ni hacer aceptar los otros tres a vuestros compañeros: además son para hacer la guerra. El fin excluye los medios, como vos decís, como dicen los franceses, ¿no es así?

-Sí, milord, acepto - dijo D'Artagnan-. Y si place a Dios, haremos buen uso de vuestros presentes.

-Ahora, vuestra mano, joven; quizá nos encontremos pronto en el campo de batalla; pero mientras tanto, nos dejaremos como buenos amigos, eso espero.

-Sí, milord, pero con la esperanza de convertirnos pronto en enemigos.

-Estad tranquilo, os lo prometo.

-Cuento con vuestra palabra, milord.

D'Artagnan saludó al duque y avanzó vivamente hacia el puerto.

Frente a la Torre de Londres encontró el navio designado, entregó su carta al capitán, que la hizo visar por el gobernador del puerto, y aparejó al punto.

Cincuenta navíos estaban en franquicia y esperaban.

Al pasar junto a la borda de uno de ellos, D'Artagnan creyó reconocer a la mujer de Meung, la misma a la que el gentilhombre desconocido había llamado «milady», y que él, D'Artagnan, había encontrado tan bella; pero gracias a la corriente del río y al buen viento que soplaba, su navío iba tan deprisa que al cabo de un instante estuvieron fuera del alcance de los ojos.

Al día siguiente, hacia las nueve de la mañana, llegaron a Saint Valèry.

D'Artagnan se dirigió al instante hacia el albergue indicado, y lo reconoció por los gritos que de él salían: se hablaba de guerra entre Inglaterra y Francia como de algo próximo a indudable, y los marineros contentos alborotaban en medio de la juerga.

D'Artagnan hendió la multitud, avanzó hacia el hostelero y pronunció la palabra Forword. Al instante el huésped le hizo seña de que le siguiese, salió con él por una puerta que daba al patio, lo condujo a la cuadra donde lo esperaba un caballo completamente ensillado, y le preguntó si necesitaba alguna otra cosa.

-Necesito conocer la ruta que debo seguir - dijo D'Artagnan.

-Id de aquí a Blangy, y de Blangy a Neufchátel. En Neufchátel entrad en el albergue de la Herse d'Ord, dad la contraseña al hotelero, y, como aquí, encontraréis un caballo totalmente ensillado.

-¿Debo algo? - preguntó D'Artagnan.

-Todo está pagado - dijo el hostelero-, y con largueza. Id, pues, y que Dios os guíe.

-¡Amén! - respondió el joven, partiendo al galope.

Cuatro horas después estaba en Neufchátel.

Siguió estrictamente las instrucciones recibidas; en Neufchátel, como en Saint Valèry, encontró una montura totalmente ensillada y aguardándolo; quiso llevar las pistolas de la silla que acababa de dejar a la silla que iba a tomar: las guardas del arzón estaban provistas de pistolas parecidas.

-Vuestra dirección en Paris?

-Palacio de los Guardias, compañía Des Essarts.

-Bien - respondió éste.

-¿Qué ruta hay que tomar? - preguntó a su vez D'Artagnan.

-La de Rouen; pero dejaréis la ciudad a vuestra derecha. En la Pequeña aldea de Ecouis os detendréis, no hay más que un albergue, el Ecu de France. No lo juzguéis por su apariencia: en sus cuadras tendrá un caballo que valdrá tanto como éste.

-¿La misma contraseña?

-Exactamente.

-¡Adiós, maese!

-¡Buen viaje, gentilhombre! ¿Tenéis necesidad de alguna cosa? D'Artagnan hizo con la cabeza señal de que no, y volvió a partir a todo galope. En Ecouis, la misma escena se repitió: encontró un hostelero tan previsor, un caballo fresco y descansado; dejó sus señas como lo había hecho y volvió a partir al mismo galope para Pontoise. En Pontoise, cambió por última vez de montura y a las nueve entraba a todo galope en el patio del palacio del señor de Tréville.

Había hecho cerca de sesenta leguas en doce horas.

El señor de Tréville lo recibió como si lo hubiera visto aquella misma mañana; sólo que, apretándole la mano un poco más vivamente que de costumbre, le anunció que la compañía del señor Des Essarts estaba de guardia en el Louvre y que podía incorporarse a su puesto.

El ballet de la Merlaison

Al día siguiente no se hablaba en todo Paris más que del baile que los señores regidores de la villa darían al rey y a la reina, y en el cual sus Majestades debían bailar el famoso ballet de la Merlaison, que era el ballet favorito del rey.

En efecto, desde hacía ocho días se preparaba todo en el Ayuntamiento para aquella velada solemne. El carpintero de la villa había levantado los estrados sobre los que debían permanecer las damas invitadas; el tendera del Ayuntamiento había adornado las salas con doscientas velas de cera blanca, lo cual era un lujo inaudito para aquella época; en fin, veinte violines habían sido avisados, y el precio que se les daba había sido fijado en el doble del precio ordinario, dado que, según este informe, debían tocar durante toda la noche.

A las diez de la mañana, el señor de La Coste, abanderado de los guardias del rey, seguido de dos exentos y de varios arqueros del cuerpo, vino a pedir al escribano de la villa, llamado Clément, todas las llaves de puertas, habitaciones y oficinas del Ayuntamiento. Aquellas llaves le fueron entregadas al instante; cada una de ellas llevaba un billete que debía servir para hacerla reconocer, y a partir de aquel momento el señor de La Coste quedó encargado de la guardia de todas las puertas y todas las avenidas.

A las once vino a su vez Duhallier, capitán de los guardias, trayendo consigo cincuenta arqueros que se repartieron al punto por el Ayuntamiento, en las puertas que les habían sido asignadas.

A las tres llegaron dos compañías de guardias, una francesa, otra suiza. La compañía de los guardias franceses estaba compuesta: la mitad por hombres del señor Duhallier, la otra mitad por hombres del señor des Essarts.

A las seis de la tarde, los invitados comenzaron a entrar. A medida que entraban, eran colocados en el salón, sobre los estrados preparados.

A las nueve llegó la señora primera presidenta. Como era después de la reina la persona de mayor consideración de la fiesta, fue recibida por los señores del Ayuntamiento y colocada en el palco frontero al que debía ocupar la reina.

A las diez se trajo la colación de confituras para el rey en la salita del lado de la iglesia Saint Jean, y ello frente al aparador de plata del Ayuntamiento, que era guardado por cuatro arqueros.

A medianoche se oyeron grandes gritos y numerosas aclamaciones: era el rey que avanzaba a través de las calles que conducen del Louvre al palacio del Ayuntamiento, y que estaban iluminadas con linternas de color.

Al punto los señores regidores, vestidos con sus trajes de paño y precedidos por seis sargentos, cada uno de los cuales llevaba un hachón en la mano, fueron ante el rey, a quien encontraron en las gradas, donde el preboste de los comerciantes le dio la bienvenida, cumplida la cual Su Majestad respondió excusándose de haber venido tan tarde, pero cargando la culpa sobre el señor cardenal, que lo había retenido hasta las once para hablar de los asuntos del Estado.

Su Majestad, en traje de ceremonia, estaba acompañado por S. A. R. Monsieur, por el conde de Soissons, por el gran prior, por el duque de Longueville, por el duque D'Elbeuf, por el conde D'Harcourt, por el conde de La Roche Guyon, por el señor de Liancourt, por el señor de Baradas, por el conde de Cramail y por el caballero de Souveray.

Todos observaron que el rey tenía aire triste y preocupado.

Se había preparado para el rey un gabinete, y otro para Monsieur. En cada uno de estos gabinetes había depositados trajes de máscara. Otro tanto se había hecho para la reina y para la señora presidenta. Los señores y las damas del séquito de Sus Majestades debían vestirse de dos en dos en habitaciones preparadas a este efecto.

Antes de entrar en el gabinete, el rey ordenó que viniesen a prevenirlo tan pronto como apareciese el cardenal.

Media hora después de la entrada del rey, nuevas aclamaciones sonaron: éstas anunciaban la llegada de la reina-. Los regidores hicieron lo que ya habían hecho antes y precedidos por los sargentos se adelantaron al encuentro de su ilustre invitada.

La reina entró en la sala: se advirtió que, como el rey, tenía aire triste y sobre todo fatigado.

En el momento en que entraba, la cortina de una pequeña tribuna que hasta entonces había permanecido cerrada se abrió, y se vio aparecer la cabeza pálida del cardenal vestido de caballero español. Sus ojos se fijaron sobre los de la reina, y una sonrisa de alegría terrible pasó por sus labios: la reina no tenía sus herretes de diamantes.

La reina permaneció algún tiempo recibiendo los cumplidos de los señores del Ayuntamiento y respondiendo a los saludos de las damas.

De pronto el rey apareció con el cardenal en una de las puertas de la sala. El cardenal le hablaba en voz baja y el rey estaba muy pálido.

El rey hendió la multitud y, sin máscara, con las cintas de su jubón apenas anudadas, se aproximó a la reina y con voz alterada le dijo:

-Señora, ¿por qué, si os place, no tenéis vuestros herretes de diamantes cuando sabéis que me hubiera agradado verlos?

La reina tendió su mirada en torno a ella, y vio detrás del rey al cardenal que sonreía con una sonrisa diabólica.

-Sire - respondió la reina con voz alterada-, porque en medio de esta gran muchedumbre he temido que les ocurriera alguna desgracia.

-¡Pues os habéis equivocado, señora! Si os he hecho ese regalo ha sido para que os adornarais con él. Os digo que os habéis equivocado.

Y la voz del rey estaba temblorosa de cólera; todos miraban y escuchaban con asombro, sin comprender nada de lo que pasaba.

-Sire - dijo la reina - puedo enviarlos a buscar al Louvre, donde están, y así los deseos de Vuestra Majestad serán cumplidos.

-Hacedlo, señora, hacedlo, y cuanto antes; porque dentro de una hora va a comenzar el ballet.

La reina saludó en señal de sumisión y siguió a las damas que debían conducirla a su gabinete.

Por su parte, el rey volvió al suyo.

Hubo en la sala un momento de desconcierto y confusión.

Todo el mundo había podido notar que algo había pasado entre el rey y la reina; pero los dos habían hablado tan bajo que, habiéndose alejado todos por respeto algunos pasos, nadie había oído nada. Los violines tocaban con toda su fuerza, pero no los escuchaban.

El rey salió el primero de su gabinete; iba en traje de caza de los más elegantes y Monsieur y los otros señores iban vestidos como él. Era el traje que mejor llevaba el rey, y así vestido parecía verdaderamente el primer gentilhombre de su reino.

El cardenal se acercó al rey y le entregó una caja. El rey la abrió y encontró en ella dos herretes de diamantes.

-¿Qué quiere decir esto? - preguntó al cardenal.

-Nada - respondió éste-. Sólo que si la reina tiene los herretes, cosa que dudo, contadlos, Sire, y si no encontráis más que diez, preguntad a Su Majestad quién puede haberle robado los dos herretes que hay ahí.

El rey miró al cardenal como para interrogarle; pero no tuvo tiempo de dirigirle ninguna pregunta: un grito de admiración salió de todas las bocas. Si el rey parecía el primer gentilhombre de su reino, la reina era a buen seguro la mujer más bella de Francia.

Es cierto que su tocado de cazadora le iba de maravilla; tenía un sombrero de fieltro con plumas azules, un corpiño de terciopelo gris perla unido con broches de diamantes, y una falda de satén azul toda bordada de plata. En su hombro izquierdo resplandecían los herretes sostenidos por un nudo del mismo color que las plumas y la falda.

El rey se estremecía de alegría y el cardenal de cólera; sin embargo, distantes como estaban de la reina, no podían contar los herretes; la reina los tenía, sólo que, ¿tenía diez o tenía doce?

En aquel momento, los violines hicieron sonar la señal del baile. El rey avanzó hacia la señora presidenta, con la que debía bailar, y S. A. Monsieur con la reina. Se pusieron en sus puestos y el baile comenzó.

El rey estaba en frente de la reina, y cada vez que pasaba a su lado, devoraba con la mirada aquellos herretes, cuya cuenta no podía saber. Un sudor frío cubría la frente del cardenal.

El baile duró una hora: tenía dieciséis intermedios.

El baile terminó en medio de los aplausos de toda la sala, cada cual llevó a su dama a su sitio, pero el rey aprovechó el privilegio que tenía de dejar a la suya donde se encontraba para avanzar deprisa hacia la reina.

-Os agradezco, señora - le dijo-, la deferencia que habéis mostrado hacia mis deseos, pero creo que os faltan dos herretes, y yo os los devuelvo.

Y con estas palabras, tendió a la reina los dos herretes que le había entregado el cardenal.

-¡Cómo, Sire! - exclamó la joven reina fingiendo sorpresa-. ¿Me dais aún otros dos? Entonces con éstos tendré catorce.

En efecto, el rey contó y los doce herretes se hallaron en los hombros de Su Majestad.

El rey llamó al cardenal.

-Y bien, ¿qué significa esto, monseñor cardenal? - preguntó el rey en tono severo.

-Eso significa, Sire - respondió el cardenal-, que yo deseaba que Su Majestad aceptara esos dos herretes y, no atreviéndome a ofrecérselos yo mismo, he adoptado este medio.

-Y yo quedo tanto más agradecida a Vuestra Eminencia - respondió Ana de Austria con una sonrisa que probaba que no era víctima de aquella ingeniosa galantería-, cuanto que estoy segura de que estos dos herretes os cuestan tan caros ellos solos como los otros doce han costado a Su Majestad.

Luego, habiendo saludado al rey y al cardenal, la reina tomó el camino de la habitación en que se había vestido y en que debía desvestirse.

La atención que nos hemos visto obligados a prestar durante el comienzo de este capítulo a los personajes ilustres que en él hemos introducido, nos han alejado un instante de aquel a quien Ana de Austria debía el triunfo inaudito que acababa de obtener sobre el cardenal y que, confundido, ignorado perdido en la muchedumbre apiñada en una de las puertas, miraba desde allí esta escena sólo comprensible para cuatro personas: el rey, la reina Su Eminencia y él.

La reina acababa de ganar su habitación y D'Artagnan se aprestaba a retirarse cundo sintió que le tocaban ligeramente en el hombro; se volvió y vio a una mujer joven que le hacía señas de seguirla. Aquella joven tenía el rostro cubierto por un antifaz de terciopelo negro, mas pese a esta precaución que, por lo demás, estaba tomada más para los otros que para él, reconoció al instante mismo a su guía habitual, la ligera a ingeniosa señora Bonacieux.

La víspera apenas si se habían visto en el puesto del suizo Germain, donde D'Artagnan la había hecho llamar. La prisa que tenía la joven por llevar a la reina la excelente noticia del feliz retorno de su mensajero hizo que los dos amantes apenas cambiaran algunas palabras. D'Artagnan siguió, pues, a la señora Bonacieux movido por un doble sentimiento: el amor y la curiosidad. Durante todo el camino, y a medida que los corredores se hacían más desiertos, D'Artagnan quería detener a la joven, cogerla, contemplarla, aunque no fuera más que un instante; pero vivaz como un pájaro, se deslizaba siempre entre sus manos, y cuando él quería hablar, su dedo puesto en su boca con un leve gesto imperativo lleno de encanto le recordaba que estaba bajo el imperio de una potencia a la que debía obedecer ciegamente, y que le prohibía incluso la más ligera queja; por fin, tras un minuto o dos de vueltas y revueltas, la señora Bonacieux abrió una puerta a introdujo al joven en un gabinete completamente oscuro. Allí le hizo una nueva señal de mutismo, y abriendo una segunda puerta oculta por una tapicería cuyas aberturas esparcieron de pronto viva luz, desapareció.

D'Artagnan permaneció un instante inmóvil y preguntándose dónde estaba, pero pronto un rayo de luz que penetraba por aquella habitación, el aire cálido y perfumado que llegaba hasta él, la conversación de dos o tres mujeres, en lenguaje a la vez respetuoso y elegante, la palabra Majestad muchas veces repetida, le indicaron claramente que estaba en un gabinete contiguo a la habitación de la reina.

El joven permaneció en la sombra y esperó.

La reina se mostraba alegre y feliz, lo cual parecía asombrar a las personas que la rodeaban y que tenían por el contrario la costumbre de verla casi siempre preocupada. La reina achacaba aquel sentimiento gozoso a la belleza de la fiesta, al placer que le había hecho experimentar el baile, y como no está permitido contradecir a una reina, sonría o llore, todos ponderaban la galantería de los señores regidores del Ayuntamiento de Paris.

Aunque D'Artagnan no conociese a la reina, distinguió su voz de las otras voces, en primer lugar por un ligero acento extranjero, luego por ese sentimiento de dominación, impreso naturalmente en todas las palabras soberanas. La oyó acercarse y alejarse de aquella puerta abierta, y dos o tres veces vio incluso la sombra de un cuerpo interceptar la luz.

Finalmente, de pronto, una mano y un brazo adorables de forma y de blancura pasaron a través de la tapicería; D'Artagnan comprendió que aquella era su recompensa: se postró de rodillas, cogió aquella mano y apoyó respetuosamente sus labios; luego aquella mano se retiró dejando en las suyas un objeto que reconoció como un anillo; al punto la puerta volvió a cerrarse y D'Artagnan se encontró de nuevo en la más completa oscuridad.

D'Artagnan puso el anillo en su dedo y esperó otra vez; era evidente que no todo había terminado aún. Después de la recompensa de su abnegación venía la recompensa de su amor. Además, el ballet había acabado, pero la noche apenas había comenzado: se cenaba a las tres y el reloj de Saint Jean hacía algún tiempo que había tocado ya las dos y tres cuartos.

En efecto, poco a poco el ruido de las voces disminuyó en la habitación vecina; se las oyó alejarse; luego, la puerta del gabinete donde estaba D'Artagnan se volvió a abrir y la señora Bonacieux se adelantó.

-¡Vos por fin! - exclamó D'Artagnan.

-¡Silencio! - dijo la joven, apoyando su mano sobre los labios del joven-. ¡Silencio! E idos por donde habéis venido.

-Pero ¿cuándo os volveré a ver? - exclamó D'Artagnan.

-Un billete que encontraréis al volver a vuestra casa lo dirá. ¡Marchaos, marchaos!

Y con estas palabras abrió la puerta del corredor y empujó a D'Artagnan fuera del gabinete.

D'Artagnan obedeció cómo un niño, sin resistencia y sin opción alguna, lo que prueba que estaba realmente muy enamorado.

La cita

D'Artagnan volvió a su casa a todo correr, y aunque eran más de las tres de la mañana y aunque tuvo que atravesar los peores barrios de Paris, no tuvo ningún mal encuentro. Ya se sabe que hay un dios que vela por los borrachos y los enamorados.

Encontró la puerta de su casa entreabierta, subió su escalera, y llamó suavemente y de una forma convenida entre él y su lacayo. Planchet, a quien dos horas antes había enviado del palacio del Ayuntamiento recomendándole que lo esperase, vino a abrirle la puerta.

-¿Alguien ha traído una carta para mî? - preguntó vivamente D'Artagnan.

-Nadie ha traído ninguna carta, señor - respondió Planchet ; pero hay una que ha venido totalmente sola.

-¿Qué quieres decir, imbécil?

-Quiero decir que al volver, aunque tenía la llave de vuestra casa en mi bolsillo y aunque esa llave no me haya abandonado, he encontrado una carta sobre el tapiz verde de la mesa, en vuestro dormitorio.

-¿Y dónde está esa carta?

-La he dejado donde estaba, señor. No es natural que las cartas entren así en casa de las gentes. Si la ventana estuviera abierta, o solamente entreabierta, no digo que no; pero no, todo estaba herméticamente cerrado. Señor, tened cuidado, porque a buen seguro hay alguna magia en ella.

Durante este tiempo, el joven se había lanzado a la habitación y abierto la carta; era de la señora Bonacieux y estaba concebida en estos términos:

«Hay vivos agradecimientos que haceros y que transmitiros.

Estad esta noche hacia las diez en Saint Cloud, frente al pabellón que se alza en la esquina de la casa del señor D'Estrées.

C. B.»

Al leer aquella carta, D'Artagnan sentía su corazón dilatarse y encogerse con ese dulce espasmo que tortura y acaricia el corazón de los amantes.

Era el primer billete que recibía, era la primera cita que se le concedía. Su corazón, henchido por la embriaguez de la alegría, se sentía presto a desfallecer sobre el umbral de aquel paraíso terrestre que se llamaba el amor.

-¡Y bien, señor! - dijo Planchet, que había visto a su amo enrojecer y palidecer sucesivamente-. ¿No es justo lo que he adivinado y que se trata de algún asunto desagradable?

-Te equivocas, Planchet - respondió D'Artagnan-, y la prueba es que ahí tienes un escudo para que bebas a mi salud.

-Agradezco al señor el escudo que me da, y le prometo seguir exactamente sus instrucciones; pero no es menos cierto que las cartas que entran así en las casas cerradas...

-Caen del cielo, amigo mío, caen del cielo.

-Entonces, ¿el señor está contento? - preguntó Planchet.

-¡Mi querido Planchet, soy el más feliz de los hombres!

-¿Puedo aprovechar la felicidad del señor para irme a acostar?

-Sí, vete.

-Que todas las bendiciones del cielo caigan sobre el señor, pero no es menos cierto que esa carta...

Y Planchet se retiró moviendo la cabeza con aire de duda que no había conseguido borrar enteramente la liberalidad de D'Artagnan.

Al quedarse solo, D'Artagnan leyó y releyó su billete, luego besó y volvió a besar veinte veces aquellas líneas trazadas por la mano de su bella amante. Finalmente se acostó, se durmió y tuvo sueños dorados.

A las siete de la mañana se levantó y llamó a Planchet, que a la segunda llamada abrió la puerta, el rostro todavía mal limpio de las inquietudes de la víspera.

-Planchet - le dijo D'Artagnan-, salgo por todo el día quizá; eres, pues, libre hasta las siete de la tarde; pero a las siete de la tarde, estate dispuesto con dos caballos.

-¡Vaya! - dijo Planchet-. Parece que todavía vamos a hacernos agujerear la piel en varios lugares.

-Cogerás tu mosquetón y tus pistolas.

-¡Bueno! ¿Qué decía yo? - exclamó Planchet-. Estaba seguro;-, esa maldita carta...

-Tranquilízate, imbécil, se trata simplemente de una partida de placer.

-Sí, como los viajes de recreo del otro día, en los que llovían las balas y donde había trampas.

-Además, si tenéis miedo, señor Planchet - prosiguió D'Artagnan-, iré sin vos; prefiero viajar solo antes que tener un compañero que tiembla.

-El señor me injuria - dijo Planchet ; me parece, sin embargo, que me ha visto en acción.

-Sí, pero creo que gastaste todo tu valor de una sola vez.

-El señor verá que cuando la ocasión se presente todavía me queda; sólo que ruego al señor no prodigarlo demasiado si quiere que me quede por mucho tiempo.

-¿Crees tener todavía cierta cantidad para gastar esta noche?

-Eso espero.

-Pues bien, cuento contigo.

-A la hora indicada estaré dispuesto; sólo que yo creía que el señor no tenía más que un caballo en la cuadra de los guardias.

-Quizá no haya en estos momentos más que uno, pero esta noche habrá cuatro.

-Parece que nuestro viaje fuera un viaje de remonta.

-Exactamente - dijo D'Artagnan.

Y tras hacer a Planchet un último gesto de recomendación salió.

El señor Bonacieux estaba a su puerta. La intención de D'Artagnan era pasar de largo sin hablar al digno mercero; pero éste hizo un saludo tan suave y tan benigno que su inquilino hubo por fuerza no sólo de devolvérselo, sino incluso de trabar conversación con él.

Por otra parte, ¿cómo no tener un poco de condescendencia para con un marido cuya mujer os ha dado una cita para esa misma noche en Saint Cloud, frente al pabellón del señor D'Estrées? D'Artagnan se acercó con el aire más amable que pudo adoptar.

La conversación recayó naturalmente sobre el encarcelamiento del pobre hombre. El señor Bonacieux, que ignoraba que D'Artagnan había oído su conversación con el desconocido de Meung, contó a su joven inquilino las persecuciones de aquel monstruo del señor de Laffemas, a quien no cesó de calificar durante todo su relato de verdugo del cardenal, y se extendió largamente sobre la Bastilla, los cerrojos, los postigos, los tragaluces, las rejas y los instrumentos de tortura.

D'Artagnan lo escuchó con una complacencia ejemplar; luego, cuando hubo terminado:

-Y la señora Bonacieux - dijo por fin-, ¿sabéis quién la había raptado? Porque no olvido que gracias a esa circunstancia molesta debo la dicha de haberos conocido.

-¡Ah! - dijo el señor Bonacieux-. Se han guardado mucho de decírmelo, y mi mujer por su parte, me ha jurado por todos los dioses que ella no lo sabía. Pero y de vos - continuó el señor Bonacieux en un tono de ingenuidad perfecta-, ¿qué ha sido de vos todos estos días pasados? No os he visto ni a vos ni a vuestros amigos, y no creo que haya sido en el pavimento de París donde habéis cogido todo el polvo que Planchet quitaba ayer de vuestras botas.

-Tenéis razón, mi querido señor Bonacieux, mis amigos y yo hemos hecho un pequeño viaje.

-¿Lejos de aquí?

-¡Oh, Dios mío, no, a unas cuarenta leguas sólo! Hemos ido a llevar al señor Athos a las aguas de Forges, donde mis amigos se han quedado.

-¿Y vos habéis vuelto, verdad? - prosiguió el señor Bonacieux dando a su fisonomía su aire más maligno-. Un buen mozo como vos no consigue largos permisos de su amante, y erais impacientemente esperado en Paris, ¿no es así?

-A fe - dijo riendo el joven-, os lo confieso, mi querido señor Bonacieux, tanto más cuanto que veo que no se os puede ocultar nada. Sí, era esperado, y muy impacientemente, os respondo de ello.

Una ligera nube pasó por la frente de Bonacieux, pero tan ligera que D'Artagnan no se dio cuenta.

-¿Y vamos a ser recompensados por nuestra diligencia? - continuó el mercero con una ligera alteración en la voz, alteración que D'Artagnan no notó como tampoco había notado la nube momentánea que un instante antes había ensombrecido el rostro del digno hombre.

-¡Vaya! ¿Vais a sermonearme? - dijo riendo D'Artagnan.

-No, lo que os digo es sólo - repuso Bonacieux-, es sólo para saber si volveremos tarde.

-¿Por qué esa pregunta, querido huésped? - preguntó D'Artagnan-. ¿Es que contáis con esperarme?

-No, es que desde mi arresto y el robo que han cometido en mi casa, me asusto cada vez que oigo abrir una puerta, y sobre todo por la noche. ¡Maldita sea! ¿Qué queréis? Yo no soy un hombre de espada.

-¡Bueno! No os asustéis si regreso a la una, a las dos o a las tres de la mañana; y si no regreso, tampoco os asustéis.

Aquella vez Bonacieux se quedó tan pálido que D'Artagnan no pudo dejar de darse cuenta, y le preguntó qué tenía.

-Nada - respondió Bonacieux-, nada. Desde estas desgracias, estoy sujeto a desmayos que se apoderan de mí de pronto, y acabo de sentir pasar por mí un estremecimiento. No le hagáis caso, vos no tenéis más que ocuparos de ser feliz.

-Entonces tengo ocupación, porque lo soy.

-No todavía, esperar entonces, vos mismo lo habéis dicho: esta noche.

-¡Bueno, esta noche llegará, a Dios gracias! Y quizá la estéis esperando vos con tanta impaciencia como yo. Quizá esta noche la señora Bonacieux visite el domicilio conyugal.

-La señora Bonacieux no está libre esta noche - respondió con tono grave el marido ; está retenida en el Louvre por su servicio.

-Tanto peor para vos, mi querido huésped, tanto peor; cuando soy feliz quisiera que todo el mundo lo fuese; pero parece que no es posible.

Y el joven se alejó riéndose a carcajadas que sólo él, eso pensaba, podía comprender.

-¡Divertíos mucho! - respondió Bonacieux con un acento sepulcral.

Pero D'Artagnan estaba ya demasiado lejos para oírlo y, aunque lo hubiera oído, en la disposición de ánimo en que estaba, no lo hubiera ciertamente notado.

Se dirigió hacia el palacio del señor de Tréville; su visita de la víspera había sido como se recordará, muy corta y muy poco explicativa.

Encontró al señor de Tréville con la alegría en el alma. El rey y la reina habían estado encantadores con él en el baile. Cierto que el cardenal había estado perfectamente desagradable.

A la una de la mañana se había retirado so pretexto de que estaba indispuesto. En cuanto a Sus Majestades, no habían vuelto al Louvre hasta las seis de la mañana.

-Ahora - dijo el señor de Tréville bajando la voz a interrogando con la mirada a todos los ángulos de la habitación para ver si estaban completamente solos-, ahora hablemos de vos, joven amigo, porque es evidente que vuestro feliz retorno tiene algo que ver con la alegría del rey, con el triunfo de la reina y con la humillación de su Eminencia. Se trata de protegeros.

-¿Qué he de temer - respondió D'Artagnan - mientras tenga la dicha de gozar del favor de Sus Majestades?

-Todo, creedme. El cardenal no es hombre que olvide una mistificación mientras no haya saldado sus cuentas con el mistificador, y el mistificador me parece ser cierto gascón de mi conocimiento.

-¿Creéis que el cardenal esté tan adelantado como vos y sepa que soy yo quien ha estado en Londres?

-¡Diablos! ¿Habéis estado en Londres? De Londres es de donde habéis traído ese hermoso diamante que brilla en vuestro dedo? Tened cuidado, mi querido D'Artagnan, no hay peor cosa que el presente de un enemigo. ¿No hay sobre esto cierto verso latino?... Esperad...

-Sí, sin duda - prosiguió D'Artagnan, que nunca había podido meterse la primera regla de los rudimentos en la cabeza y que, por ignorancia, había provocado la desesperación de su preceptor ; sí, sin duda, debe haber uno.

-Hay uno, desde luego - dijo el señor de Tréville, que tenía cierta capa de letras - y el señor de Benserade me lo citaba el otro día... Esperad, pues... Áh, ya está:

Timeo Danaos et dona ferentes

Lo cual quiere decir: «Desconfiad del enemigo que os hace presentes». - Ese diamante no proviene de un enemigo, señor - repuso D'Artagnan-, proviene de la reina.

-¡De la reina! ¡Oh, oh! - dijo el señor de Tréville-. Efectivamente es una auténtica joya real, que vale mil pistolas por lo menos. ¿Por quién os ha hecho dar este regalo?

-Me lo ha entregado ella misma.

-Y eso, ¿dónde?

-En el gabinete contiguo a la habitación en que se cambió de tocado.

-¿Cómo?

-Dándome su mano a besar.

-¡Habéis besado la mano de la reina! - exclamó el señor de Tréville mirando a D'Artagnan.

-¡Su Majestad me ha hecho el honor de concederme esa gracia!

-Y eso, ¿en presencia de testigos? Imprudente, tres veces imprudente.

-No, señor, tranquilizaos, nadie lo vio - repuso D'Artagnan. Y le contó al señor de Tréville cómo habían ocurrido las cosas.

-¡Oh, las mujeres, las mujeres! - exclamó el viejo soldado-. Las reconozco en su imaginación novelesca; todo lo que huele a misterio les encanta; así que vos habéis visto el brazo, eso es todo; os encontraríais con la reina y no la reconoceríais; ella os encontraría y no sabría quién sois vos.

-No, pero gracias a este diamante... - repuso el joven.

-Escuchad - dijo el señor de Tréville-. ¿Queréis que os dé un consejo, un buen consejo, un consejo de amigo?

-Me haréis un honor, señor - dijo D'Artagnan.

-Pues bien, id al primer orfebre que encontréis y vendedle ese diamante por el precio que os dé; por judío que sea, siempre encontreréis ochocientas pistolas. Las pistolas no tienen nombre, joven, y ese anillo tiene uno terrible, y que puede traicionar a quien lo lleve.

-¡Vender este anillo! ¡Un anillo que viene de mi soberana! ¡Jamás! - dijo D'Artagnan.

-Entonces volved el engaste hacia dentro, pobre loco, porque es de todos sabido que un cadete de Gascuña no encuentra joyas semejantes en el escriño de su madre.

-¿Pensáis, pues, que tengo algo que temer? - preguntó d'Artagnan.

-Equivale a decir, joven, que quien se duerme sobre una mina cuya mecha está encendida debe considerarse a salvo en comparación con vos.

-¡Diablo! - dijo D'Artagnan, a quien el tono de seguridad del señor de Tréville comenzaba a inquietar-. ¡Diablo! ¿Qué debo hacer?

-Estar vigilante siempre y ante cualquier cosa. El cardenal tiene la memoria tenaz y la mano larga; creedme, os jugará una mala pasada.

-Pero ¿cuál?

-¿Y qué sé yo? ¿No tiene acaso a su servicio todas las trampas del demonio? Lo menos que puede pasaros es que se os arreste.

-¡Cómo! ¿Se atreverían a arrestar a un hombre al servicio de Su Majestad?

-¡Pardiez! Mucho les ha preocupado con Athos. En cualquier caso, joven, creed a un hombre que está hace treinta años en la corte; no os durmáis en vuestra seguridad, estaréis perdido. Al contrario, y soy yo quien os lo digo, ved enemigos por todas partes. Si alguien os busca pelea, evitadla, aunque sea un niño de diez años el que la busca; si os atacan de noche o de día, batíos en retirada y sin vergüenza; si cruzáis un puente, tantead las planchas, no vaya a ser que una os falte bajo el pie; si pasáis ante una casa que están construyendo, mirad al aire, no vaya a ser que una piedra os caiga encima de la cabeza; si volvéis a casa tarde, haceos seguir por vuestro criado, y que vuestro criado esté armado, si es que estáis seguro de vuestro criado. Desconfiad de todo el mundo, de vuestro amigo, de vuestro hermano, de vuestra amante, de vuestra amante sobre todo.

D'Artagnan enrojeció.

-De mi amante - repitió él maquinalmente-. ¿Y por qué más de ella que de cualquier otro?

-Es que la amante es uno de los medios favoritos del cardenal; no lo hay más expeditivo: una mujer os vende por diez pistolas, testigo Dalila. ¿Conocéis las Escrituras, no?

D'Artagnan pensó en la cita que le había dado la señora Bonacieux para aquella misma noche; pero debemos decir, en elogio de nuestro heroe, que la mala opinión que el señor de Tréville tenía de las mujeres en general, no le inspiró la más ligera sospecha contra su preciosa huéspeda.

-Pero, a propósito - prosiguió el señor de Tréville-. ¿Qué ha sido de vuestros tres compañeros?

-Iba a preguntaros si vos habíais sabido alguna noticia.

-Ninguna, señor.

-Pues bien yo los dejé en mi camino: a Porthos en Chantilly, con un duelo entre las manos; a Aramis en Crévocoeur, con una bala en el hombro, y a Athos en Amiens, con una acusación de falso monedero encima.

-¡Lo veis! - dijo el señor de Tréville-. Y vos, ¿cómo habéis escapado?

-Por milagro, señor, debo decirlo, con una estocada en el pecho y clavando al señor conde de Wardes en el dorso de la ruta de Calais como a una mariposa en una tapicería.

-¡Lo veis todavía! De Wardes, un hombre del cardenal, un primo de Rochefort. Mirad, amigo mío, se me ocurre una idea.

-Decid, señor.

-En vuestro lugar, yo haría una cosa.

-¿Cuál?

-Mientras Su Eminencia me hace buscar en Paris, yo, sin tambor ni trompeta, tomaría la ruta de Picardía, y me iría a saber noticias de mis tres compañeros. ¡Qué diablo! Bien merecen ese pequeño detalle por vuestra parte.

-El consejo es bueno, señor, y mañana partiré.

-¡Mañana! ¿Y por qué no esta noche?

-Esta noche, señor, estoy retenido en Paris por un asunto indispensable.

-¡Ah, joven, joven! ¿Algún amorcillo? Tened cuidado, os lo repito; fue la mujer la que nos perdió a todos nosotros, y la que nos perderá aún a todos nosotros. Creedme, partid esta noche.

-¡Imposible, señor!

-¿Habéis dado vuestra palabra?

-Sí, señor.

-Entonces es otra cosa; pero prometedme que, si no sois muerto esta noche, mañana partiréis.

-Os lo prometo.

-¿Necesitáis dinero?

-Tengo todavía cincuenta pistolas. Es todo lo que me hace falta, según pienso.

-Pero ¿vuestros compañeros?

-Pienso que no deben necesitarlo. Salimos de Paris cada uno con setenta y cinco pistolas en nuestros bolsillos.

-¿Os volveré a ver antes de vuestra partida?

-No, creo que no, señor, a menos que haya alguna novedad.

-¡Entonces, buen viaje!

-Gracias, señor.

Y D'Artagnan se despidió del señor de Tréville, emocionado como nunca por su solicitud completamente paternal hacia sus mosqueteros.

Pasó sucesivamente por casa de Athos, de Porthos y de Aramis. Ninguno de los tres había vuelto. Sus criados tambien estaban ausentes, y no había noticia ni de los unos ni de los otros.

-¡Ah, señor! - dijo Planchet al divisar a D'Artagnan-. ¡Qué contento estoy de verle!

-¿Y eso por qué, Planchet? - preguntó el oven.

-¿Confiáis en el señor Bonacieux, nuestro huésped?

-¿Yo? Lo menos del mundo.

-¡Oh, hacéis bien, señor!

-Pero ¿a qué viene esa pregunta?

-A que mientras hablabais con él, yo os observaba sin escucharos; señor, su rostro ha cambiado dos o tres veces de color.

-¡Bah!

-El señor no ha podido notarlo, preocupado como estaba por la carta que acababa de recibir; pero, por el contrario, yo, a quien la extraña forma en que esa carta había llegado a la casa había puesto en guardia no me he perdido ni un solo gesto de su fisonomía.

-¿Y cómo la has encontrado?

-Traidora señor.

-¿De verdad?

-Además, tan pronto como el señor le ha dejado y ha desaparecido por la esquina de la calle, el señor Bonacieux ha cogido su sombrero, ha cerrado su puerta y se ha puesto a correr en dirección contraria.

-En efecto, tienes razón, Planchet, todo esto me parece muy sospechoso, y estáte tranquilo, no le pagaremos nuestro alquiler hasta que la cosa no haya sido categóricamente explicada.

-El señor se burla, pero ya verá.

-¿Qué quieres, Planchet? Lo que tenga que ocurrir está escrito.

-¿El señor no renuncia entonces a su paseo de esta noche?

-Al contrario, Planchet, cuanto más moleste al señor Bonacleux, tanto más iré a la cita que me ha dado esa carta que tanto lo inquieta.

-Entonces, si la resolución del señor...

-Inquebrantable, amigo mío; por tanto, a las nueves estate preparado aquí, en el palacio; yo vendré a recogerte.

Planchet, viendo que no había ninguna esperanza de hacer renunciar a su amo a su proyecto, lanzó un profundo suspiro y se puso a almohazar al tercer caballo.

En cuanto a D'Artagnan, como en el fondo era un muchacho lleno de prudencia, en lugar de volver a su casa, se fue a cenar con aquel cura gascón que, en los momentos de penuria de los cuatro amigos, les había dado un desayuno de chocolate.

El pabellón

A las nueve, D'Artagnan estaba en el palacio de los Guardias; encontró a Planchet armado. El cuarto caballo había llegado.

Planchet estaba armado con su mosquetón y una pistola.

D'Artagnan tenía su espada y pasó dos pistolas a su cintura, luego los dos montaron cada uno en un caballo y se alejaron sin ruido. Hacía noche cerrada, y nadie los vio salir. Planchet se puso a continuación de su amo, y marchó a diez pasos tras él.

D'Artagnan cruzó los muelles, salió por la puerta de la Conférence y siguió luego el camino, más hermoso entonces que hoy, que conduce a Saint Cloud.

Mientras estuvieron en la ciudad, Planchet guardó respetuosamente la distancia que se había impuesto; pero cuando el camino comenzó a volverse más desierto y más oscuro, fue acercándose lentamente; de tal modo que cuando entraron en el bosque de Boulogne, se encontró andando codo a codo con su amo. En efecto, no debemos disimular que la oscilación de los corpulentos árboles y el reflejo de la luna en los sombríos matojos le causaban viva inquietud. D'Artagnan se dio cuenta de que algo extraordinario ocurría en su lacayo.

-¡Y bien, señor Planchet! - le preguntó-. ¿Nos pasa algo?

-¿No os parece, señor, que los bosques son como iglesias?

-¿Y eso por qué, Planchet?

-Porque tanto en éstas como en aquéllos nadie se atreve a hablar en voz alta.

-¿Por qué no te atreves a hablar en voz alta, Planchet? ¿Porque tienes miedo?

-Miedo a ser oído, sí, señor.

-¡Miedo a ser oído! Nuestra conversación es sin embargo moral, mi querido Planchet, y nadie encontraría nada qué decir de ella.

-¡Ay, señor! - repuso Planchet volviendo a su idea madre-. Ese señor Bonacieux tiene algo de sinuoso en sus cejas y de desagradable en el juego de sus labios.

-¿Quién diablos te hace pensar en Bonacieux?

-Señor, se piensa en lo que se puede y no en lo que se quiere.

-Porque eres un cobarde, Planchet.

-Señor, no confundamos la prudencia con la cobardía; la prudencia es una virtud.

-Y tú eres virtuoso, ¿no es así, Planchet?

-Señor, ¿no es aquello el cañón de un mosquete que brilla? ¿Y si bajáramos la cabeza?

-En verdad - murmuró D'Artagnan, a quien las recomendaciones del señor de Tréville volvían a la memoria-, en verdad, este animal terminará por meterme miedo.

Y puso su caballo al trote.

Planchet siguió el movimiento de su amo, exactamente como si hubiera sido su sombra, y se encontró trotando tras él.

-¿Es que vamos a caminar así toda la noche, señor? - preguntó.

-No, Planchet, porque tú has llegado ya.

-¿Cómo que he llegado? ¿Y el señor?

-Yo voy a seguir todavía algunos pasos.

-¿Y el señor me deja aquí solo?

-¿Tienes miedo Planchet?

-No, pero sólo hago observar al señor que la noche será muy fría, que los relentes dan reumatismos y que un lacayo que tiene reumatismos es un triste servidor, sobre todo para un amo alerta como el señor.

-Bueno, si tienes frío, Planchet, entra en una de esas tabernas que ves allá abajo, y me esperas mañana a las seis delante de la puerta.

-Señor, he comido y bebido respetuosamente el escudo que me disteis esta mañana, de suerte que no me queda ni un maldito centavo en caso de que tuviera frío.

-Aquí tienes media pistola. Hasta mañana.

D'Artagnan descendió de su caballo, arrojó la brida en el brazo de Planchet y se alejó rápidamente envolviéndose en su capa.

-¡Dios, qué frío tengo! - exclamó Planchet cuando hubo perdido de vista a su amo y, apremiado como estaba por calentarse, se fue a todo correr a llamar a la puerta de una casa adornada con todos los atributos de una taberna de barrio.

Sin embargo, D'Artagnan, que se había metido por un pequeño atajo, continuaba su camino y llegaba a Saint Cloud; pero en lugar de seguir la carretera principal, dio la vuelta por detrás del castillo, ganó una especie de calleja muy apartada y pronto se encontró frente al pabellón indicado. Estaba situado en un lugar completamente desierto. Un gran muro, en cuyo ángulo estaba aquel pabellón dominaba un lado de la calleja, y por el otro un seto defendía de los transeúntes un pequeño jardín en cuyo fondo se alzaba una pobre cabaña.

Había llegado a la cita, y como no le habían dicho anunciar su presencia con ninguna señal, esperó.

Ningún ruido se dejaba oír, se hubiera dicho que estaba a cien legUas de la capital. D'Artagnan se pegó al seto después de haber lanzado una ojeada detrás de sí. Por encima de aquel seto, aquel jardín y aquella cabaña, una niebla sombría envolvía en sus pliegues aquella inmensidad en que duerme París, vacía, abierta inmensidad donde brillaban algunos puntos luminosos, estrellas fúnebres de aquel infierno.

Pero para D'Artagnan todos los aspectos revestían una forma feliz, todas las ideas tenían una sonrisa, todas las tinieblas eran diáfanas. La hora de la cita iba a sonar.

En efecto, al cabo de algunos instantes, el campanario de Saint-Cloud dejó caer lentamente diez golpes de su larga lengua mugiente.

Había algo lúgubre en aquella voz de bronce que se lamentaba así en medio de la noche.

Pero cada una de aquellas horas que componían la hora esperada vibraba armoniosamente en el corazón del joven.

Sus ojos estaban fijos en el pequeño pabellón situado en el ángulo del muro, cuyas ventanas estaban todas cerradas con los postigos, salvo una sola del primer piso.

A través de aquella ventana brillaba una luz suave que argentaba el follaje tembloroso de dos o tres tilos que se elevaban formando grupo fuera del parque. Evidentemente, detrás de aquella ventanita, tan graciosamente iluminada, le aguardaba la señora Bonacieux.

Acunado por esta idea, D Artagnan esperó por su parte media hora sin impaciencia alguna, con los ojos fijos sobre aquella casita de la que D'Artagnan percibía una parte del techo de molduras doradas, atestiguando la elegancia del resto del apartamento.

El campanario de Saint Cloud hizo sonar las diez y media.

Aquella vez, sin que D'Artagnan comprendiese por qué, un temblor recorrió sus venas. Quizá también el frío comenzaba a apoderarse de él y tornaba por una sensación moral lo que sólo era una sensación completamente física.

Luego le vino la idea de que había leído mal y que la cita era para las once solamente.

Se acercó a la ventana, se situó en un rayo de luz, sacó la carta de su bolsillo y la releyó; no se había equivocado, efectivamente la cita era para las diez.

Volvió a ponerse en su sitio, empezando a inquietarse por aquel silencio y aquella soledad.

Dieron las once.

D'Artagnan comenzó a temer verdaderamente que le hubiera ocurrido algo a la señora Bonacieux.

Dio tres palmadas, señal ordinaria de los enamorados; pero nadie le respondió, ni siquiera el eco.

Entonces pensó con cierto despecho que quizá la joven se había dormido mientras lo esperaba.

Se acercó a la pared y trató de subir, pero la pared estaba recientemente revocada, y D'Artagnan se rompió inútilmente las uñas.

En aquel momento se fijó en los árboles, cuyas hojas la luz continuaba argentando, y como uno de ellos emergía sobre el camino, pensó que desde el centro de sus ramas su mirada podría penetrar en el pabellón.

El árbol era fácil. Además D'Artagnan tenía apenas veinte años, y por lo tanto se acordaba de su oficio de escolar. En un instante estuvo en el centro de las ramas, y por los vidrios transparentes sus ojos se hundieron en el interior del pabellón.

Cosa extraña, que hizo temblar a D'Artagnan de la planta de los pies a la raíz de sus cabellos, aquella suave luz, aquella tranquila lámpara iluminaba una escena de desorden espantoso; uno de los cristales de la ventana estaba roto, la puerta de la habitación había sido hundida y medio rota pendía de sus goznes; una mesa que hubiera debido estar cubierta con una elegante cena yacía por tierra; frascos en añicos, frutas aplastadas tapizaban el piso; todo en aquella habitación daba testimonio de una lucha violenta y desesperada; D'Artagnan creyó incluso reconocer en medio de aquel desorden extraño trozos de vestidosy algunas manchas de sangre maculando el mantel y las cortinas.

Se dio prisa por descender a la calle con una palpitación horrible en el corazón; quería ver si encontraba otras huellas de violencia.

Aquella breve luz suave brillaba siempre en la calma de la noche. D'Artagnan se dio cuenta entonces, cosa que él no había observado al principio, porque nada le empujaba a tal examen, que el suelo, batido aquí, pisoteado allá, presentaba huellas confusas de pasos de hombres y de pies de caballos. Además, las ruedas de un coche, que parecía venir de París, habían cavado en la tierra blanda una profunda huella que no pasaba más allá del pabellón y que volvía hacia Paris.

Finalmente, prosiguiendo sus búsquedas, D'Artagnan encontró junto al muro un guante de mujer desgarrado. Sin embargo, aquel guante, en todos aquellos puntos en que no había tocado la tierra embarrada, era de una frescura irreprochable. Era uno de esos guantes perfumados que los amantes gustan quitar de una hermosa mano.

A medida que D'Artagnan proseguía sus investigaciones, un sudor más abundante y más helado perlaba su frente, su corazón estaba oprimido por una horrible angustia, su respiración era palpitante; y sin embargo se decía a sí mismo para tranquilizarse que aquel pabellón no tenía nada en común con la señora Bonacieux; que la joven le había dado cita ante aquel pabellón y no en el pabellón, que podía estar retenida en Paris por su servicio, quizá por los celos de su marido.

Pero todos estos razonamientos eran severamente criticados, destruidos, arrollados por aquel sentimiento de dolor íntimo que, en ciertas ocasiones, se apodera de todo nuestro ser y nos grita, para todo cuanto en nosotros está destinado a oírnos, que una gran desgracia planea sobre nosotros. Entonces D'Artagnan enloqueció casi: corrió por la carretera, tomb el mismo camino que ya había andado, avanzó hasta la barca e interrogó al barquero.

Hacia las siete de la tarde el barquero había cruzado el río con una mujer envuelta en un mantón negro, que parecía tener el mayor interés en no ser reconocida; pero precisamente debido a esas precauciones que tomaba, el barquero le había prestado una atención mayor, y había visto que la mujer era joven y hermosa.

Entonces, como hoy, había gran cantidad de mujeres jóvenes y hermosas que iban a Saint Cloud y que tenían interés en no ser vistas, y sin embargo D'Artagnan no dudó un solo instante que no fuera la señora Bonacieux la que el barquero había visto.

D'Artagnan aprovechó la lámpara que brillaba en la cabaña del barquero para volver a leer una vez más el billete de la señora Bonacieux y asegurarse de que no se había engañado, que la cita era en Saint Cloud y no en otra parte, ante el pabellón del señor D'Estrées y no en otra calle.

Todo ayudaba a probar a D'Artagnan que sus presentimientos no lo engañaban y que una gran desgracia había ocurrido.

Volvió a tomar el camino del castillo a todo correr; le parecía que en su ausencia algo nuevo había podido pasar en el pabellón y que las informaciones lo esperaban allí.

La calleja continuaba desierta, y la misma luz suave y calma salía desde la ventana.

D'Artagnan pensó entonces en aquella casucha muda y ciega, pero que sin duda había visto y que quizá podía hablar.

La puerta de la cerca estaba cerrada, pero saltó por encima del seto, y pese a los ladridos del perm encadenado, se acercó a la cabaña.

A los primeros golpes que dio, no respondió nadie.

Un silencio de muerte reinaba tanto en la cabaña como en el pabellón; no obstante, como aquella cabaña era su último recurso, insistió.

Pronto le pareció oír un ligero ruido interior, ruido temeroso, y que parecía temblar él mismo de ser oído.

Entonces D'Artagnan dejó de golpear y rogó con un acento tan lleno de inquietud y de promesas, de terror y zalamería, que su voz era capaz por naturaleza de tranquilizar al más miedoso. Por fin, un viejo postigo carcomido se abrió, o mejor se entreabrió, y se volvió a cerrar cuando la claridad de una miserable lámpara que ardía en un rincón hubo iluminado el tahalí, el puño de la espada y la empuñadura de las pistolas de D'Artagnan. Sin embargo, por rápido que fuera el movimiento, D'Artagnan había tenido tiempo de vislumbrar una cabeza de anciano.

-¡En nombre del cielo, escuchadme! Yo esperaba a alguien que no viene, me muero de inquietud. ¿No habrá ocurrido alguna desgracia por los alrededores? Hablad.

La ventana volvió a abrirse lentamente, y el mismo rostro apareció de nuevo, sólo que ahora más pálido aún que la primera vez.

D'Artagnan contó ingenuamente su historia, nombres excluidos; dijo cómo tenía una cita con una joven ante aquel pabellón, y cómo, al no verla venir, se había subido al tilo y, a la luz de la lámpara, había visto el desorden de la habitación.

El viejo lo escuchó atentamente, al tiempo que hacía señas de que estaba bien todo aquello; luego, cuando D'Artagnan hubo terminado, movió la cabeza con un aire que no anunciaba nada bueno.

-¿Qué queréis decir? - exclamó D'Artagnan-. ¡En nombre del cielo, explicaos!

-¡Oh, señor - dijo el viejo-, no me pidáis nada! Porque si os dijera lo que he visto, a buen seguro que no me ocurrira nada bueno.

-¿Habéis visto entonces algo? - repuso D'Artagnan-. En tal críso, en nombre del cielo - continuó, entregándole una pistola-, decid, decid lo que habéis visto, y os doy mi palabra de gentilhombre de que ninguna de vuestras palabras saldrá de mi corazón.

El viejo leyó tanta franqueza y dolor en el rostro de D'Artagnan que le hizo seña de escuchar y le dijo en voz baja:

-Serían las nueve poco más o menos, había oído yo algún ruido en la calle y quería saber qué podía ser, cuando al acercarme a mi puerta me di cuenta de que alguien trataba de entrar. Como soy pobre y no tengo miedo a que me roben, fui a abrir y vi a tres hombres a algunos pasos de allí. En la sombra había una carroza con caballos enganchados y caballos de mano. Esos caballos de mano pertenecían evidentemente a los tres hombres que estaban vestidos de caballeros. «Ah, mis buenos señores - exclamé yo-, ¿qué queréis?» «Debes tener una escalera», me dijo aquel que parecía el jefe del séquito. «Sí, señor; una con la que recojo la fruta.» «Dánosla, y vuelve a tu casa. Ahí tienes un escudo por la molestia que te causamos. Recuerda solamente que si dices una palabra de lo que vas a ver y de lo que vas a oír (porque mirarás y escucharás pese a las amenazas que te hagamos, estoy seguro), estás perdido.» A estas palabras, me lanzó un escudo que yo recogí, y él tomó mi escalera. Efectivamente, después de haber cerrado la puerta del seto tras ellos hice ademán de volver a la casa; pero salí en seguida por la puerta de atrás y deslizándome en la sombra llegué hasta esa mata de saúco, desde cuyo centro podía ver todo sin ser visto. Los tres hombres habían hecho avanzar el coche sin ningún ruido, sacaron de él a un hombrecito grueso, pequeño, de pelo gris, mezquinamente vestido de color oscuro, el cual se subió con precaución a la escalera miró disimuladamente en el interior del cuarto, volvió a bajar a paso de lobo y murmuró en voz baja: «¡Ella es!» Al punto aquel que me había hablado se acercó a la puerta del pabellón, la abrió con una llave que llevaba encima, volvió a cerrar la puerta y desapareció; al mismo tiempo los otros dos subieron a la escalera. El viejo permanecía en la portezuela el cochero sostenía a los caballos del coche y un lacayo los caballos de silla. De pronto resonaron grandes gritos en el pabellón, una mujer corrió a la ventana y la abrió como para precipitarse por ella. Pero tan pronto como se dio cuenta de los dos hombres, retrocedió; los dos hombres se lanzaron tras ella dentro de la habitación. Entonces ya no vi nada más; pero oía ruido de muebles que se rompen. La mujer gritaba y pedía ayuda. Pero pronto sus gritos fueron ahogados; los tres hombres se acercaron a la ventana, llevando a la mujer en sus brazos; dos descendieron por la escalera y la transportaron al coche, donde el viejo entró junto a ella. El que se había quedado en el pabellón volvió a cerrar la ventana, salió un instante después por la puerta y se aseguró de que la mujer estaba en el coche: sus dos compañeros le esperaban ya a caballo, saltó él a su vez a la silla; el lacayo ocupó su puesto junto al cochero; la carroza se alejó al galope escoltada por los tres caballeros, y todo terminó. A partir de ese momento, yo no he visto nada ni he oído nada.

D'Artagnan, abrumado por una noticia tan terrible, quedó inmóvil y mudo, mientras todos los demonios de la cólera y los celos aullaban en su corazón.

-Pero, señor gentilhombre - prosiguió el viejo, en el que aquella muda desesperación producía ciertamente más afecto del que hubieran producido los gritos y las lágrimas ; vamos, no os aflijáis, no os la han matado, eso es lo esencial.

-¿Sabéis aproximadamente - dijo D'Artagnan - quién era el hombre que dirigía esa infernal expedición?

-No lo conozco.

-Pero, puesto que os ha hablado, habéis podido verlo.

-¡Ah! ¿Son sus señas lo que me pedís?

-Sí.

-Un hombre alto, enjuto, moreno, de bigotes negros, la mirada oscura, con aire de gentilhombre.

-¡El es! - exclamó D'Artagnan-. ¡Otra vez él! ¡Siempre él! Es mi demonio, según parece. ¿Y el otro?

-¿Cuál?

-El pequeño.

-¡Oh, ese no era un señor, os lo aseguro! Además, no llevaba espada, y los otros le trataban sin ninguna consideración.

-Algún lacayo - murmuró D'Artagnan-. ¡Ah, pobre mujer! ¡Pobre mujer! ¿Qué te han hecho?

-Me habéis prometido el secreto - dijo el viejo.

-Y os renuevo mi promesa, estad tranquilo, yo soy gentilhombre. Un gentilhombre no tiene más que una palabra, y yo os he dado la mía.

D'Artagnan volvió a tomar, con el alma afligida, el camino de la barca. Tan pronto se resistía a creer que se tratara de la señora Bonacieux, y esperaba encontrarla al día siguiente en el Louvre, como temía que ella tuviera una intriga con algún otro y que un celoso la hubiera sorprendido y raptado. Vacilaba, se desolaba, se desesperaba.

-¡Oh, si tuviese aquí a mis amigos! - exclamó-. Tendría al menos alguna esperanza de volverla a encontrar; pero ¿quién sabe qué habrá sido de ellos?

Era medianoche poco más o menos; se trataba de encontrar a Planchet. D Artagnan se hizo abrir sucesivamente todas las tabernas en las que percibió algo de luz; en ninguna de ellas encontró a Planchet.

En la sexta, comenzó a pensar que la búsqueda era un poco aventurada. D'Artagnan no había citado a su lacayo más que a las seis de la mañana y, estuviese donde estuviese, estaba en su derecho.

Además al joven le vino la idea de que, quedándose en los alrededores del - lugar en que había ocurrido el suceso, quizá obtendría algún esclarecimiento sobre aquel misterioso asunto. En la sexta taberna, como hemos dicho, D'Artagnan se detuvo, pidió una botella de vino de primera calidad, se acodó en el ángulo más oscuro y se decidió a esperar el día de este modo; pero también esta vez su esperanza quedó frustrada, y aunque escuchaba con los oídos abiertos, no oyó, en medio de los juramentos, las burlas y las injurias que entre sí cambiaban los obreros, los lacayos y los carreteros que componían la honorable sociedad de que formaba parte, nada que pudiera ponerle sobre las huellas de la pobre mujer raptada. Así pues, tras haber tragado su botella por ociosidad y para no despertar sospechas, trató de buscar en su rincón la postura más satisfactoria posible y de dormirse mal que bien. D'Artagnan tenía veinte años, como se recordará, y a esa edad el sueño tiene derechos imprescriptibles que reclaman imperiosamente incluso en los corazones más desesperados.

Hacia las seis de la mañana, D'Artagnan se despertó con ese malestar que acompaña ordinariamente al alba tras una mala noche. No era muy largo de hacer su aseo; se tanteó para saber si no se habían aprovechado de su sueño para robarle, y habiendo encontrado su diamante en su dedo, su bolsa en su bolsillo y sus pistolas en su cintura, se levantó, pagó su botella y salió para ver si tenía más suerte en la búsqueda de su lacayo por la mañana que por la noche. En efecto, lo primero que percibió a través de la niebla húmeda y grisácea fue al honrado Planchet, que con los dos caballos de la mano esperaba a la puerta de una pequeña taberna miserable ante la cual D'Artagnan había pasado sin sospechar siquiera su existencia.

Porthos

En lugar de regresar a su casa directamente, D'Artagnan puso pie en tierra ante la puerta del señor de Tréville y subió rápidamente la escalera. Aquella vez estaba decidido a contarle todo lo que acababa de pasar. Sin duda, él daría buenos consejos en todo aquel asunto; además, como el señor de Tréville veía casi a diario a la reina, quizá podría sacar a Su Majestad alguna información sobre la pobre mujer a quien sin duda se hacía pagar su adhesión a su señora.

El señor de Tréville escuchó el relato del joven con una gravedad que probaba que había algo más en toda aquella aventura que una intriga de amor; luego, cuando D'Artagnan hubo acabado:

-¡Hum! - dijo-. Todo esto huele a Su Eminencia a una legua.

-Pero ¿qué hacer? - dijo D'Artagnan.

-Nada, absolutamente nada ahora sólo abandonar Paris como os he dicho, lo antes posible. Yo veré a la reina, le contaré los detalles de la desaparición de esa pobre mujer, que ella sin duda ignora; estos detalles la orientarán por su lado, y a vuestro regreso, quizá tenga yo alguna buena nueva que deciros. Dejadlo en mis manos.

D'Artagnan sabía que, aunque gascón el señor de Tréville no tenía la costumbre de prometer, y que cuando por azar prometía, mantenía, y con creces, lo que habia prometido. Saludó, pues, lleno de agradecimiento por el pasado y por el futuro, y el digno capitán, que por su lado sentía vivo interés por aquel joven tan valiente y tan resuelto, le apretó afectuosamente la mano deseándole un buen viaje.

Decidido a poner los consejos del señor de Tréville en práctica en aquel mismo instante, D'Artagnan se encaminó hacia la calle des Fossoyeurs, a fin de velar por la preparación de su equipaje. Al acercarse a su casa, reconoció al señor Bonacieux en traje de mañana, de pie ante el umbral de su puerta. Todo lo que le había dicho la víspera el prudente Planchet sobre el carácter siniestro de su huésped volvió entonces a la memoria de D’Artagnan que lo miró más atentamente de lo que hasta entonces había hecho. En efecto, además de aquella palidez amarillenta y enfermiza que indica la filtración de la bilis en la sangre y que por el otro lado podía ser sólo accidental, D'Artagnan observó algo de sinuosamente pérfido en la tendencia a las arrugas de su cara. Un bribón no ríe de igual forma que un hombre honesto, un hipócrita no llora con las lágrimas que un hombre de buena fe. Toda falsedad es una máscara, y por bien hecha que esté la máscara, siempre se llega, con un poco de atención, a distinguirla del rostro.

Le pareció pues, a D'Artagnan que el señor Bonacieux llevaba una máscara, a incluso que aquella máscara era de las más desagradables de ver.

En consecuencia, vencido por su repugnancia hacia aquel hombre, iba a pasar por delante de él sin hablarle cuando, como la víspera, el señor Bonacieux lo interpeló:

-¡Y bien, joven - le dijo-, parece que andamos de juerga! ¡Diablos, las siete de la mañana! Me parece que os apartáis de las costumbres recibidas y que volvéis a la hora en que los demás salen.

-No se os hará a vos el mismo reproche, maese Bonacieux - dijo el joven-, y sois modelo de las gentes ordenadas. Es cierto que cuando se pone una mujer joven y bonita, no hay necesidad de correr detrás de la felicidad; es la felicidad la que viene a buscaros, ¿no es así, señor Bonacieux?

Bonacieux se puso pálido como la muerte y muequeó una sonrisa.

-¡Ah, ah! - dijo Bonacieux-. Sois un compañero bromista. Pero ¿dónde diablos habéis andado de correría esta noche, mi joven amigo? Parece que no hacía muy buen tiempo en los atajos.

D'Artagnan bajó los ojos hacia sus botas todas cubiertas de barro; pero en aquel movimiento sus miradas se dirigieron al mismo tiempo hacia los zapatos y las medias del mercero; se hubiera dicho que los había mojado en el mismo cenegal; unos y otros tenían manchas completamente semejantes.

Entonces una idea súbita cruzó la mente de D'Artagnan. Aquel hombrecito grueso, rechoncho, cuyos cabellos agrisaban ya, aquella especie de lacayo vestido con un traje oscuro, tratado sin consideración por las gentes de espada que componían la escolta, era el mismo Bonacieux. El marido había presidido el rapto de su mujer.

Le entraron a D'Artagnan unas terribles ganas de saltar a la garganta del mercero y de estrangularlo; pero ya hemos dicho que era un muchacho muy prudente y se contuvo. Sin embargo, la revolución que se había operado en su rostro era tan visible que Bonacieux quedó espantado y trató de retroceder un paso; pero precisamente se encontraba delante del batiente de la puerta, que estaba cerrada, y el obstáculo que encontró le forzó a quedarse en el mismo sitio.

-¡Vaya, sois vos quien bromeáis, mi valiente amigo! - dijo D'Artagnan-. Me parece que si mis botas necesitan una buena esponja, vuestras medias y vuestros zapatos también reclaman un buen cepillado. ¿Es que también vos os habéis corrido una juerga, maese Bonaceux? ¡Diablos! Eso sería imperdonable en un hombre de vuestra edad y que además tiene una mujer joven y bonita como la vuestra.

-¡Oh, Dios mío, no! - dijo Bonacieux-. Ayer estuve en Saint-Mandé para informarme de una sirvienta de la que no puedo prescindir, y como los caminos estaban en malas condiciones he traído todo ese fango que aún no he tenido tiempo de hacer desaparecer.

El lugar que designaba Bonacieux como meta de correría fue una nueva prueba en apoyo de las sospechas que había concebido D'Artagnan. Bonacieux había dicho Saint Mandé porque Saint Mandé es el punto completamente opuesto a Saint Cloud.

Aquella probabilidad fue para él un primer consuelo. Si Bonacieux sabía dónde estaba su mujer, siempre se podría, empleando medios extremos, forzar al mercero a soltar la lengua y dejar escapar su secreto. Se trataba sólo de convertir esta probabilidad en certidumbre.

-Perdón, mi querido señor Bonacieux, si prescindo con vos de los modales - dijo D'Artagnan ; pero nada me altera más que no dormir, tengo una sed implacable; permitidme tomar un vaso de agua de vuestra casa; ya lo sabéis, eso no se niega entre vecinos.

Y sin esperar el permiso de su huésped, D'Artagnan entró rápidamente en la casa y lanzó una rápida ojeada sobre la cama. La cama no estaba deshecha. Bonacieux no se había acostado. Acababa de volver hacía una o dos horas; había acompañado a su mujer hasta el lugar al que la habían conducido, o por lo menos hasta el primer relevo.

-Gracias, maese Bonacieux - dijo D'Artagnan vaciando su vaso-, eso es todo cuanto quería de vos. Ahora vuelvo a mi casa, voy a ver si Planchet me limpia las botas y, cuando haya terminado, os lo mandaré por si queréis limpiaros vuestros zapatos.

Y dejó al mercero todo pasmado por aquel singular adiós y preguntándose si no había caído en su propia trampa.

En lo alto de la escalera encontró a Planchet todo estupefacto.

-¡Ah, señor! - exclamó Planchet cuando divisó a su amo-. Ya tenemos otra, y esperaba con impaciencia que regresaseis.

-Pues, ¿qué pasa? - preguntó D'Artagnan.

-¡Oh, os apuesto cien, señor, os apuesto mil si adivanáis la visita que he recibido para vos en vuestra ausencia!

-¿Y eso cuándo?

-Hará una media hora, mientras vos estabais con el señor de Tréville.

-¿Y quién ha venido? Vamos, habla.

-El señor de Cavois.

-¿El señor de Cavois?

-En persona.

-¿El capitán de los guardias de Su Eminencia?

-El mismo.

-¿Venía a arrestarme?

-Es lo que me temo, señor, y eso pese a su aire zalamero.

-¿Tenía el aire zalamero, dices?

-Quiero decir que era todo mieles, señor.

-¿De verdad?

-Venía, según dijo, de parte de Su Eminencia, que os quería mucho, a rogaros seguirle al Palais Royal.

-Y tú, ¿qué le has contestado?

-Que era imposible, dado que estabais fuera de casa, como podía él mismo ver.

-¿Y entonces qué ha dicho?

-Que no dejaseis de pasar por allí durante el día; luego ha añadido en voz baja: «Dile a tu amo que Su Eminencia está completamente dispuesto hacia él, y que su fortuna depende quizá de esa entrevista».

-La trampa es bastante torpe para ser del cardenal - repuso sonriendo el joven.

-También yo he visto la trampa y he respondido que os desesperaríais a vuestro regreso. «¿Dónde ha ido?», ha preguntado el señor de Cavois. «A Troyes, en Champagne», le he respondido. «¿Y cuándo se ha marchado?» «Ayer tarde».

-Planchet, amigo mío - interrumpió D'Artagnan-, eres realmente un hombre precioso.

-¿Comprendéis, señor? He pensado que siempre habría tiempo, si deseáis ver al señor de Cavois, de desmentirme diciendo que no os habíais marchado; sería yo en tal caso quien habría mentido, y como no soy gentilhombre, puedo mentir.

-Tranquilízate, Planchet, tu conservarás tu reputación de hombre verdadero: dentro de un cuarto de hora partimos.

-Es el consejo que iba a dar al señor; y, ¿adónde vamos, si se puede saber?

-¡Pardiez! Hacia el lado contrario del que tú has dicho que había ido. Además, ¿no tienes prisa por tener nuevas con Grimaud, de Mosquetón y de Bazin, como las tengo yo de saber qué ha pasado de Athos, Porthos y Aramis?

-Claro que sí, señor - dijo Planchet-, y yo partiré cuando queráis; el aire de la provincia nos va mejor, según creo, en este momento que el aire de Paris. Por eso, pues...

-Por eso, pues, hagamos nuestro petate, Planchet y partamos; yo iré delante, con las manos en los bolsillos para que nadie sospeche nada. Tú te reunirás conmigo en el palacio de los Guardias. A propósito, Planchet, creo que times razón respecto a nuestro huésped, y que decididamente es un horrible canalla.

-¡Ah!, creedme, señor, cuando os digo algo; yo soy fisonomista, y bueno.

D'Artagnan descendió el primero, como había convenido; luego, para no tener nada que reprocharse, se dirigió una vez más al domicilio de sus tres amigos: no se había recibido ninguna noticia de ellos; sólo una carta toda perfumada y de una escritura elegante y menuda había llegado para Aramis. D'Artagnan se hizo cargo de ella. Diez minutos después, Planchet se reunió en las cuadras del palacio de los Guardias. D'Artagnan, para no perder tiempo, ya había ensillado su caballo él mismo.

-Está bien - le dijo a Planchet cuando éste tuvo unido el maletín de grupa al equipo ; ahora ensilla los otros tres, y partamos.

-¿Creéis que iremos más deprisa con dos caballos cada uno? - preguntó Planchet con aire burlón.

-No, señor bromista - respondió D'Artagnan-, pero con nuestros cuatro caballos podremos volver a traer a nuestros tres amigos, si es que todavía los encontramos vivos.

-Lo cual será una gran suerte - respondió Planchet-, pero en fin, no hay que desesperar de la misericordia de Dios.

-Amén - dijo D'Artagnan, montando a horcajadas en su caballo.

Y los dos salieron del palacio de los Guardias, alejándose cada uno por una punta de la calle, debiendo el uno dejar Paris por la barrera de La Villette y el otro por la barrera de Montmartre, para reunirse más allá de Saint Denis, maniobra estratégica que ejecutada con igual puntualidad fue coronada por los más felices resultados. D'Artagnan y Planchet entraron juntos en Pierrefitte.

Planchet estaba más animado, todo hay que decirlo, por el día que por la noche.

Sin embargo, su prudencia natural no le abandonaba un solo instante; no había olvidado ninguno de los incidentes del primer viaje, y tenía por enemigos a todos los que encontraba en camino. Resultaba de ello que sin cesar tenía el sombrero en la mano, lo que le valía severas reprimendas de parte de D'Artagnan, quien temía que, debido a tal exceso de cortesía, se le tomase por un criado de un hombre de poco valer.

Sin embargo, sea que efectivamente los viandantes quedaran conmovidos por la urbanidad de Planchet, sea que aquella vez ninguno fue apostado en la ruta del joven, nuestros dos viajeros llegaron a Chantilly sin accidente alguno y se apearon ante el hostal del Grand Saint Martin, el mismo en el que se habían detenido durante su primer viaje.

El hostelero, al ver al joven seguido de su lacayo y de dos caballos de mano, se adelantó respetuosamente hasta el umbral de la puerta. Ahora bien, como ya había hecho once leguas, D'Artagnan juzgó a propósito detenerse, estuviera o no estuviera Porthos en el hostal. Además, quizá no fuera prudente informarse a la primera de lo que había sido del mosquetero. Resultó de estas reflexiones que D'Artagnan, sin pedir ninguna noticia de lo que había ocurrido, se apeó, encomendó los caballos a su lacayo, entró en una pequeña habitación destinada a recibir a quienes deseaban estar solos, y pidió a su hostelero una botella de su mejor vino y el mejor desayuno posible, petición que corroboró más aún la buena opinion que el alberguista se había hecho de su viajero a la primera ojeada.

Por eso D'Artagnan fue servido con una celeridad milagrosa.

El regimiento de los guardias se reclutaba entre los primeros gentilhombres del reino, y D'Artagnan, seguido de un lacayo y viajando con cuatro magníficos caballos, no podía, pese a la sencillez de su uniforme, dejar de causar sensación. El hostelero quiso servirle en persona; al ver lo cual, D'Artagnan hizo traer dos vasos y entabló la siguiente conversación:

-A fe mía, mi querido hostelero - dijo D'Artagnan llenando los dos vasos-, os he pedido vuestro mejor vino, y si me habéis engañado vais a ser castigado por donde pecasteis, dado que como detesto beber solo, vos vais a beber conmigo. Tomad, pues, ese vaso y bebamos. ¿Por qué brindaremos, para no herir ninguna suceptibilidad? ¡Bebamos por la prosperidad de vuestro establecimiento!

-Vuestra señoría me hace un honor - dijo el hostelero-, y le agradezco sinceramente su buen deseo.

-Pero no os engañéis - dijo D'Artagnan-, hay quizá más egoísmo de lo que pensáis en mi brindis: sólo en los establecimientos que prosperan le recibien bien a uno; en los hostales en decadencia todo va manga por hombro, y el viajero es víctima de los apuros de su huésped; pero yo que viajo mucho y sobre todo por esta ruta, quisiera ver a todos los alberguistas hacer fortuna.

-En efecto - dijo el hostelero-, me parece que no es la primera vez que tengo el honor de ver al señor.

-Bueno, he pasado diez veces quizá por Chantilly, y de las diez veces tres o cuatro por lo menos me he detenido en vuestra casa. Mirad, la última vez hará diez o doce días aproximadamente; yo acompañaba a unos amigos, mosqueteros, y la prueba es que uno de ellos se vio envuelto en una disputa con un extraño, con un desconocido, un hombre que le buscó no sé qué querella.

-¡Ah! ¡Sí, es cierto! - dijo el hostelero-. Y me acuerdo perfectamente. ¿No es del señor Porthos de quien Vuestra Señoría quiere hablarme?

-Ese es precisamente el nombre de mi compañero de viaje. ¡Dios mío! Querido huésped, decidme, ¿le ha ocurrido alguna desgracia?

-Pero Vuestra Señoría tuvo que darse cuenta de que no pudo continuar su viaje.

-En efecto, nos había prometido reunirse con nosotros, y no lo hemos vuelto a ver.

-El nos ha hecho el honor de quedarse aquí.

-Cómo? ¿Os ha hecho el honor de quedarse aquí?

-Sí, señor, en el hostal; incluso estamos muy inquietos.

-¿Y por qué?

-Por ciertos gastos que ha hecho.

-¡Bueno, los gastos que ha hecho él los pagará!

-¡Ay, señor, realmente me ponéis bálsamo en la sangre! Hemos hecho fuertes adelantos, y esta mañana incluso el cirujano nos declaraba que, si el señor Porthos no le pagaba, sería yo quien tendría que hacerse cargo de la cuenta, dado que era yo quien le había enviado a buscar.

-Pero, entonces, ¿Porthos está herido?

-No sabría decíroslo, señor.

-¿Cómo que no sabríais decírmelo? Sin embargo, vos deberíais estar mejor informado que nadie.

-Sí, pero en nuestra situación no decimos todo lo que sabemos, señor, sobre todo porque nos ha prevenido que nuestras orejas responderán por nuestra lengua.

-¡Y bien! ¿Puedo ver a Porthos?

-Desde luego, señor. Tomad la escalera, subid al primero y llamad en el número uno. Sólo que prevenidle que sois vos.

-¡Cómo! ¿Que le prevenga que soy yo?

-Sí porque os podría ocurrir alguna desgracia.

-¿Y qué desgracia queréis que me ocurra?

-El señor Porthos puede tomaros por alguien de la casa y en un movimiento de cólera pasaros su espada a través del cuerpo o saltaros la tapa de los sesos.

-¿Qué le habéis hecho, pues?

-Le hemos pedido el dinero.

-¡Ah, diablos! Ya comprendo; es una petición que Porthos recibe muy mal cuando no tiene fondos; pero yo sé que debía tenerlos.

-Es lo que nosotros hemos pensado, señor; como la casa es muy regular y nosotros hacemos nuestras cuentas todas las semanas, al cabo de ocho días le hemos presentado nuestra nota; pero parece que hemos llegado en un mal momento, porque a la primera palabra que hemos pronunciado sobre el tema, nos ha enviado al diablo; es cierto que la víspera había jugado.

-¿Cómo que había jugado la víspera? ¿Y con quién?

-¡Oh, Dios mío! Eso, ¿quién lo sabe? Con un señor que estaba de paso y al que propuso una partida de sacanete.

-Ya está, el desgraciado lo habrá perdido todo.

-Hasta su caballo, señor, porque cuando el extraño iba a partir, nos hemos dado cuenta de que su lacayo ensillaba el caballo del señor Porthos. Entonces nosotros le hemos hecho la observación, pero nos ha respondido que nos metiésemos en lo que nos importaba y que aquel caballo era suyo. En seguida hemos informado al señor Porthos de lo que pasaba, pero él nos ha dicho que éramos unos bellacos por dudar de la palabra de un gentilhombre, y que, dado que él había dicho que el caballo era suyo, era necesario que así fuese.

-Lo reconozco perfectamente en eso - murmuró D'Artagnan.

-Entonces - continuó el hostelero-, le hice saber que, desde el momento en que parecíamos destinados a no entendernos en el asunto del pago, esperaba que al menos tuviera la bondad de conceder el honor de su trato a mi colega el dueño del Aigle d'Or; pero el señor Porthos me respondió que mi hostal era el mejor y que deseaba quedarse en él. Tal respuesta era demasiado halagadora para que yo insistiese en su partida. Me limité, pues, a rogarle que me devolviera su habitación, que era la más hermosa del hotel, y se contentase con un precioso gabinetito en el tercer piso. Pero a esto el señor Porthos respondió que como esperaba de un momento a otro a su amante, que era una de las mayores damas de la corte yo debía comprender que la habitación que el me hacía el honor de habitar en mi casa era todavía mediocre para semejante persona. Sin embargo, reconociendo y todo la verdad de lo que decía, creí mi deber insistir; pero sin tomarse siquiera la molestia de entrar en discusión conmigo, cogió su pistola, la puso sobre su mesilla de noche y declaró que a la primera palabra que se le dijera de una mudanza cualquiera, fuera o dentro del hostal, abriría la tapa de los sesos a quien fuese lo bastante imprudente para meterse en una cosa que no le importaba más que él. Por eso, señor, desde ese momento nadie entra ya en su habitación, a no ser su doméstico.

-¿Mosquetón está, pues, aquí?

-Sí, señor; cinco días después de su partida ha vuelto del peor humor posible; parece que él también ha tenido sinsabores durante su viaje. Por desgracia, es más ligero de piernas que su amo, lo cual hace que por su amo ponga todo patas arriba, dado que, pensando que podría negársele lo que pide, coge cuanto necesita sin pedirlo.

-El hecho es - respondió D'Artagnan - que siempre he observado en Mosquetón una adhesión y una inteligencia muy superiores.

-Es posible, señor; pero suponed que tengo la oportunidad de ponerme en contacto, sólo cuatro veces al año, con una inteligencia y una adhesión semejantes, y soy un hombre arruinado.

-No, porque Porthos os pagará.

-¡Hum! - dijo el hostelero en tono de duda.

-Es el favorito de una gran dama que no lo dejará en el apuro por una miseria como la que os debe...

-Si yo me atreviera a decir lo que creo sobre eso...

-¿Qué creéis vos?

-Yo diría incluso más: lo que sé.

-¿Qué sabéis?

-E incluso aquello de que estoy seguro.

-Veamos, ¿y de qué estáis seguro?

-Yo diría que conozco a esa gran dama.

-¿Vos?

-Sí, yo.

-¿Y cómo la conocéis?

-¡Oh, señor! Si yo creyera poder confiarme a vuestra discreción...

-Hablad, y a fe de gentilhombre que no tendréis que arrepentiros de vuestra confianza.

-Pues bien, señor, ya sabéis, la inquietud hace hacer muchas cosas.

-¿Qué habéis hecho?

-¡Oh! Nada que no esté en el derecho de un acreedor.

-Y...?

-El señor Porthos nos ha entregado un billete para esa duquesa, encargándonos echarlo al correo. Su doméstico no había llegado todavía. Como no podía dejar su habitación, era preciso que nos hiciéramos cargo de sus recados.

-¿Y después?

-En lugar de echar la carta a la posta, cosa que nunca es segura, aproveché la ocasión de uno de mis mozos que iba a Paris y le ordené entregársela a la duquesa en persona. Era cumplir con las intenciones del señor Porthos, que nos había encomendado encarecidamente aquella carta, ¿no es así?

-Más o menos.

-Pues bien, señor, ¿sabéis lo que es esa gran dama?

-No; yo he oído hablar a Porthos de ella, eso es todo.

-¿Sabéis lo que es esa presunta duquesa?

-Os repito, no la conozco.

-Es una vieja procuradora del Châtelet, señor, llamada señora Coquenard, la cual tiene por lo menos cincuenta años y se da incluso aires de estar celosa. Ya me parecía demasiado singular una princesa viviendo en la calle aux Ours.

-¿Cómo sabéis eso?

-Porque montó en gran cólera al recibir la carta, diciendo que el señor Porthos era un veleta y que además habría recibido la estocada por alguna mujer.

-Pero entonces, ¿ha recibido una estocada?

-¡Ah Dios mío! ¿Qué he dicho?

-Habéis dicho que Porthos había recibido una estocada.

-Sí, pero él me había prohibido terminantemente decirlo.

-Y eso, ¿por qué?

-¡Maldita sea! Señor, porque se había vanagloriado de perforar a aquel extraño con el que vos lo dejasteis peleando, y fue por el contrario el extranjero el que, pese a todas sus baladronadas, le hizo morder el polvo. Pero como el señor Porthos es un hombre muy glorioso, excepto para la duquesa, a la que él había creído interesar haciéndole el relato de su aventura, no quiere confesar a nadie que es una estocada lo que ha recibido.

-Entonces, ¿es una estocada lo que le retiene en su cama?

-Y una estocada magistral, os lo aseguro. Es preciso que vuestro amigo tenga siete vidas como los gatos.

-¿Estabais vos allí?

-Señor, yo los seguí por curiosidad, de suerte que vi el combate sin que los combatientes me viesen.

-¿Y cómo pasaron las cosas?

-Oh la cosa no fue muy larga, os lo aseguro; se pusieron en guardia; el extranjero hizo una finta y se lanzó a fondo; todo esto tan rápidamente que cuando el señor Porthos llegó a la parada, tenía ya tres pulgadas de hierro en el pecho. Cayó hacia atrás. El desconocido le puso al punto la punta de su espada en la garganta, y el señor Porthos, viéndose a merced de su adversario, se declaró vencido. A lo cual el desconocido le pidió su nombre, y al enterarse de que se llamaba Porthos y no señor D'Artagnan, le ofreció su brazo, le trajo al hostal, montó a caballo y desapareció.

-¿Así que era al señor D'Artagnan al que quería ese desconocido?

-Parece que sí.

-¿Y sabéis vos qué ha sido de él?

-No, no lo había visto hasta entonces y no lo hemos vuelto a ver después.

-Muy bien; sé lo que quería saber. Ahora, ¿decís que la habitación de Porthos está en el primer piso, número uno?

-Sí, señor, la habitación más hermosa del albergue, una habitación que ya habría tenido diez ocasiones de alquilar.

-¡Bah! Tranquilizaos - dijo D'Artagnan riendo-. Porthos os pagará con el dinero de la duquesa Coquenard.

-¡Oh, señor! Procuradora o duquesa si soltara los cordones de su bolsa, nada importaría; pero ha respondido taxativamente que estaba harta de las exigencias y de las infidelidades del señor Porthos, y que no le enviaría ni un denario.

-¿Y vos habéis dado esa respuesta a vuestro huésped?

-Nos hemos guardado mucho de ello: se habría dado cuenta de la forma en que habíamos hecho el encargo.

-Es decir, que sigue esperando su dinero.

-¡Oh, Dios mío, claro que sí! Ayer incluso escribió; pero esta vez ha sido su doméstico el que ha puesto la carta en la posta.

-¿Y decís que la procuradora es vieja y fea?

-Unos cincuenta años por lo menos, señor, no muy bella, según lo que ha dicho Pathaud.

-En tal caso, estad tranquilo, se dejará enternecer; además Porthos no puede deberos gran cosa.

-¡Cómo que no gran cosa! Una veintena de pistolas ya, sin contar el médico. No se priva de nada; se ve que está acostumbrado a vivir bien.

-Bueno, si su amante le abandona, encontrará amigos, os lo aseguro. Por eso, mi querido hostelero, no tengáis ninguna inquietud, y continuad teniendo con él todos los cuidados que exige su estado.

-El señor me ha prometido no hablar de la procuradora y no decir una palabra de la herida.

-Está convenido; tenéis mi palabra.

-¡Oh, es que me mataría!

-No tengáis miedo; no es tan malo como parece.

Al decir estas palabras, D'Artagnan subió la escalera, dejando a su huésped un poco más tranquilo respecto a dos cosas que parecían preocuparle: su deuda y su vida.

En lo alto de la escalera, sobre la puerta más aparente del corredor, había trazado, con tinta negra, un número uno gigantesco; D'Artagnan llamó con un golpe y, tras la invitación a pasar adelante que le vino del interior, entró.

Porthos estaba acostado y jugaba una partida de sacanete con Mosquetón para entretener la mano, mientras un asador cargado con perdices giraba ante el fuego y en cada rincón de una gran chimenea hervían sobre dos hornillos dos cacerolas de las que salía doble olor a estofado de conejo y a caldereta de pescado que alegraba el olfato. Además, lo alto de un secreter y el mármol de una cómoda estaban cubiertos de botellas vacías.

A la vista de su amigo Porthos lanzó un gran grito de alegría y Mosquetón, levantándose respetuosamente, le cedió el sitio y fue a echar una ojeada a las cacerolas de las que parecía encargase particularmente.

-¡Ah! Pardiez sois vos - dijo Porthos a D'Artagnan ; sed bienvenidos, y excusadme si no voy hasta vos. Pero - añadió mirando a D'Artagnan con cierta inquietud - vos sabéis lo que me ha pasado.

-No.

-¿El hostelero no os ha dicho nada?

-Le he preguntado por vos y he subido inmediatamente.

Porthos pareció respirar con mayor libertad.

-¿Y qué os ha pasado, mi querido Porthos? - continuó D'Artagnan.

-Lo que me ha pasado fue que al lanzarme a fondo sobre mi adversario, a quien ya había dado tres estocadas, y con el que quería acabar de una cuarta, mi pie fue a chocar con una piedra y me torcí una rodilla.

-¿De verdad?

-¡Palabra de honor! Afortunadamente para el tunante, porque no lo habría dejado sino muerto en el sitio, os lo garantizo.

-¿Y qué fue de él?

-¡Oh, no sé nada! Ya tenía bastante, y se marchó sin pedir lo que faltaba; pero a vos, mi querido D'Artagnan, ¿qué os ha pasado?

-¿De modo, mi querido Porthos - continuó D'Artagnan-, que ese esguince os retiene en el lecho?

-¡Ah, Dios mío, sí, eso es todo! Por lo demás, dentro de pocos días ya estaré en pie.

-Entonces, ¿por qué no habéis hecho que os lleven a París? Debéis aburriros cruelmente aquí.

-Era mi intención, pero, querido amigo, es preciso que os confiese una cosa.

-Cuál?

-Es que, como me aburría cruelmente, como vos decís, y tenía en mi bolsillo las sesenta y cinco pistolas que vos me habéis dado, para distraerme hice subir a mi cuarto a un gentilhombre que estaba de paso y al cual propuse jugar una partidita de dados. El aceptó y, por mi honor, mis sesenta y cinco pistolas pasaron de mi bolso al suyo, además de mi caballo, que encima se llevó por añadidura. Pero ¿y vos, mi querido D'Artagnan?

-¿Qué queréis, mi querido Porthos? No se puede ser afortunado en todo - dijo D'Artagnan ; ya sabéis el proverbio: «Desgraciado en el juego, afortunado en amores.» Sois demasiado afortunado en amores para que el juego no se vengue; pero ¡qué os importan a vos los reveses de la fortuna! ¿No tenéis, maldito pillo que sois, no tenéis a vuestra duquesa, que no puede dejar de venir en vuestra ayuda?

-Pues bien, mi querido D'Artagnan, para que veáis mi mala suerte - respondió Porthos con el aire más desenvuelto del mundo-, le escribí que me enviase cincuenta luises, de los que estaba absolutamente necesitado dada la posición en que me hallaba...

-¿Y?

-Y... no debe estar en sus tierras, porque no - me ha contestado.

-¿De veras?

-Sí. Ayer incluso le dirigí una segunda epístola, más apremiante aún que la primera. Pero estáis vos aquí, querido amigo, hablemos de vos. Os confieso que comenzaba a tener cierta inquietud por culpa vuestra.

-Pero vuestro hostelero se ha comportado bien con vos, según parece, mi querido Porthos - dijo D'Artagnan señalando al enfermo las cacerolas llenas y las botellas vacías.

-¡Así, así! - respondió Porthos-. Hace tres o cuatro días que el impertinente me ha subido su cuenta, y yo les he puesto en la puerta, a su cuenta y a él, de suerte que estoy aquí como una especie de vencedor, como una especie de conquistador. Por eso, como veis, temiendo a cada momento ser violentado en mi posición, estoy armado hasta los dientes.

-Sin embargo - dijo riendo D'Artagnan-, me parece que de vez en cuando hacéis salidas.

Y señalaba con el dedo las botellas y las cacerolas.

-¡No yo, por desgracia! - dijo Porthos-. Este miserable esguince me retiene en el lecho; es Mosquetón quien bate el campo y trae víveres. Mosquetón, amigo mío - continuó Porthos-, ya veis que nos han llegado refuerzos, necesitaremos un suplemento de vituallas.

-Mosquetón - dijo D'Artagnan-, tendréis que hacerme un favor.

-¿Cuál, señor?

-Dad vuestra receta a Planchet; yo también podría encontrarme sitiado, y no me molestaría que me hicieran gozar de las mismas ventajas con que vos gratificáis a vuestro amo.

-¡Ay, Dios mío, señor! - dijo Mosquetón con aire modesto-. Nada más fácil. Se trata de ser diestro, eso es todo. He sido educado en el campo, y mi padre, en sus momentos de apuro, era algo furtivo.

-Y el resto del tiempo, ¿qué hacía?

-Señor, practicaba una industria que a mí siempre me ha parecido bastante afortunada.

-¿Cuál?

-Como era en los tiempos de las guerras de los católicos y de los hugonotes, y como él veía a los católicos exterminar a los hugonotes, y a los hugonotes exterminar a los católicos, y todo en nombre de la religión, se había hecho una creencia mixta, lo que le permitía ser tan pronto católico como hugonote. Se paseaba habitualmente, con la escopeta al hombro, detrás de los setos que bordean los caminos, y cuando veía venir a un católico solo, la religión protestante dominaba en su espíritu al punto. Bajaba su escopeta en dirección del viajero; luego, cuando estaba a diez pasos de él, entablaba un diálogo que terminaba casi siempre por el abandono que el viajero hacía de su bolsa para salvar la vida. Por supuesto, cuando veía venir a un hugonote, se sentía arrebatado por un celo católico tan ardiente que no comprendía cómo un cuarto de hora antes había podido tener dudas sobre la superioridad de nuestra santa religión. Porque yo, señor, soy católico; mi padre, fiel a sus principios, hizo a mi hermano mayor hugonote.

-¿Y cómo acabó ese digno hombre? - preguntó D'Artagnan.

-¡Oh! De la forma más desgraciada, señor. Un día se encontró cogido en una encrucijada entre un hugonote y un católico con quienes ya había tenido que vérselas y le reconocieron los dos, de suerte que se unieron contra él y lo colgaron de un árbol; luego vinieron a vanagloriarse del hermoso desatino que habían hecho en la taberna de la primera aldea, donde estábamos bebiendo nosotros, mi hermano y yo.

-¿Y qué hicisteis? - dijo D'Artagnan.

-Les dejamos decir - prosiguió Mosquetón-. Luego, como al salir de la taberna cada uno tomó un camino opuesto, mi hermano fue a emboscarse en el camino del católico, y yo en el del protestante. Dos horas después todo había acabado, nosotros les habíamos arreglado el asunto a cada uno, admirándonos al mismo tiempo de la previsión de nuestro pobre padre, que había tomado la precaución de educarnos a cada uno en una religión diferente.

-En efecto, como decís, Mosquetón, vuestro padre me parece que fue un mozo muy inteligente. ¿Y decís que, en sus ratos perdidos, el buen hombre era furtivo?

-Sí, señor, y fue él quien me enseñó a anudar un lazo y a colocar una caña. Por eso, cuando yo vi que nuestro bribón de hostelero nos alimentaba con un montón de viandas bastas, buenas sólo para patanes, y que no le iban a dos estómagos tan debilitados como los nuestros, me puse a recordar algo mi antiguo oficio. Al pasearme por los bosques del señor Principe, he tendido lazos en las pasadas; y si me tumbaba junto a los estanques de Su Alteza, he dejado deslizar sedas en sus aguas. De suerte que ahora, gracias a Dios, no nos faltan, como el señor puede asegurarse, perdices y conejos, carpas y anguilas, alimentos todos ligeros y sanos, adecuados para los enfermos.

-Pero ¿y el vino? - dijo D'Artagnan-. ¿Quién proporciona el vino? ¿Vuestro hostelero?

-Es decir, sí y no.

-¿Cómo sí y no?

-Lo proporciona él, es cierto, pero ignora que tiene ese honor.

-Explicaos, Mosquetón, vuestra conversación está llena de cosas instructivas.

-Mirad, señor. El azar hizo que yo encontrara en mis peregrinaciones a un español que había visto muchos países, y entre otros el Nuevo Mundo.

-¿Qué relación puede tener el Nuevo Mundo con las botellas que están sobre el secreter y sobre esa cómoda?

-Paciencia, señor, cada cosa a su tiempo.

-Es justo, Mosquetón; a vos me remito y escucho.

-Ese español tenía a su servicio un lacayo que le había acompañado en su viaje a México. El tal lacayo era compatriota mío, de suerte que pronto nos hicimos amigos, tanto más rápidamente cuanto que entre nosotros había grandes semejanzas de carácter. Los dos amamos la caza por encima de todo, de suerte que me contaba cómo, en las llanuras de las pampas, los naturales del país cazan al tigre y los toros con simples nudos corredizos que lanzan al cuello de esos terribles animales. Al principio yo no podía creer que se llegase a tal grado de destreza, de lanzar a veinte o treinta pasos el extremo de una cuerda donde se quiere; pero ante las pruebas había que admitir la verdad del relato. Mi amigo colocaba una botella a treinta pasos, y a cada golpe, cogía el gollete en un nudo corredizo. Yo me dediqué a este ejercicio, y como la naturaleza me ha dotado de algunas facultades, hoy lanzo el lazo tan bien como cualquier hombre del mundo. ¿Comprendéis ahora? Nuestro hostelero tiene una cava muy bien surtida, pero no deja un momento la llave; sólo que esa cava tiene un tragaluz. Y por ese tragaluz yo lanzo el lazo, y como ahora ya sé dónde está el buen rincón, lo voy sacando. Así es, señor, como el Nuevo Mundo se encuentra en relación con las botellas que hay sobre esa cómoda y sobre ese secreter. Ahora, gustad nuestro vino y sin prevención decidnos lo que pensáis de él.

-Gracias, amigo mío, gracias; desgraciadamente acabo de desayunar.

-¡Y bien! - dijo Porthos-. Ponte a la mesa, Mosquetón, y mientras nosotros desayunamos, D'Artagnan nos contará lo que ha sido de él desde hace ocho días que nos dejó.

-De buena gana - dijo D'Artagnan.

Mientras Porthos y Mosquetón desayunaban con apetito de convalecientes y con esa cordialidad de hermanos que acerca a los hombres en la desgracia, D'Artagnan contó cómo Aramis, herido, había sido obligado a detenerse en Crèvecceur, cómo había dejado a Athos debatirse en Amiens entre las manos de cuatro hombres que lo acusaban de monedero falso,y cómo él, D'Artagnan, se había visto obligado a pasar por encima del vientre del conde de Wardes para llegar a Inglaterra.

Pero ahí se detuvo la confidencia de D'Artagnan; anunció solamente que a su regreso de Gran Bretaña había traído cuatro caballos magníficos, uno para él y otro para cada uno de sus tres compañeros; luego terminó anunciando a Porthos que el que le estaba destinado se hallaba instalado en las cuadras del hostal.

En aquel momento entró Planchet; avisaba a su amo de que los caballos habían descansado suficientemente y que sería posible ir a dormir a Clermont.

Como D'Artagnan se hallaba más o menos tranquilo respecto a Porthos, y como esperaba con impaciencia tener noticias de sus otros dos amigos, tendió la mano al enfermo y le previno de que se pusiera en ruta para continuar sus búsquedas. Por lo demás, como contaba con volver por el mismo camino, si en siete a ocho días Porthos estaba aún en el hostal del Grand Saint Martin, lo recogería al pasar.

Porthos respondió que con toda probabilidad su esguince no le permitiría alejarse de allí. Además, tenía que quedarse en Chantilly para esperar una respuesta de su duquesa.

D'Artagnan le deseó una recuperación pronta y buena; y después de haber recomendado de nuevo Porthos a Mosquetón, y pagado su gasto al hostelero se puso en ruta con Planchet, ya desembarazado de uno de los caballos de mano.

La tesis de Aramis

D'Artagnan no había dicho a Porthos nada de su herida ni de su procuradora. Era nuestro bearnés un muchacho muy prudente, aunque fuera joven. En consecuencia, había fingido creer todo lo que le había contado el glorioso mosquetero, convencido de que no hay amistad que soporte un secreto sorprendido, sobre todo cuando este secreto afecta al orgullo; además, siempre se tiene cierta superioridad moral sobre aquellos cuya vida se sabe.

Y D'Artagnan, en sus proyectos de intriga futuros, y decidido como estaba a hacer de sus tres compañeros los instrumentos de su fortuna, D'Artagnan no estaba molesto por reunir de antemano en su mano los hilos invisibles con cuya ayuda contaba dirigirlos.

Sin embargo, a lo largo del camino, una profunda tristeza le oprimía el corazón; pensaba en aquella joven y bonita señora Bonacieux, que debía pagarle el precio de su adhesión; pero, apresurémonos a decirlo, aquella tristeza en el joven provenía no tanto del pesar de su felicidad perdida cuanto de la inquietud que experimentaba porque le pasase algo a aquella pobre mujer. Para él no había ninguna duda: era víctima de una venganza del cardenal y, como se sabe, las venganzas de Su Eminencia eran terribles. Cómo había encontrado él gracia a los ojos del ministro, es lo que él mismo ignoraba y sin duda lo que le hubiese revelado el señor de Cavois si el capitán de los guardias le hubiera encontrado en su casa.

Nada hace marchar al tiempo ni abrevia el camino como un pensamiento que absorbe en sí mismo todas las facultades del organismo de quien piensa. La existencia exterior parece entonces un sueño cuya ensoñación es ese pensamiento. Gracias a su influencia, el tiempo no tiene medida, el espacio no tiene distancia. Se parte de un lugar y se llega a otro, eso es todo. Del intervalo recorrido nada queda presente a vuestro recuerdo más que una niebla vaga en la que se borran mil imágenes confusas de árboles, de montañas y de paisajes. Fue así, presa de una alucinación, como D'Artagnan franqueó, al trote que quiso tomar su caballo, las seis a ocho leguas que separan Chantilly de Crèvecceur, sin que al llegar a esta ciudad se acordase de nada de lo que había encontrado en su camino.

Sólo allí le volvió la memoria, movió la cabeza, divisó la taberna en que había dejado a Aramis y, poniendo su caballo al trote, se detuvo en la puerta.

Aquella vez no fue un hostelero, sino una hostelera quien lo recibió; D'Artagnan era fisonomista, envolvió de una ojeada la gruesa cara alegre del ama del lugar, y comprendió que no había necesidad de disimular con ella ni había nada que temer de parte de una fisonomía tan alegre.

-Mi buena señora - le preguntó D'Artagnan-, ¿podríais decirme qué ha sido de uno de mis amigos, a quien nos vimos forzados a dejar aquí hace una docena de días?

-¿Un guapo joven de veintitrés a veinticuatro años, dulce, amable, bien hecho?

-¿Y además herido en un hombro?

-Eso es.

-Precisamente.

-Pues bien, señor sigue estando aquí.

-¡Bien, mi querida señora! - dijo D'Artagnan poniendo pie en tierra y lanzando la brida de su caballo al brazo de Planchet-. Me devolvéis la vida. ¿Dónde está mi querido Aramis, para que lo abrace? Porque, lo confieso, tengo prisa por volverlo a ver.

-Perdón, señor, pero dudo de que pueda recibiros en este momento.

-¿Y eso por qué? ¿Es que está con una mujer?

-¡Jesús! ¡No digáis eso! ¡El pobre muchacho! No, señor, no está con una mujer.

-Pues, ¿con quién entonces?

-Con el cura de Montdidier y el superior de los jesuitas de Amiens.

-¡Dios mío! - exclamó D'Artagnan-. El pobre muchacho está peor.

-No, señor, al contrario; pero a consecuencia de su enfermedad, la gracia le ha tocado y está decidido a entrar en religión.

-Es justo - dijo D'Artagnan-, había olvidado que no era mosquetero más que por ínterin.

-¿El señor insiste en verlo?

-Más que nunca.

-Pues bien, el señor no time más que tomar la escalera de la derecha en el patio, en el segundo, número cinco.

D'Artagnan se lanzó en la dirección indicada y encontró una de esas escaleras exteriores como las que todavía vemos hoy en los patios de los antiguos albergues. Pero no se llegaba así donde el futuro abad; el paso a la habitación de Aramis estaba guardado ni más ni menos que como los jardines de Armida; Bazin estaba en el corredor y le impidió el paso con tanta mayor intrepidez cuanto que, tras muchos años de pruebas, Bazin se veía por fin a punto de llegar al resultado que eternamente había ambicionado.

En efecto, el sueño del pobre Bazin había sido siempre el de servir a un hombre de iglesia, y esperaba con impaciencia el momento siempre entrevisto en el futuro en que Aramis tiraría por fin la casaca a las ortigas para tomar la sotana. La promesa renovada cada día por el joven de que el momento no podía tardar era lo único que lo había retenido al servicio del mosquetero, servicio en el cual, según decía, no podía dejar de perder su alma.

Bazin estaba, pues, en el colmo de la alegría. Según toda probabilidad, aquella vez su maestro no se desdiría. La reunión del dolor físico con el dolor moral había producido el efecto tanto tiempo deseado: Aramis, sufriendo a la vez del cuerpo y del alma, había posado por fin sus ojos y su pensamiento en la religión, y había considerado como una advertencia del cielo el doble accidente que le había ocurrido, es decir, la desaparición súbita de su amante y su herida en el hombro.

Se comprende que en la disposición en que se encontraba nada podía ser más desagradable para Bazin que la llegada de D'Artagnan, que podía volver a arrojar a su amo en el torbellino de las ideas mundanas que lo habían arrastrado durante tanto tiempo. Resolvió, pues, defender bravamente la puerta; y como, traicionado por la dueña del albergue, no podía decir que Aramis estaba ausente, trato de probar al recién llegado que sería el colmo de la indiscreción molestar a su amo durante la piadosa conferencia que había entablado desde la mañana y que, a decir de Bazin, no podía terminar antes de la noche.

Pero D'Artagnan no tuvo en cuenta para nada el elocuente discurso de maese Bazin, y como no se preocupaba de entablar polémica con el criado de su amigo, lo apartó simplemente con una mano y con la otra giró el pomo de la puerta número cinco.

La puerta se abrió y D'Artagnan penetró en la habitación.

Aramis, con un gabán negro, con la cabeza aderezada con una especie de tocado redondo y plano que no se parecía demasiado a un gorro estaba sentado ante una mesa oblonga cubierta de rollos de papel y de enormes infolios; a su derecha estaba sentado el superior de los jesuitas y a su izquierda el cura de Montdidier. Las cortinas estaban echadas a medias y no dejaban penetrar más que una luz misteriosa, aprovechada para una plácida ensoñación. Todos los objetos mundanos que pueden sorprender a la vista cuando se entra en la habitación de un joven, y sobre todo cuando ese joven es mosquetero, habían desaparecido como por encanto; y por miedo, sin duda, a que su vista no volviese a llevar a su amo a las ideas de este mundo, Bazin se había apoderado de la espada, las pistolas, el sombrero de pluma, los brocados y las puntillas de todo género y toda especie.

En su lugar y sitio D'Artagnan creyó vislumbrar en un rincón oscuro como una forma de disciplina colgada de un clavo de la pared.

Al ruido que hizo D'Artagnan al abrir la puerta, Aramis alzó la cabeza y reconoció a su amigo. Pero para gran asombro del joven, su vista no pareció producir gran impresión en el mosquetro, tan apartado estaba su espíritu de las cosas de la tierra.

-Buenos días, querido D'Artagnan - dijo Aramis ;creed que me alegro de veros.

-Y yo también - dijo D'Artagnan-, aunque todavía no esté muy seguro de que sea a Aramis a quien hablo.

-Al mismo, amigo mío, al mismo; pero ¿qué os ha podido hacer dudar?

-Tenía miedo de equivocarme de habitación, y he creído entrar en la habitación de algún hombre de iglesia; luego, otro error se ha apoderado de mí al encontraros en compañía de estos señores: que estuvieseis gravemente enfermo.

Los dos hombres negros lanzaron sobre D'Artagnan, cuya intención comprendieron, una mirada casi amenazadora; pero D'Artagnan no se inquietó por ella.

-Quizá os molesto, mi querido Aramis - continuó D'Artagnan - porque, por lo que veo, estoy tentado de creer que os confesáis a estos señores.

Aramis enrojeció perceptiblemente.

-¿Vos molestarme? ¡Oh! Todo lo contrario, querido amigo, os lo juro; y como prueba de lo que digo, permitidme que me alegre de veros sano y salvo.

«¡Ah, por fin se acuerda! - pensó D'Artagnan-. No va mal la cosa.»

-Porque el señor, que es mi amigo, acaba de escapar a un rudo peligro - continuó Aramis con unción, señalando con la mano a D'Artagnan a los dos eclesiásticos.

-Alabad a Dios, señor - respondieron éstos inclinándose al unísono.

-No he dejado de hacerlo, reverendos - respondió el joven devolviéndoles a su vez el saludo.

-Llegáis a propósito, querido D'Artagnan - dijo Aramis-, y vos vais a iluminarnos, tomando parte en la discusión, con vuestras lutes. El señor principal de Amiens, el señor cura de Montdidier y yo, argumentamos sobre ciertas cuestiones teológicas cuyo interés nos cautiva desde hace tiempo; yo estaría encantado de contar con vuestra opinión.

-La opinión de un hombre de espada carece de peso - respondió D'Artagnan, que comenzaba a inquietarse por el giro que tomaban las cosas-, y vos podéis ateneros, creo yo, a la ciencia de estos señores.

Los dos hombres negros saludaron a su vez.

-Al contrario - prosiguió Aramis-, y vuestra opinión nos será preciosa. He aquí de lo que se trata: el señor principal cree que mi tesis debe ser sobre todo dogmática y didáctica.

-¡Vuestra tesis! ¿Hacéis, pues, una tesis?

-Por supuesto - respondió el jesuita ; para el examen que precede a la ordenación, es de rigor una tesis.

-¡La ordenación! - exclamó D'Artagnan, que no podía creer en lo que le habían dicho sucesivamente la hostelera y Bazin-. ¡La ordenación!

Y paseaba sus ojos estupefactos sobre los tres personajes que tenía delante de sí.

-Ahora bien - continuó Aramis tomando en su butaca la misma pose graciosa que hubiera tornado de estar en una callejuela, y examinando con complaciencia su mano Blanca y regordeta como mano de mujer, que tenía en el aire para hacer bajar la sangre ; ahora bien, como habéis oído, D'Artagnan, el señor principal quisiera que mi tesis fuera dogmática, mientras que yo querría que fuese ideal. Por eso es por lo que el señor principal me proponía ese punto que no ha sido aún tratado, en el cual reconozco que hay materia para desarrollos magníficos:

«Utraque manus in benedicendo clericis inferioribus necessaria est.»

D'Artagnan, cuya erudición conocemos, no parpadeó ante esta cita más de lo que había hecho el señor de Tréville a propósito de los presentes que pretendía D'Artagnan haber recibido del señor de Buckingham.

-Lo cual quiere decir - prosiguió Aramis para facilitarle las cosas : las dos manos son indispensables a los sacerdotes de órdenes inferiores cuando dan la bendición.

-¡Admirable tema! - exclamó el jesuita.

-¡Admirable y dogmático! - repitió el cura, que de igual fuerza aproximadamente que D'Artagnan en latín, vigilaba cuidadosamente al jesuita para pisarle los talones y repetir sus palabras como un eco.

En cuanto a D'Artagnan, permaneció completamente indiferente al entusiasmo de los dos hombres negros.

-¡Sí, admirable! ¡Prorsus admirabile! - continuó Aramis-. Pero exige un estudio en profundidad de los Padres de la Iglesia y de las Escrituras. Ahora bien, yo he confesado a estos sabios eclesiásticos, y ello con toda humildad, que las vigilias de los cuerpos de guardia y el servicio del rey me habían hecho descuidar algo el estudio. Me encontraría, pues, más a mi gusto, facilius natans, en un tema de mi elección, que sería a esas rudas cuestiones teológicas lo que la moral es a la metafísica en filosofía.

D'Artagnan se aburría profundamente, el cura también.

-¡Ved qué exordio! - exclamó el jesuita.

-Exordium - repitió el cura por decir algo.

-Quemadmodum inter coelorum inmensitatem-.

Aramis lanzó una ojeada hacia el lado de D'Artagnan y vio que su amigo bostezaba hasta desencajarse la mandíbula.

-Hablemos francés, padre mío - le dijo al jesuita-. El señor D'Artagnan gustará con más viveza de nuestras palabras.

-Sí, yo estoy cansado de la ruta - dijo D'Artagnan-, y todo ese latín se me escapa.

-De acuerdo - dijo el jesuita un poco despechado, mientras el cura, transportado de gozo, volvía hacia D'Artagnan una mirada llena de agradecimiento ; bien, ved el partido que se sacaría de esa glosa.

-Moisés, servidor de Dios... no es más que servidor, oídlo bien. Moisés bendice con las manos; se hace sostener los dos brazos, mientras los hebreos baten a sus enemigos; por tanto, bendice con las dos manos. Además que el Evangelio dice: Imponite manus, y no monum; imponed las manos, y no la mano.

-Imponed las manos - repitió el cura haciendo un gesto.

-Por el contrario, a San Pedro, de quien los papas son sucesores - continuó el jesuita-, Porrigite digitos. Presentad los dedos, ¿estáis ahora?

-Ciertamente - respondió Aramis lleno de delectación-, pero el asunto es sutil.

-¡Los dedos! - prosiguió el jesuita - San Pedro bendice con los dedos. El papa bendice por tanto con los dedos también. Y ¿con cuántos dedos bendice? Con tres dedos: uno para el Padre, otro para el Hijo y otro para el Espíritu Santo.

Todo el mundo se persignó; D'Artagnan se creyó obligado a imitar aquel ejemplo.

-El papa es sucesor de San Pedro y representa los tres poderes divinos; el resto, ordines inferiores de la jerarquía eclesiástica, bendice en el nombre de los santos arcángeles y ángeles. Los clérigos más humildes, como nuestros diáconos y sacristanes, bendicen con los hisopos, que simulan un número indefinido de dedos bendiciendo. Ahí tenéis el tema simplificado, argumentum omni denudatum ornamento. Con eso yo haría - continuó el jesuita - dos volúmenes del tamaño de éste.

Y en su entusiamo, golpeaba sobre el San Crisóstomo infolio que hacía doblarse la mesa bajo su peso.

D'Artagnan se estremeció.

-Por supuesto - dijo Aramis-, hago justicia a las bellezas de semejante tesis, pero al mismo tiempo admito que es abrumadora para mí. Yo había escogido este texto: decidme, querido D'Artagnan, si no es de vuestro gusto: Non inutile est desiderium in oblatione, o mejor aún: Un poco de pesadumbre no viene mal en una ofrenda al Señor.

-¡Alto ahí! - exclamó el jesuita-. Esa tesis roza la herejía; hay una proposición casi semejante en el Augustinus del heresiarca Jansenius, cuyo libro antes o después será quemado por manos del verdugo. Tened cuidado, mi joven amigo; os inclináis, mi joven amigo, hacia las falsas doctrinas; os perderéis.

-Os perderéis - dijo el cura moviendo dolorosamente la cabeza.

-Tocáis en ese famoso punto del libre arbitrio que es un escollo mortal. Abordáis de frente las insinuaciones de los pelagianos y de los semipelagianos.

-Pero, reverendo... - repuso Aramis algo atarullado por la lluvia de argumentos que se le venía encima.

-¿Cómo probaréis - continuó el jesuita sin darle tiempo a hablar que se debe echar de menos el mundo que se ofrece a Dios? Escuchad este dilema: Dios es Dios, y el mundo es el diablo. Echar de menos al mundo es echar de menos al diablo; ahí tenéis mi conclusión.

-Es la mía también - dijo el cura.

-Pero, por favor... - dijo Aramis.

-¡Desideras diabolum, desgraciado! - exclamó el jesuita.

-¡Echa de menos al diablo! Ah, mi joven amigo - prosiguió el cura gimiendo-, no echéis de menos al diablo, soy yo quien os lo suplica.

D'Artagnan creía volverse idiota; le parecía estar en una casa de locos y que iba a terminar loco como los que veía. Sólo que estaba forzado a callarse por no comprender nada de la lengua que se hablaba ante él.

-Pero escuchadme - prosiguió Aramis con una cortesía bajo la que comenzaba a apuntar un poco de impaciencia ; yo no digo que eche de menos; no, yo no pronunciaría jamás esa frase, que no sería ortodoxa...

El jesuita levantó los brazos al cielo y el cura hizo otro tanto.

-No, pero convenid al menos que no admite perdón ofrecer al Señor aquello de lo que uno está completamente harto. ¿Tengo yo razón, D'Artagnan?

-¡Yo así lo creo! - exclamó éste.

El cura y el jesuita dieron un salto sobre sus sillas.

-Aquí tenéis mi punto de partida, es un silogismo: el mundo no carece de atractivos, dejo el mundo; por tanto hago un sacrificio; ahora bien, la Escritura dice positivamente: Haced un sacrificio al Señor.

-Eso es cierto - dijeron los antagonistas.

-Y además - continuó Aramis pellizcándose la oreja para volverla roja, de igual modo que agitaba las manos para volverlas blancas-, además he hecho cierto rondel que le comuniqué al señor Voiture el año pasado, y sobre el cual ese gran hombre me hizo mil cumplidos.

-¡Un rondel! - dijo desdeñosamente el jesuita.

-¡Un rondel! - dijo maquinalmente el cura.

-Decidlo, decidlo - exclamó D'Artagnan ; cambiará un poco las cosas.

-No, porque es religioso - respondió Aramis-, y es teología en verso.

-¡Diablos! - exclamó D'Artagnan.

-Helo aquí - dijo Aramis con aire modesto que no estaba exento de cierto tinte de hipocresía:

Los que un pasado lleno de encantos lloráis,

y pasáis días desgraciados,

todas uuestras desgracias habrán terminado

cuando sólo a Dios vuestras lágrimas ofrezcáis,

vosotros, los que lloráis.

D'Artagnan y el cura parecieron halagados. El jesuita persistió en su opinión.

-Guardaos del gusto profano en el estilo teológico. ¿Qué dice en efecto San Agustín? Severus sit clericorum sermo.

-¡Sí, que el sermón sea claro! - dijo el cura.

-Pero - se apresuró a añadir el jesuita viendo que su acólito se desviaba-, vuestra tesis agradará a las damas, eso es todo; tendrá el éxito de un alegato de maese Patru.

-¡Plega a Dios! - exclamó Aramis transportado.

-Ya lo veis - exclamó el jesuita-, el mundo habla todavía en vos en voz alta, altissima voce. Seguís al mundo, mi joven amigo, y tiemblo porque la gracia no sea eficaz.

-Tranquilizaos, reverendo, respondo de mí.

-¡Presunción mundana!

-¡Me conozco, padre mío, mi resolución es irrevocable!

-Entonces, ¿os obstináis en seguir con esa tesis,

-Me siento llamado a tratar esa tesis, y no otra; voy, pues, a continuarla, y mañana espero que estaréis satifescho de las correcciones que haré según vuestros consejos.

-Trabajad lentamente - dijo el cura-, os dejamos en disposiciones excelentes.

-Sí, el terreno está completamente sembrado - dijo el jesuita-, y no tenemos que temer que una parte del grano haya caído sobre la piedra, otra al lado del camino, y que los pájaros del cielo hayan comido el resto, aves coeli comederunt illam.

-¡Que la peste lo ahogue con tu latín! - dijo D'Artagnan, que se sentía en el límite de sus fuerzas.

-Adiós, hijo mío - dijo el cura-, hasta mañana.

-Hasta mañana, joven temerario - dijo el jesuita ; prometéis ser una de las lumbreras de la Iglesia; ¡quiera el cielo que esa luz no sea un fuego devorador!

D'Artagnan, que durante una hora se había mordido las uñas de impaciencia, empezaba a atacar la carne.

Los dos hombres negros se levantaron, saludaron a Aramis y a D'Artagnan, y avanzaron hacia la puerta. Bazin, que se había quedado de pie y que había escuchado toda aquella controversia con un piadoso júbilo, se lanzó hacia ellos, tomó el breviario del cura, el misal del jesuita y caminó respetuosamente delante de ellos para abrirles paso.

Aramis los condujo hasta el comienzo de la escalera y volvió a subir junto a D'Artagnan, que seguía pensando.

Una vez solos, los dos amigos guardaron primero un silencio embarazoso; sin embargo era preciso que uno de ellos rompiese a hablar, y como D'Artagnan parecía decidido a dejar este honor a su amigo:

-Ya lo veis - dijo Aramis-, me encontráis vuelto a mis ideas fundamentales.

-Sí, la gracia eficaz os ha tocado, como decía ese señor hace un momento.

-¡Oh! Estos planes de retiro están hechos hace mucho tiempo; y vos ya me habíais oído hablar, ¿no es eso, amigo mío?

-Claro, pero confieso que creí que bromeabais.

-¡Con esa clase de cosas! ¡Vamos, D'Artagnan!

-¡Maldita sea! También se bromea con la muerte.

-Y se comete un error, D'Artagnan, porque la muerte es la puerta que conduce a la perdición o a la salvación.

-De acuerdo, pero si os place, no teologicemos, Aramis; debéis tener bastante para el resto del día; en cuanto a mí, yo he olvidado el poco latín que jamás supe; además debo confesaros que no he comido nada desde esta mañana a las diez, y que tengo un hambre de todos los diablos.

-Ahora mismo comeremos, querido amigo; sólo que, como sabéis, es viernes, y en un día así yo no puedo ver ni comer carne. Si queréis contentaros con mi comida... se compone de tetrágonos cocidos y fruta.

-¿Qué entendéis con tetrágonos? - preguntó D'Artagnan con inquietud.

-Entiendo espinacas - repuso Aramis ; pero para vos añadiré huevos, y es una grave infracción de la regla, porque los huevos son carne, dado que engendran el pollo.

-Ese festín no es suculento, pero no importa; por estar con vos, lo sufriré.

-Os quedo agradecido por el sacrificio - dijo Aramis ; pero si no aprovecha a nuestro cuerpo, aprovechará, estad seguro, a vuestra alma.

-O sea que, decididamente, Aramis, entráis en religión. ¿Qué van a decir nuestros amigos, qué va a decir el señor de Tréville? Os tratarán de desertor, os prevengo.

-Yo no entro en religión, vuelvo a ella. Es de la iglesia de la que había desertado por el mundo, porque como sabéis tuve que violentarme para tomar la casaca de mosquetero.

-Yo no sé nada.

-¿Ignoráis vos cómo dejé el seminario?

-Completamente.

-Aquí tenéis mi historia; por otra parte las Escrituras dicen: «Confesaos los unos a los otros», y yo me confieso a vos, D'Artagnan.

-Y yo os doy la absolución de antemano, ya veis que soy bueno.

-No os burléis de las cosas santas, amigo mío.

-Vamos hablad, hablad, os escucho.

-Yo estaba en el seminario desde la edad de nueve años, y dentro de tres días iba a cumplir veinte, iba a ser abate y todo estaba dicho. Una tarde en que estaba, según mi costumbre, en una casa que frecuentaba con placer (uno es joven, ¡qué queréis, somos débiles! ), un oficial que me miraba con ojos celosos leer las Vidas de los santos a la dueña de la casa, entró de pronto y sin ser anunciado. Precisamente aquella tarde yo había traducido un episodio de Judith y acababa de comunicar mis versos a la dama que me hacía toda clase de cumplidos e, inclinada sobre mi hombro, los releía conmigo. La postura, que quizá era algo abandonada, lo confieso, molestó al oficial; no dijo nada, pero cuando yo salí, salió detrás de mí y al alcanzarme dijo: «Señor abate, ¿os gustan los bastonazos?» «No puedo decirlo, señor, respondí, porque nadie ha osado nunca dármelos.» «Pues bien, escuchadme, señor abate, si volvéis a la casa en que os he encontrado esta tarde, yo osaré.» Creo que tuve miedo, me puse muy pálido, sentí que las piernas me abandonaban, busqué una respuesta que no encontré, me callé. El oficial esperaba aquella respuesta y, viendo que tardaba, se puso a reír, me volvió la espalda y volvió a entrar en la casa. Yo volví al seminario. Soy buen gentilhombre y tengo la sangre ardiente, como habéis podido observar, mi querido D'Artagnan; el insulto era terrible, y por desconocido que hubiera quedado para el resto del mundo, yo lo sentía vivir y removerse en el fondo de mi corazón. Declaré a mis superiores que no me sentía suficientemente preparado para la ordenación, y a petición mía se pospuso la ceremonia por un año. Fui en busca del mejor maestro de armas de Paris, quedé de acuerdo con él para tomar una lección de esgrima cada día, y durante un año tome aquella lección. Luego, el aniversario de aquél en que había sido insultado, colgé mi sotana de un clavo, me puse un traje completo de caballero y me dirigí a un baile que daba una dama amiga mía, donde yo sabía que debía encontrarse mi hombre. Era en la calle des Francs-Burgeois, al lado de la Force. En efecto, mi oficial estaba allí, me acerqué a él, que cantaba un lai de amor mirando tiernamente a una mujer, y le interrumpí en medio de la segunda estrofa. «Señor, ¿os sigue desagradando que yo vuelva a cierta casa de la calle Payenne, y volveréis a darme una paliza si me entra el capricho de desobedeceros?» El oficial me miró con asombro, luego me dijo: «¿Qué queréis, señor? No os conozco.» «Soy - le respondí - el pequeño abate que lee las Vidas de santos y que traduce Judith en verso.» «¡Ah, ah! Ya me acuerdo - dijo el oficial con sorna-. ¿Qué queréis?» «Quisiera que tuvierais tiempo suficiente para dar una vuelta paseando conmigo.» «Mañana por la mañana, si queréis, y será con el mayor placer.» «Mañana por la mañana, no; si os place, ahora mismo.» «Si lo exigís...» «Pues sí, lo exijo.» «Entonces, salgamos. Señoras - dijo el oficial-, no os molestéis. El tiempo de matar al señor solamente y vuelvo para acabaros la última estrofa. » Salimos. Yo le llevé a la calle Payenne justo al lugar en que un año antes a aquella misma hora me había hecho el cumplido que os he relatado. Hacía un clara de luna soberbio. Sacamos las espadas y, al primer encuentro, le deje en el sitio.

-¡Diablos! - exclamó D'Artagnan.

-Pero - continuó Aramis - como las damas no vieron volver a su cantor y se le encontró en la calle Payenne con una gran estocada atravesándole el cuerpo, se pensó que había sido yo poque lo había aderezado así, y el asunto terminó en escándalo. Me vi obligado a renunciar por algún tiempo a la sotana. Athos, con quien hice conocimiento en esa época, y Porthos, que me había enseñado, además de algunas lecciones de esgrima, algunas estocadas airosas, me decidieron a pedir una casaca de mosquetero. El rey había apreciado mucho a mi padre, muerto en el sitio de Arras, y me concedieron esta casaca. Como comprenderéis hoy ha llegado para mí el momento de volver al seno de la Iglesia.

-¿Y por qué hoy en vez de ayer o de mañana? ¿Qué os ha pasado hoy que os da tan malas ideas?

-Esta herida, mi querido D'Artagnan, ha sido para mí un aviso del cielo.

-¿Esta herida? ¡Bah, está casi curada y estoy seguro de que no es ella la que más os hace sufrir!

-¿Cuál entonces? - preguntó Aramis enrojeciendo.

-Tenéis una en el corazón, Aramis, unas más viva y más sangrante, una herida hecha por una mujer.

Los ojos de Aramis destellaron a pesar suyo.

-¡Ah! - dijo disimulando su emoción bajo una fingida negligencia-. No habléis de esas cosas. ¡Pensar yo en eso! ¡Tener yo penas de amor! ; ¡Vanitas vanitatum! Me habría vuelto loco, en vuestra opinión. ¿Y por quién? Por alguna costurerilla, por alguna doncella a quien habría hecho la corte en alguna guarnición. ¡Fuera!

-Perdón, mi querido Aramis, pero yo creía que apuntabais más alto.

-¿Más alto? ¿Y quién soy yo para tener tanta ambición? ¡Un pobre mosquetero muy bribón y muy oscuro que odia las servidumbres y se encuentra muy desplazado en el mundo!

-¡Aramis, Aramis! - exclamó D'Artagnan mirando a su amigo con aire de duda.

-Polvo, vuelvo al polvo. La vida está llena de humillaciones y de dolores - continuó ensombreciéndose ; todos los hilos que la atan a la felicidad se rompen una vez tras otra en la mano del hombre, sobre todo los hilos de oro. ¡Oh, mi querido D'Artagnan! - prosiguió Aramis dando a su vez un ligero tinte de amargura-. Creedme, ocultad bien vuestras heridas cuando las tengáis. El silencio es la última alegría de los desgraciados; guardaos de poner a alguien, quienquiera que sea, tras la huella de vuestros dolores; los curiosos empapan nuestras lágrimas como las moscas sacan sangre de un gamo herido.

-¡Ay, mi querido Aramis! - dijo D'Artagnan lanzando a su vez un profundo suspiro-. Es mi propia historia la que aquí resumís.

-¿Cómo?,

-Sí, una mujer a la que amaba, a la que adoraba, acaba de serme raptada a la fuerza. Yo no sé dónde está, dónde la han llevado; quizá esté prisionera, quizá esté muerta.

-Pero vos al menos tenéis el consuelo de deciros que no os ha abandonado voluntariamente; que si no tenéis noticias suyas es porque toda comunicación con vos le está prohibida, mientras que...

-Mientras que...

-Nada - respondió Aramis-, nada.

-De modo que renunciáis al mundo; ¿es una decisión tomada, una resolución firme?

-Para siempre. Vos sois mi amigo, mañana no seréis para mí más que una sombra; o mejor aún, no existiréis. En cuanto al mundo, es un sepulcro y nada más.

-¡Diablos! Es muy triste lo que me decís.

-¿Qué queréis? Mi vocación me atrae, ella me lleva.

D'Artagnan sonrió y no respondió nada. Aramis continuó:

-Y sin embargo, mientras permanezco en la tierra, habría querido hablar de vos, de nuestros amigos.

-Y yo - dijo D'Artagnan - habría querido hablaros de vos mismo, pero os veo tan separado de todo; los amores los habéis despechado; los amigos, son sombras; el mundo es un sepulcro.

-¡Ay! Vos mismo podréis verlo - dijo Aramis con un suspiro.

-No hablemos, pues, más - dijo D'Artagnan-, y quememos esta carta que, sin duda, os anunciaba alguna nueva infelicidad de vuestra costurerilla o de vuestra doncella.

-¿Qué carta? - exclamó vivamente Aramis.

-Una carta que había llegado a vuestra casa en vuestra ausencia y que me han entregado para vos.

-¿Pero de quién es la carta?

-¡Ah! De alguna doncella afligida, de alguna costurerilla desesperada; la doncella de la señora de Chevreuse quizá, que se habrá visto obligada a volver a Tours con su ama y que para dárselas de peripuesta habrá cogido papel perfumado y habrá sellado su carta con una corona de duquesa.

-¿Qué decís?

-¡Vaya, la habré perdido! - dijo hipócritamente el joven fingiendo buscarla-. Afortunadamente el mundo es un sepulcro y por tanto las mujeres son sombras, y el amor un sentimiento al que decís ¡fuera!

-¡Ah, D'Artagnan, D'Artagnan! - exclamó Aramis-. Me haces morir.

-Bueno, aquí está - dijo D'Artagnan.

Y sacó la carta de su bolsillo.

Aramis dio un salto, cogió la carta, la leyó o, mejor, la devoró; su rostro resplandecía.

-Parece que la doncella tiene un hermoso estilo - dijo indolentemente el mensajero.

-Gracias, D'Artagnan - exclamó Aramis casi en delirio-. Se ha visto obligada a volver a Tours; no me es infiel, me ama todavía. Ven, amigo mío, ven que te abrace; ¡la dicha me ahoga!

Y los dos amigos se pusieron a bailar en torno del venerable San Crisóstomo, pisoteando buenamente las hojas de la tesis que habían rodado sobre el suelo.

En aquel momento entró Bazin con las espinacas y la tortilla.

-¡Huye, desgraciado! - exclamó Aramis arrojándole su gorra al rostro-. Vuélvete al sitio de donde vienes, llévate esas horribles legumbres y esos horrorosos entremeses. Pide una liebre mechada, un capón gordo, una pierna de cordero al ajo y cuatro botellas de viejo borgoña.

Bazin, que miraba a su amo y que no comprendía nada de aquel cambio, dejó deslizarse melancólicamente la tortilla en las espinacas, y las espinacas en el suelo.

-Este es el momento de consagrar vuestra existencia al Rey de Reyes - dijo D'Artagnan-, si es que tenéis que hacerle una cortesía: Non inutile desiderium in oblatione.

-¡Idos al diablo con vuestro latín! Mi querido D'Artagran, bebamos, maldita sea, bebamos mucho, y contadme algo de lo que pasa por ahí.

La mujer de Athos

-Ahora sólo queda saber nuevas de Athos - dijo D'Artagnan al fogoso Aramis, una vez que lo hubo puesto al corriente de lo que había pasado en la capital después de su partida, y mientras una excelente comida hacía olvidar a uno su tesis y al otro su fatiga.

-¿Creéis, pues, que le habrá ocurrido alguna desgracia? –preguntó Aramis-. Athos es tan frío, tan valiente y maneja tan hábilmente su espada...

-Sí, sin duda, y nadie reconoce más que yo el valor y la habilidad de Athos; pero yo prefiero sobre mi espada el choque de las lanzas al de los bastones; temo que Athos haya sido zurrado por el hatajo de lacayos, los criados son gentes que golpean fuerte y que no terminan pronto. Por eso, os lo confieso, quisiera partir lo antes posible.

-Yo trataré de acompañaros - dijo Aramis-, aunque aún no me siento en condiciones de montar a caballo. Ayer ensayé la disciplina que veis sobre ese muro, y el dolor me impidió continuar ese piadoso ejercicio.

-Es que, amigo mío, nunca se ha visto intentar curar un escopetazo a golpes de disciplina; pero estabais enfermo, y la enfermedad debilita la cabeza, lo que hace que os excuse.

-¿Y cuándo partís?

-Mañana, al despuntar el alba; reposad lo mejor que podáis esta noche y mañana, si podéis, partiremos juntos.

-Hasta mañana, pues - dijo Aramis ; porque por muy de hierro que seáis, debéis tener necesidad de reposo.

Al día siguiente, cuando D'Artagnan entró en la habitación de Aramis, lo encontró en su ventana.

-¿Qué miráis ahí? - preguntó D'Artagnan.

-¡A fe mía! Admiro esos tres magníficos caballos que los mozos de cuadra tienen de la brida; es un placer de príncipe viajar en semejantes monturas.

-Pues bien, mi querido Aramis, os daréis ese placer, porque uno de esos caballos es para vos.

-¡Huy! ¿Cuál?

-El que queráis de los tres, yo no tengo preferencia.

-¿Y el rico caparazón que te cubre es mío también?

-Claro.

-¿Queréis reiros, D'Artagnan?

-Yo no río desde que vos habláis francés.

-¿Son para mí esas fundas doradas, esa gualdrapa de terciopelo, esa silla claveteada de plata?

-Para vos, como el caballo que piafa es para mí, y como ese otro caballo que caracolea es para Athos.

-¡Peste! Son tres animales soberbios.

-Me halaga que sean de vuestro gusto.

-¿Es el rey quien os ha hecho ese regalo?

-A buen seguro que no ha sido el cardenal; pero no os preocupéis de dónde vienen, y pensad sólo que uno de los tres es de vuestra propiedad.

-Me quedo con el que lleva el mozo de cuadra pelirrojo.

-¡De maravilla!

-¡Vive Dios! - exclamó Aramis-. Eso hace que se me pase lo que quedaba de mi dolor; me montaría en él con treinta balas en el cuerpo. ¡Ah, por mi alma, qué bellos estribos! ¡Hola! Bazin, ven acá ahora mismo.

Bazin apareció, sombrío y lánguido, en el umbral de la puerta.

-¡Bruñid mi espada enderezad mi sombrero de fieltro, cepillad mi capa y cargad mis pistolas! - dijo Aramis.

-Esta última recomendación es inútil - interrumpió D'Artagnan ; hay pistolas cargadas en vuestras fundas.

Bazin suspiró.

-Vamos, maese Bazin, tranquilizaos - dijo D'Artagnan ; se gana el reino de los cielos en todos los estados.

-¡El señor era ya tan buen teólogo! - dijo Bazin casi llorando-. Hubiera llegado a obispo y quizá a cardenal.

-Y bien, mi pobre Bazin, veamos, reflexiona un poco: ¿para qué sirve ser hombre de iglesia, por favor? No se evita con ello ir a hacer la guerra; como puedes ver, el cardenal va a hacer la primera campaña con el casco en la cabeza y la partesana al puño; y el señor de Nagret de La Valette, ¿qué me dices? También es cardenal; pregúntale a su lacayo cuántas veces tiene que vendarle.

-¡Ay! - suspiró Bazin-. Ya lo sé, señor, todo está revuelto en este mundo de hoy.

Durante este tiempo, los dos jóvenes y el pobre lacayo habían descendido.

-Tenme el estribo, Bazin - dijo Aramis.

Y Aramis se lanzó a la silla con su gracia y su ligereza ordinarias; pero tras algunas vueltas y algunas corvetas del noble animal, su caballero se resintió de dolores tan insoportables que palideció y se tambaleó. D'Artagnan, que en previsión de este accidente no lo había perdido de vista, se lanzó hacia él, lo retuvo en sus brazos y lo condujo a su habitación.

-Está bien, mi querido Aramis, cuidaos - dijo-, iré sólo en busca de Athos.

-Sois un hombre de bronce - le dijo Aramis.

-No, tengo suerte, eso es todo; pero ¿cómo vais a vivir mientras me esperáis? Nada de tesis, nada de glosas sobre los dedos y las bendiciones, ¿eh?

Aramis sonrió.

-Haré versos - dijo.

-Sí, versos perfumados al olor del billete de la doncella de la señora de Chevreuse. Enseñad, pues, prosodia a Bazin, eso le consolará. En cuanto al caballo, montadlo todos los días un poco, y eso os habituará a las maniobras.

-¡Oh, por eso estad tranquilo! - dijo Aramis-. Me encontraréis dispuesto a seguiros.

Se dijeron adiós y, diez minutos después, D'Artagnan, tras haber recomendado su amigo a Bazin y a la hostelera, trotaba en dirección de Amiens.

¿Cómo iba a encontrar a Athos? ¿Lo encontraría acaso?

La posición en la que lo había dejado era crítica; bien podía haber sucumbido. Aquella idea, ensombreciendo su frente, le arrancó algunos suspiros y le hizo formular en voz baja algunos juramentos de venganza. De todos sus amigos, Athos era el mayor y por tanto el menos cercano en apariencia en cuanto a gustos y simpatías.

Sin embargo, tenía por aquel gentilhombre una preferencia notable. El aire noble y distinguido de Athos, aquellos destellos de grandeza que brotaban de vez en cuando de la sómbra en que se encerraba voluntariamente, aquella inalterable igualdad de humor que le hacía el compañero más fácil de la tierra, aquella alegría forzada y mordaz, aquel valor que se hubiera llamado ciego si no fuera resultado de la más rara sangre fría, tantas cualidades cautivaban más que la estima, más que la amistad de D'Artagnan, cautivaban su admiración.

En efecto, considerado incluso al lado del señor de Tréville, el elegante cortesano Athos, en sus días de buen humor podía sostener con ventaja la comparación; era de talla mediana, pero esa talla estaba tan admirablemente cuajada y tan bien proporcionada que más de una vez, en sus luchas con Porthos, había hecho doblar la rodilla al gigante cuya fuerza física se había vuelto proverbial entre los mosqueteros; su cabeza, de ojos penetrantes, de nariz recta, de mentón dibujado como el de Bruto, tenía un carácter indefinible de grandeza y de gracia; sus manos, de las que no tenía cuidado alguno, causaban la desesperación de Aramis, que cultivaba las suyas con gran cantidad de pastas de almendras y de aceite perfumado; el sonido de su voz era penetrante y melodioso a la vez, y además, lo que había de indefinible en Athos, que se hacía siempre oscuro y pequeño, era esa ciencia delicada del mundo y de los usos de la más brillante sociedad, esos hábitos de buena casa que apuntaba como sin querer en sus menores acciones.

Si se trataba de una comida, Athos la ordenaba mejor que nadie en el mundo, colocando a cada invitado en el sitio y en el rango que le habían conseguido sus antepasados o que se había conseguido él mismo. Si se trataba de la ciencia heráldica, Athos conocía todas las familias nobles del reino, su genealogía, sus alianzas, sus armas y el origen de sus armas. La etiqueta no tenía minucias que le fuesen extrañas, sabía cuáles eran los derechos de los grandes propietarios, conocía a fondo la montería y la halconería y cierto día, hablando de ese gran arte, había asombrado al rey Luis XIII mismo, que, sin embargo, pasaba por maestro de la materia.

Como todos los grandes señores de esa época, montaba a caballo y practicaba la esgrima a la perfección. Hay más: su educación había sido tan poco descuidada, incluso desde el punto de vista de los estudios escolásticos, tan raros en aquella época entre los gentileshombres, que sonreía a los fragmentos de latín que soltaba Aramis y que Porthos fingía comprender; dos o tres veces incluso, para gran asombro de sus amigos, le había ocurrido, cuando Aramis dejaba escapar algún error de rudimento, volver a poner un verbo en su tiempo o un nombre en su caso. Además, su probidad era inatacable en ese siglo en que los hombres de guerra transigían tan fácilmente con su religión o su conciencia, los amantes con la delicadeza rigurosa de nuestros días y los pobres con el séptimo mandamiento de Dios. Era, pues, Athos un hombre muy extraordinario.

Y sin embargo, se veía a esta naturaleza tan distinguida, a esta criatura tan bella, a esta esencia tan fina, volverse insensiblemente hacia la vida material, como los viejos se vuelven hacia la imbecilidad física y moral. Athos, en sus horas de privación, y esas horas eran frecuentes, se apagaba en toda su parte luminosa, y su lado brillante desaparecía como en una profunda noche.

Entonces, desvanecido el semidiós, se convertía apenas en un hombre. Con la cabeza baja, los ojos sin brillo, la palabra pesada y penosa, Athos miraba durante largas horas bien su botella y su vaso, bien a Grimaud que, habituado a obedecerle por señas, leía en la mirada átona de su señor hasta el menor deseo, que satisfacía al punto. La reunión de los cuatro amigos había tenido lugar en uno de estos momentos: un palabra, escapada con un violento esfuerzo, era todo el contingente que Athos proporcionaba a la conversación. A cambio, Athos solo bebía por cuatro, y esto sin que se notase salvo por un fruncido del ceño más acusado y por una tristeza más profunda.

D'Artagnan, de quien conocemos el espíritu investigador y penetrante, por interés que tuviese en satisfacer su curiosidad sobre el tema, no había podido aún asignar ninguna causa a aquel marasmo, ni anotar las ocasiones. Jamás Athos recibía cartas, jamás Athos daba un paso que no fuera conocido por todos sus amigos.

No se podía decir que fuera el vino lo que le daba aquella tristeza, porque, al contrario, sólo bebía para olvidar esta tristeza, que este remedio, como hemos dicho, volvía más sombría aún. No se podía atribuir aquel exceso de humor negro al juego, porque al contrario de Porthos, quien acompañaba con sus cantos o con sus juramentos todas las variaciones de la suerte, Athos, cuando había ganado, permanecía tan impasible como cuando había perdido. Se le había visto, en el círculo de los mosqueteros, ganar una tarde tres mil pistolas y perder hasta el cinturón brocado de oro de los días de gala; volver a ganar todo esto adernás de cien luises más, sin que su hermosa ceja negra se hubiese levantado o bajado media línea, sin que sus manos perdiesen su matiz nacarado, sin que su conversación, que era agradable aquella tarde, cesase de ser tranquila y agradable.

No era tampoco, como en nuestros vecinos los ingleses, una influencia atmosférica la que ensombrecía su rostro, porque esa tristeza se hacía más intensa por regla general en los días calurosos del año; junio y julio eran los meses terribles de Athos.

Al presente no tenía penas, y se encogía de hombros cuando le hablaban del porvenir; su secreto estaba, pues, en el pasado, como le había dicho vagamente a D'Artagnan.

Aquel tinte misterioso esparcido por toda su persona volvía aún más interesante al hombre cuyos ojos y cuya boca, en la embriaguez más completa, jamás habían revelado nada, sea cual fuere la astucia de las preguntas dirigidas a él.

-¡Y bien! - pensaba D'Artagnan-. El pobre Athos está quizá muerto en este momento, y muerto por culpa mía, porque soy yo quien lo metió en este asunto, cuyo origen él ignoraba, y cuyo resultado ignorará y del que ningún provecho debía sacar.

-Sin contar, señor - respondió Panchet-, que probablemente le debemos la vida. Acordaos cuando gritó: «¡Largaos, D'Artagnan! Me han cogido»

Y después de haber descargado sus dos pistolas, ¡qué ruido terrible hacía con su espada! Se hubiera dicho que eran veinte hombres, o mejor, veinte diablos rabiosos.

Y estas palabras redoblaban el ardor de D'Artagnan, que aguijoneaba a su caballo, el cual sin necesidad de ser aguijoneado llevaba a su caballero al galope.

Hacia las once de la mañana divisaron Amiens; a las once y media estaban a la puerta del albergue maldito.

D'Artagnan había meditado contra el hostelero pérfido en una de esas buenas venganzas que consuelan, aunque no sea más que a la esperanza. Entró, pues, en la hostería, con el sombrero sobre los ojos, la mano izquierda en el puño de la espada y haciendo silbar la fusta con la mano derecha.

-¿Me conocéis? - dijo al hostelero, que avanzaba para saludarle.

-No tengo ese honor, monseñor - respondió aquél con los ojos todavía deslumbrados por el brillante equipo con que D'Artagnan se presentaba.

-¡Ah, conque no me conocéis!

-No, monseñor.

-Bueno, dos palabras os devolverán la memoria. ¿Qué habéis hecho del gentilhombre al que tuvisteis la audacia, hace quince días poco más o menos, de intentar acusarlo de moneda falsa?

El hostelero palideció, porque D'Artagnan había adoptado la actitud más amenazadora, y Panchet hacía lo mismo que su dueño.

-¡Ah, monseñor, no me habléis de ello! - exclamó el hostelero con su tono de voz más lacrimoso-. Ah, señor, cómo he pagado esa falta. ¡Desgraciado de mí!

-Y el gentilhombre, os digo, ¿qué ha sido de él?

-Dignaos escucharme, monseñor, y sed clemente. Veamos, sentaos, por favor.

D'Artagnan, mudo de cólera y de inquietud, se sentó amenazador como un juez. Planchet se pegó orgullosamente a su butaca.

-Esta es la historia, Monseñor - prosiguió el hostelero todo tembloroso-, porque os he reconocido ahora: fuisteis vos el que partió cuando yo tuve aquella desgraciada pelea con ese gentilhombre de que vos habláis.

-Sí, fui yo; así que, como veis, no tenéis gracias que esperar si no decís toda la verdad.

-Hacedme el favor de escucharme y la sabréis toda entera.

-Escucho.

-Yo había sido prevenido por las autoridades de que un falso monedero célebre llegaría a mi albergue con varios de sus compañeros, todos disfrazados con el traje de guardia o de mosqueteros. Vuestros caballos, vuestros lacayos, vuestra figura, señores, todo me lo habían pintado.

-¿Después, después? - dijo D'Artagnan, que reconoció en seguida de dónde procedían aquellas señas tan exactamente dadas.

-Tomé entonces, según las órdenes de la autoridad que me envió un refuerzo de seis hombres, las medidas que creí urgentes a fin de detener a los presuntos monederos falsos.

-¡Todavía! - dijo D'Artagnan a quien esta palabra de monedero falso calentaba terriblemente las orejas.

-Perdonadme, monseñor, por decir tales cosas, pero precisamente son mi excusa. La autoridad me había metido miedo, y vos sabéis que un alberguista debe tener cuidado con la autoridad.

-Pero una vez más, ese gentilhombre ¿dónde está? ¿Qué ha sido de él? ¿Está muerto? ¿Está vivo?

-Paciencia, monseñor, que ya llegamos. Sucedió, pues, lo que vos sabéis, y vuestra precipitada marcha - añadió el hostelero con una fineza que no escapó a D'Artagnan - parecía autorizar el desenlace. Ese gentilhombre amigo vuestro se defendió a la desesperada. Su criado, que por una desgracia imprevista había buscado pelea a los agentes de la autoridad, disfrazados de mozos de cuadra...

-¡Ah, miserable! - exclamó D'Artagnan-. Estabais todos de acuerdo, y no sé cómo me contengo y no os mato a todos.

-¡Ay! No, monseñor, no todos estábamos de acuerdo, y vais a verlo en seguida. El señor vuestro amigo (perdón por no llamarlo por el nombre honorable que sin duda lleva, pero nosotros ignoramos ese nombre), el señor vuestro amigo, después de haber puesto de combate a dos hombres de dos pistoletazos, se batió en retirada defendiéndose con su espada, con la que lisió incluso a uno de mis hombres, y con un cintarazo que me dejó aturdido.

-Pero, verdugo, ¿acabarás? - dijo D'Artagnan-. Athos, ¿qué ha sido de Athos?

-Al batirse en retirada, como he dicho, señor, encontró tras él la escalera de la bodega, y como la puerta estaba abierta, sacó la llave y se encerró dentro. Como estaban seguros de encontrarlo allí, lo dejaron en paz.

-Sí - dijo D'Artagnan-, no se trataba de matarlo, sólo querían hacerlo prisionero.

-¡Santo Dios! ¿Hacerlo prisionero, monseñor? El mismo se aprisionó, os lo juro. En primer lugar, había trabajado rudamente: un hombre estaba muerto de un golpe y otros dos heridos de gravedad. El muerto y los dos heridos fueron llevados por sus camaradas, y no he oído hablar nunca más de ellos, ni de unos ni de otros. Yo mismo, cuando recuperé el conocimiento, fui a buscar al señor gobernador, al que conté todo lo que había pasado, y al que pregunté qué debía hacer con el prisionero. Pero el señor gobernador fingió caer de las nubes; me dijo que ignoraba por completo a qué me refería, que las órdenes que habían llegado no procedían de él, y que si tenía la desgracia de decir a quienquiera que fuese que él estaba metido en toda aquella escaramuza, me haría prender. Parece que yo me había equivocado, señor, que había arrestado a uno por otro, y que al que debía arrestar estaba a salvo.

-Pero ¿Athos? - exclamó D'Artagnan, cuya impaciencia aumentaba por el abandono en que la autoridad dejaba el asunto-. ¿Qué ha sido de Athos?

-Como yo tenía prisa por reparar mis errores hacia el prisionero - prosiguió el alberguista-, me encaminé hacia la bodega a fin de devolverle la libertad. ¡Ay, señor, aquello no era un hombre, era un diablo! A la proposición de libertad, declaró que era una trampa que se le tendía y que antes de salir debía imponer sus condiciones. Le dije muy humildemente, porque ante sí mismo yo no disimulaba la mala situación en que me había colocado poniéndole la mano encima a un mosquetero de Su Majestad, le dije que yo estaba dispuesto a someterme a sus condiciones. «En primer lugar - dijo-, quiero que se me devuelva a mi criado completamente armado.» Nos dimos prisa por obedecer aquella orden porque, como comprenderá el señor, nosotros estábamos dispuesto a hacer todo lo que quisiera vuestro amigo. El señor Grimaud (él sí ha dicho su nombre, aunque no habla mucho), el señor Grimaud fue, pues, bajado a la bodega, herido como estaba; entonces su amo, tras haberlo recibido, volvió a atrancar la puerta y nos ordenó quedarnos en nuestra tienda.

-Pero ¿dónde está? - exclamó D'Artagnan-. ¿Dónde está Athos?

-En la bodega, señor.

-¿Cómo desgraciado, lo retenéis en la bodega desde entonces?

-¡Bondad divina! No señor. ¡Nosotros retenerlo en la bodega! ¡No sabéis lo que está haciendo en la bodega! ¡Ay si pudieseis hacerlo salir, señor, os quedaría agradecido toda mi vida, os adoraría como a un amo!

-Entonces, ¿está allí, allí lo encontraré?

-Sin duda, señor, se ha obstinado en quedarse. Todos los días se le pasa por el tragaluz pan en la punta de un horcón y carne cuando la pide, pero ¡ay!, no es de pan y de carne de lo que hace el mayor consumo. Una vez he tratado de bajar con dos de mis mozos, pero se ha encolerizado de forma terrible. He oído el ruido de sus pistolas, que cargaba, y de su mosquetón, que cargaba su criado. Luego, cuando le hemos preguntado cuáles eran sus intenciones, el amo ha respondido que tenía cuarenta disparos para disparar él y su criado, y que dispararían hasta el último antes de permitir que uno solo de nosotros pusiera el pie en la bodega. Entonces, señor, yo fui a quejarme al gobernador, el cual me respondió que no tenía sino lo que me merecía, y que esto me enseñaría a no insultar a los honorables señores que tomaban albergue en mi casa.

-¿De suerte que desde entonces?... - prosiguió D'Artagnan no pudiendo impedirse reír de la cara lamentable de su hostelero.

-De suerte que desde entonces, señor - continuó éste-, llevamos la vida más triste que se pueda ver; porque, señor, es preciso que sepáis que nuestras provisiones están en la bodega; allí está nuestro vino embotellado y nuestro vino en cubas, la cerveza, el aceite y las especias, el tocino y las salchichas; y como nos han prohibido bajar, nos hemos visto obligados a negar comida y bebida a los viajeros que nos llegan, de suerte que todos los días nuestra hostería se pierde. Una semana más con vuestro amigo en la bodega y estaremos arruinados.

-Y sería de justicia, bribón. ¿No se ve en nuestra cara que éramos gente de calidad y no falsarios, decid?

-Sí, señor, sí, tenéis razón - dijo el hostelero-, pero mirad, mirad cómo se cobra.

-Sin duda lo habrán molestado - dijo D'Artagnan.

-Pero tenemos que molestarlo - exclamó el hostelero ; acaban de llegarnos dos gentileshombres ingleses.

-¿Y?

-Pues que los ingleses gustan del buen vino, como vos sabéis, señor, y han pedido del mejor. Mi mujer habrá solicitado al señor Athos permiso para entrar y satisfacer a estos señores; y como de costumbre él se habrá negado. ¡Ay, bondad divina! ¡Ya tenemos otra vez escandalera!

En efecto, D'Artagnan oyó un gran ruido venir del lado de la bodega; se levantó, precedido por el hostelero, que se retorcía las manos, y seguido de - anchet, que llevaba su mosquetón cargado, se acercó al lugar de la escena.

Los dos gentileshombres estaban exasperados, habían hecho un largo viaje y se morían de hambre y de sed.

-Pero esto es una tiranía - exclamaban ellos en muy buen francés, aunque con acento extranjero-, que ese loco no quiera dejar a estas buenas gentes usar su vino. Vamos a hundir la puerta y, si está demasiado colérico, pues lo matamos.

-¡Mucho cuidado, señores! - dijo D'Artagnan sacando sus pistolas de su cintura-. Si os place, no mataréis a nadie.

-Bueno, bueno - decía detrás de la puerta la voz tranquila de Athos-, que los dejen entrar un poco a esos traganiños, y ya veremos.

Por muy valientes que parecían ser, los dos gentileshombres se miraron dudando; se hubiera dicho que había en aquella bodega uno de esos ogros famélicos, gigantescos héroes de las leyendas populares, cuya caverna nadie fuerza impunemente.

Hubo un momento de silencio, pero al fin los dos ingleses sintieron vergüenza de volverse atrás y el más osado de ellos descendió los cinco o seis peldaños de que estaba formada la escalera y dio a la puerta una patada como para hundir el muro.

-Planchet - dijo D'Artagnan cargando sus pistolas-, yo me encargo del que está arriba, encárgate tú del que está abajo. ¡Ah, señores, queréis batalla! Pues bien, vamos a dárosla.

-¡Dios mío! - exclamó la voz hueca de Athos-. Oigo a D'Artagnan, según me parece.

-En efecto - dijo D'Artagnan alzando la voz a su vez-, soy yo, amigo mío.

-¡Ah, bueno! Entonces - dijo Athos-, vamos a trabajar a esos derribapuertas.

Los gentileshombres habían puesto la espada en la mano, pero se encontraban cogidos entre dos fuegos; dudaron un instante todavía; pero, como en la primera ocasión, venció el orgullo y una segunda patada hizo tambalearse la puerta en toda su altura.

-Apártate, D'Artagnan, apártate - gritó Athos-, apártate, voy a disparar.

-Señores - dijo D'Artagnan, a quien la reflexión no abandonaba nunca-, señores, pensadlo. Paciencia, Athos. Os vais a meter en un mal asunto y vais a ser acribillados. Aquí, mi criado y yo que os soltaremos tres disparos; y otros tantos os llegarán de la bodega; además, todavía tenemos nuestras espadas, que mi amigo y yo, os lo aseguro, manejamos pasablemente. Dejadme que me ocupe de mis asuntos y los vuestros. Dentro de poco tendréis de beber, os doy mi palabra.

-Si es que queda - gruñó la voz burlona de Athos.

El hostelero sintió un sudor frío correr a lo largo de su espina.

-¿Cómo que si queda? - murmuró.

-¡Qué diablos! Quedara - prosguió D'Artagnan-, estad tránquilo, entre dos no se habrán bebido toda la bodega. Señores, devolved vuestras espadas a sus vainas.

-Bien. Y vos volved a poner vuestras pistolas en vuestro cinto.

-De buen grado.

Y D'Artagnan dio ejemplo. Luego, volviéndose hacia Planchet, le hizo señal de desarmar su mosquetón.

Los ingleses, convencidos, devolvieron gruñendo sus espadas a la vaina. Se les contó la historia del apasionamiento de Athos. Y como eran buenos gentileshombres, le quitaron la razón al hostelero.

-Ahora, señores - dijo D'Artagnan-, volved a vuestras habitaciones, y dentro de diez minutos os prometo que os llevarán cuanto podáis desear.

Los ingleses saludaron y salieron.

-Ahora estoy solo, mi querido Athos - dijo D'Artagnan-, abridme la puerta, por favor.

-Ahora mismo - dijo Athos.

Entonces se oyó un gran ruido de haces entrechocando y de vigas gimiendo: eran las contraescarpas y los bastiones de Athos que el sitiado demolía por sí mismo.

Un instante después, la puerta se tambaleó y se vio aparecer la cabeza pálida de Athos, quien con una ojeada rápida exploró los alrededores.

D'Artagnan se lanzó a su cuello y lo abrazó con ternura; luego quiso llevárselo fuera de aquel lugar húmedo; entonces se dio cuenta de que Athos vacilaba.

-¿Estáis herido? - le dijo.

-¡Yo, nada de eso! Estoy totalmente borracho eso es todo, y jamás hombre alguno ha tenido tanto como se necesitaba para ello. ¡Vive Dios! Hostelero, me parece que por lo menos yo solo me he bebido ciento cincuenta botellas.

-¡Misericordia! - exclamó el hostelero-. Si el criado ha bebido la mitad sólo del amo, estoy arruinado.

-Grimaud es un lacayo de buena casa, que no se habría permitido lo mismo que yo; él ha bebido de la tuba; vaya, creo que se ha olvidado de poner la espita. ¿Oís? Está corriendo.

D'Artagnan estalló en una carcajada que cambió el temblor del hostelero en fiebre ardiente.

Al mismo tiempo Grimaud apareció detrás de su amo, con el mosquetón al hombro la cabeza temblando como esos sátiros ebrios de los cuadros de Rubens. Estaba rociado por delante y por detrás de un licor pringoso que el hostelero reconoció en seguida por su mejor aceite de oliva.

El cortejo atravesó el salón y fue a instalarse en la mejor habitación del albergue, que D'Artagnan ocupó de manera imperativa.

Mientras tanto, el hostelero y su mujer se precipitaron con lámparas en la bodega, que les había sido prohibida durante tanto tiempo y donde un horroroso espectáculo los esperaba.

Más allá de las fortificaciones en las que Athos había hecho brecha para salir y que componían haces, tablones y toneles vacíos amontonados según todas las reglas del arte estratégico, se veían aquí y allá, nadando en mares de aceite y de vino, las osamentas de todos los jamones comidos, mientras que un montón de botellas rotas tapizaba todo el ángulo izquierdo de la bodega, y un tonel, cuya espita había quedado abierta, perdía por aquella abertura las últimas gotas de su sangre. La imagen de la devastación y de la muerte, como dice el poeta de la antigüedad, reinaba allí como en un campo de batalla.

De las cincuenta salchichas, apenas diez quedaban colgadas de las vigas.

Entonces los aullidos del hostelero y de la hostelera taladraron la bóveda de la bodega; hasta el mismo D'Artagnan quedó conmovido. Athos ni siquiera volvió la cabeza.

Pero al dolor sucedió la rabia. El hostelero se armó de una rama y, en su desesperación, se lanzó a la habitación donde los dos amigos se habían retirado.

-¡Vino! - dijo Athos al ver al hostelero.

-¿Vino? - exclamó el hostelero estupefacto-. ¿Vino? Os habéis bebido por valor de más de cien pistolas; soy un hombre arruinado, perdido aniquilado.

-¡Bah! - dijo Athos-. Nosotros seguimos con sed.

-Si os hubierais contentado con beber, todavía; pero habéis roto todas las botellas.

-Me habéis empujado sobre un montón que se ha venido abajo. Vuestra es la culpa.

-Todo mi aceite perdido!

-Él aceite es un bálsamo soberano para las heridas, y era preciso que el pobre Grimaud se curase las que vos le habéis hecho.

-¡Todos mis salchichones roídos!

-Hay muchas ratas en esa bodega.

-Vais a pagarme todo eso - exclamó el hostelero exasperado.

-¡Triple bribón! - dijo Athos levantándose. Pero volvió a caer en seguida; acababa de dar la medida de sus fuerzas. D'Artagnan vino en su ayuda alzando su fusta.

El hostelero retrocedió un paso y se puso a llorar a mares.

-Esto os enseñará - dijo D'Artagnan - a tratar de una forma más cortés a los huéspedes que Dios os envía...

-¿Dios? ¡Mejor diréis el diablo!

-Mi querido amigo - dijo D'Artagnan-, si seguís dándonos la murga, vamos a encerrarnos los cuatro en vuestra bodega a ver si el estropicio ha sido tan grande como decís.

-Bueno, señores - dijo el hostelero-, me he equivocado, lo confieso, pero todo pecado tiene su misericordia; vosotros sois señores, y yo soy un pobre alberguista, tened piedad de mí.

-Ah, si hablas así - dijo Athos-, vas a ablandarme el corazón, y las lágrimas van a correr de mis ojos como el vino corría de tus toneles. No era tan malo el diablo como lo pintan. Veamos, ven aquí y hablaremos.

El hostelero se acercó con inquietud.

-Ven, lo digo, y no tengas miedo - continuó Athos-. En el momento que iba a pagarte, puse mi bolsa sobre la mesa.

-Sí, monseñor.

-Aquella bolsa contenía sesenta pistolas, ¿dónde está?

-Depositada en la escribanía, monseñor; habían dicho que era moneda falsa.

-Pues bien, haz que te devuelvan mi bolsa, y quédate con las sesenta pistolas.

-Pero monseñor sabe bien que el escribano no suelta lo que coge. Si era moneda falsa todavía quedaría la esperanza; pero desgraciadamente son piezas buenas.

-Arréglatelas, mi buen hombre, eso no me afecta, tanto más cuanto que no me queda una libra.

-Veamos - dijo D'Artagnan-, el viejo caballo de Athos, ¿dónde está?

-En la cuadra.

-Cuánto vale?

-Cincuenta pistolas a lo sumo.

-Vale ochenta; quédatelo, y no hay más que hablar.

-¡Cómo! ¿Tú vendes mi caballo? - dijo Athos-. ¿Tú vendes mi Bayaceto? Y ¿en qué haré la guerra? ¿Encima de Grimaud?

-Te he traído otro - dijo D'Artagnan.

-¿Otro?

-¡Y magnífico! - exclamó el hostelero.

-Entonces, si hay otro más hermoso y más joven, quédate con el viejo y a beber.

-¿De qué? - preguntó el hostelero completamente sosegado.

-De lo que hay al fondo, junto a las traviesas; todavía quedan veinticinco botellas; todas las demás se rompieron con mi caída. Sube seis.

-¡Este hombre es una cuba! - dijo el hostelero para sí mismo-. Si se queda aquí quince días y paga lo que bebe, sacará a flote nuestros asuntos.

-Y no olvides - continuó D'Artagnan - de subir cuatro botellas semejantes para los dos señores ingleses.

-Ahora - dijo Athos-, mientras esperamos a que nos traigan el vino, cuéntame, D'Artagnan, qué ha sido de los otros; veamos.

D'Artagnan le contó cómo había encontrado a Porthos en su lecho con un esguince y a Aramis en su mesa con dos teólogos. Cuando acababa, el hostelero volvió con las botellas pedidas y un jamón que, afortunadamente para él, había quedado fuera de la bodega.

-Está bien - dijo Athos llenando su vaso y el de D'Artagnan por lo que se refiere a Porthos y Aramis; pero vos, amigo mío, ¿qué habéis hecho y qué os ha ocurrido a vos? Encuentro que tenéis un aire siniestro.

-¡Ay! - dijo D'Artagnan-. Es que soy el más desgraciado de todos nosotros.

-¡Tú desgraciado, D'Artagnan! - dijo Athos-. Veamos, ¿cómo eres desgraciado? Dime eso.

-Más tarde - dijo D'Artagnan.

-¡Más tarde! Y ¿por qué más tarde? ¿Porque crees que estoy borracho, D'Artagnan? Acuérdate siempre de esto: nunca tengo las ideas más claras que con el vino. Habla, pues, soy todo oídos.

D'Artagnan contó su aventura con la señora Bonacieux.

Athos escuchó sin pestañear; luego, cuando hubo acabado:

-Miserias todo eso - dijo Athos-, miserias.

Era la expresión de Athos.

-¡Siempre decís miserias, mi querido Athos! - dijo D'Artagnan-. Eso os sienta muy mal a vos, que nunca habéis amado.

El ojo muerto de Athos se inflamó de pronto, pero no fue más que un destello; en seguida se volvió apagado y vacío como antes.

-Es cierto - dijo tranquilamente-, nunca he amado.

-¿Veis, corazón de piedra - dijo D'Artagnan-, que os equivocáis siendo duro con nuestros corazones tiernos?

-Corazones tiernos, corazones rotos - dijo Athos.

-¿Qué decís?

-Digo que el amor es una lotería en la que el que gana, gana la muerte. Sois muy afortunado por haber perdido, creedme, mi querido D'Artagnan. Y si tengo algún consejo que daros, es perder siempre.

-Ella parecía amarme mucho.

-Ella parecía.

-¡Oh, me amaba!

-¡Infantil! No hay un hombre que no haya creído como vos que su amante lo amaba y no hay ningún hombre que no haya sido engañado por su amante.

-Excepto vos, Athos, que nunca la habéis tenido.

-Es cierto - dijo Athos tras un momento de silencio-, yo nunca la he tenido. ¡Bebamos!

-Pero ya que estáis filósofo - dijo D'Artagnan-, instruidme, ayudadme; necesito saber y ser consolado.

-Consolado ¿de qué?

-De mi desgracia.

-Vuestra desgracia da risa - dijo Athos encogiéndose de hombros ; me gustaría saber lo que diríais si yo os contase una historia de amor.

-¿Sucedida a vos?

-O a uno de mis amigos, qué importa.

-Hablad, Athos, hablad.

-Bebamos, haremos mejor.

-Bebed y contad.

-Cierto que es posible - dijo Athos vaciando y volviendo a llenar su vaso-, las dos cosas van juntas de maravilla.

-Escucho - dijo D'Artagnan.

Athos se recogió y, a medida que se recogía, D'Artagnan lo veía palidecer; estaba en ese período de la embriaguez en que los bebedores vulgares caen y duermen. El, él soñaba en voz alta sin dormir. Aquel sonambulismo de la bonachera tenía algo de espantoso.

-¿Lo queréis? - preguntó.

-Os lo ruego - dijo D'Artagnan.

-Sea como deseáis. Uno de mis amigos, uno de mis amigos, oís bien, no yo - dijo Athos interrumpiéndose con una sonrisa sombría ; uno de los condes de mi provincia, es decir, del Berry, noble como un Dandolo o un Montmorency, se enamoró a los veinticinco años de una joven de dieciséis, bella como el amor. A través de la ingenuidad de su edad apuntaba un espíritu ardiente, un espíritu no de mujer, sino de poeta; ella no gustaba embriagaba; vivía en una aldea, junto a su hermano, que era cura. Los dos habían llegado a la región, venían no se sabía de dónde; pero al verla tan hermosa y al ver a su hermano tan piadoso nadie pensó en preguntarles de dónde venían. Por lo demás se los suponía de buena extracción. Mi amigo, que era el señor de Ìa región, hubiera podido seducirla o tomarla por la fuerza, a su gusto, era el amo: ¿quién habría venido en ayuda de dos extraños, de dos desconocidos? Por desgracia era un hombre honesto, la desposó. ¡El tonto, el necio, el imbécil!

-Pero ¿por qué, si la amaba? - preguntó D'Artagnan.

-Esperad - dijo Athos-. La llevó a su castillo y la hizo la primera dama de su provincia; y hay que hacerle justicia, cumplía perfectamente con su rango.

-¿Y? - preguntó D'Artagnan.

-Y un día que ella estaba de caza con su marido - continuó Athos en voz baja y hablando muy deprisa-, ella se cayó del caballo y se desvaneció: el conde se lanzó en su ayuda, y como se ahogaba en sus vestidos, los hendió con su puñal y quedó al descubierto el hombro. ¿Adivináis lo que tenía en el hombro, D'Artagnan? - dijo Athos con un gran estallido de risa.

-¿Puedo saberlo? - preguntó D'Artagnan.

-Una for de lis - dijo Athos-. ¡Estaba marcada!

Y Athos vació de un solo trago el vaso que tenía en la mano.

-¡Horror! - exclamó D'Artagnan-. ¿Qué me decís?

-La verdad. Querido, el ángel era un demonio. La pobre joven había robado.

-¿Y qué hizo el conde?

-El conde era un gran señor, tenía sobre sus tierras derecho de horca y cuchillo: acabó de desgarrar los vestidos de la condesa, le ató las manos a la espalda y la colgó de un árbol.

-¡Cielos! ¡Athos! ¡Un asesinato! - exclamó D'Artagnan.

-Sí, un asesinato, nada más - dijo Athos pálido como la muerte-. Pero me parece que me están dejando sin vino.

Y Athos cogió por el gollete la última botella que quedaba, la acercó a su boca y la vació de un solo trago, como si fuera un vaso normal.

Luego se dejó caer con la cabeza entre sus dos manos; D'Artagnan permaneció ante él, parado de espanto.

-Eso me ha curado de las mujeres hermosas, poéticas y amorosas - dijo Athos levantándose y sin continuar el apólogo del conde-. ¡Dios os conceda otro tanto! ¡Bebamos!

-¿Así que ella murió? - balbuceó D'Artagnan.

-¡Pardiez! - dijo Athos-. Pero tended vuestro vaso. ¡Jamón, pícaro! - gritó Athos-. No podemos beber más.

-¿Y su hermano? - añadió tímidamente D'Artagnan.

-Su hermano? - repuso Athos.

-Sí, el cura.

-!Ah! Me informé para colgarlo también; pero había puesto pies en polvorosa, había dejado su curato la víspera.

-¿Se supo al menos lo que era aquel miserable?

-Era sin duda el primer amante y el cómplice de la hermosa, un digno hombre que había fingido ser cura quizá para casar a su amante y asegurarse una fortuna. Espero que haya sido descuartizado.

-¡Oh, Dios mío, Dios mió! - dijo D'Artagnan, completamente aturdido por aquella horrible aventura.

-Comed ese jamón, D'Artagnan, es exquisito - dijo Athos cortando una loncha que puso en el plato del joven-. ¡Qué pena que sólo hubiera cuatro como éste en la bodega!

D'Artagnan no podía seguir soportando aquella conversación, que lo enloquecía; dejó caer su cabeza entre sus dos manos y fingió dormirse.

-Los jóvenes no saben beber - dijo Athos mirándolo con piedad-. ¡Y sin embargo éste es de los mejores..!

El regreso

D'Artagnan había quedado aturdido por la horrible confesión de Athos; sin embargo, muchas de las cosas parecían oscuras en aquella semirrevelación; en primer lugar, había sido hecha por un hombre completamente ebrio a un hombre que lo estaba a medias, y no obstante, pese a esa ola que hace subir al cerebro el vaho de dos o tres botellas de borgoña, D'Artagnan, al despertarse al día siguiente, tenía cada palabra de Athos tan presente en su espíritu como si a medida que habían caído de su boca se hubieran impreso en su espíritu. Toda aquella duda no hizo sino darle un deseo más vivo de llegar a una certidumbre, y pasó a la habitación de su amigo con la intención bien meditada de reanudar su conversación de la víspera; pero encontró a Athos con la cabeza completamente sentada, es decir, el más fino y más impenetrable de los hombres.

Por lo demás, el mosquetero, después de haber cambiado con él un apretón de manos, se le adelantó con el pensamiento.

-Estaba muy borracho ayer, mi querido D'Artagnan - dijo ; me he dado cuenta esta mañana por mi lengua, que estaba todavía muy espesa y por mi pulso, que aún estaba muy agitado; apuesto a que dije mil extravagancias.

Y al decir estas palabras miró a su amigo con una fijeza que lo embarazó.

-No - replicó D'Artagnan-, y si no recuerdo mal, no habéis dicho nada muy extraordinario.

-¡Ah, me asombráis! Creía haberos contado una historia de las más lamentables.

Y miraba al joven como si hubiera querido leer en lo más profundo de su corazón.

-A fe mía - dijo D'Artagnan-, parece que yo estaba aún más borracho que vos, puesto que no me acuerdo de nada.

Athos no se fió de esta palabra y prosiguió:

-No habréis dejado de notar, mi querido amigo, que cada cual tiene su clase de borrachera: triste o alegre; yo tengo la borrachera triste, y cuando alguna vez me emborracho, mi manía es contar todas las historias lúgubres que la tonta de mi nodriza me metió en el cerebro. Ese es mi defecto, defecto capital, lo admito; pero, dejando eso a un lado, soy buen bebedor.

Athos decía esto de una forma tan natural que D'Artagnan quedó confuso en su convicción.

-Oh, de algo así me acuerdo, en efecto - prosiguió el joven tratando de volver a coger la verdad-, me acuerdo de algo así como que hablamos de ahorcados, pero como se acuerda uno de un sueño.

-¡Ah, lo veis! - dijo Athos palideciendo y, sin embargo, tratando de reír-. Estaba seguro, los ahorcados son mi pesadilla.

-Sí, sí - prosiguió D'Artagnan-, y, ya está, la memoria me vuelve: sí, se trataba..., esperad..., se trataba de una mujer.

-¿Lo veis? - respondió Athos volviéndose casi lívido-. Es mi famosa historia de la mujer rubia, y cuando la cuento es que estoy borracho perdido.

-Sí, eso es - dijo D'Artagnan-, la historia de la mujer rubia, alta y hermosa, de ojos azules.

-Sí, y colgada.

-Por su marido, que era un señor de vuestro conocimiento continuó D'Artagnan mirando fíjamente a Athos.

-¡Y bien! Ya veis cómo se compromete un hombre cuando no sabe lo que se dice - prosiguió Athos encogiéndose de hombros como si tuviera piedad de sí mismo-. Decididamente, no quiero emborracharme más, D'Artagnan, es una mala costumbre.

D'Artagnan guardó silencio.

Luego Athos, cambiando de pronto de conversación:

-A propósito - dijo-, os agradezco el caballo que me habéis traído.

-¿Es de vuestro gusto? - preguntó D'Artagnan.

-Sí, pero no es un caballo de aguante.

-Os equivocáis; he hecho con él diez leguas en menos de hora y media, y no parecía más cansado que si hubiera dado una vuelta a la plaza Saint Sulpice.

-Pues me dais un gran disgusto.

-¿Un gran disgusto?

-Sí, porque me he deshecho de él.

-¿Cómo?

-Estos son los hechos: esta mañana me he despertado a las seis, vos dormíais como un tronco, y yo no sabía qué hacer; estaba todavía completamente atontado de nuestra juerga de ayer; bajé al salón y vi a uno de nuestros ingleses que ajustaba un caballo con un tratante por haber muerto ayer el suyo a consecuencia de un vómito de sangre. Me acerqué a él, y como vi que ofrecía cien pistolas por un alazán tostado: «Por Dios - le dije-, gentilhombre, también yo tengo un caballo que vender.» «Y muy bueno incluso - dijo él-. Lo vi ayer, el criado de vuestro amigo lo llevaba de la mano.» «¿Os parece que vale cien pistolas?» «Sí.» ¿Y queréis dármelo por ese precio?» «No, pero os lo juego.» «¿Me lo jugáis?» «Sí.» «¿A qué?» «A los dados.» Y dicho y hecho; y he perdido el caballo. ¡Ah, pero también - continuó Athos- he vuelto a ganar la montura.

D'Artagnan hizo un gesto bastante disgustado.

-¿Os contraría? - dijo Athos.

-Pues sí, os lo confieso - prosiguió D'Artagnan-. Ese caballo debía serviros para hacernos reconocer un día de batalla; era una prenda, un recuerdo. Athos, habéis cometido un error.

-Ay, amigo mío, poneos en mi lugar - prosiguió el mosquetero ; me aburría de muerte, y además, palabra de honor, no me gustan los caballos ingleses. Veamos, si no se trata más que de ser reconocido por alguien, pues bien, la silla bastará; es bastante notable. En cuanto al caballo, ya encontraremos alguna excusa para justificar su desaparición. ¡Qué diablos! Un caballo es mortal; digamos que el mío ha tenido el muermo.

D'Artagnan no desfruncía el ceño.

-Me contraría - continuó Athos - que tengáis en tanto a esos animales, porque no he acabado mi historia.

-¿Pues qué habéis hecho además?

-Después de haber perdido mi caballo (nueve contra diez, ved qué suerte), me vino la idea de jugar el vuestro.

-Sí, pero espero que os hayáis quedado en la idea.

-No, la puse en práctica en aquel mismo instante.

-¡Vaya! - exclamó D'Artagnan inquieto.

-Jugué y perdí.

-¿Mi caballo?

-Vuestro caballo; siete contra ocho, a falta de un punto..., ya conocéis el proverbio.

-Athos no estáis en vuestro sano juicio, ¡os lo juro!

-Querido, ayer, cuando os contaba mis tontas historias, era cuando teníais que decirme eso, y no esta mañana. Los he perdido, pues, con todos los equipos y todos los arneses posibles.

-¡Pero es horrible!

-Esperad, no sabéis todo; yo sería un jugador excelente si no me obstinara; pero me obstino, es como cuando bebo; me encabezoné entonces.

-Pero ¿qué pudisteis jugar si no os quedaba nada?

-Sí quedaba, amigo mío, sí quedaba; nos quedaba ese diamante que brilla en vuestro dedo, y en el que me fijé ayer.

-¡Este diamante! - exclamó D'Artagnan llevando con presteza la mano a su anillo.

-Y como entiendo, por haber tenido algunos propios, lo estimé en mil pistolas.

-Espero - dijo seriamente D'Artagnan medio muerto de espanto que no hayáis hecho mención alguna de mi diamante.

-Al contrario, querido amigo; comprended, ese diamante era nuestro único recurso; con él yo podía volver a ganar nuestros arneses y nuestros caballos, y además dinero para el camino.

-¡Athos, me hacéis temblar! - exclamó D Artagnan.

-Hablé, pues, de vuestro diamante a mi contrincante, que también había reparado en él. ¡Qué diablos, querido, lleváis en vuestro dedo una estrella del cielo, y queréis que no le presten atención! ¡Imposible!

-¡Acabad, querido, acabad - dijo D'Artagnan-, porque, por mi honor, con vuestra sangre fría me hacéis morir!

-Dividimos, pues, ese diamante en diez partes de cien pistolas cada una.

-¡Ah! ¿Queréis reíros y probarme? - dijo D'Artagnan a quien la cólera comenzaba a cogerle por los cabellos como Minerva coge a Aquiles en la Ilíada.

-No, no bromeo, por todos los diablos. ¡Me hubiera gustado veros a vos! Hacía quince días que no había visto un rostro humano y que estaba allí embruteciéndome empalmando una botella tras otra.

-Esa no es razón para jugar un diamante - respondió D Artagnan apretando su mano con una crispacion nerviosa.

-Escuchad, pues, el final: diez partes de cien pistolas cada una, en diez tiradas sin revancha. En trece tiradas perdí todo. ¡En trece tiradas! El número trece me ha sido siempre fatal, era el trece del mes de julio cuando...

-¡Maldita sea! - exclamó D'Artagnan levantándose de la mesa-. La historia del día hace olvidar la de la noche.

-Paciencia - dijo Athos - y tenía un plan. El inglés era un extravagante, yo lo había visto por la mañana hablar con Grimaud y Grimaud me había advertido que le había hecho proposiciones para entrar a su servicio. Me jugué a Grimaud, el silencioso Grimaud dividido en diez porciones.

-¡Ah, vaya golpe! - dijo D'Artagnan estallando de risa a pesa suyo.

-¡El mismo Grimaud! ¿Oís esto? Y con las diez partes de Grimaud que no vale en total un ducado de plata, recuperé el diamante. Ahora decid si la persistencia no es una virtud.

-¡Y a fe que bien rara! - exclamó D'Artagnan consolado y sosteniéndose los hijares de risa.

-Como comprenderéis, sintiéndome en vena, me puse al punto a jugar el diamante.

-¡Ah, diablos! - dijo D'Artagnan ensombreciéndose de nuevo.

-Volví a ganar vuestros arneses, después vuestro caballo, luego mis arneses, luego mi caballo, luego lo volví a perder. En resumen, conseguí vuestro arnés, luego el mío. Ahí estamos. Una tirada soberbia; y ahí me he quedado.

D'Artagnan respiró como si le hubieran quitado la hostería de encima del pecho.

-En fin, que me queda el diamante - dijo tímidamente.

-¡Intacto, querido amigo! Además de los arneses de vuestro bucéfalo y del mío.

-Pero ¿qué haremos de nuestros arneses sin caballos?

-Tengo una idea sobre ellos.

-Athos, me hacéis temblar.

-Escuchad, vos no habéis jugado hace mucho tiempo, D'Artagnan.

-Y no tengo ganas de jugar.

-No juremos. No habéis jugado hace tiempo, decía yo, y por eso debéis tener buena mano.

-¿Y después?

-Pues que el inglés y su acompañante están todavía ahí. He observado que lamentaban mucho los arneses. Vos parecéis tener en mucho vuestro caballo. En vuestro lugar, yo jugaría vuestros arneses contra vuestro caballo.

-Pero él no querrá un solo arnés.

-Jugad los dos, pardiez. Yo no soy tan egoísta como vos.

-¿Haríais eso? - dijo D'Artagnan indeciso, tanto comenzaba a ganarle la confianza, a su costa, de Ahtos.

-Palabra de honor, de una sola tirada.

-Pero es que, después de haber perdido los caballos, quisiera conservar los arneses.

-Jugad entonces vuestro diamante.

-Oh, esto es otra cosa; nunca, nunca.

-¡Diablos! - dijo Athos-. Yo os propondría jugaros a Planchet; pero como eso ya está hecho, quizá el inglés no quiera.

-Decididamente, mi querido Athos - dijo D'Artagnan-, prefiero no arriesgar nada.

-¡Es una lástima! - dijo fríamente Athos-. El inglés está forrado de pistolas. ¡Ay, Dios mío! Ensayad una tirada, una tirada se juega.

-¿Y si pierdo?

-Ganaréis.

-Pero ¿y si pierdo?

-Pues entonces le daréis los arneses.

-Vaya entonces una tirada - dijo D'Artagnan.

Athos se puso a buscar al inglés y lo encontró en la cuadra, donde examinaba los arneses con ojos ambiciosos. La ocasión era buena. Puso sus condiciones: los dos arneses contra un caballo o cien pistolas a escoger. El inglés calculó rápido: los dos arneses valían trescienta: pistolas los dos; aceptó.

D'Artagnan echó los dados temblando, y sacó un número tres; su palidez espantó a Athos, que se contentó con decir:

-Qué mala tirada, compañero; tendréis caballos con arneses señor.

El inglés, triunfante, no se molestó siquiera en hacer rodar los dados, los lanzó sobre la mesa sin mirarlos, tan seguro estaba de su victoria; D'Artagnan se había vuelto para ocultar su mal humor.

-Vaya, vaya, vaya - dijo Athos con su voz tranquila, esa tirado de dados es extraordinaria, no la he visto más que cuatro veces en m vida: dos ases.

El inglés miró y quedó asombrado; D'Artagnan miró y quedó encantado.

-Sí - continuó Athos-, solamente cuatro veces: una vez con el señor de Créquy; otra vez en mi casa, en el campo, en mi castillo de... cuando yo tenía un castillo; una tercera vez con el señor de Tréville donde nos sorprendió a todos; y finalmente, una cuarta vez en la taberna, donde me tocó a mí y donde yo perdí por ella cien luises y una cena.

-Entonces el señor recupera su caballo - dijo el inglés.

-Cierto - dijo D'Artagnan

-¿Entonces no hay revancha?

-Nuestras condiciones estipulaban que nada de revancha, ¿lo recordáis?

-Es cierto; el caballo va a ser devuelto a vuestro criado, señor

-Un momento - dijo Athos ; con vuestro permiso, señor, solicito decir unas palabras a mi amigo.

-Decídselas.

Athos llevó a parte a D'Artagnan.

-¿Y bien? - le dijo D'Artagnan-. ¿Qué quieres ahora, tentador? Quieres que juegue, ¿no es eso?

-No, quiero que reflexionéis.

-¿En qué?

-¿Vais a tomar el caballo, no es así?

-Claro.

-Os equivocáis, yo tomaría las cien pistolas; vos sabéis que os habéis jugado los arneses contra el caballo o cien pistolas, a vuestra elección.

-Sí.

-Yo tomaría las cien pistolas.

-Pero yo, yo me quedo con el caballo.

-Os equivocáis, os lo repito. ¿Qué haríamos con un caballo para nosotros dos? Yo no pienso montar en la grupa, tendríamos la pinta de los dos hijos de Aymón, que han perdido a sus hermanos; no podéis humillarme cabalgando a mi lado, cabalgando sobre ese magnífico destrero. Yo, sin dudar un solo instante, cogería las cien pistolas, necesitamos dinero para volver a Paris.

-Yo me quedo con el caballo, Athos.

-Pues os equivocáis, amigo mío: un caballo tiene un extraño, un caballo tropieza y se rompe las patas, un caballo come en un pesebre donde ha comido un caballo con muermo: eso es un caballo o cien pistolas perdidas; hace falta que el amo alimente a su caballo, mientras que, por el contrario, cien pistolas alimentan a su amo.

-Pero ¿cómo volveremos?

-En los caballos de nuestros lacayos, pardiez. Siempre se verá en el aire de nuestras figuras que somos gentes de condición.

-Vaya figura que vamos a hacer sobre jacas, mientras Aramis y Porthos caracolean sobre sus caballos.

-¡Aramis! ¡Porthos! - exclamó Athos, y se echó a reír.

-¿Qué? - preguntó D'Artagnan, que no comprendía nada la hilaridad de su amigo.

-Bien, bien, sigamos - dijo Athos.

-O sea, que vuestra opinión...

-Es coger las cien pistolas, D'Artagnan; con las cien pistolas vamos a banquetear hasta fin de mes: hemos enjugado fatigas y estará bien que descansemos un poco.

-¡Yo reposar! Oh, no, Athos; tan pronto como esté en Paris me pongo a buscar a esa pobre mujer.

-Y bien, ¿creéis que vuestro caballo os será tan útil para eso como buenos luises de oro? Tomad las cien pistolas, amigo mío, tomad las cien pistolas.

D'Artagnan sólo necesitaba una razón para rendirse. Esta le pareció excelente. Además, resistiendo tanto tiempo, temía parecer egoísta a los ojos de Athos; accedió, pues, y eligió las cien pistolas que el inglés le entregó en el acto.

Luego no se pensó más que en partir. Además, hechas las paces con el alberguista, el viejo caballo de Athos costó seis pistolas; D'Artagnan y Athos cogieron los caballos de Planchet y de Grimaud, y los dos criados se pusieron en camino a pie, llevando las sillas sobre sus cabezas.

Por mal montados que fueran los dos amigos, pronto tomaron la delantera a sus criados y llegaron a Crèvecoeur. De lejos divisaron a Aramis melancólicamente apoyado en su ventana, y mirando como mi hermana Anne levantarse polvaredas en el horizonte.

-¡Hola! ¡Eh, Aramis! ¿Qué diablos hacéis ahí? - gritaron los dos amigos.

-¡Ah, sois vos, D'Artagnan; sois vos, Athos! - dijo el joven-. Pensaba con qué rapidez se van los bienes de este mundo, y mi caballo inglés, que se aleja y que acaba de aparecer en medio de un torbellino de polvo, era una imagen viva de la fragilidad de las cosas de la tierra.

La vida misma puede resolverse en tres palabras: Erat, est, fuit.

-¿Y eso qué quiere decir en el fondo? - preguntó D'Artagnan, que comenzaba a sospechar la verdad.

-Esto quiere decir que acaba de hacer un negocio de tontos: sesenta luises por un caballo que, por la manera en que se va, puede hacer al trote cinco leguas por hora.

D'Artagnan y Athos estallaron en carcajadas.

-Mi querido Athos - dijo Aramis : no me echéis la culpa, os lo suplico; la necesidad no tiene ley; además yo soy el primer castigado, puesto que este infame chalán me ha robado por lo menos cincuenta luises. Vosotros sí que tenéis buen cuidado; venís sobre los caballos de vuestros lacayos y hacéis que os lleven vuestros caballos de lujo de la mano, despacio y a pequeñas jornadas.

En aquel mismo instante, un furgón que desde hacía unos momentos venía por la ruta de Amiens, se detuvo y se vio salir a Grimaud y a Planchet con sus sillas sobre la cabeza. El furgón volvía de vacío hacia París y los dos lacayos se habían comprometido, a cambio de su transporte, a aplacar la sed del cochero durante el camino.

-¿Cómo? - dijo Aramis, viendo lo que pasaba-. ¿Nada más que las sillas?

-¿Comprendéis ahora? - dijo Athos.

-Amigos míos, exactamente igual que yo. Yo he conservado el arnés por instinto. ¡Hola, Bazin! Llevad mi arnés nuevo junto al de esos señores.

-¿Y qué habéis hecho de vuestros curas? - preguntó D'Artagnan.

-Querido, los invité a comer al día siguiente - dijo Aramis ; hay aquí un vino exquisito, dicho sea de paso; los emborraché lo mejor que pude; entonces el cura me prohibió dejar la casaca y el jesuita me rogó que le haga recibir de mosquetero.

-¡Sin tesis! - exclamó D'Artagnan-. Sin tesis. Pido la supresión de la tesis.

-Desde entonces - continuó Aramis-, vivo agradablemente. He comenzado un poema en versos de una sílaba; es bastante difícil, pero el mérito en todo está en la dificultad. La materia es galante, os leeré el primer canto, tiene cuatrocientos versos y dura un minuto.

-¡A fe mía, mi querido Aramis! - dijo D'Artagnan, que detestaba casi tanto los versos como el latín-. Añadid al mérito de la dificultad el de la brevedad, y al menos seguro que vuestro poema tiene dos méritos.

-Además - continuó Aramis-, respira pasiones, ya veréis. ¡Ah!, amigos míos, ¿volveremos a París? Bravo, yo estoy dispuesto; vamos, pues, a volver a ver a ese bueno de Porthos tanto mejor. ¿Creeríais que echo en falta a ese gran necio? El no hubiera vendido su caballo, ni siquiera a cambio de un reino. Quería verlo ya sobre su animal y su silla. Estoy seguro de que tendrá pinta de Gran Mogol.

Se hizo un alto de una hora para dar respiro a los caballos; Aramis saldó sus cuentas, colocó a Bazin en el furgón con sus camaradas y se pusieron en ruta para ir en busca de Porthos.

Lo encontraron de pie, menos pálido de lo que lo había visto D'Artagnan durante su primera visita, y sentado a una mesa en la que, aunque estuviese solo, había comida para cuatro personas; aquella comida se componía de viandas galanamente aderezadas, de vinos escogidos y de frutos soberbios.

-¡Ah, pardiez! - dijo levantándose-. Llegáis a punto, señores, estaba precisamente en la sopa y vais a comer conmigo.

-¡Oh, oh! - dijo D'Artagnan-. No es Mosquetón quien ha cogido a lazo tales botellas; además, aquí hay un fricandó mechado y un filete de buey...

-Me voy recuperando - dijo Porthos-, me voy recuperando; nada debilita tanto como esos malditos esguinces. ¿Habéis tenido vos esguinces, Athos?

-Jamás; sólo recuerdo que en nuestra escaramuza de la calle de Férou recibí una estocada que al cabo de quince o dieciocho días me produjo exactamente el mismo efecto.

-Pero esta comida no era sólo para vos, mi querido Porthos - dijo Aramis.

-No - dijo Porthos ; esperaba a algunos gentileshombres de la vecindad que acaban de comunicarme que no vendrán; vos los reemplazaréis, y yo no perderé en el cambio. ¡Hola, Mosquetón! ¡Sillas, y que se doblen las botellas!

-¿Sabéis lo que estamos comiendo? - dijo Athos al cabo de diez minutos.

-Pardiez - respondió D'Artagnan ; yo como carne de buey mechada con cardos y con tuétanos.

-Y yo chuletas de cordero - dijo Porthos.

-Y yo una pechuga de ave - dijo Aramis.

-Todos os equivocáis, señores - respondió Athos ; coméis caballo.

-¡Vamos! - dijo D'Artagnan.

-¿Caballo? - preguntó Aramis con una mueca de disgusto.

Sólo Porthos no respondió.

-Sí, caballo, ¿no es cierto, Porthos, que comemos caballo? Quizá incluso con arreos y todo.

-No, señores; he guardado el arnés - dijo Porthos.

-A fe que todos somos iguales - dijo Aramis ; se diría que estábamos de acuerdo.

-¡Qué queréis! - dijo Porthos-. Este caballo causaba vergüenza a mis visitantes y no he querido humillarlos.

-Y en cuanto a vuestra duquesa, sigue en las aguas, ¿no es cierto? - prosiguió D'Artagnan.

-Allí sigue - respondió Porthos-. Palabra que el gobernador de la provincia, uno de los gentileshombres que esperaba a cenar hoy, parecía desearlo tanto que se lo he dado.

-¡Dado! - exclamó D'Artagnan.

-¡Oh, Dios mío! ¡Sí, dado! Esa es la palabra - dijo Porthos ; porque ciertamente valía ciento cincuenta luises, y el ladrón no ha querido pagármelo más que en ochenta.

-¿Sin la silla? - dijo Aramis.

-Sí, sin la silla.

-Observaréis, señores - dijo Athos-, que, pese a todo, Porthos ha sido el que mejor negocio ha hecho de todos nosotros.

Se produjo entonces un hurra de risas que dejaron al pobre Porthos completamente atónito; pero pronto se le explicó la razón de aquella hilaridad, que él compartió ruidosamente, según su costumbre.

-¿De modo que todos tenemos dinero? - dijo D'Artagnan.

-No por lo que mí toca - dijo Athos ; me ha parecido tan bueno el vino español de Aramis que he hecho cargar sesenta botellas en el furgón de los lacayos; eso me ha dejado sin nada.

-En cuanto a mí - dijo Aramis-, imaginaos que di hasta mi último céntimo a la iglesia de Montdidier y a los jesuitas de Amiens, he tenido que hacerme cargo de los compromisos que había contraído, misas encargadas por mí y para vos, señores; que se dirán, señores, y que no dudo que nos han de servir de maravilla.

-Y yo - dijo Porthos-, ¿creéis que mi esguince no me ha costado nada? Sin contar la herida de Mosquetón, por la que he tenido que hacer venir al cirujano dos veces al día, el cual me ha hecho pagar doble sus visitas, so pretexto de que ese imbécil de Mosquetón había ido a recibir una bala en un lugar que no se enseña generalmente más que a los boticarios; por eso le he recomendado encarecidamente no volver a dejarse herir ahí.

-Vamos, vamos - dijo Athos, cambiando una sonrisa con D'Artagnan y Aramis-, veo que os habéis comportado a lo grande con vuestro pobre mozo; es propio de un buen amo.

-En resumen - continuó Porthos : pagados mis gastos, me quedará una treintena de escudos.

-Y a mí una decena de pistolas - dijo Aramis.

-Vamos - dijo Athos-, parece que nosotros somos los Cresos de la sociedad. De vuestras cien pistolas, ¿cuánto os queda, D'Artagnan?

-¿De mis cien pistolas? En primer lugar, os he dado cincuenta.

-¿Eso creéis?

-¡Pardiez!

-Ah, es cierto, ahora me acuerdo.

-Luego he pagado seis al hostelero.

-¡Qué animal de hostelero! ¿Por qué le habéis dado seis pistolas?

-Es lo que vos me dijisteis que le diese.

-Es cierto que soy demasiado bueno. En resumen, ¿qué queda?

-Veinticinco pistolas - dijo D'Artagnan.

-Y yo - dijo Athos, sacando algo de calderilla de su bolsillo-, yo...

-Vos, nada.

-A fe que es tan poco que no merece la pena juntarlo en el montón.

-Ahora calculemos cuánto poseemos en total. ¿Porthos?

-Treinta escudos.

-¿Aramis?

-Diez pistolas.

-¿Y vos, D'Artagnan?

-Veinticinco.

-Eso hace un total... - dijo Athos.

-Cuatrocientas setenta y cinco libras - dijo D'Artagnan, que contaba como Arquímedes.

-Llegados a Paris, tendremos todavía cuatrocientas - dijo Porthos-, además de los arneses.

-Pero ¿nuestros caballos de escuadrón? - dijo Aramis.

-Bueno, los cuatro caballos de los lacayos nos servirán como dos de amo, que echaremos a suertes; con las cuatrocientas libras se hará una mitad para uno de los desmontados, luego dejaremos las migajas de nuestros bolsillos a D'Artagnan, que tiene buena mano y que irá a jugarlas al primer garito.

-Cenemos entonces - dijo Porthos ; esto se enfría.

Los cuatro amigos, más tranquilos desde entonces por su futuro, hicieron honor a la comida, cuyas sobras fueron abandonadas a los señores Mosquetón, Bazin, Planchet y Grimaud.

Al llegar a París, D'Artagnan encontró una carta del señor de Tréville, quien le prevenía de que, a petición suya, el rey acababa de concederle el favor de ingresar en los mosqueteros.

Como esto era todo lo que D'Artagnan ambicionaba en el mundo, aparte por supuesto, de volver a encontrar a la señora Bonacieux, corrió todo contento en busca de sus camaradas, a los que acababa de dejar hacía media hora, y a los que encontró muy tristes y muy preocupados. Estaban reunidos todos en consejo en casa de Athos, cosa que indicaba siempre circunstancias de cierta gravedad.

El señor de Tréville acababa de hacerles avisar que la intención muy meditada de Su Majestad era iniciar la campaña el primero de mayo, y tenían que preparar de inmediato los equipos.

Los cuatro filósofos se miraron todo pasmados: el señor de Tréville no bromeaba en materia de disciplina.

-¿Y en cuánto estimáis esos equipos? - dijo D'Artagnan.

-¡Oh! No hay más que decirlo - prosiguió Aramis-, acabamos de hacer nuestras cuentas con una cicatería de espartanos y necesitamos cada uno de nosotros mil quinientas libras.

-Cuatro por quinientas son dos mil; o sea, en total seis mil libras - dijo Athos.

-Yo creo - dijo D'Artagnan - que bastará con mil libras cada uno; cierto que no hablo como espartano, sino como procurador...

Esta palabra de procurador despertó a Porthos.

-¡Vaya, tengo una idea! - dijo.

-Algo es algo; yo no tengo siquiera ni la sombra de una - dijo fríamente Athos ; en cuanto a D'Artagnan, señores, la felicidad de ser en adelante uno de nosotros le ha vuelto loco. ¡Mil libras! Declaro que para mí sólo necesito dos mil.

-Cuatro por dos son ocho - dijo entonces Aramis ; por tanto, son ocho mil libras las que necesitamos para nuestros equipos, equipos de los que, es cierto, tenemos ya las sillas.

-Además - dijo Athos, esperando a que D'Artagnan, que iba a dar las gracias al señor de Tréville, hubiese cerrado la puerta ; además de ese hermoso diamante que brilla en el dedo de nuestro amigo. ¡Qué diablo! D'Artagnan es demasiado buen camarada para dejar a sus hermanos en el apuro cuando lleva en su dedo corazón el rescate de un rey.

La caza del equipo

El más preocupado de los cuatro amigos era, por supuesto, D'Artagnan, aunque D'Artagnan, en su calidad de guardia, fuera más fácil de equipar que los señores mosqueteros, que eran señores; pero nuestro cadete de Gascuña era, como se habrá podido ver, de un carácter previsor y casi avaro, aunque también fantasioso hasta el punto (explicad los contrarios) de poderse comparar con Porthos. A aquella preocupación de su vanidad D'Artagnan unía en aquel momento una inquietud menos egoísta. Pese a algunas informaciones que había podido recibir sobre la señora Bonacieux, no le había llegado ninguna noticia. El señor de Tréville había hablado de ello a la reina: la reina ignoraba dónde estaba la joven mercera y habría prometido hacerla buscar. Pero esta promesa era muy vaga y apenas tranquilizadora para D'Artagnan.

Athos no salía de su habitación: había decidido no arriesgar una zancada para equiparse.

-Nos quedan quince días - les decía a sus amigos ; pues bien, si al cabo de quince días no he encontrado nada mejor, si nada ha venido a encontrarme, como soy buen católico para romperme la cabeza de un disparo, buscaré una buena pelea a cuatro guardias de su Eminencia o a ocho ingleses y me batiré hasta que haya uno que me mate, lo cual, con esa cantidad, no puede dejar de ocurrir. Se dirá entonces que he muerto por el rey, de modo que habré cumplido con - mi deber sin tener necesidad de equiparme.

Porthos seguía paseándose con las manos a la espalda, moviendo la cabeza de arriba abajo y diciendo:

-Sigo en mi idea.

Aramis, inquieto y despeinado, no decía nada.

Por estos detalles desastrosos puede verse que la desolación reinaba en la comunidad.

Los lacayos, por su parte, como los corceles de Hipólito, compartían la triste pena de sus amos. Mosquetón hacía provisiones de mendrugos de pan; Bazin, que siempre se había dado a la devoción, no dejaba las iglesias; Planchet miraba volar las moscas, y Grimaud, al que la penuria general no podía decidir a romper el silencio impuesto por su amo, lanzaba suspiros como para enternecer a las piedras.

Los tres amigos, porque, como hemos dicho, Athos había jurado no dar un paso para equiparse, los tres amigos salían, pues, al alba y volvían muy tarde. Erraban por las calles mirando al suelo para saber si las personas que habían pasado antes que ellos no habían dejado alguna bolsa. Se hubiera dicho que seguían pistas, tan atentos estaban por donde quiera que iban. Cuando se encontraban, teman miradas desoladas que querían decir: ¿Has encontrado algo?

Sin embargo como Porthos había sido el primero en dar con su idea y como había persistido en ella, fue el primero en actuar. Era un hombre de acción aquel digno Porthos. D'Artagnan lo vio un día encantinarse hacia la iglesia de Saint Leu, y lo siguió instintivamente: entró en el lugar santo después de haberse atusado el mostacho y estirado su perilla, lo cual anunciaba de su parte las intenciones más conquistadoras. Como D'Artagnan tomaba algunas precauciones para esconderse, Porthos creyó no haber sido visto. D'Artagnan entró tras él; Porthos fue a situarse al lado de un pilar; D'Artagnan, siempre sin ser visto, se apoyó en otro.

Precisamente había sermón, lo cual hacía que la iglesia estuviera abarrotada. Porthos aprovechó la circunstancia para echar una ojeada a las mujeres; gracias a los buenos cuidados de Mosquetón, el, exterior estaba lejos de anunciar las penurias del interior: su sombrero estaba ciertamente algo pelado, su pluma descolorida, sus brocados algo deslustrados, sus puntillas bastante raídas, pero a media luz todas estas bagatelas desaparecían y Porthos seguía siendo el bello Porthos.

D'Artagnan observó en el banco más cercano al pilar donde Porthos y él estaban adosados una especie de beldad madura, algo amarillenta, algo seca, pero tiesa y altiva bajo sus cofias negras. Los ojos de Porthos se dirigían furtivamente hacia aquella dama, luego mariposeaban a lo lejos por la nave.

Por su parte, la dama, que de vez en cuando se ruborizaba, lanzaba con la rapidez del rayo una mirada sobre el voluble Porthos, y al punto los ojos de Porthos se ponían a mariposear con furor. Era claro que se trataba de un manejo que hería vivamente a la dama de las cofias negras, porque se mordía los labios hasta hacerse sangre, se arañaba la punta de la nariz y se agitaba desesperadamente en su asiento.

Al verlo, Porthos se atusó de nuevo su mostacho, estiró una segunda vez su perilla y se puso a hacer señales a una bella dama que estaba junto al coro, y que no solamente era una bella dama, sino que sin duda se trataba de una gran dama, porque tenía tras ella un negrito que había llevado el cojín sobre el que estaba arrodillada, y una doncella que sostenía el bolso bordado con escudo de armas en que se guardaba el libro con que seguía la misa.

La dama de las cofias negras siguió a través de sus vueltas la mirada de Porthos, y comprobó que se detenía sobre la dama del cojín de terciopelo, del negrito y de la doncella.

Mientras tanto, Porthos jugaba fuerte: guiños de ojos, dedos puestos sobre los labios, sonrisitas asesinas que realmente asesinaban a la hermosa desdeñada.

Por eso, en forma de mea culpa y golpeándose el pecho, ella lanzó un ¡hum! tan vigoroso que todo el mundo, incluso la dama del cojín rojo, se volvió hacia su lado; Porthos permaneció impasible, aunque había comprendido bien, pero se hizo el sordo.

La dama del cojín rojo causó gran efecto, porque era muy bella, en la dama de las cofias negras, que vio en ella una rival realmente peligrosa: un gran efecto sobre Porthos, que la encontró más hermosa que la dama de las cofias negras; un gran efecto sobre D'Artagnan, que reconoció a la dama de Meung, de Calais y de Douvres, a la que su perseguidor, el hombre de la cicatriz, había saludado con el nombre de milady.

D'Artagnan, sin perder de vista a la dama del cojín rojo, continuó siguiendo los manejos de Porthos, que le divertían mucho; creyó adivinar que la dama de las cofias negras era la procuradora de la calle Aux Ours, tanto más cuanto que la iglesia de Saint Leu no estaba muy alejada de la citada calle.

Adivinó entonces por inducción que Porthos trataba de tomarse la revancha por la derrota de Chantilly, cuando la procuradora se había mostrado tan recalcitrante respecto a la bolsa.

Pero en medio de todo aquello, D'Artagnan notó también que su rostro no correspondía a las galanterías de Porthos. Aquello no eran más que quimeras ilusiones; pero para un amor real, para unos celos verdaderos, ¿hay otra realidad que las ilusiones y las quimeras?

El sermón acabó; la procuradora avanzó hacia la pila de agua bendita; Porthos se adelantó y, en lugar de un dedo, metió toda la mano. La procuradora sonrió, creyendo que era para ella, por lo que Porthos hacía aquel extraordinario, pero pronto y cruelmente fue desengañada: cuando sólo estaba a tres pasos de él, éste volvió la cabeza, fijando de modo invariable los ojos sobre la dama del cojín rojo, que se había levantado y que se acercaba seguida de su negrito y de su doncella.

Cuando la dama del cojín rojo estuvo junto a Porthos, Porthos sacó su mano toda chorreante de la pila; la bella devota tocó con su mano afilada la gruesa mano de Porthos, hizo, sonriendo, la señal de la cruz y selió de la iglesia.

Aquello fue demasiado para la procuradora; no dudó de que aquella dama y Porthos estaban requebrándose. Si hubiera sido una gran dama, se habría desmayado; pero como no era más que una procuradora, se contentó con decir al mosquetero con un furor concentrado:

-¡Eh, señor Porthos! ¿No me vais a ofrecer a mí agua bendita?

Al oír aquella voz, Porthos se sobresaltó como lo haría un hombre que se despierta tras un sueño de cien años.

-Se..., señora - exclamó él-. ¿Sois vos? ¿Cómo va vuestro marido, mi querido señor Coquenard? ¿Sigue tan pícaro como siempre? ¿Dónde tenía yo los ojos, que no os he visto siquiera en las dos horas que ha durado ese sermón?

-Estaba a dos pasos de vos, señor - respondió la procuradora-, y no me habéis visto porque no teníais ojos más que para la hermosa dama a quien acabáis de dar agua bendita.

Porthos fingió estar apurado.

-¡Ah! - dijo-. Habéis notado...

-Hay que estar ciego para no verlo.

-Sí - dijo displicentemente Porthos; es una duquesa amiga mía con la que tengo muchos problemas para encontrarme por los celos de su marido, y que me había avisado que vendría hoy, sólo para verme, a esta pobre iglesia, en este barrio perdido.

-Señor Porthos - dijo la procuradora - ¿tendríais la bondad de ofrecerme el brazo durante cinco minutos? Hablaría de buena gana con vos.

-Por supuesto, señora - dijo Porthos, guiñándose un ojo a sí mismo como un jugador que ríe de la víctima que va a hacer.

En aquel momento, D'Artagnan pasaba persiguiendo a milady; lanzó una ojeada hacia Porthos y vio aquella mirada triunfante.

-¡Vaya, vaya! - se dijo a sí mismo, razonando sobre el sentido de la moral extrañamente fácil de aquella época galante-. Ahí hay uno que fácilmente podrá equiparse en el plazo previsto.

Porthos, cediendo a la presión del brazo de su procuradora como una barca cede al gobernalle, llegó al claustro de Saint Magloire, pasaje poco frecuentado, encerrado por molinetes en sus dos extremos. No se veía, por el día, más que mendigos comiendo o niños jugando.

-¡Ah, señor Porthos! - exclamó la procuradora cuando se hubo tranquilizado de que nadie extraño a la población habitual de la localidad podía verlos ni oírlos-. Vaya, señor Porthos, estáis hecho un conquistador, según parece.

-¿Yo, señora? - dijo Porthos engallándose-. ¿Y eso por qué?

-¿Y las señas de hace un momento, y el agua bendita? Pero por lo menos es una princesa esa dama, con su negrito y su doncella.

-Os equivocáis. Dios mío, no - respondió Porthos-, es simplemente una duquesa.

-¿Y ese recadero que la esperaba en la puerta, y esa carroza con un cochero de lujosa librea que esperaba en su pescante?

Porthos no había visto ni el recadero ni la canoza; pero con su mirada de mujer celosa, la señora Coquenard lo había visto todo.

Porthos lamentó no haber hecho a la dama del cojín rojo princesa a la primera.

-¡Ah, sois un muchacho amado por las hermosas, señor Porthos! - prosiguió suspirando la procuradora.

-Pero - respondió Porthos - comprenderéis que con un físico como el que la naturaleza me ha dotado, no dejo de tener aventuras.

-¡Dios mío! ¡Qué pronto olvidan los hombres! - exclamó la procuradora alzando los ojos al cielo.

-Menos pronto que las mujeres - respondió Porthos ; porque, en fin, señora, yo puedo decir que he sido víctima, cuando herido, moribundo, me he visto abandonado a los cirujanos; yo, el vástago de una familia ilustre, que me había fiado de vuestra amistad, he estado a punto de morir de mis heridas, primero; y de hambre después, en un mal albergue de Chantilly, y eso sin que vos os hayáis dignado responder una sola vez a las ardientes cartas que os he escrito.

-Pero, señor Porthos... - murmuró la procuradora, que se daba cuenta de que, a juzgar por la conducta de las mayores damas de su tiempo, había cometido un error.

-Yo, que había sacrificado por vos a la condesa de Peñaflor...

-Lo sé.

-A la baronesa de...

-Señor Porthos, no me abruméis.

-A la duquesa de...

-Señor Porthos, sed generoso.

-Tenéis razón, señora; además, no acabaría.

-Pero es que mi marido no quiere oír hablar de prestar.

-Señora Coquenard - dijo Porthos-, acordaos de la primera carta que me escribisteis y que conservo grabada en mi memoria.

La procuradora lanzó un gemido.

-Pero es que, además - dijo ella-, la suma que pedíais prestada era algo fuerte.

-Señora Coquenard, os daba preferencia. No he tenido más que escribir a la duquesa de... No quiero decir su nombre, porque no sé lo que es comprometer a una mujer; pero lo que sí sé es que yo no he tenido más que escribirle para que me enviase mil quinientos.

La procuradora derramó una lágrima.

-Señor Porthos - dijo-, os juro que me habéis castigado de sobra y que si en el futuro os encontráis en semejante paso, no tendréis más que dirigiros a mí.

-Dejémoslo, señora - dijo Porthos, como sublevado ; no hablemos de dinero, por favor, es humillante.

-¡Así que no me amáis ya! - dijo lenta y tristemente la procuradora.

Porthos guardó un silencio majestuoso.

-¿Así es como me respondéis? ¡Ay, comprendo!

-Pensad en la ofensa que me habéis hecho, señora; se me ha quedado aquí - dijo Porthos, poniendo la mano en su corazón y apretando con fuerza.

-¡Yo la repararé, mi querido Porthos!

-Además, ¿qué os pedía? - prosiguió Porthos con un movimiento de hombros lleno de sencillez-. Un préstamo, nada más. Después de todo, no soy un hombre poco razonable. Sé que no sois rica, señora Coquenard, que vuestro marido está obligado a sangrar a los pobres litigantes para sacar unos pobres escudos. Si fueseis condesa, marquesa o duquesa, sería distinto, y en tal caso no podría perdonaros.

La procuradora se picó.

-Sabed, señor Porthos - dijo ella-, que mi caja fuerte, por muy caja fuerte de procuradora que sea, está quizá mejor provista que la de todas vuestras remilgadas anruinadas.

-Doble ofensa la que me hacéis entonces - dijo Porthos soltando el brazo de la procuradora de debajo del suyo ; porque si vos sois rica, señora Coquenard, entonces no hay excusa que valga en vuestra negativa.

-Cuando digo rica - prosiguió la procuradora, que vio que se había dejado arrastrar demasiado lejos-, no hay que tomar la palabra al pie de la letra. No soy lo que se dice rica, pero vivo holgada.

-Mirad, señora - dijo Porthos-, no hablemos más de todo eso, os lo suplico. Me habéis despreciado; entre nosotros la simpatía se apagó.

-¡Qué ingrato sois!

-¡Ah, encima podéis quejaros! - dijo Porthos.

-¡Idos, pues, con vuestra bella duquesa! Yo no os retengo.

-¡Vaya, por lo menos no está tan seca como creo!

-Veamos, señor Porthos, una vez más, la última: ¿Aún me amáis?

-¡Ah, señora! - dijo Porthos con el tono más melancólico que pudo adoptar-. Justo cuando vamos a entrar en campaña, en una campaña en que mis presentimientos me dicen que sere muerto...

-¡Oh, no digáis esas cosas! - exclamó la procuradora estallando en sollozos.

-Algo me lo dice - continuó Porthos, poniéndose más y más melancólico.

-Decid mejor que tenéis un nuevo amor.

-No, os hablo sinceramente. Ningún nuevo amor me conmueve, e incluso siento aquí, en el fondo de mi corazón, algo que habla por vos. Pero dentro de quince días, como sabéis o como quizá no sepáis, esa fatal campaña empieza: voy a estar muy preocupado por mi equipo. Luego voy a hacer un viaje para ver a mi familia, en el fondo de Bretaña, para conseguir la suma necesaria para mi partida.

Porthos notó un último combate entre el amor y la avaricia.

-Y como - continuó - la duquesa que acabáis de ver en la iglesia tiene sus tierras junto a las mías, haremos el viaje juntos. Los viajes, como sabéis, parecen mucho menos largos cuando se hacen acompañado.

-¿No tenéis ningún amigo en Paris, señor Porthos? - dijo la procuradora.

-Creía tenerlo - dijo Porthos adoptando su aire melancólico-, pero he visto claramente que me equivocaba.

-Lo tenéis, señor Porthos, lo tenéis - prosiguió la procuradora en un transporte que le sorprendió a ella misma ; venid mañana a casa. Vos sois hijo de mi tía, por tanto mi primo; venís de Noyon, en Picardía; tenéis varios procesos en Paris y estáis sin procurador. ¿Habéis retenido todo esto?

-Perfectamente, señora.

-Venid a la hora de la comida.

-Muy bien.

-Y manteneos firme ante mi marido, que es marrullero pese a sus setenta y seis años.

-¡Setenta y seis años! ¡Diablo! ¡Hermosa edad! - repuso Porthos. - La edad madura, querréis decir, señor Porthos. Por eso el pobre hombre puede dejarme viuda de un momento a otro - continuó la procuradora lanzando una mirada significativa a Porthos-. Afortunadamente, por contrato de matrimonio, nos hemos pasado todo al último que viva.

-¿Todo? - dijo Porthos. -Todo.

-Ya veo que sois una mujer precavida, mi querida señora Coquenard - dijo Porthos apretando tiernamente la mano de la procuradora.

-¿Estamos, pues, reconciliados, querido señor Porthos? - dijo ella haciendo melindres.

-Para toda la vida - replicó Porthos con el mismo aire.

-Hasta la vista entonces, traidor mío.

-Hasta la vista, olvidadiza mía.

-¡Hasta mañana, angel mío!

-¡Hasta mañana, llama de mi vida!

Milady

D'Artagnan había seguido a Milady sin ser notado por ella; la vio subir a su carroza y la oyó dar a su cochero la orden de ir a Saint-Germain.

Era inútil tratar de seguir a pie un coche llevado al trote por dos vigorosos caballos. D'Artagnan volvió, por tanto, a la calle Férou.

En la calle de Seine encontró a Planchet que se hallaba parado ante la tienda de un pastelero y que parecía extasiado ante un brioche de la forma más apetecible.

Le dio orden de ir a ensillar dos caballos a las cuadras del señor de Tréville, uno para él, D'Artagnan, y otro para Planchet, y venir a reunírsele a casa de Athos, porque el señor de Tréville había puesto sus cuadras de una vez por todas al servicio de D'Artagnan.

Planchet se encaminó hacia la calle del Colombier y D'Artagnan hacia la calle Férou. Athos estaba en su casa vaciando tristemente una de las botellas de aquel famoso vino español que había traído de su viaje a Picardía. Hizo señas a Grimaud de traer un vaso para d'Artagnan y Grimaud obedeció como de costumbre.

D'Artagnan contó entonces a Athos todo cuanto había pasado en la iglesia entre Porthos y la procuradora, y cómo para aquella hora su compañero estaba probablemente en camino de equiparse.

-Pues yo estoy muy tranquilo - respondió Athos a todo este relato ; no serán las mujeres las que hagan los gastos de mi arnés.

-Y, sin embargo, hermoso, cortés, gran señor como sois, mi querido Athos, no habría ni princesa ni reina a salvo de vuestros dardos amorosos.

-¡Qué joven es este D'Artagnan! - dijo Athos, encogiéndose de hombros.

E hizo señas a Grimaud para que trajera una segunda botella.

En aquel momento Planchet pasó humildemente la cabeza por la puerta entreabierta y anunció a su señor que los dos caballos estaban allí.

-¿Qué caballos? - preguntó Athos.

-Dos que el señor de Tréville me presta para el paseo y con los que voy a dar una vuelta por Saint Germain.

-¿Y qué vais a hacer a Saint Germain? - preguntó aún Athos.

Entonces D'Artagnan le contó el encuentro que había tenido en la iglesia, y cómo había vuelto a encontrar a aquella mujer que, con el señor de la capa negra y la cicatriz junto a la sien, era su eterna preocupación.

-Es decir, que estáis enamorado de ella, como lo estáis de la señora Bonacieux - dijo Athos encogiéndose desdeñosamente de hombros como si se compadeciese de la debilidad humana.

-¿Yo? ¡Nada de eso! - exclamó D'Artagnan-. Sólo tengo curiosidad por aclarar el misterio con el que está relacionada. No sé por qué, pero me imagino que esa mujer, por más desconocida que me sea y por más desconocido que yo sea para ella, tiene una influencia en mi vida.

-De hecho, tenéis razón - dijo Athos-. No conozco una mujer que merezca la pena que se la busque cuando está perdida. La señora Bonacieux está perdida, ¡tanto peor para ella! ¡Que ella misma se encuentre!

-No, Athos, no, os engañáis - dijo D'Artagnan ; amo a mi pobre Costance más que nunca, y si supiese el lugar en que está, aunque fuera en el fin del rrìundo, partiría para sacarla de las manos de sus verdugos; pero lo ignoro, todas mis búsquedas han sido inútiles. ¿Qué queréis? Hay que distraerse.

-Distraeos, pues, con Milady, mi querido D'Artagnan; lo deseo de todo corazón, si es que eso puede divertiros.

-Escuchad, Athos - dijo D'Artagnan ; en lugar de estaros encerrado aquí como si estuvierais en la cárcel, montad a caballo y venid conmigo a pasearos por Saint Germain.

-Querido - replicó Athos-, monto mis caballos cuando los tengo; si no, voy a pie.

Pues bién yo - respondió D'Artagnan sonriendo ante la misantropía de Athos, que en otro le hubiera ciertamente herido-, yo soy menos orgulloso que vos, yo monto lo que encuentro. Por eso, hasta luego, mi querido Athos.

-Hasta luego - dijo el mosquetero haciendo a Grimaud seña de descorchar la botella que acababa de traer.

D'Artagnan y Planchet montaron y tomaron el camino de Saint-Germain.

A lo largo del camino, lo que Athos había dicho al joven de la señora Bonacieux le venía a la mente. Aunque D'Artagnan no fuera de carácter muy sentimental, la linda mercera había causado una impresión real en su corazón; como decía, estaba dispuesto a ir al fin del mundo para buscarla. Pero el mundo tiene muchos fines por eso de que es redondo; de suerte que no sabía hacia qué lado volverse.

Mientras tanto, iba a tratar de saber lo que Milady era. Milady había hablado con el hombre de la capa negra, luego lo conocía. Ahora bien, en la mente de D'Artagnan era el hombre de la capa negra el que había raptado a la señora Bonacieux la segunda vez, como la había raptado la primera. D'Artagnan, pues, sólo mentía a medias, lo cual es mentir bien poco, cuando decía que dedicándose a la busca de Milady se ponía al mismo tiempo a la busca de Costance.

Mientras pensaba así y mientras daba de vez en cuando un golpe de espuela a su caballo, D'Artagnan había recorrido el camino y llegado a Saint Germain. Acababa de bordear el pabellón en que diez años más tarde debía nacer Luis XIV. Atravesaba una calle muy desierta, mirando a izquierda y dlyrecha por si reconocía algún vestigio de su bella inglesa, cuando en la planta baja de una bonita casa que según la costumbre de la época no tenía ninguna ventana que diese a la calle, vio aparecer una figura conocida. Esta figura paseaba por una especie de terraza adornada de flores. Planchet fue el primero en reconocerla.

-¡Eh, señor! - dijo dirigiéndose a D'Artagnan-. ¿No os acordáis de esa cara de papamoscas?

-No - dijo D'Artagnan ; y, sin embargo, estoy seguro de que no es la primera vez que veo esa cara.

-Ya lo creo, rediez - dijo Planchet : es el pobre Lubin, el lacayo del conde Wardes, al que tan bien dejasteis apañado hace un mes, en Calais en el camino hacia la casa de campo del gobernador.

-¡Ah, claro - dijo D'Artagnan-, y ahora lo reconozco! ¿Crees que él te reconocerá a ti?

-A fe, señor, que estaba tan confuso que dudo que haya guardado de mí un recuerdo muy claro.

-Pues bien, vete entonces a hablar con ese muchacho - dijo D'Artagnan - a infórmate en la conversación si su amo ha muerto.

Planchet se bajó del caballo, se dirigió directamente a Lubin que, en efecto, no lo reconoció, y los dos lacayos se pusieron a hablar con el mejor entendimiento del mundo, mientras D'Artagnan empujaba los dos caballos a una calleja y dando la vuelta a una casa volvía para asistir a la conferencia tras un seto de avellanos.

Al cabo de un instante de observación detrás del seto oyó el ruido de un coche y vio detenerse frente a él la carroza de Milady. No podía equivocarse, Milady estaba dentro. D'Artagnan se tendió sobre el cuerpo de su caballo para ver todo sin ser visto.

Milady sacó su encantadora cabeza rubia por la portezuela y dio órdenes a su doncella.

Esta última, joven de veinte a veintidós años, despierta y viva, verdadera doncella de gran dama, saltó del estribo en el que estaba sentada según la costumbre de la época y se dirigió a la terraza en la que D'Artagnan había visto a Lubin.

D'Artagnan siguió a la doncella con los ojos y la vio encaminarse hacia la terraza. Pero, por azar, una orden del interior había llamado a Lubin, de modo que Planchet se había quedado solo, mirando por todas partes por qué camino había desaparecido D'Artagnan.

La doncella se aproximó a Planchet, al que tomó por Lubin, y tendiéndole un billete dijo:

-Para vuestro amo.

-¿Para mi amo? - repuso Planchet extrañado.

-Sí, y es urgente. Daos prisa.

Dicho esto ella huyó hacia la carroza, vuelta de antemano hacia el sitio por el que había venido; se lanzó sobre el estribo y la carroza partió de nuevo.

Planchet dio vueltas y más vueltas al billete y luego, acostumbrado a la obediencia pasiva, saltó de la terraza, se metió en la callejuela y al cabo de veinte pasos encontró a D'Artagnan, quien habiéndolo visto todo, iba a su encuentro.

-Para vos, señor - dijo Planchet presentando el billete al joven.

-¿Para mí? - dijo D'Artagnan-. ¿Estás seguro de ello?

-Claro que estoy seguro; la doncella ha dicho: «Para tu amo.

» Y yo no tengo más amo que vos, así que... ¡Vaya real moza! A fe que...

D'Artagnan abrió la carta y leyó estas palabras:

«Una persona que se interesa por vos más de lo que puede decir, quisiera saber qué día podríais pasear por el bosque. Mañana, en el hostal del Champ du Drap d'Or, un lacayo de negro y rojo esperará vuestra respuesta.

»

-¡Oh, oh, esto sí que va rápido! - se dijo D'Artagnan-. Parece que Milady y yo nos preocupamos por la salud de la misma persona. Y bien, Planchet, ¿cómo va ese buen señor Wardes? Entonces, ¿no ha muerto?

-No, señor; va todo lo bien que se puede ir con cuatro estocadas en el cuerpo, porque, sin que yo os lo reproche, le largasteis cuatro a ese buen gentilhombre, y aún está débil, porque perdió casi toda su sangre. Como le había dicho al señor, Lubin no me ha reconocido, y me ha contado de cabo a rabo nuestra aventura.

-Muy bien, Planchet, eres el rey de los lacayos; ahora vuelve a subir al caballo y alcancemos la carroza.

No costó mucho; al cabo de cinco minutos divisaron la carroza detenida al otro lado de la carretera; un caballero ricamente vestido estaba a la portezuela.

La conversación entre Milady y el caballero era tan animada que D'Artagnan se detuvo al otro lado de la carroza sin que nadie, salvo la linda doncella, se diera cuenta de su presencia.

La conversación transcurría en inglés, lengua que D'Artagnan no comprendía; pero por el acento el joven creyó adivinar que la bella inglesa estaba encolerizada; terminó con un gesto que no dejó lugar a dudas sobre la naturaleza de aquella conversación: un golpe de abanico aplicado con tal fuerza que el pequeño adorno femenino voló en mil pedazos.

El caballero lanzó una carcajada que pareció exasperar a Milady.

D'Artagnan pensó que aquél era el momento de intervenir; de modo que se aproximó a la otra portezuela, descubriéndose respetuosamente, y dijo:

-Señora, ¿me permitís ofreceros mis servicios? Parece que este caballero os ha encolerizado. Decid una palabra, señora, y yo me encargo de castigarlo por su falta de cortesía.

A las primeras palabras Milady se había vuelto, mirando al joven con extrañeza, y cuando él hubo terminado:

-Señor - dijo ella, en muy buen francés-, de todo corazón me pondría bajo vuestra protección si la persona que me molesta no fuera mi hermano.

-¡Ah! Excusadme entonces - dijo D'Artagnan ; como comprenderéis, lo ignoraba, señora.

-¿Por qué se mezcla ese atolondrado - exclamó agachándose hasta la altura de la portezuela el caballero al que Milady había designado como pariente suyo - y por qué no sigue su camino?

-El atolondrado lo seréis vos - dijo D'Artagnan, agachándose a su vez sobre el cuello de su caballo y respondiendó por su lado por la portezuela ; no sigo mi camino porque me apetece detenerme aquí.

El caballero dirigió algunas palabras en inglés a su hermana.

-Yo os hablo en francés - dijo D'Artagnan ; hacedme, pues, el placer, por favor, de responderme en la misma lengua. Sois el hermano de la señora, de acuerdo, pero por suerte no lo sois mío.

Podría creerse que Milady, temerosa como lo es de ordinario cualquier mujer, iría a interponerse en aquel inicio de provocación, a fin de impedir que la querella siguiese adelante; pero, por el contrario, se lanzó al fondo de su carroza y gritó fríamente al cochero.

-¡Deprisa, al palacio!

La linda doncella lanzó una mirada de inquietud sobre D'Artagnan, cuyo buen aspecto parecía haber producido su efecto sobre ella.

La carroza partió dejando a los dos hombres uno frente al otro, sin ningún obstáculo material que los separase.

El caballero hizo un movimiento para seguir al coche, pero D'Artagnan, cuya cólera ya en efervescencia había aumentado todavía más al reconocer en él al inglés que en Amiens le había ganado su caballo y había estado a punto de ganar a Athos su diamante, saltó a la brida y lo detuvo.

-¡Eh, señor! - dijo-. Me parecéis todavía más atolondrado que yo, porque me da la impresión de que olvidáis que entre nosotros hay una pequeña querella.

-¡Ah, ah! - dijo en inglés-. Sois vos, mi señor. ¿Pero es que tonéis siempre que jugar un juego a otro!

-Sí, y eso me recuerda que tengo una revancha que tomar. Nos veremos, señor, si manejáis tan diestramente el estoque como el cubilete.

-Veis de sobra que no llevo espada - dijo el inglés-. ¿Queréis haceros el valiente contra un hombre sin armas?

-Espero que la tengáis en casa - replicó D'Artagnan-. En cualquier caso, yo tengo dos y, si queréis, os prestaré una.

-Inútil - dijo el inglés-, estoy provisto de sobra de esa clase de utensilios.

-Pues bien, mi digno gentilhombre - prosiguió D'Artagnan-, elegid la más larga y venid a enseñármela esta tarde.

-¿Dónde, si os place?

-Detrás del Luxemburgo, es un barrio encantador para paseos del género del que os propongo.

-De acuerdo, allí estaré.

-¿Vuestra hora?

-La seis.

-A propósito, probablemente tendréis también uno o dos amigos.

-Tengo tres que estarán muy honrados de jugar la misma partida que yo.

-¿Tres? Perfecto. ¡Qué coincidencia! - dijo D'Artagnan-. ¡Justo mi cuenta!

-Y ahora, ¿quién sois? - preguntó el inglés.

-Soy el señor D'Artagnan, gentilhombre gascón, que sirve en los guardias, compañía del señor Des Essarts. ¿Y vos?

-Yo soy lord de Winter, barón de Sheffield.

-Muy bien, soy vuestro servidor, señor barón - dijo D'Artagnan-, aunque tengáis nombres difíciles de retener.

Y espoleando a su caballo, lo puso al galope y tomó el camino de Paris.

Como solía hacer en semejantes ocasiones, D'Artagnan bajó derecho a casa de Athos.

Encontró a Athos acostado sobre un gran canapé en el que, como había dicho, esperaba que su equipo viniese a encontrarlo.

Contó a Athos todo lo que acababa de pasar, menos la carta del señor de Wardes.

Athos quedó encantado cuando supo que iba a batirse contra un inglés. Ya hemos dicho que era su sueño.

Enviaron a buscar al instante a Porthos y a Aramis por los lacayos, y se los puso al corriente de la situación.

Porthos sacó su espada fuera de la funda y se puso a espadonear contra el muro retrocediendo de vez en cuando y haciendo flexiones como un bailarín. Aramis, que seguía trabajando en su poema se encerró en el gabinete de Athos y pidió que no lo molestaran hasta el momento de desenvainar.

Athos pidió por señas a Grimaud una botella.

En cuanto a D'Artagnan, preparó para sus adentros un pequeño plan cuya ejecución veremos más tarde, y que le prometía alguna aventura graciosa, como podía verse por las sonrisas que de vez en cuando cruzaban su rostro cuya ensoñación iluminaban.

Ingleses y franceses

Llegada la hora, se dirigieron con los cuatro lacayos hacia el Luxemburgo, a un recinto abandonado a las cabras. Athos dio una moneda al cabrero para que se alejase. Los lacayos fueron encargados de hacer de centinelas.

Inmediatamente una tropa silenciosa se aproximó al mismo recinto, penetró en él y se unió a los mosqueteros; luego tuvieron lugar las presentaciones según las costumbres de ultramar.

Los ingleses eran todas personas de la mayor calidad, los nombres extraños de sus adversarios fueron, pues, para ellos tema no sólo de sospresa sino aun de inquietud.

-Pero a todo esto - dijo lord de Winter cuando los tres amigos hubieron dado sus nombres-, no sabemos quiénes sois, y nosotros no nos batiremos con nombres semejantes; son nombres de pastores.

-Como bien suponéis, milord, son nombres falsos - dijo Athos.

-Lo cual nos da aún mayor deseo de conocer los nombres verdaderos - respondió el inglés.

-Habéis jugado de buena gana contra nosostros sin conocerlos - dijo Athos-, y con ese distintivo nos habéis ganado nuestros dos caballos.

-Cierto, pero no arriesgábamos más que nuestras pistolas; esta vez arriesgamos nuestra sangre: se juega con todo el mundo, pero uno sólo se bate con sus iguales.

-Eso es justo - dijo Athos. Y llevó aparte a aquel de los cuatro ingleses con el que debía batirse y le dijo su nombre en voz baja.

Porthos y Aramis hicieron otro tanto por su lado.

-¿Os basta eso - dijo Athos a su adversario-, y me creéis tan gran señor como para hacerme la gracia de cruzar la espada conmigo?

-Sí, señor - dijo el inglés inclinándose.

-Y bien, ahora, ¿queréis que os diga una cosa? - repuso fríamente Athos.

-¿Cuál? - preguntó el inglés.

-Nunca deberíais haberme exigido que me diese a conocer.

-¿Por qué?

-Porque se me cree muerto, porque tengo razones para desear que no se sepa que vivo, y porque voy a verme obligado a mataros, para que mi secreto no corra por ahí.

El inglés miró a Athos, creyendo que éste bromeaba; pero Athos no bromeaba por nada del mundo.

-Señores - dijo dirigiéndose al mismo tiempo a sus compañeros y a sus adversarios-, ¿estamos?

-Sí - respondieron todos a una, ingleses y franceses.

-Entonces, en guardia - dijo Athos.

Y al punto, ocho espadas brillaron a los rayos del crepúsculo, y el combate comenzó con un encarnizamiento muy natural entre gentes dos veces enemigas.

Athos luchaba con tanta calma y método como si estuviera en una sala de armas.

Porthos, corregido sin duda de su excesiva confianza por su aventura de Chantilly, hacía un juego lleno de sutileza y prudencia.

Aramis, que tenía que terminar el tercer canto de su poema, se apresuraba como hombre muy ocupado.

Athos fue el primero en matar a su adversario: no le había lanzado más que una estocada, pero como había avisado, el golpe había sido mortal, la espada le atravesó el corazón.

Porthos fue el segundo en tender al suyo sobre la hierba: le había atravesado el muslo. Entonces, como el inglés le entregaba su espada sin hacer más resistencia, Porthos lo tomó en brazos y lo llevó a su carroza.

Aramis presionó al suyo con tanto vigor que, después de haber cedido una cincuentena de pasos, terminó por emprender la huida a todo correr y desapareció entre el abucheo de los lacayos.

En cuanto a D'Artagnan, había jugado pura y simplemente un juego defensivo; luego, cuando hubo visto a su adversario muy cansado, de un ataque de cuarta al flanco le había hecho soltar la espada. El barón, viéndose desarmado, dio dos o tres pasos hacia atrás; pero en este movimiento, su pie resbaló y cayó boca arriba.

D'Artagnan estuvo sobre él de un salto y poniéndole la espada en la garganta le dijo:

-Podría mataros, señor, y estáis entre mis manos, pero os concedo la vida por amor a vuestra hermana.

D'Artagnan se hallaba en el colmo de la alegría; acababa de realizar el plan que había proyectado de antemano, y cuyo desarrollo había hecho aflorar a su rostro las sonrisas de que hemos hablado.

El inglés, encantado con habérselas con un gentilhombre tan acomodaticio, estrechó a D'Artagnan entre sus brazos, hizo mil carantoñas a los tres mosqueteros y, como el adversario de Porthos ya estaba instalado en el coche y el de Aramis había puesto pies en polvorosa, no hubo que pensar más que en el difunto.

Cuando Porthos y Aramis lo desnudaban con la esperanza de que su herida no fuera mortal, una gruesa bolsa escapó de su cintura. D'Artagnan la recogió y se la tendió a lord de Winter.

-¿Y qué diablos queréis que haga yo con esto? - dijo el inglés.

-Entregádsela a su familia - dijo D'Artagnan.

-A su familia no le preocupa esa miseria: tiene más de quince mil luises de renta; guardaos esa bolsa para vuestros lacayos.

D'Artagnan metió la bolsa en su bolsillo.

-Y ahora, joven amigo, porque espero que me permitiréis daros ese nombre - dijo lord de Winter-, desde esta noche, si lo deseáis, os presentaré a mi hermana, lady Clarick; porque quiero que ella os conceda sus favores, y como no está mal vista en la corte, quizá en el futuro una palabra dicha por ella no os fuera del todo inútil.

D'Artagnan se ruborizó de placer y se inclinó en señal de asentimiento.

Mientras tanto, Athos se había acercado a D'Artagnan.

-¿Qué pensáis hacer con esa bolsa? - le dijo en voz baja al oído.

-Contaba con entregárosla, mi querido Athos.

-¿A mí? ¿Y eso por qué? -¡Toma! Vos lo habéis matado: son los despojos opimos.

-¡Yo heredero de un enemigo! - dijo Athos-. ¿Por quién me tomáis entonces?

-Es costumbre de guerra - dijo D'Artagnan-. ¿Por qué no habría de ser costumbre de un duelo?

-Ni siquiera he hecho eso en el campo de batalla - dijo Athos.

Porthos se encogió de hombros. Aramis, con un movimiento de labios, aprobó a Athos.

-Entonces - dijo D'Artagnan-, demos este dinero a los lacayos, como lord de Winter nos ha dicho que hagamos.

-Sí - dijo Athos-, demos esa bolsa no a nuestros lacayos, sino a los lacayos ingleses.

Athos cogió la bolsa y la lanzó a las manos del cochero.

-Para vos y vuestros compañeros.

Esta grandeza de modales en un hombre completamente privado de todo, sorprendió al mismo Porthos, y esta generosidad francesa, contada por lord de Winter y su amigo, tuvo gran éxito en todas partes salvo entre los señores Grimaud, Mosquetón Planchet y Bazin.

Lord de Winter dio a D'Artagnan, al despedirse, la dirección de su hermana; vivía en la Place Royale, que era entonces el barrio de moda, en el número 6. Además, se comprometía a ir a recogerlo para presentarlo. D'Artagnan lo citó a las ocho, en casa de Athos.

Aquella presentación a Milady preocupaba mucho la cabeza de nuestro gascón. Recordaba de qué extraña manera se había mezclado aquella mujer hasta entonces en su destino. Estaba convencido de que era alguna criatura del cardenal y, sin embargo, se sentía invenciblemente arrastrado hacia ella por uno de esos sentimientos de que uno no se da cuenta. Su único temor era que Milady reconociese en él al hombre de Meung y de Douvres. En ese caso, ella sabría que era uno de los amigos del señor de Tréville, y, por consiguiente, que pertenecía en cuerpo y alma al rey, lo cual, desde ese momento, le haría perder parte de sus ventajas, porque conocido de Milady como él la conocía a ella, jugaría con ella el mismo juego. En cuanto a aquel principio de intriga entre ella y el conde de Wardes, nuestro presuntuoso se preocupaba más bien poco, aunque el marqués fuera joven, guapo, rico y fuerte en el favor del cardenal. No en balde se tiene veinte años, y, sobre todo, ¡no en balde ha nacido uno en Tarbes!

D'Artagnan comenzó por ir a su casa para hacerse un aseo esplendente; luego se dirigió a la de Athos, y, según su costumbre, se lo contó todo. Athos escuchó sus proyectos; luego movió la cabeza y le recomendó prudencia con algo de amargura.

-¡Vaya! - le dijo-. Acabáis de perder a una mujer que decís que es buena, encantadora y perfecta, y ya estáis corriendo detrás de otra.

D'Artagnan se dio cuenta de la verdad de este reproche.

-Yo amaba a la señora Bonacieux de corazón, mientras que a Milady la amo con la cabeza; al hacerme llevar a su casa, busco sobre todo conocer el papel que juega en la corte.

-¡Diantre, el papel que juega! No es difícil de adivinar después de todo cuanto me habéis dicho. Es un emisario del cardenal: una mujer que os atraerá a una trampa en la que dejaréis sencillamente la cabeza.

-¡Diablos, mi querido Athos! Veis las cosas muy negras, en mi opinión.

-Querido, desconfío de las mujeres, ¿qué queréis? Estoy pagando por ello, y sobre todo de las mujeres rubias. Según me habéis dicho, Milady es rubia.

-Tiene el pelo del rubio más hermoso que se pueda hallar.

-¡Ay, mi pobre D'Artagnan! - exclamó Athos.

-Escuchad, quiero saber; luego, cuando sepa lo que deseo saber me alejaré.

-Ilustraos, pues - dijo flemáticamente Athos.

Lord de Winter llegó a la hora indicada, pero Athos, prevenido a tiempo, pasó a la segunda habitación. Encontró, pues, a D'Artagnao solo, y como eran cerca de las ocho llevó consigo al joven.

Una elegante carroza esperaba abajo, y como estaba enjaezadé con dos excelentes caballos, en un instante estuvieron en la Place Royale.

Milady Clarick recibió graciosamente a D'Artagnan. Su palacete era de una sustuosidad notable; y aunque la mayoría de los ingleses, expulsados por la guerra, abandonaban Francia o estaban a punto de abandonarla, Milady acababa de hacer en su casa nuevos gastos: lo cual probaba que la medida general que despedía a los ingleses no la afectaba.

-Veis aquí - dijo lord de Winter presentando a D'Artagnan a su hermana - a un joven gentilhombre que ha tenido mi vida entre sus manos, y que no ha querido abusar de su ventaja, aunque fuésemos dos veces enemigos, por ser yo quien lo insultó, y por ser inglés. Agradecédselo, pues, señora, si sentís alguna amistad por mí.

Milady frunció ligeramente el entrecejo; una nube apenas visible pasó por su frente, y en sus labios apareció una sonrisa tan extraña que el joven, que vio ese triple matiz, tuvo como un escalofrío.

El hermano no vio nada; se había vuelto para jugar con el mono favorito de Milady, al que había tirado por el jubón.

-Sed bienvenido, señor - dijo Milady con una voz cuya dulzura singular contrastaba con los síntomas de mal humor que acababa de observar D'Artagnan-, hoy habéis adquirido derechos eternos para mi gratitud.

El inglés se volvió entonces y contó el combate sin omitir detalle. Milady escuchó con la mayor atención; sin embargo, se veía fácilmente, por más esfuerzo que hiciese por ocultar sus impresiones, que el relato no le resultaba agradable. La sangre subía a su cabeza, y su pequeño pie se agitaba impacientemente bajo la falda.

Lord de Winter no se dio cuenta de nada. Luego, cuando hubo terminado, se acercó a una mesa donde estaban servidos, sobre una bandeja, una botella de vino español y vasos. Llenó dos vasos y con un gesto invitó a D'Artagnan a beber.

D'Artagnan sabía que era contrariar mucho a un inglés negarse a brindar con él. Se acercó, pues, a la mesa y cogió el segundo vaso. Sin embargo, no había perdido de vista a Milady, y en el cristal vislumbró el cambio que acababa de operarse en su rostro. Ahora que ella no creía ser mirada, un sentimiento que se parecía a la ferocidad animaba su fisonomia. Mordía su pañuelo a dentelladas.

Aquella linda criadita a la que D'Artagnan ya había visto entró entonces; dijo en inglés algunas palabras a lord de Winter, que pidió al punto a D’Artagnan permiso para retirarse, excusándose con la urgencia del asunto que le llamaba, y encargando a su hermana obtener su perdon.

D'Artagnan cambió un apretón de manos con lord de Winter y volvió junto a Milady. El rostro de aquella mujer, con movilidad sorprendente, había recuperado su expresión llena de gracia, y sólo algunas pequeñas manchas rojas sobre su pañuelo indicaban que se había mordido los labios hasta hacerse sangre.

Sus labios eran magníficos, hubiérase dicho de coral.

La conversación tomó un giro jovial. Milady parecía haberse repuesto enteramente. Contó que lord de Winter no era más que su cuñado, y no su hermano: se habia casado con el segundón de la familia, que a había dejado viuda con un hijo. Ese hijo era el único heredero de lord de Winter, si lord de Winter no se casaba. Todo esto dejaba ver a D'Artagnan un velo que envolvía algo, pero no distinguía aún nada bajo ese velo.

Por lo demás, al cabo de media hora de conversación D'Artagnan estaba convencido de que Milady era compatriota suya: hablaba francés con una pureza y una elegancia que no dejaban duda alguna al respecto.

D Artagnan se deshizo en palabras galantes y en protestas de afecto. A todas las sandeces que se le escaparon a nuestro gascón, Milady sonrió con benevolencia. Llegó la hora de retirarse. D'Artagnan se despidió de Milady y salió del salón como el más feliz de los hombres.

En la escalera encontró a la linda doncella, que le rozó suavemente al pasar y, ruborizándose hasta el blanco de los ojos, le pidió perdón por haberle tocado con una voz tan dulce que el perdón le fue concedido al instante.

D'Artagnan volvió al día siguiente y fue recibido mejor aún que la víspera. Lord de Winter no estaba, y fue Milady quien esta vez le hizo todos los honores de la velada. Pareció interesarse mucho por él, le preguntó de dónde era, quiénes eran sus amigos, y si no había pensado alguna vez en vincularse al servicio del señor cardenal.

D'Artagnan que, como sabemos, era muy prudente para un gascón de veinte años, se acordó entonces de sus sospechas sobre Milady; le hizo un gran elogio de Su Eminencia, le dijo que no habría dejado de entrar en los guardias del cardenal en lugar de entrar en los guardias del rey si hubiera conocido al señor de Cavois en lugar de conocer al señor de Tréville.

Milady cambió de conversación sin afectación alguna, y preguntó a D'Artagnan de la forma más descuidada del mundo si había estado alguna vez en Inglaterra.

D'Artagnan respondió que había sido enviado por el señor de Tréville para tratar de una remonta de caballos, y que incluso se había traido cuatro como muestra.

En el curso de esta conversación, Milady se pellizcó dos o tres veces los labios: tenía que vérselas con un gascón que jugaba fuerte.

A la misma hora que la víspera D'Artagnan se retiró. En el corredor volvió a encontrar a la linda Ketty, tal era el nombre de la doncella, Esta lo miró con una expresión de misteriosa benevolencia en la que no podía equivocarse. Pero D'Artagnan estaba tan preocupado por el ama que no se fijaba más que en lo que venía de ella.

D'Artagnan volvió a la casa de Milady al día siguiente, y al siguiente, y cada vez Milady le brindó una acogida más graciosa.

Cada vez también, bien en la antecámara, bien en el corredor, bien en la escalinata, volvía a encontrar a la linda doncella.

Pero como ya hemos dicho, D'Artagnan no prestaba ninguna atención a esta persistencia de la pobre Ketty.

Una cena de procurador

Mientras tanto, el duelo en el que Porthos había jugado un papel tan brillante no le había hecho olvidar la cena a la que le había invitado la mujer del procurador. Al día siguiente, hacia la una, se hizo dar la última cepillada por Mosquetón, y se encaminó hacia la calle Aux Ours, con el paso de un hombre que tiene dos veces suerte.

Su corazón palpitaba, pero no era, como el de D'Artagnan, por un amor joven a impaciente. No, un interés más material le latigaba la sangre, iba por fin a franquear aquel umbral misterioso, a subir aquella escalinata desconocida que habían construido, uno a uno, los viejos escudos de maese Coquenard.

Iba a ver, en realidad, cierto arcón cuya imagen había visto veinte veces en sus sueños; arcón de forma alargada y profunda, lleno de cadenas y cerrojos, empotrado en el suelo; arcón del que con tanta frecuencia había oído hablar, y que las manos algo secas, cierto, pero no sin elegancia, de la procuradora, iban a abrir a sus miradas admiradoras.

Y luego él, el hombre errante por la tierra, el hombre sin fortuna, el hombre sin familia, el soldado habituado a los albergues, a los tugurios; a las tabernas, a las posadas, el gastrónomo forzado la mayor parte del tiempo a limitarse a bocados de ocasión, iba a probar comidas caseras, a saborear un interior confortable y a dejarse mimar con esos pequeños cuidados que cuanto más duro es uno más placen, como dicen los viejos soldadotes.

Venir en calidad de primo a sentarse todos los días a una buena mesa, desarrugar la frente amarilla y arrugada del viejo procurador, desplumar algo a los jóvenes pasantes enseñándoles la baceta, el passedix y el lansquenete en sus jugadas más finas, y ganándoles a manera de honorarios por la lección que les daba en una hora sus ahorros de un mes, todo esto hacía sonreír enormemente a Porthos.

El mosquetero recordaba bien, de aquí y de allá, las malas ideas que corrían en aquel tiempo sobre los procuradores y que les han sobrevivido: la tacañería, los recortes, los días de ayuno, pero como después de todo, salvo algunos accesos de economía que Porthos había encontrado siempre muy intempectivos, había visto a la procuradora bastante liberal, para una procuradora, por supuesto, esperó encontrar una casa montada de forma halagüeña.

Sin embargo, a la puerta el mosquetero tuvo algunas dudas: el comienzo era para animar a la gente: alameda hedionda y negra, escalera mal aclarada por barrotes a través de los cuales se filtraba la luz de un patio vecino; en el primer piso una puerta baja y herrada con enormes clavos como la puerta principal de Grand Chátelet.

Porthos llamó con el dedo: un pasante alto, pálido y escondido bajo una selva virgen de pelo, vino a abrir y saludó con aire de hombre obligado a respetar en otro al mismo tiempo la altura que indica la fuerza, el uniforme militar que indica el estado, y la cara bermeja que indica el hábito de vivir bien.

Otro pasante más pequeño tras el primero, otro pasante más alto tras el segundo, un mandadero de doce años tras el tercero.

En total, tres pasantes y medio; lo cual, para la época, anunciaba un bufete de los más surtidos.

Aunque el mosquetero sólo tenía que llegar a la una, desde medio día la procuradora tenía el ojo avizor y contaba con el corazón y quizá también con el estómago de su adorador para que adelantase la hora.

La señora Coquenard llegó, pues, por la puerta de la vivienda casi al mismo tiempo que su invitado llegaba por la puerta de la escalera, y la aparición de la digna dama lo sacó de un gran apuro. Los pasantes eran curiosos y él, no sabiendo demasiado bien qué decir a aquella gama ascendente y descendente, permanecía con la lengua muda.

-Es mi primo - exclamó la procuradora ; entrad pues, entrad, señor Porthos.

El nombre de Porthos causó efecto en los pasantes, que se echaron a reír; pero Porthos se volvió, y todos los rostros recuperaron su gravedad.

Llegaron al gabinete del procurador tras haber atravesado la antecámara donde estaban los pasantes, y el estudio donde habrían debido estar; esta última habitación era una especie de sala negra y amueblada, con papelotes. Al salir del estudio, dejaron la cocina a la derecha y entraron en la sala de recibir.

Todas aquellas habitaciones que se comunicaban no inspiraron en Porthos buenas ideas. Las palabras debían oírse desde lejos por todas aquellas puertas abiertas; luego, al pasar, había lanzado una mirada rápida y escrutadora en la cocina, y a sí mismo se confesaba, para vergüenza de la procuradora y para pesar suyo, que no había visto ese fuego, esa animación, ese movimiento que a la hora de una buena comida reinan ordinariamente en ese santuario de la gula.

Indudablemente el procurador había sido prevenido de aquella visita, porque no testimonió ninguna sorpresa ante la vista de Porthos, que avanzó sobre él con un aire bastante desenvuelto y lo saludó cortésmente.

-Somos primos, según parece, señor Porthos - dijo el procurador levantándose a fuerza de brazos sobre su sillón de caña.

El viejo, envuelto en un gran jubón en el que se perdía su cuerpo endeble, era vigoroso y seco; sus ojillos grises brillaban como carbunclos y parecían, junto con su boca gesticulera, la única parte de su rostro donde quedaba vida. Por desgracia, las piernas comenzaban a rehusar servir a toda aquella máquina ósea; desde que hacía cinco o seis meses se había dejado sentir este debilitamiento, el digno procurador se había convertido casi en el esclavo de su mujer.

El primo fue aceptado con resignación, eso fue todo. Un maese Coquenard ligero de piernas hubiera declinado todo parentesco con el señor Porthos.

-Sí, señor, somos primos - dijo sin desconcertarse Porthos, que por otra parte jamás había contado con ser recibido por el marido con entusiamo.

-¿Por parte de las mujeres, según creo? - dijo maliciosamente el procurador.

Porthos no se dio cuenta de la socarronería y la tomó por una ingenuidad de la que se rió para sus adentros. La señora Coquenard, que sabía que el procurador ingenuo era una variedad muy rara en la especie, sonrió algo y se ruborizó mucho.

Desde la llegada de Porthos, maese Coquenard había puesto con inquietud los ojos en un gran armario colocado frente a su escritorio de roble. Porthos comprendió que aquel armario, aunque no correspondiese a la forma del que había visto en sus sueños, debía ser el bienaventurado arcón, y se congratuló de que la realidad tuviera seis pies más alto que el sueño.

Maese Coquenard no prosiguió más lejos sus investigaciones genealógicas, pero volviendo su mirada inquieta del armario a Porthos, se encontró con decir:

-Señor primo, antes de su partida para la campaña, nos hará el favor de cenar una vez con nosotros, ¿no es así, señora Coquenard?

En esta ocasión Porthos recibió el golpe en pleno estómago y lo sintió; parece que por su lado la señora Coquenard tampoco fue insensible a él porque añadió:

-Mi primo no volvería si cree que le tratamos mal; en caso contrario, tiene demasiado poco tiempo que pasar en París y, por consiguiente, para vernos, para que no le pidamos casi todos los instantes de que pueda disponer hasta su partida.

-¡Oh, mis piernas, mis pobres piernas! ¿Dónde estáis? - murmuró Coquenard. Y trató de sonreír.

Esta ayuda que le había llegado a Porthos en el momento que era atacado en sus esperanzas gastronómicas inspiró al mosquetero mucha gratitud hacia su procuradora.

Pronto llegó la hora de comer. Pasaron al comedor, gran sala oscura que se hallaba situada en frente a la cocina.

Los pasantes que, a lo que parece, habían notado en la casa perfumes desacostumbrados, eran de una exactitud militar, y tenían a mano sus taburetes, dispuestos como estaban a sentarse. Se los veía remover por adelantado las mandíbulas con disposiciones tremendas.

«¡Rediós! - pensó Porthos lanzando una mirada sobre los tres hambrientos, porque el mandadero no era, como es lógico, admitido en los honores de la mesa magistral-. ¡Rediós! En lugar de mi primo, yo no conservaría semejantes golosos. Se diría náufragos que no han comido desde hace seis semanas.

» Maese Coquenard entró, empujado en su sillón de ruedas por la señora Coquenard, a quien Porthos, a su vez, vino a ayudar para llevar a su marido hasta la mesa.

Apenas hubo entrado, movió la nariz y las mandíbulas al igual que sus pasantes.

-¡Vaya vaya! - dijo-. Tenemos una sopa prometedora.

-¿Qué diablos huelen de extraordinario en la sopa? - dijo Porthos ante el aspecto de un caldo pálido, abundante, pero completamente ciego y sobre el que nadaban algunas cortezas, raras como las islas de un archipiélago.

La señora Coquenard sonrió y a una indicación suya todo el mundo se sentó con diligencia.

El primero en ser servido fue maese Coquenard, luego Porthos; después la señora Coquenard llenó su plato y distribuyó las cortezas sin caldo a los pasantes impacientes.

En aquel momento se abrió por sí sola la puerta del comedor rechinando, y Porthos, a través de los batientes entreabiertos, vio al pequeño recadero que, no pudiendo participar en el festín, comía su pan entre el doble olor de la cocina y del comedor.

Tras la sopa, la criada trajo una gallina hervida; magnificiencia que hizo dilatar los párpados de los invitados de tal forma que parecían a punto de romperse.

-¡Cómo se ve que queréis a vuestra familia, señora Coquenard! - dijo el procurador con una sonrisa casi trágica-. Esto es una galantería que tenéis con vuestro primo.

La pobre gallina era delgada y estaba revestida de uno de esos gruesos pellejos erizados que los huesos nunca horadan pese a sus esfuerzos; habrían tenido que buscarla durante mucho tiempo antes de encontrarla en el palo al que se había retirado para morir de vejez.

«¡Diablos! - pensó Porthos-. ¡Sí que es triste esto! Yo respeto la vejez, pero hago poco caso de si está hervida o asada.

» Y miró a la redonda para ver si su opinión era compartida; pero al contrario que él, no vio más que ojos resplandecientes, que devoraban por adelantado aquella sublime gallina, objeto de sus desprecios.

La señora Coquenard atrajo la fuente para sí, separó hábilmente las dos grandes patas negras, que puso en el plato de su marido; cortó el cuello, que se puso, dejando a un lado la cabeza, para ella; cortó el ala para Porthos y devolvió a la criada que acababa de traerlo el animal, que volvió casi intacto, y que había desaparecido antes de que el mosquetero tuviera tiempo de examinar las variaciones que el desencanto pone en los rostros, según los caracteres y temperamentos de quienes lo experimentan.

En lugar del pollo, hizo su entrada una fuente de habas, fuente enorme en la que hacían ademán de mostrarse algunos huesos de cordero, a los que en un principio se hubiera creído acompañados de carne.

Mas los pasantes no fueron víctimas de esta superchería y los rostros lúgubres se convirtieron en rostros resignados.

La señora Coquenard distribuyó este manjar a los jóvenes con la moderación de una buena ama de casa.

Llegó la ronda del vino. Maese Coquenard echó de una botella de gres muy exigua el tercio de un vaso a cada uno de los jóvenes, se sirvió a sí mismo en proporciones casi iguales, y la botella pasó al punto del lado de Porthos y de la señora Coquenard.

Los jóvenes llenaron con agua aquel tercio de vino, luego, cuando habían bebido la mitad del vaso, volvían a llenarlo, y seguían haciéndolo siempre así; lo cual les llevaba al final de la comida a tragar una bebida que del color del rubí había pasado al del topacio quemado.

Porthos comió tímidamente su ala de gallina, y se estremeció al sentir bajo la mesa la rodilla de la procuradora que venía a encontrar la suya. Bebió también medio vaso de aquel vino tan escatimado, y que reconoció como uno de esos horribles caldos de Montreuil, terror de los, paladares expertos.

Maese Coquenard lo miró engullir aquel vino puro y suspiró.

-¿Queréis comer estas habas, primo Porthos? - dijo la señora Coquenard en ese tono que quiere decir: Creedme, no las comáis.

-¡Al diablo si las pruebo! - murmuró por lo bajo Porthos. Y añadió en voz alta : Gracias, prima, no tengo más hambre.

Y se hizo un silencio. Porthos no sabía qué comportamiento tener. El procurador repitió varias veces:

¡Ay señora Coquenard! Os felicito, vuestra comida era un verdadero festín. ¡Dios, cómo he comido!

Maese Coquenard había comido su sopa, las patas negras de la gallina y el único hueso de cordero en que había algo de carne.

Porthos creyó que se burlaban de él, y comenzó a retorcerse el mostacho y a fruncir el entrecejo; pero la rodilla de la señora Coquenard vino suavemente a aconsejarle paciencia.

Aquel silencio y aquella intrerrupción de servicio, que se habían vuelto ininteligibles para Porthos, tenían por el contrario una significación terrible para los pasantes: a una mirada del procurador, acompañada de una sonrisa de la señora Coquenard, se levantaron lentamente de la mesa, plegaron sus servilletas más lentamente aún, luego saludaron y se fueron.

-Id, jóvenes, id a hacer la digestión trabajando - dijo gravemente el procurador.

Una vez idos los pasantes, la señora Coquenard se levantó y sacó un trozo de queso, confitura de membrillo y un pastel que ella misma había hecho con almendras y miel.

Maese Coquenard frunció el ceño, porque veía demasiados postres; Porthos se pellizcó los labios, porque veía que no había nada que comer.

Miró si aún estaba allí el plato de habas; el plato de habas había desaparecido.

-Gran festín - exclamó maese Coquenard agitándose en su silla-, auténtico festín, epuloe epularum; Lúculo cena en casa de Lúculo.

Porthos miró la botella que estaba a su lado, y esperó que con vino, pan y queso comería; pero no había vino, la botella estaba vacía; el señor y la señora Coquenard no parecieron darse cuenta.

-Está bien - se dijo Porthos-, ya estoy avisado.

Pasó la lengua sobre una cucharilla de confituras y se dejó pegados los labios en la pasta pegajosa de la señora Coquenard.

-Ahora - se dijo-, el sacrificio está consumado. ¡Ay, si tuviera la esperanza de mirar con la señora Coquenard en el armario de su marido! Maese Coquenard, tras las delicias de semejante comida, que él llamaba exceso, sintió la necesidad de echarse la siesta. Porthos esperaba que tendría lugar a continuación y en aquel mismo lugar; pero el procurador maldito no quiso oír nada: hubo que llevarlo a su habitación y gritó hasta que estuvo delante de su armario, sobre cuyo reborde, por mayor precaución aún, posó sus pies.

La procuradora se llevó a Porthos a una habitación vecina y comenzaron a sentar las bases de la reconciliación.

-Podréis venir tres veces por semana - dijo la señora Coquenard.

-Gracias - dijo Porthos-, no me gusta abusar; además, tengo que pensar en mi equipo.

-Es cierto - dijo la procuradora gimiendo- Ese desgraciado equipo... -¡Ay, sí! - dijo Porthos-. Es por él.

-Pero ¿de qué se compone el equipo de vuestro regimiento, señor Porthos?

-¡Oh, de muchas cosas! - dijo Porthos-. Los mosqueteros, como sabéis, son soldados de elite, y necesitan muchos objetos que son inútiles para los guardias o para los Suizos.

-Pero detalládmelos...

-En total pueden llegar a... - dijo Porthos, que prefería discutir el total que el detalle.

La procuradora esperaba temblorosa.

¿A cuánto? - dijo ella-. Espero que no pase de... detuvo, le faltaba la palabra.

-¡Oh, no! - dijo Porthos-. No pasa de dos mil quinientas libras; creo incluso que, haciendo economías, con dos mil libras me arreglaré.

-¡Santo Dios, dos mil libras! - exclamó ella-. Eso es una fortuna.

Porthos hizo una mueca de las más significativas; la señora Coquenard la comprendió.

-Preguntaba por el detalle porque, teniendo muchos parientes y clientes en el comercio, estaba casi segura de obtener las cosas a la m tad del precio a que las pagaríais vos.

-¡Ah, ah - dijo Porthos-, si es eso lo que habéis querido decir!

-Sí, querido señor Porthos. ¿Así que lo primero que necesitáis es un caballo?

-Sí, un caballo.

-¡Pues bien, precisamente lo tengo!

-¡Ah! - dijo Porthos radiante-. O sea que lo del caballo está arreglado; luego me hacen falta el enjaezamiento completo, que se compone de objetos que sólo un mosquetero puede comprar, y que por otra parte no subirá de las trescientas libras.

-Trescientas libras, entonces pondremos trescientas libras - dijo la procuradora con un suspiro.

Porthos sonrió: como se recordará, tenía la silla que le venía di Buckingham: eran por tanto trescientas libras que contaba con mete astutamente en su bolsillo.

-Luego - continuó-, está el caballo de mi lacayo y mi equipaje en cuanto a las armas es inútil que os preocupéis, las tengo.

-¿Un caballo para vuestro lacayo? - contestó la procuradora. Vaya, sois un gran señor, amigo mío.

-Eh, señora - dijo orgullosamente Porthos-, ¿soy acaso un muerto de hambre?

-No, sólo decía que un bonito mulo tiene a veces tan buena pinta como un caballo, y que me parece que consiguiéndoos un buen mulo para Mosquetón...

-Bueno, dejémoslo en un buen mulo - dijo Porthos ; tenéis razón, he visto a muy grandes señores españoles cuyo séquito iba en mulo pero entonces incluid, señora Coquenard, un mulo con penachos cascabeles.

-Estad tranquilo - dijo la procuradora.

-Queda la maleta.

-Oh, en cuanto a eso no os preocupéis - exclamó la señor, Coquenard-, mi marido tiene cinco o seis maletas, escogeréis la mejor; tiene una sobre todo que le gustaba mucho para sus viajes y que, es tan grande que cabe un mundo.

-Y esa maleta, ¿está vacía? - preguntó ingenuamente Porthos.

-Claro que está vacía - respondió ingenuamente por su lado la procuradora.

-¡Ay, la maleta que yo necesito ha de ser una maleta bien provista, querida!

La señora Coquenard lanzó nuevos suspiros. Molière no había escrito aún su escena de L'Avare: la señora Coquenard precede por tanto a Harpagón.

En resumen, el resto del equipo fue debatido sucesivamente de la misma manera; y el resultado de la escena fue que la procuradora pediría a su marido un préstamo de ochocientas libras en plata, y proporcionaría el caballo y el mulo que tendrían el honor de llevar a la gloria a Porthos y a Mosquetón.

Fijadas estas condiciones, y estipulados los intereses así como la fecha de rembolso, Porthos se despidió de la señora Coquenard. Esta quería retenerlo poniéndole ojos de cordera; pero Porthos pretextó las exigencias del servicio, y fue necesario que la procuradora cediese el puesto al rey.

El mosquetero volvió a su casa con un hambre de muy mal humor.

Doncella y señora

Entre tanto, como hemos dicho, pese a los gritos de su conciencia y a los sabios consejos de Athos, D'Artagnan se enamoraba más de hora en hora de Milady; por eso no dejaba de ir ningún día a hecerle una corte a la que el aventurero gascón estaba convencido de que tarde o temprano no podía dejar ella de corresponderle.

Una noche que llegaba orgulloso, ligero como hombre que espera una lluvia de oro, encontró a la doncella en la puerta cochera; pero esta vez la linda Ketty no se contentó con sonreírle al pasar, le cogió dulcemente la mano.

-¡Bueno! - se dijo D'Artagnan-. Estará encargada de algún mensaje para mí de parte de su señora; va a darme alguna cita que no habrá osado darme ella de viva voz.

Y miró a la hermosa niña con el aire más victorioso que pudo adoptar.

-Quisiera deciros dos palabras, señor caballero... - balbuceó la doncella.

-Habla, hija mía, habla - dijo D'Artagnan-, te escucho.

-Aquí, imposible: lo que tengo que deciros es demasiado largo y sobre todo demasiado secreto.

-¡Bueno! Entonces, ¿qué se puede hacer?

-Si el señor caballero quisiera seguirme - dijo tímidamente Ketty.

-Donde tú quieras, hermosa niña.

-Venid entonces.

Y Ketty, que no había soltado la mano de D'Artagnan, lo arrastró por una pequeña escalera sombría y de caracol, y tras haberle hecho subir una quincena de escalones, abrió una puerta.

-Entrad, señor caballero - dijo-, aquí estaremos solos y podremos hablar.

-¿Y de quién es esta habitación, hermosa niña? - preguntó d'Artagnan.

-Es la mía, señor caballero; comunica con la de mi ama por esta puerta. Pero estad tranquilo no podrá oír lo que decimos, jamás se acuesta antes de medianoche.

D'Artagnan lanzó una ojeada alrededor. El cuartito era encantador de gusto y de limpieza; pero, a pesar suyo, sus ojos se fijaron en aquella puerta que Katty le había dicho que conducía a la habitación de Milady.

Ketty adivinó lo que pasaba en el alma del joven, y lanzó un suspiro.

-¡Amáis entonces a mi ama, señor caballero! - dijo ella.

-¡Más de lo que podría decir! ¡Estoy loco por ella!

Ketty lanzó un segundo suspiro.

-¡Ah, señor - dijo ella-, es una lástima!

-¿Y qué diablos ves en ello que sea tan molesto? - preguntó d'Artagnan.

-Es que, señor - prosiguió Ketty - mi ama no os ama.

-¡Cómo! - dijo d'Artagnan-. ¿Te ha encargado ella decírmelo? -¡Oh, no, señor! Soy yo quien, por interés hacia vos, he tomado la decisión de avisaros.

-Gracias, mi buena Ketty, pero sólo por la intención, porque comprenderás la confidencia no es agradable.

-Es decir, que no creéis lo que os he dicho, ¿verdad?

-Siempre cuesta creer cosas semejantes, hermosa niña, aunque no sea más que por amor propio.

-¿Entonces no me creéis?

-Confieso que hasta que no te dignes darme algunas pruebas de lo que me adelantáis.

-¿Qué decís a esto?

Y Ketty sacó de su pecho un billetito.

-¿Para mí? - dijo d'Artagnan apoderándose préstamente de la carta.

-No, para otro.

-¿Para otro?

-Sí.

-¡Su nombre, su nombre! - exclamó d'Artagnan.

-Mirad la dirección.

-Señor conde de Wardes. El recuerdo de la escena de Saint Germain se apareció de pronto al espíritu del presuntuoso gascón; con un movimiento rápido como el pensamiento, desgarró el sobre pese al grito que lanzó Ketty al ver lo que iba a hacer, o mejor, lo que hacía.

-¡Oh, Dios mío, señor caballero! - dijo-. ¿Qué hacéis?

-¡Yo nada! - dijo d'Artagnan; y leyó:

«No habéis contestado a mi primer billete. ¿Estáis entonces enfermo, o bien habéis olvidado los ojos que me pusisteis en el baile de la señora Guise? Aquí tenéis la ocasión, conde, no la dejéis escapar.»

D'Artagnan palideció; estaba herido en su amor propio, se creyó herido en su amor.

-¡Pobre señor d'Artagnan! - dijo Ketty con voz llena de compasión y apretando de nuevo la mano del joven.

-¿Tú me compadeces, pequeña? - dijo d'Artagnan.

-¡Sí, sí, con todo mi corazón, porque también yo sé lo que es el amor!

-¿Tú sabes lo que es el amor? - dijo d'Artagnan mirándola por primera vez con cierta atención.

-¡Ay, sí!

-Pues bien, en lugar de compadecerme, mejor harías en ayudarme a vengarme de tu ama.

-¿Y qué clase de venganza querríais hacer?

-Quisiera triunfar en ella, suplantar a mi rival.

-A eso no os ayudaré jamás, señor caballero –dijo vivamente Ketty.

-Y eso, ¿por qué? - preguntó d'Artagnan.

-Por dos razones.

-¿Cuáles?

-La primera es que mi ama jamás os amará.

-¿Tú qué sabes?

-La habéis herido en el corazón.

-¡Yo! ¿En qué puedo haberla herido, yo, que desde que la conozco vivo a sus pies como un esclavo? Habla, te lo suplico.

-Eso no lo confesaré nunca más que al hombre... que lea hasta el fondo de mi alma.

D'Artagnan miró a Ketty por segunda vez. La joven era de un frescor y de una belleza que muchas duquesas hubieran comprado con su corona.

-Ketty - dijo él-, yo leeré hasta el fondo de tu alma cuando quieras; que eso no te preocupe, querida niña.

Y le dio un beso bajo el cual la pobre niña se puso roja como una cereza.

-¡Oh, no! - exclamó Ketty-. ¡Vos no me amáis! ¡Amáis a mi ama, lo habéis dicho hace un momento!

-Y eso te impide hacerme conocer la segunda razón.

-La segunda razón, señor caballero - prosiguió Ketty envalentonada por el beso primero y luego por la expresión de los ojos del joven-, es que en amor cada cual para sí.

Sólo entonces d'Artagnan se acordó de las miradas lánguidas d Ketty y de sus encuentros en la antecámara, en la escalinata, en el corredor, sus roces con la mano cada vez que lo encontraba y sus suspiros ahogados; pero absorto por el deseo de agradar a la gran dama había descuidado a la doncella; quien caza el águila no se preocupa del gorrión.

Mas aquella vez nuestro gascón vio de una sola ojeada todo el partido que podía sacar de aquel amor que Ketty acababa de confesar de una forma tan ingenua o tan descarada: intercepción de cartas dirigidas al conde de Wardes, avisos en el acto, entrada a toda hora en la habitación de Ketty, contigua a la de su ama. El pérfido, como se vi sacrificaba ya mentalmente a la pobre muchacha para obtener a Milady de grado o por fuerza.

-¡Y bien! - le dijo a la joven-. ¿Quieres, querida Ketty, que te dé una prueba de ese amor del que tú dudas?

-¿De qué amor? - preguntó la joven.

-De ese que estoy dispuesto a sentir por ti.

-¿Y cuál es esa prueba?

-¿Quieres que esta noche pase contigo el tiempo que suelo pasar con tu ama?

-¡Oh, sí! - dijo Ketty aplaudiendo-. De buena gana.

-Pues bien, querida niña - dijo D'Artagnan sentándose en un sillón-, ven aquí que yo te diga que eres la doncella más bonita qu nunca he visto.

Y le dijo tantas cosas y tan bien que la pobre niña, que no pedi otra cosa que creerlo, lo creyó... Sin embargo, con gran asombro d D'Artagnan, la joven Ketty se defendía con cierta resolución.

El tiempo pasa de prisa cuando se pasa en ataques y defensas.

Sonó la medianoche y se oyó casi al mismo tiempo sonar la campanilla en la habitación de Milady.

-¡Gran Dios! - exclamó Ketty-. ¡Mi señora me llama! ¡Idos, idos rápido!

D'Artagnan se levantó, cogió su sombrero como si tuviera intención de obedecer; luego, abriendo con presteza la puerta de un gra armario en lugar de abrir la de la escalera, se acurrucó dentro en medio de los vestidos y las batas de Milady.

-¿Qué hacéis? - exclamó Ketty.

D'Artagnan, que de antemano había cogido la llave, se encerró en el armario sin responder.

-¡Bueno! - gritó Milady con voz agria-. ¿Estáis durmiendo? ¿Por qué no venís cuando llamo?

Y D'Artagnan oyó que abrían violentamente la puerta de comunicación.

-Aquí estoy, Milady, aquí estoy - exclamó Ketty lanzándose al encuentro de su ama.

Las dos juntas entraron en el dormitorio, y como la puerta de comunicación quedó abierta, D'Artagnan pudo oír durante algún tiempo todavía a Milady reñir a su sirvienta; luego se calmó, y la conversación recayó sobre él mientras Ketty arreglaba a su ama.

-¡Bueno! - dijo Milady-. Esta noche no he visto a nuestro gascón.

-¡Cómo, señora! - dijo Ketty-. ¿No ha venido? ¿Será infiel antes de ser feliz?

-¡Oh! No, se lo habrá impedido el señor de Tréville o el señor Des Essarts. Me conozco, Ketty, y sé que a ése lo tengo cogido.

-¿Qué hará la señora?

-¿Qué haré?... Tranquilízate, Ketty, entre ese hombre y yo hay algo que él ignora... Ha estado a punto de hacerme perder mi crédito ante Su Eminencia... ¡Oh! Me vengaré.

-Yo creía que la señora lo amaba.

-¿Amarlo yo? Lo detesto. Un necio, que tiene la vida de lord de Winter entre sus manos y que no lo mata y así me hace perder trescientas mil libras de renta.

-Es cierto - dijo Ketty-, vuestro hijo era el único heredero de su tío, y hasta su mayoría vos habríais gozado de su fortuna.

D'Artagnan se estremeció hasta la médula de los huesos al oír a aquella suave criatura reprocharle, con aquella voz estridente que a ella tanto le costaba ocultar en la conversación, no haber matado a un hombre al que él la había visto colmar de amistad.

-Por eso - continuó Milady-, ya me habría vengado en él si el cardenal, no sé por qué, no me hubiera recomendado tratarlo con miramiento.

-¡Oh, sil Pero la señora no ha tratado con miramientos a la mujer que él amaba.

-¡Ah, la mercera de la calle des Fossoyeurs! Pero ¿no se ha olvidado ya él de que existía? ¡Bonita venganza, a fe!

Un sudor frío corría por la frente de D'Artagnan: aquella mujer era un monstruo.

Volvió a escuchar, pero por desgracia el aseo había terminado.

-Está bien - dijo Milady-, volved a vuestro cuarto y mañana tratad de tener una respuesta a la carta que os he dado.

-¿Para el señor de Wardes? - dijo Ketty.

-Claro, para el señor de Wardes.

-Este me parece - dijo Ketty - una persona que debe de ser todo lo contrario que ese pobre señor D'Artagnan.

-Salid, señorita - dijo Milady-, no me gustan los comentarios.

D'Artagnan oyó la puerta que se cerraba, luego el ruido de dos cerrojos que echaba Milady a fin de encerrarse en su cuarto; por su parte, pero con la mayor suavidad que pudo, Ketty dio una vuelta de llave; entonces D'Artagnan empujó la puerta del armario.

-¡Oh, Dios mío! - dijo en voz baja Ketty-. ¿Qué os pasa? ¡Qué pálido estáis! -¡Abominable criatura! - murmuró D'Artagnan.

-¡Silencio, silencio salid! - dijo Ketty-. No hay más que un tabique entre mi cuarto y el de Milady, se oye en uno todo lo que se dice en el otro.

-Precisamente por eso no me marcharé - dijo D'Artagnan.

-¿Cómo? - dijo Ketty ruborizándose.

-O al menos me marcharé... más tarde.

Y atrajo a Ketty hacia él; no había medio de resistir - ¡la resistencia hace tanto ruido!-, por eso Ketty cedió.

Aquello era un movimiento de venganza contra Milady. D'Artagnan encontró que tenían razón al decir que la venganza es placer de dioses. Por eso, con algo de corazón se habría contentado con esta nueva conquista; mas D'Artagnan sólo tenía ambición y orgullo.

Sin embargo, y hay que decirlo en su elogio, el primer empleo que hizo de su influencia sobre Ketty fue tratar de saber por ella qué había sido de la señora Bonacieux; pero la pobre muchacha juró sobre el crucifijo a D'Artagnan que ignoraba todo, pues su ama no dejaba nunca penetrar más que la mitad de sus secretos; sólo creía poder responder que no estaba muerta.

En cuanto a la causa que había estado a punto de hacer perder a Milady su crédito ante el cardenal, Ketty no sabía nada más; pero en esta ocasión D'Artagnan estaba más adelantado que ella: como había visto a Milady en su navío acuartelado en el momento en que él dejaba Inglaterra, sospechó que aquella vez se trataba de los herretes de diamantes.

Pero lo más claro de todo aquello es que el odio verdadero, el odio profundo, el odio inveterado de Milady procedía de que no había matado a su cuñado.

D'Artagnan volvió al día siguiente a casa de Milady. Estaba ella de muy mal humor; D'Artagnan sospechó que era la falta de respuesta del señor de Wardes lo que tanto la molestaba. Ketty entró y Milady la recibió con dureza. Una ojeada que lanzó a D'Artagnan quería decir: ¡Ya veis cuánto sufro por vos!

Sin embargo, al final de la velada, la hermosa leona se dulcificó, escuchó sonriendo la frases dulces de D'Artagnan, incluso le dio la mano a besar.

D’Artagnan salió no sabiendo qué pensar; pero como era un muchacho al que no se hacía fácilmente perder la cabeza, al tiempo que hacía su corte a Milady, había esbozado en su mente un pequeño plan.

Encontró a Ketty en la puerta, y como la víspera subió a su cuarto para tener noticias. A Ketty la había reñido mucho, la había acusado de neglicencia. Milady no comprendía nada del silencio del conde de Wardes, y le había ordenado entrar en su cuarto a las nueve de la mañana para coger una tercera carta.

D'Artagnan hizo prometer a Ketty que llevaría a su casa esa carta a la mañana siguiente; la pobre joven prometió todo lo que quiso su amante: estaba loca.

Las cosas pasaron como la víspera; D'Artagnan se encerró en su armario. Milady llamó, hizo su aseo, despidió a Ketty y cerró su puerta. Como la víspera, D'Artagnan no volvió a su casa hasta la cinco de la mañana.

A las once, vio llegar a Ketty; llevaba en la mano un nuevo billete de Milady. Aquella vez, la pobre muchacha ni siquiera trató de disputárselo a D'Artagnan: le dejó hacer; pertenecía en cuerpo y alma a su hermoso soldado.

D'Artagnan abrió el billete y leyó lo que sigue:

«Esta es la tercera vez que os escribo para deciros que os amo. Tened cuidado de que no os escriba una cuarta vez para deciros que os detesto.

Si os arrepentís de vuestra forma de comportaros conmigo, la joven que os entregue este billete os dirá de qué forma un hombre galante puede obtener su perdón.»

D'Artagnan enrojeció y palideció varias veces al leer este billete.

-¡Oh, seguís amándola! - dijo Ketty, que no había separado un instante los ojos del rostro del joven.

-No, Ketty, te equivocas, ya no la amo; pero quiero vengarme de sus desprecios.

-Sí, conozco vuestra venganza; ya me lo habéis dicho.

-¡Qué te importa, Ketty! Sabes de sobra que sólo te amo a ti.

-¿Cómo se puede saber eso?

-Por el desprecio que haré de ella.

Ketty suspiró.

D'Artagnan cogió una pluma y escribió:

«Señora, hasta ahora había dudado de que fuese yo el destinatario de esos dos billetes vuestros, tan indigno me creía de semajante honor; además, estaba tan enfermo que en cualquier caso hubiese dudado en responder.

Pero hoy debo creer en el exceso de vuestras bondades porque no sólo vuestra carta, sino vuestra criada también, me asegura que tengo la dicha de ser amado por vos.

No tiene ella necesidad de decirme de qué manera un hombre galante puede obtener su perdón. Por tanto, iré a pediros el mío esta noche a las once. Tardar un día sería ahora a mis ojos haceros una nueva ofensa.

Aquel a quien habéis hecho el más feliz de los hombres.

Conde de Wardes.»

Este billete era, en primer lugar, falso; en segundo lugar una indelicadeza; incluso era, desde el punto de vista de nuestras costumbres-, actuales, algo como una infamia; pero no se tenían tantos miramientos en aquella época como se tienen hoy. Por otro lado D'Artagnan, por confesión propia, sabía a Milady culpable de traición a capítulos más importantes y no tenía por ella sino una estima muy endeble. Y sin embargo, pese a esa poca estima, sentía que una pasión insensata por aquella mujer le quemaba. Pasión embriagada de desprecio; pero pasión o sed, como se quiera.

La intención de D'Artagnan era muy simple; por la habitación de Ketty llegaba él a la de su ama; se beneficiaba del primer momento de sorpresa, de vergüenza, de terror para triunfar de ella; quizá fracasara, pero había que dejar algo al azar. Dentro de ocho días se iniciaba la campaña y había que partir; D'Artagnan no tenía tiempo de hilar el amor perfecto.

-Toma - dijo el joven entregando a Ketty el billete completamente cerrado - dale esta carta a Milady; es la respuesta del señor de Wardes.

La pobre Ketty se puso pálida como la muerte, sospechaba lo que contenía aquel billete.

-Escucha, querida niña - le dijo D'Artagnan-, comprendes que esto debe terminar de una forma o de otra; Milady puede descubrir que le has entregado el primer billete a mi criado en lugar de entregárselo al criado del conde; que soy yo quien ha abierto los otros que tenían que haber sido abiertos por el señor de Wardes; entonces Milady te echa y ya la conoces, no es una mujer como para quedarse en esa venganza.

-¡Ay! - dijo Ketty-. ¿Por quién me he expuesto a todo esto?

-Por mí, lo sabes bien hermosa mía - dijo el joven-, y por esto te estoy muy agradecido, te lo juro.

-Pero ¿qué contiene vuestro billete?

-Milady te lo dirá.

-¡Ay, vos no me amáis - exclamó Ketty-, y soy muy desgraciada!

Este reproche tuvo una respuesta con la que siempre se engañan las mujeres: D'Artagnan respondió de forma que Ketty permaneciese en el error más grande.

Sin embargo, ella lloró mucho antes de decidirse a entregar aquella carta a Milady; por fin se decidió, que es todo lo que D'Artagnan quería.

Además le prometió que aquella noche saldría temprano de casa de su ama y que al salir del salón del ama iría a su cuarto.

Esta promesa acabó por consolar a la póbre Ketty.

Donde se trata del equipo de Aramis y de Porthos

Desde que los cuatro amigos estaban a la caza cada cual de su equipo, no había entre ellos reunión fija. Cenaban unos sin otros, donde cada uno se encontraba, o mejor, donde se podía. El servicio, por su lado, les llevaba también una buena parte de su precioso tiempo, que transcurría tan deprisa. Habían convenido solamente en encontrarse una vez por semana, hacia la una en el alojamiento de Athos, dado que este último, según el juramento que había hecho, no pasaba del umbral de su puerta.

El mismo día en que Ketty había ido a buscar a D'Artagnan a su casa era día de reunión.

Ápenas hubo salido Ketty, D'Artagnan se dirigió hacia la calle Férou.

Encontró a Athos y Aramis que filosofaban. Aramis tenía ciertas veleidades de volver a ponerse la sotana. Athos, según su costumbre, ni lo disuadía ni lo alentaba. Athos era de la opinión de dejar a cada cual a su libre albedrío. Nunca daba consejos a no ser que se los pidieran. E incluso había que pedírselos dos veces.

-En general, no se piden consejos - decía - más que para no seguirlos; o, si se siguen, es para tener a alguien a quien se puede reprochar el haberlos dado.

Porthos llegó un momento después de D'Artagnan. Los cuatro amigos estaban, pues, reunidos.

Los cuatro rostros expresaban cuatro sentimientos distintos: el de Porthos tranquilidad; el de D'Artagnan, esperanza; el de Aramis, inquietud; el de Athos, despreocupación.

Al cabo de un instante de conversación en la cual Porthos dejó entrever que una persona situada muy arriba había tenido a bien encargarse de sacarle del apuro, entró Mosquetón.

Venía a rogar a Porthos que pasase a su alojamiento, donde su presencia era urgente, según decía con aire muy lastimoso.

-¿Es mi equipo? - preguntó Porthos.

-Sí y no - respondió Mosquetón.

-Pero ¿qué es lo que quieres decir?...

-Venid, señor.

Porthos se levantó, saludó a sus amigos y siguió a Mosquetón.

Un instante después, Bazin apareció en el umbral de la puerta.

-¿Para qué me queréis, amigo mío? - dijo Aramis con aquella dulzura de lenguaje que se observaba en él cada vez que sus ideas lo llevaban hacia la iglesia.

-Un hombre espera al señor en casa - respondió Bazin.

-¡Un hombre! ¿Qué hombre?

-Un mendigo.

-Dadle limosna, Bazin, y decidle que ruege por un pobre pecador.

-Ese mendigo quiere forzosamente hablaros, y pretende que estaréis encantado de verlo.

-¿No ha dicho nada de particular para mí?

-Sí. Si el señor Aramis, ha dicho, duda en venir a buscarme, le anunciaréis que llego de Tours.

-¿De Tours? - exclamó Aramis-. Señores, mil perdones, pero sin duda este hombre me trae noticias que esperaba.

Y levantándose al punto se alejó rápidamente.

Quedaron Athos y D'Artagnan.

-Creo que esos muchachos han encontrado su solución. ¿Qué pensáis, D'Artagnan? - dijo Athos.

-Sé que Porthos lleva camino de conseguirlo - dijo D'Artagnan ; y en cuanto a Aramis, a decir verdad, nunca me ha preocupado mucho; pero vos, mi querido Athos, vos que tan generosamente habéis distribuido las pistolas del inglés que eran vuestra legítima, ¿que vais a hacer?

-Estoy muy contento de haber matado a ese maldito, querido, dado que es pan bendito matar un inglés, pero si me hubiera embolsado sus pistolas me pesarían como un remordimiento.

-¡Vamos, mi querido Athos! Realmente tenéis ideas inconcebibles.

-¡Dejémoslo, dejémoslo! El señor de Tréville, que me hizo el honor de visitarme ayer, me dijo que frecuentáis a esos ingleses sospechosos que protege el cardenal.

-Eso quiere decir que visito una inglesa de la que ya os he hablado.

-Ah, sí, la mujer rubia respecto a la cual os he dado consejos que naturalmente os habéis cuidado mucho de seguir.

-Os he dado mis razones.

-Sí, veis ahí vuestro equipo, según creo por lo que me habéis dicho.

-¡Nada de eso! He conseguido la certeza de que esa mujer tiene algo que ver con el rapto de la señora Bonacieux.

-Sí, comprendo; para encontrar a una mujer, hacéis la corte a otra: es el camino más largo, pero el más divertido.

D'Artagnan estuvo a punto de contárselo todo a Athos; pero un punto lo detuvo: Athos era un gentilhombre severo sobre el pundonor, y en todo aquel pequeño plan que nuestro enamorado había fijado respecto a Milady había ciertas cosas que de antemano, estaba seguro de ello, no obtendrían el asentimiento del puritano; prefirió, pues, guardar silencio, y como Athos era el hombre menos curioso de la tierra, las confidencias de D'Artagnan se quedaron ahí.

Dejaremos, pues, a los dos amigos, que no tenían nada muy importante que decirse, para seguir a Aramis.

A la nueva de que el hombre que quería hablarle llegaba de Tours, ya hemos visto con qué rapidez el joven había seguido, o mejor, adelantado a Bazin; no dio, pues, más que un salto de la cane Férou a la calle de Vaugirard.

Al entrar en su casa, encontró efectivamente a un hombre de estatura baja y ojos inteligentes, pero cubierto de harapos.

-¿Sois vos quien preguntáis por mí? - dijo el mosquetero.

-Yo pregunto por el señor Aramis; ¿sois vos quien os llamáis así?

-Yo mismo; ¿tenéis algo que entregarme?

-Sí, si me mostráis cierto pañuelo bordado.

-Helo aquí - dijo Aramis sacando una llave de su pecho y abriendo un cofrecito de madera de ébano incrustado de nácar-, helo aquí, mirad.

-Está bien - dijo el mendigo-, despedid a vuestro lacayo.

En efecto, Bazin, curioso por saber lo que el mendigo quería de su maestro, había acompasado el paso al suyo, y había llegado casi al mismo tiempo que él; pero esta celeridad no le sirvió de gran cosa; a la invitación del mendigo, su amo le hizo seña de retirarse, y no tuvo más remedio que obedecer.

Una vez que Bazin salió, el mendigo lanzó una mirada rápida en torno a él, a fin de asegurarse de que nadie podía verlo ni oírlo, y abriendo su vestido harapiento mal apretado por un cinturón de cuero, se puso a descoser la parte alta de su jubón, de donde sacó una carta.

Aramis lanzó un grito de alegría a la vista del sello, besó la escritura, y con un respeto casi religioso abrió la epístola, que contenía lo que sigue:

«Amigo, la suerte quiere que sigamos separados por algún tiempo aún; mas los hermosos días de la juventud no se han perdido sin retorno. Cumplid vuestro deber en el campamento; yo cumplo el mío en otra parte; haced la campaña como gentilhombre valiente, y pensad en mí, que beso tiernamente vuestros ojos negros.

¡Adiós, o mejor, hasta luego!»

El mendigo seguía descosiendo; de sus sucios vestidos sacó una a una ciento cincuenta pistolas dobles de España, que alineó sobre la mesa; luego, abrió la puerta, saludó y partió antes de que el joven, estupefacto, hubiera osado dirigirle la palabra.

Aramis releyó entonces la carta, y se dio cuenta de que aquella carta tenía un post scriptum.

«P. S. - Podéis acoger al portador, que es conde y grande de España. »

-¡Sueños dorados! - exclamó Aramis-. ¡Oh hermosa vida! Sí, somos jóvenes. Sí, aún tendremos días felices. ¡Óh, para ti, para ti, amor mío, mi sangre, mi vida, todo, todo, mi bella dueña!

Y besaba la carta con pasión sin mirar siquiera el oro que centelleaba sobre la mesa.

Bazin llamó suavemente a la puerta; Aramis no tenía ya motivo para mantenerlo a distancia; le permitió entrar.

Bazin quedó estupefacto a la vista de aquel oro y olvidó que venía a anunciar a D'Artagnan, que, curioso por saber quién era el mendigo, venía a casa de Aramis al salir de la de Athos.

Pero como D'Artagnan no se preocupaba mucho con Aramis, al ver que Bazin olvidaba anunciarlo, se anunció él mismo.

-¡Diablo, mi querido Aramis! - dijo D'Artagnan-. Si esto son las ciruelas que os envían de Tours, presentaréis mis respetos al jardinero que las cosecha.

-Os equivocáis, querido - dijo Aramis siempre discreto-, es mi librero, que acaba de enviarme el precio de aquel poema en versos de una sílaba que comencé allá.

-¡Ah, claro! - dijo D'Artagnan-. Pues bien, vuestro librero es generoso, mi querido Aramis, es todo cuanto puedo deciros.

-¡Cómo, señor! - exclamó Bazin-. ¿Tan caro se vende un poema? ¡Es increble! Oh, señor, haced - cuantos queráis, podéis convertiros en el émulo del señor de Voiture y del señor de Benserade. También a mí me gusta esto. Un poeta es casi un abate. ¡Ah, señor Aramis, meteos, pues, a poeta, os lo suplico!

-Bazin, amigo mío - dijo Aramis-, creo que os estáis mezclando en la conversación.

Bazin comprendió que se había equivocado; bajó la cabeza y salió.

-¡Vaya! - dijo D'Artagnan con una sonrisa-. Vendéis vuestras producciones a peso de oro, sois muy afortunado, amigo mío; pero tened cuidado, vais a perder esa carta que sale de vuestra casaca, y que sin duda también es de vuestro librero.

Aramis se puso rojo hasta el blanco de los ojos, volvió a meter su carta y a abotonar su jubón.

-Mi querido D'Artagnan - dijo-, vayamos si os parece en busca de nuestros amigos; y puesto que soy rico, hoy volveremos a comer juntos a la espera de que vos seais rico en otra ocasión.

-¡A fe que con mucho gusto! - dijo D'Artagnan-. Hace tiempo que no hemos hecho una comida decente; y como por mi cuenta esta noche tengo que hacer una expedición algo arriesgada, no me molestará, lo confieso, que se me suba la cabeza con algunas botellas de viejo borgoña.

-¡Vaya por el viejo borgoña! Tampoco yo lo detesto - dijo. Aramis, a quien la vista del oro había quitado como con la mano sus ideas de retiro.

Y tras poner tres o cuatro pistolas en su bolso para responder a las necesidades del momento, guardó las otras en el cofre de ébano incrustado de nácar donde ya estaba el famoso pañuelo que le había servido de talismán.

Los dos amigos se dirigieron primero a casa de Athos que, fiel al juramento que había hecho de no salir, se encargó de hacerse traer - a cena a casa; como entendía a las mil maravillas los detalles gastronómicos, D'Artagnan y Aramis no pusieron ninguna dificultad en dejarle ese importante cuidado.

Se dirigían a casa de Porthos cuando en la esquina de la calle du Bac se encontraron con Mosquetón, que con aire lastimero echaba por delante de él a un mulo y a un caballo.

D'Artagnan lanzó un grito de sorpresa, que no estaba exento de mezcla de alegría.

-¡Ah, mi caballo amarillo! - exclamó-. Aramis, ¡mirad ese caballo!

-¡Oh, horroroso rocín! - dijo Aramis.

-Pues bien, querido - prosiguió D'Artagnan-, es el caballo sobre el que vine a Paris.

-¿Cómo? ¿El señor conoce este caballo? - dijo Mosquetón.

-Es de un color original - dijo Aramis ; es el único que he visto en mi vida con ese pelo.

-Eso creo también - prosiguió D'Artagnan ; yo lo vendí por eso en tres escudos, y debió ser por el pelo, porque el esqueleto no vale desde luego dieciocho libras. Pero ¿cómo se encuentra entre tus manos este caballo, Mosquetón?

-¡Ah - dijo el criado - no me habléis de ello, señor, es una mala pasada del marido de nuestra duquesa!

-¿Cómo ha sido eso, Mosquetón?

-Sí, somos vistos con buenos ojos por una mujer de calidad, la duquesa de..., pero perdón, mi amo me ha recomendado ser discreto. Nos había forzado a aceptar un pequeño recuerdo, un magnífico caballo berberisco y un mulo andaluz, que eran maravillosos de ver; el marido se ha enterado del asunto, ha confiscado al pasar las dos magníficas bestias que nos enviaban, ¡y las ha sustituido por estos horribles animales!

-Que tú devuelves - dijo D'Artagnan.

-Exacto - contestó Mosquetón ; comprenderéis que no podemos aceptar semejantes monturas a cambio de las que nos han prometido.

-No, pardiez, aunque me hubiera gustado ver a Porthos sobre mi Botón de Oro; eso me habría dado una idea de lo que era yo mismo cuando llegué a Paris. Pero no te entretenemos, Mosquetón, vete a hacer el recado de tu amo, vete. ¿Está él en casa?

-Sí, señor - dijo Mosquetón-, pero muy desapacible, id.

Y continuó su camino hacia el paseo des Grands Augustins, mientras los dos amigos iba a llamar a la puerta del infortunado Porthos. Este les había visto atravesar el patio y se había abstenido de abrir. Llamaron, pues, inútilmente.

Mientras tanto, Mosquetón continuaba su camino y al atravesar el Pont Neuf, siempre arreando delante de él sus dos matalones, llegó a la calle aux Ours. Llegado allí, ató, según las órdenes de su amo, caballo y mulo a la aldaba de la puerta del procurador; luego, sin inquietarse por su suerte futura, volvió en busca de Porthos y le anunció que su recado estaba hecho.

Al cabo de cierto tiempo, las dos desgraciadas bestias, que no habían comido desde la mañana, hicieron tal ruido alzando y dejando caer la aldaba de la puerta que el procurador ordenó a su recadero ir a informarse en el vecindario a quién pertenecían el çaballo y el mulo.

La señora Coquenard reconoció su regalo, y no comprendió al principio nada de aquella devolución; pero pronto la visita de Porthos la iluminó. La furia que brillaba en los ojos del mosquetero, pese a la coacción que se imponía espantó a la sensible amante. En efecto, Mosquetón no había ocultado a su amo que había encontrado a D'Artagnan y a Aramis, y que D'Artagnan había reconocido en el caballo amarillo la jaca bearnesa sobre la que había venido a Paris y que había vendido por tres escudos.

Porthos salió tras haber dado cita a la procuradora en el claustro Saint Maglorie. La procuradora, al ver que Porthos se iba, lo invitó a cenar, invitación que el mosquetero rehusó con aire lleno de majestad.

La señora Coquenard se dirigió toda temblorosa al claustro Saint-Maglorie, porque adivinaba los reproches que allí le esperaban; pero estaba fascinada por las grandes maneras de Porthos.

Todas las imprecaciones y reproches que un hombre herido en su amor propio puede dejar caer sobre la cabeza de una mujer, Porthos las dejó caer sobre la cabeza inclinada de la procuradora.

-¡Ay! - dijo-. Lo he hecho lo mejor que he podido. Uno de nuestros clientes es mercader de caballos, debía dinero al bufete, y se mostraba recalcitrante. He cogido este mulo y este caballo por lo que nos debía; me había prometido dos monturas regias.

-¡Pues bien, señora - dijo Porthos-, si os debía más de cinco escudos vuestro chalán es un ladrón!

-No está prohibido buscar lo barato, señor Porthos - dijo la procuradora tratando de excusarse.

-No, señora, pero quienes buscan lo barato deben permitir a los otros buscarse amigos más generosos.

Y Porthos, girando sobre sus talones, dio un paso para retirarse.

-¡Señor Porthos, señor Porthos! - exclamó la procuradora-. Me he equivocado, lo reconozco, y no habría debido regatear tratándose de equipar a un caballero como vos.

Porthos, sin responder, dio un segundo paso de retirada.

La procuradora creyó verlo en una nube centelleante todo rodeado de duquesas y marquesas que le lanzaban bolsas de oro a los pies.

-¡Deteneos, en nombre del cielo! Señor Porthos - exclamó-, deteneos y hablemos.

-Hablar con vos me trae mala suerte - dijo Porthos.

-Pero decidme, ¿qué pedís?

-Nada, porque esto equivale a lo mismo que si os pidiese algo.

La procuradora se colgó del brazo de Porthos, y en el impulso de su dolor, exclamó:

-Señor Porthos, yo ignoro todo esto, ¿sé acaso lo que es un caballo? ¿Sé lo que son los arneses?

-Teníais que haber confiado en mí, que sí lo sé, señora; pero habéis querido economizar y, en consecuencia, prestar a usura.

-Es un error, señor Porthos, y lo repararé bajo palabra de honor.

-¿Y cómo? - preguntó el mosquetero.

-Escuchad. Esta noche el señor Coquenard va a casa del señor duque de Chaulnes, que lo ha llamado. Es para una consulta que durará dos horas por los menos; venid, estaremos solos y haremos nuestras cuentas.

-¡En buena hora! Eso es lo que se dice hablar, querida mía.

-¿Me perdonáis?

-Veremos - dijo majestuosamente Porthos.

Y ambos se separaron diciéndose: Hasta esta noche.

«¡Diablos! - pensó Porthos al alejarse-. Me parece que me estoy acercando por fin al baúl de maese Coquenard.»

De noche todos los gatos son pardos

Aquella noche, tan impacientemente esperada por Porthos y D'Artagnan, llegó por fin.

D'Artagnan, como de costumbre, se presentó hacia las nueve en casa de Milady. La encontró de un humor encantador; jamás lo había recibido tan bien. Nuestro gascón vio a la primera ojeada que su billete había sido entregado, y ese billete producía su efecto.

Ketty entró para traer sorbetes. Su amante le puso una cara encantadora, le sonrió con una sonrisa más graciosa, mas, ¡ay!, la pobre chica estaba tan triste que no se dio cuenta siquiera de la benevolencia de Milady.

D'Artagnan miraba juntas a aquellas dos mujeres y se veía forzado a confesar que la naturaleza se había equivocado al formarlas; a la gran dama le había dado un alma venal y vil, a la doncella le había dado un corazón de duquesa.

A las diez Milady comenzó a parecer inquieta. D'Artagnan comprendió lo que aquello quería decir; miraba el péndulo, se levantaba, se volvía a sentar, sonreía a D'Artagnan con un aire que quería decir: Sois muy amable sin duda, pero seríais encantador si os fueseis.

D'Artagnan se levantó y cogió su sombrero; Milady le dio su mano a besar; el joven sintió que se la estrechaba y comprendió que era por un sentimiento no de coquetería, sino de gratitud por su marcha.

-Lo ama endiabladamente - murmuró. Luego salió.

Aquella vez Ketty no lo esperaba, ni en la antecámara, ni en el corredor, ni en la puerta principal. Fue preciso que D'Artagnan encontrase él solo la escalera y el cuarto.

Ketty estaba sentada con la cabeza oculta entre sus manos y lloraba.

Oyó entrar a D'Artagnan pero no levantó la cabeza; el joven fue junto a ella y le cogió las manos; entonces ella estalló en sollozos.

Como D'Artagnan había presumido, Milady, al recibir la carta, le había dicho todo a su criada en el delirio de su alegría; luego, como recompensa por la forma de haber hecho el encargo esta vez, le había dado una bolsa. Ketty, al volver a su cuarto, había tirado la bolsa en un rincón donde había quedado completamente abierta, vomitando tres o cuatro piezas de oro sobre el tapiz.

A la voz de D'Artagnan la pobre muchacha alzó la cabeza. D'Artagnan mismo quedó asustado por el transtorno de su rostro. Juntó las manos con aire suplicante, pero sin atreverse a decir una palabra.

Por poco sensible que fuera el corazón de D'Artagnan, se sintió enternecido por aquel dolor mudo; pero le importaban demasiado sus proyectos, y sobre todo aquél, para cambiar algo en el programa que se había trazado de antemano. No dejó, pues, a Ketty ninguna esperanza de ablandarlo, sólo que presentó su acción como simple venganza.

Por lo demás esta venganza se hacía tanto más fácil cuanto que Milady, sin duda para ocultar su rubor a su amante, había recomendado a Ketty apagar todas las luces del piso, a incluso de su habitación. Antes del alba el señor de Wardes debería salir, siempre en la oscuridad.

Al cabo de un instante se oyó a Milady que entraba en su habitación. D'Artagnan se abalanzó al punto a su armario. Apenas se había acurrucado en él cuando se dejó oír la campanilla.

Milady parecía ebria de alegría, se hacía repetir por Ketty los menores detalles de la pretendida entrevista de la doncella con de Warder, cómo había recibido él su carta, cómo había respondido, cuál era la expresión de su rostro, si parecía muy enamorado; y a todas estas preguntas la pobre Ketty, obligada a poner buena cara, respondía con una voz ahogada cuyo acento doloroso su ama ni siquiera notaba, ¡así de egoísta es la felicidad! Por fin, como la hora de su entrevista con el conde se acercaba, Milady hizo apagar todo en su cuarto, y ordenó a Ketty volver a su habitación a introducir a de Wardes tan pronto como se presentara.

La espera de Ketty no fue larga. Apenas D'Artagnan hubo visto por el agujero de la cerradura de su armario que todo el piso estaba en la oscuridad cuando se lanzó de su escondite en el momento mismo en que Ketty cerraba la puerta de comunicación.

-¿Qué es ese ruido? - preguntó Milady.

-Soy yo - dijo D'Artagnan a media voz-, yo, el conde de Wardes.

-¡Oh, Dios mío, Dios mío! - murmuró Ketty-. No ha podido esperar siquiera la hora que él mismo había fijado.

-¡Y bien! - dijo Milady con una voz temblorosa-. ¿Por qué no entra? Conde, conde - añadió-, ¡sabéis de sobra que os espero! A esta llamada, D'Artagnan alejó suavemente a Ketty y se precipitó en la habitación de Milady.

Si la rabia y el dolor deben torturar su alma, ésa es la del amante que recibe bajo un nombre que no es el suyo protestas de amor que se dirigen a su afortunado rival.

D'Artagnan estaba en una situación dolorosa que no había previsto, los celos le mordían el corazón, y sufría casi tanto como la pobre Ketty, que en aquel mismo momento lloraba en la habitación vecina.

-Sí, conde - decía Milady con su voz más dulce, apretando tiernamente su mano entre las suyas ; sí, soy feliz por el amor que vuestras miradas y vuestras palabras me han declarado cada vez que nos hemos encontrado. También yo os amo. ¡Oh, mañana, mañana, quiero alguna prenda de vos que demuestre que pensáis en mí, y, como podríais olvidarme, tomad!

Y ella pasó un anillo de su dedo al de D'Artagnan.

D'Artagnan se acordó de haber visto aquel anillo en la mano de Milady: era un magnífico zafiro rodeado de brillantes.

El primer movimiento de D'Artagnan fue devolvérselo, pero Milady añadió:

-No, no, guardad este anillo por amor a mí. Además, aceptándolo - añadió con voz conmovida - me hacéis un servicio mayor de lo que podríais imaginar.

«Esta mujer está llena de misterios» - murmuró para sus adentros D'Artagnan.

En aquel momento se sintió dispuesto a revelarlo todo. Abrió la boca para decir a Milady quién era, y con qué objetivo de venganza había venido, pero ella añadió:

-¡Pobre ángel, a quien ese monstruo de gascón ha estado a punto de matar!

El monstruo era él.

-¡Oh! - continuó Milady-. ¿Os hacen sufrir mucho todavía vuestras heridas?

-Sí, mucho - dijo D'Artagnan, que no sabía muy bien qué responder.

-Tranquilizaos - murmuró Milady-, yo os vengaré, y cruelmente.

«¡Maldita sea! - se dijo D'Artagnan-. El momento de las confidencias todavía no ha llegado.»

Necesitó D'Artagnan algún tiempo todavía para reponerse de este breve diálogo; pero todas las ideas de venganza que había traído se habían desvanecido por completo. Aquella mujer ejercía sobre él un increíble poder, la odiaba y la adoraba a la vez; jamás había creído que estos dos sentimientos tan contrarios pudieran habitar en el mismo corazón y al reunirse formar un amor extraño y en cierta forma diabólico.

Sin embargo, acababa de sonar la una; hubo que separarse; D'Artagnan, en el momento de dejar a Milady, no sintió más que un vivo pesar por alejarse, y en el adiós apasionado que ambos se dirigieron recíprocamente, convinieron una nueva entrevista para la semana siguiente. La pobre Ketty esperaba poder dirigir algunas palabras a D'Artagnan cuando pasara por su habitación, pero Milady lo guió ella misma en la oscuridad y sólo lo dejó en la escalinata.

Al día siguiente por la mañana, D'Artagnan corrió a casa de Athos. Estaba empeñado en una aventura tan singular que quería pedirle consejo. Le contó todo. Athos frunció varias veces el ceño.

-Vuestra Milady - le dijo - me parece una criatura infame, pero no por ello habéis dejado de equivocaros al engañarla; de una forma o de otra, tenéis un terrible enemigo encima.

Y al hablarle, Athos miraba con atención el zafiro rodeado de diamantes que había ocupado en el dedo de D'Artagnan el lugar del anillo de la reina, cuidadosamente puesto en un escriño.

-¿Veis este anillo? - dijo el gascón glorioso por exponer a las miradas de sus amigos un presente tan rico.

-Sí - dijo Athos-, me recuerda una joya de familia.

-Es hermoso, ¿no es cierto? - dijo D'Artagnan.

-¡Magnífico! - respondió Athos-. No creía que existieran dos zafiros de unas aguas tan bellas. ¿Lo habéis cambiado por vuestro diamante?

-No - dijo D'Artagnan : es un regalo de mi hermosa inglesa, o mejor, de mi hermosa francesa, porque, aunque no se lo he preguntado, estoy convencido de que ha nacido en Francia.

-¿Este anillo os viene de Milady? - exclamó Athos con una voz en la que era fácil distinguir una gran emoción.

-De ella misma; me lo ha dado esta noche.

-Enseñadme ese anillo - dijo Athos.

Athos lo examinó y palideció, luego probó en el anular de su mano izquierda; le iba a aquel dedo como si estuviera hecho para él. Una nube de cólera y de venganza pasó por la frente ordinariamente tranquila del gentilhombre.

-Es imposible que sea el mismo - dijo-. ¿Cómo iba a encontrarse este anillo en las manos de milady Clarick? Y sin embargo, es muy difícil que haya entre dos joyas un parecido semejante.

-¿Conocéis este anillo? - preguntó D'Artagnan.

-Había creído reconocerlo - dijo Athos-, pero sin duda me equivocaba.

Y lo devolvió a D'Artagnan sin cesar, sin embargo, de mirarlo.

-Mirad - dijo al cabo de un instante-, D'Artagnan, quitaos ese anillo de vuestro dedo o volved el engaste para dentro; me trae tan crueles recuerdos que no estaría tranquilo para hablar con vos. ¿No venís a pedirme consejos, no me decíais que estabais en apuros sobre lo que debíais hacer?... Esperad... Dejadme ese zafiro: ese al que yo me refiero debe tener una de sus caras rozada a consecuencia de un accidente.

D'Artagnan sacó de nuevo el anillo de su dedo y se lo entregó a Athos.

Athos se estremeció.

-Mirad - dijo-, ved, ¿no es extraño?

Y mostraba a D'Artagnan aquel rasguño que recordaba debía existir.

-Pero ¿de quién os venía este zafiro, Athos?

-De mi madre, que lo tenía de su madre. Como os digo, es una antigua joya... que jamás debió salir de la familia,.

-Y vos, ¿lo... vendisteis? - preguntó dudando D'Artagnan.

-No - contestó Athos con una sonrisa singular ; lo di durante una noche de amor, como os lo han dado a vos.

D'Artagnan permaneció pensativo a su vez; le parecía ver en el alma de Milady abismos cuyas profundidades eran sombrías y desconocidas.

Metió el anillo no en su dedo sino en su bolsillo.

-Oíd - le dijo Athos cogiéndole la mano-, ya sabéis cuánto os amo, D'Artagnan; si tuviera un hijo no lo querría tanto como a vos. Pues bien, creedme, renunciad a esa mujer. No la conozco, pero una especie de intuición me dice que es una criatura perdida, y que hay algo de fatal en ella.

-Y tenéis razón - dijo D'Artagnan-. También yo me aparto de ella; os confieso que esa mujer me asusta a mí incluso.

-¿Tendréis ese valor? - dijo Athos.

-Lo tendré - respondió D'Artagnan-, y desde ahora mismo.

-Pues bien, de verdad, hijo mío, tenéis razón - dijo el gentilhombre apretando la mano del gascón con un cariño casi paterno ; ojalá quiera Dios que esa mujer, que apenas ha entrado en vuestra vida, no deje en ella una huella funesta.

Y Athos saludó a D'Artagnan con la cabeza, como hombre que quiere hacer comprender que no le molesta quedarse a solas con sus pensamientos.

Al volver a su casa, D'Artagnan encontró a Ketty que lo esperaba. Un mes de fiebre no habría cambiado a la pobre niña más de lo que lo estaba por aquella noche de insomnio y de dolor.

Era enviada por su ama al falso de Wardes. Su ama estaba loca de amor, ebria de alegría; quería saber cuándo le daría el conde una segunda entrevista.

Y la pobre Ketty, pálida y temblorosa, esperaba la respuesta de D'Artagnan.

Athos tenía un gran influjo sobre el joven; los consejos de su amigo unidos a los gritos de su propio corazón le habían decidido, ahora que su orgullo estaba a salvo y su venganza satisfecha, a no volver a ver a Milady. Por toda respuesta tomó una pluma y escribió la carta siguiente:

«No contéis conmigo, señora, para la próxima cita; desde mi convalecencia tengo tantas ocupaciones de ese género que he tenido que poner cierto orden. Cuando llegue vuestra vez, tendré el honor de participároslo.

Os beso las manos.

Conde de Wardes.»

Del zafiro ni una palabra: ¿quería el gascón guardar un arma contra Milady? O bien, seamos francos, ¿no conservaba aquel zafiro como último recurso para el equipo?

Nos equivocaríamos por lo demás si juzgáramos las acciones de una época desde el punto de vista de otra época. Lo que hoy sería mirado como una vergüenza por un hombre galante era en ese tiempo algo sencillo y completamente natural, y los segundones de las mejores familias se hacían mantener por regla general por sus amantes.

D'Artagnan pasó su carta abierta a Ketty, que la leyó primero sin comprenderla y que estuvo a punto de enloquecer de alegría al releerla por segunda vez.

Ketty no podía creer en tal felicidad. D'Artagnan se vio obligado a renovarle de viva voz las seguridades que la carta le daba por escrito; y cualquiera que fuese, dado el carácter arrebatado de Milady, el peligro que corría la pobre niña al entregar aquel billete a su ama, no dejo de volver a la Place Royale a toda velocidad de sus piernas.

El corazón de la mejor mujer es despiadado para los dolores de un¡ rival.

Milady abrió la carta con una prisa igual a la que Ketty había puesto en traerla; pero a la primera palabra que leyó, se puso lívida; luego arrugó el papel; luego se volvió con un centelleo en los ojos hacia Ketty.

-¿Qué significa esta carta? - dijo.

-Es la respuesta a la de la señora - respondió Ketty toda temblorosa.

-¡Imposible! - exclamó Milady-. Imposible que un gentilhombre haya escrito a una mujer semejante carta.

Luego, de pronto, temblando:

-¡Dios mío! - dijo ella-. Sabrá... - y se detuvo.

Sus dientes rechinaban, estaba color ceniza; quiso dar un paso hacia la ventana para ir en busca de aire, pero no pudo más que tender los brazos, le fallaron las piernas y cayó sobre un sillón.

Ketty creyó que se mareaba y se precipitó para abrir su corsé. Pero Milady se levantó con presteza.

-¿Qué queréis? - dijo-. ¿Y por qué me ponéis las manos encima? -He pensado que la señora se mareaba y he querido ayudarla - respondió la sirvienta, completamente asustada por la expresión terrible que había tomado el rostro de su ama.

-¿Marearme yo? ¿Yo? ¿Yo? ¿Me tomáis por una mujerzuela Cuando se me insulta no me mareo, me vengo, ¿entendéis?

Y con la mano hizo a Ketty señal de que saliese.

Sueño de venganza

Por la noche, Milady ordenó introducir al señor D'Artagnan tan pronto como viniese, según su costumbre. Pero no vino.

Al día siguiente Ketty vino a ver de nuevo al joven y le contó todo lo que había pasado la víspera; D'Artagnan sonrió; aquella celosa cólera de Milady era su venganza.

Por la noche, Milady estuvo más impaciente aún que la víspera renovó la orden relativa al gascón, mas, como la víspera, lo esperó en vano.

Al día siguiente Ketty se presentó en casa de D'Artagnan, no alegre y viva como los dos días anteriores, sino por el contrario triste hasta morir.

D'Artagnan preguntó a la pobre niña lo que tenía; mas por toda respuesta ella sacó una carta de su bolso y se la entregó.

Aquella carta era de la escritura de Milady, sólo que esta vez estaba dirigida a D'Artagnan y no al señor de Wardes.

La abrió y leyó lo que sigue:

«Querido señor D'Artagnan, está mal descuidar así a sus amigos, sobre todo en el momento en que se los va a dejar por tanto tiempo. Mi cuñado y yo os hemos esperado ayer y anteayer inútilmente. ¿Pasará lo mismo esta tarde? Vuestra muy agradecida,

Lady Clarick. »

-Es muy sencillo - dijo D'Artagnan-, y esperaba esta carta. Mi crédito está en alza por la baja del conde de Wardes.

-¿Es que iréis? - preguntó Ketty.

-Escucha, querida niña - dijo el gascón, que trataba de excusarse a sus propios ojos de faltar a la promesa que le había hecho a Athos-, comprende que sería descortés no responder a una invitación tan positiva. Milady, al ver que no volvía, no comprendería nada de la interrupción de mis visitas, podría sospechar algo, y ¿quién puede decir hasta dónde iría la venganza de una mujer de ese temple?

-¡Dios mío! - dijo Ketty-. Sabéis presentar las cosas de forma que siempre tenéis razón. Pero vais a seguir haciéndole la corte, y si esta vez vais a agradarle bajo vuestro verdadero nombre y vuestro verdadero rostro, será mucho peor que la primera vez.

El instinto hacía adivinar a la pobre niña una parte de lo que iba a pasar.

D'Artagnan la tranquilizó lo mejor que pudo y le prometió permanecer insensible a las seduciones de Milady.

Le hizo responder que era imposible estar más agradecido a sus bondades y que se ponía a sus órdenes; pero no se atrevió a escribirle por miedo a no poder disimular suficientemente su escritura a unos ojos tan ejercitados como los de Milady.

Al sonar las nueve, D'Artagnan estaba en la Place Royale. Era evidente que los criados que esperaban en la antecámara estaban avisados, porque tan pronto como D'Artagnan apareció, antes incluso de que hubiera preguntado si Milady estaba visible, uno de ellos corrió a anunciarlo.

-Hacedle entrar - dijo Milady con voz seca, pero tan penetrante que D'Attagnan la oyó desde la antecámara.

Fue introducido.

-No estoy para nadie - dijo Milady-. ¿Entendéis? Para nadie El lacayo salió.

D'Artagnan lanzó una mirada curiosa sobre Milady; estaba pálida y tenía los ojos fatigados, bien por las lágrimas, bien por el insomnio Se había disminuido adrede el número habitual de luces, y sin embargo, la joven no podía llegar a ocultar las marcas de la fiebre que la había devorado desde hacía dos días.

D'Artagnan se acercó a ella con su galantería de costumbre; ella hizo entonces un esfuerzo supremo para recibirlo, pero jamás fisonomía más turbada desmintió sonrisa más amable.

A las preguntas que D'Artagnan le hizo sobre su salud:

-Mala - respondió ella - muy mala.

-Pero entonces - dijo D'Artagnan-, soy indiscreto, tenéis sin duda necesidad de reposo y voy a retirarme.

-No - dijo Milady ; al contrario, quedaos, señor D'Artagnar vuestra amable compañía me distraerá.

«¡Oh, oh! - pensó D'Artagnan-. Nunca ha estado tan encantadora, desconfiemos. »

Milady adoptó el aire más afectuoso que pudo adoptar, y dio toda la brillantez posible a su conversación. Al mismo tiempo aquella fiebre que la había abandonado hacía un instante volvía a dar brillo a sus ojos, color a sus mejillas, carmín a sus labios. D'Artagnan volvió a encontrar a la Circe que ya le había envuelto en sus encantos. Su amor, qu él creía apagado y que sólo estaba adormecido, se despertó en su corazón. Milady sonreía y D'Artagnan sentía que se condenaría por aquella sonrisa.

Hubo un momento en que sintió algo como un remordimiento por lo que había hecho contra ella.

Poco a poco Milady se volvió más comunicativa. Preguntó a D'Artagnan si tenía un amante.

-¡Ay! - dijo D'Artagnan con el aire más sentimental que pudo adoptar-. ¿Sois tan cruel para hacerme una pregunta semejante a mi que desde que os he visto no respiro ni suspiro más que por vos y para vos?

Milady sonrió con una sonrisa extraña.

-¿O sea que me amáis? - dijo ella.

-¿Necesito decíroslo? ¿No os habéis dado cuenta?

-Claro, pero ya lo sabéis, cuanto más orgullosos son los corazones, más difíciles son de coger.

-¡Oh, las dificultades no me asustan! - dijo D'Artagnan-. Sólo las cosas imposibles me espantan.

-Nada es imposible - dijo Milady - para un amor verdadero.

-¿Nada, señora?

-Nada - contestó Milady.

«¡Diablo! - prosiguió D'Artagnan para sus adentros-. La nota ha cambiado. ¿Se habrá enamorado la caprichosa de mí por casualidad, y estaría dispuesta a darme a mí mismo algún otro zafiro igual al que me ha dado al tomarme por de Wardes?» D'Artagnan acercó con presteza su silla a Milady.

-Veamos - dijo ella-, ¿qué haríais para probar ese amor de que habláis?

-Todo cuanto se exigiera de mí. Que me manden, estoy dispuesto.

-¿A todo?

-¡A todo! - exclamó D'Artagnan, que sabía de antemano que no arriesgaba gran cosa arriesgándose así.

-Pues bien, hablemos un poco - dijo a su vez Milady, acercando su sillón a la silla de D'Artagnan.

-Os escucho, señora - dijo éste.

Milady permaneció un instante preocupada y como indecisa; luego, pareciendo adoptar una resolución, dijo:

-Tengo un enemigo.

-¿Vos, señora? - exclamó D'Artagnan fingiendo sorpresa-. ¿Es posible, Dios mío? ¿Hermosa y buena como sois?

-¡Un enemigo mortal!

-¿De verdad?

-Un enemigo que me ha insultado tan cruelmente que entre él y yo hay una guerra a muerte. ¿Puedo contar con vos como auxiliar?

D'Artagnan comprendió inmediatamente adónde quería ir aquella vengativa criatura.

-Podéis, señora - dijo con énfasis ; mi brazo y mi vida os pertenecen como mi amor.

-Entonces - dijo Milady-, puesto que sois tan generoso como enamorado...

Se detuvo.

-¿Y bien? - preguntó D'Artagnan.

-Y bien - prosiguió Milady tras un momento de silencio-, cesad desde hoy de hablar de imposibilidades.

-No me agobiéis con mi dicha - exclamó D'Artagnan precipitándose de rodillas y cubriendo de besos las manos que le dejaban.

«Véngame de ese infame de Wardes - murmuró Milady entre dientes-, y sabré desembarazarme de ti luego, ¡doble tonto, hoja de espada viviente!»

«Cae voluntariamente entre mis brazos después de haberme burlado descaradamente, hipócrita y peligrosa mujer - pensaba D'Artagnan por su parte-, y luego me reiré de ti con aquel a quien quieres matar por mi mano.

» D'Artagnan alzó la cabeza.

-Estoy dispuesto - dijo.

-¿Me habéis, pues, comprendido, querido señor D'Artagnan? - dijo Milady.

-Adivinaré una de vuestras miradas.

-¿O sea que emplearíais por mí vuestro brazo, que tanta fama ha conseguido ya?

-Ahora mismo.

-Pero y yo - dijo Milady-, ¿cómo pagaré semejante servicio? Conozco a los enamorados, son personas que no hacen nada por nada.

-Vos sabéis la única respuesta que yo deseo - dijo D'Artagnan-, la única que sea digna de vos y de mí.

Y la atrajo dulcemente hacia él.

Ella resistió apenas.

-¡Interesado! - dijo ella sonriendo.

-¡Ah! - exclamó D'Artagnan verdaderamente arrastrado por la pasión que esta mujer tenía el don de encender en su corazón-. ¡Ay, cuán inverosímil me parece esta dicha! Tras haber tenido siempre miedo a verla desaparecer como un sueño, tengo prisa por hacerla realidad.

-Pues bien, mereced esa pretendida dicha.

-Estoy a vuestras órdenes - dijo D'Artagnan.

-¿Seguro? - preguntó Milady con una última duda.

-Nombradme al infame que ha podido hacer llorar vuestros hermosos ojos.

-¿Quién os dice que he llorado? - dijo ella.

-Me parecía...

-Las mujeres como yo no lloran - dijo Milady.

-¡Tanto mejor! Veamos, decidme cómo se llama.

-Pensad que su nombre es todo mi secreto.

-Sin embargo, es necesario que yo sepa su nombre.

-Sí, es necesario. ¡Ya veis la confianza que tengo en vos!

-Me colmáis de alegría. ¿Cómo se llama?

-Vos lo conocéis.

-¿De verdad?

-¿No será uno de mis amigos? - prosiguió D'Artagnan jugando a la duda para hacer creer en su ignorancia.

-Y si fuera uno de vuestros amigos, ¿dudaríais? - exclamó Milady. Y un destello de amenaza pasó por sus ojos.

-¡No, aunque fuese mi hermano! - exclamó D'Artagnan como arrebatado por el entusiasmo.

Nuestro gascón se adelantaba sin peligro porque sabía adónde iba.

-Amo vuestra adhesión - dijo Milady.

-¡Ay! ¿Sólo eso amáis en mí? - preguntó D'Artagnan.

-Os amo también a vos - dijo ella cogiéndole la mano.

Y la ardiente presión hizo temblar a D'Artagnan como si por el tacto aquella fiebre que quemaba a Milady lo ganase a él.

-¡Vos me amáis! - exclamó-. ¡Oh, si así fuera, sería para volverse loco!

Y la envolvió en sus dos brazos. Ella no trató de apartar sus labios de su beso, sólo que no lo devolvió.

Sus labios estaban fríos: a D'Artagnan le pareció que acababa de besar a una estatua.

No por ello estaba menos ebrio de alegría, electrizado de amor; creía casi en la ternura de Milady; creía casi en el crimen de de Wardes. Si de Wardes hubiera estado en ese momento al alcance de su mano, lo habría matado.

Milady aprovechó la ocasión.

-Se llama... - dijo ella a su vez.

-De Wardes, lo sé - exclamó D'Artagnan.

-¿Y cómo lo sabéis? - preguntó Milady cogiéndole las dos manos y tratando de llegar por sus ojos hasta el fondo de su alma.

D'Artagnan sintió que se había dejado llevar y que había cometido una falta.

-Decid, decid, pero decid - repetía Milady-, ¿cómo lo sabéis?

-¿Cómo lo sé? - dijo D'Artagnan.

-Sí.

-Lo sé porque ayer de Wardes, en un salón en el que yo estaba, ha mostrado un anillo que decía tener de vos.

-¡Miserable! - exclamó Milady.

El epíteto, como se supondrá, resonó hasta en el fondo del corazón de D'Artagnan.

-¿Y bien? - continuó ella.

-Pues bien, os vengaré de ese miserable - replicó D'Artagnan dándose aires de don Japhet de Armenia.

-Gracias, mi bravo amigo - exclamó Milady-. ¿Y cuándo seré vengada?

-Mañana, ahora mismo, cuando vos queráis.

Milady iba a exclamar: «Ahora mismo»; pero pensó que semejante precipitación sería poco graciosa para D'Artagnan.

Por otra parte, tenía mil precauciones que tomar, mil consejos que dar a su defensor, para que evitara explicaciones ante testigos con el conde. Todo esto estaba previsto por una frase de D'Artagnan.

-Mañana - dijo - seréis vengada o yo estaré muerto.

-¡No! - dijo ella-. Me vengaréis, pero no moriréis. Es un cobarde.

-Con las mujeres puede ser, pero no con los hombres. Sé algo sobre eso.

-Pero me parece que en vuestra pelea con él no habéis tenido que quejaros de la fortuna.

-La fortuna es una cortesana: favorable ayer, puede traicionar mañana.

-Lo cual quiere decir que ahora dudáis.

-No, no dudo, Dios me libre; pero, ¿sería justo dejarme ir a un muerte posible sin haberme dado al menos algo más que esperanza?

Milady respondió con una ojeada que quería decir:

«¿Sólo es eso? Marchaos, pues.

» Luego, acompañando la mirada de palabras explicativas:

-Es demasiado justo - dijo con ternura.

-¡Oh, sois un ángel! - dijo el joven.

-¿O sea que todo convenido? - dijo ella.

-Salvo lo que os pido, querida mía.

-Pero ¿cuando os digo que podéis confiar en mi ternura?

-No tengo el día de mañana para esperar.

-Silencio; oigo a mi hermano, es inútil que os encuentre aquí Llamó. Apareció Ketty.

-Salid por esa puerta - dijo ella empujándolo hacia una puertecilla oculta-, y volved a las once; acabaremos esta entrevista. Ketty os introducirá en mi cuarto.

La pobre niña pensó caerse hacia atrás al oír estas palabras.

-Y bien, ¿qué hacéis, señorita, permaneciendo ahí inmóvil com una estatua? - Vamos, llevad al caballero; y esta noche, a las once, habéis oído.

-Parece que sus citas son siempre a las once - pensó D'Artagnan ; es un hábito adquirido.

Milady le tendió una mano que él beso tiernamente.

-Veamos - dijo al retirarse y respondiendo apenas a los reproches de Ketty-, veamos, no hagamos el imbécil; decididamente es una mujer es una gran malvada; tengamos cuidado.

El secreto de Milady

D'Artagnan había salido del palacete en vez de subir inmediatamen a la habitación de Ketty, pese a las instancias que le había hecho la joven, y esto por dos razones: la primera, porque de esta forma evitaba los reproches, las recriminaciones, las súplicas; la segunda, porque no le importaba leer un poco en su pensamiento y, si era posible, en el de aquella mujer.

Todo cuanto él tenía de más claro dentro es que D'Artagnan amaba a Milady como un loco y que ella no lo amaba nada de nada. Por un instante, D'Artagnan comprendió que lo mejor que podría hacer sería regresar a su casa y escribirle a Milady una larga carta en la que le confesaría que él y de Wardes eran hasta el presente completamente el mismo, que por consiguiente no podía comprometerse, su pena de suicidio, a matar a de Wardes. Pero también estaba espoleado por un feroz deseo de venganza; quería poseer a su vez a aquella mujer bajo su propio nombre; y como esta venganza le parecía tener cierta dulzura no quería renunciar a ella.

Dio cinco o seis veces la vuelta a la Place Royale, volviéndose cada diez pasos para mirar la luz del piso de Milady, que se vislumbraba a través de las celosías; era evidente que en esta ocasión la joven estaba menos urgida que la primera de volver a su cuarto.

Por fin la luz desapareció.

Con aquella luz se apagó la última irresolución en el corazón de D'Artagnan; recordó los detalles de la primera noche, y con el corazón palpitante la cabeza ardiendo, entró en el palacete y se precipitó en el cuarto de Ketty.

La joven, pálida como la muerte, temblando con todos sus miembros, quiso detener a su amante; pero Milady, con el oído en acecho, había oído el ruido que había hecho D'Artagnan: abrió la puerta.

-Venid - dijo.

Todo esto era de un impudor increíble, de un descaro tan monstruoso que apenas si D'Artagnan podía creer en lo que veía y oía. Creía estar arrastrado a alguna de esas intrigas fantásticas como las que se realizan en el sueño.

No por ello se abalanzó menos hacia Milady, cediendo a la atracción que el imán ejerce sobre el hierro.

La puerta se cerró tras ellos.

Ketty se abalanzó a su vez contra la puerta.

Los celos, el furor, el orgullo ofendido, todas las pasiones que, en fin, se disputan el corazón de una mujer enamorada la empujaban a una revelación; pero estaba perdida si confesaba haberse prestado a semejante maquinación; y por encima de todo, D'Artagnan estaba perdido para ella. Este último pensamiento de amor le aconsejó aún este último sacrificio.

D'Artagnan, por su parte, estaba en el colmo de todos sus deseos: no era ya un rival al que se amaba en él, era a él mismo a quien parecía amar. Una voz secreta le decía muy en el fondo del corazón que no era más que un instrumento de venganza al que se acariciaba a la espera de que diese la muerte, pero el orgullo, el amor propio, la locura, hacían callar aquella voz, ahogaban aquel murmullo. Luego, nuestro gascón, con la dosis de confianza que nosotros le conocemos, se comparaba a de Wardes y se preguntaba por qué, a fin de cuentas, no le iba a amar, también a él, por sí mismo.

Se abandonó por tanto por entero a las sensaciones del momento. Milady no fue para él aquella mujer de intenciones fatales que le habían asustado por un momento, fue una amante ardiente y apasionada abandonándose por entero a su amor que ella misma parecía experimentar. Dos horas poco más o menos transcurrieron así.

Sin embargo, los transportes de los dos amantes se calmaron. Milady, que no tenía los mismos motivos que D'Artagnan para olvidar, fue la primera en volver a la realidad y preguntó al joven si las medidas que debían llevar al día siguiente a él y a de Wardes a un encuentro estaban fijadas de antemano en su mente.

Pero D'Artagnan, cuyas ideas habían adquirido un curso muy distinto, se olvidó como un imbécil y respondió galantemente que era muy tarde para ocuparse de duelos a estocadas.

Aquella frialdad por los únicos intereses que la preocupaban, asustó a Milady, cuyas preguntas se volvieron más agobiantes.

Entonces D Artagnan, que nunca había pensado seriamente en aquel duelo imposible, quiso desviar la conversación, pero no tenía ya fuerza.

Milady lo contuvo en los límites que había marcado de antemano con su espíritu iresistible y su voluntad de hierro.

D'Artagnan se creyó muy ingenioso aconsejando a Milady renunciar, perdonando a de Wardes, a los proyectos furiosos que ella había formado.

Pero a las primeras palabras que dijo, la joven se estremeció y se alejó.

-¿Tenéis acaso miedo, querido D'Artagnan? - dijo ella con una voz aguda y burlona que resonó extrañamente en la oscuridad.

-¡Ni lo penséis, querida! - respondió D'Artagnan-. ¿Y si, en última instancia, ese pobre conde de Wardes fuera menos culpable de lo que pensáis?

-En cualquier caso - dijo gravemente Milady-, me ha engañado, y desde el momento en que me ha engañado, ha merecido la muerte.

-¡Morirá, pues, puesto que lo condenáis! - dijo D'Artagnan en un tono tan firme que a Milady le pareció expresión de una adhesión a toda prueba.

Al punto ella se acercó a él.

No podríamos decir el tiempo que duró la noche para Milady; pero D'Artagnan creía estar a su lado hacía dos horas apenas cuando la luz apareció en las rendijas de las celosías y pronto invadió la habitación de claridad macilenta.

Entonces Milady, viendo que D'Artagnan iba a dejarla, le recordó la promesa que le había hecho de vengarla de de Wardes.

-Estoy completamente dispuesto - dijo D'Artagnan-, pero antes quisiera estar seguro de una cosa.

-¿De cuál? - preguntó Milady.

-De que me amáis.

-Me parece que os de dado la prueba.

-Sí, también soy yo en cuerpo y alma vuestro.

-¡Gracias, mi valiente amante! Pero de igual forma que yo os he probado mi amor, vos me probaréis el vuestro, ¿verdad?

-Desde luego. Pero si me amáis como decís - replicó D'Artagnan-, ¿no teméis por mí?

-¿Qué puedo temer?

-Pues que sea herido peligrosamente, que sea muerto, incluso.

-Imposible - dijo Milady-, sois un hombre muy valiente y una espada muy fina.

-¿No preferiríais, pues - replicó D'Artagnan-, un medio que os vengara y a la vez hiciera inútil el combate?

Milady miró a su amante en silencio: aquella luz macilenta de los primeros rayos del día daba a sus ojos claros una expresión extrañamente funesta.

-Realmente - dijo-, creo que ahora dudáis.

-No, no dudo; es que ese pobre conde de Wardes me da verdaderamente pena desde que ya no lo amáis, y me parece que un hombre debe estar tan cruelmente castigado por la pérdida sola de vuestro amor, que no necesita de otro castigo.

-¿Quién os dice que yo lo haya amado? - preguntó Milady.

-Al menos puedo creer ahora sin demasiada fatuidad que amáis a otro - dijo el joven en un tono cariñoso-, y os lo repito, me intereso por el conde.

-¿Vos? - preguntó Milady.

-Sí, yo.

-¿Y por qué vos?

-Porque sólo yo sé...

-¿Qué?

-Que está lejos de ser, o mejor, que está lejos de haber sido tan culpable hacia vos como parece.

-¿De veras? - dijo Milady con aire inquieto-. Explicaos, porque realmente no sé qué queréis decir.

Y miraba a D'Artagnan que la tenía abrazada con ojos que parecían inflamarse poco a poco.

-¡Sí, yo soy un hombre galante! - dijo D'Artagnan, decidido a terminar-. Y desde que vuestro amor es mío desde que estoy seguro de poseerlo, porque lo poseo, ¿no es cierto?

-Por entero, continuad.

-Pues bien me siento como transportado, me pesa una confesión.

-¿Una confesión?

-Si hubiera dudado de vuestro amor no lo habría hecho; pero, ¿me amáis, mi bella amante? ¿No es cierto que me amáis?

-Sin duda.

-Entonces, si por exceso de amor me he hecho culpable respecto a vos, ¿me perdonaréis?

-¡Quizá! D'Artagnan trató, con la sonrisa más dulce que pudo adoptar, de acercar sus labios a los labios de Milady, mar ella lo apartó.

-Esa confesión - dijo palideciendo-, ¿cuál es?

-Habíais citado a de Warder, el jueves último, en esta misma habitación, ¿no es cierto?

-¡Yo, no! Eso no es cierto - dijo Milady con un tono de voz tan firme y un rostro tan impasible que, si D Artagnan no hubiera tenido una certeza tan total, habría dudado.

-No mintáis, ángel mío - dijo D'Artagnan sonriendo-, sería inútil.

-¿Cómo? ¡Hablad, pues! ¡Me hacéis morir!

-¡Oh, tranquilizaos, no sois culpable frente a mí, y yo os he perdonado ya!

-¡Y después, después!

-De Warder no puede gloriarse de nada.

-¿Por qué? Vos mismo me habéis dicho que ese anillo...

-Ese anillo, amor mío, soy yo quien lo tengo. El duque de Warder del jueves y D'Artagnan de hoy son la misma persona.

El imprudente esperaba una sorpresa mezclada con pudor, una pequeña tormenta que se resolvería en lágrimas; pero se equivocaba extrañamente, y su error no duró mucho.

Pálida y terrible, Milady se irguió y al rechazar a D'Artagnan con un violento golpe en el pecho, se balanzó fuera de la cama.

D'Artagnan la retuvo por su bata de fina tela de Indias para implorar su perdón; mas ella con un movimiento potente y resuelto, trató de huir. Entonces la batista se degarró dejando al desnudo los hombros, y sobre uno de aquellos hermosos hombros redondos y blancos, D'Artagnan, con un sobrecogimiento inexpresable, reconoció la flor de lis, aquella marca indeleble que imprime la mano infamante del verdugo.

-¡Gran Dios! - exclamó D'Artagnan soltando la bata.

Y se quedó mudo, inmóvil y helado sobre la cama.

Pero Milady se sentía denunciada por el horror mismo de D'Artagnan. Sin duda lo había visto todo; el joven sabía ahora su secreto, secreto terrible que todo el mundo ignoraba, salvo él.

Ella se volvió, no ya como una mujer furiosa, sino como una pantera herida.

-¡Ah, miserable! - dijo ella-. Me has traicionado cobardemente, ¡y además conoces mi secreto! ¡Morirás!

Y corrió al cofre de marquetería puesto sobre el tocador, lo abrió con mano febril y temblorosa, sacó de él un pequeño puñal de mango de oro, de hoja aguda y delgada, y volvió de un salto sobre D'Artagnan medio desnudo.

Aunque el joven fuera valiente, como se sabe, quedó asustado por aquella cara alterada, aquellas pupilas horriblemente dilatadas, aquellas mejillas pálidas y aquellos labios sangrantes; retrocedió hasta quedar entre la cama y la pared, como habría hecho ante la proximidad de una serpiente que reptase hacia él, y al encontrar su espada bajo su mano mojada de sudor, la sacó de la funda.

Pero sin inquietarse por la espada, Milady trató de subirse a la cama para golpearlo, y no se detuvo sino cuando sintió la punta aguda sobre su pecho.

Entonces trató de coger aquella espada con las manos; pero D'Artagnan la apartó siempre de sus garras, y presentándola tanto frente a sus ojos como frente a su pecho, se dejó deslizar del lecho, tratando de retirarse por la puerta que conducía a la habitación de Ketty.

Durante este tiempo, Milady se abalanzaba sobre él con horribles transporter, rugiendo de un modo formidable.

Como esto se parecía a un duelo, D'Artagnan se iba reponiendo poco a poco.

-¡Bien, hermosa dama, bien! - decía-. Pero, por Dios, calmaos, u os dibujo una segunda flor de lis en el otro hombro.

-¡Infame, infame! - aullaba Milady.

Mas D'Artagnan, buscando siempre la puerta, estaba a la defensiva.

Al ruido que hacían, ella derribando los muebles para ir a por él, él parapetándose detrás de los muebles para protegerse de ella, Ketty abrió la puerta. D'Artagnan, que había maniobrado sin cesar para acercarse a aquella puerta, sólo estaba a tres pasos y de un solo impulso se abalanzó de la habitación de Milady a la de la criada y rápido como el relámpago cerró la puerta, contra la cual se apoyó con todo su peso mientras Ketty pasaba los cerrojos.

Entonces Milady trató de derribar el arbotante que la encerraba en su habitación con fuerzas muy superiores a las de una mujer; luego, cuando se dio cuenta de que era imposible, acribilló la puerta a puñaladas, algunas de las cuales atravesaron el espesor de la madera.

Cada golpe iba acompañado de una imprecación terrible.

-Deprisa, deprisa, Ketty - dijo D'Artagnan a media voz cuando los cerrojos fueron echados-. Sácame del palacio o, si le dejamos tiempo para prepararse, hará que me maten los lacayos.

-Pero no podéis salir así - dijo Ketty-, estáis completamente desnudo.

-Es cierto - dijo D'Artagnan, que sólo entonces se dio cuenta del traje que vestía-, es cierto vísteme como puedas, pero démonos prisa; compréndelo, se trata de vida o muerte.

Ketty no comprendía demasiado; en un visto y no visto le puso un vestido de flores, una amplia cofia y una manteleta; le dio las pantuflas, en las que metió sus pies desnudos, luego lo arrastró por los escalones. Justo a tiempo, Milady había hecho ya sonar la campanilla y despertado a todo al palacio. El portero tiró del cordón a la voz de Ketty en el momento mismo en que Milady, también medio desnuda, gritaba por la ventana: - ¡No abráis!

Cómo, sin molestarse, Athos encontró su equipo

El joven huía mientras ella lo seguía amenazando con un gesto impotente. En el momento que lo perdió de vista, Milady cayó desvanecida en su habitación.

D'Artagnan estaba tan alterado que, sin preocuparse de lo que ocurriría con Ketty atravesó medio París a todo correr y no se detuvo hasta la puerta de Athos. El extravío de su mente, el terror que lo espoleaba, los gritos de algunas patrullas que se pusieron en su persecución y los abucheos de algunos transeúntes, que pese a la hora poco avanzada, se dirigían a sus asuntos, no hicieron más que precipitar su camera.

Cruzó el patio, subió los dos pisos de Athos y llamó a la puerta como para romperla.

Grimaud vino a abrir con los ojos abotargados de sueño. D'Artagnan se precipitó con tanta fuerza en la antecámara, que estuvo a punto de derribarlo al entrar.

Pese al mutismo habitual del pobre muchacho, esta vez la palabra le vino.

-¡Eh, eh, eh! - exclamó-. ¿Qué queréis, corredora? ¿Qué pedís, bribona? D'Artagnan alzó sus cofias y sacó sus manos de debajo de la manteleta; a la vista de sus mostachos y de su espada desnuda, el pobre diablo se dio cuenta de que tenía que vérselas con un hombre.

Creyó entonces que era algún asesino.

-¡Socorro! ¡Ayuda! ¡Socorro! - gritó.

-¡Cállate desgraciado! - dijo el joven-. Soy D'Artagnan, ¿no me reconoces? ¿Dónde está tu amo?

-¡Vos, señor D'Artagnan! - exclamó Grimaud espantado-. Imposible.

-Grimaud - dijo Athos saliendo de su cuarto en bata-, creo que os permitís hablar.

-¡Ay, señor, es que!...

-Silencio.

Grimaud se contentó con mostrar con el dedo a su amo a D'Artagnan.

Athos reconoció a su camarada, y con lo flemático que era soltó una carcajada que motivaba de sobra la mascarada extraña que ante sus ojos tenía: cofias atravesadas, faldas que caían sobre los zapatos, mangas remangadas y mostachos rígidos por la emoción.

-No os riáis, amigo mío - exclamó D'Artagnan ; por el cielo, no os riáis, porque, por mi alma os lo digo, no hay nada de qué reírse.

Y pronunció estas palabras con un aire tan solemne y con un espanto tan verdadero que Athos le cogió las manos al punto exclamando:

-¿Estaréis herido, amigo mío? ¡Estáis muy pálido!

-No, pero acaba de ocurrirme un suceso terrible. ¿Estáis solo, Athos?

-¡Pardiez! ¿Quién queréis que esté en mi casa a esta hora?

-Bueno, bueno.

Y D'Artagnan se precipitó en la habitación de Athos.

-¡Venga, hablad! - dijo éste cerrando la puerta y echando los cerrojos para no ser molestados-. ¿Ha muerto el rey? ¿Habéis matado al señor cardenal? Estáis completamente cambiado; veamos, veamos, decid, porque realmente me muero de inquietud.

-Athos - dijo D'Artagnan desembarazándose de sus vestidos de mujer y apareciendo en camisón-, preparaos para oír una historia increíble, inaudita.

-Poneos primero esta bata - dijo el mosquetero a su amigo.

D'Artagnan se puso la bata, tomando una manga por otra: ¡tan emocionado estaba todavía!

-¿Y bien? - dijo Athos.

-Y bien - respondió D'Artagnan inclinándose hacia él oído de Athos y bajando la voz : Milady está marcada con una flor de lis en el hombro.

-¡Ay! - gritó el mosquetero como si hubiera recibido una bala en el corazón.

-Veamos - dijo D'Artagnan-, ¿estáis seguros de que la otra está bien muerta?

-¿La otra? - dijo Athos con una voz tan sorda que apenas si D'Artagnan la oyó.

-Sí, aquella de quien un día me hablasteis en Amiens.

Athos lanzó un gemido y dejó caer su cabeza entre las manos.

-Ésta - continuó D'Artagnan - es una mujer de veintiséis a veintiocho años.

-Rubia - dijo Athos-, ¿no es cierto?

-Sí.

-¿De ojos azul claro, con una claridad extraña, con pestañas y cejas negras? -Sí.

-¿Alta, bien hecha? Le falta un diente junto al canino de la izquierda.

-Sí.

-¿La flor de lis es pequeña, de color rojizo y como borrada por las capas de crema que le aplica.

-Sí.

-Sin embargo ¡vos decís que es inglesa!

-Se llama Milady, pero puede ser francesa. A pesar de esto, lord de Winter no es más que su cuñado.

-Quiero verla, D'Artagnan.

-Tened cuidado, Athos, tened cuidado; habéis querido matarla, es mujer para devolvérosla y no fallar en vos.

-No se atreverá a decir nada porque sería denunciarse a sí misma.

-¡Es capaz de todo! ¿La habéis visto alguna vez furiosa?

-No - dijo Athos.

-¡Una tigresa, una pantera! ¡Ay, mi querido Athos, tengo miedo de haber atraído sobre nosotros dos una venganza terrible! D'Artagnan contó entonces todo: la cólera insensata de Milady y sus amenazas de muerte.

-Tenéis razón y por mi alma que no daré mi vida por nada - dijo Athos-. Afortunadamente, pasado mañana dejamos Paris; con toda probabilidad vamos a La Rochelle, y una vez ¡dos...

-Os seguiría hasta el fin del mundo, Athos, si os reconociese; dejad que su odio se ejerza sobre mí sólo.

-¡Ay, querido amigo! ¿Qué me importa que ella me mate? - dijo Athos-. ¿Acaso pensáis que amo la vida?

-Hay algún horrible misterio en todo esto, Athos. Esta mujer es la espía del cardenal, ¡estoy seguro! -En tal caso, tened cuidado. Si el cardenal no os tiene en alta estima por el asunto de Londres, os tiene en gran odio; pero como, a fin de cuentas, no puede reprocharos ostensiblemente nada y es preciso que su odio se satisfaga, sobre todo cuando es un odio - de cardenal, tened cuidado. Si salís, no salgáis solo; si coméis, tomad vuestras precauciones; en fin, desconfiad de todo, incluso de vuestra sombra.

-Por suerte - dijo D'Artagnan-, sólo se trata de llegar a pasado mañana por la noche sin tropiezo, porque una vez en el ejército espero que sólo tengamos que temer a los hombres.

-Mientras tanto - dijo Athos-, renuncio a mis proyectos de reclusión, a iré por todas partes junto a vos; es preciso que volváis a la calle des Fossoyeurs, os acompaño.

-Pero por cerca que esté de aquí - replicó D'Artagnan-, no puedo volver así.

-Es cierto - dijo Athos. Y tiró de la campanilla.

Grimaud entró.

Athos le hizo señas de ir a casa de D'Artagnan y traer de allí vestidos.

Grimaud respondió con otra señal que comprendía perfectamente y partió.

-¡Ah! Con todo esto nada hemos avanzado en cuanto al equipo, querido amigo - dijo Athos ; porque, si no me equivoco, habéis dejado vuestro traje en casa de Milady, que sin duda no tendrá la atención de devolvéroslo. Suerte que tenéis el zafiro.

-El zafiro es vuestro, mi querido Athos. ¿No me habéis dicho que era un anillo de familia?

-Sí, mi padre lo compró por dos mil escudos, según me dijo antaño; formaba parte de los regalos de boda que hizo a mi madre; y el magnífico. Mi madre me lo dio, y yo, loco como estaba, en vez de guar dar ese anillo como una reliquia santa, se lo di a mi vez a esa miserable.

-Entonces, querido, tomad este anillo que comprendo que debéis tener.

-¿Coger yo ese anillo tras haber pasado por las manos de la infame? ¡Nunca! Ese anillo está mancillado, D'Artagnan.

-Vendedlo entonces.

-¿Vender un diamante que viene de mi madre? Os confieso que lo consideraría una profanación.

-Entonces, empeñadlo, y seguro que os prestan más de un millar de escudos. Con esa suma, tendréis dinero de sobra; luego, con el primer dinero que os venga, lo desempeñáis y lo recobráis lavado de sus antiguas manchas, porque habrá pasado por las manos de los usureros.

Athos sonrió.

-Sois un camarada encantador - dijo-, querido D'Artagnan; cot vuestra eterna alegría animáis a los pobres espíritus en la aflicción. ¡Pue bien, sí, empeñemos ese anillo, pero con una condición!

-¿Cuál?

-Que sean quinientos escudos para vos y quinientos escudos para mí.

-¿Pensáis eso, Athos? Yo no necesito la cuarta parte de esa suma, yo, que estoy en los guardias y que vendiendo mi silla la conseguiré. ¿Qué necesito? Un caballo para Planchet, eso es todo. Olvidáis además que también yo tengo un anillo.

-Al que apreciáis más, según me parece, de lo que yo aprecio al mío; he creído darme cuenta al menos.

-Sí, porque en una circunstancia extrema puede sacarnos no sólo de algún gran apuro, sino incluso de algún gran peligro; es no sólo un diamante precioso, sino también un talismán encantado.

-No os comprendo, pero creo en lo que me decís. Volvamos, pues, a mi anillo, o mejor a vuestro anillo; o aceptáis la mitad de la suma que nos den o lo tiro al Sena, y dudo mucho de que, como a Polícatres, haya algún pez lo bastante complaciente para devolvérnoslo.

-¡Bueno, acepto! - dijo D'Artagnan.

En aquel momento Grimaud entró acompañado de Planchet; éste, inquieto por su maestro y curioso por saber lo que le había pasado, había aprovechado la circunstancia y traía los vestidos él mismo.

D'Artagnan se vistió, Athos hizo otro tanto; luego, cuando los dos estuvieron dispuestos a salir, este último hizo a Grimaud la señal de hombre que se pone en campaña; éste descolgó al punto su mosquetón y se dispuso a acompañar a su amo.

Athos y D' Artagnan, seguidos de sus criados, llegaron sin incidentes a la calle des Fossoyeurs. Bonacieux estaba a la puerta y miró a D'Artagnan con aire socarrón.

-¡Vaya, mi querido inquilino! - dijo-. Daos prisa, tenéis una hermosa joven que os espera, y ya sabéis que a las mujeres no les gusta que las hagan esperar.

-¡Es Ketty! - exclamó D'Artagnan.

Y se precipitó por la alameda.

Efectivamente, en el rellano que conducía a su habitación y agazapada junto a su puerta, encontró a la pobre niña toda temblorosa. Cuando ella lo vio:

-Me habéis prometido vuestra protección, me habéis prometido salvarme de su cólera - dijo; recordad que sois vos quien me habéis perdido.

-Sí, por supuesto - dijo D'Artagnan-, cálmate, Ketty. Pero ¿qué ha pasado después de mi marcha?

-¿Lo sé acaso? - dijo Ketty-. A los gritos que se ha puesto a dar, los lacayos han acudido, estaba loca de cólera; ha vomitado contra vos todas las imprecaciones que existen. Entonces he pensado que ella recordaría que había sido por mi habitación por donde habíais penetrado en la suya, y que entonces pensaría que yo era vuestra cómplice; he cogido el poco dinero que tenía, mis vestidos mejores y me he escapado.

-¡Pobre niña? Pero ¿qué voy a hacer de ti? Me marcho pasado mañana.

-Lo que queráis, señor caballero, hacedme salir de Paris, hacedme salir de Francia.

-Sin embargo, no puedo llevarte conmigo al sitio de La Rochelle - dijo D'Artagnan.

-No, pero podéis colocarme en provincias, junto a alguna dama de vuestro conocimiento, en vuestra región por ejemplo.

-¡Ay, querida amiga! En mi región las damas no tienen doncellas. Pero espera, me hago cargo del asunto. Planchet, vete a buscarme a Aramis, que venga inmediatamente. Tenemos una cosa muy importante que decirle.

-¡Comprendo! - dijo Athos-. Pero ¿por qué no Porthos? Me parece que su marquesa...

-La marquesa de Porthos se hace vestir por los pasantes de su marido - dijo D'Artagnan riendo-. Además, Ketty no querría quedarse en la calle aux Ours, ¿no es así, Ketty?

-Me quedaré donde queráis - dijo Ketty-,con tal que esté bien escondida y que no sepa dónde estoy.

-Ahora, Ketty, que vamos a separarnos y que por consiguiente no estás ya celosa de mí...

-Señor caballero, cerca o lejos - dijo Ketty-, os amaré siempre.

-Dónde diablos va a anidar la constancia? - murmuró Athos.

-También yo - dijo D'Artagnan - también yo te amaré siempre, estáte tranquila. Pero, veamos, respóndeme. Ahora doy gran importancia a la pregunta que te hago: ¿Has oído hablar alguna vez de una dama joven a la que habían raptado cierta noche? -Esperad... ¡Oh, Dios mío! Señor caballero, ¿es que todavía amáis a esa mujer?

-No, uno de mis amigos es el que la ama. Mira, es Athos, ése que está ahí.

-¿Yo? - exclamó Athos con acento parecido al de un hombre que se da cuenta que va a poner el pie sobre una culebra.

-¡Claro, vos! - dijo D'Artagnan apretando la mano de Athos-. Sabéis de sobra el interés que todos nosotros sentimos por esa pobre señora Bonacieux. Además, Ketty no dirá nada, ¿no es así, Ketty? Compréndelo, niña mía - continuó D'Artagnan-, es la mujer de ese horrible mamarracho que has visto a la puerta al entrar aquí.

-¡Oh, Dios mío! - exclamó Ketty-. Me recordáis mi miedo, ¡con tal que no me haya reconocido!...

-¿Cómo reconocido? ¿Has visto en otra ocasión a ese hombre?

-Fue dos veces a casa de Milady.

-Ah, eso es. ¿Cuándo?

-Pues hará unos quince o dieciocho días aproximadamente.

-Exacto.

-Y volvió ayer tarde.

-Ayer tarde.

-Sí, un momento antes de que vos mismo vinieseis.

-Mi querido Athos, estamos envueltos en una red de espías. ¿Y crees que lo ha reconocido?

-He bajado mi cofia al verlo, pero quizá era demasiado tarde.

-Bajad Athos de vos desconfía menos que de mí, y ved si todavía está en la puerta.

Athos descendió y volvió a subir en seguida.

-Se ha marchado - dijo-, y la casa está cerrada.

-Ha ido a informar y a decir que todos los pichones están en este momento en el palomar.

-¡Pues bien, volemos entonces - dijo Athos - y dejemos aquí sólo a Planchet para que nos lleve las noticias!

-¡Un momento! ¿Y Aramis, al que hemos ido a buscar?

-Está bien - dijo Athos - esperemos a Aramis.

En aquel momento entró Áramis.

-Se le expuso el asunto y se le dijo cuán urgente era encontrar un lugar para Ketty entre todos sus altos conocimientos.

Aramis reflexionó un momento y dijo ruborizándose.

-¿Os haría un buen servicio, D'Artagnan?

-Os quedaría agradecido por él toda mi vida.

-Pues bien, la señora de Bois Tracy me ha pedido según creo para una de sus amigas que vive en provincias, una doncella segura; y si vos, mi querido D'Artagnan, podéis responderme de la señorita...

-¡Oh, señor - exclamó Ketty - sería totalmente adicta, estad seguro de ello, a la persona que me dé los medios para dejar París!

-Entonces - dijo Aramis-, todo está arreglado.

Se sentó a la mesa y escribió unas letras, que luego selló con un anillo, y le dio el billete a Ketty.

-Ahora, hija mía - dijo D'Artagnan-, ya sabes que aquí tan insegura estás tú como nosotros. Separémonos. Ya volveremos a encontrarnos en tiempos mejores.

-En el tiempo en que nos encontremos, y en el lugar que sea - dijo Ketty-, me volveréis a encontrar tan amante como lo soy ahora de vos.

-Juramento de jugador - dijo Athos mientras D'Artagnan iba a acompañar a Ketty a la escalera.

Un instante después los tres jóvenes se separaron tras citarse a las cuatro en casa de Athos y dejando a Planchet para guardar la casa.

Aramis regresó a la Buys, y Athos y D'Artagnan se preocuparon de la venta del zafiro.

Como había previsto nuestro gascón, encontraron fácilmente trescientas pistolas por el anillo. Además el judío anunció que, si querían vendérselo, como le servía de colgante magnífico para los pendientes de las orejas daría por él hasta quinientas pistolas.

Athos y D'Artagnan, con la actividad de dos soldados y la ciencia de dos conocedores, tardaron tres horas apenas en comprar todo el equipo de mosquetero. Además Athos era acomodaticio y gran señor hasta la punta de las uñas. Cada vez que algo le convenía, pagaba el precio exigido sin tratar siquiera de regatear. D'Artagnan quería hacer entonces algunas observaciones, pero Athos le ponía la mano sobre el hombro sonriendo y D'Artagnan comprendía que era bueno para él, pequeño geltilhombre gascón, regatear, pero no para un hombre que tenía aires de príncipe.

El mosquetero encontró un soberbio caballo andaluz, negro como el jade, de belfos de fuego, y patas finas y elegantes, que tenía seis años. Lo examinó y lo halló sin un defecto. Le costó mil libras.

Quizá lo hubiera tenido por menos; pero mientras D'Artagnan discutía el precio con el chalán, Athos contaba las cien pistolas sobre la mesa.

Grimaud tuvo un caballo picardo, achaparrado y fuerte, que costó trescientas libras.

Pero comprada la silla de este último caballo y las armas de Grimaud, no quedaba un céntimo de las cincuentas pistolas de Athos. D'Artagnan ofreció a su amigo que mordiera un bocado en la parte que le correspondía, con la obligación de devolverle más tarde lo que hubiera tomado en préstamo.

Pero Athos se limitó a encogerse de hombros por toda respuesta.

-¿Cuánto daba el judío por quedarse con el zafiro? - preguntó Athos.

-Quinientas pistolas.

-Es decir, doscientas pistolas más; cien pistolas para vos, cien pistolas para mí. Si eso es una auténtica fortuna, amigo mío. Volved a casa del judío.

-¡Cómo! ¿Queréis...? -Decididamente ese anillo me traía recuerdos demasiado tristes; además, nunca tendríamos trescientas pistolas para devolverle, de modo que perderíamos dos mil libras en este asunto. Id a decirle que el anillo es suyo, D'Artagnan, y volved con las doscientas pistolas.

-Reflexionad, Athos.

-El dinero contante es caro en los tiempos que corren, y hay que saber hacer sacrificios. Id, D'Artagnan, id; Grimaud os acompañará con su mosquetón.

Media hora después, D'Artagnan volvió con las dos mil libras y sin que le hubiera ocurrido ningún accidente.

Así fue como Athos encontró en su ajuar recursos que no se esperaba.

Una visión

A las cuatro, los cuatro amigos se hallaban reunidos en casa de Athos. Sus preocupaciones sobre el equipo habían desaparecido por entero, y cada rostro no conservaba otra expresión que las de sus propias y secretas inquietudes; porque detrás de cualquier felicidad presente se oculta un temor futuro.

De pronto Planchet entró con dos cartas dirigidas a D'Artagnan.

Una era un pequeño billete gentilmente plegado a lo largo con un lindo sello de cera verde en el que estaba impresa una paloma trayendo un ramo verde.

La otra era una gran epístola rectangular y resplandeciente con las armas terribles de Su Eminencia el cardenal duque.

A la vista de la carta pequeña, el corazón de D'Artagnan saltó, porque había creído reconocer la escritura; y aunque no había visto esa escritura más que una vez, la memoria de ella había quedado en lo más profundo de su corazón.

Cogió, pues, la epístola pequeña y la abrió rápidamente.

«Paseaos (se le decía) el miércoles próximo entre las seis y las siete de la noche, por la ruta de Chaillot, y mirad con cuidado en las carrozas que pasen, pero si amáis vuestra vida y la de las personas que os aman, no digáis ni una palabra, no hagáis un movimiento que pueda hacer creer que habéis reconocido a la que se expone a todo por veros un instante.»

Sin firma.

-Es una trampa - dijo Athos-, no vayáis, D'Artagnan.

-Sin embargo - dijo D'Artagnan-, me parece reconocer la escritura.

-Quizá esté amañada - replicó Athos ; a las seis o las siete, a esa hora, la ruta de Chaillot está completamente desierta: sería lo mismo que iros a pasear por el bosque de Bondy.

-Pero ¿y si vamos todos? - dijo D'Artagnan-. ¡Qué diablos! No nos devorarán a los cuatro; además, cuatro lacayos; además, los cabal1os; además, las armas.

-Además será una ocasión de lucir nuestros equipos - dijo Porthos.

-Pero si es una mujer la que escribe - dijo Aramis-, y esa mujer desea no ser vista, pensad que la comprometéis, D'Artagnan, cosa que está mal por parte de un gentilhombre.

-Nos quedaremos detrás - dijo Porthos-, y sólo él se adelantará.

-Sí, pero un disparo de pistola puede ser disparado fácilmente desde una carroza que va al galope.

-¡Bah! - dijo D'Artagnan-. Me fallarán. Alcanzaremos entonces la carroza y mataremos a quienes se encuentren dentro. Serán otros tantos enemigos menos.

-Tiene razón - dijo Porthos-. ¡Batalla! Además, tenemos que probar nuestras armas.

-¡Bueno, démonos ese placer! - dijo Aramis con su aire dulce y despreocupado.

-Como queráis - dijo Athos.

-Señores - dijo D'Artagnan-, son las cuatro y media; tenemos justo el tiempo de estar a las seis en la ruta de Chaillot.

-Además, si salimos demasiado tarde, nos verían, lo cual es perjudicial. Vamos pues, a prepararnos, señores.

-Pero esa segunda carta - dijo Athos : os olvidáis de ella; sin embargo, me parece que el sello indica que merece ser abierta; en cuanto a mí, declaro, mi querido D'Artagnan, que me preocupa mucho más que la pequeña chuchería que acabáis de deslizar sobre vuestro corazón-.

D'Artagnan enrojeció.

-Pues bien - dijo el joven-, veamos, señores, qué me quiere Su Eminencia.

Y D'Artagnan abrió la carta y leyó:

«El señor D'Artagnan, guardia del rey, en la compañía Des Essarts, es esperado en el Palais Cardinal esta noche a las ocho.

LA HOUDINIÈRE

Capitán de los guardias.»

-¡Diablos! - dijo Athos-. Ahí tenéis una cita tan inquietante como la otra, pero de forma distinta.

-Iré a la segunda al salir de la primera - dijo D'Artagnan ; la una es para las siete, la otra para las ocho; habrá tiempo para todo.

-¡Hum! Yo no iría - dijo Aramis ; un caballero galante no puede faltar a una cita dada por una dama, pero un gentilhombre prudente puede excusarse de no ir a casa de Su Eminencia, sobre todo cuando tiene razones para creer que no es para que lo feliciten.

-Soy de la opinión de Aramis - dijo Porthos.

-Señores - respondió D'Artagnan - ya he recibido del señor de Cavois una invitación semejante de Su Eminencia; me despreocupé de ella, y al día siguiente me ocurrió una desgracia. Constance desapareció; por lo que pueda pasar, iré.

-Si es una decisión - dijo Athos-, hacedlo.

-Pero ¿y la Bastilla? - dijo Aramis.

-¡Bah, vosotros me sacaréis! - replicó D'Artagnan.

-Por supuesto - contestaron Aramis y Porthos con un aplomo admirable y como si fuera la cosa más sencilla-, por supuesto que os sacaremos; pero entretanto, como debemos marcharnos pasado mañana, haríais mejor en no correr el riesgo de la Bastilla.

-Hagamos otra cosa mejor - dijo Athos : no le perdamos de vista durante la velada, y esperémosle cada uno de nosotros en una puerta del Palais con tres mosqueteros detrás de nosotros; si vemos salir algún coche con la portezuela cerrada y medio sospechoso, le caemos encima. Hace mucho tiempo que no nos hemos peleado con los guardias del señor cardenal, y el señor de Tréville debe de creernos muertos.

-Decididamente, Athos - dijo Aramis-, estáis hecho para general del ejército; ¿qué decís del plan, señores?

-Admirable! - repitieron a coro los jóvenes.

-Pues bien - dijo Porthos-, corro a palacio, prevengo a nuestros camaradas que estén preparados para las ocho; la cita será en la plaza del Palais Cardinal; vos, durante ese tiempo, haced ensillar los caballos para los lacayos.

-Pero yo no tengo caballo - dijo D'Artagnan ; voy a coger uno hasta casa del señor de Tréville.

-Es inútil - dijo Aramis-, cogeréis uno de los míos.

-¿Cuántos tenéis entonces? - preguntó D'Artagnan.

-Tres - respondió sonriendo Aramis.

-Querido - dijo Athos-, sois desde luego el poeta mejor montado de Francia y Navarra.

-Escuchad, mi querido Aramis, no sabéis qué hacer con tres caballos, ¿verdad? No comprendo siquiera que hayáis comprado tres caballos.

-Claro, no he comprado más que dos - dijo Aramis.

-Y el tercero, ¿os caído del cielo?

-No, el tercero me ha sido traído esta misma mañana por un criado sin librea que no ha querido decirme a quién pertenecía y que me ha asegurado haber recibido la orden de su amo...

-O de su ama - interrumpió D'Artagnan.

-Eso da igual - dijo Aramis poniéndose colorado --...y que me ha asegurado, decía, haber recibido de su ama la orden de poner ese caballo en mi cuadra sin decirme de parte de quién venía.

-Sólo a los poetas os ocurren esas cosas - replicó gravemente Athos.

-Pues bien, en tal caso, hagamos las cosas lo mejor posible - dijo.

_¿Cuál de los dos caballos montaréis, el que habéis comprado o el que os han dado?

-El que me han dado, sin discusión; comprenderéis, D'Artagnan, que no puedo hacer esa injuria...

-Al donante desconocido - contestó D'Artagnan.

-O a la donante misteriosa - dijo Athos.

-Entonces, ¿el que habéis comprado se os vuelve inútil?

-Casi.

-¿Y lo habéis escogido vos mismo?

-Y con el mayor cuidado; como sabéis, la seguridad del caballero depende casi siempre de su caballo.

-Bueno, cedédmelo por el precio que os ha costado.

-Iba a ofrecéroslo, mi querido D'Artagnan, dándoos el tiempo que necesitéis para devolverme esa bagatela.

-¿Y cuánto os ha costado?

-Ochocientas libras.

-Aquí tenéis cuarenta pistolas dobles, mi querido amigo - dijo D'Artagnan sacando la suma de su bolsillo; sé que es ésta la moneda con que os pagan vuestros poemas.

-Entonces, ¿tenéis fondos? - dijo Aramis.

-Muchos, muchísimos, querido.

Y D'Artagnan hizo sonar en su bolso el resto de sus pistolas.

-Mandad vuestra silla al palacio de los Mosqueteros y os traerán vuestro caballo aquí con los nuestros.

-Muy bien, pero pronto serán las cinco, démonos prisa.

Un cuarto de hora después, Porthos apareció por la esquina de la calle Férou en un magnífico caballo berberisco; Mosquetón le seguía en un caballo de Auvergne, pequeño pero sólido. Porthos resplandecía de alegría y de orgullo.

Al mismo tiempo Aramis apareció por la otra esquina de la calle montado en un soberbio corcel inglés; Bazin lo seguía en un caballo ruano, llevando atado un vigoroso mecklemburgués: era la montura de D'Artagnan.

Los dos mosqueteros se encontraron en la puerta; Athos y D'Artagnan los miraban por la ventana.

-¡Diablos! - dijo Aramis-. Tenéis un soberbio caballo, querido Porthos.

-Sí - respondió Porthos ; éste es el que tenían que haberme enviado al principio: una jugarreta del marido lo sustituyó por el otro; pero el marido ha sido castigado luego y yo he obtenido satisfacciones.

Planchet y Grimaud aparecieron entonces llevando de la mano las monturas de sus amos; D'Artagnan y Athos descendieron, montaron junto a sus compañeros y los cuatro se pusieron en marcha: Athos en el caballo que debía a su mujer, Aramis en el caballo que debía a su amante, Porthos en el caballo que debía a su procuradora, y D'Artagnan en el caballo que debía a su buena fortuna, la mejor de las amantes.

Los seguían los criados.

Como Porthos había pensado, la cabalgada causó buen efecto; y si la señora Coquenard se hubiera encontrado en el camino de Porthos y hubiera podido ver el gran aspecto que tenía sobre su hermoso berberisco español, no habría lamentado la sangria que había hecho en el cofre de su marido.

Cerca del Louvre los cuatro amigos encontraron al señor de Tréville que volvía de Saint Germain; los paró para felicitarlos por su equipo, cosa que en un instante atrajo a su alrededor algunos centenares de mirones.

D'Artagnan aprovechó la circunstancia para hablar al señor de Tréville de la carta de gran sello rojo y armas ducales; por supuesto, de la otra no sopló ni una palabra.

El señor de Tréville aprobó la resolución que había tomado, y le aseguró que si al día siguiente no había reaparecido, él sabría encontrarlo en cualquier sitio que estuviese.

En aquel momento, el reloj de la Samaritaine dio las seis; los cuatro amigos se excusaron con una cita y se despidieron del señor de Tréville.

Un tiempo de galope los condujo a la ruta de Chaillot; la luz comenzaba a bajar, los coches pasaban y volvían a pasar; D'Artagnan, guardado a algunos pasos por sus amigos, hundía sus miradas hasta el fondo de las carrozas, y no veía ningún rostro conocido.

Finalmente, al cuarto de hora de espera y cuando el crepúsculo caía completamente, apareció un coche llegando a todo galope por la ruta de Sèvres; un presentimiento le dijo de antemano a D'Artagnan que aquel coche encerraba a la persona que le había dado cita; el joven quedó completamente sorprendido al sentir su corazón batir tan violentamente. Casi al punto una cabeza de mujer salió por la portezuela, con dos dedos sobre la boca como para recomendar silencio, o como para enviar un beso; D'Artagnan lanzó un leve grito de alegría: aquella mujer, o mejor dicho, aquella aparición, porque el coche había pasado con la rapidez de una visión, era la señora Bonacieux.

Por un movimiento involuntario y pese a la recomendación hecha, D'Artagnan lanzó su caballo al galope y en pocos saltos alcanzó el coche; pero el cristal de la portezuela estaba herméticamente cerrado: la visión había desaparecido.

D'Artagnan se acordó entonces de la recomendación:

«Si amáis vuestra vida y la de las personas que os aman, permaneced inmóvil y como si nada hubierais visto.»

Se detuvo, por tanto, temblando no por él sino por la pobre mujer pues, evidentemente, se había expuesto a un gran peligro dándole aquella cita.

El coche continuó su ruta caminando siempre a todo galope, se adentró en París y desapareció.

D'Artagnan había quedado desconcertado y sin saber qué pensar. Si era la señora Bonacieux y si volvía a París, ¿por qué aquella cita fugitiva, por qué aquel simple cambio de una mirada, por qué aquel beso perdido? Y si por otro lado no era ella, lo cual era muy posible porque la escasa luz que quedaba hacía fácil el error, si no era ella, ¿no sería el comienzo de un golpe de mano montado contra él con el cebo de aquella mujer cuyo amor por ella era conocido?

Los tres compañeros se le acercaron. Los tres habían visto perfectamente una cabeza de mujer aparecer en la portezuela, pero ninguno de ellos, excepto Athos, conocía a la señora Bonacieu. La opinión de Athos, por lo demás, fue que sí era ella; pero menos preocupado que D'Artagnan por aquel bonito rostro, había creído ver una segunda cabeza una cabeza de hombre, al fondo del coche.

-Si es así - dijo D'Artagnan-, sin duda la llevan de una prisión a otra. Pero ¿qué van a hacer con esa pobre criatura y cuándo volveré a verla?

-Amigo - dijo gravemente Athos-, recordad que los muertos son los únicos a los que uno está expuesto a volver a encontrar sobre la tierra. Vos sabéis algo de eso, igual que yo, ¿no es así? Ahora bien, si vuestra amante no está muerta, si es la que acabamos de ver, la encontraréis un día a otro. Y quizá, Dios mío - añadió con un acento misántropo que le era propio-, quizá antes de lo que queráis.

Sonaron las siete y media, el coche llevaba un retraso de veinte minutos respecto a la cita dada. Los amigos de D'Artagnan le recordaron que tenía una visita que hacer, haciéndole observar también que todavía estaba a tiempo de desdecirse.

Pero D'Artagnan era a la vez obstinado y curioso. Se le había metido en la cabeza que iría al Palais Cardinal y que sabría lo que Su Eminencia quería. Nada pudo hacerle cambiar su determinación.

Llegaron a la calle Saint Honoré, y en la plaza Palais Cardinal encontraron a los doce mosqueteros convocados que se paseaban a la espera de sus camaradas. Sólo allí se les explicó de qué se trataba.

D'Artagnan era muy conocido en el honorable cuerpo de los mosqueteros del rey, donde se sabía que un día ocuparía un puesto; se le miraba por tanto por adelantado como a un camarada. Resultó de aquellos antecedentes que cada cual aceptó de buena gana la misión a que estaba invitado; por otra parte, según todas las probabilidades, se trataba de jugar una mala pasada al señor cardenal y a sus gentes, y para tales expediciones aquellos gentiles hombres estaban siempre dispuestos.

Athos los repartió, pues, en tres grupos, tomó el mando de uno, dio el segundo a Aramis y el tercero a Porthos; luego cada grupo fue a emboscarse frente a una salida.

D'Artagnan por su parte entró valientemente por la puerta principal.

Aunque se sintiera vigorosamente apoyado, el joven no iba sin inquietud al subir paso a paso la escalinata. Su conducta con Milady se parecía mucho a una traición, y sospechaba de las relaciones políticas que existían entre aquella mujer y el cardenal; además, de Wardes, a quien tan mal había tratado, era uno de los fieles de Su Eminencia, y D'Artagnan sabía que si Su Eminencia era terrible con sus enemigos, era muy adicto a sus amigos.

-Si de Wardes le ha contado todo nuestro asunto al cardenal, cosa que no es dudosa, y si me ha reconocido, cosa que es probable, debo considerarme poco más o menos como un hombre condenado - decía D'Artagnan moviendo la cabeza-. Pero ¿por qué ha esperado hasta hoy? Es muy sencillo, Milady se habrá quejado contra mí con ese dolor hipócrita que la vuelve tan interesante, y este último crimen habrá hecho desbordar el vaso. Afortunadamente - añadió-, mis buenos amigos estarán abajo y no dejarán que me lleven sin defenderme. Sin embargo, la compañía de mosqueteros del señor de Tréville no puede hacer sola la guerra al cardenal, que dispone de las fuerzas de toda Francia, y ante el cual la reina carece de poder y el rey de voluntad. D'Artagnan, amigo mío, eres valiente, tienes excelentes cualidades, ¡pero las mujeres lo perderán!

Estaba en tan triste conclusión cuando entró en la antecámara. Entregó su carta al ujier de servicio, que lo hizo pasar a la sala de espera y se metió en el interior del palacio.

En aquella sala de espera había cinco o seis guardias del señor cardenal que, al reconocer a D'Artagnan y sabiendo que era él quien había herido a Jussac, lo miraban sonriendo de manera singular.

Aquella sonrisa le pareció a D'Artagnan de mal augurio; sólo que como nuestro gascón no era fácil de intimidar, o mejor, gracias a un orgullo natural de las gentes de su región, no dejaba ver fácilmente lo que pasaba en su alma cuando aquello que pasaba se parecía al temor, se plantó orgullosamente ante los señores guardias y esperó con la mano en la cadera, en una actitud que no carecía de majestad.

El ujier volvió a hizo seña a D'Artagnan de seguirlo. Le pareció al joven que los guardias, al verlo alejarse, cuchicheaban entre sí.

Siguió un corredor, atravesó un gran salón, entró en una biblioteca y se encontró frente a un hombre sentado ante un escritorio y que escribía.

El ujier lo introdujo y se retiró sin decir una palabra. D'Artagnan permaneció de pie y examinó a aquel hombre.

D'Artagnan creyó al principio que tenía que habérselas con algún juez examinando su dossier, pero se dio cuenta de que el hombre del escritorio escribía o mejor corregía líneas de desigual longitud, contando las palabras con los dedos; vio que estaba frente a un poeta; al cabo de un instante, el poeta cerró su manuscrito sobre cuya cubierta estaba escrito: MIRAME, tragedia en cinco actos, y alzó la cabeza.

D'Artagnan reconoció al cardenal.

El cardenal

El cardenal apoyó su codo sobre su manuscrito, su mejilla sobre su mano, y miró un instante al joven. Nadie tenía el ojo más profundamente escrutador que el cardenal, y D'Artagnan sintió aquella mirada correr por sus venas como una fiebre.

Sin embargo puso buena cara, teniendo su sombrero en sus manos y esperando el capricho de Su Eminencia, sin demasiado orgullo, pero también sin demasiada humildad.

-Señor - le dijo el cardenal-, ¿sois vos un D'Artagnan del Béarn?

-Sí, monseñor - respondió el joven.

-Hay muchas ramas de D'Artagnan en Tarbes y en los alrededores - dijo el cardenal ; ¿a cuál pertenecéis vos?

-Soy hijo del que hizo las guerras de religión con el gran rey Enrique, padre de Su Graciosa Majestad.

-Eso está bien. ¿Sois vos quien salisteis hace siete a ocho meses más o menos de vuestra región para venir a buscar fortuna a la capital?

-Sí, monseñor.

-Vinisteis por Meung, donde os ha ocurrido algo, no sé muy bien qué, pero algo.

-Monseñor - dijo D'Artagnan-, lo que me pasó...

-Inútil, inútil - replicó el cardenal con una sonrisa que indicaba que conocía la historia tan bien como el que quería contársela; estabais recomendado al señor de Tréville, ¿no es así?

-Sí, monseñor, pero precisamente, en ese desgraciado asunto de Meung...

-Se perdió la carta - prosiguió la Eminencia ; sí, ya sé eso; pero el señor de Tréville es un fisonomista hábil que conoce a los hombres a primera vista, y os ha colocado en la compañía de su cuñado, el señor des Essarts, dejándoos la esperanza de que un día a otro entraríais en los mosqueteros.

-Monseñor está perfectamente informado - dijo D'Artagnan.

-Desde esa época os han pasado muchas cosas: os habéis paseado por detrás de los Chartreux cierto día que más hubiera valido que estuvieseis en otra parte; luego habéis hecho con vuestros amigos un viaje a las aguas de Forges; ellos se han detenido en ruta, pero vos habéis continuado vuestro camino. Es muy sencillo, teníais asuntos en Inglaterra.

-Monseñor - dijo D'Artagnan completamente desconcertado-, yo iba...

-De caza, a Windsor, o a otra parte, eso no importa a nadie. Sé eso, porque mi obligación consiste en saberlo todo. A vuestro regreso, habéis sido recibido por una augusta persona, y veo con placer que habéis conservado el recuerdo que os ha dado.

D'Artagnan llevó la mano al diamante que tenía de la reina, y volvió con presteza el engaste hacia dentro; pero era demasiado tarde.

-Al día siguiente de esa fecha, habéis recibido la visita de Cavois - prosiguió el cardenal ; iba a rogaros que pasaseis por el Palais; esa visita no la habéis hecho, y habéis cometido un error.

-Monseñor, temía haber incurrido en desgracia con Vuestra Eminencia.

-¡Vaya! Y eso, ¿por qué señor? Por haber seguido las órdenes de vuestros superiores con más inteligencia y valor de lo que otro hubiera hecho. ¿Incurrir en mi desgracia cuando merecíais elogios? Son las personas que no obedecen las que yo castigo, y nos la que, como vos, obedecen... demasiado bien... Y la prueba, recordad la fecha del día en que os había dicho que vinierais a verme, buscad en vuestra memoria lo que pasó aquella misma noche.

Era la misma noche en que había tenido lugar el rapto de la señora Bonacieux; D'Artagnan se estremeció, y recordó que media hora antes la pobre mujer había pasado a su lado, arrastrada sin duda por la misma potencia que la había hecho desaparecer.

-En fin - continuó el cardenal - como no oía hablar de vos desde hace algún tiempo, he querido saber qué hacíais. Además, me debéis alguna gratitud: vos mismo habréis observado con qué miramientos habéis sido tratado en todas las circunstancias.

D'Artagnan se inclinó con respeto.

-Eso - continuó el cardenal-, se debía no sólo a un sentimiento de equidad natural, sino además a un plan que yo me había trazado respecto a vos.

D'Artagnan estaba cada vez más asombrado.

-Yo quería exponeros ese plan el día que recibisteis mi primera invitación; pero no vinisteis. Por suerte, nada se ha perdido con ese retraso, y hoy vais a oírlo. Sentaos ahí, delante de mí, señor D Artagnan: sois lo suficientemente buen gentilhombre para no escuchar de pie.

Y el cardenal indicó con el dedo una silla al joven, que estaba tan asombrado de lo que pasaba que, para obedecer, esperó una segunda indicación de su interlocutor.

-Sois valiente, señor D'Artagnan - continuó la Eminencia ; sois prudente, cosa que vale más. Me gustan los hombres de cabeza y de corazón; no os asustéis - dijo sonriendo-, por hombres de corazón entiendo hombres de valor; mas, pese a lo joven que sois y recién entrado en el mundo, tenéis enemigos poderosos; ¡si no tenéis cuidado, os perderán!

-¡Ah, monseñor! - respondió el joven-. Lo harán muy fácilmente sin duda; porque son fuertes y están bien apoyados, mientras que yo estoy solo.

-Sí, es cierto; pero por más solo que estéis, habéis hecho ya mucho, y más haréis aún, no tengo ninguna duda. Sin embargo, necesitáis, en mi opinión, ser guiado en la aventurera carrera que habéis emprendido; porque, si no me equivoco, habéis venido a París con la ambiciosa idea de hacer fortuna.

-Estoy en la edad de las locas esperanzas, Monseñor - dijo D'Artagnan.

-No hay locas esperanzas más que para los tontos, señor, y vos sois Inteligente. Veamos, ¿qué diríais de una enseña en mis guardias, y de una compañía después de la campaña?

-¡Ah, Monseñor!

-Aceptáis, ¿no es así? -Monseñor - replicó D'Artagnan con aire de apuro.

-¿Cómo? ¿Rehusáis? - exclamó el cardenal asombrado.

-Estoy en los guardias de Su Majestad, Monseñor, y no tengo motivos para estar descontento.

-Pero me parece - dijo la Eminencia - que mis guardias son también los guardias de Su Majestad, y que con tal que se sirva en un cuerpo francés, se sirve al rey.

-Monseñor, Vuestra Eminencia ha comprendido mal mis palabras.

-¿Queréis un pretexto, no es eso? Comprendo. Pues bien, ese pretexto lo tenéis. El ascenso, la campaña que se inicia, la ocasión que se os ofrece: eso para la gente; para vos, la necesidad de protecciones seguras; porque es bueno que sepáis, señor D'Artagnan, que he recibido quejas graves contra vos, vos no consagráis exclusivamente vuestros días y vuestras noches al servicio del rey.

D'Artagnan se puso colorado.

-Por lo demás - continuó el cardenal posando su mano sobre un legajo de papeles-, tengo todo un informe que os concierne; pero antes de leerlo, he querido hablar con vos. Os sé hombre de resolución, y vuestros servicios, bien dirigidos, en vez de perjudicaros pueden reportaros mucho. Veamos, reflexionad y decidid.

-Vuestra bondad me confunde, Monseñor - respondió D'Artagnan-, y reconozco en vuestra Eminencia una grandeza de alma que me hace tan pequeño como un gusano; pero, en fin, dado que Monseñor me permite hablarle con franqueza...

D'Artagnan se detuvo.

-Sí, hablad.

-Pues bien, diré a Vuestra Eminencia que todos mis amigos están en los mosqueteros y en los guardias del rey, y que mis enemigos, por una fatalidad inconcebible, están con Vuestra Eminencia; sería por tanto mal recibido y mal mirado si aceptara lo que monseñor me ofrece.

-¿Tendríais la orgullosa idea de que no os ofrezco lo que valéis, señor? - dijo el cardenal con una sonrisa de desdén.

-Monseñor, Vuestra Eminencia es cien veces bueno conmigo, y, por el contrario, pienso no haber hecho aún suficiente para ser digno de sus bondades. El sitio de La Rochelle va a empezar, monseñor; yo serviré ante los ojos de Vuestra Eminencia, y si tengo la suerte de comportarme en ese sitio de tal forma que merezca atraer sus miradas, ¡pues bien!, luego tendré al menos detrás de mí alguna acción brillante para justificar la protección con que tenga a bien honrarme. Todo debe hacerse a su tiempo, monseñor; quizá más tarde tenga yo derecho a darme, en este momento parecería que me vendo.

-Es decir, que rehusáis servirme, señor - dijo el cardenal con un tono de despecho en el que apuntaba sin embargo cierta clase de estima; quedad, pues, libre y guardad vuestros odios y vuestras simpatías.

-Monseñor...

-Bien, bien - dijo el cardenal-, no os quiero; pero como comprenderéis bastante tiene uno con defender a sus amigos y recompensarlos, no debe nada a sus enemigos, y sin embargo os daré un consejo: manteneos alerta, señor D'Artagnan, porque en el momento en que yo haya retirado mi mano de vos, no compraría vuestra vida por un óbolo.

-Lo intentaré, monseñor - respondió el gascón con noble seguridad.

-Más tarde, y si en cierto momento os ocurre alguna desgracia - dijo Richelieu con intención-, pensad que soy yo quien ha ido a buscaros, y que ha hecho cuanto ha podido para que esa desgracia no os alcanzase.

-Pase lo que pase - dijo D'Artagnan poniendo la mano en el pecho a inclinándose-, tendré eterna gratitud a Vuestra Eminencia por lo que hace por mí en este momento.

-Bien, como habéis dicho - señor D'Artagnan-, volveremos a vernos en la campaña; os seguiré con los ojos, porque estaré allí - prosiguió el cardenal señalando con el dedo a D'Artagnan una magnífica armadura que debía endosarse-, y a vuestro regreso, pues bien, ¡hablaremos!

-¡Ah, monseñor! - exclamó D'Artagnan-. Ahorradme el peso de vuestra desgracia; permaneced neutral, monseñor, si os parece que actúo como hombre galante.

-Joven - dijo Richelieu-, si puedo deciros una vez más lo que os he dicho hoy, os prometo decíroslo.

Esta última frase de Richelieu expresaba una duda terrible; consternó a D'Artagnan más de lo que habría hecho una amenaza, porque era una advertencia. El cardenal trataba, pues, de preservarle de alguna desgracia que lo amenazaba. Abrió la boca para responder, pero con gesto altivo el cardenal lo despidió.

D'Artagnan salió; pero a la puerta estuvo a punto de fallarle el corazón, y poco le faltó para volver a entrar. Sin embargo, el rostro grave y severo de Athos se le apareció: si hacía con el cardenal el pacto que éste le proponía, Athos no volvería a darle la mano, Athos renegaría de él.

Fue este temor el que lo retuvo: ¡tan poderosa es la influencia de un carácter verdaderamente grande sobre cuanto le rodea! D'Artagnan descendió por la misma escalera por la que había entrado, y encontró ante la puerta a Athos y a los cuatro mosqueteros que esperaban su regreso y que comenzaban a inquietarse. Con una palabra d'Artagnan los tranquilizó, y Planchet corrió a avisar a los demás puestos que era inútil montar una guardia más larga, dado que su amo había salido sano y salvo del Palais Cardinal.

Una vez vueltos a casa de Athos, Aramis y Porthos se informaron de las causas de aquella extraña cita; pero D'Artagnan se contentó con decirles que el señor de Richelieu lo había hecho ir para proponerle entrar en sus guardias con el grado de enseña, y que había rehusado.

-Y habéis hecho bien - exclamaron a una Porthos y Aramis.

Athos cayó en profunda reflexión y no dijo nada. Pero en cuanto estuvo solo con D'Artagnan: -Habéis hecho lo que debíais hacer, D'Artagnan - dijo Athos-, pero quizá habéis hecho mal.

D'Artagnan lanzó un suspiro; porque aquella voz respondía a una voz de su alma, que le decía que grandes desgracias lo esperaban.

La jornada del día siguiente se pasó en preparativos de partida; D'Artagnan fue a despedirse del señor de Tréville. A aquella hora se creía todavía que la separación de los guardias y de los mosqueteros sería momentanéa, porque aquel día tenía el rey su parlamento y debían partir al día siguiente. El señor de Tréville se contentó, pues, con preguntar a D'Artagnan si necesitaba algo de él, pero D'Artagnan respondió orgullosamente que tenía todo lo que necesitaba.

La noche reunió a todos los camaradas de la compañía de los guardias del señor des Essarts y de la compañía de los mosqueteros del señor de Tréville, que habían hecho amistad. Se dejaban para volverse a ver cuando pluguiera a Dios y si placía a Dios. La noche fue por tanto una de las más ruidosas, como se puede suponer, porque en semejantes casos, no se puede combatir la extrema precaución más que con el extremo descuido.

Al día siguiente, al primer toque de las trompetas, los amigos se dejaron: los mosqueteros corrieron al palacio del señor de Tréville y los guardias al del señor des Essarts. Los dos capitanes condujeron al punto sus compañías al Louvre, donde el rey los revistaba.

El rey estaba triste y parecía enfermo, lo cual quitaba algo a su gesto altivo. En efecto, la víspera la fiebre lo había cogido en medio del parlamento y mientras ocupaba la presidencia. No por ello estaba menos decidido a partir aquella misma noche; y pese a las observaciones que se habían hecho, había querido pasar revista, esperando que el primer golpe de vigor vencería la enfermedad que comenzaba a apoderarse de él.

Una vez pasada la revista, los guardias se pusieron en marcha, ellos solos; los mosqueteros debían partir sólo con el rey, lo que permitió a Porthos ir a dar una vuelta, en su soberbio equipo, por la calle aux Ours.

La procuradora lo vio pasar en su uniforme nuevo y sobre su hermoso caballo. Amaba demasiado a Porthos para dejarlo partir así; le hizo seña de apearse y de venir a su lado. Porthos estaba magnífico; sus espuelas resonaban, su coraza brillaba, su espada le golpeaba orgullosamente las piernas. Aquella vez los pasantes no tuvieron ninguna gana de reír: ¡tanta era la pinta que Porthos tenía de cortador de orejas!

El mosquetero fue introducido junto al señor Coquenard, cuyos ojillos grises brillaron de cólera al ver a su primo todo flamante. Sin embargo, una cosa lo consoló interiormente; es que por todas partes decían que la campaña sería ruda: en el fondo de su corazón esperaba dulcemente que Porthos muriera en ella.

Porthos presentó sus respetos a maese Coquenard y se despidió de él; maese Coquenard le deseó toda suerte de prosperidades. En cuanto a la señora Coquenard, no podía contener sus lágrimas; pero nadie sacó ninguna mala consecuencia de su dolor; se la sabía muy apegada a sus parientes, por los que había tenido siempre crueles disputas con su marido.

Pero las auténticas despedidas se hicieron en la habitación de la señora Coquenard: fueron desgarradoras.

Durante el tiempo que la procuradora pudo seguir con los ojos a su amante, agitó un pañuelo inclinándose fuera de la ventana, hasta el punto de que se creería que quería tirarse. Porthos recibió todas aquellas señales de ternura como hombre habituado a semejantes demostraciones. Sólo que al volver la esquina de la calle, se quitó el sombrero y lo agitó en señal de adiós.

Por su parte, Aramis escribía una larga carta. ¿A quién? Nadie sabía nada. En la habitación vecina, Ketty, que debía partir aquella misma noche para Tours, esperaba aquella carta misteriosa.

Athos bebía a sorbos la última botella de su vino español.

Mientras tanto, D'Artagnan desfilaba con su compañía.

Al llegar al barrio de Saint Antoine, se volvió para mirar alegremente la Bastilla; pero como era solamente la Bastilla lo que miraba, no vio a Milady que, montada sobre un caballo overo, lo señalaba con el dedo a dos hombres de mala catadura que se acercaron al punto a las filas para reconocerlo. A una interrogación que hicieron con la mirada, Milady respondió con un signo que era él. Luego, segura de que no podía haber error en la ejecución de sus órdenes, espoleó su caballo y desapareció.

Los dos hombres siguieron entonces a la compañía, y a la salida del barrio Saint Antoine montaron en dos caballos completamente preparados que un criado sin librea tenía en la mano esperándolos.

El sitio de La Rochelle

El sitio de La Rochelle fue uno de los grandes acontecimientos politicos de Luis XIII, y una de las grandes empresas militares del cardenal. Es por tanto interesante, a incluso necesario, que digamos algunas palabras, dado que muchos detalles de ese asedio están ligados de manera demasiado importante a la historia que hemos comenzado a contar para que los pasemos en silencio.

Las miras políticas del cardenal cuando emprendió este asedio eran considerables. Expongámoslas primero, luego pasaremos a las miras particulares que no tuvieron sobre Su Eminencia menos influencia que las primeras.

De las ciudades importantes dadas por Enrique IV a los hugonotes como plazas de seguridad, sólo quedaba La Rochelle. Se trataba por tanto de destruir aquel último baluarte del calvinismo, levadura peligrosa a la que venían a mezclarse incesantemente fermentos de revuelta civil o de guerra extranjera.

Españoles, ingleses, italianos descontentos, aventureros de cuálquier nación, soldados de fortuna de toda secta acudian a la primera llamada bajo las banderas de los protestantes y se organizaban como una vasta asociación cuyas ramas divergían a capricho en todos los puntos de Europa.

La Rochelle, que había adquirido nueva importancia con la ruina de las demás ciudades calvinistas era, pues, el hogar de las disensiones y de las ambiciones. Había más: su puerto era la primera puerta abierta a los ingleses en el reino de Francia; y al cerrarlo a Inglaterra, nuestra eterna enemiga, el cardenal acababa la obra de Juana de Arco y del duque de Guisa.

Por eso Bassompierre, que era a la vez protestante y católico, protestante de corazón y católico como comendador del Espíritu Santo; Bassompierre, que era alemán de nacimiento y francés de corazón; Bassompierre, en fin, que ejercía un mando particular en el asedio de La Rochelle, decía cargando a la cabeza de muchos otros señores protestantes como él:

-¡Ya veréis, señores, cómo somos tan bestias que conquistaremos La Rochelle!

Y Bassompierre tenía razón; el cañoneo de la isla de Ré presagiaba para él las dragonadas de Cévennes; la toma de La Rochelle era el prefacio de la revocación del edicto de Nantes.

Pero, ya lo hemos dicho, al lado de estas miras del ministro nivelador y simplificador, y que pertenecen a la historia, el cronista está obligado a reconocer las pequeñas miras del hombre enamorado y del rival celoso.

Richelieu, como todos saben, había estado enamorado de la reina; si este amor tenía en él un simple objetivo politico o era naturalmente una de esas profundas pasiones como las que inspiró Ana de Austria a quienes la rodeaban, es lo que no sabríamos decir; pero en cualquier caso, por los desarrollos anteriores de esta historia, se ha visto que Buckingham había triunfado sobre él y que en dos o tres circunstancias, y sobre todo en la de los herretes, gracias al desvelo de los tres mosqueteros y al valor de D'Artagnan, había sido cruelmente burlado.

Se trataba, pues, para Richelieu no sólo de librar a Francia de un enemigo, sino de vengarse de un rival; por lo demás, la venganza debía ser grande y clamorosa, y digna en todo un hombre que tiene en su mano, por espada de combate, las fuerzas de todo un reino.

Richelieu sabía que combatiendo a Inglaterra combatía a Buckingham, que venciendo a Inglaterra vencía a Buckingham, y que humillando a Inglaterra ante los ojos de Europa humillaba a Buckingham a los ojos de la reina.

Por su lado Buckingham, aunque ponía ante todo el honor de Inglaterra estaba movido por intereses absolutamente semejantes a los del cardenal; Buckingham también perseguía una venganza particular: bajo ningún pretexto había podido Buckingham entrar en Francia como embajador, y quería entrar como conquistador.

De donde resulta que lo que realmente se ventilaba en esa partida que los dos reinos más poderosos jugaban por el capricho de dos hombres enamorados, era una simple mirada de Ana de Austria.

La primera ventaja había sido para el duque de Buckingham: llegado inopinadamente a la vista de la isla de Ré con noventa bajeles y veinte mil hombres aproximadamente, había sorprendido al conde Toiras, que mandaba en nombre del rey en la isla; tras un combate sangriento había realizado su desembarco.

Relatemos de paso que en este combate había perecido el barón de Chantal; el barón de Chantal dejaba huérfana una niña de dieciocho meses.

Esta niña fue luego Madame de Sévigné.

El conde de Toiras se retiro a la ciudadela Saint Martin con la guarnición, y dejó un centenar de hombres en un pequeño fuerte que se que se llamaba de la Prée.

Este acontecimiento había acelerado las decisiones del cardenal; y a la espera de que el rey y él pudieran ir a tomar el mando del asedio de La Rochelle, que estaba decidido, había hecho partir a Monsieur para dirigir las primeras operaciones, y había hecho desfilar hacia el escenario de la guerra todas las tropas de que había podido disponer.

De este destacamento enviado como vanguardia era del que formaba parte nuestro amigo D'Artagnan.

El rey, como hemos dicho, debía seguirlo tan pronto como hubiera terminado la solemne sesión real pero al levantarse de aquel asiento real, el 28 de junio se había sentido afiebrado; habría querido partir igualmente pero al empeorar su estado se vio obligado a detenerse en Villeroi.

Ahora bien, allí donde se detenía el rey se detenían los mosqueteros; de donde resultaba que D'Artagnan, que estaba pura y simplemente en los guardias, se había separado, momentáneamente al menos, de sus buenos amigos Athos, Porthos y Aramis; esta separación, que no era para él más que una contrariedad, se habría convertido desde luego en inquietud seria si hubiera podido adivinar qué peligros desconocidos lo rodeaban.

No por eso dejó de llegar, sin incidente alguno al campamento establecido ante La Rochelle, hacia el 10 del mes de septiembre del año 1627.

Todo se hallaba en el mismo estado: el duque de Buckingham y sus ingleses dueños de la isla de Ré, continuaban sitiando, aunque sin éxito, la ciudadela de Saint Martin y el fuerte de La Prée, y las hostilidades con La Rochelle habían comenzado hacía dos o tres días a propósito de un fuerte que el duque de Angulema acababa de hacer construir junto a la ciudad.

Los guardias, al mando del señor des Essarts, se alojaban en los Mínimos.

Pero como sabemos, D'Artagnan, preocupado por la ambición de pasar a los mosqueteros, raramente había hecho amistad con sus camaradas; se encontraba por tanto solo y entregado a sus propias reflexiones.

Sus reflexiones no eran risueñas; desde hacía un año que había llegado a Paris se había mezclado en los asuntos públicos; sus asuntos privados no habían adelantado mucho ni en arnor ni en fortuna.

En amor, la única mujer a la que había amado era la señora Bonacieux, y la señora Bonacieux había desaparecido sin que él pudiera descubrir aún qué había sido de ella.

En fortuna, se había hecho, débil como era, enemigo del cardenal, es decir, de un hombre ante el cual temblaban los mayores del reino, empezando por el rey.

Aquel hombre podía aplastarlo, y sin embargo no lo habia hecho; para un ingenio tan perspicaz como era D'Artagnan, aquella indulgencia era una luz por la que vela un porvenir mejor.

Luego se había hecho también otro enemigo menos de temer, pensaba, pero que sin embargo instintivamente sentía que no era de despreciar: ese enemigo era Milady.

A cambio de todo esto había conseguido la protección y la benevolencia de la reina, pero la benevolencia de la reina era, en aquellos tiempos, una causa más de persecuciones; y su protección, como se sabe, protegía muy mal; ejemplos: Chalais y la señora Bonacieux.

Lo que en todo aquello había ganado en claro era el diamante de cinco o seis mil libras que llevaba en el dedo; pero incluso de aquel diamante, suponiendo que D'Artagnan en sus proyectos de ambición quisiera guardarlo para convertirlo un día en señal de reconocimiento de la reina, no había que esperar, puesto que no podía deshacerse de él, más valor que de los guijarros que pisoteaba.

Decimos los guijarros que pisoteaba, porque D'Artagnan hacía estas reflexiones paseándose en solitario por un lindo caminito que conducía del campamento a la villa de Angoutin; ahora bien, estas reflexiones lo habían llevado más lejos de lo que pensaba, y la luz comenzaba a bajar cuando al último rayo del crepúsculo le pareeió ver brillar detrás de un seto el cañón de un mosquete.

D'Artagnan tenía el ojo despierto y el ingenio pronto, comprendió que el mosquete no había venido hasta allí completamente solo y que quien lo manejaba no estaba escondido detrás de un seto con intenciones amistosas. Decidió por tanto largarse cuando, al otro lado de la ruta, tras una roca, divisó la extremidad de un segundo mosquete.

Era evidentemente una emboscada.

El joven lanzó una ojeadas sobre el primer mosquete y vio con cierta inquietud que se bajaba en su dirección, pero tan pronto como vio el orificio del cañón inmóvil se arrojó cuerpo a tierra. Al mismo tiempo salió el disparo y oyó el silbido de la bala que pasaba por encima de su cabeza.

No había tiempo que perder: D'Artagnan se levantó de un salto en el mismo momento que la bala del otro mosquete hizo volar los guijarros en el lugar mismo del camino en que se había arrojado de cara contra el suelo.

D'Artagnan no era uno de esos hombres inútilmente valientes que buscan la muerte ridícula para que se diga de ellos que no han retrocedido ni un paso; además, aquí no se trataba de valor: D'Artagnan había caído en una celada.

-Si hay un tercer disparo - se dijo-, soy hombre muerto.

Y al punto, echando a todo correr, huyó en dirección del campamento con la velocidad de las gentes de su región, tan renombradas por su agilidad; mas cualquiera que fuese la rapidez de su carrera, el primero que había disparado, habiendo tenido tiempo de volver a cargar su arma, le disparó un segundo disparo tan bien ajustado esta vez que la bala le atravesó el sombrero y lo hizo volar a diez pasos de él.

Sin embargo, como D'Artagnan no tenía otro sombrero, recogió el suyo a la carrera, llegó todo jadeante y muy pálido a su alojamiento, se sentó sin decir nada a nadie y se puso a reflexionar.

Aquel suceso podía tener tres causas:

La primera y más natural podía ser una emboscada de los rochelleses, a quienes no les habría molestado matar a uno de los guardias de Su Majestad, primero porque era un enemigo menos, y porque este enemigo podía tener una bolsa bien guarnecida en su bolso.

D'Artagnan cogió su sombrero, examinó el agujerro de la bala y movió la cabeza. La bala no era una bala de mosquete, era una bala de arcabuz; la exactitud del disparo le había dado ya la idea de que había sido dispardo por un arma particular: aquello no era, por tanto, una emboscada militar, puesto que la bala no era de calibre.

Aquello podía ser un buen recuerdo del señor cardenal. Se recordará que en el momento mismo en que gracias a aquel bienaventurado rayo de sol había divisado el cañón del fusil, él se asombraba de la longanimidad de Su Eminencia para con él.

Pero D'Artagnan movió la cabeza. Con personas con las que no tenía más que extender la mano rara vez recurría Su Eminencia a semejantes medios.

Aquello podía ser una venganza de Milady.

Esto era lo más probable.

Trató inútilmente de recordar o los rasgos o el traje de los asesinos; se había alejado tan rápidamente de ellos que no había tenido tiempo de observar nada.

-¡Ay, mis pobres amigos! - murmuró D'Artagnan-. ¿Dónde estáis? ¡Cuánta falta me hacéis!

D'Artagnan pasó muy mala noche. Tres o cuatro veces se despertó sobresaltado, imaginándose que un hombre se acercaba a su cama para apuñalarlo. Sin embargo, apareció la luz sin que la oscuridad hubiera traído ningún incidente.

Pero D'Artagnan sospechó mucho que lo que estaba aplazado no estaba perdido.

D'Artagnan permaneció toda la jornada en su alojamiento; a sí mismo se dio la excusa de que el tiempo era malo.

Al día siguiente, a las nueve, tocaron llamada y tropa. El duque de Orleáns visitaba los puestos. Los guardias corrieron a las armas y D'Artagnan ocupó su puesto en medio de sus camaradas.

Monsieur pasó ante el frente de batalla; luego, todos los oficiales superiores se acercaron a él para hacerle séquito, el señor Des Essarts, capitán de los guardias, igual que los demás.

Al cabo de un instante le pareció a D'Artagnan que el señor Des Essarts le hacía señas de acercarse: esperó un nuevo gesto de su superior, temiendo equivocarse, pero repetido el gesto, dejó las filas y se adelantó para oír la orden.

-Monsieur va a pedir hombres voluntarios para una misión peligrosa, pero que será un honor para quienes la cumplan; os he hecho esa seña para que estuvierais preparado.

-¡Gracias, mi capitán! - respondió D'Artagnan, que no pedía otra cosa que distinguirse a los ojos del teniente general.

En efecto, los rochelleses habían hecho una salida durante la noche y habían recuperado un bastión del que el ejército realista se había apoderado dos días antes; se trataba de hacer un reconocimiento a cuerpo descubierto para ver cómo custodiaba el ejército aquel bastión.

Efectivamente, al cabo de algunos instantes Monsieur elevó la voz y dijo:

-Necesitaría para esta misión tres o cuatro voluntarios guiados por un hombre seguro.

-En cuanto al hombre seguro, lo tengo a mano, Monsieur - dijo el señor Des Essarts, mostrando a D'Artagnan ; y en cuanto a los cuatro o cinco voluntarios, Monsieur no tiene más que dar a conocer su intenciones, y no le faltarán hombres.

-¡Cuatro hombres de buena voluntad para venir a hacerse matar conmigo! - dijo D'Artagnan levantando su espada.

Dos de sus camaradas de los guardias se precipitaron inmediatamente, y habiéndose unido a ellos dos soldados, encontró que el número pedido era suficiente; D'Artagnan rechazó, pues, a todos los demás, no queriendo atropellar a quienes tenían prioridad.

Se ignoraba si después de la toma del bastión los rochelleses lo habían evacuado o habían dejado allí guarnición; había, pues, que examinar el lugar indicado desde bastante cerca para comprobarlo.

D'Artagnan partió con sus cuatro compañeros y siguió la trinchera: los dos guardias marchaban a su misma altura y los soldados venían detrás.

Así, cubriéndose con los revestimientos del terreno, llegaron a unos cien pasos del bastión. Allí, al volverse D'Artagnan, se dio cuenta de que los dos soldados habían desaparecido.

Creyó que por miedo se habían quedado atrás y continuó avanzando.

A la vuelta de la contraescarpa, se hallaron a sesenta pasos aproximadamente del bastión.

No se veía a nadie, y el bastión parecía abandonado.

Los tres temerarios deliberaban si seguir adelante cuando, de pronto, un cinturón de humo ciñó al gigante de piedra y una docena da balas vinieron a silbar en torno a D'Artagnan y sus dos compañeros.

Sabían lo que querían saber: el bastión estaba guardado. Quedarse más tiempo en aquel lugar peligroso hubiese sido, pues, una imprudencia inútil; D'Artagnan y los dos guardias volvieron la espalda y comenzaron una retirada que se parecía a una fuga.

Al llegar al ángulo de la trinchera que iba a servirles de muralla uno de los guardias cayó: una bala le había atravesado el pecho. EÌ otro, que estaba sano y salvo, continuó su carrera hacia el campamento.

D'Artagnan no quiso abandonar así a su compañero y se inclinó hacia él para levantarlo y ayudarlo a alcanzar las líneas; pero en aquel momento salieron dos disparos de fusil: una bala vino a estrellarse sobre la roca tras haber pasado a dos pulgadas de D'Artagnan.

El joven se volvió rápidamente porque aquel ataque no podía venir del bastión, que estaba oculto por el ángulo de la trinchera. La idea de los dos soldados que lo habían abandonado le vino a la mente y le recordó a los asesinos de la víspera; resolvió, por tanto, saber a qué atenerse aquella vez y cayó sobre el cuerpo de su camarada como si estuviera muerto.

Vio al punto dos cabezas que se levantaban por encima de una obra abandonada que estaba a treinta pasos de allí; eran las de nuestros dos soldados. D'Artagnan no se había equivocado: aquellos dos hombres no le habían seguido más que para asesinarlo, esperando que la muerte del joven sería cargada en la cuenta del enemigo.

Sólo que, como podía estar solamente herido y denunciar su crimen, se acercaron para rematarlo; por suerte, engañados por la artimaña de D'Artagnan, se olvidaron de volver a cargar sus fusiles.

Cuando estuvieron a diez pasos de él, D'Artagnan, que al caer había tenido gran cuidado de no soltar su espada, se levantó de pronto y de un salto se encontró junto a ellos.

Los asesinos comprendieron que, si huían hacia el campamento sin haber matado a aquel hombre, serían acusados por él; por eso su primera idea fue la de pasarse al enemigo. Uno de ellos cogió su fusil por el cañón y se sirvió de él como de una maza: lanzó un golpe terrible a D'Artagnan, que lo evitó echándose hacia un lado; pero con este movimiento brindó paso al bandido, que se lanzó al punto hacia el bastión. Como los rochelleses que lo vigilaban ignoraban con qué intención venía aquel hombre hacia ellos, dispararon contra él y cayó herido por una bala que le destrozó el hombro.

En este tiempo, D'Artagnan se había lanzado sobre el segundo soldado, atacándolo con su espada; la lucha no fue larga, aquel miserable no tenía para defenderse más que su arcabuz descargado; la espada del guardia se deslizó por sobre el cañón del arma vuelta inútil y fue a atravesar el muslo del asesino que cayó. D'Artagnan le puso inmediatamente la punta del hierro en el pecho.

-¡Oh, no me matéis! - exclamó el bandido-. ¡Gracia, gracia, oficial, y os lo diré todo!

-¿Vale al menos lo secreto la pena de que lo perdone la vida? - preguntó el joven conteniendo su brazo.

-Sí, si estimáis que la existencia es algo cuando se tienen veintidós años como vos y se puede alcanzar todo, siendo valiente y fuerte como vos lo sois.

-¡Miserable! - dijo D'Artagnan-. Vamos, habla deprisa, ¿quién te ha encargado asesinarme?

-Una mujer a la que no conozco, pero que se llamaba Milady.

-Pero si no conoces a esa mujer, ¿cómo sabes su nombre?

-Mi camarada la conocía y la llamaba así, fue él quien tuvo el asunto con ella y no yo; él tiene incluso en su bolso una carta de esa persona que debe tener para vos gran importancia, por lo que he oído decir.

-Pero ¿cómo te metiste en esta celada?

-Me propuso que diéramos el golpe nosotros dos y acepté.

-¿Y cuánto os dio ella por esta hermosa expedición? -Cien luises.

-Bueno, en buena hora - dijo el joven riendo - estima que valgo algo: cien luises. Es una cantidad para dos miserables como vosotros; por eso comprendo que hayas aceptado y lo perdono con una condición.

-¿Cuál? - preguntó el soldado inquieto y viendo que no todo había terminado.

-Que vayas a buscarme la carta que tu camarada tiene en bolsillo.

-Pero eso - exclamó el bandido - es otra manera de matarme; ¿cómo queréis que vaya a buscar esta carta bajo el fuego del bastión?

-Sin embargo, tienes que decidirte a ir en su busca, o te juro que mueres por mi mano.

-¡Gracia, señor, piedad! ¡En nombre de esa dama a la que amáis a la que quizá creéis muerta y que no lo está! - exclamó el bandido poniéndose de rodillas y apoyándose sobre su mano, porque comenzaba a perder sus fuerzas con la sangre.

-¿Y por qué sabes tú que hay una mujer a la que amo y que yo he creído muerta a esa mujer? - preguntó D'Artagnan.

-Por la carta que mi camarada tiene en su bolsillo.

-Comprenderás entonces que necesito tener esa carta - dijo D'Artagnan ; así que no más retrasos ni dudas, o aunque me repugne templar por segunda vez mi espada en la sangre de un miserable como tú, lo juro por mi fe de hombre honrado...

Y a estas palabras D'Artagnan hizo un gesto tan amenazador que el herido se levantó.

-¡Deteneos! ¡Deteneos! - exclamó recobrando valor a fuerza de terror-. ¡Iré..., iré...!

D'Artagnan cogió el arcabuz del soldado, lo hizo pasar delante de él y lo empujó hacia su compañero pinchándole los lomos con la punta de su espada.

Era algo horrible ver a aquel desgraciado dejando sobre el camino que recorría un largo reguero de sangre, cada vez más pálido ante muerte próxima, tratando de arrastrarse sin ser visto hasta el cuerpo de su cómplice que yacía a veinte pasos de allí.

El terror estaba pintado sobre su rostro cubierto de un sudor frío de tal modo que D'Artagnan se compadeció y mirándolo con desprecio:

-Pues bien - dijo-, voy a demostrarte la diferencia que existe entre un hombre de corazón y un cobarde como tú: quédate iré yo.

Y con paso ágil, el ojo avizor, observando los movimientos del enemigo, ayudándose con todos los accidentes del terreno, D'Artagnan llegó hasta el segundo soldado.

Había dos medios para alcanzar su objetivo: registrarlo allí mismo o llevárselo haciendo un escudo con su cuerpo y registrarlo en la trinchera.

D'Artagnan prefirió el segundo medio y cargó el asesino a sus hombros en el momento mismo que el enemigo hacía fuego.

Una ligera sacudida el ruido seco de tres balas que agujereaban las carnes, un último grito un estremecimiento de agonía le probaron a D’Artagnan que el que había querido asesinarlo acababa de salvarle la vida.

D'Artagnan ganó la trinchera y arrojó el cadáver junto al herido tan pálido como un muerto.

Comenzó el inventario inmediatamente: una cartera de cuero, una bolsa donde se encontraba evidentemente una parte de la suma del dinero que había recibido, un cubilete y los dados formaban la herencia del muerto.

Dejó el cubilete y los dados donde habían caído, lanzó la bolsa al herido y abrió ávidamente la cartera.

En medio de algunos papeles sin importancia, encontró la carta siguiente: era la que había ido a buscar con riesgo de su vida:

«Dado que habéis perdido el rastro de esa mujer y que ahora está a salvo en ese convento al que nunca deberíais haberla dejado llegar, tratad al menos de no fallar con el hombre; si no, sabéis que tengo la mano larga y que pagaréis caros los cien luises que os he dado.»

Sin firma. Sin embargo, era evidente que la carta procedía de Milady. Por consiguiente, la guardó como pieza de convicción y, a salvo tras el ángulo de la trinchera se puso a interrogar al herido. Este confesó que con su camarada, el mismo que acababa de morir, estaba encargado de raptar a una joven que debía salir de París por la barrera de La Villete pero que, habiéndose parado a beber en una taberna, habían llegado diez minutos tarde al coche.

-Pero ¿qué habríais hecho con esa mujer? - preguntó D'Artagnan con angustia.

-Debíamos entregarla en un palacio de la Place Royale - dijo el herido.

-¡Sí! ¡Sí! - murmuró D'Artagnan-. Es exacto, en casa de la misma Milady.

Entonces el joven estremeciéndose, comprendió qué terrible sed de venganza empujaba a aquella mujer a perderlo, a él y a los que lo amaban, y cuánto sabía ella de los asuntos de la corte, puesto que lo había descubierto todo. Indudablemente debía aquellos informes al cardenal.

Mas, en medio de todo esto, comprendió, con un sentimiento de alegría muy real, que la reina había terminado por descubrir la prisión en que la pobre señora Bonacieux expiaba su adhesión, y que la había sacado de aquella prisión. Así quedaban explicados la carta que había recibido de la joven y su paso por la ruta de Chaillot, un paso parecido a una aparición.

Y entonces, como Athos había predicho, era posible volver a encontrar a la señora Bonacieux, y un convento no era inconquistable.

Esta idea acabó de devolver a su corazón la clemencia. Se volvió hacia el herido que seguía con ansiedad todas las expresiones diversas de su cara, y le tendió el brazo:

-Vamos - le dijo-, no quiero abandonarte así. Apóyate en mí y volvamos al campamento.

-Sí - dijo el herido, que a duras penas creía en tanta magnanimidad-, pero ¿no sera para hacer que me cuelguen?

-Tienes mi palabra - dijo D'Artagnan-, y por segunda vez te perdono la vida.

El herido se dejó caer de rodillas y besó de nuevo los pies de su salvador; pero D'Artagnan, que no tenía ningún motivo para quedarse tan cerca del enemigo, abrevió él mismo los testimonios de gratitud.

El guardia que había vuelto a la primera descarga de los rochelleses había anunciado la muerte de sus cuatro compañeros. Quedaron, pues, asombrados y muy contentos a la vez en el regimiento cuando se vio aparecer al joven sano y salvo.

D'Artagnan explicó la estocada de su compañero por una salida que improvisó. Contó la muerte del otro soldado y los peligros que habían corrido. Este relato fue para el ocasión de un verdadero triunfo. Todo el ejército habló de aquella expedición durante un día, y Monsieur hizo que le transmitieran sus felicitaciones.

Por lo demás, como toda acción hermosa lleva consigo su recompensa, la hermosa acción de D'Artagnan tuvo por resultado devolverle la tranquilidad que había perdido. En efecto, D'Artagnan creía poder estar tranquilo, puesto que de sus dos enemigos uno estaba muerto y otro era adicto a sus intereses.

Esta tranquilidad probaba una cosa, y es que D'Artagnan no conocía aún a Milady.

El vino de Anjou

Tras las noticias casi desesperadas del rey, el rumor de su convalecencia comenzaba a esparcirse por el campamento; y como tenía mucha prisa por llegar en persona al asedio, se decía que tan pronto como pudiera montar a caballo se pondría en camino.

En este tiempo, Monsieur, que sabía que de un día para otro iba a ser reemplazado en su mando bien por el duque de Angulema, bien por Bassompierre, bien por Schomberg, que se disputaban el mando, hacía poco, perdía las jornadas en tanteos, y no se atrevía a arriesgar una gran empresa para echar a los ingleses de la isla de Ré, donde asediaban constantemente la ciudadela Saint Martin y el fuerte de La Prée, mientras que por su lado los franceses asediaban La Rochelle.

D'Artagnan, como hemos dicho, se había tranquilizado, como ocurre siempre tras un peligro pasado, y cuando el peligro pareció desvanecido, sólo le quedaba una inquietud, la de no tener noticia alguna de sus amigos.

Pero una mañana a principios del mes de noviembre, todo quedó explicado por esta carta, datada en Villeroi:

«Señor D'Artagnan:

Los señores Athos, Porthos y Aramis, tras haber jugado una buena partida en mi casa y haberse divertido mucho, han armado tal escándalo que el preboste del castillo, hombre muy rígido, los ha acuartelado algunos días; pero yo he cumplido las órdenes que me dieron de enviar doce botellas de mi vino de Anjou, que apreciaron mucho: quieren que vos bebáis a su salud con su vino favorito.

Lo he hecho, y soy, señor, con gran respeto,

Vuestro muy humilde y obediente servidor,

GODEAU

Hostelero de los Señores Mosqueteros.»

-¡Sea en buena hora! - exclamó D'Artagnan-. Piensan en mí en sus placeres como yo pensaba en ellos en mi aburrimiento; desde luego, beberé a su salud y de muy buena gana, pero no beberé solo.

Y D'Artagnan corrió a casa de dos guardias con los que había hecho más amistad que con los demás, a fin de invitarlos a beber con él el delicioso vinillo de Anjou que acababa de llegar de Villeroi. Uno de los guardias estaba invitado para aquella misma noche y otro para el día siguiente; la reunión fue fijada por tanto para dos días después.

Al volver, D'Artagnan envió las doce botellas de vino a la cantina de los guardias, recomendando que se las guardasen con cuidado; luego, el día de la celebración, como la comida estaba fijada para la hora del mediodía, D'Artagnan envió a las nueve a Planchet para prepararlo todo.

Planchet, muy orgulloso de ser elevado a la dignidad de maître, pensó en preparar todo como hombre inteligente; a este efecto, se hizo ayudar del criado de uno de los invitados de su amo, llamado Fourreau, y de aquel falso soldado que había querido matar a D'Artagnan, y que por no pertenecer a ningún cuerpo, había entrado a su servicio, o mejor, al de Planchet, desde que D'Artagnan le había salvado la vida.

Llegada la hora del festín, los dos invitados llegaron y ocuparon su sitio y se alinearon los platos en la mesa. Planchet servia, servilleta en brazo, Fourreau descorchaba las botellas, y Brisemont, tal era el nombre del convaleciente, transvasaba a pequeñas garrafas de cristal el vino que parecía haber formado posos por efecto de las sacudidas del camino. La primera botella estaba algo turbia hacia el final: de este vino Brisemont vertió los posos en su vaso, y D'Artagnan le permitió beberlo; porque el pobre diablo no tenía aún muchas fuerzas.

Los convidados, tras haber tomado la sopa, iban a llevar el primer vaso a sus labios cuando de pronto el cañón resonó en el fuerte Louis y en el fuerte Neuf; al punto, creyendo que se trataba de algún ataque imprevisto, bien de los sitiados, bien de los ingleses, los guardias saltaron sobre sus espadas; D'Artagnan, no menos rápido, hizo como ellos y los tres salieron corriendo a fin de dirigirse a sus puestos.

Mas apenas estuvieron fuera de la cantina cuando se enteraron de la causa de aquel gran alboroto; los gritos de ¡Viva el rey! ¡Viva el cardenal! resonaban por todas las direcciones.

En efecto, el rey, impaciente como se había dicho, acababa de hacer en una dos etapas, y llegaba en aquel mismo instante con toda su casa y un refuerzo de diez mil hombres de tropa; le precedían y seguían sus mosqueteros. D'Artagnan, formando calle con su compañia, saludó con gesto expresivo a sus amigos, que le respondieron con los ojos, y al señor de Tréville, que lo reconoció al instante.

Una vez acabada la ceremonia de recepción, los cuatro amigos estuvieron al punto en brazos unos de otros.

-¡Diantre! - exclamó D'Artagnan-. No podíais haber llegado en mejor momento, y la carne no habrá tenido tiempo aún de enfriarse.

¿No es eso, señores? - añadió el joven volviéndose hacia los dos guardias, que presentó a sus amigos.

-¡Vaya, vaya, parece que estábamos de banquete! - dijo Porthos. - Espero - dijo Aramis - que no haya mujeres en vuestra comida.

-¿Es que hay vino potable en vuestra bicoca? - preguntó Athos.

-Diantre, tenemos el vuestro, querido amigo - respondió D'Artagnan.

-¿Nuestro vino? - preguntó Athos asombrado.

-Sí, el que me habéis enviado.

-¿Nosotros os hemos enviado vino? -Lo sabéis de sobra, de ese vinillo de los viñedos de Anjou.

-Sí, ya sé a qué vino os referéis.

-El vino que preferís.

-Sin duda, cuando no tengo ni champagne ni chambertin.

-Bueno, a falta de champagne y de chambertin os contentaréis con éste.

-O sea que, sibaritas como somos, hemos hecho venir vino de Anjou - dijo Porthos.

-Pues claro, es el vino que me han enviado de parte vuestra.

-¿De nuestra parte? - dijeron los tres mosqueteros.

-Aramis, ¿sois vos quién habéis enviado vino? - dijo Athos.

-No, ¿y vos, Porthos?

-No, ¿y vos Athos?

-No.

-Si no es vuestro - dijo D'Artagnan-, es de vuestro hostelero.

-¿Nuestro hostelero?

-Pues claro, vuestro hostelero, Godeau, hostelero de los mosqueteros.

-A fe nuestra que, venga de donde quiera, no importa - dijo Porthos ; probémoslo, y si es bueno, bebámoslo.

-No - dijo Athos-, no bebamos el vino que tiene una fuente desconocida.

-Tenéis razón, Athos - dijo D'Artagnan-. ¿Ninguno de vosotros ha encargado al hostelero enviarme vino?

-¡No! Y sin embargo, ¿os lo ha enviado de nuestra parte?

-Aquí está la carta - d¡jo D'Artagnan.

Y presentó el billete a sus camaradas.

-¡Esta no es su escritura! - exclamó Athos-. La conozco porque fui yo quien antes de partir saldó las cuentas de la comunidad.

-Carta falsa - dijo Porthos ; nosotros no hemos sido acuartelados.

-D'Artagnan - preguntó Aramis en tono de reproche-, ¿cómo habéis podido creer que habíamos organizado un alboroto?...

D'Artagnan palideció y un estremecimiento convulsivo agitó sus miembros.

-Me asustas - dijo Athos, que no le tuteaba sino en las grandes ocasiones-. ¿Qué ha pasado entonces?

-¡Corramos, corramos, amigos míos! - exclamó D'Artagnan-. Una terrible sospecha cruza mi mente. ¿Será otra vez una venganza de esa mujer?

Fue Athos el que ahora palideció.

D'Artagnan se precipitó hacia la cantina. Los tres mosqueteros y los dos guardias lo siguieron.

Los primero que sorprendió la vista de D'Artagnan al entrar en el comedor fue Brisemont tendido en el suelo y retorciéndose en medio de atroces convulsiones.

Planchet y Fourreau, pálidos como muertos trataban de ayudarlo; pero era evidente que cualquier ayuda resultaba inútil: todos los rasgos del moribundo estaban crispados por la agonía.

-¡Ay! - exclamó al ver a D'Artagnan-. ¡Ay, es horrible, fingís perdonarme y me envenenáis!

-¡Yo! - exclamó D'Artagnan-. ¿Yo, desgraciado? Pero ¿qué dices? -Digo que sois vos quien me habéis dado ese vino, digo que sois vos quien me ha dicho que lo beba, digo que habéis querido vengaros de mí, digo que eso es horroroso.

-No creáis eso, Brisemont - dijo D'Artagnan-, no creáis nada de eso; os lo juro, os aseguro que...

-¡Oh, pero Dios está aquí, Dios os castigará! ¡Dios mío! Que sufra un día lo que yo sufro.

-Por el Evangelio - exclamó D'Artagnan precipitándose hacia el moribundo-, os juro que ignoraba que ese vino estuviese envenenado y que yo iba a beber como vos.

-No os creo - dijo el soldado.

Y expiró en medio de un aumento de torturas.

-¡Horroroso! ¡Horroroso! - murmuraba Athos, mientras Porthos rompía las botellas y Aramis daba órdenes algo tardías para que fuesen en busca de un confesor.

-¡Oh, amigos míos! - dijo D'Artagnan-. Venís una vez más a salvarme la vida, no sólo a mí, sino a estos señores. Señores - continuó dirigiéndose a los guardias-, os ruego silencio sobre toda esta aventura; grandes personajes podrían estar pringados en lo que habéis visto, y el perjuicio de todo esto recaería sobre nosotros.

-¡Ay, señor! - balbuceaba Planchet, más muerto que vivo-. ¡Ay, señor, me he librado de una buena!

-¡Cómo, bribón! - exclamó D'Artagnan-. ¿Ibas entonces a beber mi vino?

-A la salud del rey, señor, iba a beber un pobre vaso si Fourreau no me hubiera dicho que me llamaban.

-¡Ay! - dijo Fourreau, cuyos dientes rechinaban de terror-. Yo quería alejarlo para beber completamente solo.

-Señores - dijo D'Artagnan dirigiéndose a los guardias-, comprenderéis que un festín semejante sólo sería muy triste después de lo que acaba de ocurrir; por eso, recibid mis excusas y dejemos la partida para otro día, por favor.

Los dos guardias aceptaron cortésmente las excusas de D'Artagnan y, comprendiendo que los cuatro amigos deseaban estar solos, se retiraron.

Cuando el joven guardia y los tres mosqueteros estuvieron sin testigos, se miraron de una forma que quería decir que todos comprendían la gravedad de la situación.

-En primer lugar - dijo Athos-, salgamos de esta sala; no hay peor compañía que un muerto de muerte violenta.

-Planchet - dijo D'Artagnan-, os encomiendo el cadáver de este pobre diablo. Que lo entierren en tierra santa. Cierto que había cometido un crimen, pero estaba arrepentido.

Y los cuatro amigos salieron de la habitación, dejando a Planchet y a Fourreau el cuidado de rendir los honores mortuorios a Brisemont.

El hostelero les dio otra habitación en la que les sirvió huevos pasados por agua y agua que el mismo Athos fue a sacar de la fuente. En pocas palabras Porthos y Aramis fueron puestos al corriente de la situación.

-¡Y bien! - dijo D'Artagnan a Athos-. Ya lo veis, querido amigo, es una guerra a muerte.

Athos movió la cabeza.

-Sí, sí - dijo-, ya lo veo, pero ¿créis que sea ella?

-Estoy seguro.

-Sin embargo os confieso que todavía dudo.

-¿Y esa flor de lis en el hombro? -Es una inglesa que habrá cometido alguna fechoría en Francia y que habrá sido marcada a raíz de su crimen.

-Athos, es vuestra mujer, os lo digo yo - repitió D'Artagnan-. ¿No recordáis cómo coinciden las dos marcas? -Sin embargo habría jurado que la otra estaba muerta, la colgué muy bien.

Fue D'Artagnan quien esta vez movió la cabeza.

-En fin ¿qué hacemos? - dijo el joven.

-Lo cierto es que no se puede estar así, con una espada eternamente suspendida sobre la cabeza - dijo Athos-, y que hay que salir de esta situación.

-Pero ¿cómo?

-Escuchad, tratad de encontraros con ella y de tener una explicación; decidle: ¡La paz o la guerra! Palabra de gentilhombre de que nunca diré nada de vos, de que jamás haré nada contra vos; por vuestra parte, juramento solemne de permanecer neutral respecto a mí; si no, voy en busca del canciller, voy en busca del rey, voy en busca del verdugo, amotino la corte contra vos, os denuncio por marcada, os hago meter a juicio, y si os absuelven, pues entonces os mato, palabra de gentilhombre, en la esquina de cualquier guardacantón, como mataría a un perro rabioso.

-No está mal ese sistema - dijo D'Artagnan-, pero ¿cómo encontrarme con ella?

-El tiempo, querido amigo, el tiempo trae la ocasión, la ocasión es la martingala del hombre; cuanto más empeñado está uno, más se gana si se sabe esperar.

-Sí, pero esperar rodeado de asesinos y de envenenadores...

-¡Bah! - dijo Athos-. Dios nos ha guardado hasta ahora, Dios nos seguirá guardando.

-Sí, a nosotros sí; además, nosotros somos hombres y, considerándolo bien, es nuestro deber arriesgar nuestra vida; pero ¡ella!... - añadió a media voz.

-¿Quién ella? - preguntó Athos.

-Constance.

-La señora Bonacieux ¡Ah! Es justo eso - dijo Athos-. ¡Pobre amigo! Olvidaba que estabais enamorado.

-Pues bien - dijo Aramis-. ¿No habéis visto, por la carta misma que habéis encontrado encima del miserable muerto, que estaba en un convento? Se está muy bien en un convento, y tan pronto acabe el sitio de La Rochelle, os prometo que por lo que a mí se refiere.

-¡Bueno! - dijo Athos-. ¡Bueno! Sí, mi querido Aramis, ya sabemos que vuestros deseos tienden a la religión.

-Sólo soy mosquetero por ínterin - dijo humildemente Aramis.

-Parece que hace mucho tiempo que no ha recibido nuevas de su amante - dijo en voz baja Athos ; mas no prestéis atención, ya conocemos eso.

-Bien - dijo Porthos-, me parece que hay un medio muy simple.

-¿Cuál? - preguntó D'Artagnan.

-¿Decís que está en un convento? - prosiguió Porthos.

-Sí.

-Pues bien, tan pronto como termine el asedio, la raptamos de ese convento.

-Pero habría que saber en qué convento está.

-Claro - dijo Porthos.

-Pero, pensando en ello - dijo Athos-, ¿no pretendéis querido D'Artagnan que ha sido la reina quien le ha escogido el convento?

-Sí, eso creo por lo menos.

-Pues bien, Porthos nos ayudará en eso.

-¿Y cómo?

-Pues por medio de vuestra marquesa, vuestra duquesa, vuestra princesa; debe tener largo el brazo.

-¡Chis! - dijo Porthos poniendo un dedo sobre sus labios-. La creo cardenalista y no debe saber nada.

-Entonces - dijo Aramis-, yo me encargo de conseguir noticia.

-¿Vos, Aramis? - exclamaron los tres amigos-. ¿Vos? ¿Y cómo? -Por medio del limosnero de la reina, del que soy muy amigo - dijo Aramis ruborizándose.

Y con esta seguridad, los cuatro amigos, que habían acabado modesta comida, se separaron con la promesa de volverse a ver aquella misma noche; D'Artagnan volvió a los Mínimos, y los tres mosqueteros alcanzaron el acuartelamiento del rey, donde tenían que hacer preparar su alojamiento.

El albergue del Colombier Rouge

Apenas llegado al campamento, el rey, que tenía tanta prisa por encontrarse frente al enemigo y que, con mejor derecho que el cardenal, compartía su odio contra Buckingham, quiso hacer todos los preparativos, primero para expulsar a los ingleses de la isla de Ré, luego para apresurar el asedio de La Rochelle; pero, a pesar suyo, se demoró por las disensiones que estallaron entre los señores de Bassompierre y Schomberg contra el duque de Angulema.

Los señores de Bassompiere y Schomberg eran mariscales de Francia y reclamaban su derecho a mandar el ejército bajo las órdenes del rey; pero el cardenal, que temía que Bassompierre, hugonote en el fondo del corazón, acosase débilmente a ingleses y rochelleses, sus hermanos de religión, apoyaba por el contrario al duque de Angulema, a quien el rey, a instigación suya, había nombrado teniente general. De ello resultó que, so pena de ver a los señores de Bassompierre y Schomberg abandonar el ejército, se vieron obligados a dar a cada uno un mando particular; Bassompierre tomó sus acuartemamientos al norte de la ciudad desde La Leu hasta Dompierre; el duque de Angulema al este, desde Dompierre hasta Périgny; y el señor de Schomberg al mediodía, desde Périgny hasta Angoutin.

El alojamiento de Monsieur estaba en Dompierre.

El alojamiento del rey estaba tanto en Etré como en La Jarrie.

Finalmente, el alojamiento del cardenal estaba en las dunas, en el puente de La Pierre en una simple casa sin ningún atrincheramiento.

De esta forma, Monsieur vigilaba a Bassompierre; el rey, al duque de Angulema, y el cardenal, al señor de Schomberg.

Una vez establecida esta organización, se ocuparon de echar a los ingleses de la isla.

La coyuntura era favorable: los ingleses, que ante todo necesitan buenos víveres para ser buenos soldados, al no comer más que carnes saladas y mal pan, tenían muchos enfermos en su campamento; además el mar, muy malo en aquella época del año en todas las costas del Océano, estropeaba todos los días algún pequeño navío; y con cada marea la playa, desde la punta del Aiguillon hasta la trinchera, se cubría literalmente de restos de pinazas, de troncos de roble y de falúas; de lo cual resultaba que, aunque las gentes del rey se mantuviesen en su campamento, era evidente que un día a otro Buckingham, que sólo permanecía en la isla de Ré por obstinación, se vena obligado a levantar el sitio.

Pero como el señor de Toiras hizo decir que en el campamento enemigo se preparaba todo par un nuevo asalto, el rey juzgó que había que terminar y dio las órdenes necesarias para un ataque decisivo.

No siendo nuestra intención hacer un diario de asedio, sino por el contrario contar sólo los sucesos que tienen que ver con la historia que contamos, nos contentaremos con decir en dos palabras que la empresa tuvo éxito para gran asombro del rey y a la mayor gloria del señor cardenal. Los ingleses, rechazados paso a paso, batidos en todos los encuentros, aplastados al pasar por la isla de Loix, se vieron obligados a embarcar de nuevo, dejando en el campo de batalla dos mil hombres, entre ellos cinco coroneles, tres tenientes coroneles, doscientos cincuenta capitanes y veinte gentileshombres de calidad, cuatro piezas de cañón y sesenta banderas, que fueron llevadas a París por Claude de Saint Simon y colgadas con gran pompa en las bóvedas de Notre-Dame.

Fueron cantados tedéum en el campamento, y de ahí se esparcieron por toda Francia.

El cardenal quedó, pues, dueño de proseguir el asedio sin tener, al menos momentáneamente, nada que temer de parte de los ingleses.

Pero como acabamos de decir, el reposo era solo momentáneo.

Un enviado del duque de Buckingham, llamado Montaigu, había sido capturado, y se le había encontrado la prueba de una liga entre el Imperio, España, Inglaterra y Lorena.

Aquella liga estaba dirigida contra Francia.

Además, en el alojamiento de Buckingham, que se había visto obligado a abandonar más precipitadamente de lo que habría creído, se habían encontrado papeles que confirmaban aquella liga y que, por lo que afirma el señor cardenal en sus Memorias, comprometían mucho a la señora de Chevreuse y por consiguiente a la reina.

Era sobre el cardenal sobre el que pesaba toda la responsabilidad, porque no se es ministro absoluto sin ser responsable; por eso todos los recursos de su vasto ingenio estaban tensos día y noche, y ocupados en escuchar el menor rumor que se alzara en uno de los grandes reinos de Europa.

El cardenal conocía la actividad y sobre todo el odio de Buckingham; si la liga que amenazaba a Francia triunfaba, toda su influencia estaba perdida; la política española y la política austríaca tenían sus representantes en el gabinete del Louvre, donde aún no tenían más que partidarios; él, Richelieu, el ministro francés, el ministro nacional por excelencia, estaba perdido. El rey, que pese a obedecerlo como un niño, lo odiaba como un niño odia a su maestro, lo abandonaba a las venganzas reunidas de Monsieur y de la reina; estaba por tanto perdido, y quizá Francia con él. Había que remediar todo aquello.

Por eso se vieron correos, a cada instante más numerosos, sucederse día y noche en aquella casita del puente de La Pierre, donde el cardenal había establecido su residencia.

Eran monjes que llevaban tan mal el hábito que era fácil reconocer que pertenecían sobre todo a la Iglesia militante; mujeres algo molestas en sus trajes de pajes, y cuyos largos calzones no podían disimular por entero las formas redondeadas; en fin, campesinos de manos ennegrecidas pero de pierna fina, y que olían a hombre de calidad a una legua a la redonda.

Luego otras visitas menos agradables, porque dos o tres veces corrió el rumor de que el cardenal había estado a punto de ser asesinado.

Cierto que los enemigos de Su Eminencia decían que era ella misma la que ponía en campaña a asesinos torpes, a fin de tener, llegado el caso, el derecho de adoptar represalias; pero no hay que creer ni lo que dicen los ministros ni lo que dicen sus enemigos.

Lo cual, por lo demás, no impedía al cardenal, a quien jamás ni sus más encarnizados detractores han negado el valor personal, hacer sus recorridos nocturnos para comunicar al duque de Angulema órdenes importantes, tanto para ir a ponerse de acuerdo con el rey como para ir a conferenciar con algún mensajero que no quería que se dejase entrar en su casa.

Por su lado los mosqueteros, que no tenían gran cosa que hacer en el asedio, no eran severamente controlados y llevaban una vida alegre. Y esto les era tanto más fácil, sobre todo a nuestros tres amigos, cuanto que, siendo amigos del señor de Tréville, obtenían fácilmente de él el llegar tarde y quedarse tras el cierre del campamento con permisos particulares.

Pero una noche en que D'Artagnan, que estaba de trinchera, no había podido acompañarlos, Athos, Porthos y Aramis, montados en sus caballos de batalla, envueltos en capas de guerra y con una mano sobre la culata de sus pistolas, volvían los tres de una cantina que Athos había descubierto dos días antes en el camino de La Jarrie, y que se llamaba el Colombier Rouge, siguiendo el camino que llevaba al campamento estando en guardia, como hemos dicho, por temor a una emboscada, cuando a un cuarto de legua más o menos de la aldea de Boisnar, creyeron oír el paso de una cabalgata que venía hacia ellos; al punto los tres se detuvieron, apretados uno contra otro, y esperaron, en medio del camino. Al cabo de un instante, y cuando precisamente salía la luna de una nube, vieron aparecer en una vuelta del camino dos caballeros que al divisarlos se detuvieron también, pareciendo deliberar si debían continuar su ruta o volver atrás. Esta duda proporcionó algunas sospechas a los tres amigos y Athos, dando algunos pasos hacia adelante, gritó con su firme voz:

-¿Quién vive?

-¿Quién vive, vos? - respondió uno de aquellos caballeros.

-Eso no es contestar - dijo Athos-. ¿Quién vive? Responded o cargamos.

-¡Tened cuidado con lo que vais a hacer señores! - dijo entonces una voz vibrante que parecía tener el hábito de mando.

-¿Es algún oficial superior que hace su ronda de noche? - dijo Athos-. ¿Qué queréis hacer, señores?

-¿Quiénes sois? - dijo la misma voz con el mismo tono de mando. Responded o podríais pasarlo mal por vuestra desobediencia.

-Mosqueteros del rey - dijo Athos, más y más convencido de que quien los interrogaba tenía derecho a ello.

-Qué compañía?

-Compañía de Tréville.

-Avanzad en orden y venid a darme cuenta de lo que hacíais aquí a esta hora.

Los tres mosqueteros avanzaron, con la cabeza algo gacha, porque los tres estaban ahora convencidos de que tenían que vérselas con alguien más fuerte que ellos; se dejó por lo demás a Athos el cuidado de portavoz.

Uno de los caballeros, el que había tomado la palabra en segundo lugar, estaba diez pasos por delante de su compañero; Athos hizo señas a Porthos y a Aramis de quedarse, por su parte, atrás, y avanzó solo.

-¡Perdón, mi oficial! - dijo Athos-. Pero ignorábamos con quién teníamos que vérnoslas, y como podéis ver estábamos ojo avizor.

-¿Vuestro nombre? - dijo el oficial que se cubría una parte del rostro con su capa.

-¿Y el vuestro, señor? - dijo Athos que comenzaba a revolverse contra aquel interrogatorio-. Dadme, por favor, una prueba de que tenéis derecho a interrogarme.

-¿Vuestro nombre? - repitió por segunda vez el caballero dejando caer su capa de tal forma que dejaba el rostro al descubierto.

-¡Señor cardenal! - exclamó el mosquetero estupefacto.

-¡Vuestro nombre! - repitió por tercera vez Su Eminencia.

-Athos - dijo el mosquetero.

El cardenal hizo una seña al escudero, que se acercó.

-Estos tres mosqueteros nos seguirán - dijo en voz baja-, no quiero que se sepa que he salido del campamento, y siguiéndonos estaremos más seguros de que no lo dirán a nadie.

-Nosotros somos gentileshombres, Monseñor - dijo Athos ; pedidnos, pues, nuestra palabra y no os inquietéis por nada. A Dios gracias, sabemos guardar un secreto.

El cardenal clavó sus ojos penetrantes sobre aquel audaz interlocutor.

-Tenéis el oído fino, señor Athos - dijo el cardenal ; pero ahora escuchad esto: os ruego que me sigáis, no por desconfianza, sino por mi seguridad. Sin duda vuestros dos compañeros son los señores Porthos y Aramis.

-Sí, Eminencia - dijo Athos mientras los dos mosqueteros que se habían quedado atrás se acercaban con el sombrero en la mano.

-Os conozco, señores - dijo el cardenal-, os conozco; sé que no sois completamente amigos míos y estoy molesto por ello, pero sé que sois valientes y leales gentileshombres y que se puede fiar de vosotros. Señor Athos, hacedme, pues, el honor de acompañarme, vos y vuestros amigos, y entonces tendré una escolta como para dar envidia a Su Majestad si nos lo encontramos.

Los tres mosqueteros se inclinaron hasta el cuello de sus caballos.

-Pues bien, por mi honor - dijo Athos-, que Vuestra Eminencia hace bien en llevarnos con ella: hemos encontrado en el camino caras horribles, a incluso con cuatro de esas caras hemos tenido una querella en el Colombier Rouge.

-¿Una querella? ¿Y por qué, señores? - dijo el cardenal-. No me gustan los camorristas, ¡ya lo sabéis!

-Por eso precisamente tengo el honor de prevenir a Vuestra Eminencia de lo que acaba de ocurrir; porque podría enterarse por otras personas distintas a nosotros y creer, por la falsa relación, que estamos en falta.

-¿Y cuáles han sido los resultados de esa querella? - preguntó el cardenal frunciendo el ceño.

-Pues mi amigo Aramis, que está aquí, ha recibido una leve estocada en el brazo, lo cual no le impedirá, como Vuestra Eminencia podrá ver, subir al asalto mañana si Vuestra Excelencia ordena la escalada.

-Pero no sois hombres para dejaros dar estocadas de esa forma - dijo el cardenal ; vamos, sed francos, señores, algunas habréis de vuelto; confesaos, ya sabéis que tengo derecho a dar la absolución.

-Yo, Monseñor - dijo Athos-, no he puesto siquiera la espada en la mano, pero he agarrado al que me tocaba por medio del cuerpo y lo he tirado por la ventana. Parece que al caer - continuó Athos cor cierta duda - se ha roto una pierna.

-¡Ah, ah! - dijo el cardenal-. ¿Y vos, señor Porthos?

-Yo, Monseñor, sabiendo que el duelo está prohibido, he cogido un banco y le he dado a uno de esos bergantes un golpe que, según creo, le ha partido el hombro.

-Bien - dijo el cardenal-. ¿Y vos, señor Aramis?

-Yo, Monseñor, como soy de temperamento dulce y como además, cosa que igual no sabe Monseñor, estoy a punto de tomar el hábito, quería separarme de mis camaradas cuando uno de aquellos miserables me dio traidoramente una estocada de través en el brazo izquierdo. Entonces me faltó paciencia, saqué la espada a mi vez, y, cuando volvía a la carga, creo haber notado que al arrojarse sobre mí se había atravesado el cuerpo; sólo sé con certeza que ha caído y me ha parecido que se lo llevaban con sus dos compañeros.

-¡Diablos, señores! - dijo el cardenal-. Tres hombres fuera de combate por una disputa de taberna; no os vais de vacío. ¿Y a propósito, ¿de qué vino la querella?

-Aquellos miserables estaban borrachos - dijo Athos-, y sabiendo que había una mujer que había llegado por la noche a la taberna querían forzar la puerta.

-¿Forzar la puerta? - dijo el cardenal-. ¿Y eso para qué?

-Para violentarla sin duda - dijo Athos ; tengo el honor de decir a Vuestra Eminencia que aquellos miserables estaban borrachos.

-¿Y esa mujer era joven y hermosa? - preguntó el cardenal con cierta inquietud.

-No la hemos visto, Monseñor - dijo Athos.

-¡No la habéis visto! ¡Ah, muy bien! - replicó vivamente el cardenal-. Habéis hecho bien en defender el honor de una mujer, y como es al albergue del Colombier Rouge a donde yo voy, sabré si me habéis dicho la verdad.

-Monseñor - dijo altivamente Athos-, somos gentileshombres, y para salvar nuestra cabeza no diríamos una mentira.

-Por eso no dudo de lo que me decís, señor Athos, no lo dudo ni un solo instante, pero - añadió para cambiar de conversación-, ¿aquella dama estaba, por tanto, sola?

-Aquella dama tenía encerrado con ella un caballero - dijo Athos ; pero como pese al alboroto el caballero no ha aparecido, es de presumir que es un cobarde.

-¡No juzguéis temerariamente!, dice el Evangelio - replicó el cardenal.

Athos se inclinó.

-Y ahora, señores, está bien - continuó Su Eminencia-. Sé lo que quería saber; seguidme.

Los tres mosqueteros pasaron tras el cardenal, que se envolvió de nuevo el rostro con su capa y echó su caballo a andar manteniéndose a ocho o diez pasos por delante de sus acompañantes.

Llegaron pronto al albergue silencioso y solitario; sin duda el hostelero sabía qué ilustre visitante esperaba, y por consiguiente había despedido a los importunos.

Diez pasos antes de llegar a la puerta, el cardenal hizo seña a su escudero y a los tres mosqueteros de detenerse. Un caballo completamente ensillado estaba atado al postigo. El cardenal llamó tres veces y de determinada manera.

Un hombre envuelto en una capa salió al punto y cambió algunas rápidas palabras con el cardenal, tras lo cual volvió a subir a caballo y partió en la dirección de Surgères, que era también la de París.

-Avanzad, señores - dijo el cardenal.

-Me habéis dicho la verdad, gentileshombres - dijo dirigiéndose a los tres mosqueteros-. Sólo a mí me atañe que nuestro encuentro de esta noche os sea ventajoso; mientras tanto, seguidme.

El cardenal echó pie a tierra y los tres mosqueteros hicieron otro tanto; el cardenal arrojó la brida de su caballo a las manos de su escudero y los tres mosqueteros ataron las bridas de los suyos a los postigos.

El hotelero permanecía en el umbral de la puerta; para él el cardenal no era más que un oficial que venía a visitar a una dama.

-¿Tenéis alguna habitación en la planta baja donde estos señores puedan esperarme junto a un buen fuego? - dijo el cardenal.

El hostelero abrió la puerta de una gran sala, en la que precisamente acababan de reemplazar una mala estufa por una gran chimenea excelente.

-Tengo ésta - respondió.

-Está bien - dijo el cardenal-. Entrad ahí, señores, y tened a bien esperarme; no tardaré más de media hora.

Y mientras los tres mosqueteros entraban en la habitación de la planta baja, el cardenal, sin pedir informes más amplios, subió la escalera como hombre que no necesita que le indiquen el camino.

De la utilidad de los tubos de estufa

Era evidente que, sin sospecharlo, y movidos solamente por su carácter caballeresco y aventurero, nuestros tres amigos acababan de prestar algún servicio a alguien a quien el cardenal honraba con su proteción particular.

Pero ¿quién era ese alguien? Es la pregunta que se hicieron primero los tres mosqueteros; luego, viendo que ninguna de las respuesta que podía hacer su inteligencia era satisfactoria, Porthos llamó al hotelero y pidió los dados.

Porthos y Aramis se sentaron ante una mesa y se pusieron a jugar, Athos se paseó reflexionando.

Al reflexionar y pasearse, Athos pasaba una y otra vez por delante del tubo de la estufa roto por la mitad y cuya otra extremidad daba a la habitación superior, y cada vez que pasaba y volvía a pasar, de un murmullo de palabras que terminó por centrar su atención. Athos se acercó y distinguió algunas palabras que sin duda le parecieron merecer un interés tan grande que hizo seña a sus compañeros de callasen quedando él inclinado, con el oído puesto a la altura del orificio interior.

-Escuchad, Milady - decía el cardenal ; el asunto es importarte; sentaos ahí y hablemos.

-¡Milady! - murmuró Athos.

-Escucho a Vuestra Excelencia con la mayor atención - respondió una voz de mujer que hizo estremecer al mosquetero.

-Un pequeño navío con tripulación inglesa, cuyo capitán está de mi parte, os espera en la desembocadura del Charente, en el fuerte de La Pointe: se hará a la vela mañana por la mañana.

-Entonces, ¿es preciso que vaya allí esta noche?

-Ahora mismo, es decir, cuando hayáis recibido mis instrucciones. Dos hombres que encontraréis a la puerta al salir os servirán de escolta; me dejaréis salir a mí primero; luego, media hora después de mí, saldréis vos.

-Sí, monseñor. Ahora volvamos a la misión que tenéis a bien encargarme; y como quiero seguir mereciendo la confianza de Vuestra Eminencia, dignaos exponérmela en términos claros y precisos para que no cometa ningún error.

Hubo un instante de profundo silencio entre los dos interlocutores; era evidente que el cardenal media por adelantado los términos en que iba a hablar y que Milady reunía todas sus facultades intelectuales para comprender las cosas que él iba a decir y grabarlas en su memoria cuando estuviesen dichas.

Athos aprovechó ese momento para decir a sus dos compañeros que cerraran la puerta por dentro y para hacerles seña de que vinieran a escuchar con él.

Los dos mosqueteros, que amaban la comodidad, trajeron una silla para cada uno de ellos y otra silla para Athos. Los tres se sentaron entonces con las cabezas juntas y el oído al acecho.

-Vais a partir para Londres - continuó el cardenal-. Una vez llegada a Londres, iréis en busca de Buckingham.

-Haré observar a Su Eminencia - dijo Milady - que, desde el asunto de los herretes de diamantes, que el duque siempre sospechó obra mía, Su Gracia desconfía de mí.

-Esta vez - dijo el cardenal - no se trata de captar su confianza, sino de presentarse franca y lealmente a él como negociadora.

-Franca y lealmente - repitió Milady con una indecible expresión de duplicidad.

-Sí, franca y lealmente - replicó el cardenal en el mismo tono ; toda esta negociación debe ser hecha al descubierto.

-Seguiré al pie de la letra las instrucciones de Su Eminencia, y espero que me las dé.

-Iréis en busca de Buckingham de parte mía, y le diréis que sé todos los preparativos que hace, pero que apenas me preocupo por ello, dado que, al primer movimiento que haga, pierdo a la reina.

-¿Creerá él que Vuestra Eminencia está en condiciones de cumplir la amenaza que le hace?

-Sí, porque tengo pruebas.

-Es preciso que yo pueda presentar estas pruebas a su consideración.

-Por supuesto, y le diréis que publico el informe de Bois Robert y del marqués de Beutru sobre la entrevista que el duque tuvo en casa de la señora condestable con la reina, la noche en que la señora condestable dio una fiesta de máscaras; le direis, para que no dude de nada, que el fue vestido de Gran Mogol, traje que debía llevar el caballero de Guisa, y que compró a este último mediante la suma de tres mil pistolas.

-De acuerdo, monseñor.

-Todos los detalles de su entrada en el Louvre y de su salida, durante la noche en que se introdujo en Palacio con el traje de decidor de la buenaventura italiano, me son conocidos; le diréis, para que tampoco dude de la autenticidad de mis informes, que tenía bajo su capa un gran traje blanco sembrado de lágrimas negras, de calaveras y de huesos en forma de aspa; porque en caso de sorpresa, debía hacerse pasar por el fantasma de la Dama blanca que, como todo el mundo sabe, vuelve al Louvre cada vez que va a ocurrir algún gran suceso.

-¿Eso es todo, monseñor?

-Decidle que también sé todos los detalles de la aventura de Amiens, que haré escribir una novelita, ingeniosamente disfrazada, con un plano del jardín y los retratos de los principales actores de aquella escena nocturna.

-Le diré eso.

-Decidle además que tengo en mi poder a Montaigu, está en la Bastilla, que no le han sorprendido ninguna carta encima, es cierto, pero que la tortura puede hacerle decir lo que sabe, a incluso... lo que no sabe.

-De acuerdo.

-En fin, añadid que Su Gracia, en la precipitación que puso al dejar la isla de Ré, olvidó en su alojamiento cierta carta de la señora de Chevreuse que compromete especialmente a la reina, en la que ella demuestra no sólo que Su Majestad puede amar a los enemigos del rey, sino que incluso conspira con los de Francia. Habéis retenido todo lo que os he dicho, ¿no es así?

-Juzgue Vuestra Eminencia: el baile de la señora condestable; la noche del Louvre; la velada de Amiens; el arresto de Montaigu; la carta de la señora de Chevreuse.

-Eso es - dijo el cardenal-, eso es; tenéis una memoria afortunada, Milady.

-Pero - replicó aquella a quien el cardenal acababa de dirigir su cumplido adulador - ¿si pese a todas estas razones el duque no se rinde y continúa amenazando a Francia?

-El duque está enamorado como un loco, o mejor, como un necio - contestó Richelieu con profunda amargura ; como los antiguos paladines, ha emprendido esta guerra nada más que por obtener una mirada de su bella. Si sabe que esta guerra puede costarle el honor y quizá la libertad de la dama de sus pensamientos, como él dice, os respondo de que se lo pensará dos veces.

-Sin embargo - dijo Milady con una persistencia que probaba que quería ver claro hasta el fin en la misión de que iba a encargarse-, sin embargo, ¿si persiste?

-Si persiste... - dijo el cardenal-... No es probable.

-Es posible - dijo Milady.

-Si persiste... - Su Eminencia hizo una pausa y prosiguió-. Pues bien, si persiste, esperaré uno de esos acontecimientos que cambian la faz de los Estados.

-Si Su Eminencia quisiera citarme alguno de esos acontecimientos en la historia - dijo Milady quizá comparta yo su confianza en el futuro.

Pues bien, mirad, por ejemplo –dijo Richelieu-, cuando en 1610, por un motivo más o menos parecido al que hace conmoverse al - duque, el rey Enrique IV, de gloriosa memoria, iba a invadir a la vez Flandes e Italia para golpear a un mismo tiempo a Austria por dos lados, ¿no ocurrió entonces un acontecimiento que salvó a Austria? ¿Por qué el rey de Francia no habría de tener la misma suerte que el emperador?

-¿Vuestra Eminencia se refiere a la cuchillada de la calle de la Ferronerie?

-Precisamente - dijo el cardenal.

-¿Vuestra Eminencia no teme que el suplicio de Ravaillac espanto a quienes tengan por un instante la idea de imitarlo? -En todo tiempo y en todos los países, sobre todo si esos países están divididos por la religión, habrá fanáticos que no pedirán otra cola que convertirse en mártires. Y ved, precisamente ahora recuerdo que los puritanos están furiosos contra el duque de Buckingham y que sus predicadores lo designan como el Anticristo.

-¿Y entonces? - preguntó Milady.

-Pues que - continuó el cardenal con un aire indiferente - por el momento no se trataría, por ejemplo, sino de buscar una mujer hermosa, joven, hábil, que tuviera que vengarse del duque. Tal mujer puede encontrarse: el duque es hombre de aventuras galantes y si ha sembrado muchos amores con sus promesas de constancia eterna, ha debido sembrar muchos odios también por sus continuas infidelidades.

-Sin duda - dijo fríamente Milady-, se puede encontrar una mujer semejante.

-Pues bien, una mujer semejante, que pusiera el cuchillo de Jaques Clément o de Ravaillac en las manos de un fanático, salvaría a Francia.

-Sí, pero sería cómplice de un asesinato.

-¿Se ha conocido alguna vez a los cómplices de Ravaillac o de Jacques Clément?

-No, porque quizá estaban situados demasiado alto para que se atrevieran a irlos a buscar donde estaban; no se quemaría el Palacio de Justicia por todo el mundo, monseñor.

-¿Creéis, pues, que el incendio del Palacio de Justicia tiene una causa distinta a la del azar? - preguntó Richelieu en un tono como el de quien hace una pregunta sin ninguna importancia.

-Yo, monseñor - respondió Milady-, no creo nada, cito un hecho, eso es todo; sólo digo que si yo me llamara señorita de Montpensier, o reina Maria de Médicis, tomaría menos precauciones de las que tomo por llamarme simplemente lady Clarick.

-Eso es justo - dijo Richelieu-. ¿Qué queréis entonces?

-Querría una orden que ratificase de antemano todo cuanto yo crea deber hacer para mayor bien de Francia.

-Pero primero habría que buscar la mujer que he dicho y que tuviera que vengarse del duque.

-Está encontrada - dijo Milady.

-Luego habría que encontrar ese miserable fanático que servirá de instrumento a la justicia de Dios.

-Se encontrará.

-Pues bien - dijo el duque-, entonces será el momento de reclamar la orden que pedís ahora mismo.

-Vuestra Eminencia tiene razón - dijo Milady-, y soy yo quien está equivocada al ver en la misión con que me honra otra cosa de lo que realmente es, es decir, anunciar a Su Gracia, de parte de Su Eminencia, que conocéis los diferentes disfraces con ayuda de los cuales ha conseguido acercarse a la reina durante la fiesta dada por la señora condestable; que tenéis pruebas de la entrevista concedida en el Louvre por la reina a cierto astrólogo italiano que no es otro que el duque de Buckingham; que habéis encargado una novelita, de las más ingeniosas, sobre la aventura de Amiens, con el plano del jardín donde esa aventura ocurrió y retratos de los actores que figuraron en ella; que Montaigu está en la Bastilla, y que la tortura puede hacerle decir cosas que recuerde, incluso cosas que habría olvidado; finalmente, que vos poseéis cierta carta de la señora de Chevreuse, encontrada en el alojamiento de Su Gracia, que compromete de modo singular, no sólo a quien la escribió, sino que incluso a aquella en cuyo nombre fue escrita. Luego, si pese a todo esto persiste, como es a lo que acabo de decir a lo que se limita mi misión, no tendré más que rogar a Dios que haga un milagro para salvar a Francia. ¿Basta con eso, Monseñor? ¿Tengo que hacer alguna otra cosa?

-Basta con eso - replicó secamente monseñor.

-Pues ahora - dijo Milady sin parecer observar el cambio de tono del cardenal respecto a ella-, ahora que he recibido las instrucciones de Vuestra Eminencia a propósito de sus enemigos, ¿monseñor me permitirá decirle dos palabras de los míos?

-¿Tenéis entonces enemigos? - preguntó Richelieu.

-Sí, monseñor; enemigos contra los cuales me debéis todo vuestro apoyo, porque me los he hecho sirviendo a Vuestra Eminencia.

-¿Y cuáles? - replicó el cardenal.

-En primer lugar una pequeña intrigante llamada Bonacieux.

-Está en la prisión de Nantes.

-Es decir, estaba allí - prosiguió Milady-, pero la reina ha sorprendido una orden del rey, con ayuda de la cual la ha hecho llevar a un convento.

-¿A un convento? - dijo el cardenal.

-Sí, a un convento.

-Y ¿a cuál?

-Lo ignoro, el secreto ha sido bien guardado.

-¡Yo lo sabré! -¿Y Vuestra Eminencia me dirá en qué convento está esa mujer?

-No veo ningún inconveniente - dijo el cardenal.

-Bien; ahora tengo otro enemigo muy de temer por distintos motivos que esa pequeña señora Bonacieux.

-¿Cuál?

-Su amante.

-¿Cómo se llama?

-¡Oh! Vuestra Eminencia lo conoce bien –exclamó Milady llevada por la cólera-. Es el genio malo de nosotros dos; es ése que en un encuentro con los guardias de Vuestra Eminencia decidió la victoria de los mosqueteros del rey; es el que dio tres estocadas a de Wardes, vuestro emisario, y que hizo fracasar el asunto de los herretes; es el que, finalmente, sabiendo que era yo quien le había raptado a la señora Bonacieux, ha jurado mi muerte.

-¡Ah, ah! - dijo el cardenal-. Sé a quién os referís.

-Me refiero a ese miserable de D'Artagnan.

-Es un intrépido compañero - dijo el cardenal.

-Y precisamente porque es un intrépido compañero es más de temer.

-Sería preciso - dijo el duque - tener una prueba de su inteligencia con Buckingham.

-¡Una prueba! - exclamó Milady-. Tendré diez.

-Pues bien entonces es la cosa más sencilla del mundo, presentadme esa prueba y lo mando a la Bastilla.

-¡De acuerdo, monseñor! Pero ¿y después?

-Cuando se está en la Bastilla, no hay después - dijo el cardenal con voz sorda-. ¡Ah, diantre - continuó-, si me fuera tan fácil desembarazarme de mi enemigo como fácil me es desembarazarme de los vuestros, y si fuera contra personas semejantes por lo que pedís vos la impunidad!...

-Monseñor - replicó Milady-, trueque por trueque, vida por vida, hombre por hombre; dadme a mí ese y yo os doy el otro.

-No sé lo que queréis decir - replicó el cardenal-, y no quiero siquiera saberlo; pero tengo el deseo de seros agradable y no veo ningún inconveniente en daros lo que pedís respecto a una criatura tan ínfima; tanto más, como vos me decís, cuanto que ese pequeño D'Artagnan es un libertino, un duelista y un traidor.

-¡Un infame, monseñor, un infame!

-Dadme, pues, un papel, una pluma y tinta - dijo el cardenal.

-Helos aquí, monseñor.

Se hizo un instante de silencio que probaba que el cardenal estaba ocupado en buscar los términos en que debía escribirse el billete, o incluso si debía escribirlo. Athos, que no había perdido una palabra de la conversación, cogió a cada uno de sus compañeros por una mano y los llevó al otro extremo de la habitación.

-¡Y bien! - dijo Porthos-. ¿Qué quieres y por qué no nos dejas escuchar el final de la conversación?

-¡Chis! - dijo Athos hablando en voz baja-. Hemos oído todo cuanto es necesario oír; además no os impido escuchar el resto, pero es preciso que me vaya.

-¡Es preciso que te vayas! - dijo Porthos-. Pero si el cardenal pregunta por ti, ¿qué responderemos?

-No esperaréis a que pregunte por mí, le diréis los primeros que he partido como explorador porque algunas palabras de nuestro hostelero me han hecho pensar que el camino no era seguro; primero diré dos palabras sobre ello al escudero del cadernal; el resto es cosa mía, no os preocupéis.

-¡Sed prudente, Athos! - dijo Aramis.

-Estad tranquilos - respondió Athos-, ya sabéis, tengo sangre fría.

Porthos y Aramis fueron a ocupar nuevamente su puesto junto al tubo de estufa.

En cuanto a Athos, salió sin ningún misterio, fue a tomar su caballo atado con los de sus amigos a los molinetes de los postigos, convenció con cuatro palabras al escudero de la necesidad de una vanguardia para el regreso, inspeccionó con afectación el fulminante de sus pistolas, se puso la espada en los dientes y siguió, como hijo pródigo, la ruta que llevaba al campamento.

Escena conyugal

Como Athos había previsto, el cardenal no tardó en descender; abrió la puerta de la habitación en que habían entrado los mosqueteros y encontró a Porthos jugando una encarnizada partida de dados con Aramis. De rápida ojeada registró todos los rincones de la sala y vio que le faltaba uno de los hombres.

-¿Qué ha sido del señor Athos? - preguntó.

-Monseñor - respondió Porthos-, ha partido como explorador por algunas frases de nuestro hostelero, que le han hecho creer que la ruta no era segura.

-¿Y vos, que habéis hecho vos, señor Porthos?

-Le he ganado cinco pistolas a Aramis.

-Y ahora, ¿podéis volver conmigo?

-Estamos a las órdenes de Vuestra Eminencia.

-A caballo pues, señores, que se hace tarde.

-El escudero estaba a la puerta y sostenía por las bridas el caballo del cardenal. Un poco más lejos, un grupo de dos hombres y de tres caballos aparecía en la sombra: aquellos dos hombres eran los que debían conducir a Milady al fuerte de La Pointe y velar por su embarque.

El escudero confirmó al cardenal lo que los dos mosqueteros ya le habían dicho a propósito de Athos. El cardenal hizo un gesto aprobador y emprendió la ruta, rodeándose de las mismas precauciones que había tomado al partir.

Dejémosle seguir el camino del campamento, protegido por el escudero y los dos mosqueteros, y volvamos a Athos.

Durante una centena de pasos, había caminado al mismo trote; mas una vez fuera de la vista, había lanzado su caballo a la derecha, había dado un rodeo, y había vuelto a una veintena de pasos, al bosquecillo, para acechar el paso de la pequeña tropa; una vez reconocidos los sombreros bordados de sus compañeros y la franja dorada de la capa del señor cardenal, esperó a que los caballeros hubieran doblado el recodo del camino, y habiéndoles perdido de vista, volvió al galope al albergue que se le abrió sin dificultad.

El hostelero lo reconoció.

-Mi oficial - dijo Athos - ha olvidado hacer a la dama del primero una recomendación importante; me envía para reparar su olvido.

-Subid - dijo el hostelero-, todavía está en su habitación.

Athos aprovechó el permiso, subió la escalera con su paso más ligero, llegó a la meseta y a través de la puerta entreabierta vio a Milady que se ataba su sombrero.

Entró en la habitación y cerró la puerta tras sí.

Al ruido que hizo al empujar el cerrojo, Milady se volvió.

Athos estaba de pie ante la puerta, envuelto en su capa, la capa cubriéndole hasta los ojos.

Al ver aquella figura muda a inmóvil como una estatua, Milady tuvo miedo.

-¿Quién sois? ¿Y qué queréis? - exclamó.

-Vamos, ¡es ella! - murmuró Athos.

Y dejando caer su capa y alzando su sombrero avanzó hacia Milady.

-¿Me reconocéis, señora? - dijo.

Milady dio un paso adelante, luego retrocedió como ante la vista de una serpiente.

-Vamos - dijo Athos-, está bien, ya veo que me reconocéis.

-¡El conde de La Fère! - murmuró Milady palideciendo y retrocediendo hasta que el muro le impidió ir más lejos.

-Sí, Milady - respondió Athos-, el conde de La Fère en persona, que vuelve directamente del otro mundo para tener el placer de veros. Sentémonos, pues, y hablemos, como dice Monseñor el cardenal.

Milady, dominada por un terror inexpresable, se sentó sin proferir una sola palabra.

-¿Sois acaso un demonio enviado a la tierra? - dijo Athos-. Vuestro poder es grande, pero sabéis también que con la ayuda de Dios los hombres han vencido con frecuencia a los demonios más terribles. Ya os cruzasteis en mi camino, creía haberos vencido, señora; pero, o yo me equivocaba o el infierno os ha resucitado.

A estas palabras que le traían recuerdos espantosos, Milady bajó la cabeza con un gemido sordo.

-Sí, el infierno os ha resucitado - prosiguió Athos-, el infierno os ha hecho rica, el infierno os ha dado otro nombre, el infierno os ha rehecho casi otro rostro; pero no ha borrado ni las mancillas de vuestra alma ni la marca de vuestro cuerpo.

Milady se levantó como movida por un resorte, y sus ojos lanzaron destellos. Athos permaneció sentado.

-Me creíais muerto, como yo os creía muerta, ¿no es as? ¡Y este nombre de Athos había ocultado al conde de La Fère, como el nombre de Milady Clarick había ocultado a Anne de Breuil! ¿No era así como os llamabais cuando vuestro honrado hermano nos casó? Nuestra posición es realmente extraña - prosiguió Athos riendo ; uno y otro sólo hemos vivido hasta ahora porque nos creíamos muertos, y porque un recuerdo molesta menos que una criatura, aunque ésta sea más devoradora a veces que un recuerdo.

-Pero, en fin - dijo Milady con una voz sorda-, ¿qué os trae a mí? ¿Y qué queréis de mí?

-Quiero deciros que, aunque permaneciendo invisible a vuestros ojos, no os he perdido de vista.

-¿Sabéis lo que he hecho?

-Puedo contar día por día vuestras acciones, desde vuestra entrada al servicio del cardenal hasta esta noche.

Una sonrisa de incredulidad pasó por los labios pálidos de Milady.

-Oíd: sois vos quien cortó los dos herretes de diamantes del hombro del duque de Buckingham; sois vos quien ha hecho raptar a la señora Bonacieux; sois vos quien, enamorada de De Wardes, y creyendo pasar la noche con él, habéis abierto vuestra puerta al señor D'Artagnan; sois vos quien, creyendo que De Wardes os había engañado quisisteis hacerlo matar por su rival; sois vos quien, cuando este rival hubo descubierto vuestro infame secreto, habéis querido hacerlo matar por dos asesinos que enviasteis en su persecución; sois vos quien, viendo que las balas habían fallado su tiro, habéis enviado vino envenenado con una carta falsa para hacer creer a vuestra víctima que aquel vino venía de sus amigos; sois vos, en fin, quien en esta habitación, y sentada en la silla en que estoy, acabáis de aceptar con el cardenal Richelieu el compromiso de hacer asesinar al duque de Buckingham, a cambio de la promesa que él os ha hecho de dejaros asesinar a D'Artagnan.

Milady estaba lívida.

-Pero ¿sois acaso Satán? - dijo ella.

-Quizá - dijo Athos-, pero en cualquier caso, escuchad bien esto: asesinéis o hagáis asesinar al duque de Buckingham, poco importa; no lo conozco, además es un inglés. Pero no toquéis con la punta de los dedos ni un solo pelo de D'Artagnan, que es un fiel amigo a quien amo y a quien defiendo, o os juro por la cabeza de mi padre que el crimen que hayáis cometido será el último.

-El señor D'Artagnan me ha ofendido cruelmente - dijo Milady con voz sorda-. El señor D'Artagnan morirá.

-¿De veras es posible que alguien os ofenda, señora? - dijo riendo Athos-. ¿Os ha ofendido y morirá? -Morirá - replicó Milady ; ella primero, él después.

Athos fue arrebatado como por un vértigo: la vista de aquella criatura, que no tenía nada de mujer, le traía recuerdos terribles; pensó que un día, en una situación menos peligrosa que aquella en que se encontraba, había ya querido sacrificarla a su honor; su deseo de crimen le volvió quemándole y lo invadió como una fiebre ardiente: se levantó a su vez, llevó la mano a su cintura, sacó de él una pistola y la armó.

Milady, pálida como un cadáver, quiso gritar, pero su lengua helada no pudo proferir más que un sonido ronco que no tenía nada de palabra humana y que parecía el estertor de una bestia fiera; pegada contra la sombría tapicería, con los cabellos esparcidos, parecía como la imagen espantosa del terror.

Athos alzó lentamente su pistola, extendió el brazo de manera que el arma tocase casi la frente de Milady y luego, con una voz tanto más terrible cuanto que tenía la calma suprema de una inflexible resolución:

-Señora - dijo-, ahora mismo vais a entregarme el papel que os ha firmado el cardenal, o por mi alma que os salto la tapa de los sesos.

Con otro hombre Milady habría podido conservar alguna duda, pero ella conocía a Athos; sin embargo, permaneció inmóvil.

-Tenéis un segundo para decidiros - dijo él.

Milady vio en la contracción de su rostro que el disparo iba a salir; llevó vivamente la mano a su pecho, sacó de él un papel y lo tendió a Athos.

-¡Tomad - dijo ella-, y sed maldito!

Athos cogió el papel, volvió a poner la pistola en su cintura, se acercó a la lámpara para asegurarse de que era aquél, lo desplegó y leyó:

«El portador de la presente ha "hecho lo que ha hecho" por orden mía y para bien del Estado.

3 de diciembre de 1627.

Richelieu»

-Y ahora - dijo Athos recobrando su capa y volviendo a ponerse el sombrero en la cabeza-, ahora que le he arrancado los dientes, víbora, muerde si puedes.

Y salió de la habitación sin mirar siquiera para atrás.

A la puerta encontró a los dos hombres y el caballo que tenían de la mano.

-Señores - dijo - la orden de Monseñor, ya lo sabéises conducir a esa mujer, sin perder tiempo, al fuerte de La Pointe y no dejarla hasta que esté a bordo.

Como estas palabras concordaban efectivamente con la orden que había recibido, inclinaron la cabeza en señal de asentimiento.

En cuanto a Athos, montó con ligereza y partió al galope; sólo que, en lugar de seguir la ruta, tomó campo a través, picando con vigor a su caballo y deteniéndose de vez en cuando para escuchar.

En uno de estos altos, oyó por el camino el paso de varios caballos. No dudó que fueran el cardenal y su escolta. Entonces echó una nueva carrera, restregó a su caballo con los brezales y las hojas de los árboles y vino a situarse de través en el camino, a doscientos pasos del campamento aproximadamente.

-¿Quién vive? - gritó de lejos cuando divisó a los caballeros.

-Es nuestro valiente mosquetero, según creo - dijo el cardenal.

-Sí, Monseñor - respondió Athos-, el mismo.

-Señor Athos - dijo Richelieu-, recibid mi agradecimiento por la buena custodia que habéis hecho de nosotros; señores, hemos llegado: tomad la puerta de la izquierda, la contraseña es Rey y Ré.

Al decir estas palabras, el cardenal saludó con la cabeza a los tres amigos y giró a la derecha seguido de su escudero; porque aquella noche dormía en el campamento.

-¡Y bien! - dijeron a una Porthos y Aramis cuando el cardenal estuvo fuera del alcance de la voz-. Y bien, ha firmado el papel que ella pedía.

-Lo sé - dijo tranquilamente Athos-, porque es éste.

Y los tres amigos no intercambiaron una sola palabra hasta su acuartelamiento, excepto para dar la contraseña a los centinelas.

Sólo que enviaron a Mosquetón a decir a Planchet que rogaban a su amo que, al ser relevado de trinchera, se dirigiese al momento al alojamiento de los mosqueteros.

Por otra parte, como Athos había previsto, Milady, al encontrarse en la puerta a los hombres que la esperaban, no puso ninguna dificultad en seguirlos; por un instante había tenido ganas de hacerse llevar ante el cardenal y contarle todo, pero una revelación por su parte llevaba a una revelación por parte de Athos: ella diría que Athos la había colgado, pero Athos diría que ella estaba marcada; pensó que más valía guardar silencio, partir discretamente, cumplir con su habilidad ordinaria la difícil misión de que se había encargado y luego, una vez cumplido todo a satisfacción del cardenal, ir a reclamar su venganza.

Por consiguiente, tras haber viajado toda la noche, a las siete de la mañana estaba en el fuerte de La Pointe, a las ocho había embarcado y a las nueve el navío, que con la patente de corso del cardenal se suponía en franquía para Bayonne, levaba el ancla y navegaba rumbo a Inglaterra.

El bastión Saint Gervais

Al llegar donde sus tres amigos, D'Artagnan los encontró reunidos en la misma habitación: Athos reflexionaba, Porthos rizaba su mostacho, Aramis decía sus oraciones en un encantador librito de horas encuadernado en terciopelo azul.

-¡Diantre, señores! - dijo-. Espero que lo que tengáis que decirme valga la pena; en caso contrario os prevengo que no os perdonaré haberme hecho venir en lugar de dejarme descansar después de una noche pasada conquistando y desmantelando un bastión. ¡Ah, y que no estuvierais allí, señores! ¡Hizo buen calor! -¡Estábamos en otro lado donde tampoco hacía frío! - respondió Porthos haciendo adoptar a su mostacho un rizo que le era particular.

-¡Chis! - dijo Athos.

-¡Vaya! - dijo D'Artagnan comprendiendo el ligero fruncimiento de ceño del mosquetero-. Parece que hay novedades por aquí.

-Aramis - dijo Athos-, creo que anteayer fuisteis a almorzar al albergue del Parpaillot.

-Sí.

-¿Qué tal está?

-Por lo que a mí se refiere comí muy mal: anteayer era día de ayuno, y no tenían más que carne.

-¿Cómo? - dijo Athos-. ¿En un puerto de mar no tienen pescado?

-Dicen - replicó Aramis volviendo a su piadosa lectura - que el dique que ha hecho construir el señor cardenal lo echa a alta mar.

-Mas no es eso lo que yo os preguntaba, Aramis - prosiguió Athos ; yo os preguntaba si estuvisteis a gusto, y si nadie os había molestado.

-Me parece que no tuvimos demasiados importunos; sí, de hecho, y para lo que queréis decir, Athos, estaremos bastante bien en el Parpaillot.

-Vamos entonces al Parpaillot - dijo Athos-, porque aquí las paredes son corno hojas de papel.

D'Artagnan, que estaba habituado a las maneras de hacer de su amigo, que reconocía inmediatamente en una palabra, en un gesto, en un signo suyo que las circunstancias eran graves, cogió el brazo de Athos y salió con él sin decir nada; Porthos siguió platicando con Aramis.

En camino encontraron a Grimaud y Athos le hizo seña de seguirlos; Grimaud, según su costumbre, obedeció en silencio; el pobre muchacho había terminado casi por olvidarse de hablar.

Llegaron a la cantina del Parpaillot: eran las siete de la mañana, el día comenzaba a clarear; los tres amigos encargaron un desayuno y entraron en la sala donde, a decir del huésped, no debían ser molestados.

Por desgracia la hora estaba mal escogida para un conciliábulo; acababan de tocar diana, todos sacudían el sueño de la noche, y para disipar el aire húmedo de la mañana venían a beber la copita a la cantina dragones, suizos, guardias, mosqueteros, caballos ligeros se sucedíar con una rapidez que debía hacer ir bien los asuntos del hostelero, pero que cumplía muy mal las miras de los cuatro amigos. Por eso respondieron de una forma muy huraña a los saludos, a los brindis y a las bromas de sus camaradas.

-¡Vamos! - dijo Athos-. Vamos a organizar alguna buena pelea, y no tenemos necesidad de eso en este momento. D'Artagnan, contadnos vuestra noche; luego nosotros os contaremos la nuestra.

-En efecto - dijo un caballo ligero que se contoneaba sosteniendo en la mano un vaso de aguardiente que degustaba con lentitud ; en efecto, esta noche estabais de trinchera, señores guardias, y me parece que andado en dimes y diretes con los rochelleses.

D'Artagnan miró a Athos para saber si debía responder a aquel intruso que se mezclaba en la conversación.

-Y bien - dijo Athos-, ¿no oyes al señor de Busigny que te hace el honor de dirigirte la palabra? Cuenta lo que ha pasado esta noche, que estos señores desean saberlo.

-¿No habrán cogido un fasitón? - preguntó un suizo que bebía ron en un vaso de cerveza.

-Sí, señor - respondió D'Artagnan inclinándose-, hemos tenido ese honor; incluso hemos metido, como habéis podido oír, bajo uno de los ángulos, un barril de pólvora que al estallar ha hecho una hermosa brecha; sin contar con que, como el bastión no era de ayer, todo el resto de la obra ha quedado tambaleándose.

-Y ¿qué bastión es? - preguntó un dragón que tenía ensartada en su sable una oca que traía para que se la asasen.

-El bastión Saint Gervais - respondió D'Artagnan, tras el cual los rochelleses inquietaban a nuestros trabajadores.

-¿Y la cosa ha sido acalorada?

-Por supuesto; nosotros hemos perdido cinco hombres y los rochelleses ocho o diez.

-¡Triante! - exclamó el suizo, que, pese a la admirable colección de juramentos que posee la lengua alemana, había tomado la costumbre de jurar en francés.

-Pero es probable - dijo el caballo ligero - que esta mañana envíen avanzadillas para poner las cosas en su sitio en el bastión.

-Sí, es probable - dijo D'Artagnan.

-Señores - dijo Athos-, una apuesta.

-¡Ah! Sí, una apuesta - dijo el suizo.

-¿Cuál? - preguntó el caballo ligero.

-Esperad - dijo el dragón poniendo su sable, como un asador, sobre los dos grandes morillos que sostenían el fuego de la chimenea-, estoy con vosotros. Hostelero maldito, una grasera en seguida, para que no pierda ni una sola gota de la grasa de esta estimable ave.

-Tiene razón - dijo el suizo-, la grasa zuya, es muy fuena gon gonfituras.

-Ahí - dijo el dragón-. Ahora, veamos la apuesta. ¡Escuchamos, señor Athos!

-¡Sí, la apuesta! - dijo el caballo - ligero.

-Pues bien, señor de Busigny, apuesto con vosotros - dijo Athos que mis tres compañeros, los señores Porthos, Aramis y D Artagnan y yo nos vamos a desayunar al bastión Saint Gervais y que estaremos allí una hora, reloj en mano, haga lo que haga el enemigo para desalojarnos.

Porthos y Aramis se miraron; comenzaban a comprender.

-Pero - dijo D'Artagnan inclinándose al oído de Athos - vas a hacernos matar sin misericordia.

-Estamos mucho más muertos - respondió Athos - si no vamos.

-¡Ah! A fe que es una hermosa apuesta - dijo Porthos retrepándose en su silla y retorciéndose el mostacho.

-Acepto - dijo el señor de Busigny ; ahora se trata de fijar la puesta.

-Vosotros sois cuatro, señores - dijo Athos ; nosotros somos cuatro; una cena a discreción para ocho, ¿os parece?

-De acuerdo - replicó el señor de Busigny.

-Perfectamente - dijo el dragón.

-Me fa - dijo el suizo.

El cuarto auditor, que en toda esta conversación había jugado un papel mudo, hizo con la cabeza una señal de que aceptaba la proposición.

-El desayuno de estos señores está dispuesto - dijo el hostelero.

-Pues bien, traedlo - dijo Athos.

El hostelero obedeció. Athos llamó a Grimaud, le mostró una gran cesta que yacía en un rincón y le hizo el gesto de envolver en las servilletas las viandas traídas.

Grimaud comprendió al instante que se trataba de desayunar en el campo, cogió la cesta, empaquetó las viandas, unió a ello botellas y cogió la cesta al brazo.

-Pero ¿dónde se van a tomar mi desayuno? - dijo el hostelero.

-¿Qué os importa - dijo Athos-, con tal de que os paguen?

Y majestuosamente tiró dos pistolas sobre la mesa.

-¿Hay que devolveros algo mi oficial? - dijo el hostelero.

-No, añade solamente dos botellas de Champagne y la diferencia será por las servilletas.

El hostelero no hacía tan buen negocio como había creído al principio pero se recuperó deslizando a los comensales dos botellas de vino de Anjou en lugar de dos botellas de vino de Champagne.

-Señor de Busigny - dijo Athos-, ¿tenéis a bien poner vuestro reloj con el mío, o me permitís poner el mío con el vuestro? -De acuerdo, señor - dijo el caballo ligero sacando del bolsillo del chaleco un hermoso reloj rodeado de diamantes ; las siete y media - dijo.

-Siete y treinta y cinco minutos - dijo Athos ; ya sabemos que el mío se adelanta cinco minutos sobre vos, señor.

Y saludando a los asistentes boquiabiertos, los cuatro jóvenes tomaron el camino del bastión Saint Gervais, seguidos de Grimaud, que llevaba la cesta, ignorando dónde iba, pero en la obediencia pasiva a que se había habituado con Athos no pensaba siquiera en preguntarlo.

Mientras estuvieron en el recinto del campamento, los cuatro amigos no intercambiaron una palabra; además eran seguidos por los curiosos que, conociendo la apuesta hecha, querían saber cómo saldrían de ella.

Pero una vez hubieron franqueado la línea de circunvalación y se encontraron en pleno campo, D'Artagnan, que ignoraba por completo de qué se trataba, creyó que había llegado el momento de pedir una explicación.

-Y ahora, mi querido Athos - dijo-, tened la amabilidad de decirme adónde vamos.

-Ya lo veis - dijo Athos-, vamos al bastión.

-Sí, pero ¿qué vamos a hacer all?

-Ya lo sabéis, vamos a desayunar.

-Pero ¿por qué no hemos desayunado en el Parpaillot? -Porque tenemos cosas muy importantes que decirnos, y porque era imposible hablar cinco minutos en ese albergue, con todos esos importunos que van, que vienen, que saludan, que se pegan a la mesa; ahí por lo menos - prosiguió Athos señalando el bastión - no vendrán a molestarnos.

-Me parece - dijo D'Artagnan con esa prudencia que tan bien y tan naturalmente se aliaba en él a una bravura excesiva-, me parece que habríamos podido encontrar algún lugar apartado en las dunas, a orillas del mar.

-Donde se nos habría visto conferenciar a los cuatro juntos, de suerte que al cabo de un cuarto de hora el cardenal habría sido avisado por sus espías de que teníamos consejo.

-Sí - dijo Aramis-, Athos tiene razón: Animadvertuntur in desertis.

-Un desierto no habría estado mal - dijo Porthos-, pero se trataba de encontrarlo.

-No hay desierto en el que un pájaro no pueda pasar por encima de la cabeza, donde un pez no pueda saltar por encima del agua, donde un conejo no pueda salir de su madriguera, y creo que pájaro, pez, conejo todo es espía del cardenal. Más vale, pues, seguir nuestra empresa, ante la cual por otra parte ya no podemos retroceder sin vergüenza; hemos hecho una apuesta, una apuesta que no podía preverse, y sobre cuya verdadera causa desafío a quien sea a que la adivine: para ganarla vamos a permanecer una hora en el bastión. Seremos atacados o no lo seremos. Si no lo somos, tendremos todo el tiempo para hablar, y nadie nos oirá, porque respondo de que los muros de este bastión no tienen orejas; si lo somos, hablaremos de nuestros asuntos al mismo tiempo, y además, al defendernos, nos cubrimos de gloria. Ya veis que todo es beneficio.

-Sí - dijo D'Artagnan-, pero indudablemente pescaremos alguna bala.

-Vaya, querido - dijo Athos-, ya sabéis vos que las balas más de temer no son las del enemigo.

-Pero me parece que para semejante expedición habríamos debido al menos traer nuestros mosquetes.

-Sois un necio, amigo Porthos; ¿para qué cargar con un peso inútil?

-No me parece inútil frente al enemigo un buen mosquete de calibre, doce cartuchos y un cebador.

-Pero bueno - dijo Athos-, ¿no habéis oído lo que ha dicho D'Artagnan?

-¿Qué ha dicho D'Artagnan? - preguntó Porthos.

-D'Artagnan ha dicho que en el ataque de esta noche había ocho o diez franceses muertos, y otros tantos rochelleses.

-¿Y qué?

-No ha habido tiempo de despojarlos, ¿no es así? Dado que, por el momento, había otras cosas más urgentes.

-Y ¿qué?

-¡Y qué! Vamos a buscar sus mosquetes sus cebadores y sus cartuchos, y en vez de cuatro mosquetes y de doce balas vamos a tener una quincena de fusiles y un centenar de disparos.

-¡Oh, Athos! - dijo Aramis-. Eres realmente un gran hombre.

Porthos inclinó la cabeza en señal de asentimiento.

Sólo D'Artagnan no parecía convencido.

Indudablemente Grimaud compartía las dudas del joven; porque al ver que se continuaba caminando hacia el bastión, cosa que había dudado hasta entonces, tiró a su amo por el faldón de su traje.

-¿Dónde vamos? - preguntó por gestos.

Athos le sañaló el bastión.

-Pero - dijo en el mismo dialecto el silencioso Grimaud - dejaremos ahí nuestra piel.

Athos alzó los ojos y el dedo hacia el cielo.

Grimaud puso su cesta en el suelo y se sentó moviendo la cabeza.

Athos cogió de su cintura una pistola, miró si estaba bien cargada, la armó y acercó el cañón a la oreja de Grimaud.

Grimaud volvió a ponerse en pie como por un resorte.

Athos le hizo seña de coger la cesta y de caminar delante.

Grimaud obedeció.

Todo cuanto había ganado el pobre muchacho con aquella pantomima de un instante es que había pasado de la retaguardia a la vanguardia.

Llegados al bastión, los cuatro se volvieron.

Más de trescientos soldados de todas las armas estaban reunidos a la puerta del campamento, y en un grupo separado se podía distinguir al señor de Busigny, al dragón, al suizo y al cuarto apostante.

Athos se quitó el sombrero, lo puso en la punta de su espada y lo agitó en el aire.

Todos los espectadores le devolvieron el saludo, acompañando esta cortesía con un gran hurra que llegó hasta ellos.

Tras lo cual, los cuatro desaparecieron en el bastión donde ya los había precedido Grimaud.

El consejo de los mosqueteros

Como Athos había previsto, el bastión sólo estaba ocupado por una docena de muertos tanto franceses como rochelleses.

-Señores - dijo Athos, que había tomado el mando de la expedición-, mientras Grimaud pone la mesa, comencemos a recoger los fusiles y los cartuchos; además podemos hablar al cumplir esa tarea. Estos señores - añadió él señalando a los muertos - no nos oyen.

-Podríamos de todos modos echarlos en el foso - dijo Porthos-, después de habernos asegurado que no tienen nada en sus bolsillos.

-Sí - dijo Aramis-, eso es asunto de Grimaud.

-Bueno - dijo D'Artagnan-, entonces que Grimaud los registre y los arroje por encima de las murallas.

-Guardémonos de hacerlo - dijo Athos-, pueden servirnos.

-¿Esos muertos pueden servirnos? - dijo Porthos-. ¡Vaya, os estáis volviendo loco, amigo mío!

-¡«No juzguéis temerariamente», dice el Evangelio el señor cardenal! - respondió Athos-. ¿Cuántos fusiles, señores?

-Doce - respondió Aramis.

-¿Cuántos disparos?

-Un centenar.

-Es todo cuanto necesitamos; carguemos las armas.

Los cuatro mosqueteros se pusieron a la tarea. Cuando acababan de cargar el último fusil, Grimaud hizo señas de que el desayuno estaba servido.

Athos respondió, siempre por gestos, que estaba bien a indicó a Grimaud una especie de atalaya donde éste comprendió que debía quedarse de centinela. Sólo que para suavizar el aburrimiento de la guardia, Athos le permitió llevar un pan, dos chuletas y una botella de vino.

-Y ahora, a la mesa - dijo Athos.

Los cuatro amigos se sentaron en el suelo, con las piernas cruzadas, como los turcos o los canteros.

-¡Ah! - dijo D'Artagnan-. Ahora que ya no tienes miedo de ser oído, espero que vayas a hacernos participe de tu secreto, Athos.

-Espero que os procure a un tiempo agrado y gloria, señores - dijo Athos-. Os he hecho dar un paseo encantador; aquí tenemos un desayuno de los más suculentos, y quinientas personas allá abajo, como podéis verles a través de las troneras, que nos toman por locos o por héroes, dos clases de imbéciles que se parecen bastante.

-Pero ¿y ese secreto? - preguntó D'Artagnan.

-El secreto - dijo Athos - es que ayer por la noche vi a Milady. D'Artagnan llevaba su vaso a los labios; pero al nombre de Milady la mano le tembló tan fuerte que lo dejó en el suelo para no derramar el contenido...

-¿Has visto a tu mu...?

-¡Chis! - interrumpió Athos-. Olvidáis, querido, que estos señores no están iniciados como vos en el secreto de mis asuntos domésticos; he visto a Milady.

-¿Y dónde? - preguntó D'Artagnan.

-A dos leguas más o menos de aquí, en el albergue del Colombier Rouge.

-En tal caso estoy perdido - dijo D'Artagnan.

-No, no del todo aún - prosiguió Athos-, porque a esta hora debe haber abandonado las costas de Francia.

D'Artagnan respiró.

-Pero, a fin de cuentas - prosiguió Porthos-, ¿quién es esa Milady?

-Una mujer encantadora - dijo Athos degustando un vaso de vino espumoso-. ¡Canalla de hostelero - exclamó-, que nos da vino de Anjou por vino de Champagne y que cree que nos vamos a dejar coger! Sí - continuó-, una mujer encantadora que ha tenido bondades con nuestro amigo D'Artagnan, que le ha hecho no sé qué perfidia que ella ha tratado de vengar, hace un mes tratando de hacerlo matar a disparos de mosquete, hace ocho días tratando de envenenarlo, y ayer pidiendo su cabeza al cardenal.

-¿Cómo? ¿Pidiendo mi cabeza al cardenal? - exclamó D'Artagnan, pálido de terror.

-Eso es tan cierto - dijo Porthos - como el Evangelio; lo he oído con mis dos orejas.

-Y yo también - dijo Aramis.

-Entonces - dijo D'Artagnan dejando caer su brazo con desaliento - es inútil seguir luchando más tiempo; da igual que me salte la tapa de los sesos, todo está terminado.

-Es la última tontería que hay que hacer - dijo Athos-, dado que es la única que no tiene remedio.

-Pero no escaparé nunca - dijo D'Artagnan - con semejantes enemigos. Primero, mi desconocido de Meung; luego de Wardes, a quien he dado tres estocadas; luego Milady, cuyo secreto he sorprendido; por fin el cardenal, cuya venganza he hecho fracasar.

-¡Pues bien! - dijo Athos-. Todo eso no hace más que cuatro, y nosotros somos cuatro, uno contra uno. Diantre, si hemos de creer las señas que nos hace Grimaud, vamos a tener que vérnoslas con un número de personas mucho mayor. ¿Qué pasa, Grimaud? Considerando la gravedad de las circunstancias, amigo mío, os permito hablar, pero sed lacónico, por favor. ¿Qué veis?

-Una tropa.

-¿De cuántas personas? -De veinte hombres.

-¿Qué hombres?

-Dieciséis zapadores, cuatro soldados.

-¿A cuántos pasos están?

-A quinientos pasos.

-Bueno, aún tenemos tiempo de acabar estas aves y beber un vaso de vino a tu salud, D'Artagnan.

-¡A tu salud! - repitieron Porthos y Aramis.

-Pues bien, ¡a mi salud! Aunque no creo que vuestros deseos me sirvan de gran cosa.

-¡Bah! - dijo Athos-. Dios es grande, como dicen los sectarios de Mahoma y el porvenir está en sus manos.

Luego, tragando el contenido de su vaso, que dejó junto a sí, Athos se levantó indolentemente, cogió el primer fusil que había a mano y se acercó a una tronera.

Porthos, Aramis y D'Artagnan hicieron otro tanto. En cuanto a Grimaud, recibió la orden de colocarse detrás de los cuatro a fin de volver a cargar las armas.

Al cabo de un instante vieron aparecer la tropa; seguía una especie de ramal de trinchera que establecía comunicación entre el bastión y la ciudad.

-¡Diantre! - dijo Athos-. ¿Merecía la pena molestarnos por una veintena de bribones armados de piquetas, de azadones y de palas? Grimaud no hubiera debido hacer otra cosa que hacerles señas de que se fueran y estoy convencido de que nos habrían dejado tranquilos.

-Lo dudo - observó D'Artagnan-, porque avanzan muy decididos por ese lado. Por otra parte, con los trabajadores hay cuatro soldados y un brigadier armados de mosquetes.

-Eso es que no nos han visto - replicó Athos.

-¡A fe - dijo Aramis - confieso que me da repugnancia disparar sobre esos pobres diablos de burgueses!

-¡Mal cura - respondió Porthos - el que tiene piedad de los heréticos!

-Realmente - dijo Athos-, Aramis tiene razón, voy a avisarlos.

-¿Qué diablos hacéis? - exclamó D'Artagnan-. Vais a haceros fusilar, querido.

Pero Athos no hizo caso alguno del aviso, y subiéndose a la brecha con el fusil en una mano y el sombrero en la otra: -Señores - dijo dirigiéndose a los soldados y a los trabajadores, que, asombrados por su aparición se detenían a cincuenta pasos aproximadamente del bastión, y saludándolos cortésmente-, señores, algunos amigos y yo estamos a punto de desayunar en este bastión. Y ya sabéis que nada es tan desagradable como ser molestado cuando uno desayuna; por tanto, os rogamos que, si tenéis algo que hacer inexorablemente aquí, esperéis a que hayamos terminado nuestra comida, o que volváis más tarde; a menos que tengáis el saludable deseo de dejar el partido de la rebelión y de venir a beber con nosotros a la salud del rey de Francia.

-¡Ten cuidado, Athos! - exclamó D'Artagnan-. ¿No ves que lo están apuntando?

-Ya lo veo, lo veo - dijo Athos-, pero son burgueses que disparan muy mal, y que se libren de tocarme.

En efecto, en aquel mismo instante cuatro disparos de fusil salieron y las balas vinieron a estrellarse junto a Athos, pero sin que una sola lo tocase.

Cuatro disparos de fusil los respondieron casi al mismo tiempo, pero éstos estaban mejor dirigidos que los de los agresores: tres soldados cayeron en el sitio, y uno de los trabajadores fue herido.

-¡Grimaud, otro mosquete! - dijo Athos, que seguía en la brecha.

Grimaud obedeció inmediatamente. Por su parte, los tres amigos habían cargado sus armas; una segunda descarga siguió a la primera: el brigadier y dos zapadores cayeron muertos, el resto de la tropa huyó.

-Vamos, señores, una salida - dijo Athos.

Y los cuatro amigos, lanzándose fuera del fuerte, llegaron hasta el campo de batalla, recogieron los cuatro mosquetes y el espontón del brigadier; y convencidos de que los huidos no se detendrían hasta la ciudad, tomaron de nuevo el camino del bastión, trayendo los trofeos de la victoria.

-Volved a cargar las armas, Grimaud - dijo Athos-, y nosotros, señores, volvamos a nuestro desayuno y sigamos. ¿Dónde estábamos?

-Yo lo recuerdo - dijo D'Artagnan, que se preocupaba mucho del itinerario que debía seguir Milady.

-Va a Inglaterra - respondió Athos.

-¿Con qué fin?

-Con el fin de asesinar o hacer asesinar a Buckingham.

D'Artagnan lanzó una exclamación de sorpresa y de indignación.

-¡Pero eso es infame! - exclamó.

-¡Oh, en cuanto a eso - dijo Athos-, os ruego que creáis que me inquieto muy poco! Ahora que habéis terminado, Grimaud - continuó Athos-, tomad el espontón de nuestro brigadier, atadle una servilleta y plantadlo en lo alto de nuestro bastión, a fin de que esos rebeldes de los rochelleses vean que tienen que vérselas con valientes y leales soldados del rey.

Grimaud obedeció sin responder. Un instante después la bandera blanca flotaba por encima de los cuatro amigos; un trueno de aplausos saludó su aparición; la mitad del campamento estaba en las barreras.

-¿Cómo? - replicó D'Artagnan-. ¿Te inquietas poco de que mate o haga matar a Buckingham? Pero el duque es nuestro amigo.

-El duque es inglés, el duque combate contra nosotros; que haga del duque lo que quiera, me preocupo tanto por ello como por una botella vacía.

Y Athos lanzó a quince pasos de él una botella que tenía en la mano y de la que acababa de trasvasar hasta la última gota a su vaso.

-Un momento - dijo D'Artagnan-, yo no abandono a Buckingham así; nos dio caballos muy buenos.

-Y sobre todo unas buenas sillas - añadió Porthos, que en aquel momento mismo llevaba en su capa el galón de la suya.

-Además - observó Aramis-, Dios quiere la conversión y no la muerte del pecador.

-Amén - dijo Athos-, y ya volveremos sobre eso más tarde, si es ese vuestro gusto; pero por el momento lo que más me preocupaba, y estoy seguro de que tú, D'Artagnan, me comprenderás, era recuperar de aquella mujer una especie de firma en blanco que había arrancado al cardenal, y con cuya ayuda ella debía desembarazarse de ti y quizá de nosotros impunemente.

-Pero esa criatura es un demonio - dijo Porthos tendiendo su plato a Aramis, que trinchaba un ave.

-Y esa firma en blanco - dijo D'Artagnan-, esa firma en blanco, ¿ha quedado entre sus manos? -No, ha pasado a las mías; no diré que haya sido sin esfuerzo, porque mentiría.

-Querido Athos - dijo D'Artagnan-, ya no seguiré contando las veces que os debo la vida.

-Entonces, ¿nos dejasteis para volver junto a ella? - preguntó Aramis.

-Exacto.

-¿Y tienes esa carta del cardenal? - dijo D'Artagnan.

-Aquí está - dijo Athos.

Y sacó el precioso papel del bolsillo de su casaca.

D'Artagnan lo desplegó con una mano cuyo temblor no trataba siquiera de disimular y leyó:

«El portador de la presente ha "hecho lo que ha hecho" por orden mía y para bien del Estado.

5 de diciembre de 1627.

Richelieu»

-En efecto - dijo Aramis-, es una absolución en toda regla.

-Hay que romper ese papel - exclamó D'Artagnan, que parecía leer su sentencia de muerte.

-Muy al contrario - dijo Athos-, hay que conservarlo por encima de todo, y yo no daría este papel aunque lo cubrieran de piezas de oro.

-¿Y qué va a hacer ahora ella? - preguntó el joven.

-Pues probablemente - dijo despreocupado Athos - va a escribir al cardenal que un maldito mosquetero, llamado Athos, le ha arrancado por la fuerza su salvoconducto; en la misma carta le dará consejo de desembarazarse al mismo tiempo que de él de sus dos amigos, Porthos y Aramis; el cardenal recordará que son los mismos hombres que encontró en su camino entonces, una buena mañana hará detener a D'Artagnan y para que no se aburra solo, nos enviará a hacerle compañía a la Bastilla.

-¡Vaya! - dijo Porthos-. Me parece que estáis haciendo bromas de mal gusto, querido.

-No bromeo - respondió Athos.

-¿Sabéis - dijo Porthos - que retorcerle el cuello a esa maldita Milady sería un pecado menor que retorcérselo a estos pobres diablos de hugonotes, que nunca han cometido más crímenes que cantar en francés salmos que nosotros cantamos en latín? -¿Qué dice el abate a esto? - preguntó tranquilamente Athos.

-Digo que soy de la opinión de Porthos - respondió Aramis.

-¡Y yo también! - dijo D'Artagnan.

-Suerte que ella está lejos - observó Porthos ; porque confieso que me molestaría mucho aquí.

-Me molesta en Inglaterra tanto como en Francia - dijo Athos.

-A mí me molesta en todas partes - continuó D'Artagnan.

-Pero puesto que la teníais - dijo Porthos-, ¿por qué no la habéis ahogado, estrangulado, colgado? Sólo los muertos no vuelven.

-¿Eso creéis, Porthos? - respondió el mosquetero con una sonrisa sombría que sólo D'Artagnan comprendió.

-Tengo una idea - dijo D'Artagnan.

-Veamos - dijeron los mosqueteros.

-¡A las armas! - gritó Grimaud.

Los jóvenes se levantaron con presteza a los fusiles.

Aquella vez avanzaba una pequeña tropa compuesta de veinte o veinticinco hombres; pero ya no eran trabajadores, eran soldados de la guarnición.

-¿Y si volviéramos al campamento? - dijo Porthos-. Me parece que la partida no es igual.

-Imposible por tres razones - respondió Athos ; la primera es que no hemos terminado de almorzar; la segunda es que aún tenemos cosas importantes que decir, la tercera es que todavía faltan diez minutos para que pase la hora.

-Bueno - dijo Aramis-, sin embargo hay que preparar un plan de batalla.

-Es muy simple - respondió Athos :tan pronto como el enemigo esté al alcance del mosquete, nosotros hacemos fuego; si continúa avanzando, nosotros volvemos a hacer fuego; hacemos fuego mientras tengamos los fusiles cargados; si lo que quede de la tropa quiere todavía subir al asalto, dejamos a los asaltantes bajar hasta el foso, y entonces les echamos encima de la cabeza ese lienzo de muralla que sólo está en pie por un milagro de equilibrio.

-¡Bravo! - exclamó Porthos-. Decididamente, Athos, habéis nacido para general, y el cardenal, que se cree un gran hombre de guerra, es bien poca cosa a vuestro lado.

-Señores - dijo Athos-, nada de repeticiones inútiles, por favor; que cada uno apunte bien a su hombre.

-Yo tengo el mío - dijo D'Artagnan.

-Y yo el mío - dijo Porthos.

-Y yo ídem - dijo Aramis.

-¡Entonces fuego! - dijo Athos.

Los cuatro disparos de fusil no hicieron más que una detonación. y cuatro hombres cayeron.

Entonces batió el tambor, y la pequeña tropa avanzó a paso de carga.

Entonces los disparos de fusil se sucedieron sin regularidad, pero siempre enviados con igual precisión. Sin embargo, como si hubieran conocido la debilidad numérica de los amigos, los rochelleses continuaban avanzando a paso de carrera.

Con los otros tres disparos de fusil cayeron dos hombres; sin embargo, el paso de los que quedaban en pie no aminoraba.

Llegados al pie del bastión, los enemigos eran todavía doce o quince; una última descarga los acogió, pero no los detuvo: saltaron al foso y se aprestaron a escalar la brecha.

-¡Vamos; amigos míos! - dijo Athos-. Terminemos de un golpe: ¡a la muralla, a la muralla!

Y los cuatro amigos, secundados por Grimaud, se pusieron a empujar con el cañón de sus fusiles un enorme lienzo de muro que se inclinó como si el viento lo arrastrase, y desprendiéndose de su base cayó con horrible estruendo en el foso; luego se oyó un gran grito, una nube de polvo subió hacia el cielo, y eso fue todo.

-¿Los habremos aplastado desde el primero hasta el último? - preguntó Athos.

-A fe que eso me parece - dijo D'Artagnan.

-No - dijo Porthos-, ahí hay dos o tres que escapan cojeando.

En efecto, tres o cuatro de aquellos desgraciados, cubiertos de barro y de sangre, huían por el camino encajonado y ganaban de nuevo la ciudad: era todo lo que quedaba de la tropilla.

Athos miró su reloj.

-Señores - dijo-, hace una hora que estamos aquí y ahora la partida está ganada; pero hay que ser buenos jugadores, y además D'Artagnan no nos ha dicho su idea.

Y el mosquetero, con su sangre fría habitual, fue a sentarse ante los restos del desayuno.

-¿Mi idea? - dijo D'Artagnan.

-Sí, decíais que teníais una idea - replicó Athos.

-¡Ah, ya recuerdo! - contestó D'Artagnan-. Yo paso a Inglaterra por segunda vez, voy en busca del señor de Buckingham y le advierto del compló tramado contra su vida.

-Vos no haréis eso, D'Artagnan - dijo fríamente Athos.

-¿Y por qué no? ¿No lo he hecho ya?

-Sí, pero en esa época no estábamos en guerra; en esa época, - el señor de Buckingham era un aliado y no un enemigo: lo que queréis hacer sería tachado de traición.

D'Artagnan comprendió la fuerza de este razonamiento y se calló.

-Pues me parece - dijo Porthos - que también yo tengo una idea.

-¡Silencio para la idea de Porthos! - dijo Aramis.

-Yo le pido permiso al señor de Tréville, bajo algún pretexto que vos encontraréis: yo no soy fuerte en eso de los pretextos, Milady no me conoce, me acerco a ella sin que sospeche de mí y, cuando encuetre una ocasión, la estrangulo.

-¡Bueno - dijo Athos-, no estoy muy lejos de adoptar la idea de Porthos! -¡Qué va! - dijo Aramis-. ¡Matar a una mujer! No, mirad, yo tengo la idea buena.

-¡Veamos vuestra idea, Aramis! - pidió Athos, que sentía mucha deferencia por el joven mosquetero.

-Hay que prevenir a la reina.

-¡A fe que sí! - exclamaron juntos Porthos y D'Artagnan-. Creo que estamos dando en el blanco.

-¿Prevenir a la reina? - dijo Athos-. ¿Y cómo? ¿Tenemos relaciones en la corte? ¿Podemos enviar a alguien a Paris sin que se sepa en el campamento? De aquí a Paris hay ciento cuarenta leguas: la carta no habrá llegado a Angers cuando estemos ya en el calabozo.

-En cuanto a enviar con seguridad una carta a Su Majestad - propuso Aramis ruborizándose-, yo me encargo de ello; conozco en Tours una persona hábil...

Aramis se detuvo viendo sonreír a Athos.

-¡Bueno! ¿No adoptáis ese medio, Athos? - dijo D'Artagnan.

-No lo rechazo del todo - dijo Athos-, pero sólo quiero hacer observar a Aramis que él no puede abandonar el campamento; que cualquier otro de nosotros no es seguro; que dos horas después de que el mensajero haya partido, todos los capuchinos, todos los alguaciles, todos los bonetes negros del cardenal sabrán vuestra carta de memoria, y que vos y vuestra hábil persona seréis detenidos.

-Sin contar - objetó Porthos - que la reina salvará al señor de Buckingham, pero que en modo alguno nos salvará a nosotros.

-Señores - dijo D'Artagnan-, lo que Porthos objeta está lleno de sentido.

-¡Ah, ah! ¿Qué pasa en la ciudad? - dijo Athos.

-Tocan a generala.

Los cuatro amigos escucharon, y el ruido del tambor llegó efectivamente hasta ellos.

-Vais a ver cómo nos mandan un regimiento entero - dijo Porthos.

-¿Por qué no? - dijo el mosquetero-. Me siento en vena, y resistiría ante un ejército con tal de que hubiera tenido la preocupación de coger una docena más de botellas.

-Palabra de honor que el tambor se acerca - dijo D'Artagnan. - Dejadlo que se acerque - dijo Athos-, hay un cuarto de hora de camino de aquí a la ciudad, y por tanto de la ciudad aquí. Es más tiempo del que necesitamos para preparar nuestro plan; si nos vamos de aquí nunca encontraremos un lugar tan conveniente. Y mirad, precisamente, señores, acaba de ocurrírseme la idea buena.

-Decid, pues.

-Permitid que dé a Grimaud algunas órdenes indispensables.

Athos hizo a su criado señal de acercarse.

-Grimaud - dijo Athos señalando a los muertos que yacían en el bastión-, vais a coger a estos señores, vais a enderezarlos contra la muralla, vais a ponerles su sombrero en la cabeza y su fusil en la mano.

-¡Oh gran hombre - exclamó D'Artagnan-, lo comprendo!

-¿Comprendéis? - dijo Porthos.

-Y tú, Grimaud, ¿comprendes? - preguntó Aramis.

Grimaud hizo seña de que sí.

-Es todo lo que se necesita - dijo Athos-, volvamos a mi idea. - Sin embargo, yo quisiera comprender - observó Porthos.

-Es inútil.

-Sí, sí, la idea de Athos - dijeron al mismo tiempo D'Artagnan y Aramis.

-Esa Milady, esa mujer esa criatura ese demonio tiene un cuñado, según creo que me habéis dicho D'Artagnan.

-Sí, yo lo conozco incluso mucho, y creo además que no tiene grandes simpatías por su cuñada.

-No hay mal en ello - respondió Athos-, a incluso sería mejor que la detestara.

-En tal caso estamos servidos a placer.

-Sin embargo - dijo Potthos-, me gustaría comprender lo que Grimaud hace.

-¡Silencio, Porthos! - dijo Aramis.

-¿Cómo se llama ese cuñado?

-Lord de Winter.

-¿Dónde está ahora?

-Volvió a Londres al primer rumor de guerra.

-¡Pues bien ése es precisamente el hombre que necesitamos! - dijo Athos-. Ese es al que nos conviene avisar; le haremos saber que su cuñada está a punto de asesinar a alguien, y le rogaremos no perderla de vista. Espero que en Londres haya algún establecimiento del género de las Madelonetas, o Muchachas arrepentidas; hace meter allá a su cuñada, y nosotros tranquilos.

-Sí - dijo D'Artagnan-, hasta que salga.

-A fe - replicó Athos - que pedís demasiado, D'Artagnan, os he dado lo que tenía y os prevengo que es el fondo de mi bolso.

-A mí me parece que es lo mejor - dijo Aramis ; prevenimos a la vez a la reina y a lord de Winter.

-Sí, pero ¿a quién enviaremos con la carta a Tours y con la carta a Londres?

-Yo respondo de Bazin - dijo Aramis.

-Y yo de Planchet - continuó D'Artagnan.

-En efecto - dijo Porthos-, si nosotros no podemos ausentarnos del campamento, nuestros lacayos pueden dejarlo.

-Por supuesto - dijo Aramis-, y hoy mismo escribimos las cartas, les damos dinero y parten.

-¿Les damos dinero? - replicó Athos-. ¿Tenéis, pues, dinero?

Los cuatro amigos se miraron, y una nube pasó por las frentes que un instante antes estaban despejadas.

-¡Alerta! - gritó D'Artagnan-. Veo puntos negros y puntos rojos que se agitan allá. ¿Qué decíais de un regimiento, Athos? Es un verdadero ejército.

-A fe que sí - dijo Athos-, ahí están. ¡Vaya con los hipócritas que venían sin tambor ni trompeta. ¡Ah, ah! ¿Has terminado Grimaud? Grimaud hizo seña de que sí, y mostró una docena de muertos que había colocado en las actitudes más pintorescas: los unos sosteniendo las armas, los otros con pinta de echárselas a la cara, los otros con la espada en la mano.

-¡Bravo! - repitió Athos-. Eso honra tu imaginación.

-Es igual - dijo Porthos-. Me gustaría sin embargo comprender.

-Levantemos el campo primero - lo interrumpió D'Artagnan-, luego comprenderás.

-¡Un instante, señores, un instante! Demos a Grimaud tiempo de quitar la mesa.

-¡Ah! - dijo Aramis-. Mirad cómo los puntos negros y los puntos rojos crecen visiblemente, y yo soy de la opinión de D'Artagnan: creo que no tenemos tiempo que perder para ganar nuestro campamento.

-A fe - dijo Athos - que no tengo nada contra la retirada; habíamos apostado por una hora, y nos hemos quedado hora y media; no hay nada que decir; partamos, señores, partamos.

Grimaud había tomado ya la delantera con la cesta y el servicio.

Los cuatro amigos salieron tras él y dieron una decena de pasos.

-¡Eh! - exclamó Athos-. ¿Qué diablos hacemos, señores?

-¿Nos hemos olvidado algo? - preguntó Aramis.

-La bandera, pardiez. ¡No hay que dejar una bandera en manos del enemigo, aunque esa bandera no sea más que una servilleta! Y Athos se precipitó al bastión, subió a la plataforma y quitó la bandera; sólo que como los rochellese habían llegado a tiro de mosquete, hicieron un fuego terrible sobre aquel hombre que, como por placer, iba a exponerse a los disparos.

Pero se habría dicho que Athos tenía un encanto pegado a su persona: las balas pasaron silbando a su alrededor y ninguna lo tocó.

Athos agitó su estandarte volviéndoles la espalda a las gentes de la ciudad y saludando a las del campamento. De las dos partes resonaron grandes gritos, de la una gritos de cólera, de la otra gritos de entusiasmo.

Una segunda descarga hizo realmente de la servilleta una bandera. Se oyeron los clamores de todo el campamento que gritaba:

-¡Bajad, bajad!

Athos bajó; sus camaradas, que lo esperaban con ansiedad, lo vieron aparecer con alegría.

-Vamos, Athos, vamos - dijo D'Artagnan-, larguémonos; ahora que hemos encontrado todo, menos el dinero, sería estúpido ser muertos.

Pero Athos continuó caminando majestuosamente por más observaciones que le hicieran sus compañeros, los cuales, viendo que era inútil, regularon sus pasos por el suyo.

Grimaud y su cesta habían tomado la delantera y se hallaban los dos fuera de alcance.

Al cabo de un instante se oyó el ruido de una descarga de fusilería colérica.

-¿Qué es eso? - preguntó Porthos-. ¿Y sobre quién disparan? No oigo silbar las balas y no veo a nadie.

-Disparan sobre nuestros muertos - respondió Athos.

-Pero nuestros muertos no responderán.

-Precisamente: entonces creerán en una emboscada, deliberarán; enviarán un parlamentario, y cuando se den cuenta de la burla, estaremos fuera del alcance de las balas. He ahí por qué es inútil coger una pleuresía dándonos prisa.

-¡Oh, comprendo! - exclamó Porthos maravillado.

-¡Es una suerte! - dijo Athos encogiéndose de hombros.

Por su parte, los franceses, al ver volver a los cuatro amigos, lanzaban gritos de entusiasmo.

Finalmente una nueva descarga de mosquetes se dejó oír, y esta vez las balas vinieron a estrellarse sobre los guijarros alrededor de los cuatro amigos y a silbar lúgubremente en sus orejas. Los rochelleses acababan por fin de apoderarse del bastión.

-¡Vaya gentes tan torpes! - dijo Athos-. ¿Cuántos hemos matado? ¿Doce?

-O quince.

-¿Cuántos hemos aplastado?

-Ocho o diez.

-¿Y a cambio de todo esto ni un arañazo? ¡Ah, sí! ¿Qué tenéis en la mano, D Artagnan? Sangre, me parece.

-No es nada - dijo D'Artagnan.

-¿Una bala perdida?

-Ni siquiera.

-¿Qué, entonces?

Ya lo hemos dicho, Athos amaba a D'Artagnan como a su hijo, y aquel carácter sombrío a inflexible tenía a veces por el joven solicitudes de padre.

-Un rasguño - repuso D'Artagnan ; me he pillado los dedos entre dos piedras, la del muro y la de mi anillo; y la piel se ha abierto.

-Eso pasa por tener diamantes, amigo mío - dijo desdeñosamente Athos.

-¡Ah, claro! - exclamó Porthos-. En efecto, hay un diamante. ¿Y por qué diablos, puesto que hay un diamante, nos quejamos de no tener dinero?

-¡Claro, es cierto! - dijo Aramis.

-Enhorabuena Porthos; esta vez es una idea.

-Sin duda - dijo Porthos engallándose ante el cumplido de Athos-, puesto que hay un diamante, vendámoslo.

-Pero es el diamante de la reina - dijo D'Artagnan.

-Razón de más - repuso Athos-, la reina salvando al señor de Buckingham su amante, nada más justo; la reina salvándonos a nosotros, que somos sus amigos, nada más moral. Vendamos el diamante. ¿Qué piensa el señor abate? No pido la opinión de Porthos, ya la ha dado.

-Pues yo pienso - dijo Aramis ruborizándose - que, al no venir su anillo de una amante, y por consiguiente al no ser una prenda de amor, D'Artagnan puede venderlo.

-Querido, habláis como la teología en persona. ¿O sea que vuestra opinión es...?

-Vender el diamante - respondió Aramis.

-Pues bien - dijo alegremente D'Artagnan-, vendamos él diamante y no hablemos más.

La descarga de fusilería continuaba, pero los amigos estaban fuera del alcance, y los rochelleses no disparaban más que por descargo de conciencia.

-A fe - dijo Athos-, a tiempo le ha venido esa idea a Porthos: ya estamos en el campamento. Señores, ni una palabra sobre este asunto. Nos observan, vienen a nuestro encuentro, vamos a ser llevados en triunfo.

En efecto, como hemos dicho, todo el campamento estaba emocionado; más de dos mil personas habían asistido, como a un espectáculo a la feliz fanfarronada de los cuatro amigos fanfarronada cuyo verdadero motivo estaban muy lejos de sospechar. No se oían más que los gritos de ¡Vivan los guardias! ¡Vivan los mosqueteros! El señor de Busigny había venido el primero a estrechar la mano de Athos y a reconocer que la apuesta estaba perdida. El dragón y el suizo lo habían seguido, todos los compañeros habían seguido al dragón y al suizo. Aquello eran felicitaciones, apretones de manos, abrazos que no terminaban, risas inextinguibles a propósito de los rochelleses; finalmente, un tumulto tan grande que el señor cardenal creyó que había motín y envió a La Houdinière, su capitán de los guardias, a informarse de o que pasaba.

La cosa le fue contada al mensajero con todo el efluvio del entusiasmo.

-Y bien - preguntó el cardenal al ver a La Houdinière.

-Y bien, Monseñor - dijo éste-,son tres mosqueteros y un guardia que han apostado con el señor de Busigny a que iban a desayunar al bastión Saint Gervais, y mientras desayunaban han resistido allí al enemigo, y han matado no sé cuántos rochelleses.

-¿Estáis informado del nombre de esos tres mosqueteros?

-Sí, Monseñor.

-¿Cómo se llaman?

-Son los señores Athos, Porthos y Aramis.

-¡Siempre mis tres valientes! - murmuró el cardenal-. ¿Y el guardia?

-El señor D'Artagnan.

-¡Siempre mi bribón! Decididamente es preciso que estos hombres sean míos.

Aquella noche misma, el cardenal habló al señor de Tréville de la hazaña de la mañana, que era la comidilla de todo el campamento. El señor de Tréville, que conocía el relato de la aventura de la boca misma de los héroes, la volvió a contar con todos sus detalles a Su Eminencia, sin olvidar el episodio de la servilleta.

-Está bien, señor de Tréville - dijo el cardenal-, hacedme llegar esa servilleta, os lo ruego. Haré bordar en ella tres flores de lis de oro, y la daré por guión de vuestra compañía.

-Monseñor - dijo el señor de Tréville-, será injusto para los guardian: el señor D'Artagnan no es mío, sino del señor Des Essarts.

-Pues bien, lleváoslo - dijo el cardenal ; no es justo que, dado que esos cuatro valientes militares se quieren tanto, no sirvan en la misma compañía.

Aquella misma noche, el señor de Tréville anunció esta buena noticia a los tres mosqueteros y a D'Artagnan, invitando a los cuatro a almorzar al día siguiente.

D'Artagnan no cabía en sí de alegría. Ya lo sabemos, el sueño de toda su vida había sido ser mosquetero.

Los tres amigos estaban muy contentos.

-¡A fe - dijo D'Artagnan a Athos - que has tenido una idea victoriosa y que, como dijiste, hemos conseguido con ella gloria y hemos podido trabar una conversación de la mayor importancia!

-Que podemos proseguir ahora sin que nadie sospeche, porque, con la ayuda de Dios, en adelante vamos a pasar por cardenalistas.

Aquella misma noche D'Artagnan fue a presentar sun respetos al señor Des Essarts y a participarle el ascenso que había obtenido.

El señor den Essarts, que quería mucho a D'Artagnan, le ofreció entonces sun servicios: aquel cambio de cuerpo traía consign gastos de equipamiento.

D'Artagnan rehusó; pero, pareciéndole buena la ocasión, le rogó hacer estimar el diamante, que le entregó y que deseaba convertir en dinero.

Al día siguiente, a las ocho de la mañana, el criado del señor Des Essarts entró en el alojamiento de D'Artagnan y le entregó una bolsa de oro conteniendo siete mil libras.

Era el precio del diamante de la reina.

Asunto de familia

Athos había encontrado la palabra: asunto de familia. Un asunto de familia no estaba sometido a la investigación del cardenal; un asunto de familia no afectaba a nadie; uno podía ocuparse ante todo el mundo de un asunto de familia.

Desde luego, Athos había dado con la palabra: asunto de familia.

Aramis había dado con la idea: los lacayos.

Porthos había dado con el medio: el diamante.

Unicamente D'Artagnan no había dado con nada, él que solía ser el más inventivo de los cuatro; pero también hay que decir que el solo nombre de Milady lo paralizaba.

Ah, sí, nos equivocamos: había dado con comprador para el diamante.

El almuerzo en casa del señor de Tréville fue de una alegría encantadora. D'Artagnan tenía ya su uniforme; como era poco más o menos de la misma talla que Aramis, y como Aramis, pagado con largueza, como se recordará, por el librero que le había comprado su poema, había hecho el doble de todo, había cedido a su amigo un equipo completo.

D'Artagnan habría estado en el colmo de todos sus deseos si no hubiera visto despuntar a Milady como una nube sombría en el horizonte.

Después de almorzar, convinieron en reunirse por la noche en el alojamiento de Athos, y allí terminarían el asunto.

D'Artagnan pasó el día enseñando su traje de mosquetero por todas las calles del campamento.

Por la noche, a la hora fijada, los cuatro amigos se reunieron; sólo quedaban tres cosas que decidir:

Lo que había que escribir al hermano de Milady.

Lo que había que escribir a la persona hábil de Tours.

Y qué lacayos serían los que llevarían las camas.

Cada cual ofreció el suyo: Athos hablaba de la discreción de Grimaud, que sólo hablaba cuando su amo le descosía la boca; Porthos ponderaba la fuerza de Mosquetón, que era de corpulencia capaz de dar una tunda a cuatro hombres de complexión ordinaria; Aramis, confiando en la destreza de Bazin, hacía un elogio pomposo de su candidato; finalmente, D'Artagnan tenía fe completa en la bravura de Planchet, y recordaba la forma en que se había comportado en el espinoso asunto de Boulogne.

Estas cuatro virtudes disputaron largo tiempo el premio, y dieron lugar a magníficos discursos, que no referiremos aquí por miedo a que resulten largos.

-Por desgracia - dijo Athos-, será preciso que aquel a quien se envíe posea por sí solo las cuatro cualidades juntas.

-Pero ¿dónde encontrar un lacayo semejante?

-¡Inencontrable! - dijo Athos-. Lo sé bien: tomad, pues, a Grimaud.

-Tomad a Mosquetón.

-Tomad a Bazin.

-Tomad a Planchet; Planchet es bravo y diestro; ahí tenéis ya dos de las cuatro cualidades.

-Señores - dijo Aramis-, lo principal no es saber cuál de nuestros cuatro lacayos es el más discreto, el más fuerte, el más diestro o el más bravo; lo principal es saber cuál ama más el dinero.

-Lo que Aramis dice está lleno de sensatez - prosiguió Athos ; hay que especular sobre los defectos de las personas y no sobre sus virtudes; señor abate, ¡sois un gran móralista!

-Indudablemente - replicó Aramis ; porque no sólo necesitamos estar bien servidos para triunfar, sino incluso para no fracasar; porque en caso de fracaso, está en juego la cabeza, no de los lacayos...

-¡Más bajo, Aramis! - dijo Athos.

-Exacto, no de los lacayos - prosiguió Aramis-, sino del amo, e incluso de los amos. ¿Nos son bastante adictos nuestros lacayos para arriesgar su vida por nosotros? No.

-¡A fe - dijo D'Artagnan - que respondería casi de Planchet!

-¡Pues bien, querido amigo! Añadid a su adhesión natural una buena suma que le proporcione algún desahogo, y entonces, en lugar de responder por él una vez, responderéis dos.

-¡Buen Dios! Os equivocaréis de todos modos - dijo Athos, que era optimista cuando se trataba de las cosas, y pesimista cuando se trataba de los hombres-. Prometerán todo para tener el dinero, y en camino el miedo los impedirá actuar. Una vez cogidos, los encerrarán; y encerrados confesarán. ¡Qué diablo! ¡No somos niños! Para ir a Inglaterra - Athos bajó la voz-, hay que atravesar toda Francia, sembrada de espías y de criaturas del cardenal; se necesita un pase para embarcarse; hay que saber inglés para preguntar el camino a Londres. Ya véis que la cosa me parece muy difícil.

-Nada de eso - dijo D'Artagnan que estaba empeñado en que la cosa se realizase ; yo, por el contrario, la veo fácil. ¡No hay ni que decir, por supuesto, que si se escribe a lord de Winter los horrores del cardenal...!

-¡Más bajo! - dijo Athos.

-Las intrigas y los secretos de Estado - continuó D'Artagnan haciendo caso a la recomendación - no hay ni que decir que ¡todos nosotros seremos enrodados vivos! ; pero, por Dios, no olvidéis, como vos mismo habéis dicho, Athos, que le escribimos por un asunto de familia; que le escribimos con el único fin de que ponga a Milady, desde su llegada a Londres, en la imposibilidad de perjudicarnos. Le escribiré, por tanto, una carta poco más o menos en estos términos:

-Veamos - dijo Aramis, adoptando de antemano un semblante de crítico.

-«Señor y querido amigo...

-Vaya, pues sí; querido amigo a un inglés - interrumpió Athos ; buen comienzo, ¡bravo!, D'Artagnan. Sólo que con esa palabra seréis descuartizado en lugar de enrodado vivo.

-Bueno, de acuerdo, entonces diré señor a secas.

-Podéis decir incluso milord - prosiguió Athos, que se empeñaba en las conveniencias.

-«Milord, ¿os acordáis del pequeño cercado de cabras del Luxemburgo?»

-¡Vaya! ¡Ahora el Luxemburgo! Creerá que es una alusión a la reina madre. ¡Eso sí que es ingenioso! - dijo Athos.

-Pues entonces pondremos simplemente: «Milord, ¿os acordáis de un pequeño cercado en el que se os salvó la vida?»

-Mi querido D'Artagnan - dijo Athos-, no seréis nunca otra cosa que un mal redactor: «¡En que se os salvó la vida! ¡Quita de ahí! Eso no es digno. A un hombre galante no se le recuerdan esos servicios. Beneficio reprochado, ofensa hecha.

-¡Ah amigo mío! - dijo D'Artagnan-. Sois insoportable, y si hay que escribir bajo vuestra censura, a fe que renuncio.

-Y hacéis bien. Manejad el mosquete y la espada, querido, practicáis hábilmente los dos ejercicios, pero pasad la pluma al señor abate, esto le concierne.

-¡Ah sí por cierto - dijo Porthos-, pasad la pluma a Aramis, que escribe tesis en latín!

-Pues bien, sea - dijo D'Artagnan-, redactadnos esa nota, Aramis, pero, ¡por San Pedro!, hacedlo con cautela, porque os aviso que yo también os espulgaré.

-No pido otra cosa - dijo Aramis con esa ingenua confianza que todo poeta tiene en sí mismo ; pero que me pongan al corriente; por aquí y por allá he oído decir que esa cuñada era una bribona, yo mismo he tenido pruebas de ello al escuchar su conversación con el cardenal.

-¡Más bajo, pardiez! - dijo Athos.

-Mas se me escapan los detalles - continuó Aramis.

-Y a mí también - dijo Porthos.

D'Artagnan y Athos se miraron algún tiempo en silencio. Por fin Athos, tras haberse recogido y poniéndose aún más pálido de lo que era por costumbre, hizo un signo de asentimiento; D'Artagnan comprendió que podía hablar.

-¡Pues bien! Esto es lo que tengo que decir - prosiguió D'Artagnan : «Milord, vuestra cuñada es una criminal, que quiso haceros matar para heredaros. Además, no podía desposar a vuestro hermano, por estar ya casada en Francia y por haber sido...»

D'Artagnan se detuvo como si buscase la palabra, mirando a Athos.

-Arrojada por su marido - dijo Athos.

-Por haber sido marcada - continuó D'Artagnan.

-¡Bah! - exclamó Porthos-. ¡Imposible! ¿Ha querido hacer matar a su cuñado?

-Sí.

-¿Estaba casada? - preguntó Aramis.

-Sí.

-¿Y su marido se dio cuenta de que tenía una flor de lis en el hombro? - exclamó Porthos.

-Sí.

Estos tres síes fueron dichos por Athos con una entonación más sombría cada vez.

-¿Y quién ha visto esa flor de lis? - preguntó Aramis.

-D'Artagnan y yo, o mejor, para observar el orden cronológico, yo y D'Artagnan - respondió Athos.

-¿Y el marido de esa horrible criatura vive aún? - dijo Aramis.

-Aún vive.

-¿Estáis seguro?

-Lo estoy.

Hubo un instante de frío silencio durante el que cada cual se sintió impresionado según su naturaleza.

-Esta vez - prosiguió Athos interrumpiendo el primero el silencio D'Artagnan nos ha dado un programa excelente, y eso es lo primero que hay que escribir.

-¡Diablos! Tenéis razón, Athos - prosiguió Aramis-, y la redacción es espinosa. El mismo señor canciller se vería en apuros para redactar una epístola de esa fuerza, y sin embargo, el señor canciller redacta muy tranquilamente un atestado. ¡No importa, callaos, escribo!

En efecto, Aramis cogió la pluma, reflexionó algunos instantes, se puso a escribir ocho o diez líneas de una encantadora y diminuta escritura de mujer, y luego, con voz dulce y lenta, como si cada palabre hubiera sido sopesada escrupulosamente, leyó lo que sigue:

«Milord:

La persona que os escribe estas pocas líneas ha tenido el honor de cruzar la espada con vos en un pequeño cercado de la calle d'Enfer. Como luego tuvisteis a bien declararos varias veces amigo de esta persona, ésta os debe agradecer esa amistad con un buen aviso. Dos veces habéis estado a punto de ser víctima de un pariente próximo a quien creéis vuestro heredero, porque ignoráis que antes de contraer matrimonio en Inglaterra estaba ya casada en Francia. Pero la tercera vez que es ésta, podéis sucumbir a ella. Vuestro pariente ha partido de La Rochelle para Inglaterra durante la noche. Vigilad su llegada, porque tiene grandes y terribles proyectos. Si queréis saber absolutamente de lo que es capaz, leed su pasado en su hombro izquierdo.

»

-¡Bien! A las mil maravillas - dijo Athos-, y tenéis pluma de secretario de Estado, mi querido Aramis. Ahora lord de Winter estará ojo avizor, si el aviso le llega; y aunque caiga en manos de Su Eminencia misma, no podríamos quedar comprometidos. Mas como el criado que partirá podría hacernos creer que ha estado en Londres y detenerse en Chátellerault, démosle sólo con la carta la mitad de la suma, prometiéndole la otra mitad a cambio de la respuesta. ¿Tenéis el diamante? - continuó Athos.

-Tengo algo mejor que eso, tengo el dinero.

Y D'Artagnan arrojó la bolsa sobre la mesa: al sonido del oro, Aramis alzó los ojos. Porthos se estremeció; en cuanto a Athos, permaneció impasible.

-¿Cuánto hay en esa pequeña bolsa? - dijo.

-Siete mil libras en luises de doce francos.

-¡Siete mil libras! - exclamó Porthos-. ¿Ese mal diamantucho valía siete mil libras?

-Eso parece - dijo Athos-, porque aquí están; no creo que nuestro amigo D'Artagnan haya puesto de lo suyo.

-Pero señores - dijo D'Artagnan-, en todo esto no pensamos en la reina. Cuidemos algo la salud de su querido Buckingham. Es lo menos que le debemos.

-Es justo - dijo Athos-, pero eso concierne a Aramis.

-¡Bien! - respondió éste ruborizándose-. ¿Qué tengo que hacer?

-Es muy sencillo - replicó Athos-, redactar una segunda carta para esa persona hábil que vive en Tours.

Aramis volvió a tomar la pluma, se puso a reflexionar de nuevo y escribió las siguientes líneas, que sometió al instante mismo a la aprobación de sus amigos:

«Mi querida prima...»

-Vaya - dijo Athos-, ¿esa persona hábil es pariente vuestra?

-Prima hermana - dijo Aramis.

-¡Vaya entonces por prima!

Aramis continuó:

«Mi querida prima, Su Eminencia el cardenal, a quien Dios conserve para felicidad de Francia y confusión de los enemigos del reino, está a punto de acabar con los rebeldes heréticos de La Rochelle: es probable que el socorro de la flota inglesa no llegue siquiera a la vista de la plaza; me atrevería a decir incluso que estoy seguro de que el señor de Buckingham se verá impedido de partir por algún gran acontecimiento. Su Eminencia es el politico más ilustre de los tiempos pasados, del tiempo presente y probablemente de los tiempos futuros. Apagaría el sol si el sol le molestara. Dad estas felices nuevas a vuestra hermana, querida prima. He soñado que ese maldito inglés era matado. No puedo recordar si lo era por el hierro o por el veneno; sólo estoy segura de que he soñado que era matado, y, ya lo sabéis, mis sueños no me engañan jamás. Estad segura, por tanto, de que pronto me veréis volver.»

-¡De maravilla! - exclamó Athos-. Sois el rey de los poetas; mi querido Aramis, habláis como el Apocalipsis y sois verdadero como el Evangelio. Ahora no os queda mas que poner las señas en esa carta.

-Es muy fácil - dijo Aramis.

Y plegó coquetamente la carta, la volvió y escribió:

«A mademoiselle Marie Michon, costurera de Tours.

» Los tres amigos se miraron riendo: estaban prendados.

-Ahora - dijo Aramis - comprenderéis, señores, que sólo Bazin puede llevar esta carta a Tours; mi prima sólo conoce a Bazin y no tiene confianza más que en él: cualquier otro haría fracasar el asunto. Además, Bazin es ambicioso y sabio; Bazin ha leído la historia, señores, sabe que Sixto V se convirtió en Papa tras haber guardado puercos. Pues bien, como cuenta con entrar en la iglesia al tiempo que yo, no desespera convertirse él también en Papa o al menos en cardenal: comprenderéis que un hombre que tiene semejantes miras no se dejará prender o, si es prendido, sufrirá el martirio antes que hablar.

-Bien, bien - dijo D'Artagnan-, os concedo de buena gana a Bazin; pero concededme a mí a Planchet: Milady lo hizo poner en la calle cierto día a fuerza de bastonazos; ahora bien, Planchet tiene buena memoria y, os respondo de ello, si puede suponer una venganza posible, antes se dejará romper la crisma que renunciar a ella. Si vuestros asuntos en Tours son vuestros asuntos, Aramis, los de Londres son los míos. Ruego por tanto que se escoja a Planchet, quien además ya ha estado en Londres conmigo y sabe decir muy correctamente: London, sir, if you please y my master lord D'Artagnan; con esto, estad traquilos, hará su camino de ida y vuelta.

-En ese caso - dijo Athos-, es preciso que Planchet reciba setecientas libras para ir y setecientas libras para volver, y Bazin, trescientas libras para ir y trescientas para volver; esto reducirá la suma a cinco mil libras; nosotros cogeremos mil libras cada uno para emplearlas como bien nos parezca, y dejaremos un fondo de mil libras que guardará el abate para los casos extraordinarios o para las necesidades comunes. ¿Estáis de acuerdo?

-Mi querido Athos - dijo Aramis-, habláis como Néstor, que era, como todos sabemos, el más sabio de los griegos.

-Pues bien, todo resuelto - prosiguió Athos : Planchet y Bazin partirán; en última instancia, no me molesta conservar a Grimaud; está acostumbrado a mis modales, y me quedo con él, el día de ayer ha debido baldarle, y ese viaje lo perdería.

Se hizo venir a Planchet y se le dieron las instrucciones; ya había sido prevenido por D'Artagnan, que de primeras le había anunciado la gloria, luego el dinero, después el peligro.

-Llevaré la carta en la bocamanga de mi traje - dijo Planchet-, y la tragaré si me prenden.

-Pero entonces no podrás hacer el encargo - dijo D'Artagnan.

-Esta noche me daréis una copia, que mañana sabré de memoria.

-¡Y bien! ¿Qué os había dicho?

-Ahora - continuó dirigiéndose a Planchet - tienes ocho días para llegar junto a lord de Winter, tienes otros ocho para volver aquí; en total, dieciséis días; si al dieciseisavo día de tu partida, a las ocho de la tarde, no has llegado, nada de dinero, aunque sean las ocho y cinco minutos.

-Entonces, señor - dijo Planchet-, compradme un reloj.

-Toma éste - dijo Athos, dándole el suyo con una generosidad despreocupada - y sé un valiente muchacho. Piensa que si hablas, te vas de la lengua y callejeas haces cortar el cuello a tu amo, que tiene tanta confianza en tu fidelidad que nos ha respondido de ti. Pero piensa también que si por tu culpa le ocurre alguna desgracia a D'Artagnan, te encontraré donde sea y será para abrirte el vientre.

-¡Oh señor! - dijo Planchet, humillado por la sospecha y asustado sobre todo por el aire tranquilo del mosquetero.

-Y yo - dijo Porthos haciendo girar sus grandes ojos-, piensa que te desuello vivo.

-¡Ay, señor!

-Y yo - continuó Aramis con su voz dulce y melodiosa-, piensa que te quemo a fuego lento como un salvaje.

-¡Ah, señor!

Y Planchet se puso a llorar; no nos atreveríamos a decir si fue de terror, debido a las amenanzas que le hacían o de ternura al ver a los cuatro amigos tan estrechamente unidos.

D'Artagnan le cogió la mano y lo abrazó.

-¿Ves, Planchet? - le dijo-. Estos señores lo dicen todo eso por ternura hacia mí, pero en el fondo lo quieren.

-¡Ay, señor! - dijo Planchet-. O triunfo o me cortan en cuatro; aunque me descuarticen, estad convencido de que ni un solo trozo hablará.

Quedó decidido que Planchet partiría al día siguiente a las ocho de la mañana a fin de que, como había dicho, pudiera durante la noche aprenderse la carta de memoria. Justo a las doce se llegó a este acuerdo; debía estar de vuelta al decimosexto día, a las ocho de la tarde.

Por la mañana, en el momento en que iba a montar a caballo, D'Artagnan, que en el fondo sentía debilidad por el duque, tomó aparte a Planchet.

-Escucha - le dijo-, cuando hayas entregado la carta a lord de Winter y la haya leido, le dirás: «Velad por Su Gracia lord Buckingham, porque lo quieren asesinar.

» Pero esto, Planchet, es tan grave y tan importante que ni siquiera he querido confesar a mis amigos que te confiaría este secreto, y ni por un despacho de capitán querría escribírtelo.

-Estad tranquilo, señor - dijo Planchet-, ya veréis si se puede contar conmigo.

Y montando sobre un excelente caballo, que debía dejar a veinte leguas de allí para tomar la posta, Planchet partió al galope, el corazón algo encogido por la triple promesa que le habían hecho los mosqueteros, pero por lo demás en las mejores disposiciones del mundo.

Bazin partió al día siguiente por la mañana para Tours, y tuvo ocho días para hacer su comisión.

Los cuatro amigos, durante toda la duración de estas dos ausencias, tenían, como fácilmente se comprenderá, el ojo en acecho más que nunca, la nariz al viento y los oídos a la escucha. Sus jornadas se pasaban tratando de sorprender lo que se decía de acechar los pasos del cardenal y de olfatear los correos que llegaban. Más de una vez un estremecimiento insuperable se apoderó de ellos cuando se los llamó para algún servicio inesperado. Por otra parte, tenían que guardarse de su propia seguridad, Milady era un fantasma que cuando se había aparecido una vez a las personas, no las dejaba ya dormir tranquilas.

La mañana del octavo día, Bazin, fresco como siempre y sonriendo según su costumbre, entró en la taberna de Parpaillot cuando los cuatro amigos estaban a punto de almorzar, diciendo según el acuerdo fijado:

-Señor Aramis, aquí está la respuesta de vuestra prima.

Los cuatro amigos intercambiaron una mirada alegre: la mitad de la tarea estaba hecha; cierto que era la más corta y la más fácil.

Aramis, ruborizándose a pesar suyo, tomó la carta, que era de una escritura grosera y sin ortografía.

-¡Buen Dios! - exclamó riendo-. Decididamente no lo conseguirá; nunca esa pobre Michon escribirá como el señor de Voiture.

-¿Qué es lo que quiere tezir esa probe Mijon? - preguntó el suizo, que estaba a punto de hablar con los cuatro amigos cuando la carta había llegado.

-¡Oh, Dios mío! Nada de nada - dijo Aramis-, una costurerita encantadora a la que amaba mucho y a la que le he pedido algunas líneas de su puño y letra a manera de recuerdo.

-¡Diozez! - dijo el suizo-. Zi ella ser tan glante como zu ezcritura, tendrez muja fortuna gamarata.

Aramis leyó la carta y la pasó a Athos.

-Ved, pues, lo que me escribe, Athos - dijo.

Athos lanzó una mirada sobre la epístola, y para hacer desvanecerse todas las sospechas que hubieran podido nacer, leyó en alta voz:

«Prima mía, mi hermana y yo adivinamos muy bien los sueños, y tenemos incluso un miedo horroroso por ellos; pero espero que del vuestro pueda decir que todo sueño es mentira. ¡Adiós! Portaos bien, y haced que de vez en cuando oigamos hablar de voz.

Aglae Michon

¿Y de qué sueño habla ella? - preguntó el dragón que se había a cercado durante la lectura.

-Zí, ¿de qué zueño? - dijo el suizo.

-¡Diantre! - dijo Aramis-. Es muy sencillo: de un sueño que tuve y le conté.

-¡Oh!, zí, por Tios; ez muy sencijo de gontar zu zueño; pero yo no zueño jamás.

-Sois muy dichoso - dijo Athos levantándose-. ¡Y me gustaría poder decir lo mismo que vos!

-¡Jamás! - exclamó el suizo, encantado de que un hombre como Athos le envidiase algo-. ¡Jamás! ¡Jamás!

D'Artagnan, viendo que Athos se levantaba, hizo otro tanto, tomó su brazo y salió.

Porthos y Aramis se quedaron para hacer frente a las chirigotas del dragón y del suizo.

En cuanto a Bazin, se fue a acostar sobre un haz de paja; y como tenía más imaginación que el suizo, soñó que el señor Aramis, vuelto Papa, le tocaba con un capelo de cardenal.

Pero como hemos dicho, Bazin con su feliz retorno no había quitado más que una parte de la inquietud que aguijoneaba a los cuatro amigos. Los días de la espera son largos, y D'Artagnan sobre todo hubiera apostado que ahora los días tenían cuarenta y ocho horas. Olvidaba las lentitudes obligadas de la navegación, exageraba el poder de Milady. Prestaba a aquella mujer, que le parecía semejante a un demonio, auxiliares sobrenaturales como ella; al menor ruido se imaginaba que venían a detenerle y que traían a Planchet para carearlo con él y con sus amigos. Hay más: su confianza de antaño tan grande en el digno picardo disminuía de día en día. Esta inquietud era tan grande que ganaba a Porthos y a Aramis. Sólo Athos permanecía impasible como si ningún peligro se agitara en torno suyo, y como si respirase su atmósfera cotidiana.

El decimosexto día sobre todo estos signos de agitación eran tar visibles en D'Artagnan y sus dos amigos que no podían quedarse en su sitio, y vagaban como sombras por el camino por el que debía volver Planchet.

-Realmente - les decía Athos - no sois hombres, sino niños, para que una mujer os cause tan gran miedo. Después de todo, ¿de qué se trata? ¡De ser encarcelados! De acuerdo, pero nos sacarán de prisión: de ella ha sido sacada la señora Bonacieux. ¿De sér decapitados: Pero si todos los días, en la trinchera, vamos alegremente a exponernos a algo peor que eso, porque una bala puede partirnos una pierna, y estoy convencido de que un cirujano nos hace sufrir más cortándonos el muslo que un verdugo al cortarnos la cabeza. Estad, por tanto, tranquilos; dentro de dos horas, de cuatro, de seis a más tardar, Planchet estará aquí: ha prometido estar aquí, y yo tengo grandísima fe a las promesas de Planchet, que me parece un muchacho muy valiente.

-Pero ¿si no llega? - dijo D'Artagnan.

-Pues bien, si no llega es que se habrá retrasado, eso es todo. Puede haberse caído del caballo, puede haber hecho una cabriola por encima del puente, puede haber corrido tan deprisa que haya cogido una fluxión de pecho. Vamos, señores, tengamos en cuenta los acontecimientos. La vida es un rosario de pequeñas miserias que el filósofo desgrana riendo. Sed filósofos como yo, señores - sentaos a la mesa y bebamos; nada hace parecer el porvenir color de rosa como mirarlo a través de un vaso de chambertin.

-Eso está muy bien - respondió D'Artagnan ; pero estoy harto de tener que temer, cuando bebo bebidas frías, que el vino salga de la bodega de Milady.

-¡Qué difícil sois! - dijo Athos-. ¡Una mujer tan bella!

-¡Una mujer de marca! - dijo Porthos con su gruesa risa.

Athos se estremeció, pasó la mano por su frente para enjugarse él sudor y se levantó a su vez con un movimiento nervioso que no pudo reprimir.

Sin embargo, el día pasó y la noche llegó más lentamente, pero al fin llegó; las cantinas se llenaron de parroquianos; Athos, que se había embolsado su parte del diamante, no dejaba el Parpaillot. Había encontrado en el señor de Busigny, que por lo demás le había dado una cena magnífica, un partner digno de él. Jugaban, pues, juntos, como de costumbre, cuando las siete sonaron: se oyó pasar las patrullas que iban a doblar los puestos; a las siete y media sonó la retreta.

-Estamos perdidos - dijo D'Artagnan al oído de Athos.

-Queréis decir que hemos perdido - dijo tranquilamente Athos sacando cuatro pistolas de su bolsillo y arrojándolas sobre la mesa-. Vamos, señores - continuó-, tocan a retreta, vamos a acostarnos.

Y Athos salió del Parpaillot seguido de D'Artagnan. Aramis venía detras dando el brazo a Porthos. Aramis mascullaba versos y Portos se arrancaba de vez en cuando algunos pelos del mostacho en señal de desesperación.

Pero he aquí que, de pronto en la oscuridad, se dibuja una sombra, cuya forma es familiar a D'Artagnan, y que una voz muy conocida le dice:

-Señor os traigo vuestra capa, porque hace fresco esta noche.

-¡Planchet! - exclamó D'Artagnan ebrio de alegría.

-¡Planchet! - repitieron Porthos y Aramis.

-Pues claro, Planchet - dijo Athos-. ¿Qué hay de sorprendente en ello? Había prometido estar de regreso a las ocho, y están dando las ocho. ¡Bravo! Planchet, sois un muchacho de palabra, y si alguna vez dejáis a vuestro amo, os guardo un puesto a mi servicio.

-¡Oh, no, nunca! - dijo Planchet-. Nunca dejaré al señor D'Artagnan! Al mismo tiempo D'Artagnan sintió que Planchet le deslizaba un billete en la mano.

D'Artagnan tenía grandes deseos de abrazar a Planchet al regreso como lo había abrazado a la partida; pero tuvo miedo de que esta señal de efusión, dada a su lacayo en plena calle, pareciese extraordinaria a algún transeúnte, y se contuvo.

-Tengo el billete - dijo a Athos y a sus amigos.

-Está bien - dijo Athos-, entremos en casa y lo leeremos.

El billete ardía en la mano de D'Artagnan; quería acelerar el paso; pero Athos le cogió el brazo y lo pasó bajo el suyo; y así, el joven tuvo que acompasar su camera a la de su amigo.

Por fin entraron en la tienda, encendieron una lámpara, y mientras Planchet se mantenía en la puerta para que los cuatro amigos no fueran sorprendidos, D'Artagnan, con una mano temblorosa, rompió el sello y abrió la carta tan esperada.

Contenía media línea de una escritura completamente británica y de una concisión completamente espartana:

«Thank you, be easy.

» Lo cual quería decir:

«¡Gracias, estad tranquilo!»

Athos tomó la carta de manos de D'Artagnan, la aproximó a la lámpara, la prendió fuego y no la soltó hasta que no quedó reducida a cenizas.

Luego, llamando a Planchet:

-Ahora, muchacho, puedes reclamar tus setecientas libras, mas no arriesgabas gran cosa con un billete como éste.

-No será por falta de haber inventado muchos medios para guardarlo - dijo Planchet.

-Y bien - dijo D'Artagnan - cuéntanos eso.

-Maldición, es muy largo, señor.

-Tienes razón, Planchet - dijo Athos ; además la retreta ha sonado, y nos haríamos notar conservando la luz más tiempo que los demás.

-Sea - dijo D'Artagnan-, acostémonos. Duerme bien, Planchet.

-A fe, señor, que será la primera vez en dieciséis días.

-¡También para mí! - dijo D'Artagnan.

-¡También para mí! - replicó Porthos.

-¡Y para mí también! - repitió Aramis.

-Pues bien, si queréis que os confiese la verdad, ¡para mí también! - dijo Athos.

Fatalidad

Entretanto Milady, ebria de cólera, rugiendo sobre el puente del navío como una leona a la que embarcan, había estado tentada de arrojarse al mar para ganar la costa, porque no podía hacerse a la idea de que había sido insultada por D'Artagnan amenazada por Athos y que abandonaba Francia sin vengarse de ellos. Pronto esta idea se había vuelto tan insoportable para ella que, con riesgo de lo que de terrible podía ocurrir para ella misma, había suplicado al capitán arrojarla junto a la costa; mas el capitán, apremiado para escapar a su falsa posición, colocado entre los cruceros franceses a ingleses como el murciélago entre las ratas y los pájaros, tenía mucha prisa en volver a ganar Inglaterra, y rehusó obstinadamente obedecer a lo que tomaba por un capricho de mujer, prometiendo a su pasajera, que además le había sido recomendada particularmente por el cardenal, dejarla, si el mar y los franceses lo permitían, en uno de los puertos de Bretaña, bien en Lorient, bien en Brest; pero, entretanto el viento era contrario, la mar mala, voltejeaban y daban bordadas. - Nueve días después de la salida de Charente, Milady, completamente pálida por sus penas y su cólera, vela aparecer sólo las costas azules del Finisterre.

Calculó que para atravesar aquel rincón de Francia y volver junto al cardenal necesitaba por lo menos tres días; añadid un día para desembarco, y eran cuatro; añadid esos cuatro días a los otros nueve, y eran trece días perdidos, trece días durante los que tantos acontecimientos importantes podían pasar en Londres. Pen"dudablemente que el cardenal estaría furioso por su regreso y que por consiguiente estaría más dispuesto a escuchar las quejas que se lanzarían contra ella que las acusaciones que ella lanzarfa contra los otros. Dejó, por tanto, pasar Lorient y Brest sin insistirle al capitán que, por su parte, se guardó mucho de dar aviso. Milady continuo, pues, su ruta, y el mismo día en que Planchet se embarcaba de Portsmouth para Francia, la mensajera de su Eminencia entraba triunfante en el puerto.

Toda la ciudad estaba agitada por un movimiento extraordinario: cuatro grandes bajeles recientemente terminados acababan de ser lanzados al mar; de pie sobre la escollera engalanado de oro, deslumbrante, según su costumbre, de diamantes y pedrerías, el sombrero de fieltro adornado con una pluma blanca que volvía a caer sobre su hombro, se veía a Buckingham rodeado de un estado mayor casi tan brillante como él.

Era una de esas bellas y raras jornadas de invierno en que Inglaterra se acuerda de que hay sol. El astro pálido, pero sin embargo aún espléndido, se ponía en el horizonte empurpurando a la vez el cielo y el mar con bandas de fuego y arrojando sobre las torres y las viejas casas de la ciudad un último rayo de oro que hacía centellear los cristales como el reflejo de un incendio. Milady, al respirar aquel aire del océano más vivo y más balsámico a la proximidad de la tierra, al contemplar todo el poder de aquellos preparativos que ella estaba encargada de destruir, todo el poderío de aquel ejército que ella debía combatir sola - ella mujer - con algunas bolsas de oro, se comparó mentalmente a Judith, la terrible judía, cuando penetró en el campamento de los Asirios y cuando vio la masa enorme de carros, de caballos, de hombres y de armas que un gesto de su mano debía disipar como una nube de humo.

Entraron en la rada pero cuando se aprestaban a echar el ancla, un pequeño cúter formidablemente armado se aproximó al navío mercante declarándose guardacostas, a hizo echar al mar su bote, que se dirigió hacia la escala. Aquel bote llevaba un oficial, un contramaestre y ocho remadores; sólo el official subió a bordo, donde fue recibido con toda la deferencia que inspira un uniforme.

El oficial se entretuvo algunos instantes con el patrón, le hizo leer un papel de que era portador y, por orden del capitán mercante, toda la tripulación del navío, marineros y pasajeros, fue llevada al puente.

Cuando concluyó aquella especie de pase de lista, el oficial preguntó en voz alta del punto de partida de la bricbarca, de su ruta, de sus puntos de tierra tocados, y a todas las preguntas el capitán satisfizo sin duda, y sin dificultad. Entonces el oficial comenzó a pasar revista de todas las personas una tras otra y, deteniéndose en Milady, la consideró con gran cuidado, pero sin dirigirle una sola palabra.

Luego volvió al capitán, le dijo aún unas palabras; y como si fuera a él a quien en adelante el navío debiera obedecer, ordenó una maniobra que la tripulación ejecutó al punto. Entonces el navío se puso en marcha, siempre escoltado por el pequeño cúter, que bogaba borda con borda - a su lado, amenazando su flanco con la boca de sus seis cañones; mientras, la barca seguía la estela del navío, débil punto junto a la enorme masa.

Durante el examen que el oficial había hecho de Milady, Milady, como se supondrá, lo había devorado por su parte con la mirada. Mas, sea el que fuere el hábito que esta mujer de ojos de llama tuviera de leer en el corazón de aquellos cuyos secretos necesitaba adivinar, esta vez encontró un rostro de una impasibilidad tal que ningún descubrimiento siguió a su investigación. El oficial, que se había detenido ante ella y que sigilosamente la había estudiado con tanto cuidado, podía tener entre veinticinco y ventiséis años; era blanco de rostro, con ojos ; azul claro algo sumidos; su boca, fina y bien dibujada, permanecía inmóvil en sus líneas correctas; su mentón, vigorosamente acusado, de notaba esa fuerza de voluntad que en el tipo vulgar británico no es ordinariamente más que cabezonería; una frente algo huidiza, como conviene a los poetas, a los entusiastas y a los soldados, estaba apenas sombreada por una cabellera corta y rala que, como la barba que cubría la parte baja de su rostro, era de un hermoso color castaño oscuro.

Cuando entraron en el puerto era ya de noche. La bruma espesaba aún más la oscuridad y formaba en torno de los fanales y de las linternas de las escolleras un círculo semejante al que rodea la luna cuando el tiempo amenaza con volverse lluvioso. El aire que se respiraba era triste, húmedo y frío.

Milady, aquella mujer tan fuerte, se sentía tiritar a pesar suyo.

El oficial se hizo indicar los bultos de Milady, hizo llevar su equipaje al bote, y una vez que estuvo hecha esta operación, la invitó a ella misma tendiéndole su mano.

-¿Quién sois, señor - preguntó ella-, que habéis tenido la bondad de ocuparos tan particularmente de mí?

-Debéis saberlo, señora, por mi uniforme; soy oficial de la marina inglesa - respondió el joven.

-Pero ¿es costumbre que los oficiales de la marina inglesa se pongan a las órdenes de sus compatriotas cuando llegan a un puerto de Gran Bretaña y lleven la galantería hasta conduciros a tierra?

-Sí, Milady, es costumbre, no por galantería sino por prudencia, que en tiempo de guerra los extranjeros sean conducidos a una hostería designada a fin de que queden bajo la vigilancia del gobierno hasta una perfecta información sobre ellos.

Estas palabras fueron pronunciadas con la cortesía más puntual y la calma más perfecta. Sin embargo, no tuvieron el don de convencer a Milady.

-Pero yo no soy extranjera, señor - dijo ella con el acento más puro que jamás haya sonado de Porstmouth a Manchester-, me llamo lady Clarick, y esta medida...

-Esta medida es general, Milady, y trataríais en vano de sustraeros a ella.

-Entonces os seguiré, señor.

Y aceptando la mano del oficial, comenzó a descender la escala, a cuyo extremo le esperaba el bote. El oficial la siguió: una gran capa estaba extendida a popa, el oficial la hizo sentar sobre la capa y se sentó junto a ella.

-Remad - dijo a los marineros.

Los ocho remos cayeron en el mar, haciendo un solo ruido, golpeando con un solo golpe, y el bote pareció volar sobre la superficie del agua.

Al cabo de cinco minutos tocaban tierra.

El oficial saltó al muelle y ofreció la mano a Milady.

Un coche esperaba.

-Es para nosotros este coche? - preguntó Milady.

-Sí, señora - respondió el oficial.

-La hostería debe estar entonces muy lejos.

-Al otro extremo de la ciudad.

-Vamos - dijo Milady.

Y subió resueltamente al coche.

El oficial veló porque los bultos fueran cuidadosamente atados detrás de la caja, y, concluida esta operación, ocupó su sitio junto a Milady y cerró la portezuela.

Al punto, sin que se diese ninguna orden y sin que hubiera necesidad de indicarle su destino, el cochero partió al galope y se metió por las calles de la ciudad.

Una recepción tan extraña debía ser para Milady amplia materia de reflexión; por eso, al ver que el joven oficial no parecía dispuesto en modo alguno a trabar conversación, se acodó en un ángulo del coche pasó revista una tras otra a todas las suposiciones que se presentaban a su espíritu.

Sin embargo, al cabo de un cuarto de hora, extrañada de la largura del camino, se inclinó hacia la portezuela para ver adónde se la conducía. No se percibían ya casas; en las tinieblas, aparecían los árboles como grandes fantasmas negros recorriendo uno tras otro.

Milady se estremeció.

-Pero ya no estamos en la ciudad, señor - dijo.

El joven guardó silencio.

-No seguiré más lejos si no me decís adónde me conducís; ¡os lo prevengo, señor!

Esta amenaza no obtuvo ninguna respuesta.

-¡Oh, esto es demasiado! - exclamó Milady-. ¡Socorro! ¡Socorro!

Ninguna voz respondió a la suya, el coche continuo rodando con rapidez; el oficial parecía una estatua.

Milady miró al oficial con una de esas expresiones terribles, peculiares de su rostro y que raramente dejaban de causar su efecto; la colera hacía centellear sus ojos en la sombra.

El joven permaneció impasible.

Milady quiso abrir la portezuela y tirarse.

-Tened cuidado, señora - dijo fríamente el joven ; si saltáis os mataréis.

Milady volvió a sentarse echando espuma; el oficial se inclinó, la miró a su vez y pareció sorprendido al ver aquel rostro, tan bello no hacía mucho, trastornado por la rabia y vuelto casi repelente. La astuta criatura comprendió que se perdía al dejar ver así en su alma; volvió a serenar sus rasgos, y con una voz gimiente dijo:

-En nombre del cielo, señor, decidme si es a vos, a vuestro gobierno, o a un enemigo al que debo atribuir la violencia que se me hace.

-No se os hace ninguna violencia, señora, y lo que os sucede es el resultado de una medida totalmente simple que estamos obligados a tomar con todos aquellos que desembarcan en Inglaterra.

-Entonces, ¿vos no me conocéis, señor?

-Es la primera vez que tengo el honor de veros.

-Y, por vuestro honor, ¿no tenéis ningún motivo de odio contra mí?

-Ninguno, os lo juro.

Había tanta serenidad, tanta sangre fría, dulzura incluso en la voz del joven, que Milady quedó tranquilizada.

Finalmente, tras una hora de marcha aproximadamente, el coche se detuvo ante una verja de hierro que cerraba un camino encajonado que conducía a un castillo severo de forma, macizo y aislado. Entonces, como las ruedas rodaban sobre arena fina, Milady oyó un vasto mugido que reconoció por el ruido del mar que viene a romper sobre una costa escarpada.

El coche pasó bajo dos bóvedas, y finalmente se detuvo en un patio sombrío y cuadrado; casi al punto la portezuela del coche se abrió, el joven saltó ágilmente a tierra y presentó su mano a Milady, que se apoyó en ella y descendió a su vez con bastante calma.

-Lo cierto es - dijo Milady mirando en torno suyo y volviendo sus ojos sobre el joven oficial con la más graciosa sonrisa - que estoy prisionera; pero no será por mucho tiempo, estoy segura - añadió ; mi conciencia y vuestra cortesía, señor, son garantías de ello.

Por halagador que fuese el cumplido, el oficial no respondió nada; pero sacando de su cintura un pequeño silbato de plata semejante a aquel de que se sirven los contramaestres en los navíos de guerra, silbó tres veces, con tres modulaciones diferentes; entonces aparecieron varios hombres, desengancharon los caballos humeantes y llevaron el coche bajo el cobertizo.

Luego, el oficial, siempre con la misma cortesía calma, invitó a su prisionera a entrar en la casa. Esta, siempre con su mismo rostro sonriente, le tomó el brazo y entró con él bajo una puerta baja y cimbrada que por una bóveda sólo iluminada al fondo conducía a una escalera de piedra que giraba en torno de una arista de piedra; luego se detuvieron ante una puerta maciza que, tras la introducción en la cerradura de una llave que el joven llevaba consigo, giró pesadamente sobre sus goznes y dio entrada a la habitación destinada a Milady.

De una sola mirada la prisionera abarcó la habitación en sus menores detalles.

Era una habitación cuyo moblaje era al mismo tiempo muy limpio para una prisión y muy severo para una habitación de hombre libre; sin embargo, los barrotes en las ventanas y los cerrojos exteriores de la puerta decidían la causa en favor de la prisión.

Por un instante, toda la fuerza de ánimo de esta criatura, templada sin embargo en las fuentes más vigorosas, la abandonó; cayó en un sillón, cruzando los brazos, bajando la cabeza y esperando a cada instante ver entrar a un juez para interrogarla.

Pero nadie entró, sino dos o tres soldados de marina que trajeron los baúles y las cajas, los depositaron en un rincón y se retiraron sin decir nada.

El oficial presidía todos estos detalles con la misma calma que constantemente le había visto Milady, sin pronunciar una palabra y haciéndose obedecer con un gesto de su mano o a un toque de silbato.

Se hubiera dicho que entre este hombre y sus inferiores la lengua hablada no existía o resultaba inútil.

Finalmente Milady no se pudo contener por más tiempo y rompió el silencio.

-En nombre del cielo, señor - exclamó-, ¿qué quiere decir todo cuanto pasa? Aclarad mis irresoluciones; tengo valor para cualquier peligro que preveo, para cualquier desgracia que comprendo. ¿Dónde estoy y qué soy aquí? Si estoy libre, ¿por qué esos barrotes y esas puertas? Si estoy prisionera, ¿qué crimen he cometido?

-Estáis aquí en la habitación que se os ha destinado, señora. He recibido la orden de ir a recogeros en el mar y conduciros a este castillo; creo haber cumplido esta orden con toda la rigidez de un soldado, pero también con toda la cortesía de un gentilhombre. Ahí termina, al menos hasta el presente, la carga que tenía que cumplir junto a vos, lo demás concierne a otra persona.

-Y esa otra persona, ¿quién es? - preguntó Milady-. ¿No podéis decirme su nombre?...

En aquel momento se oyó por las escaleras un gran rumor de espuelas; algunas voces pasaron y se apagaron, y el ruido de un paso aislado se acercó a la puerta.

-Esa persona, hela aquí, señora - dijo el oficial descubriendo el pasaje y colocándose en actitud de respeto y sumisión.

Al mismo tiempo se abrió la puerta: un hombre apareció en el umbral...

Estaba sin sombrero, llevaba la espada al costado y estrujaba un pañuelo entre sus dedos.

Milady creyó reconocer a aquella sombra en la sombra; se apoyó con una mano en el brazo de su sillón y adelantó la cabeza como para ir por delante de una certidumbre.

Entonces el extraño avanzó lentamente; y a medida que avanzaba al entrar en el círculo de luz proyectado por la lámpara, Milady retrocedía involuntariamente.

Luego, cuando ya no tuvo ninguna duda: -¡Cómo! ¡Mi hermano! - exclamó en el colmo del estupor-. ¿Sois vos?

-Sí, hermosa dama - respondió lord de Winter haciendo un saludo mitad cortés, mitad irónico-, yo mismo.

-Pero, entonces, ¿este castillo?

-Es mío.

-¿Esta habitación?

-Es la vuestra.

-¿Soy, pues, vuestra prisionera?

-Más o menos.

-¡Pero esto es un horrendo abuso de fuerza!

-Nada de grandes palabras; sentémonos y hablemos tranquilamente, como conviene hacer entre un hermano y una hermana.

Luego, volviéndose hacia la puerta, y viendo que el joven oficial esperaba sus últimas órdenes:

-Está bien - dijo-, gracias; ahora, dejadnos, señor Felton.

Charla de un hermano con su hermana

Durante el tiempo que lord de Winter tardó en cerrar la puerta, en echar un cerrojo y acercar un asiento al sillón de su cuñada Milady, pensativa, hundió su mirada en las profundidades de la posibilidad, y descubrió toda la trama que ni siquiera había podido entrever mientras ignoró en qué manos había caído. Tenía a su cuñado por un buen gentilhombre, cabal cazador, jugador intrépido, emprendedor con las mujeres, pero de fuerza inferior a la suya tratándose de intriga. ¿Cómo había podido descubrir su llegada? ¿Cómo hacerla prender? ¿Por qué la retenía?

Athos le había dicho algunas palabras que probaban que la conversación que había mantenido con el cardenal había caído en oídos extraños; pero no podía admitir que él hubiera podido cavar una contramina tan pronta y tan audaz.

Temió más bien que sus precedentes operaciones en Inglaterra hubieran sido descubiertas. Buckingham podia haber adivinado que era ella quien había cortado los dos herretes, y vengarse de aquella pequeña traición; pero Buckingham era incapaz de entregarse a ningún exceso contra una mujer, sobre todo si suponía que aquella mujer había actuado movida por un sentimiento de celos.

Esta suposición le pareció la más probable; creyó que querían vengarse del pasado y no ir al encuentro del futuro. Sin embargo, y en cualquier caso, se congratuló de haber caído en manos de su cuñado, de quien contaba sacar provecho, antes que entre las de un enemigo directo a inteligente.

-Sí, hablemos, hermano mío - dijo ella con una especie de jovialidad, decidida como estaba a sacar de la conversación, pese al disimulo que pudiera aportar a ella lord de Winter, las aclaraciones que necesitaba para regular su conducta futura.

-¿Os habéis, pues, decidido a volver a Inglaterra - dijo lord de Winter-, a pesar de la resolución que tan a menudo me manifestasteis en Paris de no volver a poner los pies sobre territorio de Gran Bretaña?

Milady respondió a una pregunta con otra pregunta.

-Ante todo - dijo ella-, decidme cómo me habéis hecho espiar tan severamente para estar prevenidos de antemano no sólo de mi llegada, sino aun del día, de la hora y del puerto al que llegaba.

Lord de Winter adoptó la misma táctica que Milady, pensando que, puesto que su cuñada la empleaba, ésa debía ser la buena.

-Mas, decidme vos, mi querida hermana - prosiguió-, qué venís a hacer en Inglaterra.

-Pero si vengo a veros - prosiguió Milady, sin saber cuánto agravaba, con esta respuesta, las sospechas que había hecho nacer en el espíritu de su cuñado la carta de D'Artagnan, y queriendo sólo captar la benevolencia de su oyente con una mentira.

-¡Ah! ¿Verme? - dijo tímidamente lord de Winter.

-Claro, veros. ¿Qué hay de sorprendente en ello?

-Y al venir a Inglaterra, ¿no habéis tenido otro objetivo que verme?

-No.

-¿O sea, que sólo por mí os habéis tomado la molestia de atravesar la Mancha?

-Sólo por vos.

-¡Vaya! ¡Cuánta ternura, hermana mía!

-¿No soy acaso vuestro pariente más próximo? - preguntó Milady con el tono de ingenuidad más conmovedora.

-E incluso mi única heredera, ¿no es eso? - dijo a su vez lord de Winter, fijando sus ojos sobre los de Milady.

Por mucho que fuera el poder que tuviera sobre sí misma, Milady no pudo impedir estremecerse, y como al pronunciar las últimas palabras que había dicho, lord de Winter había puesto la mano en el brazo de su hermana, ese estremecimiento no se le escapó.

En efecto, el golpe era directo y profundo. La primera idea que vino al espíritu de Milady fue que había sido traicionada por Ketty, y que ésta le había contado al barón esa aversión interesada cuya señal había dejado escapar imprudentemente ante su criada; recordó también la salida furiosa a imprudente que había hecho contra D'Artagnan cuando había salvado la vida de su cuñado.

-No comprendo, milord - dijo ella para ganar tiempo y hacer hablar a su adversario-. ¿Qué queréis decir? ¿Y hay algún sentido desconocido oculto en vuestras palabras?

-¡Oh, Dios mío! No - dijo lord de Winter con aparente bondad-. Vos tenéis el deseo de verme, y venís a Inglaterra. Yo me entero de ese deseo, o mejor, sospecho que lo sentís, y a fin de ahorraros todas las molestias de una llegada nocturna a un puerto, todas las fatigas de un desembarco, envío a uno de mis oficiales a vuestro encuentro; pongo un coche a sus órdenes y él os trae aquí, a este castillo, del que soy gobernador, al que vengo todos los días, y en el que, para que nuestro doble deseo de veros quede satisfecho, os hago preparar una habitación. ¿Hay algo en cuanto digo más sorprenderte de lo que hay en cuanto vos me habéis dicho?

-No, lo que encuentro sorprendente es que vos hayáis sido prevenido de mi llegada.

-Sin embargo es la cosa más simple, querida hermana: ¿no habéis visto que el capitán de vuestro pequeño navío había enviado por delante, al entrar en la rada, para obtener su entrada al puerto, un pequeño bote portador de su libro de corredera y de su registro de tripulación? Yo soy comandante del puerto, me han traído ese libro, he reconocido en él vuestro nombre. Mi corazón me ha dicho lo que acababa de confiarme vuestra boca, es decir, el motivo por el que os exponíais a los peligros de un mar tan peligroso o al menos tan fatigante en este momento, y he enviado mi cúter a vuestro encuentro. El resto ya lo sabéis.

Milady comprendió que lord de Winter mentía y quedó más asustada aún.

-Hermano mío - continuó ella-. ¿No es milord Buckingham a quien vi sobre la escollera, por la noche, al llegar?

-El mismo. ¡Ah! Comprendo que su vista os haya sorprendido - prosiguió lord de Winter-. Vos venís de un país donde deben ocuparse mucho de él, y sé que su armamento contra Francia preocupa mucho a vuestro amigo el cardenal.

-¡Mi amigo el cardenal! - exclamó Milady, viendo que tanto sobre este punto como sobre el otro lord de Winter parecía enterado de todo.

-¿No es, pues, amigo vuestro? - prosiguió negligentemente el barón-. ¡Ah!, perdón, eso creía; pero ya volveremos a milord duque más tarde, no nos apartemos del giro sentimental que la conversación había tomado. ¿Venís, a lo que decís, para verme?

-Sí.

-Pues bien, yo os he respondido que seríais servida a placer, y que nos veríamos todos los días.

-¿Debo, por tanto, permanecer eternamente aquí? - preguntó Milady con cierto terror.

-¿Os encontráis mal alojada, hermana mía? Pedid lo que os falte, yo me apresuraré a hacer que os lo den.

-Pero no tengo ni mis mujeres ni mis criados...

-Tendréis todo eso, señora; decidme en qué tren había montado vuestro primer marido vuestra casa; aunque yo no sea más que vuestro cuñado, la montaré en un tren parecido.

-¿Mi primer marido? - exclamó Milady mirando a lord de Winter con los ojos pasmados.

-Sí, vuestro marido francés; no hablo de mi hermano. Por lo demás, si lo habéis olvidado, como aún vive podría escribirle y él me haría llegar informes a este respecto.

Un sudor frío perló la frente de Milady.

-Vos bromeáis - dijo ella con una voz sorda.

-¿Tengo aire de hacerlo? - preguntó el barón levantándose y dando un paso hacia atrás.

-O mejor, me insultáis - continuó ella apretando con sus manos crispadas los dos brazos del sillón y alzándose sobre sus muñecas.

-¿Yo insultaros? - dijo lord de Winter con desprecio-. En verdad, señora, ¿creéis que es posible?

-En verdad, señor - dijo Milady-, o estáis ebrio o sois un insensato; salid y enviadme una mujer.

-Las mujeres son muy indiscretas, hermana; ¿no podría yo serviros de doncella? De esta forma todos nuestros secretos quedarían en familia.

-¡Insolente! - exclamó Milady, y, como movida por un resorte, saltó sobre el barón, que la esperó impasible, pero, sin embargo, con una mano sobre la guarda de su espada.

-¡Eh, eh! - dijo él-. Sé que tenéis costumbre de asesinar a las personas, pero yo me defenderé, os lo prevengo, aunque sea contra vos.

-¡Oh, tenéis razón! - dijo Milady-. ¡Y me dais la impresión de ser lo bastante cobarde como para poner la mano sobre una mujer!

-Quizá sí; además tendría mi excusa: mi mano no sería la primera mano de hombre que sería puesta sobre vos, según imagino.

Y el barón indicó con un gesto lento y acusador el hombro izquierdo de Milady, que casi tocó con el dedo.

Milady lanzó un rugido sordo y retrocedió hasta el ángulo de la habitación como una pantera que quiere acularse para abalanzarse.

-¡Oh, rugid cuanto queráis! - exclamó lord de Winter-. Pero no tratéis de morderme porque, os lo advierto, se volvería en perjuicio vuestro; aquí no hay procuradores que arreglen de antemano las sucesiones, no hay caballero errante que venga a buscarme pelea por la hermosa dama que retengo prisionera, sino que tengo completamente dispuestos jueces que dispondrán de una mujer lo bastante desvergonzada para venir a deslizarse, bígama, en el lecho de lord de Winter, mi hermano mayor, y estos jueces, os lo advierto, os enviarán a un verdugo que os pondrán los dos hombros parejos.

Los ojos de Milady lanzaban tales destellos que, aunque él fuera hombre y armado ante una mujer desarmada, sintió el frío del miedo deslizarse hasta el fondo de su alma; no por ello dejó de continuar, con un furor creciente:

-Sí, comprendo, después de haber heredado de mi hermano, os habría sido dulce heredar de mí; pero, sabedlo de antemano, podéis matarme o hacerme matar, mis precauciones están tomadas, ni un penique de cuanto poseo pasará a vuestras manos. ¿No sois lo bastante rica, vos, que poseéis cerca de un millón, y no podéis deteneros en vuestro camino fatal si no hacéis el mal más que por el goce infinito y supremo de hacerlo? Mirad: os aseguro que si la memoria de mi hermano no fuera sagrada iríais a pudriros en un calabozo del Estado o a saciar en Tyburn la curiosidad de los marineros; me callaré, pero vos soportaréis tranquilamente vuestra cautividad; dentro de quince o veinte días parto para La Rochelle con el ejército; pero la víspera de mi partida vendrá a recogeros un bajel, que yo veré partir y que os conducirá a nuestras colonias del Sur; y estad tranquila, os uniré un compañero que os levantará la tapa de los sesos a la primera tentativa que arriesguéis por volver a Inglaterra, o al continente.

Milady escuchaba con una atención que dilataba sus ojos llenos de llamas.

-Sí, pero hasta entonces - continuó lord de Winter - permaneceréis en este castillo: los muros son espesos, las puertas son fuertes, los barrotes son sólidos; además, vuestra ventana da a pico sobre el mar; los hombres de mi séquito, que me son fieles en la vida y en la muerte, montan guardia en torno a esta habitación, y vigilan todos los pasajes que conducen al patio; y llegada al patio, os quedarían aún tres verjas que atravesar. La consigna es precisa: un paso, un gesto, una palabra que simule una evasión, y dispararán sobre vos; si os matan, la justicia inglesa tendrá, como espero, alguna obligación conmigo por haberle ahorrado la tarea. ¡Ah! Vuestros trazos recuperan la calma, vuestro rostro reencuentra su seguridad. Quince días, veinte días, decís, ¡bah! ; de aquí a entonces, tengo el genio inventivo, me vendrá alguna idea; tengo el espíritu infernal y encontraré alguna víctima. De aquí a quince días, os decís, estaré fuera de aquí. ¡Ah, ah! Intentadio.

Viéndose adivinada, Milady se hundió las uñas en la carne para domar todo movimiento que pudiera dar a su fisonomía una significación cualquiera distinta a la de la angustia.

Lord de Winter continuó:

-El oficial que manda aquí en mi ausencia - ya lo habéis visto y lo conocéis - sabe, como veis, observar una consigna, porque, os conozco, vos no habéis venido desde Portsmouth aquí sin haber tratado de hablarle. ¿Qué decís a eso? ¿Habría sido más impasible y muda una estatua de mármol? Habéis ensayado ya el poder de vuestras seducciones sobre muchos hombres, y desgraciadamente habéis triunfado siempre; pero ensayadlo con éste, diantre; si lo conseguís, os declaro el mismo demonio.

Fue hacia la puerta y la abrió bruscamente.

-¡Qué llamen al señor Felton! - dijo-. Esperad un instante, voy a recomendaros a él.

Entre los dos personajes se hizo un silencio extraño, durante el cual se oyó el ruido de un paso lento y regular que se acercaba; al punto, en la sombra del corredor se vio dibujarse una forma humana, y el joven teniente con el que ya hemos trabado conocimiento se detuvo en el umbral, esperando las órdenes del barón.

-Entrad, mi querido John - dijo lord de Winter-, entrad y cerrad la puerta.

El joven oficial entró.

-Ahora - dijo el barón-, mirad a esta mujer: es joven, es bella, tiene todas las seducciones de la tierra; pues bien, es un monstruo que a sus veinticinco años se ha hecho culpable de tantos crímenes como podáis leer en un año en los archivos de nuestros tribunales; su voz habla en su favor, su belleza sirve de cebo a las víctimas, su cuerpo mismo paga lo que ha prometido, es justicia que hay que hacerle; tratará de seduciros, quizá intente incluso mataros. Yo os he sacado de la miseria, Felton, os he hecho nombrar teniente, os he salvado la vida una vez, ya sabéis en qué ocasión; soy para vos no sólo un protector, sino un amigo; no sólo un bienhechor, sino un padre; esta mujer ha vuelto a Inglaterra a fin de conspirar contra mi vida; tengo a esta serpiente entre mis manos; pues bien, os hago llamar y os digo: amigo Felton, John, hijo mío, guárdame y sobre todo guárdate de esta mujer; jura por tu salvación que la conservarás para el castigo que ha merecido. John Felton, me fío de tu palabra; John Felton, creo en tu lealtad.

-Milord - dijo el joven oficial, cargando su mirada pura de todo el odio que pudo encontrar en su corazón-, milord, os juro que se hará como deseáis.

Milady recibió aquella mirada como víctima resignada: era imposible ver una expresión más sumisa y más dulce de la que reinaba entonces sobre su hermoso rostro. Apenas si el propio lord de Winter reconoció a la tigresa que un momento antes él se aprestaba a combatir.

-No saldrá jamás de esta habitación, ¿entendéis, John? - continuó el barón-. No se carteará con nadie, no hablará más que con vos, si es que tenéis a bien hacerle el honor de dirigirle la palabra.

-Basta, milord, he jurado.

-Y ahora, señora, tratad de hacer la paz con Dios, porque estáis juzgada por los hombres.

Milady dejó caer su cabeza como si se hubiera sentido aplastada por este juicio. Lord de Winter salió haciendo un gesto a Felton, que salió tras él y cerró la puerta.

Un instante después se oía en el corredor el paso pesado de un soldado de marina que hacía de centinela, el hacha a la cintura y el mosquete en la mano.

Milady permaneció durante algunos minutos en la misma posición, porque pensó que se la vigilaba por la cerradura; luego, lentamente, alzó su cabeza, que había recuperado una expresión formidable de amenaza y desafío, corrió a escuchar a la puerta, miró por la ventana y volviendo a enterrarse en un amplio sillón, pensó.

Oficial

Entre tanto, el cardenal esperaba nuevas de Inglaterra, pero ninguna nueva llegaba, ni siquiera enfadosa y amenazadora.

Aunque La Rochelle estuviera bloqueada, por cierto que pudiera parecer el éxito gracias a las precauciones tomadas y sobre todo al dique que no dejaba ya penetrar ningún barco en la ciudad asediada, sin embargo el bloqueo podia durar mucho tiempo todavía; y era una gran afrenta para las armas del rey y una gran molestia para el señor cardenal, que ya no tenía, por cierto, que malquistar a Luis XIII con Ana de Austria, ya estaba hecho, sino conciliar al señor de Bassompierre, que estaba malquistado con el duque de Angulema.

En cuanto a Monsieur, que había comenzado el asedio, dejaba al cardenal el cuidado de acabarlo.

La ciudad, pese a la increíble perseverancia de su alcalde, había intentado una especie de motín para rendirse; el alcalde había hecho colgar a los amotinados. Esta ejecución calmó a las peores cabezas, que entonces se decidieron a dejarse morir de hambre. Esta muerte les parecía siempre más lenta y menos segura que morir por estrangulamiento.

Por su parte, de vez en cuando, los sitiadores cogían mensajeros que los rochelleses enviaban a Buckingham, o espías que Buckingham enviaba a los rochelleses. En uno y otro caso el proceso se hacía deprisa. El señor cardenal decía esta sola palabra: ¡Colgadlo! Se invitaba al rey a ver el ahorcamiento. El rey venía lánguidamente, se ponía en primera fila para ver la operación en todos sus detalles: esto le distraía siempre algo y le hacía tomar el asedio con paciencia, pero no le impedía aburrirse mucho ni hablar en todo momento de volver a Paris, de suerte que, si hubieran faltado mensajeros y espías, Su Eminencia, a pesar de toda su imaginación, se habría encontrado en muchos apuros.

No obstante el paso del tiempo, los rochelleses no se rendían: el último espía que se había cogido era portador de una carta. Esta carta decía a Buckingham que la ciudad estaba en las últimas; pero en lugar de añadir: «Si vuestro socorro no llega antes de quince días, nos rendiremos», añadía siempre: «Si vuestro socorro no llega antes de quince días, habremos muerto todos de hambre cuando llegue».

Los rochelleses no tenían, pues, esperanza más que en Buckingham. Buckingham era su Mesías. Era evidente que si un día se enteraban con certeza de que no había que contar ya con Buckingham, con la esperanza caería su valor.

El cardenal esperaba, por tanto, con gran impaciencia las nuevas de Inglaterra que debían anunciar que Buckingham no vendría.

El tema de apoderarse de la ciudad a viva fuerza, debatido con frecuencia en el consejo real, había sido descartado siempre; en primer lugar, La Rochelle parecía inconquistable, pues el cardenal, dijera lo que dijera, sabía de sobra que el horror de la sangre derramada en este encuentro, en que franceses debían combatir contra franceses, era un movimiento retrógrado de sesenta años impreso en la política, y el cardenal era en aquella época lo que hoy se denomina un hombre de progreso. En efecto, el saco de La Rochelle, el asesinato de tres mil o cuatro mil hugonotes que se habrían hecho matar se parecía demasiado, en 1628, a la matanza de San Bartolomé en 1572; y, además, por encima de todo esto, este medio extremo, que nada repugnaba al rey, buen católico, venía a estrellarse siempre contra este argumento de los generales sitiadores: La Rochelle era inconquistable de otro modo que por el hambre.

El cardenal no podia apartar de su espíritu el temor en que le arrojaba su terrible emisaria, porque también él había comprendido las proposiciones extrañas de esta mujer, tan pronto serpiente como león. ¿Lo había traicionado? ¿Estaba muerta? En cualquier caso la conocía lo bastante como para saber que actuando a su favor o contra él, amiga o enemiga, ella no permanecía inmóvil sin grandes impedimentos. Esto era lo que no podía saber.

Por lo demás, contaba, y con razón, con Milady: había adivinado en el pasado de esta mujer esas cosas terribles que sólo su capa roja podía cubrir; y sentía que por una causa o por otra, esta mujer le era adicta, al no poder encontrar sino en él un apoyo superior al peligro que la amenazaba.

Resolvió, por tanto, hacer la guerra completamente solo y no esperar cualquier éxito extraño más que como se espera una suerte afortunada. Continuó haciendo elevar el famoso dique que debía hacer padecer hambre a La Rochelle; mientras tanto, puso los ojos sobre aquella desgraciada ciudad que encerraba tanta miseria profunda y tantas virtudes heroicas y, acordándose de la frase de Luis XI, su predecesor politico como él era predecesor de Robespierre, murmuró esta máxima del compadre de Tristán: «Dividir para reinar.

» Enrique IV, al asediar Paris, hacía arrojar por encima de las murallas pan y víveres; el cardenal hizo arrojar pequeños billetes en los que manifestaba a los rochelleses cuán injusta, egoísta y bárbara era la conducta de sus jefes; estos jefes tenían trigo en abundancia, y no lo compartían; adoptaban la máxima, porque también ellos tenían máximas, de que poco importaba que las mujeres, los niños y los viejos muriesen, con tal que los hombres que debían defender sus murallas siguiesen fuertes y con buena salud. Hasta entonces, bien por adhesión, bien por impotencia para reaccionar contra ella, esta máxima, sin ser generalmene adoptada, pasaba, sin embargo, de la teoría a la práctica; pero los billetes vinieron a atentar contra ella. Los billetes recordaban a los hombres que aquellos hijos, aquellas mujeres, aquellos viejos a los que se dejaba morir eran sus hijos, sus esposas y sus padres; que sería más justo que todos fueran reducidos a la miseria común, a fin de que una misma posición hiciera adoptar resoluciones unánimes.

Estos billetes causaron todo el efecto que podia esperar quien los había escrito, dado que decidieron a un gran número de habitantes a iniciar negociaciones particulares con el ejército real.

Pero en el momento en que el cardenal veía fructificar ya su medio y se aplaudía por haberlo puesto en práctica, un habitante de La Rochelle, que había podido pasar a través de las líneas reales, Dios sabe cómo, pues tanta era la vigilancia de Bossompierre, de Schomberg y del duque de Angulema, vigilados ellos mismos por el cardenal, un habitante de La Rochelle, decíamos, entró en la ciudad procedente de Porstmouth y diciendo que había visto una flota magnífica dispuesta a hacerse a la vela antes de ocho días. Además, Buckingham anunciaba al alcalde que por fin iba a declararse la gran lucha contra Francia, y que el reino iba a ser invadido a la vez por los ejércitos ingleses, imperiales y españoles. Esta carta fue leída públicamente en todas las plazas, se pegaron copias en las esquinas de las calles y los mismos que habían comenzado a iniciar las negociaciones las interrumpieron, resueltos a esperar este socorro tan pomposamente anunciado.

Esta circunstancia inesperada devolvió a Richelieu sus inquietudes primeras, y lo forzó a pesar suyo a volver nuevamente los ojos hacia el otro lado del mar.

Durante este tiempo, libre de las inquietudes de su único y verdadero jefe, el ejército real llevaba una existencia alegre; los víveres no faltaban en el campamento, ni tampoco el dinero; todos los cuerpos rivalizaban en audacia y alegría. Coger espías y colgarlos, hacer expediciones audaces sobre el dique o por el mar, imaginar locuras, ponerlas en práctica, tal era el pasatiempo que hacía encontrar cortos al ejército aquellos días tan largos no sólo para los rochelleses roídos por el hambre y la ansiedad, sino incluso por el cardenal que los bloqueaba con tanto ardor.

A veces, cuando el cardenal, siempre cabalgando como el último gendarme del ejército, paseaba su mirada pensativa sobre las obras, tan lentas a gusto de su deseo, que alzaban por orden suya los ingenieros que había hecho venir de todos los rincones de Francia, encontraba algún mosquetero de la compañía de Tréville, se acercaba a él, lo miraba de forma singular y al no reconocerlo por uno de nuestros compañeros, dejaba it hacia otra parte su mirada profunda y su vasto pensamiento.

Cierto día en que, roído por un hastío mortal, sin esperanza en las negociaciones con la ciudad, sin nuevas de Inglaterra, el cardenal había salido sin más objeto que salir, acompañado solamente de Cahusac y de La Houdinière, costeando las playas arenosas y mezclando la inmensidad de sus sueños a la inmensidad del océano, llegó al paso de su caballo a una colina desde cuya altura percibió detrás de un seto, tumbados sobre la arena y tomando de paso uno de esos rayos de sol tan raros en esa época del año, a siete hombres rodeados de botellas vacías. Cuatro de esos hombres eran nuestros mosqueteros disponiéndose a escuchar la lectura de una carta que uno de ellos acababa de recibir. Esta carta era tan importante que había hecho abandonar sobre un tambor cartas y dados.

Los otros tres se ocupaban en destapar una damajuana de vino de Collioure; eran los lacayos de aquellos señores.

Como hemos dicho, el cardenal estaba de sombrío humor, y nada, cuando se encontraba en esa situación de espíritu, redoblaba tanto su desabrimiento como la alegría de los demás. Por otro lado, tenía una preocupación extraña: era creer que las causas mismas de su tristeza excitaban la alegría de los extraños. Haciendo seña a La Houdinière y a Cahusac de detenerse, descendió de su caballo y se aproximó a aquellos reidores sospechosos, esperando que con la ayuda de la arena que apagaba sus pasos, y del seto que ocultaba su marcha, podría oír algunas palabras de aquella conversación que tan interesante parecía; a diez pasos del seto solamente reconoció el parloteo gascón de D'Artagnan, y como ya sabía que aquellos hombres eran mosqueteros, no dudó que los otros tres fueran aquellos que llamaban los inseparables, es decir, Athos, Porthos y Aramis.

Júzguese si su deseo de oír la conversación aumentó con este descubrimiento; sus ojos adoptaron una expresión extraña, y con paso de ocelote avanzó hacia el seto; pero aún no había podido coger más que sílabas vagas y sin ningún sentido positivo cuando un grito sonoro y breve lo hizo estremecerse y atrajo la atención de los mosqueteros.

-¡Oficial! - gritó Grimaud.

-Habláis en mi opinión de forma rara - dijo Athos alzándose sobre un codo y fascinando a Grimaud con su mirada resplandeciente.

Por eso Grimaud no añadió ni una palabra, contentándose con tener el dedo índice en la dirección del seto y denunciando con este gesto al cardenal y a su escolta.

De un solo salto los cuatro mosqueteros estuvieron en pie y saludaron con respeto.

El cardenal parecía furioso.

-Parece que los señores mosqueteros se hacen cuidar - dijo-. ¿Acaso vienen los ingleses por tierra? ¿O no será que los mosqueteros se consideran oficiales superiores?

-Monseñor - respondió Athos, porque en medio del terror general sólo él había conservado aquella calma y aquella sangre fría de gran señor que no lo abandonaban nunca-, Monseñor, los mosqueteros, cuando no están de servicio o cuando su servicio ha terminado, beben y juegan a los dados, y son oficiales muy superiores para sus lacayos.

-¡Lacayos! - masculló el cardenal-. Lacayos que tienen la orden de advertir a sus amos cuando pasa alguien no son lacayos, son centinelas.

-Su Eminencia ve, sin embargo, que si no hubiéramos tomado esta precaución, nos habríamos expuesto a dejarle pasar sin presentarle nuestros respetos y ofrecerle nuestra gratitud por la gracia que nos ha hecho de reunirnos. D'Artagnan - continuó Athos-, vos que hace un momento pedíais esta ocasión de expresar vuestra gratitud a Monseñor, hela aquí, aprovechadla.

Estas palabras fueron pronunciadas con aquella flema imperturbable que distinguía a Athos en las horas de peligro, y con aquella excesiva cortesía que hacía de él en ciertos momentos un rey más majestuoso que los reyes de nacimiento.

D'Artagnan se acercó y balbuceó algunas palabras de gratitud, que pronto expiraron bajo la mirada ensombrecida del cardenal.

-No importa, señores - continuó el cardenal, al parecer por nada del mundo apartado de su intención primera por el incidente que Athos había suscitado ; no importa, señores, no me gusta que simples soldados, porque tienen la ventaja de servir en un cuerpo privilegiado, hagan de esta forma los grandes señores, y la disciplina es la misma para ellos que para todo el mundo.

Athos dejó al cardenal acabar completamente su frase e, inclinándose en señal de asentimiento, replicó a su vez: -La disciplina, Monseñor, no ha sido olvidada por nosotros de ninguna manera, eso espero al menos. No estamos de servicio y hemos creído que al no estar de servicio podíamos disponer de nuestro tiempo como bien nos pareciera. Si somos lo bastante afortunados para que Su Eminencia tenga alguna orden particular que darnos, estamos dispuestos a obedecerle. Monseñor ve - continuó Athos frunciendo el ceño porque aquella especie de interrogatorio comenzaba a impacientarlo- que, para estar dispuestos a la menor alerta, hemos salido con nuestras armas.

Y señaló con el dedo al cardenal los cuatro mosquetes en haz junto al tambor sobre el que estaban las camas y los dados.

-Tenga a bien Vuestra Eminencia creer - añadió D'Amagnan- que nos habríamos dirigido a su encuentro si hubiéramos podido suponer que era ella la que venía hacia nosotros con tan pequeña compañía.

El cardenal se mordió los mostachos y un poco los labios.

-¿Sabéis de qué tenéis aire, siempre juntos, como aquí ahora, armados como estáis, y guardados por vuestros lacayos? - dijo el cardenal-. Tenéis aire de cuatro conspiradores.

-¡Oh! En cuanto a eso, Monseñor, es cierto - dijo Athos-, y nosotros conspiramos, como Vuestra Eminencia pudo ver la otra mañana, sólo que contra los rochelleses.

-¡Vaya con los señores politicos! - prosiguió el cardenal frunciendo a su vez el ceño-. Quizá se encontraría en vuestros cerebros el secreto de muchas cosas que son ignoradas si se pudiera leer en ellos como leéis en esa cama que habéis ocultado cuando me habéis visto venir.

El rubor subió al rostro de Athos, que dio un paso hacia Su Eminencia.

-Se diría que sospecháis de nosotros verdaderamente, Monseñor, y que estamos sufriendo un auténtico interrogatorio; si es así, dígnese - Vuestra Eminencia explicarse, y por lo menos sabremos a qué atenernos.

-Y aunque esto fuera un interrogatorio - replicó el cardenal-, otros distintos a vosotros los han sufrido, señor Athos, y han respondido.

-Por eso, Monseñor, he dicho a Vuestra Eminencia que no tenía más que preguntar, y que nosotros estábamos prestos para responder.

-¿De quién era esa carta que íbais a leer, señor Aramis, y que vos habéis ocultado?

-Una carta de mujer, Monseñor.

-¡Oh! Lo supongo - dijo el cardenal ; hay que ser discreto para esa clase de cartas; sin embargo, se pueden mostrar a un confesor; como sabéis, he recibido las órdenes.

-Monseñor - dijo Athos con una calma tanto más terrible cuanto que se jugaba la cabeza al dar esta respuesta-, la carta es de una mujer, pero no está firmada ni Marion de Lorme, ni señorita D'Aiguillon.

El cardenal se volvió pálido como la muerte, un destello leonado salió de sus ojos; se volvió como para dar una orden a Cahusac y a La Houdiniére. Athos vio el movimiento: dio un páso hacia los mosqueteros, sobre los que los tres amigos tenían fijos los ojos como hombres poco dispuestos a dejarse detener. Con el cardenal eran tres; los mosqueteros, comprendidos los lacayos, eran siete; juzgó que la pamida sería muy desigual, que Athos y sus compañeros conspiraban realmente; y mediante uno de esos giros rápidos que siempre tenía a su disposición, toda su cólera se fundió en una sonrisa.

-¡Vamos, vamos! - dijo-. Sois jóvenes valientes, orgullosos a plena luz, fieles en la oscuridad; no hay mal alguno en vigilar sobre uno mismo cuando se vigila tan bien sobre los demás; señores, no he olvidado la noche en que me servisteis de escolta para it al Colombier-Rouge; si hubiera algún peligro que temer en la ruta que voy a seguir os rogaría que me acompañaseis; pero como no lo hay, permaneced donde estáis, acabad vuestras botellas, vuestra partida y vuestra carta. Adiós, señores.

Y volviendo a montar en su caballo, que Cahusac le había traído, los saludó con la mano y se alejó.

Los cuatro jóvenes, de pie a inmóviles, lo siguieron con los ojos sin decir una sola palabra hasta que hubo desaparecido.

Luego se miraron.

Todos tenían el rostro consternado, porque pese al adiós amistoso de Su Eminencia comprendían que el cardenal se iba con la rabia en el corazón.

Sólo Athos sonreía con sonrisa potente y desdeñosa. Cuando el cardenal estuvo fuera del alcance de la voz y de la vista: -¡Ese Grimaud ha gritado muy tarde! - dijo Porthos, que tenia muchas ganas de hacer caer su mal humor sobre alguien.

Grimaud iba a responder para excusarse. Athos alzó el dedo y Grimaud se calló.

-¿Habrías entregado la carta, Aramis? - dijo D'Artagnan.

-Estaba totalmente resuelto - dijo Aramis con su voz más aflautada : si hubiera exigido que le fuera entregada la carta, le habría presentado la carta con una mano, y con la otra le habría pasado mi espada a través del cuerpo.

-Eso me esperaba - dijo Athos ; por eso me he lanzado entre vos y él. En verdad, ese hombre es muy imprudente al hablar así a otros hombres; se diría que no se las ha visto más que con mujeres y niños.

-Mi querido Athos - dijo D'Artagnan-, os admiro, pero después de todo estábamos en culpa.

-¿Cómo en culpa? - prosiguió Athos-. ¿De quién es este aire que respiramos? ¿De quién este océano sobre el que se extiende nuestras miradas? ¿De quién esta arena sobre la que estamos tumbados? ¿De quién esta carta de vuestra amante? ¿Son del cardenal? A fe mía que ese hombre se figura que el mundo le pertenece; estáis ahí, balbuceante, estupefacto, aniquilado; se hubiera dicho que la Bastilla se alzaba ante vos y que la gigantesca Medusa os convertía en piedra. Veamos, ¿es que acaso es conspirar estar enamorado? Vois estáis enamorado de una mujer a la que el cardenal ha hecho encerrar, queréis apartarla de las manos del cardenal; es una partida que jugáis con Su Eminencia: esa carta es vuestro juego; ¿por qué ibais a mostrar vuestro juego a vuestro adversario? Eso no se hace. ¿Que él lo adivina? En buena hora. Nosotros adivinamos el suyo de sobra.

-De hecho - dijo D'Artagnan-, lo que vos decís, Athos, está lleno de sentido.

-En tal caso, que no vuelva a tratarse de lo que acaba de ocurrir, y que Aramis prosiga la carta de su prima donde el señor cardenal le ha interrumpido.

Aramis sacó la carta de su bolso, los tres amigos se acercaron a él y los tres lacayos se reunieron de nuevo junto a la damajuana.

-No habíais leido más que una o dos líneas - dijo D'Artagnan ; empezad, pues, la carta desde el principio.

-Encantado - dijo Aramis.

«Querido primo, creo que me decidiré a partir para Stenay, donde mi hermana ha hecho entrar a nuestra pequeña criada en el convento de las Carmelitas; esa pobre muchacha está resignada, sabe que no se puede vivir en ninguna otra parte sin que esté en peligro la salvación de su alma. Sin embargo, si los asuntos de nuestra familia se arreglan como nosotros deseamos, creo que ella correrá el riesgo de condenarse, y que volverá junto a aquellos a los que echa de menos, tanto más cuanto que sabe que se piensa siempre en ella. Mientras tanto, no es damasiado desdichada: todo cuanto desea es una carta de su pretendiente. Sé de sobra que esa clase de géneros pasa difícilmente por entre las verjas; mas, después de todo, como ya os he dado pruebas de ello, querido primo, no soy demasiado torpe y me haré cargo de esa comisión. Mi hermana os agradece vuestro recuerdo fiel y eterno. Ha sentido por un instante una gran inquietud; mas, finalmente, se ha tranquilizado algo ahora, tras haber enviado a su agente allá a fin de que nada imprevisto ocurra.

Adiós, mi querido primo, dadnos nuevas de vos con la mayor frecuencia que podáis, es decir, cuantas veces creáis poder hacerlo con seguridad. Recibid un abrazo.

Marie Michon.

»

-¡Cuánto os debo, Aramis! - exclamó D'Artagnan-. ¡Querida Costance! ¡Por fin tengo nuevas suyas! ¡Vive, está a buen seguro en un convento, está en Stenay! ¿Dónde pensáis que está Stenay, Athos? -A algunas leguas de las fronteras; una vez levantado el asedio, podremos it a dar una vuelta por ese lado.

-Y esperemos que no sea muy tarde - dijo Porthos ; esta mañana han colgado a un espía que ha declarado que los rochelleses estaban con los cueros de sus zapatos. Suponiendo que tras haber comido el cuero se coman la suela, no sé qué les quedará para después, a menos que se coman unos a otros.

-¡Pobres imbéciles! - dijo Athos vaciando un vaso de excelente vino de Burdeos, que sin tener en aquella época la reputación que tiene hoy, no por eso la merecía menos-. ¡Pobres imbéciles! ¡Como si la religión católica no fuera la más ventajosa y agradable de las religiones! Da igual - prosiguió tras haber hecho chascar su lengua contra el paladar-, son gentes valientes. Mas ¿qué diablos hacéis, Aramis? - continuó Athos-. ¿Guardáis esa carta en vuestro bolsillo?

-Sí - dijo D'Artagnan-, Athos tiene razón, hay que quemarla.

Quién sabe si el señor cardenal no tiene un secreto para interrogar a las cenizas...

-Debe tener uno - dijo Athos.

-Pero ¿qué queréis hacer con esa carta? - preguntó Porthos.

-Venid aquí, Grimaud - dijo Athos.

Grimaud se levantó y obedeció.

-Para castigaros por haber hablado sin permiso, amigo mío, vais a comer este trozo de papel; luego, para recompensar el servicio que nos habéis hecho, beberéis este vaso de vino; aquí tenéis la carta primero, masticad con energía.

Grimaud sonrió y con los ojos fijos sobre el vaso que Athos acababa de llenar hasta el borde, trituró el papel y lo tragó.

-¡Bravo, maese Grimaud! - dijo Athos-. Y ahora tomad esto; bien, os dispenso de dar las gracias.

Grimaud tragó silenciosamente el vaso de vino de Burdeos, pero sus ojos alzados al cielo hablaban durante todo el tiempo que duró esta dulce ocupación un lenguaje que no por ser mudo era menos expresivo.

-Y ahora - dijo Athos-, a menos que el señor cardenal tenga la ingeniosa idea de hacer abrir el vientre de Grimaud, creo que podemos estar casi tranquilos.

Durante este tiempo Su Eminencia continuaba su paseo melancólico murmurando entre sus mostachos.

-¡Decididamente es preciso que estos cuatro hombres sean míos!

Primera jornada de cautividad

Volvamos a Milady, a la que una mirada lanzada sobre las costas de Francia nos ha hecho perder la vista un instante.

La volvemos a encontrar en la posición desesperada en que lo hemos dejado, ahondando un abismo de sombrías reflexiones, sombrío infierno a cuya puerta ha dejado casi la esperanza; porque por primera vez duda, porque por vez primera siente miedo.

En dos ocasiones le ha fallado su fortuna, en dos ocasiones se ha visto descubierta y traicionada, y en estas dos ocasiones ha sido contra el genio fatal enviado sin duda por el Señor para combatirla contra lo que ha fracasado: D'Artagnan la ha vencido a ella, esa invencible potencia del mal.

El la ha engañado en su amor, humillado en su orgullo, hecho fracasar en su ambición, y ahora la pierde en su fortuna, la golpea en su libertad, la amenaza incluso en su vida. Es más, ha alzado una punta de su mascara, esa égida con que ella se cubre y que la vuelve tan fuerte.

D'Artagnan ha alejado de Buckingham, a quien ella odia como odia a todo cuanto ha amado, la tempestad con que lo amenazaba Richelieu en la persona de la reina. D'Artagnan se ha hecho pasar por de Wardes, hacia quien ella sentía una de esas fantasias de tigresa, indomables como las tienen las mujeres de ese carácter. D'Artagnan conocía ese terrible secreto que ella juró que nadie conocería sin morir. Finalmente, en el momento en que acaba de obtener una firma en blanco con cuya ayuda iba a vengarse de su enemigo, esa firma en blanco le es arrancada de las manos, y es D'Artagnan quien la tiene prisionera y quien va a enviarla a algún inmundo Botany Bay, a algún Tyburn infame del océano Indico.

Porque indudablemente todo esto le viene de D'Artagnan; ¿de quién procederían tantas vergüenzas amontonadas sobre su cabeza si no es de él? Sólo él ha podido transmitir a lord de Winter todos esos horrendos secretos, que él ha descubierto uno tras otro por una especie de fatalidad. Conoce a su cuñado, le habrá escrito.

¡Cuánto odio destila! Allí inmóvil, con los ojos ardientes y fijos en su cuarto desierto, ¡cómo los destellos de sus rugidos sordos, que a veces escapan con su respiración del fondo de su pecho, acompañan perfectamente el ruido del oleaje que asciende, gruñe, muge y viene a romperse, como una desesperación eterna a impotente, contra las rocas sobre las cuales está construido ese castillo sombrío y orgulloso! ¡Cómo concibe, a la luz de los rayos que su cólera tormentosa hace brillar en su espíritu, contra la señorita Bonacieux, contra Buckingham y, sobre todo, contra D'Artagnan, magníficos proyectos de venganza, perdidos en las lejanías del futuro!

Sí, pero para vengarse hay que ser libre, y para ser libre, cuando se está prisionero, hay que horadar un muro, desempotrar los barrotes, agujerear el suelo; empresas todas estas que puede llevar a cabo un hombre paciente y fuerte, pero ante las cuales deben fracasar las irritaciones febriles de una mujer. Por otra parte, para hacer todo esto hay que tener tiempo, meses, años, y ella..., ella tiene diez o doce días, según lo dicho por lord de Winter, su fraterno y terrible carcelero.

Y, sin embargo, si fuera hombre intentaría todo esto, y quizá triunfaría. ¿Por qué, pues, el cielo se ha equivocado de esta forma, poniendo esta alma viril en ese cuerpo endeble y delicado?

Por eso han sido terribles los primeros momentos de cautividad: algunas convulsiones de rabia que no ha podido vencer han pagado su deuda de debilidad femenina a la naturaleza. Pero poco a poco ha superado los relámpagos de su loca cólera, los estremecimientos nerviosos que han agitado su cuerpo han desaparecido, y ahora está replegada sobre sí misma como una serpiente fatigada que reposa.

-Vamos, vamos; estaba loca al dejarme llevar así - dice hundiendo en el espejo, que refleja en sus ojos su mirada brillante, por la que parece interrogarse a sí misma-. Nada de violencia, la violencia es una prueba de debilidad. En primer lugar, nunca he triunfado por ese medio; quizá si usara mi fuerza contra las mujeres, tendría oportunidad de encontralas más débiles aún que yo, y por consiguiente vencerlas, pero es contra hombres contra los que yo lucho, y no soy para ellos más que una mujer. Luchemos como mujer, mi fuerza está en mi debilidad.

Entonces, como para rendirse a sí misma cuenta de los cambios que podía imponer a su fisonomía tan expresiva y tan móvil, la hizo adoptar a la vez todas las expresiones, desde la de la cólera que crispaba sus rasgos hasta la de la más dulce, afectuosa y seductora sonrisa. Luego sus cabellos adoptaron sucesivamente bajo sus manos sabias las ondulaciones que creyó que podían ayudar a los encantos de su rostro. Finalmente, satisfecha de sí misma, murmuró:

-Vamos, nada está perdido. Sigo siendo hermosa.

Eran, aproximadamente, las ocho de la noche; Milady vio una cama; pensó que un descanso de algunas horas refrescaria no sólo su cabeza y sus ideas, sino también su tez. Sin embargo, antes de acostarse, le vino una idea mejor. Había oído hablar de cena. Estaba ya desde hacía una hora en aquella habitación, no podían tardar en traerle su comida. La prisionera no quiso perder tiempo, y resolvió hacer, desde aquella misma noche, alguna tentativa para sondear el terreno estudiando el carácter de las personas a las que su custodia estaba confiada.

Una luz apareció por debajo de la puerta; aquella luz anunciaba el regreso de sus carceleros. Milady, que se había levantado, se lanzó vivamente sobre su sillón, la cabeza echada hacia atrás, sus hermosos cabellos sueltos y esparcidos, su pecho medio desnudo bajo sus encajes chafados, una mano sobre el corazón y la otra colgando.

Descorrieron los cerrojos, la puerta chirrió sobre sus goznes, y en la habitación resonaron unos pasos que se aproximaron.

-Poned ahí esa mesa - dijo una voz que la prisionera reconoció como la de Felton.

La orden fue ejecutada.

-Traeréis antorchas y haréis el relevo del centinela - continuó Felton.

Esta doble orden que dio a los mismos individuos el joven teniente probó a Milady que sus servidores eran los mismos hombres que sus guardianes, es decir soldados.

Las órdenes de Felton eran ejecutadas por los demás con una silenciosa rapidez que daba buena idea del floreciente estado en que mantenía la disciplina.

Finalmente, Felton, que aún no había mirado a Milady, se volvió hacia ella.

-¡Ah, ah! - dijo-. Duerme, está bien; cuando se despierte cenará.

Y dio algunos pasos para salir.

-Pero, mi teniente - dijo un soldado menos estoico que su jefe, y que se había acercado a Milady-, esta mujer no duerme.

-¿Cómo que no duerme? - dijo Felton-. ¿Entonces, qué hace?

-Está desvanecida; su rostro está muy pálido, y por más que escucho no oigo su respiración.

-Tenéis razón - dijo Felton tras haber mirado a Milady desde el lugar en que se encontraba, sin dar un paso hacia ella ; id a avisar a lord de Winter que su prisionera está desvanecida porque no sé qué hacer: el caso no estaba previsto.

El soldado salió para cumplir las órdenes de su oficial: Felton se sentó en un sillón que por azar se encontraba junto a la puerta y esperó sin decir una palabra, sin hacer un gesto. Milady poseía ese gran arte, tan estudiado por las mujeres, de ver a través de sus largas pestañas sin dar la impresión de abrir los párpados: vislumbró a Felton que le daba la espalda, continuó mirándolo durante diez minutos aproximadamente, y durante esos diez minutos el impasible guardián no se volvió ni una sola vez.

Pensó entonces que lord de Winter iba a venir a dar, con su presencia, nueva fuerza a su carcelero: su primera prueba estaba perdida, adoptó su partido como mujer que cuenta con sus recursos; en consecuencia, alzó la cabeza, abrió los ojos y suspiró débilmente.

A este suspiro Felton se volvió por fin.

-¡Ah! Ya habéis despertado señora - dijo ; nada tengo que hacer ya aquí. Si necesitáis algo, llamad.

-¡Oh, Dios mío, Dios mío! ¡Cuánto he sufrido! - murmuró con aquella voz armoniosa que, semejante a la de las encantadoras antiguas, encantaba a todos a quienes quería perder.

Y al enderezarse en su sillón adoptó una posición más graciosa y más abandonada aún que la que tenía cuando estaba tumbada.

Felton se levantó.

-Seréis servida de este modo tres veces al día, señora - dijo : por la mañana, a las nueve; durante el día, a la una, y por la noche, a las ocho. Si no os va bien, podéis indicar vuestras horas en lugar de las que os propongo, y en este punto obraremos conforme a vuestros deseos.

-Pero ¿voy a quedarme siempre sola en esta habitación grande y triste? - preguntó Milady.

-Se ha avisado a una mujer de los alrededores, mañana estará en el castillo, y vendrá siempre que deseéis su presencia.

-Os lo agradezco, señor - respondió humildemente la prisionera.

Felton hizo un leve saludo y se dirigió hacia la puerta. En el momento en que iba a franquear el umbral lord de Winter apareció en el corredor, seguido del soldado que había ido a llavarle la nueva del desvanecimiento de Milady. Traía en la mano un frasco de sales.

-¿Y bien? ¿Qué es? ¿Qué es lo que pasa aquî? - dijo con una voz burlona viendo a su prisionera de pie y a Felton dispuesto a salir-. ¿Esta muerta ha resucitado ya? Demonios, Felton, hijo mío, ¿no has visto que te tomaba por un novicio y que representaba para ti el primer acto de una comedia cuyos desarrollos tendremos sin duda el placer de seguir?

-Lo he pensado, milord - dijo Felton ; pero como la prisionera es mujer después de todo, he querido tener los miramientos que todo hombre bien nacido debe a una mujer, si no por ella, al menos por uno mismo.

Milady sintió un estremecimiento por todo su cuerpo. Estas palabras de Felton pasaban como hielo por todas sus venas.

-O sea - prosiguió de Winter riendo-, esos hermosos cabellos sabiamente esparcidos, esa piel blanca y esa lánguida mirada, ¿no te han seducido aún, corazón de piedra?

-No, milord - respondió el impasible joven-, y creedme, se necesita algo más que tejemanejes y coqueterías de mujer para corromperme.

-En tal caso, mi bravo teniente, dejemos a Milady buscar otra cosa y vayamos a cenar. ¡Ah!, tranquilízate, tiene la imaginación fecunda, y el segundo acto de la comedia no tardará en seguir al primero.

Y a estas palabras lord de Winter pasó su brazo bajo el de Felton y se lo llevó riendo.

-¡Oh! Ya encontraré lo que necesitas - murmuró Milady entre dientes ; estáte tranquilo pobre monje frustrado, pobre soldado convertido, que te has cortado el uniforme de un hábito.

-A propósito - prosiguió de Winter deteniéndose en el umbral de la puerta-, no es preciso, Milady, que este fracaso os quite el apetito. Catad ese pollo y ese pescado que no he hecho envenenar, palabra de honor. Me llevo bastante bien con mi cocinero, y como no tiene que heredar de mí, tengo en él plena y total confianza. Haced como yo. ¡Adiós, querida hermana! Hasta vuestro próximo desvanecimiento.

Era cuanto Milady podía soportar: sus manos se crisparon sobre su sillón, sus dientes rechinaron sordamente, sus ojos siguieron el movimiento de la puerta que se cerró tras lord de Winter y Felton; y cuando se vio sola, una nueva crisis de desesperación se apoderó de ella; lanzó los ojos sobre la mesa, vio brillar un cuchillo, se abalanzó y lo cogió; pero su desengaño fue cruel: la hoja era redonda y de plata flexible.

Una carcajada resonó tras la puerta mal cerrada, y la puerta volvió a abrirse.

-¡Ja, ja! - exclamó lord de Winter-. ¡Ja, ja, ja! ¿Ves, mi valiente Felton, ves lo que te había dicho? Ese cuchillo era para ti; hijo mío, te habría matado. ¿Ves? Es uno de sus defectos, desembarazarse así, de una forma o de otra, de las personas que la molestan. Si te hubiera escuchado, el cuchillo habría sido puntiagudo y de acero: entonces se acabó Felton, te habría degollado y después de ti a todo el mundo. Mira, además, John, qué bien sabe empuñar su cuchillo.

En efecto, Milady empuñaba aún el arma ofensiva en su mano crispada, pero estas últimas palabras, este supremo insulto, destensaron sus manos, sus fuerzas y hasta su voluntad.

El cuchillo cayó a tierra.

-Tenéis razón, milord - dijo Felton con un acento de profundo disgusto que resonó hasta en el fondo del corazón de Milady-, tenéis razón y soy yo el que estaba equivocado.

Y los os salieron de nuevo.

Pero esta vez Milady prestó oído más atento que la primera vez, y oyó alejarse sus pasos y apagarse en el fondo del corredor.

-Estoy perdida - murmuró-, heme aquí en poder de gentes sobre las que no tendré más ascendiente que sobre estatuas de bronce o granito; me conocen de memoria y están acorazados contra todas mis armas. Es, sin embargo, imposible que esto termine como ellos han decidido.

En efecto, como indicaba esta última reflexión, ese retorno instintivo a la esperanza, en aquella alma profunda el temor y los sentimientos débiles no flotaban demasiado tiempo. Milady se sentó a la mesa, comió de varios platos, bebió un poco de vino español, y sintió que le volvía toda su resolución.

Antes de acostarse ya había comentado, analizado, mirado por todas su facetas, examinado desde todos los puntos de vista las palabras, los pasos, los gestos, los signos y hasta el silencio de sus carceleros, y de este estudio profundo, hábil y sabio, había resultado que Felton era, en conjunto, el más vulnerable de sus dos perseguidores.

Una frase sobre todo volvía a la mente prisionera:

-Si te hubiera escuchado - había dicho lord de Winter a Felton.

Por tanto, Felton había hablado en su favor, puesto que lord de Winter no había querido escuchar a Felton.

-Débil o fuerte - repetía Milady-, ese hombre tiene un destello de piedad en su alma; de ese destelló haré yo un incendio que lo devovará. En cuanto al otro, me conoce, me teme y sabe lo que tiene que esperar de mí si alguna vez me escapo de sus manos; es, pues, inútil intentar nada sobre él. Pero Felton es otra cosa: es un joven ingenuo, puro y que parece virtuoso; a éste hay un medio de perderlo.

Y Milady se acostó y se durmió con la sonrisa en los labios; quien la hubiera visto durmiendo la habría supuesto una muchacha soñando con la corona de flores que debía poner sobre su frente en la próxima fiesta.

Segunda jornada de cautividad

Milady soñaba que por fin tenía a D'Artagnan, que asistía a su suplicio, y era la vista de su sangre odiosa corriendo bajo el hacha del verdugo lo que dibujaba aquella encantadora sonrisa sobre sus labios.

Dormía como duerme un prisionero acunado por su primera esperanza.

Al día siguiente, cuando entraron en su cuarto, estaba todavía en su cama. Felton estaba en el corredor: traía la mujer de que había hablado la víspera y que acababa de llegar; esta mujer entró y se aproximó a la cama de Milady ofreciéndole sus servicios.

Milady era habitualmente pálida; su tez podia, pues, equivocar a una persona que la viera por primera vez.

-Tengo fiebre - dijo ella ; no he dormido un solo instante durante toda esta larga noche, sufro horriblemente; ¿seréis vos más humana de lo que fueron ayer conmigo?

-¿Queréis que llame a un médico? - dijo la mujer.

Felton escuchaba este diálogo sin decir una palabra.

Milady reflexionaba que cuanta más gente la rodease más gente tendría que apiadar y más se redoblaría la vigilancia de lord de Winter; además, el médico podría declarar que la enfermedad era fingida, y Milady, tras haber perdido la primera parte, no quería perder la segunda.

-Ir a buscar a un médico - dijo-, ¿para qué? Esos señores declararon ayer que mi mal era una comedia; sin duda ocurriría lo mismo hoy; porque desde ayer noche han tenido tiempo de avisar al doctor.

-Entonces - dijo Felton impacientado-, decid vos misma, señora, qué tratamiento queréis seguir.

-¿Lo sé yo acaso? ¡Dios mío! Siento que sufro, eso es todo; me den lo que me den, poco me importa.

-Id a buscar a lord de Winter - dijo Felton cansado de aquellas quejas eternas.

-¡Oh, no, no! - exclamó Milady-. No señor, no lo llaméis, os lo ruego; estoy bien, no necesito nada, no lo llaméis.

Puso una vehemencia tan prodigiosa, una elocuencia tan arrebatadora en esta exclamación, que Felton, arrobado, dio algunos pasos dentro de la habitación.

«Está emocionado», pensó Milady.

-Sin embargo, señora - dijo Felton-, si sufrís realmente se enviará a buscar un médico, y si nos engañáis, pues bien, entonces tanto peor para vos, pero al menos por nuestra parte no tendremos nada que reprocharnos.

Milady no respondió; pero echando hacia atrás su hermosa cabeza sobre la almohada, se fundió en lágrimas y estalló en sollozos.

Felton la miró un instante con su impasibilidad ordinaria; luego, como la crisis amenazaba con prolongarse, salió; la mujer lo siguió. Lord de Winter no apereció.

-Creo que empiezo a verlo claro - murmuró Milady con una alegría salvaje, sepultándose bajo las sábanas para ocultar a cuantos pudieran espiarle este arrebato de satisfacción interior.

Transcurrieron dos horas.

-Ahora es tiempo de que la enfermedad cese - dijo ; levantémonos y obtengamos algunos éxitos desde hoy; no tengo más que diez días, y esta noche se habrán pasado dos.

Al entrar por la mañana en la habitación de Milady, le habían traído su desayuno; y ella había pensado que no tardarían en venir a levantar la mesa, y que en ese momento volvería a ver a Felton.

Milady no se equivocaba. Felton reapareció y, sin prestar atención a si Milady había tocado o no la comida, hizo una señal para que se llevasen fuera de la habitación la mesa, que ordinariamente traían completamente servida.

Felton se quedó el último, tenía un libro en la mano.

Milady, tumbada en un sillón junto a la chimenea, hermosa, pálida y resignada, parecía una virgen santa esperando el martirio.

Felton se aproximó a ella y dijo:

-Lord de Winter, que es católico como vos, señora, ha pensado que la privación de los ritos y de las ceremonias de vuestra religión puede seros penosa: consiente, pues, en que leáis cada día el ordinario de vuestra misa, y este es un libro que contiene el ritual.

Ante la forma en que Felton depositó aquel libro sobre la mesita junto a la que estaba Milady, ante el tono con que pronunció estas dos palabras: vuestra misa, ante la sonrisa desdeñosa con que las acompañó, Milady alzó la cabeza y miró más atentamente al oficial.

Entonces, en aquel peinado severo, en aquel traje de una sencillez exagerada, en aquella frente pulida como el mármol, pero dura a impenetrable como él, reconoció a uno de esos sombríos puritanos que con tanta frecuencia había encontrado tanto en la corte del rey Jacobo como en la del rey de Francia, donde, pese al recuerdo de San Bartolomé, venían a veces a buscar refugio.

Tuvo, pues, una de esas inspiraciones súbitas como sólo las gentes de genio las reciben en las grandes crisis, en los momentos supremos que deben decidir su fortuna o su vida.

Estas dos palabras: vuestra misa, y una simple ojeada sobre Felton le habían revelado, en efecto, toda la importancia de la respuesta que iba a dar.

Pero con esa rapidez de inteligencia que le era peculiar, aquella respuesta se presentó completamente formulada a sus labios: -¡Yo! - dijo con un acento de desdén, puesto al unísono con aquel que había observado en la voz del joven oficial-, yo, señor, ¿mi misa? Lord de Winter, el católico corrompido, sabe bien que yo no soy de su religión, y que es una trampa que quiere tenderme.

-¿Y de qué religión sois entonces, señora? - preguntó Felton con una sorpresa que, pese al dominio que sobre sí mismo tenía, no pudo ocultar por completo.

-Lo diré - exclamó Milady con exaltación fingida - el día en que haya sufrido lo suficiente por mi fe.

La mirada de Felton descubrió a Milady toda la extensión del espacio que acababa de abrirse con esta sola frase.

Sin embargo, el joven oficial permaneció mudo a inmóvil: sólo su mirada había hablado.

-Estoy en manos de mis enemigos - prosiguió ella con ese tono de entusiasmo que sabía familiar a los puritanos-. Pues bien, ¡que mi Dios me salve o perezca yo por mi Dios! He ahí la respuesta que os suplico deis por mí a lord de Winter. Y en cuanto a ese libro - añadió ella señalando el ritual con la punta del dedo, pero sin tocarlo como si temiera mancillarse a tal contacto-, podéis llevároslo y serviros de él vos mismo, porque sin duda sois doblemente cómplice de lord de Winter, cómplice en su persecución, cómplice en su herejía.

Felton no respondió, tomó el libro con el mismo sentimiento de repugnancia que ya había manifestado y se retiró pensativo. Lord de Winter vino hacia las cinco de la tarde; Milady había tenido tiempo durante todo el día de trazarse su plan de conducta; lo recibió como mujer que ya ha recuperado todas sus ventajas.

-Parece - dijo el barón sentándose en un sillón frente al que ocupaba Milady y extendiendo indolentemente sus pies sobre el hogar-, parece que hemos cometido una pequeña apostasía.

-¿Qué queréis decir, señor?

-Quiero decir que desde la última vez que nos vimos hemos cambiado de religión; ¿os habréis casado por casualidad con un tercer marido protestante? -Explicaos, milord - prosiguió la prisionera con majestad-, porque os declaro que oigo vuestras palabras pero que no las comprendo.

-Entonces es que no tenéis religión de ningún tipo; prefiero esto - prosiguió riéndose burlonamente lord de Winter.

-Es cierto que eso va mejor con vuestros principios - replicó fríamente Milady.

-¡Oh! Os confieso que me da completamente igual.

-Aunque no confesarais esa indiferencia religiosa, milord, vuestros excesos y vuestros crímenes darían fe de ella.

-¡Vaya! Habláis de excesos, señora Mesalina; habláis de crímenes, lady Macbeth. O yo he oído mal o, diantre, sois bien impúdica.

-Habláis así porque sabéis que nos escuchan, señor - respondió fríamente Milady-, y porque queréis interesar a vuestros carceleros y a vuestros verdugos contra mí.

-¡Mis carceleros! ¡Mis verdugos! Bueno, señora, lo tomáis en un tono poético y la comedia de ayer se vuelve esta noche tragedia. Por lo demás, dentro de ocho días estaréis donde debéis estar, y mi tarea habrá acabado.

-¡Tarea infame! ¡Tarea impía! - replicó Milady con la exaltación de la víctima que provoca a su juez.

-Palabra de honor que creo - dijo de Winter levantándose - que la bribona se vuelve loca. Vamos, vamos, calmaos, señora puritana, u os hago meter en el calabozo. Diantre, es mi vino español el que se os sube a la cabeza, ¿no es así? Estad tranquila, esa embriaguez no es peligrosa y no tendrá consecuencias.

Y lord de Winter se retiró jurando, cosa que en aquella época era un hábito completamente caballeresco.

Felton estaba en efecto detrás de la puerta y no había perdido ni palabra de toda esta escena.

Milady había adivinado bien.

-¡Sí! ¡Vete, vete! - le dijo a su hermano-. Por el contrario, las consecuencias se acercan, pero tú no las verás, imbécil, sino cuando sea tarde para evitarlas.

Se restableció el silencio, transcurrieron dos horas; trajeron la cena y encontraron a Milady ocupada en hacer sus oraciones, oraciones que había aprendido de un viejo servidor de su segundo marido, un puritano de los más austeros. Parecía en éxtasis y no pareció prestar atención siquiera a lo que pasaba en torno suyo. Felton hizo señal de que no se la molestara, y cuando todo quedó preparado él salió sin ruido con los soldados.

Milady sabía que podia ser espiada; continuó, pues, sus oraciones hasta el final, y le pareció que el soldado que estaba de centinela a su puerta no caminaba con el mismo paso y que parecía escuchar.

Por el momento no pretendía más, se levantó, se sentó a la mesa, comió poco y no bebió más que agua.

Una hora después vihieron a levantar la mesa, pero Milady observó que esta vez Felton no acompañaba a los soldados.

Temía, por tanto, verla con demasiada frecuencia.

Se volvió hacia la pared para sonreír, porque en esa sonrisa había tal expresión de triunfo que esa sola sonrisa la habría denunciado.

Aún dejó transcurrir media hora, y como en aquel momento todo estaba en silencio en el viejo castillo, como no se oía más que el eterno murmullo del oleaje, esa respiración inmensa del océano, con su voz pura, armoniosa y vibrante comenzó la primera estrofa de este salmo que gozaba entonces de gran favor entre los puritanos:

Señor, si nos abandonas

es para ver si somos fuertes,

mas luego eres tú quien das

con tu celeste mano la palma a nuestros esfuerzos.

Estos versos no eran excelentes, les faltaba incluso mucho para serlo; mas como todos saben, los protestantes no se las daban de poetas.

Al cantar, Milady escuchaba: el soldado de guardia a su puerta se había detenido como si se hubiera convertido en piedra. Milady pudo por tanto juzgar el efecto que había producido.

Entonces ella continuó su canto con un fervor y un sentimiento inexpresables; le pareció que los sonidos se desparramaban a lo lejos bajo las bóvedas a iban como un encanto mágico a dulcificar el corazón de sus carceleros. Sin embargo, parece que el soldado de centinela, celoso católico sin duda, agitó el encanto, porque a través de la puerta dijo:

-¡Callaos, señora! Vuestra canción es triste como un De profundis, y si además de estar de guardia aquí hay que oír cosas semejantes, no habrá quien aguante.

-¡Silencio! - dijo una voz grave que Milady reconoció como la de Felton-. ¿A qué os mezcláis, gracioso? ¿Os ha ordenado alguien impedir cantar a esta mujer? No. Se os ha ordenado custodiarla, disparar sobre ella si intenta huir. Custodiadla; si huye, matadla; pero no alteréis en nada las órdenes.

Una expresión de alegría indecible iluminó el rostro de Milady, mas esta expresión fue fugitiva como el reflejo de un rayo, y sin dar la impresión de haber oído el diálogo del que no se había perdido ni una palabra, siguió dando a su voz todo el encanto, toda la amplitud y toda la seducción que el demonio había puesto en ella:

Para tantos lloros y miseria,

para mi exilio y para mis cadenas,

tengo mi juuentud, mi plegaria,

y Dios, que tendrá en cuenta los males que he sufrido

Aquella voz, de una amplitud nunca oída y de una pasión sublime, daba a la poesía ruda a inculta de estos salmos una magia y una expresión que los puritanos más exaltados raramente encontraban en los cantos de sus hermanos, que ellos se veían obligados a adornar con todos los recursos de su imaginación: Felton creyó oír cantar al ángel que consolaba a los tres hebreos en el horno.

Milady continuó:

Mas para nosotros llegará el día

de la liberación, Dios justo y fuerte;

y si nuestra esperanza es engañado

siempre nos queda el martirio y la muerte.

Esta estrofa, en la que la terrible encantadora se esforzó por poner toda su alma acabó de sembrar el desorden en el corazón del joven oficial; abrió bruscamente la puerta y Milady lo vio aparecer pálido como siempre, pero con los ojos ardientes y casi extraviados.

-¿Por qué cantáis así - dijo - y con semejante voz? -Perdón, señor - dijo Milady con dulzura-, olvidaba que mis cantos no son de recibo en esta casa. Sin duda os he ofendido en vuestras creencias; pero ha sido sin querer, os lo juro, perdonadme, pues, una falta que quizá es grande, pero que desde luego es involuntaria.

Milady estaba tan bella en aquel momento, el éxtasis religioso en que parecía sumida daba tal expresión a su semblante que Felton, deslumbrado, creyó ver al ángel que hacía un instante sólo creía oír.

-Sí, sí - respondió-, sí: perturbáis, agitáis a las personas que viven en este castillo.

Y el pobre insensato no se daba cuenta de la incoherencia de sus frases, mientras Milady hundía su ojo de lince en lo más profundo de su corazón.

-Me callaré - dijo Milady bajando los ojos con toda la dulzara que pudo dar a su voz, con toda la resignación que pudo impnmir a su porte.

-No, no, señora - dijo Felton ; sólo que cantad menos alto, sobre todo por la noche.

Y a estas palabras, Felton, sintiendo que no podría conservar mucho tiempo su severidad para con la prisionera, se precipitó fuera de su habitación.

-Habéis hecho bien, teniente - dijo el soldado ; esos cantos perturban el alma; sin embargo, uno termina por acostumbrarse. ¡Es tan hermosa su voz!

Tercera jornada de cautividad

Felton había venido, pero todavía tenía que dar un paso. Había que retenerlo, o mejor, era preciso que se quedase solo, y Milady sólo oscuramente veía aún el medio que debía conducirla a este resultado.

Se necesitaba más aún: había que hacerlo hablar, a fin de hablarle también. Porque Milady lo sabía de sobra, su mayor seducción estaba en su voz, que recorría con tanta habilidad toda la gama de tonos, desde la palabra humana hasta el lenguaje celeste.

Y, sin embargo, pese a toda su seducción, Milady podría fracasar porque Felton estaba prevenido, y esto contra el menor azar. Desde ese momento, vigiló todas sus acciones, todas sus palabras, hasta la más simple mirada de sus ojos, hasta su gesto, hasta su respiración, que se podía interpretar como un suspiro. En fin ella estudió todo, como hace un hábil cómico a quien se acaba de dar un papel nuevo en un puesto que no tiene la costumbre de ocupar.

Respecto a lord de Winter su conducta era más fácil: también estaba decidida desde la víspera. Permanecer muda y digna en su presencia, irritarlo de vez en cuando por medio de un desdén afectado, por medio de una palabra despectiva, empujarlo a amenazas y a violencias que hicieran contraste con su resignación, tal era su proyecto. Felton vería: quizá no dijera nada; pero vería.

Por la mañana Felton vino como de costumbre; pero Milady le dejó presidir todos los preparativos del desayuno sin dirigirle la palabra. Por eso, en el momento en que iba él a retirarse, ella tuvo un rayo de esperanza; porque creyó que era él quien iba a hablar; pero sus labios se movieron sin que ningún sonido saliera de su boca, y haciendo un esfuerzo sobre sí mismo, encerró en su corazón las palabras que iban a escapar de sus labios, y salió.

Hacia mediodía, entró lord de Winter.

Hacía un hermoso día de invierno, y un rayo de ese pálido sol de Inglaterra que ilumina pero no calienta, pasaba a través de los barrotes de la prisión.

Milady miraba por la ventana, y fingió no oír la puerta que se abría.

-¡Vaya vaya! - dijo lord de Winter-. Tras haber hecho comedia, tras haber hecho tragedia, ahora hacemos melancolía.

La prisionera no respondió.

-Sí, sí - continuó lord de Winter-, comprendo; de buena gana quisierais estar en libertad en esa orilla; de buena gana querríais, sobre un buen navío, hender las olas de ese mar verde como la esmeralda; querríais de buena gana, bien en tierra, bien sobre el océano, tenderme una de esas buenas emboscadas que tan bien sabéis combinar. ¡Paciencia, paciencia! Dentro de cuatro días os será permitida la orilla, os será abierto el mar, más abierto de lo que quisierais, porque dentro de cuatro días Inglaterra será desembarazada de vos.

Milady unió las manos, y alzando sus hermosos ojos al cielo:

-¡Señor, Señor! - dijo con una angélica suavidad de gesto y de entonación-. Perdonad a este hombre como yo lo perdono.

-Sí, reza, maldita - exclamó el barón-. Tu oración es tanto más generosa cuanto que, te lo juro, estás en poder de un hombre que no perdonará.

Y salió.

En el momento en que salía, una mirada penetrante se coló por la puerta entreabierta, y ella vislumbró a Felton que volvía a su sitio rápidamente para no ser visto por ella.

Entonces se arrojó de rodillas y se puso a rezar.

-¡Dios mío, Dios mío! - dijo-. Vos sabéis por qué santa causa sufro; dadme, pues, la fuerza de sufrir.

La puerta se abrió suavemente; la hermosa suplicante fingió no haber oído, y con una voz llena de lágrimas continuó:

-¡Dios vengador, Dios de bondad! ¿Dejaréis que se cumplan los horribles proyectos de este hombre?

Sólo entonces fingió ella oír el ruido de los pasos de Felton y, alzándose rápida como el pensamiento, se ruborizó como si tuviera vergüenza de haber sido sorprendida de rodillas.

-No me gusta molestar a los que rezan, señora - dijo gravemente Felton ; no os molestéis, pues, por mí, os lo suplico.

-¿Cómo sabéis que rezaba? Señor - dijo Milady, con una voz ahogada por los sollozos-, os equivocáis; señor, yo no rezaba.

-¿Pensáis acaso, señora - respondió Felton con su misma voz grave, aunque con un acento más dulce - que me creo con derecho de impedir a una criatura prosternarse ante su Creador? ¡No lo permita Dios! Por otra parte, el arrepentimiento sienta bien a los culpables; sea el que fuere el crimen que haya cometido, un culpable a los pies de Dios me parece sagrado.

-¡Culpable yo! - dijo Milady con una sonrisa que habría desarmado al angel del juicio final-. ¡Culpable! ¡Dios mío, tú sabes bien si lo soy! Si decís que estoy condenada, señor, sea en buena hora; pero ya lo sabéis Dios, que ama a los mártires, permite que, a veces, se condene a los inocentes.

-Si estuvierais condenada, si fuerais mártir - respondió Felton-, razón de más para rezar, y yo mismo os ayudaría con mis plegarias.

-¡Oh! Vos sois justo - exclamó Milady, precipitándose a sus pies ; mirad, no puedo resistir por más tiempo, porque temo que me falten las fuerzas en el momento en que tenga que sostener la lucha y confesar mi fe; escuchad, pues, la súplica de una mujer desesperada. Os engañan, señor, pero no se trata de esto, no os pido más que una gracia, y si me la concedéis, os bendeciré en este mundo y en el otro.

-Hablad con el señor, señora - dijo Felton ; afortunadamente no estoy encargado ni de perdonar ni de castigar; y es alguien más alto que yo a quien Dios ha confiado esa responsabilidad.

-A vos, no, sólo a vos. Escuchadme, antes de contribuir a mi perdición, antes de contribuir a mi ignominia.

-Si habéis merecido esa vergüenza, señora, si habéis incurrido en esa ignominia, hay que sufrirla ofreciéndola a Dios.

-¡Qué decís! ¡Oh, no me comprendéis! Cuando yo hablo de ignominia, creéis que hablo de un castigo cualquiera, de la prisión o de la muerte. ¡Ojalá plazca al cielo! ¿Qué me importan a mí la muerte o la prisión?

-Soy yo quien ahora no os comprende, señora.

-O quien finge no comprenderme, señor - respondió la prisionera con una sonrisa de duda.

-¡No, señora, por el honor de un soldado, por la fe de un cristiano!

-¡Cómo! ¿Ignoráis los designios de lord de Winter sobre mí?

-Los ignoro.

-Imposible, sois su confidente.

-Yo no miento nunca, señora.

-¡Oh! Se esconde demasiado poco para que no se le adivine.

-Yo no trato de adivinar nada, señora; yo espero que se confíe a mí; y aparte de lo que ante vos me ha dicho, lord de Winter nada me ha confiado.

-Mas - exclamó Milady con un increíble acento de verdad-, ¿no sois, pues, su cómplice, no sabéis, pues, que él me destina a una vergüenza que todos los castigos de la tierra no podrían igualar en horror?

-Os equivocáis, señora - dijo Felton enrojecido ; lord de Winter no es capaz de semejante crimen.

«Bueno - dijo Milady para sus adentros-, ¡sin saber lo que es, lo llama crimen!»

Y luego, en voz alta:

-El amigo del infame es capaz de todo.

-¿A quién llamáis infame? - preguntó Felton.

-¿Hay en Inglaterra dos hombres a quien un nombre semejante pueda convenir?

-¿Os referís a Georges Villiers? - dijo Felton, cuyas miradas se inflamaron.

-A quien los paganos, los gentiles y los infieles llaman duque de Buckingham - prosiguió Milady-. ¡No habría creído que hubiera un inglés en toda Inglaterra que necesitara una explicación tan larga para reconocer a aquel al que me refería!

-La mano del Señor está extendida sobre él - dijo Felton-, no escapará al castigo que merece.

Felton no hacía sino expresar respecto al duque el sentimiento de execración que todos los ingleses habían consagrado a aquel a quien los mismos católicos llamaban el exactor, el concusionario, el disoluto, y a quien los puritanos llamaban simplemente Satán.

-¡Oh, Dios mío, Dios mío! - exclamó Milady-. Cuando os suplico enviar a ese hombre el castigo que le es debido, sabéis que no es por venganza propia por lo que lo persigo, sino que es la liberación de todo un pueblo lo que imploro.

-¿Lo conocéis entonces? - preguntó Felton.

«Por fin me pregunta», se dijo a sí misma Milady en el colmo de la alegría por haber llegado tan pronto a tan gran resultado.

-¡Oh! ¿Si lo conozco? ¡Claro que sí! ¡Para mi desgracia, para mi desgracia eterna!

Y Milady se torció los brazos como llegada al paroxismo del dolor. Felton sintió sin duda en sí mismo que su fuerza lo abandonaba, y dio algunos pasos hacia la puerta; la prisionera, que no lo perdía de vista, saltó en su persecución y lo detuvo.

-¡Señor! - exclamó-. Sed bueno, sed clemente, escuchad mi ruego: ese cuchillo que la fatal prudencia del barón me ha quitado, porque sabe el uso que quiero hacer de él. ¡Oh, escuchadme hasta el final! ¡Ese cuchillo dejádmelo un mimuto solamente, por gracia, por piedad! Abrazo vuestras rodillas; mirad, cerraréis la puerta, no es en vos en quien quiero usarlo. ¡Dios!, en vos, el único ser justo, bueno y compasivo que he encontrado; en vos, mi salvador quizá; un minuto, ese cuchillo, un minuto, uno sólo, y os lo devuelvo por el postigo de la puerta; nada más que un minuto, señor Felton, ¡y habréis salvado mi honor! -¡Mataros! - exclamó Felton con terror, olvidando retirar sus manos de las manos de la prisionera-. ¡Mataros!

-¡He dicho señor - murmuró Milady bajando la voz y dejándose caer abatida sobre el suelo-, he dicho mi secreto! Lo sabe todo, Dios mío, estoy perdida.

Felton permanecía de pie, inmóvil e indeciso.

«Aún duda - pensó Milady-, no he sido suficientemente verdadera.

» Se oyó caminar en el corredor; Milady reconoció el paso de lord de Winter. Felton lo reconoció también y se adelantó hacia la puerta.

Milady se abalanzó.

-¡Oh!, ni una palabra - dijo con voz concentrada-, ni una palabra de cuanto os he dicho a ese hombre, o estoy perdida, y seréis vos, vos...

Luego, como los pasos se acercaban, ella se calló por miedo a que su voz fuera oída, apoyando con un gesto de terror infinito su hermosa mano sobre la boca de Felton. Felton rechazó suavemente a Milady, que fue a caer sobre una tumbona.

Lord de Winter pasó ante la puerta sin detenerse, y se oyó el ruido de los pasos que se alejaban.

Felton, pálido como la muerte, permaneció algunos instantes con el oído tenso y escuchando; luego, cuando el ruido se hubo apagado por completo, respiró como un hombre que sale de un sueño, y se precipitó fuera de la habitación.

-¡Ah! - dijo Milady escuchando a su vez el ruido de los pasos de Felton, que se alejaban en dirección opuesta a los de lord de Winter-. ¡Por fin eres mío!

Luego su frente se ensombreció.

-Si le habla al barón - dijo-, estoy perdida, porque el barón, que sabe de sobra que no me mataré, me pondrá delante de él un cuchillo en las manos, y él verá que toda esta gran desesperación no era más que un juego.

Fue a situarse ante el espejo y se miró: jamás había estado tan bella.

-¡Oh, sí - dijo sonriendo-, pero él no hablará!

Por la noche, lord de Winter vino con la cena.

-Señor - le dijo Milady-, ¿vuestra presencia es un accesorio obligado de mi cautividad, o podríais ahorrarme ese aumento de torturas que causan vuestras visitas?

-¡Cómo, querida hermana! - dijo de Winter-. ¿No me anunciasteis sentimentalmente, con esa linda boca tan cruel hoy para mí, que veníais a Inglaterra con el único fin de verme a vuestro gusto, goce cuya privación, según decíais, sentíais tanto que lo arriesgasteis todo por eso: mareo, tempestad, cautividad? Pues bien, aquí me tenéis, quedad satisfecha; además, esta vez mi visita tiene un motivo.

Milady se estremeció, creyó que Felton había hablado; nunca en toda su vida quizá aquella mujer, que había experimentado tantas emociones potentes y opuestas, había sentido latir su corazón tan violentamente.

Estaba sentada; lord de Winter cogió un sillón, lo acercó a su lado y se sentó junto a ella; luego, sacando de su bolso un papel que desplegó lentamente:

-Mirad - le dijo-, quería mostraros esta especie de pasaporte que yo mismo he redactado y que en adelante os servirá de número de orden en la vida que consiento en dejaros.

Luego, volviendo sus ojos de Milady al papel, leyó:

«Orden de conducir a...»

-El nombre está en blanco - interrumpió lord de Winter-. Si tenéis alguna preferencia, indicádmela; y con tal que sea a un millar de leguas de Londres, se hará a vuestro gusto. Prosigo:

«Orden de conducir a... la citada Charlotte Backson, marcada por la justicia del reino de Francia, mas liberada por el castigo; permanecerá en esa residencia, sin apartarse nunca de ella más de tres leguas. En caso de tentativa de evasión, le será aplicada la pena de muerte. Recibirá cinco chelines diarios para su alojamiento y alimentación.

»

-Esa orden no me concierne a mí - respondió fríamente Milady-, porque lleva un nombre distinto al mío.

-¡Un nombre! Pero ¿es que tenéis uno?

-Tengo el de vuestro hermano.

-Os equivocáis, mi hermano sólo es vuestro segundo marido, y el primero todavía vive. Decidme su nombre y lo pondré en vez del nombre de Charlotte Backson. ¿No? ¿No queréis?... ¿Guardáis silencio? ¡Está bien! Seréis inscrita bajo el nombre de Charlotte Backson.

Milady permaneció silenciosa; sólo que en esta ocasión no era ya por su afectación, sino por terror; creyó que la orden estaba dispuesta a ser ejecutada: pensó que lord de Winter había adelantado su partida; creyó que estaba condenada a partir aquella misma noche. En su mente todo lo vio, pues, perdido durante un instante cuando de pronto se dio cuenta de que la orden no estaba adornada con ninguna firma.

La alegría que sintió ante este descubrimiento fue tan grande que no la pudo ocultar.

-Sí, sí - dijo lord de Winter, que se dio cuenta de lo que ella pensaba-. Sí, buscáis la firma y os decís: no todo está perdido, porque ese acta no está firmada; me lo enseñan para asustarme, eso es todò. Os equivocáis: mañana esta orden será enviada a lord de Buckingham; pasado mañana volverá firmada por su puño y adornada con su sello, y veinticuatro horas después, y de eso yo soy quien os responde, recibirá su principio de ejecución. Adiós, señora, eso es todo lo que tenía que deciros.

-Y yo os responderé, señor, que ese abuso de poder y ese exilio bajo nombre supuesto son una infamia.

-¿Preferís ser colgada bajo vuestro verdadero nombre, Milady? Ya lo sabéis, las leyes inglesas son inexorables cuando se abusa del matrimonio; explicaos con franqueza: aunque mi nombre, o mejor el nombre de mi hermano, se halle mezclado en todo esto, correré el riesgo del escándalo en un proceso público con tal de estar seguro de que al mismo tiempo me veré libre de vos.

Milady no respondió, pero se tornó pálida como un cadáver.

-¡Ah, ya veo que preferís la peregrinación! Divinamente, señora, y hay un viejo proverbio que dice que los viajes forman a la juventud. ¡A fe que no estáis equivocada después de todo: la vida es buena! Por eso no me preocupa que vos me la quitéis. Todavía queda por arreglar el asunto de los cinco chelines; me muestro algo parsimonioso, ¿no es as? Se debe a que no me preocupa que corrompáis a vuestros guardianes. Además, siempre os quedarán vuestros encantos para seducirlos. Usadlos si vuestro fracaso con Felton no os ha asqueado de las tentativas de ese género.

«Felton no ha hablado - se dijo Milady-, nada está perdido aún.

» -Y ahora, señora, hasta luego. Mañana vendré para anunciaros la partida de mi mensajero.

Lord de Winter se levantó, saludó irónicamente a Milady y salió. Milady respiró: todavía tenía cuatro días por delante; cuatro días le bastaban para terminar de seducir a Felton.

Una idea terrible se le ocurrió entonces: que lord de Winter enviaría quizá al propio Felton a hacer firmar la orden a Buckingham; de esa suerte Felton se le escapaba, y para que la prisionera triunfase se necesitaba la magia de una seducción continua.

Sin embargo, como hemos dicho, una cosa la tranquilizaba: Felton no había hablado.

No quiso parecer conmocionada por las amenazas de lord de Winter, se sentó a la mesa y comió.

Luego, como había hecho la víspera, se puso de rodillas y repitió en voz alta sus oraciones. Como la víspera, el soldado dejó de caminar y se detuvo para escucharla.

Al punto oyó pasos más ligeros que los del centinela que venían del fondo del corredor y que se detenían ante su puerta.

-Es él - dijo.

Y comenzó el mismo canto religioso que la víspera había exaltado tan violentamente a Felton.

Mas, aunque su voz dulce, plena y sonora vibró más armoniosa y más desgarradora que nunca, la puerta permaneció cerrada. En una de las miradas furtivas que lanzaba sobre un pequeño postigo, le pareció a Milady vislumbrar a través de la reja cerrada los ojos ardientes del joven; pero fuera realidad o visión, esta vez él tuvo sobre sí mismo el poder de no entrar.

Sólo que instantes después de que ella terminara su canto religioso, Milady creyó oír un profundo suspiro; luego los mismos pasos que había oído acercarse se alejaron lentamente y como con pesar.

Cuarta jornada de cautividad

Al día siguiente, cuando Felton entró en la habitación de Milady, la encontró de pie, subida sobre un sillón, teniendo entre sus manos una cuerda tejida con la ayuda de algunos pañuelos de batista desgarrados en tiras trenzadas unas con otras atadas cabo con cabo; al ruido que Felton hizo al abrir la puerta, lady saltó con presteza al pie de su sillón, y trató de ocultar tras ella aquella cuerda improvisada que sostenía en la mano.

El joven estaba aún más pálido que de costumbre, y sus ojos enrojecidos por el insomnio indicaban que había pasado una noche febril.

Sin embargo, su frente estaba armada de una serenidad más austera que nunca.

Avanzó lentamente hacia Milady, que se había sentado, y cogiendo un cabo de la trenza asesina que por descuido, o adrede quizá, ella había dejado ver:

-¿Qué es esto, señora? - preguntó fríamente.

-¿Esto? Nada - dijo Milady sonriendo con esa expresión dolorosa que tan bien sabía dar ella a su sonrisa-. El hastío es el enemigo mortal de los prisioneros, me aburría y me he divertido trenzando esta cuerda.

Felton dirigió los ojos hacia el punto del muro de la habitación ante el que había encontrado a Milady de pie sobre el sillón en que ahora estaba sentada, y por encima de su cabeza divisó un gancho dorado, empotrado en el muro, y que servía para colgar bien los uniformes, bien las armas.

Temblaba, y la prisionera vio aquel temblor; porque aunque tuviera los ojos bajos, nada se le escapaba.

-¿Y qué hacéis de pie sobre ese sillón? - preguntó.

-¿Qué os importa? - respondió Milady.

-Deseo saberlo - contestó Felton.

-No me preguntéis - dijo la prisionera ; vos sabéis de sobra que a nosotros, los verdaderos cristianos, nos está prohibido mentir.

-Pues bien - dijo Felton ; voy a deciros lo que hacíais, o mejor, lo que ibais a hacer: ibais a acabar la obra fatal que alimentáis en vuestro espíritu; pensad, señora, que si nuestro Dios prohíbe la mentira, prohíbe mucho más severamente aún el suicidio.

-Cuando Dios ve a una de esas criaturas injustamente perseguida, colocada entre el suicidio y el deshonor, creedme, señor, - respondió Milady con un tono de profunda convicción-, Dios le perdona el suicidio; porque entonces el suicidio es el martirio.

-Decís demasiado o demasiado poco; hablad, señora, en nombre del cielo, explicaos.

-¿Que os cuente mis desgracias para que las tratéis de fábulas? ¿Que os diga mis proyectos para que vayáis a denunciarlos a mi perseguidor? No, señor. Además, ¿qué os importa la vida o la muerte de una infeliz condenada? Vos no responderéis más que de mi cuerpo, ¿no es as? Y con tal que presentéis un cadáver que sea reconocido por el mío, no se os exigirá más y quizá incluso tengáis recompensa doble.

-¡Yo, señora, yo! - exclamó Felton-. ¿Suponer que aceptaré el premio de vuestra vida? ¡Oh, no pensáis en lo que decís! -Dejadme hacer, Felton, dejadme hacer - dijo Milady exaltándose ; todo soldado debe ser ambicioso, ¿no es as? Vos sois teniente; pues bien, seguiréis mi cortejo con el grado de capitán.

-Pero ¿qué os he hecho yo - dijo Felton trastornado - para que me carguéis con semejante responsabilidad ante los hombres y ante Dios? Dentro de algunos días os marcharéis muy lejos de aquí, señora, vuestra vida no estará ya bajo mi custodia, y entonces - añadió él con un suspiro - haréis lo que queráis.

-O sea - exclamó Milady como si no pudiera resistir a una santa indignación-, vos, un hombre piadoso, vos a quien se llama un justo, no pedís otra cosa: no ser inculpado, no ser inquietado por mi muerte.

-Yo debo velar por vuestra vida, señora, y velaré por ella.

-Mas ¿comprendéis la misión que cumplís? Cruel ya, si yo fuera culpable, ¿qué nombre le daríais, qué nombre le dará el Señor si soy inocente?

-Yo soy soldado, señora, y cumplo las órdenes que he recibido.

-¿Creéis que el día del jucio final Dios separará los verdugos ciegos de los jueces inicuos? Vos no queréis que yo mate mi cuerpo, y os hacéis el agente de quien quiere matar mi alma.

-Pero, os lo repito - prosiguió Felton transtornado-, ningún peligro os amenaza, y yo respondo por lord de Winter como de mí mismo.

-¡Insensato! - exclamó Milady - Pobre insensato que se atreve a responder de otro hombre cuando los más sabios, cuando los más grandes, según Dios, dudan en responder de ellos mismos, y que se coloca en el partido más fuerte y más feliz para abrumar a la más débil y más desdichada.

-Imposible, señora, imposible - murmuró Felton, que en el fondo de su corazón sentía la justicia de este argumento ; prisionera, no recuperaréis por mí la libertad; viva, no perderéis por mí la vida.

-Sí - exclamó Milady-, pero perderé lo que es mucho más caro que la vida, perderé el honor, Felton, y seréis vos, vos, a quien yo haré responsable ante Dios y ante los hombres de mi vergüenza y de mi infamia.

Esta vez Felton, por más impasible que fuera o que fingiera ser, no pudo resistir a la influencia secreta que ya se había apoderado de él: ver a aquella mujer tan hermosa, blanca como la más cándida visión, verla alternativamente desconsolada y amenazadora, sufrir a la vez el ascendiente del dolor y de la belleza, era demasiado para un visionario, era demasiado para un cerebro minado por los sueños ardientes de la fe extática, era demasiado para un corazón corroído a la vez por el amor del cielo que abrasa, por el odio de los hombres que devora.

Milady vio la turbación, sentía por intuición la llama de las pasiones opuestas que ardían con la sangre en las venas del joven fanático; y como un general hábil que, viendo al enemigo dispuesto a retroceder, marcha sobre él lanzando el grito de victoria, ella se levantó, bella como una sacerdotisa antigua, inspirada como una virgen cristiana, y con el brazo extendido, el cuello al descubierto, los cabellos esparcidos, reteniendo con una mano su vestido púdicamente recogido sobre su pecho, la mirada iluminada por ese fuego que ya había llevado el desorden a los sentidos del joven puritano, caminó hacia él, exclamando con un aire vehemente de su voz tan dulce, a la que, en aquella ocasión, prestaba un acento terrible:

Entrega a Baal su víctima,

arroja a los leones el mártir:

¡Dios hará que te arrepientas!...

A él clamo desde el abismo.

Felton se detuvo ante este extraño apóstrofe, como petrificado.

-¿Quién sois vos, quién sois vos? - exclamó él juntando las manos-. ¿Sois una enviada de Dios, sois un ministro de los infiernos, sois ángel o demonio, os llamáis Eloah o Astarté?

-¿No me has reconocido, Felton? Yo no soy ni un ángel ni un demonio, soy una hija de la tierra, soy una hermana de tu creencia, eso es todo.

-¡Sí, sil - dijo Felton-. Aún dudaba, pero ahora creo.

-¡Crees y, sin embargo, eres el cómplice de ese hijo de Belial que se llama lord de Winter! ¡Crees y, sin embargo, me dejas en manos de mis enemigos, del enemigo de Inglaterra, del enemigo de Dios! ¡Crees y, sin embargo, me entregas a quien llena y mancilla el mundo con sus herejías y sus desenfrenos, a ese infame Sardanápalo a quien los ciegos llaman duque de Buckingham y a quien los creyentes llaman el anticristo!

-¿Yo entregaros a Buckingham? ¿Yo? ¿Qué decís?

-Tienen ojos - exclamó Milady - y no verán; tienen oídos y no oirán.

-Sí, sí - dijo Felton pasándose las manos por la frente cubierta de sudor como para arrancar de ella su última duda ; sí, reconozco la voz que me habla en mis sueños: sí, reconozco los rasgos del ángel que se me aparece cada noche, gritando a mi alma que no puede dormir: «¡Golpea, salva a Inglaterra, sálvate a ti mismo, porque morirás sin haber calmado a Dios!» ¡Hablad, hablad! - exclamó Felton-. Ahora puedo comprenderos.

Un destello de alegría terrible, pero rápido como el pensamiento, brotó de los ojos de Milady.

Por fugitiva que hubiera sido aquella luz homicida, Felton la vio y se estremeció como si aquella luz hubiera iluminado los abismos del corazón de aquella mujer.

Felton se acordó de pronto de las advertencias de lord de Winter, de las seducciones de Milady, de sus primeras tentativas desde su llegada; retrocedió un paso y bajó la cabeza, pero sin cesar de mirarla; como si, fascinado por aquella extraña criatura, sus ojos no pudieran desprenderse de sus ojos.

Milady no era mujer capaz de equivocarse en cuanto al sentido de aquella duda. Bajo sus aparentes emociones su sangre fría no la abandonaba. Antes de que Felton le hubiera respondido y de que ella se viera obligada a proseguir aquella conversación tan difícil de sostener en el mismo acento de exaltación, dejó caer sus manos y, como si la debilidad de la mujer se superpusiese al entusiasmo del instante:

-Mas no - dijo-, no me toca a mí ser la Judith que libró a Betulia de este Holofernes. La espada del Eterno es demasiado pesada para mi brazo. Dejadme, pues, rehuir el deshonor de la muerte, dejadme refugiarme en el martirio. No os pido ni la libertad, como haría un culpable, ni la venganza, como haría una pagana. Dejadme morir, eso es todo. Os suplico, os imploro de rodillas: dejadme morir, y mi último suspiro será una bendición para mi salvador.

Ante esta voz dulce y suplicante, ante esta mirada tímida y abatida, Felton se acercó. Poco a poco la encantadora se había revestido de aquellos adornos mágicos que se ponía y quitaba a voluntad, es decir, la belleza, la dulzura, las lágrimas y, sobre todo, el irresistible atractivo de la voluptuosidad mística, la más devoradora de las voluptosidades.

-¡Ay! - dijo Felton-. No puedo más que una cosa, compadeceros si me probáis que sois una víctima. Mas lord de Winter tiene crueles quejas contra vos. Vos sois cristiana, sois mi hermana en religión; me siento arrastrado hacia vos, yo que no he amado más que a mi bienhechor, yo, que no he encontrado en la vida más que traidores e impíos. Pero vos, señora, tan bella en realidad, tan pura en apariencia, para que lord de Winter os persiga, habréis cometido iniquidades.

-Tienen ojos - repitió Milady con un acento indecible de dolor- y no verán; tienen oídos y no oirán.

-Entonces - exclamó el joven oficial - hablad, hablad, pues.

-¡Confiaros mi vergüenza! - exclamó Milady con el rubor del pudor en el rostro-. Porque a menudo el crimen de uno es la vergüenza del otro. ¡Confiaros mi vergüenza a vos, un hombre; yo, una mujer! ¡Oh! - continuo ella llevando púdicamente su mano sobre sus hermosos ojos-. ¡Oh, jamás, jamás podré!

-¡A mí, a un hermano! - exclamó Felton.

Milady lo miró largo tiempo con una expresión que el joven oficial tomó por duda, y que, sin embargo, no era más que una observación y, sobre todo, voluntad de fascinar.

Felton, suplicante a su vez, juntó las manos.

-Pues bien - dijo Milady-, me fío de mi hermano, me atrevo.

En ese momento se oyó el paso de lord de Winter; pero esta vez el terrible cuñado de Milady no se contentó, como había hecho la víspera, con pasar delante de la puerta y alejarse: se detuvo, cambió dos palabras con el centinela, luego la puerta se abrió y apareció él.

Mientras se habían cambiado esas dos palabras, Felton había retrocedido vivamente, y cuando lord de Winter entró, él estaba a algunos pasos de la prisionera.

El barón entró lentamente y dirigió su mirada escrutadora de la prisionera al joven oficial.

-Hace mucho tiempo, John - dijo-, que estáis aquí. ¿Os ha contado esa mujer sus crímenes? Entonces comprendo la duración de la entrevista.

Felton temblaba, y Milady sintió que estaba perdida si no acudía en ayuda del puritano desconcertado.

-¡Ah! ¡Teméis que vuestra prisionera se os escape! - dijo ella-. Pues bien, preguntad a vuestro digno carcelero qué gracia solicitaba de él hace un instante.

-¿Pedíais una gracia? - dijo el barón suspicaz.

-Sí, milord - replicó el joven confuso.

-Y veamos, ¿qué gracia? - preguntó lord de Winter.

-Un cuchillo que ella me devolverá por el postigo un minuto después de haberlo recibido - respondió Felton.

-¿Hay aquí alguien escondido a quien esta graciosa persona quiera degollar? - prosiguió lord de Winter con su voz burlona y despreciativa.

-Estoy yo - respondió Milady.

-Os he dado a elegir entre América y Tyburn - replicó lord de Winter ; escoged Tyburn, Milady: la cuerda es todavía más segura que el cuchillo creedme.

Felton palideció y dio un paso adelante pensando que, en el momento en que él había entrado, Milady tenía una cuerda.

-Tenéis razón - dijo ésta-, y ya había pensado en ello - luego añadió con una voz sorda : lo volveré a pensar.

Felton sintió correr un estremecimiento hasta en la médula de sus huesos; probablemente lord de Winter percibió este movimiento.

-Desconfía, John - dijo-. John, amigo mío, me he apoyado en ti, ten cuidado. ¡Te he prevenido! Además, ten valor, hijo mío, dentro de tres días nos veremos libres de esta criatura, y donde la envíen no perjudicará a nadie.

-¡Ya lo oís! - exclamó Milady con escándalo de tal forma que el barón creyó que ella se dirigía al cielo y que Felton comprendió que era para él.

Felton bajó la cabeza y meditó.

El barón tomó al oficial por el brazo volviendo la cabeza sobre su hombro, a fin de no perder de vista a Milady hasta haber salido.

-Vamos, vamos - dijo la prisionera cuando la puerta se hubo cerrado-, no estoy tan adelantada como creía. Winter ha cambiado su estupidez ordinaria por una prudencia desconocida. ¡Lo que es el deseo de venganza, y cuánto forma al hombre ese deseo! En cuanto a Felton, duda. ¡Ay, no es un hombre como ese maldito D'Artagnan! Un puritano no adora más que a las vírgenes, y las adora juntando las manos. Un mosquetero ama a las mujeres, y las ama juntado los brazos.

Sin embargo, Milady esperó con impaciencia, porque sospechaba que la jornada no pasaría sin volver a ver a Felton. Por fin una hora después de la escena que acabamos de contar, oyó que se hablaba en voz baja junto a la puerta, luego al punto la puerta se abrió y reconoció a Felton.

El joven avanzó rápidamente por el cuarto, dejando la puerta abierta tras él y haciendo señal a Milady de callarse; tenía el rostro alterado.

-¿Qué me queréis? - dijo ella.

-Escuchad - respondió Felton en voz baja-, acabo de alejar al centinela para poder permanecer aquí sin que se sepa que he venido, para hablaros sin que se pueda oír lo que os digo. El barón acaba de contarme una historia espantosa.

Milady adoptó una sonrisa de víctima resignada y sacudió la cabeza.

-O vos sois un demonio - continuó Felton-, o el barón, mi bienhechor, mi padre, es un monstruo. Os conozco desde hace cuatro días, le amo a él desde hace diez años; puedo, pues, dudar entre los dos; no os asustéis de lo que os digo, necesito estar convencido. Esta noche, después de las doce, vendré a veros, vos me convenceréis.

-No, Felton, no, hermano mío - dijo ella-, el sacrificio es demasiado grande, y siento cuánto os cuesta. No, estoy perdida, no os perdáis conmigo. Mi muerte será mucho más elocuente que mi vida, y el silencio del cadáver os convencerá mucho mejor que las palabras de la prisionera.

-Callaos, señora - exclamó Felton-, y no me habléis así; he venido para que me prometáis bajo palabra de honor, para que me juréis por lo más sagrado para vos que no atentaréis contra vuestra vida.

-No quiero prometer - dijo Milady - porque nadie más que yo respeta el juramento y, si prometiera, tendría que cumplirlo.

-¡Pues bien! - dijo Felton-. Comprometeos sólo hasta el momento en que me volváis a ver. Si cuando me hayáis vuelto a ver persistís aún, ¡pues bien!, entonces seréis libre, y yo mismo os daré el arma que me habéis pedido.

-¡De acuerdo! - dijo Milady-. Esperaré por vos.

-Juradlo.

-Lo juro por nuestro Dios. ¿Estáis contento?

-Bien - dijo Felton ; hasta esta noche.

Y se precipitó fuera del cuarto, volvió a cerrar la puerta y esperó fuera, con el espontón del soldado en la mano, como si hubiera montado la guardia en su lugar.

Una vez vuelto el soldado, Felton le devolvió el arma.

Entonces, a través del postigo al que se había acercado, Milady vio al joven persignarse con un fervor delirante a irse por el corredor con un transporte de alegría.

En cuanto a ella, volvió a su puesto con una sonrisa de salvaje desprecio en sus labios, y repitió blasfemando ese nombre terrible de Dios por el que había jurado sin haber aprendido nunca a conocerlo.

-¡Mi Dios! - dijo ella-. ¡Fanático insensato! ¡Mi Dios soy yo, yo, y él quien me ayudará a vengarme!

Quinta jornada de cautividad

Milady había llegado a la mitad del triunfo y el éxito obtenido redoblaba sus fuerzas.

No era difícil vencer, como lo había hecho hasta entonces, a hombres prontos a dejarse seducir y a quienes la educación galante de la corte arrastraba pronto a la trampa; Milady era bastante hermosa para no encontrar resistencia de parte de la carne, y era bastante hábil para pasar por encima de todos los obstáculos del espíritu.

Mas esta vez tenía que luchar contra una naturaleza salvaje, concentrada, insensible a fuerza de austeridad; la religión y la penitencia habían hecho de Felton un hombre inaccesible a las seducciones corrientes. Daba vueltas en aquella cabeza exaltada a planes tan vastos, a proyectos tan tumultuosos, que no quedaba en ella sitio para ningún amor, de capricho o de materia, ese sentimiento que se nutre de ocio y crece con la corrupción. Milady había abierto por tanto brecha, con su falsa virtud, en la opinión de un hombre horriblemente prevenido contra ella, y con su belleza en el corazón y los sentidos de un hombre casto y puro. Finalmente, se había mostrado a sí misma la medida de sus medios, desconocidos para ella misma hasta entonces, mediante esta experiencia hecha sobre el sujeto más rebelde que la naturaleza y la religión podían someter a su estudio.

Sin embargo, durante la velada muchas veces había desesperado ella del destino y de sí misma; no invocaba a Dios, ya lo sabemos, pero tenía fe en el genio del mal, esa inmensa soberanía que reina en todos los detalles de la vida humana, y a la que, como en la fábula árabe, un grano de granada le basta para reconstruir un mundo perdido.

Milady, bien preparada para recibir a Felton, pudo montar sus baterías para el día siguiente. Sabía que no le quedaban más que dos días, que una vez firmada la orden por Buckingham (y Buckingham la firmaría tanto más fácilmente cuanto que la orden llevaba un nombre falso, y que no podría él reconocer a la mujer de que se trataba), una vez firmada aquella orden, decíamos, el barón la haría embarcar inmediatamente, y sabía también que las mujeres condenadas a la deportación usan armas mucho menos poderosas en sus seducciones que las pretendidas mujeres virtuosas cuya belleza ilumina el sol del mundo, cuyo espíritu alaba la voz de la moda y un reflejo de aristocracia adora con sus luces encantadas. Ser una mujer condenada a una pena miserable a infamante no es impedimento para ser bella, pero es un obstáculo para volverse alguna vez poderosa. Como todas las gentes de mérito real, Milady conocía el medio que convenía a su naturaleza, a sus recursos. La pobreza le repugnaba, la abyección disminuía dos tercios de su grandeza. Milady no era reina sino entre las reinas; su dominación necesitaba el placer del orgullo satisfecho. Mandar a seres inferiores era para ella más una humillación que un placer.

Desde luego, habría vuelto de su exilio, eso no lo dudaba ni un instante; pero ¿cuánto tiempo podría durar ese exilio? Para una naturaleza activa y ambiciosa como la de Milady, los días que uno no se ocupa en subir son días nefastos. ¡Piénsese, pues, cuál es la palabra con que deben denominarse los días que uno emplea en descender! Perder un año, dos años, tres años; es decir, una eternidad, volver cuando D'Artagnan, feliz y triunfante, hubiera recibido de la reina, junto con sus amigos, la recompensa que se habían granjeado de sobra con los servicios que habían prestado: era ésta una de esas ideas devoradoras que una mujer como Milady no podía soportar. Por lo demás, la tormenta que bramaba en ella duplicaba su fuerza, y habría hecho estallar los muros de su prisión si su cuerpo hubiera podido tomar por un solo instante las proporciones de su espíritu.

Luego, lo que en medio de todo esto la aguijoneaba era el recuerdo del cardenal. ¿Qué debía pensar, qué debía decir de su silencio el cardenal, desconfiado, inquieto, suspicaz; el cardenal, no sólo su único apoyo, su único sostén, su único protector en el presente, sino además el principal instrumento de su fortuna y de su venganza futura? Ella lo conocía, ella sabía que a su retraso tras un viaje inútil, por más que arguyese la prisión, por más que exaltase los sufrimientos soportados, el cardenal respondería con aquella calma burlona del escéptico potente a la vez por la fuerza y por el genio: «¡No teníais que haberos dejado coger!»

Entonces Milady reunía toda su energía, murmurando en el fondo de su pensamiento el nombre de Felton, el único destello de luz que penetraba hasta ella en el fondo del infierno en que había caído; y como una serpiente que enrolla y desenrolla sus anillos para darse ella misma cuenta de su fuerza, envolvía de antemano a Felton en los mil repliegues de su imaginación inventiva.

Sin embargo el tiempo transcurría, las horas, unas tras otras, parecían despertar la campana al pasar, y cada golpe del badajo de bronce repercutía en el corazón de la prisionera. A las nueve, lord de Winter hizo su visita acostumbrada, miró la ventana y los barrotes, sondeó el suelo y los muros, inspeccionó la chimenea y las puertas sin que durante esta larga y minuciosa inspección ni él ni Milady pronunciasen una sola palabra.

Indudablemente los dos comprendían que la situación se había vuelto demasiado grave para perder el tiempo en palabras inútiles y en cóleras sin efecto.

-Vamos, vamos - dijo el barón al dejarla-, ¡esta noche todavía no escaparéis!

A las diez vino Felton a colocar un centinela; Milady reconoció su paso. Ahora lo adivinaba ella como una amante adivina el del amado de su corazón, y, sin embargo, Milady detestaba y despreciaba a la vez a aquel débil fanático.

No era la hora convenida, Felton no entró.

Dos horas después, y cuando daban las doce, el centinela fue relevado.

Esta vez sí era la hora; por eso, a partir de ese momento Milady esperó con impaciencia.

El nuevo centinela comenzó a pasearse por el corredor.

Al cabo de diez minutos llegó Felton.

Milady prestó oído.

-Escucha - dijo el joven al centinela - no te alejes de este puesto bajo ningún pretexto, porque sabes que la noche pasada un soldado fue castigado por milord por haber dejado su puesto un instante, aunque fui yo quien, durante su corta ausencia, vigiló en su puesto.

-Sí, lo sé - dijo el soldado.

-Te recomiendo, por tanto, la más exacta vigilancia. Yo - añadió - voy a entrar para inspeccionar por segunda vez la habitación de esta mujer, que según temo tiene siniestros proyectos contra sí misma y a la cual he recibido orden de cuidar.

-Bueno - murmuró Milady-, ¡ya tenemos al austero puritano mintiendo!

En cuanto al soldado, se contentó con sonreír.

-¡Diantre! Mi teniente - dijo-, no sois tan desgraciado por estar encargado de semejantes comisiones, sobre todo si milord os autoriza a mirar hasta en su cama.

Felton se ruborizó; en cualquier otra circunstancia hubiera reprendido al soldado que se permitía semejante broma; pero su conciencia murmuraba demasiado alto para que su boca osase hablar.

-Si llamo - dijo-, ven; igual que si alguien viene, llámame.

-Sí, mi teniente - dijo el soldado.

Felton entró en la habitación de Milady. Milady se levantó.

-¿Ya estáis aquí? - dijo ella.

-Os había prometido venir - dijo Felton - y he venido.

-Me habíais prometido otra cosa además.

-¿Qué? ¡Dios mío! - dijo el joven que, pese a su dominio sobre sí mismo, sentía sus rodillas temblar y comenzar a brotar el sudor en su frente.

-Habíais prometido traerme un cuchillo y dejármelo tras nuestra conversación.

-No habléis de eso, señora - dijo Felton - no hay situación por terrible que sea que autorice a una criatura de Dios a darse la muerte. He reflexionado que no debo hacerme nunca culpable de semejante pecado.

-¡Ah, habéis reflexionado! - dijo la prisionera sentándose en su sillón con una sonrisa de desdén-. También yo he reflexionado.

-¿En qué?

-En que yo no tenía nada que decir a un hombre que no mantenía su palabra.

-¡Dios mío! - murmuró Felton.

-Podéis retiraros - dijo Milady-, no hablaré.

-¡Aquí está el cuchillo! - dijo Felton sacando de su bolsillo el arma que según su promesa había traído, pero que dudaba en entregar a su prisionera.

-Veámoslo - dijo Milady.

-¿Qué vais a hacer?

-Palabra de honor, os lo devuelvo al momento; lo pondré sobre la mesa y vos quedaréis entre él y yo.

Felton tendió el arma a Milady, que examinó atentamente su temple y probó la punta en el extremo de su dedo.

-Bien - dijo ella devolviendo el cuchillo al joven oficial-, es un buen acero; sois un fiel amigo, Felton.

Felton cogió el arma y la puso sobre la mesa como acababa de ser acordado con su prisionera.

Milady lo siguió con los ojos e hizo un gesto de satisfacción.

-Ahora - dijo ella-, escuchadme.

La recomendación era inútil: el joven oficial estaba de pie ante ella esperando sus palabras para devorarlas.

-Felton - dijo Milady con una severidad llena de melancolía-, Felton, si vuestra hermana, la hija de vuestro padre, os dijera: «Joven aún, bastante hermosa por desgracia, me hicieron caer en una trampa, resistí; se multiplicaron en torno mío las emboscadas, resistí; se blasfemó la religión a la que sirvo, al Dios que adoro, porque llamaba en mi ayuda a ese Dios y a esa religión, resistí; entonces se me prodigaron los ultrajes, y como no podían perder mi alma, quisieron mancillar mi cuerpo para siempre; finalmente...»

Milady se detuvo, y una sonrisa amarga pasó por sus labios.

-Finalmente - dijo Felton-, finalmente, ¿qué han hecho?

-Finalmente, una noche decidieron paralizar esa resistencia que no se podía vencer: una noche mezclaron en mi agua un poderoso narcótico; apenas hube acabado mi cena, me sentí caer poco a poco en un entumecimiento desconocido. Aunque no sintiese desconfianza, un temor vago se apoderó de mí y traté de luchar contra el sueño; me levanté, quise correr a la ventana, pedir socorro, pero mis piernas se negaron a llevarme; me parecía que el techo bajaba contra mi cabeza y me aplastaba con su peso; tendí los brazos, traté de hablar, no pude más que lanzar sonidos inarticulados; un embotamiento irresistible se apoderaba de mí, me agarré a un sillón, sintiendo que iba a caer, mas pronto aquel apoyo fue insuficiente para mi brazos débiles, caí sobre una rodilla, luego sobre las dos; quise gritar, mi lengua estaba helada; Dios no me vio ni me oyó sin duda, y me deslizé por el suelo, presa de un sueño que se parecía a la muerte. De todo cuanto pasó en este sueño y del tiempo que transcurrió durante su duración, ningún recuerdo tengo; la única cosa que recuerdo es que me desperté acostada en una habitación redonda cuyo moblaje era suntuoso, y en la que la luz sólo penetraba por una abertura del techo. Por lo demás, ninguna puerta parecía dar entrada a ella: se hubiera dicho una prisión magnífica. Pasé mucho tiempo hasta que pude darme cuenta del lugar en que me encontraba y de todos los detalles que cuento, mi espíritu parecía luchar inútilmente para sacudir las pesadas tinieblas de aquel sueño al que no podía arrancarme; tenía percepciones vagas de un espacio recorrido, de la rodadura de un coche, de un sueño horrible en el que mis fuerzas se agotarían; pero todo aquello era tan sombrío y tan indistinto en mi pensamiento, que estos sucesos parecían pertenecer a otra vida distinta a la mía y, sin embargo, mezclada a la mía por una fantástica dualidad. A veces, el estado en que me encontraba me pareció tan extraño, que creí que era un sueño. Me levanté vacilante, mis vestidos estaban junto a mí, sobre una silla: no recordaba ni haberme desnudado ni haberme acostado. Entonces poco a poco la realidad se presentó a mí llena de púdicos terrores: yo no estaba ya en la casa en que vivía; por lo que podía juzgar por la luz del sol, habían transcurrido ya dos tercios del día; había dormido desde la vigilia hasta la noche; mi sueño había durado, pues, casi veinticuatro horas. ¿Qué había pasado durante aquel largo sueño? Me vestí tan rápidamente como me fue posible. Todos mis movimientos lentos y embotados atestiguaban que la influencia del narcótico no se había disipado aún por completo. Por lo demás, aquel cuarto estaba amueblado para recibir a una mujer; y la coqueta más acabada no habría tenido un solo deseo que formular que, paseando su mirada por el cuarto, no hubiera visto completamente cumplido. Desde luego no era yo la primera cautiva que se había visto encerrada en aquella espléndida prisión; pero como comprenderéis, Felton, cuanto más bella era la prisión, más miedo me daba. Sí, era una prisión porque traté en vano de salir de ella. Tanteé todos los muros con objeto de descubrir una puerta: en todas las partes los muros devolvieron un sonido plano y sordo. Quizá quince veces di la vuelta a aquella habitación, buscando una salida cualquiera: no la había; caí agotada de fatiga y de terror en un sillón. Durante este tiempo, la noche se acercaba rápidamente y con la noche aumentaban mis terrores: no sabía si debía quedarme donde estaba sentada; me parecía que estaba rodeada de peligros desconocidos en los que iba a caer a cada Paso. Aunque no hubiese comido nada desde la víspera, mis temores me impedían sentir hambre. Ningún ruido de fuera, que me permitiese medir el tiempo, llegaba hasta mí; presumía sólo que podían ser de las siete a las ocho de la noche; porque estábamos en el mes de octubre, y la oscuridad era total. De pronto, el chirrido de una puerta que gira sobre sus goznes me hizo temblar; un globo de fuego apareció encima de la abertura guarnecida de vidrios del techo arrojando una viva luz en mi habitación y vislumbré con terror que un hombre estaba de pie a algunos pasos de mí. Una mesa con dos cubiertos, con una cena totalmente preparada, se había alzado como por magia en medio del cuarto. Aquel hombre era el que me perseguía desde hacía un año, el que había jurado mi deshonor y el que, a las primeras palabras que salieron de su boca, me hizo comprender que lo había cumplido la noche anterior.

-¡Infame! - murmuró Felton.

-¡Oh, sí, infame! - exclamó Milady viendo el interés que el joven oficial, cuya alma parecía suspendida de sus labios, se tomaba en este extraño relato-. ¡Oh, sí, infame! Había creído que le bastaba con haber triunfado de mí en mi sueño para que todo estuviese dicho; venía esperando que yo aceptaría mi vergüenza, puesto que mi vergüenza estaba consumada; venía a ofrecerme su fortuna a cambio de mi amor. Todo cuanto el corazón de una mujer puede contener de soberbio desprecio y de palabras desdeñosas lo arrojé sobre aquel hombre; sin duda estaba habituado a reproches semejantes porque me escuchó tranquilo, sonriente y con los brazos cruzados sobre el pecho; luego, cuando creyó que yo había dicho todo, se adelantó hacia mí: yo salté hacia la mesa, cogí un cuchillo y lo apoyé sobre mi pecho. «Dad un paso más - le dije - y además de mi deshonor tendréis también mi muerte que reprocharos.» Sin duda, en mi mirada, en mi voz, en toda mi persona había esa verdad de gesto, de ademán y de acento que lleva la convicción a las almas más perversas, porque se detuvo. «¡Vuestro amor! - me dijo-. ¡Oh, no! Sois una amante encantadora para que consienta en perderos así, después de haber tenido la dicha de poseeros, una sola vez solamente. ¡Adiós, hermosa! Esperaré para volver a visitaros a que estéis en mejores disposiciones.>» Tras estas palabras, silbó; el globo de llama que iluminaba mi habitación subió y desapareció; volví a encontrarme en la oscuridad. El mismo ruido de una puerta que se abre y se cierra se reprodujo un instante después, el globo resplandeciente descendió de nuevo y volví a encontrarme sola. Aquel momento fue horrible; si aún tenía algunas dudas sobre mi desdicha, esas dudas se habían desvanecido en una desesperante realidad: estaba en poder de un hombre al que no sólo detestaba sino al que despreciaba; un hombre capaz de todo y que ya me había dado una prueba fatal de a lo que podía atreverse.

-Mas ¿quién era ese hombre? - preguntó Felton.

-Pasé la noche en una silla, estremeciéndome al menor ruido; porque a media noche más o menos, la lámpara se había apagado, y yo ya me había vuelto a encontrar en la oscuridad. Mas la noche pasó sin nuevas tentativas de mi perseguidor. Llegó el día, la mesa había desaparecido; sólo que yo tenía aún el cuchillo en la mano. Aquel cuchillo era toda mi esperanza. Yo estaba rota de fatiga; el insomnio quemaba mis ojos; no me había atrevido a dormir ni un solo instante: el día me tranquilizó, fui a echarme sobre mi cama sin abandonar el cuchillo liberador que oculté bajo mi almohada. Cuando me desperté, una nueva mesa estaba servida. Esta vez, pese a mis terrores, a pesar de mis angustias, se hizo sentir un hambre devoradora; hacía cuarenta y ocho horas que no había tomado ningún alimento: comí pan y algunas frutas; luego, acordándome del narcótico mezclado al agua que había bebido, no toqué la que estaba en la mesa y fui a llenar mi vaso en una fuente de mármol adosada al muro, encima de mi lavabo. Sin embargo, pese a esta precaución, no permanecí menos tiempo en una angustia horrorosa; pero mis temores no estaban fundados esta vez: pasé la jornada sin experimentar nada que se pareciese a lo que temía. Había tenido la precaución de vaciar a medias la jarra para que no se dieran cuenta de mi desconfianza. Llegó la noche, y con ella la oscuridad; sin embargo, por profunda que fuese, mis ojos comenzaban a habituarse a ella; vi en medio de las tinieblas hundirse la mesa en el suelo; un cuarto de hora después reapareció con mi cena; un instante después, gracias a la misma lámpara, mi habitación se iluminó de nuevo. Estaba resuelta a no comer más que objetos a los que fuera imposible mezclar ningún somnífero: dos huevos y algunas frutas compusieron mi comida; luego fui a tomar un vaso de agua de mi fuente protectora y lo bebí. A los primeros sorbos, me pareció que no tenía el mismo gusto que por la mañana: una sospecha rápida se apoderó de mí, me detuve, pero ya había tragado medio vaso. Tiré el resto con horror, y esperé, con el sudor del espanto en la frente. Sin duda, algún invisible testigo me había visto tomar el agua de aquella fuente, y había aprovechado mi confianza para asegurar mejor mi pérdida tan fríamente resuelta, tan cruelmente perseguida. No había transcurrido media hora cuando se produjeron los mismos síntomas; sólo que como aquella vez no había bebido más que medio vaso de agua, luché más tiempo, y en lugar de dormirme completamente, caí en un estado de somnolencia que me dejaba sentir lo que pasaba en torno mío, a la vez que me quitaba la fuerza de defenderme o de huir. Me arrastré hacia mi cama, para buscar allí la única defensa que me quedaba, mi cuchillo salvador; pero no pude llegar hasta la cabecera: caí de rodillas, con las manos aferradas a una de las columnas del pie; entonces comprendí que estaba perdida.

Felton palideció horrorosamente, y un estremecimiento convulsivo corrió por todo su cuerpo.

-Y lo que era más horroroso - continuó Milady con la voz alterada como si hubiera experimentado aún la misma angustia que en aquel momento terrible - es que aquella vez yo tenía conciencia del peligro que me amenazaba; es que mi alma, puedo decirlo, velaba en mi cuerpo adormecido; es que yo veía, es que oía; es cierto que todo aquello era como un sueño, pero no por ello menos espantoso. Vi la lámpara que ascendía y que poco a poco me dejaba en la oscuridad; luego oí el chirrido tan bien conocido de aquella puerta, aunque aquella puerta sólo se hubiera abierto dos veces. Sentí instintivamente que alguien se acercaba a mí; dicen que el desgraciado perdido en los desiertos de América siente de este modo la cercanía de la serpiente. Quería hacer un esfuerzo, trataba de gritar; gracias a una increíble energía de voluntad me levanté, para volver a caer al punto... y volver a caer en los brazos de mi perseguidor.

-Decidme, pues, ¿quién era ese hombre? - exclamó el joven oficial.

Milady vio de una sola mirada todo el sufrimiento que inspiraba a Felton, sopesándolo en cada detalle de su relato; pero no quería hacerle gracia de ninguna tortura. Con mayor profundidad le rompería el corazón, con mayor seguridad la vengaría. Ella continuó, pues, como si no hubiera oído su exclamación, o como si hubiera pensado que no había llegado aún el momento de responder a ella.

-Sólo que aquella vez el infame tenía que habérselas no ya con una especie de cadáver inerte, sin ningún sentimiento. Ya os lo he dicho: aunque no conseguía recuperar el ejercicio completo de mis facultades, me quedaba el sentimiento de mi peligro: luchaba, pues, con todas mis fuerzas, y, sin duda, pese a lo debilitada que estaba, oponía una larga resistencia, porque lo oí exclamar: «¡Estas miserables puritanas! Sabía que cansan a sus verdugos, pero las creía menos fuertes contra sus seductores.» ¡Ay! Aquella resistencia desesperada no podía durar mucho tiempo, sentí que mis fuerzas se agotaban; y esta vez no fue de mi sueño de lo que el cobarde se aprovechó, fue de mi desvanecimiento.

Felton escuchaba sin hacer oír otra cosa que una especie de rugido sordo; sólo el sudor corría sobre su frente de mármol, y su mano oculta bajo su uniforme desgarraba su pecho.

-Mi primer movimiento al volver en mí fue buscar bajo mi almohada aquel cuchillo que no había podido alcanzar; si no había servido para la defensa podía servir al menos para la expiación. Pero al coger aquel cuchillo, Felton, me vino una idea terrible. He jurado decíroslo todo y os lo diré todo; os he prometido la verdad, la diré aunque me pierda.

-Os vino la idea de vengaros de aquel hombre, ¿no es eso? - exclamó Felton.

-¡Pues, sí! - dijo Milady-. Aquella idea no era de cristiana, lo sé; sin duda ese eterno enemigo de nuestra alma, ese león que ruge sin cesar en torno de nosotros la soplaba a mi espíritu. En fin, ¿qué puedo deciros Felton? - continuó Milady con el tono de una mujer que se acusa de un crimen-. Me vino esa idea y sin duda ya no me dejó. Hoy llevo el castigo de ese pensamiento homicida.

-Continuad, continuad - dijo Felton-, tengo prisa por veros llegar a la venganza.

-¡Oh! Resolví que tenía que llegar lo antes posible, no dudaba de que él volvería a la noche siguiente. Por el día no tenía nada que temer. Por eso, cuando vino la hora del almuerzo, no dudé en comer y beber: estaba resuelta a fingir que cenaba, pero no tomaría nada; debía por tanto, combatir mediante la nutrición de la mañana el ayuno de Ìa noche. Sólo que oculté un vaso de agua sustraída a mi desayuno, dado que había sido la sed la que más me había hecho sufrir cuando había permanecido cuarenta y ocho horas sin beber ni comer. El día transcurrió sin tener otra influencia sobre mí que afirmarme en la resolución tomada: sólo que tuve cuidado de que mi rostro no traicionase en nada el pensamiento de mi corazón, porque no dudaba de que era observada; varias veces incluso sentí una sonrisa en mis labios. Felton, no me atrevo a deciros ante qué idea sonreía, sentiríais horror de mí...

-Continuad, continuad - dijo Felton-, ya veis que escucho y que tengo prisa por llegar.

-Llegó la noche, los acontecimientos habituales se produjeron; en la oscuridad, como de costumbre, fue servida mi cena, luego la lámpara se iluminó, y me senté a la mesa. Comí sólo algunas frutas: fingí que me servía agua de la jarra, pero sólo bebí de la que había conservado en mi vaso; la sustitución, por lo demás, fue hecha con la maña suficiente para que mis espías, si los tenía, no concibiesen sospecha alguna. Tras la cena, ofrecí las mismas señales de embotamiento que la víspera; pero esta vez, como si sucumbiese a la fatiga o como si me familiarizase con el peligro, me arrastré hacia la cama a hice semblante de adormecerme. En esta ocasión había encontrado mi cuchillo bajo la almohada y, al tiempo que fingía dormir, mi mano apretaba convulsivamente la empuñadura. Transcurrieron dos horas sin que ocurriese nada nuevo. ¡Aquella vez, Dios mío! ¡Quién me hubiera dicho esto la víspera: comenzaba a temer que no viniese! Por fin, vi la lámpara elevarse suavemente y desaparecer en las profundidades del techo; mi habitación se llenó de tinieblas, pero hice un esfuerzo por horadar con la mirada la oscuridad. Aproximadamente pasaron diez minutos. No oía yo otro ruido que el del latido de mi corazón. Yo imploraba al cielo para que viniese. Por fin oí el ruido tan conocido de la puerta que se abría y volvía a cerrarse; oí, pese al espesor de la alfombra, un paso que hacía chirriar el suelo; vi, pese a la oscuridad, una sombra que se acercaba a mi cama.

-¡Daos prisa daos prisa! - dijo Felton-. ¿No veis que cada una de vuestras palabras me quema como plomo derretido?

-Entonces - continuó Milady - entonces reuní todas mis fuerzas, me acordé de que el momento de la venganza, o, mejor dicho, de la justicia había sonado; me consideraba otra Judith; me recogí sobre mí misma, con mi cuchillo en la mano, y cuando lo vi junto a mí tendiendo los brazos para buscar a su víctima, entonces, con el último grito del dolor y de la desesperación, le golpeé en medio del pecho. ¡Miserable! ¡Lo había previsto todo: su pecho estaba cubierto de una cota de malla! El cuchillo se embotó. «¡Ay, ay! - exclamó cogiéndome el brazo y arrancándome el arma que tan mal me había servido-. ¡Queréis mi vida, hermosa puritana! Mas esto es más que odio, esto es ingratitud. ¡Vamos, vamos, calmaos, calmaos, niña mía! Había creído que os habíais dulcificado. No soy de esos tiranos que conservan las mujeres por la fuerza: no me amáis, dudaba de ello con mi fatuidad ordinaria; ahora estoy convencido. Mañana seréis libre.» Yo no tenía más que un deseo: era que me matase. «¡Tened cuidado! - le dije-. Mi libertad es vuestro deshonor. Sí, porque apenas salga de aquí diré todo, diré la violencia que habéis usado contra mí, diré mi cautividad. Denunciaré este palacio de infamia; estáis colocado muy alto, milord, mas temblad. Por encima de vos está el rey, por encima del rey está Dios.» Por dueño que pareciese de sí mismo, mi perseguidor dejó traslucir un movimiento de cólera. Yo no podía ver la expresión de su rostro, pero había sentido estremecerse su brazo sobre el que estaba puesta mi mano. «Entonces, no saldréis de aquí», dijo. «¡Bien, bien! - exclamé yo. Entonces el lugar de mi suplicio será también el de mi tumba. Yo moriré aquí y ya veréis si un fantasma que acusa no es más terrible aún que un vivo que amenaza.» «No se os dejará ningún arma.» «Hay una que la desesperación ha puesto al alcance de toda criatura que tenga el valor de servirse de ella. Me dejaré morir de hambre.

» «Veamos - dijo el miserable-, ¿no vale más la paz que una guerra como ésta? Os devuelvo la libertad ahora mismo, os proclamo una virtud, os denomino la Lucrecia de Inglaterra. » «Y yo, yo digo que vos sois Sextus, yo os denuncio a los hombres como os he denunciado ya a Dios; y si hace falta que, como Lucrecia, firme mi acusación con mi sangre, la firmaré.» «¡Ah, ah! - dijo mi enemigo en un tono burlón-. Entonces es distinto. A fe que a fin de cuentas estáis bien aquí: nada os faltará, y si os dejáis morir de hambre, será culpa vuestra.

» Tras estas palabras se retiró, oí abrirse y volverse a cerrar la puerta y permanecí abismada, menos aún, lo confieso, en mi dolor que en la vergüenza de no haberme vengado. Mantuvo su palabra. Todo el día, toda la noche transcurrieron sin que volviese a verlo. Pero yo también mantuve mi palabra, y no comí ni bebí; como le había dicho, estaba resuelta a dejarme morir de hambre. Pasé el día y la noche rezando, porque esperaba que Dios me perdonase mi suicidio. La segunda noche la puerta se abrió; estaba tumbada en el suelo, las fuerzas comenzaban a abandonarme. Ante el ruido, me levanté sobre una mano. «Y bien - me dijo una voz que vibraba de una forma demasiado terrible a mi oído para que no la reconociese ; y bien, nos hemos dulcificado un poco, y pagaremos nuestra libertad con la sola promesa del silencio. Mirad, soy buen príncipe - añadió-, y aunque no me gustan los puritanos, les hago justicia, así como a las puritanas, cuando son hermosas. Vamos, hacedme un pequeño juramento sobre la cruz, no os pido más.

» «¡Sobre la cruz! - exclamé yo levantándome, porque al oír aquella voz aborrecida había vuelto a encontrar todas mis fuerzas-. ¡Sobre la cruz! Juro que ninguna promesa, ninguna amenaza, ninguna tortura me cerrará la boca. ¡Sobre la cruz! Juro denunciaros por todas panes como asesino, como ladrón del honor, como cobarde. ¡Sobre la cruz! Juro, si alguna vez consigo salir de aquí, pedir venganza contra vos al género humano entero.» «¡Tened cuidado! - dijo la voz con un acento de amenaza que yo no había oído todavía-. Tengo un recurso supremo, que no emplearé más que en último extremo, de cerraros la boca o al menos de impedir que alguien crea una sola palabra de lo que digáis.» Reuní todas mis fuerzas para responder con una carcajada. El vio que entre nosotros había adelante una guerra eterna, una guerra a muerte. «Escuchad - dijo-, os doy aún el resto de esta noche y el día de mañana; reflexionad: si prometéis callaros, la riqueza, la consideración, los honores incluso os rodearán; si amenazáis con hablar, os condeno a la infamia.» «¡Vos! - exclamé yo-. ¡Vos!» «¡A la infamia eterna, indeleble!» «¡Vos!», repetí yo. ¡Oh, os lo digo, Felton, le creía insensato! «Sí, yo», contestó él. «¡Ah, dejadme! - le dije-. Salid si no queréis que ante vuestros ojos me rompa la cabeza contra la pared.» «Está bien - replicó él-, vos lo habéis querido, hasta mañana por la noche.» «Hasta mañana por la noche», respondí yo dejándome caer y mordiendo la alfombra de rabia...

Felton se apoyaba sobre un mueble y Milady veía con alegría de demonio que quizá le faltara la fuerza antes del fin del relato.

Un recurso de tragedia clásica

Tras un momento de silencio, empleado por Milady en observar al joven que la escuchaba, continuó su relato:

-Hacía casi tres días que no había comido ni bebido, sufría torturas atroces: a veces pasaban por mí como nubes que me apretaban la frente, que me tapaban los ojos: era el delirio. Llegó la noche; estaba tan débil que a cada instante me desvanecía y cada vez que me desvanecía daba gracias a Dios, porque creía que iba a morir. En medio de unos de estos desvanecimientos, oí abrirse la puerta; el terror me volvió en mí. Mi perseguidor entró seguido de un hombre enmascarado: él también estaba enmascarado; pero yo reconí su paso, yo reconocí aquel aire imponente que el infierno ha dado a su persona para desgracia de la humanidad. «Y bien - me dijo-, ¿estáis decidida a hacerme el juramento que os he pedido?» «Vos lo habéis dicho, los puritanos no tienen más que una palabra: la mía ya la habéis oído, ¡y es llevaros en la tierra ante el tribunal de los hombres; en el cielo, ante el tribunal de Dios!» «¿Así que persistís?» «Juro ante Dios que me oye: tomaré el mundo entero por testigo de vuestro crimen, y esto hasta que encuentre un vengador.

» «Sois una prostituta - dijo con voz tonante-, y sufriréis el suplicio de las prostitutas. Marcada a los ojos del mundo que invocaréis, ¡tratad de probar a ese mundo que no so¡s culpable ni loca!» Luego, dirigiéndose al hombre que le acompañaba: «Verdugo - dijo-, cumple tu deber.»

-¡Oh, su nombre, su nombre! - exclamó Felton-. ¡Su nombre, decídmelo!

-Entonces, pese a mis gritos, pese a mi resistencia, porque yo comenzaba a comprender que para mí se trataba de algo peor que la muerte, el verdugo me cogió, me volcó sobre el suelo, me magulló con sus agarrones y, ahogada por los sollozos, casi sin conocimiento, invocando a Dios que no me escuchaba, lancé de pronto un espantoso grito de dolor y de vergüenza: un hierro ardiendo, un hierro candente, el hiero del verdugo, se había impreso en mi hombro.

Felton lanzó un rugido.

-Mirad - dijo Milady, levantándose entonces con una majestad de reina-, mirad, Felton, ved cómo han inventado un nuevo martirio para la doncella pura y, sin embargo, víctima de la brutalidad de un malvado. Aprended a conocer el corazón de los hombres, y en adelante haceos con menos facilidad instrumento de sus injustas venganzas.

Con rápido gesto, Milady abrió su vestido, desgarró la batista que cubría su seno y, ruborizada por una fingida cólera y una vergüenza teatral, mostró al joven la huella indeleble que deshonraba aquel hombro tan bello.

-Pero - exclamó Felton - es una flor de lis lo que ahí veo.

-Precisamente ahí es donde está la infamia - respondió Milady-. La marca de Inglaterra... había que probar qué tribunal me la había impuesto, yo habría hecho una apelación pública a todos los tribunales del reino; mas la marca de Francia..., ¡oh!, con ella estaba bien marcada.

Aquello era demasiado para Felton.

Pálido, inmóvil, aplastado por esta revelación espantosa, deslumbrado por la belleza sobrehumana de aquella mujer que se desnudaba ante él con un impudor que le pareció sublime, terminó cayendo de rodillas ante ella como hacían los primeros cristianos ante aquellas puras y santas mártires que la persecución de los emperadores libraba en el circo a la sanguinaria lubricidad del populacho. La marca desapareció, sólo quedó la belleza.

-¡Perdón, perdón! - exclamó Felton-. ¡Oh, perdón! Milady leyó en sus ojos: amor, amor.

-¿Perdón de qué? - preguntó ella.

-Perdón por haberme unido a vuestros perseguidores.

Milady le tendió la mano.

-¡Tan bella, tan joven! - exclamó Felton cubriendo aquella mano de besos.

Milady dejó caer sobre él una de esas miradas que de un esclavo hacen un rey.

Felton era puritano: dejó la mano de esta mujer para besar sus pies.

El ya no la amaba más, la adoraba.

Cuando aquella crisis hubo pasado, cuando Milady pareció haber recobrado su sangre fría, que no había perdido nunca; cuando Felton hubo visto volverse a cerrar bajo el velo de la castidad aquellos tesoros de amor que no se le ocultaban sino para hacérselos desear más ardientemente:

-¡Ah! Ahora - dijo - no tengo más que una cosa que pediros, es el nombre de vuestro verdadero verdugo; porque para mí no hay más que uno; el otro era el instrumento nada más.

-¿Cómo, hermano? - exclamó Milady-. ¿Es preciso que todavía te lo nombre, no lo has adivinado?

-¿Qué? - contestó Felton-. ¡El..., también él..., siempre él! ¿Qué? El verdadero culpable...

-El verdadero culpable - dijo Milady - es el estragador de Inglaterra, el perseguidor de los verdaderos creyentes, el cobarde rapaz del honor de tantas mujeres, el que por un capricho de su corazón corrompido va a hacer derramar tanta sangre a dos reinos, el que protege a los protestantes hoy y que mañana los traicionará...

-¡Buckingham! ¡Entonces es Buckingham! - exclamó Felton exasperado.

Milady ocultó su rostro en sus manos, como si no hubiera podido soportar la vergüenza que este hombre le recordaba.

-¡Buckingham el verdugo de esta angélica criatura! - exclamó Felton-. Y tú, Dios mío, no lo has fulminado, y tú lo has dejado noble, honrado, poderoso para la perdición de todos nosotros.

-Dios abandona a quien se abandona a sí mismo - dijo Milady.

-Pero, entonces, ¡quiere atraer sobre su cabeza el castigo reservado a los malditos! - continuó Felton con exaltación creciente-. ¡Quiere que la venganza humana anticipe la justicia celeste!

-Los hombres lo temen y lo protegen.

-¡Oh, yo - dijo Felton-, yo no lo temo y no lo protegeré!...

Milady sintió su alma bañada por una alegría infernal.

-Pero ¿cómo lord de Winter, mi protector, mi padre - preguntó Felton-, está mezclado en todo esto?

-Escuchad, Felton - prosiguió Milady-, porque al lado de hombres cobardes y despreciables todavía hay naturalezas grandes y generosas. Yo tenía un prometido, un hombre al que yo amaba y que me amaba; un corazón como el vuestro, Felton, un hombre como vos. Fui a él y le conté todo; me conocía y no dudó ni un solo instante. Era un gran señor, era un hombre en todo el igual de Buckingham. No me dijo nada, se ciñó solamente su espada, se envolvió en su capa y se dirigió a Buckingham Palace.

-Sí, sí - dijo Felton-, comprendo; aunque con semejantes hombres no sea la espada lo que hay que emplear, sino el puñal.

-Buckingham se había ido la víspera, enviado como embajador a España, donde iba a pedir la mano de la infanta para el rey Carlos I, que no era entonces más que príncipe de Gales. Mi prometido volvió. «Escuchad - me dijo-, ese hombre ha partido y, por consiguiente, por ahora, escapa a mi venganza; pero, mientras tanto, unámonos, como debíamos estarlo; luego, confiad en lord de Winter para sostener su honor y el de su mujer.

» -¡Lord de Winter! - exclamó Felton.

-Sí - dijo Milady - lord de Winter, y ahora debéis comprenderlo todo, ¿no es así? : Buckingham permaneció ausente más de un año. Ocho días antes de su llegada lord de Winter murió súbitamente, dejándome única heredera. ¿De dónde venía el golpe? Dios, que todo lo sabe, lo sabe sin duda, yo a nadie acuso...

-¡Oh, qué abismo, qué abismo! - exclamó Felton.

-Lord de Winter había muerto sin decir nada a su hermano. El secreto terrible debía quedar oculto a todos hasta que estallase como el rayo sobre la cabeza del culpable. Vuestro protector había visto con pesar este matrimonio de su hermano mayor con una joven sin fortuna. Sentí que no podía esperar de un hombre engañado en sus esperanzas de herencia apoyo alguno. Pasé a Francia resuelta a permanecer allí durante todo el resto de mi vida. Pero toda mi fortuna está en Inglaterra; cerradas las comunicaciones por la guerra, todo me faltó: me vi obligada entonces a volver; hace seis días arribé a Portsmouth.

-¿Y bien? - dijo Felton.

-Y bien. Buckingham se enteró sin duda de mi regreso, habló de él a lord de Winter, ya prevenido contra mí, y le dijo que su cuñada era una prostituida, una mujer marcada. La voz pura y noble de mi marido no estaba allí para defenderme. Lord de Winter creyó todo cuanto se le dijo, con tanta mayor facilidad cuanto que tenía interés en creerlo. Me hizo detener, me condujo aquí, me puso bajo vuestra custodia. El resto vos lo sabéis: pasado mañana me destierra, me deporta; pasado mañana me relega entre los infames. ¡Oh!, la trampa está bien urdida, la conspiración es hábil y mi honor no sobrevivirá a ella. De sobra veis que es preciso que yo muera, Felton; ¡Felton, dadme ese cuchillo!

Y tras estas palabras, como si todas sus fuerzas estuvieran agotadas, Milady se dejó ir débil y lánguida entre los brazos del joven oficial que, ebrio de amor, de cólera y de voluptuosidades desconocidas, la recibió con transporte, la apretó contra su corazón, todo tembloroso ante el aliento de aquella boca tan bella, todo extraviado al contacto de aquel seno tan palpitante.

-No, no - dijo ; no, tú vivirás honrada y pura, vivirás para triunfar de tus enemigos.

Milady lo rechazó lentamente con la mano atrayéndolo con la mirada; mas Felton, a su vez, se apoderó de ella, implorándola como a una divinidad.

-¡Oh! ¡La muerte, la muerte! - dijo ella, velando su voz y sus párpados-. ¡Oh, la muerte antes que la vergüenza! Felton, hermano mío, amigo mío, te lo ruego.

-No - exclamó Felton-, no, ¡tú vivirás y serás vengada!

-Felton, llevo la desgracia a todo lo que me rodea. ¡Felton, abandóname! ¡Felton, déjame morir!

-Pues bien, muramos entonces juntos - exclamó él apoyando sus labios sobre los de la prisionera.

Varios golpes sonaron en la puerta; esta vez, Milady lo rechazó realmente.

-Escucha - dijo-, nos han oído; alguien viene. ¡Se acabó, estamos perdidos!

-No - dijo Felton-, es el centinela que me previene sólo de que llega una ronda.

-Entonces, corred a la puerta y abrid vos mismo.

Felton obedeció: aquella mujer era ya todo su pensamiento, toda su alma.

Se encontró frente a un sargento que mandaba una patrulla de vigilancia.

-¡Y bien! ¿Qué ocurre? - preguntó el joven teniente.

-Me habíais dicho que abriese la puerta si oía pedir ayuda - dijo el soldado-, pero habéis olvidado dejarme la llave; os he oído gritar sin comprender lo que decíais, he querido abrir la puerta, estaba cerrada por dentro y entonces he llamado al sargento.

-Y aquí estoy - dijo el sargento.

Felton, extraviado, casi loco, permanecía sin voz.

Milady comprendió que le correspondía coger las riendas de la situación; corrió a la mesa y cogió el cuchillo que había depositado Felton:

-¿Y con qué derecho queréis impedirme morir? - dijo ella.

-¡Gran Dios! - exclamó Felton viendo brillar el cuchillo en su mano.

En aquel momento, una carcajada irónica resonó en el corredor.

El barón, atraído por el ruido, en bata, con la espada bajo el brazo, estaba de pie en el umbral de la puerta.

-¡Ah, ah! - dijo-. Ya estamos ante el último acto de la tragedia; ya lo veis, Felton el drama ha seguido todas las fases que yo había indicado; pero estad tranquilo, la sangre no correrá.

Milady comprendió que estaba perdida si no daba a Felton una prueba inmediata y terrible de su valor.

-Os equivocáis, milord, la sangre correrá. ¡Ojalá esa sangre caiga sobre los que la hacen correr!

Felton lanzó un grito y se precipitó hacia ella; era demasiado tarde: Milady se había golpeado.

Pero el cuchillo había encontrado, afortunadamente, deberíamos decir que hábilmente, la ballena de hierro que en esa época defendía como una coraza el pecho de las mujeres; se había deslizado desgarrando el vestido y había penetrado al bies entre la carne y las costillas.

El vestido de Milady no por ello quedó menos manchado de sangre en un segundo.

Milady había caído de espaldas y parecía desvanecida.

Felton arrancó el cuchillo.

-Ved, milord - dijo con aire sombrío-. ¡Ahí tenéis una mujer que estaba bajo mi custodia y que se ha matado!

-Estad tranquilo, Felton - dijo lord de Winter-, no está muerta, los demonios no mueren tan fácilmente, tranquilizaos e id a esperarme en mi cuarto.

-Pero, milord.

-Id, os lo ordeno.

A esta conminación de su superior, Felton obedeció; pero, al salir, puso el cuchillo en su pecho.

En cuanto a lord de Winter, se contentó con llamar a la mujer que servía a Milady, y cuando hubo venido le recomendó a la prisionera que seguía desvanecida, y la dejó sola con ella.

Sin embargo, como en conjunto, pese a sus sospechas, la herida podía ser grave, envió al instante un hombre a caballo a buscar un médico.

Evasión

Como había pensado lord de Winter, la herida de Milady no era peligrosa; por eso, cuando se encontró sola con la mujer que el barón se había hecho llamar y que se afanaba en desnudarla, volvió a abrir los ojos.

Sin embargo, había que jugar a la debilidad y al dolor; no eran cosas difíciles para una comedianta como Milady; por eso la pobre mujer fue víctima completa de su prisionera a la que, pese a sus protestas, se obstinó en velar toda la noche.

Pero la presencia de aquella mujer no le impedía a Milady pensar.

No había ninguna duda, Felton estaba convencido, Felton era suyo: si un ángel se apareciese al joven para acusar a Milady, desde luego lo tomaría, en la disposición de espíritu en que se encontraba, por un enviado del demonio.

Milady sonreía a este pensamiento porque Felton era en lo sucesivo su única esperanza, su único medio de salvación.

Pero lord de Winter podía sospechar, y Felton podía ser ahora vigilado.

Hacia las cuatro de la mañana llegó el médico; pero desde que Milady se había apuñalado la herida estaba ya cerrada: el médico no pudo, por tanto medir ni la dirección ni la profundidad; reconoció sólo por el pulso de la enferma que el caso no era grave.

Por la mañana, Milady, so pretexto de que no había dormido por la noche y que necesitaba descanso, despidió a la mujer que velaba a su lado.

Tenía una esperanza, y es que Felton llegara a la hora del desayuno; pero Felton no vino.

¿Sus temores se habían vuelto realidad? Felton, sospechoso del barón, ¿iba a fallarle en el momento decisivo? No tenía más que un día: lord de Winter le había anunciado su embarque para el 23 y estaba en la mañana del 22.

No obstante, esperó aún con bastante paciencia hasta la hora de la cena.

Aunque no comió por la mañana la cena le fue traída a la hora habitual; Milady se dio entonces cuenta con terror que el uniforme de los soldados que la custodiaban había cambiado.

Entonces se aventuró a preguntar qué había sido de Felton. Le respondieron que Felton había montado a caballo hacía una hora y había partido.

Se informó de si el barón seguía en el castillo; el soldado respondió que sí, y que tenía la orden de avisarlo en caso de que la prisionera deseara hablarle.

Milady respondió que estaba demasiado débil por el momento, y que su único deseo era permanecer sola.

El soldado salió dejando la cena servida.

Felton había sido alejado, los soldados de marina habían sido cambiados; desconfiaba, por tanto, de Felton.

Era el ultimo golpe dado a la prisionera.

Al quedar sola, se levantó; aquella cama, en la que estaba por prudencia y para que se la creyese gravemente enferma, le quemaba como un brasero ardiente. Lanzó una mirada a la puerta: el barón había hecho clavar una plancha sobre el postigo; temía sin duda que por aquella abertura consiguiese, mediante algún recurso diabólico, seducir a los guardias.

Milady sonrió de alegría; podría, pues, entregarse a sus transportes sin ser observada: recorria la habitación con la exaltación de una loca furiosa o de una tigresa encerrada en una jaula de hierro. Desde luego, si le hubiese quedado el cuchillo, habría pensado no en matarse a sí misma, sino esta vez en matar al barón.

A las seis, lord de Winter entró; estaba armado hasta los dientes. Aquel hombre, en el que hasta entonces Milady no había visto sino un gentleman bastante necio, se había vuelto un magnífico carcelero: parecía preverlo todo, adivinarlo todo, prevenirlo todo.

Una sola mirada lanzada sobre Milady le informó de lo que pasaba en su alma.

-Sea - dijo él-, mas no me mataréis hoy todavía; no tenéis ya armas, y además estoy sobre aviso. Habíais comenzado a pervertir a mi pobre Felton: sufría ya vuestra infernal influencia, mas quiero salvarlo, no os verá más, todo ha terminado. Recoged vuestro vestuario; mañana partiréis. Había fijado el embarque el 24, pero he pensado que cuanto más adelante la cosa, más segura será. Mañana a mediodía tendré la orden de vuestro exilio firmada por Buckingham. Si decís una sola palabra a quien quiera que sea antes de estar en el navío, mi sargento os levantará la tapa de los sesos, tiene esa orden; si ya en el navío decís una palabra a quien quiera que sea antes de que el capitán os lo permita, el capitán os hará arrojar al mar, está así acordado. Hasta luego: eso es todo lo que por hoy tenía que deciros. Mañana os volveré a ver para deciros adiós.

Y con estas palabras el barón salió.

Milady había escuchado toda esta amenazante parrafada con la sonrisa de desdén sobre los labios, pero con la rabia en el corazón.

Sirvieron la cena; Milady sintió que necesitaba fuerzas, no sabía qué podia pasar durante aquella noche que se aproximaba amenazante, porque gruesas nubes voltejeaban en el cielo y los relámpagos lejanos anunciaban una tormenta.

La tormenta estalló hacia las diez de la noche: Milady sentía un consuelo al ver a la naturaleza compartir el desorden de su corazón: el trueno bramaba en el aire como la cólera en su pensamiento; le parecía que al pasar la ráfaga desmelenaba su frente como los árboles cuyas ramas curvaba y cuyas hojas se llevaba; ella aullaba como el huracán, y su voz se perdía en el clamor de la naturaleza que parecía, también ella, gemir y desesperarse.

De pronto oyó golpear un cristal y a la claridad de un relámpago, vio el rostro de un hombre aparecer tras los barrotes.

Corrió a la ventana y la abrió.

-¡Felton! - exclamó-. ¡Estoy salvada!

-Sí - dijo Felton ; pero, ¡silencio, silencio! Necesito tiempo para serrar vuestros barrotes. Tened cuidado solamente de que no os vean por el postigo.

-¡Oh, es una prueba de que el Señor está con nosotros, Felton! - prosiguió Milady-. Han cerrado el postigo con una plancha.

-Está bien, ¡Dios los ha vuelto insensatos! - dijo Felton.

-Pero ¿qué tengo que hacer? - preguntó Milady.

-Nada, nada; volved a cerrar la ventana solamente. Acostaos, o al menos meteos en vuestra cama completamente vestida; cuando haya terminado, golpearé en los cristales. Mas ¿podréis seguirme?

-¡Oh, sí!

-¿Y vuestra herida?

-Me hace sufrir, pero no me impide caminar.

-Estad, pues, preparada a la primera señal.

Milady volvió a cerrar la ventana, apagó la lámpara y fue, como le había recomendado Felton, a hacerse un ovillo en su cama. En medio de las quejas de la tormenta, ella oía el chirrido de la lima contra los barrotes, y a la claridad de cada relámpago vislumbraba la sombra de Felton tras los cristales.

Pasó una hora sin respirar, jadeante, con el sudor sobre la frente y el corazón oprimido por una angustia espantosa a cada movimiento que oía en el corredor.

Hay horas que duran un año.

Al cabo de una hora, Felton golpeó de nuevo.

Milady saltó fuera de su cama y fue a abrir. Dos barrotes de menos formaban una abertura para que un hombre pasase.

-¿Estáis preparada? - preguntó Felton:

-Sí. ¿Tengo que llevar alguna cosa?

-Oro si tenéis.

-Sí, por suerte me han dejado el que tenía.

-Tanto mejor, porque he gastado todo lo mío en fletar un barco.

-Tomad -dijo Milady poniendo en las manos de Felton una bolsa llena de oro.

Felton cogió la bolsa y la arrojó al pie del muro.

-Ahora - dijo-, ¿queréis venir?

-Aquí estoy.

Milady se subió a un sillón y pasó la parte superior de su cuerpo por la ventana: vio al joven oficial suspendido sobre el abismo por una escala de cuerda.

Por primera vez, un movimiento de terror le recordó que era mujer.

El vacío la espantaba.

-Me lo temía - dijo Felton.

-No es nada, no es nada - dijo Milady-, bajaré con los ojos cerrados.

-¿Tenéis confianza en mí? - dijo Felton.

-¿Y lo preguntáis?

-Juntad vuestras dos manos; cruzadlas, está bien.

Felton le ató las dos muñecas con un pañuelo; luego, por encima del pañuelo, con una cuerda.

-¿Qué hacéis? - preguntó Milady con sorpresa.

-Pasad vuestros brazos alrededor de mi cuello y no temáis nada.

-Pero os haré perder el equilibrio y nos estrellaremos los dos.

-Tranquilizaos, soy marino.

No había un segundo que perder; Milady pasó sus dos brazos en torno al cuello de Felton y se dejó deslizar fuera de la ventana.

Felton comenzó a descender los escalones lentamente y uno a uno.

Pese al peso de los dos cuerpos, el soplo del huracán los balanceaba en el aire.

De pronto Felton se detuvo.

-¿Qué ocurre? - preguntó Milady.

-Silencio - dijo Felton-, oigo pasos.

-¡Estamos descubiertos!

Se hizo un silencio de algunos instantes.

-No - dijo Felton-, no es nada.

-Pero ¿qué es ese ruido?

-El de la patrulla que va a pasar por el camino de ronda.

-¿Dónde está ese camino de ronda?

-Justo debajo de nosotros.

-Nos van a descubrir.

-No, si no hay relámpagos.

-Tropezarán con el final de la escala.

-Por suerte le faltan seis pies para llegar al suelo.

-¡Ahí están, Dios mío!

-¡Silencio!

Los dos permanecieron colgados, inmóviles y sin aliento a veinte pies del suelo; durante este tiempo los soldados pasaban por debajo riendo y hablando.

Fue para los fugitivos un momento terrible.

La patrulla pasó; se oyó el ruido de los pasos que se alejaban y el murmullo de las voces que iba debilitándose.

-Ahora - dijo Felton-, estamos salvados.

Milady lanzó un suspiro y se desvaneció.

Felton continuó descendiendo. Llegado al final de la escala, y cuando sintió que faltaba apoyo para sus pies, se pegó como una lapa con las manos; llegado por fin al último escalón se dejó colgar en la fuerza de las muñecas y tocó el suelo. Se agachó, recogió la bolsa de oro y lo cogió entre sus dientes.

Luego levantó a Milady en sus brazos y se alejó con presteza por el lado opuesto al que había tomado la patrulla. Pronto dejó el camino de ronda, descendió por entre las rocas y llegado a la orilla del mar, dejó oír un toque de silbato.

Una señal parecida le respondió y cinco minutos después vio aparecer una barca ocupada por cuatro hombres.

La barca se aproximó tan cerca como pudo a la orilla, pero no había suficiente fondo para que pudiera tocar tierra; Felton se metió en el agua hasta la cintura, porque no quería confiar a nadie su precioso peso.

Afortunadamente la tempestad comenzaba a calmarse, y, sin embargo, el mar estaba todavía violento; la barquilla saltaba sobre las olas como una cáscara de nuez.

-¡A la balandra! - dijo Felton-. Remad con rapidez.

Los cuatro hombres se pusieron a los remos; pero la mar estaba demasiado gruesa para que los remos hicieran mucha labor.

Sin embargo, se iban alejando del castillo; era lo principal. La noche era profundamente tenebrosa y resultaba ya casi imposible distinguir la orilla desde la barca; con mayor razón no se habría podido distinguir la barca desde la orilla.

Un punto negro se balanceaba en el mar.

Era la balandra.

Mientras la barca avanzaba por su parte con toda la fuerza de sus cuatro remadores, Felton desataba la cuerda, luego el pañuelo que ataba las manos de Milady.

Luego, cuando sus manos estuvieron desatadas, cogió agua del mar y se la orrojó al rostro.

Milady lanzó un suspiro y abrió los ojos.

-¿Dónde estoy? - dijo.

-A salvo - respondió el joven oficial.

-¡Oh, a salvo, a salvo! - exclamó ella-. Sí ahí está el cielo, aquí el mar. Este aire que respiro es el de la libertad.

¡Ah..., gracias, Felton, gracias!

El joven la apretó contra su corazón.

-Pero ¿qué tengo en las manos? - preguntó Milady-. Parece como si me hubieran quebrado las muñecas en un torno.

En efecto, Milady alzó los brazos; tenía las muñecas magulladas.

-¡Ay! - dijo Felton mirando aquellas hermosas manos y moviendo suavemente la cabeza.

-¡Oh, no es nada, no es nada! - exclamó Milady-. ¡Ahora me acuerdo!

Milady buscó con los ojos a su alrededor.

-Está ahí - dijo Felton, empujando con el pie la bolsa de oro.

Se acercaban a la balandra. El marinero de guardia dio una voz a la barca, la barca respondió.

-Qué barco es ése? - preguntó Milady.

-El que he fletado para vos.

-¿Dónde va a conducirme?

-Donde vos queráis, con tal que a mí me dejéis en Portsmouth.

-¿Qué vais a hacer en Portsmouth? - preguntó Milady.

-Cumplir las órdenes de lord de Winter - dijo Felton con una sombría sonrisa.

-¿Qué órdenes? - preguntó Milady.

-Entonces, ¿no comprendéis? - dijo Felton.

-No; explicaos, os lo suplico.

-Como si desconfiase de mí, ha querido custodiaros él mismo y me ha mandado en su lugar a hacer firmar a Buckingham la orden de vuestra deportación.

-Pero si desconfiaba de vos, ¿cómo os ha confiado esa orden?

-¿Creía acaso que yo sabía lo que llevaba?

-¡Ah, claro! ¿Y vais a Portsmouth?

-No tengo tiempo que perder: mañana es 23, y Buckingham parte mañana con la flota.

-Parte mañana para dónde?

-Para La Rochelle.

-¡Es preciso que no parta! - exclamó Milady, olvidando su presencia de ánimo acostumbrada.

-Tranquilizaos - respondió Felton-, no partirá.

Milady temblaba de alegría. Acababa de leer en lo más profundo del corazón del joven: la muerte de Buckingham estaba escrita en él con todas las letras.

-¡Felton... - dijo-, sois grande como Judas Macabeo! Si morís, moriré con vos: he ahí todo lo que puedo deciros.

-¡Silencio! - dijo Felton-. Hemos llegado.

En efecto, tocaban la balandra.

Felton subió el primero a la escala y dio la mano a Milady, mientras los marineros la sostenían porque el mar estaba todavía muy agitado.

Un instante después estaban sobre el puente.

-Capitán - dijo Felton-, esta es la persona de quien os he hablado y a quien hay que conducir sana y salva a Francia.

-Mediante mil pistolas - dijo el capitán.

-Os he dado ya quinientas.

-Es cierto - dijo el capitán.

-Y aquí están las otras quinientas - añadió Milady, llevando la mano a la bolsa de oro.

-No - dijo el capitán-, yo no tengo más que una palabra y se la he dado a este joven; las otras quinientas pistolas no se me deben hasta llegar a Boulogne.

-¿Y llegaremos?

-Sanos y salvos - dijo el capitán-, tan cierto como que me llamo Jack Buttler.

-Pues bien - dijo Milady-, si mantenéis vuestra palabra, no serán quinientas pistolas, sino mil lo que os daré.

-¡Hurra por vos, hermosa dama! - exclamó el capitán-. ¡Y ojalá Dios me envié con frecuencia clientes como Vuestra Señoría!

-Mientras tanto - dijo Felton-, conducidnos a la pequeña bahía de Chichester, antes de Portsmouth; ya sabéis qué hemos convenido que nos llevaréis allí.

El capitán respondió ordenando la maniobra necesaria, y hacia las siete de la mañana el pequeño navío arrojaba el ancla en la bahía designada.

Durante esta travesía, Felton había contado todo a Milady: cómo, en lugar de ir a Londres, había fletado el pequeño navío, cómo había vuelto, cómo había escalado la muralla colocando en los intersticios de las piedras, a medida que subía, crampones, para asegurar sus pies, y cómo, finalmente, llegado a los barrotes, había atado la escala. Milady sabía lo demás.

Por su parte, Milady trató de alentar a Felton en su proyecto; pero a las primeras palabras que salieron de su boca, vio de sobra que el joven fanático tenía más necesidad de ser moderado que reafirmado.

Convinieron que Milady esperaría a Felton hasta las diez; si a las diez no estaba de vuelta, ella partiría.

En tal caso, suponiendo que estuviera libre, se reuniría con ella en Francia, en el convento de las Carmelitas de Béthume.

Lo que pasó en Portsmouth el 23 de agosto de 1628

Felton se despidió de Milady como un hermano que va a dar un simple paseo se despide de su hermana besándole la mano.

Toda su persona aparecía en un estado de calma ordinaria: sólo un resplandor desacostumbrado brillaba en sus ojos, semejante a un reflejo de fiebre; su frente estaba más pálida aún que de costumbre; sus dientes estaban apretados, y su palabra tenía un acento cortado y convulso que indicaba que algo sombrío se agitaba en él.

Mientras estuvo sobre la barca que lo conducía a tierra, permaneció con el rostro vuelto hacia Milady que, de pie sobre el puente, lo seguía con los ojos. Los dos estaban bastante tranquilos sobre el temor a ser perseguidos: nunca se entraba en la habitación de Milady antes de las nueve; y se necesitaban tres horas para llegar desde el castillo a Londrés:

Felton puso el pie en tierra, escaló la pequeña cresta que conducía a lo alto del acantilado, saludó a Milady por última vez y tomó su camino hacia la ciudad.

Al cabo de cien pasos, como él terreno iba descendiendo, no podía ya ver más que el mástil de la balandra.

En seguida corrió en dirección de Portsmouth, cuyas torres y casas veía dibujarse frente a él, a media milla aproximadamente, en la bruma de la mañana.

Más allá de Portsmouth, el mar estaba cubierto de bajeles, cuyos mástiles se veían, semejantes a un bosque de álamos despojados por el invierno, balancearse bajo el soplo del viento.

En su marcha rápida, Felton repasaba lo que diez años de meditaciones ascéticas y una larga estancia en medio de los puritanos le habían proporcionado de acusaciones verdaderas o falsas contra el favorito de Jacobo VI y de Carlos I.

Cuando comparaba los crímenes públicos de este ministro, crímenes brillantes, crímenes europeos, si así se podía decir, con los crímenes privados y desconocidos con que lo había cargado Milady, Felton encontraba que el más culpable de los dos hombres que en sí contenía Buckingham era aquel cuya vida no conocía el público. Es que su amor tan extraño, tan nuevo, tan ardiente, le hacía ver las acusaciones infames a imaginarias de lady de Winter como se ve a través de un cristal de aumento, en el estado de monstruos espantosos, los imperceptibles átomos en realidad comparados con un hormiga.

La rapidez de su carrera encendía aún su sangre: la idea de que detrás de sí dejaba, expuesta a una venganza espantosa, a la mujer que amaba - o mejor, la que adoraba como a una santa, la emoción pasada, su fatiga presente, todo exaltaba su alma por encima de los sentimientos humanos.

Entró en Portsmouth hacia las ocho de la mañana; toda la población estaba en pie; el tambor batía en las calles y en el puerto; las tropas de embarque descendían hacia el mar.

Felton llegó al palacio del Almirantazgo cubierto de polvo y chorreando de sudor; su rostro, ordinariamente tan pálido, estaba púrpura de calor y de cólera. El centinela quiso rechazarlo; pero Felton llamó al jefe del puesto y sacó del bolso la carta de que era portador.

-Mensaje urgente de parte de lord de Winter - dijo.

Al nombre de lord de Winter, a quien se sabía uno de los íntimos de Su Gracia, el jefe del puesto dio la orden de dejar pasar a Felton, que por lo demás, llevaba el uniforme del oficial de marina.

Felton se precipitó en el palacio.

En el momento en que entraba en el vestíbulo entraba también un hombre lleno de polvo, sin aliento, dejando a la puerta un caballo de posta que al llegar cayó sobre sus rodillas.

Felton y él se dirigieron al mismo tiempo a Patrick, el ayuda de cámara de confianza del duque. Felton nombró al barón de Winter, el desconocido no quiso nombrar a nadie, y pretendió que sólo podía darse a conocer al duque. Los dos insistían para pasar uno antes que el otro.

Patrick, que sabía que lord de Winter estaba en tratos de servicio y en relaciones de amistad con el duque, dio preferencia a quien venía en su nombre. El otro fue obligado a esperar, y fue fácil ver cuánto maldecía aquel retraso.

El ayuda de cámara hizo atravesar a Felton una gran sala en la que esperaban los diputados de La Rochelle, encabezados por el príncipe de Soubise, y lo introdujo en un gabinete donde Buckingham, que salía del baño, acababa su aseo, al que en esta ocasión como en cualquier otra concedía una atención extraordinaria.

-El teniente Felton - dijo Patrick-, de parte de lord de Winter.

Felton entró. En aquel momento Buckingham arrojaba sobre un canapé una rica bata recamada de oro, para ponerse un jubón de terciopelo azul completamente bordado de perlas.

-¿Por qué no ha venido el propio barón? - preguntó Buckingham-. Lo esperaba esta mañana.

-Me ha encargado decir a Vuestra Gracia - respondió Felton que lamentaba mucho no tener ese honor, pero que se hallaba impedido por la custodia que está obligado a hacer del castillo.

-Sí, sí - dijo Buckingham-, ya sé eso, hay una prisionera.

-Precisamente de esa prisionera quería yo hablar a Vuestra Gracia prosiguió Felton.

-¡Bien, hablad!

-Lo que tengo que deciros sólo puede ser oído de vos, milord.

-Dejadnos, Patrick - dijo Buckingham-, pero estad cerca de la campanilla; os llamaré en seguida.

Patrick salió.

-Estamos solos, señor - dijo Buckingham ; hablad.

-Milord - dijo Felton-, el - barón de Winter os ha escrito el otro día para rogaros que firmaseis una orden de embarco relativa a una joven llamada Charlotte Backson.

-Sí, señor, y le he contestado que me trajera o me enviara esa orden y que yo la firmaría.

-Hela aquí, Milord.

-Dadme - dijo el duque.

Y tomándola de las manos de Felton, lanzó sobre el papel una ojeada rápida. Entonces, dándose cuenta de que era lo que se le había anunciado, la puso sobre la mesa, cogió una pluma y se dispuso a firmar.

-Perdón, milord - dijo Felton deteniendo al duque-, ¿Vuestra Gracia sabe que el nombre de Charlotte Backson no es el nombre verdadero de esa mujer?

-Sí, señor, lo sé - respondió el duque mojando la pluma en el tintero.

-¿Entonces Vuestra Gracia conoce su verdadero nombre? - preguntó Felton con voz cortada.

-Lo conozco.

El duque acercó la pluma al papel.

-Y conociendo ese nombre verdadero - prosiguió Felton-, ¿monseñor lo firmará?

-Claro que sí - dijo Buckingham-, y mejor dos veces que una.

-No puedo creer - continuó Felton con una voz que se hacía cada vez más cortante y brusca - que Su Gracia sepa que se trata de lady de Winter...

-¡Lo sé perfectamente, aunque estoy asombrado de que lo sepáis vos!

-¿Y Vuestra Gracia firmará esa orden sin remordimientos?

Buckingham miró al joven con altivez.

-Vaya, señor, ¿sabéis - le dijo - que me estáis haciendo preguntas extrañas y que soy muy tonto por responder a ellas?

-Respondedme, monseñor - dijo Felton-, la situación es más grave de lo que quizá penséis.

Buckingham pensó que el joven, viniendo de parte de lord de Winter, hablaba sin duda en su nombre y se sosegó.

-Sin ningún remordimiento - dijo-, y el barón sabe como yo que milady de Winter es una gran culpable y que es casi otorgarle gracia militar su pena al destierro.

El duque posó su pluma sobre el papel.

-¡No firmaréis esa orden, milord! - dijo Felton dando un paso hacia el duque.

-¿Que no firmaré esta orden? - dijo Buckingham-. ¿Y por qué?

-Porque haréis examen de conciencia y haréis justicia a Milady. -Se le hará justicia enviándola a Tyburn - dijo Buckingham ; Milady es una infame.

-Monseñor, Milady es un ángel, vos lo sabéis de sobra, y yo os exijo su libertad.

-¡Vaya! - dijo Buckingham-. Estáis loco al hablarme así.

-Milord, perdonadme; hablo como puedo; me contengo. Sin embargo, milord, pensad en lo que vais a hacer, ¡y tened cuidado con pasaros de la raya!

-¿Cómo?... ¡Dios me perdone! - exclamó Buckingham-. ¡Pero creo que me está amenazando! -No, milord, aún ruego, y os digo: una gota de agua basta para hacer desbordarse el vaso lleno, una falta ligera puede atraer el castigo sobre la cabeza perdonada a pesar de tantos crímenes.

-Señor Felton - dijo Buckingham-, vais a salir de aquí y consideraros arrestado inmediatamente.

-Vais a escucharme hasta el final, milord. Habéis seducido a esa joven, la habéis ultrajado y mancillado: reparad vuestros crímenes para con ella, dejadla partir libremente; y no exigiré otra cosa de vos.

-¿Vos no exigiréis? - dijo Buckingham mirando a Felton con asombro y haciendo hincapié en cada una de las sílabas de las tres palabras que acababa de pronunciar.

-Milord - continuó Felton exaltándose a medida que hablaba-, milord, tened cuidado, toda Inglaterra está harta de vuestras iniquidades; milord, habéis abusado del poder real que casi habéis usurpado; milord, habéis horrorizado a los hombres y a Dios; Dios os castigará más tarde, pero yo, yo os castigaré hoy.

-¡Ah! ¡Esto es demasiado fuerte! - grito Buckingham dando un paso hacia la puerta.

Felton le cerró el paso.

-Os lo pido humildemente - dijo-, firmad la orden de puesta en libertad de lady de Winter; pensad que es la mujer que habéis deshonrado.

-Retiraos, señor - dijo Buckingham-, o llamo y hago que os pongan cadenas.

-Vos no llamaréis - dijo Felton arrojándose entre el duque y la campanilla colocada sobre un velador inscrustado de plata ; tened cuidado, milord, estáis entre las manos de Dios.

-En las manos del diablo, querréis decir - exclamó Buckingham alzando la voz para atraer a gente, sin llamar, sin embargo, directamente.

-Firmad, milord, firmad la libertad de lady de Winter - dijo Felton empujando un papel hacia el duque.

-¡A la fuerza! ¿Os burláis de mí? ¡Eh, Patrick!

-¡Firmad, milord!

-¡Jamás!

-¿Jamás?

-¡A mí! - gritó el duque, y al mismo tiempo saltó sobre su espada.

Pero Felton no le dio tiempo de sacarla: tenía abierto y oculto en su jubón el cuchillo con que se había herido Milady; de un salto estuvo sobre el duque.

En ese momento Patrick entraba en la sala gritando:

-¡Milord, una carta de Francia!

-¡De Francia! - exclamó Buckingham olvidando todo al pensar de quién le venía aquella carta.

Felton aprovechó el momento y le hundió en el costado el cuchillo hasta el mango.

-¡Ah, traidor! - gritó Buckingham-. Me has matado...

-¡Al asesino! - aulló Patrick.

Felton lanzó los ojos en torno a él para huir, y al ver la puerta libre se precipitó en la habitación vecina que era aquella donde esperaban, como hemos dicho, los diputados de La Rochelle, la atravesó corriendo y se precipitó hacia la escalera; pero en el primer escalón se encontró con lord de Winter, que al verlo pálido, extraviado, lívido, manchado de sangre en la mano y en el rostro, saltó a su cuello exclamando:

-¡Lo sabía lo había adivinado y llego un minuto tarde! ¡Oh, desgraciado de mí!

Al grito lanzado por el duque, a la llamada de Patrick, el hombre al que Felton había encontrado en la antecámara se precipitó en el gabinete.

Encontró al duque tumbado sobre un sofá, cerrando su herida con su mano crispada.

-La Porte - dijo el duque con voz moribunda-, La Porte, ¿vienes de su parte?

-Sí, monseñor - respondió el fiel servidor de Ana de Austria-, pero quizá demasiado tarde.

-¡Silencio, La Porte, podrían oíros! Patrick, no dejéis entrar a nadie. ¡Oh, no llegaré a saber lo que me manda decir! ¡Dios mío, me muero!

Y el duque se desvaneció.

Sin embargo, lord de Winter, los diputados, los jefes de la expedición, los oficiales de la casa de Buckingham, habían irrumpido en su habitación; por todas partes sonaban gritos de desesperación. La nueva que llenaba el palacio de quejas y gemidos pronto se desparramó por doquier y se esparció por la ciudad.

Un cañonazo anunció que acababa de pasar algo nuevo e inesperado.

Lord de Winter se mesaba los cabellos.

-¡Un minuto tarde! - exclamó-. ¡Un minuto tarde! ¡Oh, Dios mío, Dios mío, qué desgracia!

En efecto, a las siete de la mañana habían ido a decirle que una escala de cuerda flotaba en una de las ventanas del castillo; había corrido al punto a la habitación de Milady, había encontrado la habitación vacía y la ventana abierta los barrotes serrados, se había acordado de la recomendación verbal que le había hecho transmitir D'Artagnan por su mensajero, había temblado por el duque, y corriendo a la cuadra, sin perder tiempo siquiera de hacer ensillar su caballo, había saltado sobre el primero que encontró, había corrido a galope tendido y, saltando a tierra en el patio, había subido precipitadamente la escalera, y en el primer escalón se había encontrado, como hemos dicho, con Felton.

Sin embargo, el duque no estaba muerto; volvió en sí, abrió los ojos y la esperanza volvió a todos los corazones.

-Señores - dijo - dejadme solo con Patrick y La Porte.

-¡Ah, sois vos, de Winter! Esta mañana me habéis enviado un singular loco, ved el estado en que me ha puesto.

-¡Oh, milord! - exclamó el barón-. No me consolaré nunca.

-Y cometerás un error, mi querido de Winter - dijo Buckingham tendiéndole la mano-. No sé de ningún hombre que merezca ser lamentado durante toda la vida por otro hombre; mas déjanos, te lo ruego.

El barón salió sollozando.

No se quedaron en el gabinete más que el duque herido, La Porte y Patrick.

Se buscaba a un médico, al que no podían encontrar.

-Viviréis, milord, viviréis - repetía de rodillas ante el sofá del duque el mensajero de Ana de Austria.

-¿Qué me escribía ella? - dijo débilmente Buckingham chorreando sangre y dominando, para hablar de aquella a la que amaba, atroces dolores-. ¿Que me escribía ella? Léeme su carta.

-¡Oh, milord! - dijo La Porte.

-Obedece, La Porte; ¿no ves que no tengo tiempo que perder?

La Porte rompió el sello y puso el pergamino bajo los ojos del duque; mas Buckingham trató en vano de distinguir la escritura.

-Lee, pues - dijo-,lee, yo no veo ya; lee, porque pronto quizá no oiga y moriré entonces sin saber lo que me ha escrito.

La Porte no puso más dificultades, y leyó:

«Milord:

Por cuanto he sufrido de vos y por vos desde que os conozco, os conjuro, si tenéis alguna preocupación por mi descanso, que interrumpáis el gran armamento que hacéis contra Francia y ceséis una guerra de la que en voz alta se dice que la religión es la causa visible, y en voz baja que vuestro amor por mí es la causa oculta. Esta guerra no sólo puede acarrear a Francia y a Inglaterra grandes catástrofes, sino incluso a vos, milord, desgracias de las que nunca me consolaré.

Velad por vuestra vida, que amenazan y que me será cara en el momento en que no esté obligada a ver en vos un enemigo.

Vuestra afectísima,

Ana.

»

Buckingham reunió los restos de su vida para escuchar esta lectura; luego, cuando hubo terminado, como si hubiera encontrado en aquella carta un amargo desencanto:

-¿No tenéis otra cosa que decirme de viva voz, La Porte? - preguntó.

-Sí, monseñor: la reina me había encargado deciros que velaseis por vos, porque había recibido el aviso que os querían asesinar.

-¿Y eso es todo, eso es todo? - prosiguió Buckingham con impaciencia.

-También me había encargado deciros que os amará siempre.

-¡Ah! - dijo Buckingham - ¡Dios sea loado! Mi muerte no será para ella la muerte de un extraño...

La Porte se fundió en lágrimas.

-Patrick - dijo el duque-, traedme el cofre donde estaban los herretes de diamantes.

Patrick trajo el objeto pedido, que La Porte reconoció por haber pertenecido a la reina.

-Ahora, la bolsita de satén blanco, donde están bordadas en perlas sus iniciales.

Patrick volvió a obedecer.

-Mirad, La Porte - dijo Buckingham-, estas son las únicas prendas que tengo de ella, este cofre de plata y estas dos cartas. Las devolvéis a Su Majestad; y como último recuerdo... - buscó a su alrededor algún objeto precioso - añadiréis... Siguió buscando; pero sus miradas oscurecidas por la muerte no encontraron más que el cuchillo caído de las manos de Felton echando aún el vaho de la sangre bermeja extendida en la hoja.

-Y añadiréis este cuchillo - dijo el duque apretando la mano de La Porte.

Aún pudo poner la bolsita en el fondo del cofre de plats, dejó caer allí el cuchillo haciendo seña a La Porte de que no podía ya hablar; luego, en la última convulsión, para la cual esta vez no tenía fuerzas ya de combatir, se deslizó del sofá al suelo.

Patrick lanzó un grito.

Buckingham quiso sonreír por última vez; pero la muerte detuvo su pensamiento, que quedó grabado sobre su frente como un último beso de amor.

En aquel momento el médico del duque llegó completamente espantado; estaba ya a bordo del bajel almirante, habían tenido que ir a buscarlo allí.

Se acercó al duque, cogió su mano, la conservó un instante en la suya y la dejó caer.

-Todo es inútil - dijo-, está muerto.

-¡Muerto, muerto! - exclamó Patrick.

Ante este grito toda la multitud entró en la sala, y por doquiera no hubo más que consternación y tumulto.

Tan pronto como lord de Winter vio a Buckingham muerto, corrió a por Felton, a quien los soldados seguían custodiando en la terraza del palacio.

-¡Miserable! - dijo al joven que desde la muerte de Buckingham había encontrado aquella calma y aquella sangre fría que ya no iban a abandonarlo-. ¡Miserable! ¿Qué has hecho?

-Me he vengado - dijo.

-¡Tú! - dijo el barón-. Di que has servido de instrumento a esa maldita mujer; pero, te lo juro, este crimen será su último crimen.

-No sé lo que queréis decir - contestó tranquilamente Felton-, e ignoro de quién queréis hablar, milord: he matado al señor de Buckingham porque ha rehusado en dos ocasiones, a vos mismo, nombrarme capitán: lo he castigado por su injusticia, eso es todo.

De Winter, estupefacto, miraba a las, personas que ataban a Felton y no sabía qué pensar de semejante sensibilidad.

Una sola cosa ponía, sin embargo, una nube sobre la frente pura de Felton. A cada ruido que oía, el ingenuo puritano creía reconocer los pasos y la voz de Milady viniendo a arrojarse en sus brazos para acusarse y perderse con él.

De pronto se estremeció, su mirada se fijó en un punto del mar, que desde la terraza en que se encontraba se dominaba completamente; con aquella mirada de águila de marino había reconocido, allí donde otro no hubiera visto más que una gaviota balanceándose sobre las olas, la vela de la balandra que se dirigía a las costas de Francia.

Palideció, se llevó la mano al corazón, que se rompía, y comprendió toda la traición.

-Una última gracia, milord - le dijo al barón.

-¿Cuál? - preguntó éste.

-¿Qué hora es? El barón sacó su reloj.

-Las nueve menos diez - dijo.

Milady había adelantado su partida una hora y media; desde que oyó el cañonazo que anunciaba el fatal suceso, había dado la orden de levar el ancla.

El barco bogaba bajo un cielo azul a gran distancia de la costa.

-Dios lo ha querido - dijo Felton con la resignación del fanático, pero sin poder, sin embargo, separar los ojos de aquel esquife a bordo del cual creía sin duda distinguir el blanco fantasma de aquella a quien su vida iba a ser sacrificada.

De Winter siguió su mirada, interrogó su sufrimiento y adivinó todo.

-Sé castigado solo primero, miserable - dijo lord de Winter a Felton, que se dejaba arrastrar con los ojos vueltos hacia el mar ; pero lo juro, por la memoria de mi hermano a quien tanto amé, que tu cómplice no se ha salvado.

Felton bajó la cabeza sin pronunciar una palabra.

En cuanto a de Winter, bajó rápidamente la escalera y se dirigió al puerto.

En Francia

El primer temor del rey de Inglaterra, Carlos I, al enterarse de esta muerte, fue que una noticia terrible desalentase a los rochelleses; trató, dice Richelieu en sus Memorias, de ocultársela el mayor tiempo posible, haciendo cerrar los puertos por todo su reino y teniendo especial cuidado de que ningún bajel saliese hasta que el ejército que Buckingham aprestaba hubiera partido, encargándose él mismo, a falta de Buckingham, de supervisar la marcha.

Llevó incluso la severidad de esta orden hasta mantener en Inglaterra al embajador de Dinamarca, que se había despedido, y al embajador ordinario de Holanda, que debía llevar al puerto de Flessingue los navíos de Indias que Carlos I había hecho devolver a las Provincias Unidas.

Mas como pensó dar esta orden sólo cinco horas después del suceso, es decir, a las dos de la tarde, ya habían salido del puerto dos navíos: el uno llevando, como sabemos, a Milady, la cual, sospechando ya el acontecimiento, fue confirmada en su creencia al ver el pabellón negro desplegarse en el mástil del bajel almirante.

En cuanto al segundo navío, más tarde diremos a quién llevaba y cómo partió.

Durante este tiempo, por lo demás, nada nuevo en el campo de La Rochelle; sólo el rey, que se aburría mucho, como siempre, pero quizá aún un poco más en el campamento que en otra parte, resolvió ir de incógnito a pasar las fiestas de San Luis a Saint Germain, y pidió al cardenal hacerle preparar una escolta de veinte mosqueteros solamente. El cardenal, a quien a veces ganaba el aburrimiento del rey, concedió con gran placer aquel permiso a su real lugarteniente, que prometió estar de regreso hacia el 15 de septiembre.

El señor de Tréville avisado por Su Eminencia, hizo su maletín de grupa, y como, sin saber el motivo, conocía el vivo deseo a incluso la imperiosa necesidad que sus amigos tenían de volver a Paris, los designó, por supuesto, para formar parte de la escolta.

Los cuatro jóvenes supieron la noticia un cuarto de hora después que el señor de Tréville, porque fueron los primeros a quienes se la comunicó. Fue entonces cuando D'Artagnan apreció el favor que le había otorgado el cardenal al hacerle formar parte por fin de los mosqueteros: sin esta circunstancia, se habría visto obligado a permanecer en el campamento mientras sus compañeros partían.

Más tarde se verá que esta impaciencia de dirigirse a Paris tenía por causa el peligro que debía correr la señora Bonacieux al encontrarse en el convento de Béthune con Milady, su enemiga mortal. Por eso, como hemos dicho, Aramis había escrito inmediatamente a Marie Michon, aquella costurera de Tours que tan buenos conocimientos tenía, para que obtuviese que la reina diese autorización a la señora Bonacieux de salir del convento y retirarse bien a Lorraine, bien a Bélgica. La respuesta no se había hecho esperar, y ocho o diez días después, Aramis había recibido esta carta:

«Mi querido primo:

Aquí va la autorización de mi hermana para retirar a nuestra pequeña criada del convento de Béthune, cuyo aire vos pensáis que es malo para ella. Mi hermana os envía esta autorización con gran placer, porque quiere mucho a esa muchacha, a la que se reserva serle útil más tarde.

Os abrazo,

Marie Michon.»

A esta carta iba unida una autorización así concebida:

«La superiora del convento de Béthune entregará a la persona que le entregue este billete la novicia que entró en su convento bajo mi recomendación y patronazgo.

En el Louvre, el 10 de agosto de 1628.

Anne.»

Como se comprenderá, estas relaciones de parentesco entre Aramis y una costurera que llamaba a la reina hermana suya habían amenizado la cháchara de los jóvenes; pero Aramis, después de haberse ruborizado dos o tres veces hasta el blanco de los ojos ante las gruesas bromas de Porthos, había rogado a sus amigos que no volvieran a tocar el tema, declarando que si se le volvía a decir una sola palabra, no imploraría más a su prima como intermediaria en este tipo de asuntos.

No volvió, pues, a tratarse de Marie Michon entre los cuatro mosqueteros, que, por otra parte, tenían lo que querían: la orden de sacar a la señora Bonacieux del convento de las Carmelitas de Béthune. Es cierto que esta orden no les serviría de gran cosa mientras estuvieran en el campamento de La Rochelle, es decir, en la otra esquina de Francia; por eso D'Artagnan iba a pedir un permiso al señor de Tréville, confiándole buenamente la importancia de su partida, cuando le fue transmitida esta buena nueva tanto a él como a sus tres compañeros: que el rey iba a partir para París con una escolta de veinte mosqueteros, y que ellos formaban parte de la escolta.

La alegría fue grande. Enviaron a los criados por delante con los equipajes, y partieron el 16 por la mañana.

El cardenal condujo a Su Majestad de Surgères a Mauzé, y allí el rey y su ministro se despidieron uno de otro con grandes demostraciones de amistad.

Sin embargo, el rey, que buscaba distracción, aunque caminando lo más deprisa que le era posible, porque deseaba llagar a París para el 23, se detenía de vez en cuando para cazar la picaza, pasatiempo cuyo gusto le fuera inspirado antaño por De Luynes, y por el que siempre había conservado gran predilección. De los veinte mosqueteros, dieciséis, cuando eso ocurría, se alegraban del descanso; pero otros cuatro maldecían cuanto podían. D'Artagnan, sobre todo, tenía zumbidos perpetuos en las orejas, cosa que Porthos explicaba así:

-Una gran dama me enseñó que eso quiere decir que se habla de vos en alguna parte.

Finalmente, la escolta cruzó París el 23 por la noche; el rey dio las gracias al señor de Tréville, y le permitió distribuir permisos por cuatro días, a condición de que ninguno de los favorecidos apareciese en algún lugar público, so pena de la Bastilla.

Los cuatro primeros permisos otorgados, como se supondrá, fueron para nuestros cuatro amigos. Es más, Athos obtuvo del señor de Tréville seis días en lugar de cuatro a hizo añadir a estos seis días dos noches de más, porque partieron el 24, a las cinco de la mañana, y, por complaciencia aún, el señor de Tréville posdató el permiso hasta el 25 por la mañana.

-Dios mío - decía D'Artagnan, que como se sabe nunca dudaba de nada-, me parece que ponemos muchas pegas a una cosa bien simple: en dos días, y reventando dos o tres caballos (poco me importa: tengo dinero), estoy en Béthume, entrego la carta de la reina a la superiora, y dejo al querido tesoro que voy a buscar no en Lorraine, tampoco en Bélgica, sino en París, donde estará mejor oculto, sobre todo mientras el señor cardenal esté en La Rochelle. Luego, una vez de retorno a la campaña, mitad por la protección de su prima, mitad por el favor de lo que personalmente hemos hecho por ella, obtendremos de la reina cuanto queramos. Quedaos, pues, aquí, no os agotéis de fatiga inútilmente: yo y Planchet, es todo cuanto se necesita para un expedición tan simple.

A lo cual Athos respondió tranquilamente.

-También nosotros tenemos dinero; porque aún no he bebido completamente el resto del diamante, y Porthos y Aramis no se lo han comido todo. Reventaremos, por tanto, cuatro caballos mejor que uno. Mas pensad, D'Artagnan - dijo con una voz tan sombría que su acento dio escalofríos al joven-, pensad que Béthune es una villa donde el cardenal ha citado a una mujer que por doquiera que va lleva la desgracia consigo. Si no tuvierais que habéroslas más que con cuatro hombres, D'Artagnan, os dejaría ir solo; tenéis que habéroslas con esa mujer, vayamos los cuatro, y pliega al cielo que con nuestros cuatro criados seamos en número suficiente.

-Me asustáis, Athos - exclamó D'Artagnan-. ¿Qué teméis, pues, Dios mío?

-¡Todo! - respondió Athos.

D'Artagnan examinó los rostros de sus compañeros, que, como el de Athos, llevaban la huella de una inquietud profunda, y continuaron camino al mayor trote que podían los caballos, pero sin añadir una sola palabra.

El 25 por la noche, cuando entraban en Arras, y cuando D'Artagnan acababa de echar pie a tierra en el albergue de la Herse d'Or para beber un vaso de vino un caballero salió del patio de la posta, donde acababa de hacer el relevo tomando a todo galope, y con un caballo fresco, el camino de París. En el momento en que pasaba del portalón a la calle, el viento entreabrió la capa en que estaba envuelto, aunque fuese el mes de agosto, y se llevó su sombrero, que el viajero retuvo con su mano en el momento en que ya había abandonado su cabeza, y lo hundió rápidamente hasta los ojos.

D'Artagnan, que tenía fijos los ojos sobre aquel hombre, palideció y dejó caer su vaso.

-¿Qué os ocurre, señor?... - dijo Planchet-. ¡Eh, eh! Acudid, señores, que mi amo se encuentra mal.

Los tres amigos acudieron y encontraron a D'Artagnan que, en lugar de encontrarse mal, corría hacia su caballo. Lo detuvieron en el umbral.

-¡Eh! ¿Dónde diablos vas as? - le gritó Athos.

-¡Es él! - exclamó D'Artagnan, pálido de cólera y con el sudor sobre la frente-. ¡Es él! ¡Dejadme que le siga!

-Pero él, ¿quién? - preguntó Athos.

-El, ese hombre.

-¿Qué hombre?

-Ese hombre maldito, mi genio malo, a quien he visto siempre cuando estaba amenazado por alguna desgracia; el que acompañaba a la horrible mujer cuando la encontré por primera vez, aquel a quien buscaba cuando provoqué a Athos, aquél a quien vi la mañana del día en que la señora Bonacieux fue raptada. ¡El hombre de Meung! ¡Lo he visto, es él! ¡Lo he reconocido cuando el viento ha entreabierto su capa!

-¡Diablos! - dijo Athos pensativo.

-A caballo, señores, a caballo, persigámoslo y lo alcanzaremos.

-Querido - dijo Aramis-, pensad que él va hacia el lado opuesto al que nosotros vamos; que tiene un caballo fresco y que nuestros caballos están fatigados; que, por consiguiente, reventaremos nuestros caballos sin tener siquiera la posibilidad de alcanzarlo. Dejemos al hombre, D'Artagnan, salvemos a la mujer.

-¡Eh, señor! - gritó un mozo de cuadra corriendo tras el desconocido-. ¡Eh, señor, se os ha caído del sombrero este papel! ¡Eh, señor, eh!

-Amigo - dijo D'Artagnan-, media pistola por ese papel.

-Con mucho gusto, señor; aquí lo tenéis.

El mozo de cuadra, encantado del buen día que había hecho, regresó al patio del hostal; D'Artagnan desplegó el papel.

-¿Y bien? - preguntaron sus amigos rodeándolo.

-¡Nada más que una palabra! - dijo D'Artagnan.

-Sí - dijo Aramis-, pero ese nombre es un nombre de villa o de aldea.

-Armentiéres - leyó Porthos-. Armentières, no conozco eso.

-¡Y ese nombre de villa o de aldea está escrito de su mano! - exclamó Athos.

-Vamos, vamos, guardemos cuidadosamente este papel - dijo D'Artagnan-, quizá no haya perdido mi última pistola. A caballo, amigos míos, a caballo.

Y los cuatro compañeros se lanzaron al galope por la ruta de Béthune.

El convento de las Carmelitas de Béthune

Los grandes criminales llevan con ellos una especie de predestinación que los hace superar todos los obstáculos, que los hace escapar de todos los peligros, hasta el momento en que la Providencia, cansada, ha marcado por escollo de su fortuna impía.

Así ocurría con Milady; pasó a través de los cruceros de las dos naciones, y arribó a Boulogne sin ningún accidente.

Y si al desembarcar en Portsmouth Milady era una inglesa a quienes las persecuciones de Francia echaban de La Rochelle, al desembarcar en Boulogne, tras dos días de travesía, se hizo pasar por una francesa a quien los ingleses molestaban en Portsmouth, por el odio que habían concebido contra Francia.

Milady tenía por otro lado el más eficaz de los pasaportes: su belleza, su gran aspecto y la generosidad con que repartía las pistolas. Eximida de las formalidades de costumbre por la sonrisa afable y las maneras galantes de un viejo gobernador del puerto que le besó la mano, no se quedó en Boulogne más que el tiempo de poner en la posta una carta concebida en estos términos:

«A Su Eminencia Monseñor el Cardenal de Richelieu, en su campamento ante La Rochelle.

Monseñor que Vuestra Eminencia se tranquilice; Su Gracia el duque de Buckingham no partirá hacia Francia.

Boulogne, 25 por la noche.

Milady ***. »

«P. S. Según los deseos de Vuestra Eminencia, me dirijo al convento de las Carmelitas de Béthune, donde esperaré sus órdenes. »

Efectivamente, aquella misma noche Milady se puso en camino; la cogió la noche: se detuvo y durmió en un albergue; luego, al día siguiente, a las cinco de la mañana, partió, y tres horas después entró en Béthune.

Se hizo indicar el convento de las Carmelitas, y entró en él al punto.

La superiora vino ante ella: Milady le mostró la orden del cardenal, la abadesa le hizo dar la habitación y servir de desayunar.

Todo el pasado se había borrado ya a los ojos de esta mujer, y, con la mirada puesta en el porvenir, no veía más que la alta fortuna que le reservaba el cardenal, a quien tan felizmente había servido, sin que su nombre se hubiera mezclado para nada con aquel sangriento asunto. Las pasiones siempre nuevas que la consumían daban a su vida las apariencias de esas nubes que vuelan en el cielo, reflejando tan pronto el azul, tan pronto el fuego, tan pronto el negro opaco de la tempestad, y que no dejan más rastros sobre la tierra que la devastación y la muerte.

Tras el desayuno, la abadesa vino a visitarla: hay pocas distracciones en el claustro, y la buena superiora tenía prisa por trabar conocimiento con su nueva pensionista.

Milady quería agradar a la abadesa; ahora bien, era cosa fácil para aquella mujer tan realmente superior; trató de ser amable: fue encantadora y sedujo a la buena superiora por su conversación tan variada y por las gracias esparcidas en toda su persona.

A la abadesa, que era una hija de la nobleza, le gustaban sobre todo las historias de corte, que rara vez llegan hasta las extremidades del reino y que, sobre todo, tanto les cuesta franquear los muros de los conventos, a cuyo umbral vienen a expirar los rumores mundanales.

Milady, por el contrario, estaba muy al corriente de todas las intrigas aristocráticas, en medio de las cuales había vivido constantemente desde hacía cinco o seis años; se puso, pues, a entretener a la buena abadesa con las prácticas mundanas de la corte de Francia, mezcladas a las devociones extremadas del rey, le hizo la crónica escandalosa de los señores y las damas de la corte, que la abadesa conocía perfectamente de nombre, tocó de refilón los amores de la reina y de Buckingham, hablando mucho para que se hablase poco.

Mas la abadesa se contentó con escuchar todo y sonreír sin responder. Sin embargo, como Milady vio que este género de relato le divertía mucho, continuó; sólo que hizo recaer la conversación sobre el cardenal.

Pero se hallaba en apuros: ignoraba si la abadesa era realista o cardenalista: se mantuvo en un punto medio prudente; pero la abadesa, por su parte, se mantuvo en una reserva más prudente aún, contentándose con hacer una profunda inclinación de cabeza todas las veces que la viajera pronunciaba el nombre de Su Eminencia.

Milady comenzó a creer que se aburriría mucho en el convento; resolvió, pues, arriesgar algo para saber luego a qué atenerse. Queriendo ver hasta dónde iría la discreción de aquella buena abadesa, se puso a hablar mal, muy disimulado primero, luego más circunstanciado, del cardenal, contando los amores del ministro con la señora de D'Aiguillon, con Marion de Lorme y con algunas otras mujeres galantes.

La abadesa escuchó más atentamente, se animó poco a poco y sonrió.

-Bueno - se dijo Milady-, le toma gusto a mi discurso; si es cardenalista, no pone mucho fanatismo que digamos.

Luego pasó a las persecuciones ejercidas por el cardenal sobre sus enemigos. La abadesa se contentó con persignarse, sin aprobar ni desaprobar.

Esto confirmó a Milady en su opinión de que la religiosa era más realista que cardenalista. Milady continuó, ponderando cada vez más.

-Soy muy ignorante en todas estas materias - dijo por fin la abadesa-, pero por alejadas que estemos de la corte, por marginadas y apartadas de los intereses del mundo tenemos ejemplos muy tristes de cuanto nos contáis, y una de nuestras pensionistas ha sufrido muchas venganzas y persecuciones del señor cardenal.

-Una de vuestras pensionistas - dijo Milady-. ¡Oh, Dios mío, pobre mujer! La compadezco entonces.

-Y tenéis razón, porque es muy de compadecer: prisión, amenazas, malos tratos, ha sufrido todo. Pero después de todo - prosiguió la abadesa-, quizá el señor cardenal tuviera motivos plausibles para actuar así, y aunque ella tiene el aire de un ángel, no hay que juzgar siempre a las personas por el aspecto.

«Bueno - se dijo Milady-, quién sabe; quizá voy a descubrir algo aquí, estoy en vena.»

Y se dedicó a dar a su rostro una expresión de candor perfecta.

-¡Ay! - dijo Milady-. Yo lo sé; se dice que no hay que creer en las fisonomías; pero ¿en qué creer entonces, si no es en la más bella obra del Señor? En cuanto a mí, quizá esté equivocada toda mi vida; pero me fiaré siempre de una persona cuyo rostro me inspire simpatía.

-¿Seríais tentada, pues, de creer que esta joven es inocente? - dijo la abadesa.

-El señor cardenal no castiga sólo los crímenes - dijo ella ; hay ciertas virtudes que persigue con más severidad que ciertas fechorías.

-Permitidme, señora, expresaros mi extrañeza - dijo la abadesa.

-Y ¿de qué? - preguntó Milady con ingenuidad.

-Del lenguaje que tenéis.

-¿Qué encontráis de sorprendente en este lenguaje? - preguntó Milady sonriendo.

-Vos sois amiga del cardenal, puesto que os envía aquí, y sin embargo...

-Y, sin embargo, hablo mal de él - prosiguió Milady, acabando el pensamiento de la superiora.

-Al menos no habláis bien.

-Es que yo no soy su amiga - dijo ella suspirando-, sino su víctima.

-Pero, sin embargo, ¿esa carta por la que os recomienda a mí?

-Es una orden contra mí de mantenerme en una especie de prisión de la que me hará sacar por algunos de sus satélites.

-Mas ¿por qué no habéis huido?

-¿Dónde iría? ¿Creéis que hay un lugar en la tierra que no pueda alcanzar el cardenal si quiere molestarme en tender la mano? Si yo fuera hombre, en rigor, todavía sería posible; pero mujer, ¿qué queréis que haga una mujer? Esa joven pensionista que tenéis aquí, ¿ha tratado de huir?

-No, cierto, pero ella es otra cosa, creo que está retenida en Francia por algún amor.

-Entonces - dijo Milady con un suspiro-, si ama no es completamente desgraciada.

-¿O sea - dijo la abadesa mirando a Milady con interés creciente-, que lo que estoy viendo es también una pobre perseguida?

-¡Ay, sí! - dijo Milady.

La abadesa miró un instante a Milady con inquietud, como si un nuevo pensamiento surgiese en su mente.

-¿Vos no sois enemiga de nuestra santa fe? - dijo ella balbuceando.

-¡Yo! - exclamó Milady-. ¿Yo protestante? ¡Oh, no, pongo por testigo al Dios que nos oye de que, por el contrario, soy ferviente católica!

-Entonces - dijo la abadesa sonriendo-, tranquilizaos; la casa en que estáis no será una prisión muy dura, y haremos todo lo necesario para haceros amar la cautividad. Hay más, encontraréis aquí a esa joven perseguida sin duda a consecuencia de alguna intriga cortesana. Es amable, graciosa.

-¿Cómo la llamáis?

-Me ha sido recomendada por alguien situado muy arriba, bajo el nombre de Ketty. No he tratado de saber su otro nombre.

-¡Ketty! - exclamó Milady-. ¿Cómo? ¿Estáis segura?

-¿Que se hace llamar así? Sí, señora. ¿La conoceríais?

Milady sonrió para sí misma y ante la idea que le había venido de que aquella mujer pudiera ser su antigua doncella. Al recuerdo de esta joven se mezclaba un recuerdo de cólera, y un deseo de venganza había alterado los rasgos de Milady, que, por lo demás, casi al punto adoptaron la expresión calma y benévola que esta mujer de cien rostros les había hecho perder momentáneamente.

-¿Y cuándo podré ver a esa joven dama, por la que siento una simpatía tan grande? - preguntó Milady.

-Pues esta noche - dijo la abadesa-, hoy mismo. Pero habéis viajado durante cuatro horas, como vos misma me habéis dicho; esta mañana os habéis levantado a las cinco, debéis necesitar descanso. Acostaos y dormid, a la hora de la cena os despertaremos.

Aunque Milady hubiera podido prescindir muy bien del sueño, sostenida como estaba por todas las excitaciones que una nueva aventura hacía experimentar a su corazón ávido de intrigas, no por eso dejó de aceptar el ofrecimiento de la superiora: desde hacía doce o quince días había pasado por tantas emociones diversas que, aunque su cuerpo de hierro podía aún soportar la fatiga, su alma necesitaba reposo.

Se despidió, pues, de la abadesa y se acostó, dulcemente acunada por las ideas de venganza que naturalmente le había traído el nombre de Ketty. Recordaba aquella promesa casi ilimitada que le había hecho el cardenal si triunfaba en su empresa. Había triunfado; podría, pues, vengarse de D'Artagnan.

Sólo una cosa espantaba a Milady: era el recuerdo de su marido, el conde de La Fère, a quien había creído muerto o al menos expatriado, y que ahora volvía a encontrar bajo el nombre de Athos, el mejor amigo de D'Artagnan.

Pero, también, si era amigo de D'Artagnan, había debido prestarle ayuda en todas las intrigas, con ayuda de las cuales la reina había desbaratado los proyectos de Su Eminencia; si era amigo de D'Artagnan, era enemigo del cardenal, y sin duda conseguiría ella envolverlo en la venganza en cuyos pliegues contaba con ahogar al joven mosquetero.

Todas estas esperanzas eran dulces pensamientos para Milady; por eso, acunada por ellos, se durmió al punto.

Fue despertada por una voz dulce que resonó al pie de su cama. Abrió los ojos y vio a la abadesa acompañada de una joven de cabellos rubios, de tez delicada, que fijaba sobre ella una mirada llena de benevolente curiosidad.

El rostro de aquella joven le era completamente desconocido: las dos se examinaron con una atención escrupulosa, al tiempo que cambiaban los saludos de uso; las dos eran muy bellas, pero de belleza completamente distinta. Sin embargo, Milady sonrió al reconocer que aventajaba con mucho a la joven mujer en clase y modales aristocráticos. Es cieto que el hábito de novicia que llevaba la joven no era muy ventajoso para sostener una lucha de este género.

La abadesa las presentó una a otra; luego, cuando fue cumplida esta formalidad, como sus deberes la llamaban a la iglesia, dejó a las dos jóvenes mujeres solas.

La novicia, al ver a Milady acostada, quería seguir a la superiora, mas Milady la retuvo.

-¿Cómo señora? - le dijo ella-. ¿Apenas os he visto y ya queréis privarme de vuestra presencia, con la cual, sin embargo, contaba yo, os lo confieso, para el tiempo que tengo que pasar aquí?

-No, señora - respondió la novicia - sólo que temía haber escogido mal el momento; dormid, estáis fatigada.

-Bueno - dijo Milady-, ¿qué pueden pedir las personas que duermen? Un buen despertar. Este despertar vos me lo habéis dado; dejadme gozar de él a mi gusto.

Y cogiéndole la mano, la atrajo sobre un sillón que estaba junto a su lecho.

La novicia se sentó.

-¡Dios mío - dijo ella-, qué desgraciada soy! Hace ya seis meses que estoy aquí, sin la sombra de una distracción; llegáis vos, vuestra presencia iba a ser para mí una compañía encantadora, y he aquí que lo más probable es que de un momento a otro vaya a dejar el convento.

-¡Cómo! - dijo Milady-. ¿Os marcháis en seguida?

-Al menos eso espero - dijo la novicia con una expresión de alegría que no trataba de disfrazar por nada del mundo.

-Creo haber entendido que habéis sufrido por parte del cardenal - continuó Milady ; hubiera sido un motivo más de simpatía entre nosotras.

-Ya me lo ha dicho nuestra buena madre. ¿Es, por tanto, verdad que también vos erais una víctima de ese malvado cardenal?

-¡Chiss! - dijo Milady-. Incluso aquí no hablemos así de él; todas mis desgracias proceden de haber dicho más o menos lo que vos acabáis de decir, delante de una mujer a quien yo creía amiga mía y que me ha traicionado. Y vos, ¿sois también vos víctima de una traición?

-No - dijo la novicia-, sino de mi desvelo por una mujer a la que yo quería, por quien hubiera dado mi vida, por la que aún la daría.

-Y que os ha abandonado, ¿no es eso?

-He sido lo bastante injusta para creerlo, pero desde hace dos o tres días he obtenido prueba de lo contrario, y se lo agradezco a Dios; me habría costado creer que me había olvidado. Pero vos, señora - continuó la novicia - me parece que estáis libre, y que si quisierais huir, no dependería más que de vos.

-¿Dónde queréis que vaya sin amigos, sin dinero, en una parte de Francia que no conozco, adonde no he venido nunca?...

-¡Oh! - exclamó la novicia-. En cuanto a amigos, los tendréis por todas partes donde os mostréis. Parecéis tan buena y sois tan bella...

-Esto no me impide - prosiguió Milady endulzando su sonrisa de manera que le daba una expresión angelical - que yo esté sola y perseguida.

-Escuchad - dijo la novicia-, hay que tener esperanza en el cielo, como veis; siempre viene en el momento en que el bien que se ha hecho defiende nuestra causa ante Dios, y mirad, quizá sea una suerte para vos, por humilde y sin poder que yo sea, que me hayáis encontrado; porque si yo salgo de aquí, pues bien, tendré algunos amigos poderosos que, después de haberse puesto en campaña por mí, podrán también ponerse en campaña por vos.

-¡Oh! Cuando he dicho que estaba sola - dijo Milady, esperando hacer hablar a la novicia hablando de ella misma-, no es por falta de tener algunos conocimientos situados arriba; pero estos conocimientos tiemblan ante el cardenal: la reina misma no se atreve a sostener a alguien contra el cardenal; tengo pruebas de que su majestad, pese a su excelente corazón, ha sido obligada más de una vez a abandonar a la cólera de Su Eminencia a personas que la habían servido.

-Creedme, señora, la reina puede parecer haber abandonado a esas personas; pero no hay que creer en las apariencias; cuanto más perseguidas son, más piensa en ellas, y con frecuencia, en el momento en que ellas menos lo piensan, tienen pruebas de su buen recuerdo.

-¡Ay! - dijo Milady-. Lo creo. Es tan buena la reina...

-¡Oh, entonces conocéis a esa bella y noble reina, puesto que habláis así! - exclamó la novicia con entusiasmo.

-Es decir - replicó Milady, acorralada en sus posiciones-, a ella personalmente no tengo el honor de conocerla; pero conozco a buen número de sus amigos más íntimos: conozco al señor de Putange, he conocido en Inglaterra al señor Dujart, conozco al señor de Tréville.

-¡El señor de Tréville! - exclamó la novicia-. ¿Conocéis al señor de Tréville?

-Sí, perfectamente, mucho incluso.

-¿El capitán de los mosqueteros del rey?

-El capitán de los mosqueteros del rey.

-¡Oh, vais a ver - exclamó la novicia - cómo dentro de un momento vamos a ser muy conocidas, casi amigas! Si conocéis al señor de Tréville habréis debido ir a su casa.

-¡Con frecuencia! - dijo Milady, que una vez entrada en esta vía y dándose cuenta de que la mentira triunfaba, quería llevarla hasta el final.

-En su casa habréis debido ver a algunos de sus mosqueteros...

-¡A todos los que habitualmente recibe! - respondió Milady, para quien esta conversación empezaba a tener un interés real.

-Nombradme a algunos de los que vos conozcáis y veréis que estarán entre mis amigos.

-Conozco - dijo Milady embarazada - al señor de Louvigny, al señor de Courtivron, al señor de Férussac.

La novicia la dejó decir; luego, viendo que se detenía:

-¿Y no conocéis - le dijo - a un gentilhombre llamado Athos?

Milady se puso tan pálida como las sábanas entre las que se acostaba, y por dueña que fuera de sí misma no pudo impedirse lanzar un grito cogiendo la mano de su interlocutora y devorándola con la mirada.

-¿Qué, qué os ocurre? ¡Oh, Dios mío! - preguntó aquella pobre mujer-. ¿He dicho algo que os haya herido?

-No, pero ese nombre me ha sorprendido porque también yo he conocido a ese gentilhombre, y porque me parece extraño encontrar a alguien que le conozca mucho.

-¡Oh, sí, mucho, no solamente a él, sino también a sus amigos, los señores Porthos y Aramis!

-De veras, también a ellos los conozco - exclamó Milady, que sintió el frío penetrar hasta su corazón.

-Pues bien, si los conocéis, debéis saber que son buenos y francos compañeros. ¿Por qué nos os dirigís a ellos si necesitáis apoyo?

-Es decir - balbuceó Milady-, yo no estoy vinculada realmente a ninguno de ellos; los conozco por haber oído hablar mucho de ellos a uno de mis amigos, el señor D'Artagnan.

-¡Conocéis al señor D'Artagnan! - exclamó la novicia a su vez, cogiendo la mano de Milady y devorándola con los ojos.

Luego notando la extraña expresión de la mirada de Milady:

-Perdón, señora - dijo-, ¿a título de qué lo conocéis?

-Pues - replico Milady en apuros - a título de amigo.

-Me engañáis, señora - dijo la novicia ; habéis sido su amante.

-Sois vos quien lo habéis sido, señora - exclamó Milady a su vez.

-¡Yo! - dijo la novicia.

-Sí, vos; ahora os conozco, vos sois la señora Bonacieux.

La joven retrocedió, llena de sorpresa y de terror.

-¡Oh, no lo neguéis! Responded - prosiguió Milady.

-Pues bien: sí, señora; yo le amo - dijo la novicia-, ¿somos rivales?

El rostro de Milady se encendió de un fuego tan salvaje que en cualquier otra circunstancia la señora Bonacieux habría huido de espanto; pero estaba totalmente dominada por los celos.

-Veamos: decís, señora - prosiguió la señora Bonacieux con una energía de la que se la hubiera creído incapaz-, qué habéis sido o sois su amante?

-¡Oh, oh! - exclamó Milady con un acento que no admitía duda sobre su verdad-. ¡Jamás, jamás!

-Os creo - dijo la señora Bonacieux ; mas ¿por qué entonces habéis gritado así?

-¿Cómo, no comprendéis? - dijo Milady, que se había repuesto de su turbación y que había recuperado toda su presencia de ánimo.

-¡Cómo queréis que comprenda! Yo no sé nada.

-¿No comprendéis que, por ser mi amigo, D'Artagnan me había tomado por confidente?

-¿De veras?

-¡No comprendéis que lo sé todo: vuestro rapto de la casita de Saint Germain, su desaparición, la de sus amigos, sus búsquedas inútiles desde ese momento! Y ¿cómo no queréis que me sorprenda, cuando sin sospechármelo me encuentro con vos, de quien hemos hablado con tanta frecuencia juntos, con vos, a quien él ama con toda la fuerza de su alma, con vos, a quien él me había hecho amar antes de haberos visto? ¡Ay, querida Costance, ahora os encuentro, por fin os veo!

Y Milady tendió sus brazos a la señora Bonacieux, que, convencida por lo que acababa de decirle, no vio ya en esta mujer, en quien un instante antes había creído su rival, más que una amiga sincera y abnegada.

-¡Oh, perdonadme, perdonadme! - exclamó ella dejándose ir sobre su hombro-. ¡Lo amo tanto!

Las dos mujeres estuvieron un instante abrazadas. Desde luego, si las fuerzas de Milady hubieran estado a la altura de su odio, la señora Bonacieux sólo hubiera salido muerta de aquel abrazo. Pero no pudiendo ahogarla, le sonrió.

-¡Oh, querida, querida muchacha - dijo Milady-, cuán feliz soy al veros! Dejadme miraros - y diciendo estas palabras la devoraba inquisitivamente con la mirada-. Sí, sois vos. ¡Ah y, por cuanto me ha dicho, os reconozco ahora, os reconozco perfectamente!

La pobre joven no podía sospechar lo que de horrorosamente cruel pasaba tras la muralla de aquella frente pura, tras aquelos ojos tan brillantes donde no leía otra cosa sino interés y compasión.

-Entonces sabéis cuánto he sufrido - dijo la señora Bonacieux-, puesto que os he dicho lo que él sufría; pero sufrir por él es felicidad.

Milady replicó maquinalmente.

-Sí, es felicidad.

Ella pensaba en otra cosa.

-Y, además - continuó la señora Bonacieux-, mi suplicio toca a su término; mañana, quizá esta noche, lo volveré a ver, y entonces el pasado no existirá.

-¿Esta noche? ¿Mañana? - exclamó Milady sacada de su ensoñación por aquellas palabras-. ¿Qué queréis decir? ¿Esperáis alguna nueva de él?

-Lo espero a él.

-A él. ¿D'Artagnan aquí?

-El mismo.

-¡Pero es imposible! Está en el sitio de La Rochelle con el cardenal; no volverá a París sino después de la toma de la ciudad.

-Vos creéis eso, pero ¿es que hay algo imposible para mi D'Artagnan el noble y leal gentilhombre?

-¡Oh, no puedo creeros!

-¡Buenos entonces leed! - dijo en el exceso de su orgullo y de su alegría la desventurada joven presentando una carta a Milady.

«¡La escritura de la señora Chevreuse! - se dijo para sus adentros Milady-. ¡Ay, estaba segura de que tenía conocimientos por ese lado!»

Y leyó ávidamente estas pocas líneas:

«Mi querida niña, estad preparada: nuestro amigo os verá muy pronto, y no os verá más que para arrancaros de la prisión en que vuestra seguridad exigía que estuvieseis oculta; preparaos, pues, para la partida y no desesperéis jamás de nosotros.

Vuestro encantador gascón acaba de mostrarse valiente y fiel como siempre; decidle que se le agradece en alguna parte el aviso que ha dado.»

-Sí, sí - dijo Milady-, sí, la carta es precisa. ¿Sabéis cuál es ese aviso?

-No, sospecho solamente que haya prevenido a la reina de alguna nueva maquinación del cardenal.

-Sí, eso es sin duda - dijo Milady, devolviendo la carta a la señora Bonacieux y dejando caer su cabeza pensativa sobre su pecho.

En aquel momento se oyó el galope de un caballo.

-¡Oh! - exclamó la señora Bonacieux precipitándose a la ventana-. ¿Será ya él?

Milady había permanecido en su cama, petrificada por la sorpresa; tantas cosas inesperadas le llegaban de golpe que por primera vez la cabeza le fallaba.

-¡El, él! - murmuró ella-. ¿Será él?

Y permanecía en la cama con los ojos fijos.

-¡Ay, no! - dijo la señora Bonacieux-. Es un hombre que no conozco y que, sin embargo, parece que viene hacia aquí; sí, aminora su carrera, se detiene en la puerta, llama.

Milady saltó fuera de su cama.

-¿Estáis completamente segura de que no es él? - dijo ella.

-¡Oh, sí, completamente segura!

-Quizá hayáis visto mal.

-¡Oh! Aunque no viera más que la pluma de su sombrero, la punta de su capa, lo reconocería.

Milady seguía vistiéndose.

-No importa, ¿decís que ese hombre viene hacia aquí?

-Sí, ha entrado.

-Es para vos o para mí.

-¡Oh, Dios mío, qué agitada parecéis!

-Sí, lo confieso, yo no tengo vuestra confianza, temo cualquier cosa del cardenal.

-¡Chis! - dijo la señora Bonacieux-. Alguien viene.

Efectivamente, la puerta se abrió y entró la superiora.

-Sois vos la que llegáis de Boulogne? - preguntó a Milady.

-Sí, soy yo - respondió ésta tratando de recuperar su sangre fría-. ¿Quién pregunta por mí?

-Un hombre que no quiere decir su nombre, pero que viene de parte del cardenal.

-¿Y qué quiere decirme? - preguntó Milady.

-Que quiere hablar con una dama que ha llegado de Boulogne.

-Entonces hacedlo entrar, señora, os lo ruego.

-¡Oh, Dios mío, Dios mío! - dijo la señora Bonacieux-. ¿Será alguna mala noticia?

-Tengo miedo.

-Os dejo con ese extraño, pero tan pronto como se marche, volveré si me lo permitís.

-¡Cómo no! Os lo suplico.

La superiora y la señora Bonacieux salieron.

Milady se quedó sola, fijos los ojos en la puerta; un instante después se oyó el ruido de espuelas que resonaban en las escaleras, luego los pasos se acercaron, luego la puerta se abrió y apareció un hombre.

Milady lanzó un grito de alegría: aquel hombre era el conde de Rochefort, el instrumento ciego de Su Eminencia.

Dos variedades de demonios

-¡Ah! - exclamaron al mismo tiempo Rochefort y Milady-. ¡Sois vos!

-Sí, soy yo.

-¿Y llegáis?... - preguntó Milady.

-De La Rochelle. ¿Y vos?

-De Inglaterra.

-¿Buckingham?

-Muerto o herido peligrosamente; cuando yo partía sin haber podido obtener nada de él, un fanático acababa de asesinarlo.

-¡Ah! - exclamó Rochefort con una sonrisa-. ¡He ahí un azar muy feliz! Y que satisfará mucho a Su Eminencia. ¿Le habéis avisado?

-Le escribí desde Boulogne. Pero ¿cómo estáis aquí?

-Su Eminencia, inquieto, me ha enviado en vuestra busca.

-Llegué ayer.

-¿Y qué habéis hecho desde ayer?

-No he perdido mi tiempo.

-¡Oh! Eso me lo sospecho de sobra.

-¿Sabéis a quién he encontrado aquí?

-No.

-Adivinad.

-¿Cómo queréis...?

-A esa joven a quien la reina ha sacado de prisión.

-¿La amante del pequeño D'Artagnan?

-Sí, a la señora Bonacieux, cuyo retiro ignoraba el cardenal.

-Bueno - dijo Rochefort-, ahí tenemos un azar que puede igualarse con el otro. El señor cardenal es realmente un hombre privilegiado.

-¿Comprendéis mi asombro - continuó Milady - cuando me he encontrado cara a cara con esta mujer?

-¿Ella os conoce?

-No.

-Entonces, ¿os mira como a una extraña?

Milady sonrió.

-¡Soy su mejor amiga!

-Por mi honor - dijo Rochefort-, no hay como vos, mi querida condesa, para hacer milagros.

-Y vale la pena, caballero - dijo Milady-, porque ¿sabéis qué pasa?

-No.

-Van a venir a buscarla mañana o pasado mañana con una orden de la reina.

-¿De verdad? ¿Y quién?

-D'Artagnan y sus amigos.

-Realmente harán tanto que nos veremos obligados a enviarlos a la Bastilla.

-¿Por qué no se ha hecho ya?

-¡Qué queréis! Porque el señor cardenal tiene por esos hombres una debilidad que yo no comprendo.

-¿De veras?

-Sí.

-Pues bien, decidle esto, Rochefort, decidle que nuestra conversación en el albergue del Colombier Rouge fue oída por esos cuatro hombres; decidle que después de su partida uno de ellos subió y me arrancó mediante la violencia el salvoconducto que me había dado; decidle que habían hecho avisar a lord de Winter de mi paso a Inglaterra; que también en esta ocasión han estado a punto de hacer fracasar mi misión, como hicieron fracasar la de los herretes; decidle que entre esos cuatro hombres, sólo dos son de temer, D'Artagnan y Athos; decidle que el tercero, Aramis, es el amante de la señora de Chevreuse: hay que dejar vivir a éste, sabemos su secreto, puede ser útil; en cuanto al cuarto, Porthos, es un tonto, un fatuo y un necio: que no se preocupe siquiera.

-Pero esos cuatro hombres deben estar en este momento en el asedio de La Rochelle.

-Eso creía como vos; pero una carta que la señora Bonacieux ha recibido de la señora de Chevreuse, y que ha cometido la imprudencia de comunicarme, me lleva a creer que por el contrario estos cuatro hombres están de camino y vienen a llevársela.

-¡Diablos! ¿Qué hacer?

-¿Qué os ha dicho el cardenal a mi respecto?

-Que reciba vuestros partes escritos o verbales, que vuelva al puesto, y cuando él sepa lo que habéis hecho, pensará en lo que debéis hacer.

-¿Debo entonces quedarme aquî? - preguntó Milady.

-Aquí o en los alrededores.

-¿No podéis llevarme con vos?

-No, la orden es formal; en los alrededores del campamento podríais ser reconocida, y vuestra presencia, como comprenderéis, comprometería a Su Eminencia, sobre todo después de lo que acaba de pasar allá. Sólo que decidme por adelantado dónde esperaréis noticias del cardenal, que yo sepa siempre dónde encontraros.

-Escuchad, es probable que no pueda permanecer aquí.

-¿Por qué?

-Olvidáis que mis enemigos pueden llegar de un momento a otro.

-Cierto; pero entonces, ¿esa mujercita va a escapársele a Su Eminencia?

-¡Bah! - dijo Milady con una sonrisa que no pertenecía más que a ella-. Olvidáis que yo soy su mejor amiga.

-¡Ah, es cierto! Puedo, por tanto, decir al cardenal que, respecto a esa mujer...

-Que esté tranquilo.

-¿Eso es todo?

-El sabrá lo que quiere decir.

-Lo adivinará. Ahora, veamos, ¿qué debo hacer yo?

-Salir al instante; me parece que las nuevas que lleváis bien merecen que nos demos prisa.

-Mi silla se ha partido al entrar en Lillers.

-¡Estupendo!

-¿Cómo estupendo?

-Sí, necesito vuestra silla - dijo la condesa.

-¿Y cómo iré yo entonces?

-A todo galope.

-Os tienen sin cuidado esas ciento ochenta leguas.

-¿Qué es eso?

-Se harán. ¿Y luego?

-Luego, al pasar por Lillers, me devolvéis la silla con orden a vuestro criado de ponerse a mi disposición.

-Bien.

-Indudablemente, tendréis encima de vos alguna orden del cardenal...

-Tengo mi pleno poder.

-Lo mostraréis a la abadesa diciendo que vendrán a buscarme, bien hoy, bien mañana, y que yo tendré que seguir a la persona que se presente en vuestro nombre.

-¡Muy bien!

-No olvidéis tratarme duramente cuando habléis de mí a la abadesa.

-¿Por qué?

-Yo soy una víctima del cardenal. Tengo que inspirar confianza a esa pobre señora Bonacieux.

-De acuerdo. Ahora, ¿queréis hacerme un informe de todo lo que ha pasado?

-Ya os he contado los acontecimientos, tenéis buena memoria, repetid las cosas tal como os las he dicho, un papel se pierde.

-Tenéis razón; basta con saber dónde encontraros, para que no vaya a recorrer inútilmente por los alrededores.

-Es cierto, esperad.

-¿Tenéis un mapa?

-¡Oh! Conozco esta región de maravilla.

-¿Vos? ¿Cuándo habéis venido aquí?

-Fui criada aquí.

-¿De verdad?

-Siempre sirve de algo, como veis, haber sido criada en alguna parte.

-Entonces me esperáis...

-Dejadme pensar un instante; claro, mirad, en Armentières.

-¿Qué es Armentières?

-Una pequeña aldea junto al Lys; no tendré más que cruzar el río y estoy en un país extranjero.

-¡De maravilla! Pero que quede claro que no atravesaréis el río más que en caso de peligro.

-Por supuesto.

-Y en ese caso, ¿cómo sabré dónde estáis?

-¿Necesitáis a vuestro lacayo?

-No.

-¿Es un hombre seguro?

-A toda prueba.

-Dádmelo; nadie lo conoce, lo dejo en el lugar del que mé voy y él os lleva adonde estoy.

-¿Y decís que me esperáis en Armentières?

-En Armentières - respondió Milady.

-Escribidme ese nombre en un trozo de papel, no vaya a ser que lo olvide; un nombre de aldea no es comprometedor, ¿no es as? -¿Quién sabe? No importa - dijo Milady escribiendo el nombre en media hoja de papel-, me comprometo.

-¡Bien! - dijo Rochefort cogiendo de las manos de Milady el papel, que plegó y metió en el forro de su sombrero-. Por otra parte, tranquilizaos; voy a hacer como los niños, y en caso de que pierda ese papel, repetiré el nombre durante todo el camino. Y ahora, ¿eso es todo?

-Creo que sí.

-Intentaremos recordar: Buckingham, muerto o gravemente herido; vuestra conversación con el cardenal, oída por los cuatro mosqueteros; lord de Winter avisado de vuestra llegada a Portsmouth; D'Artagnan y Athos, a la Bastilla; Aramis, amante de la señora de Chevreuse; Porthos, un fauto; la señora Bonacieux, vuelta a encontrar; enviaros la silla lo antes posible; poner mi lacayo a vuestra disposición; hacer de vos una víctima del cardenal para que la abadesa no sospeche; Armentières, a orillas del Lys. ¿Es eso?

-Realmente, mi querido caballero, sois un milagro de memoria. A propósito, añadid una cosa.

-¿Cuál?

-He visto bosques muy bonitos que deben lindar con el jardín del convento, decid que me está permitido pasear por esos bosques. ¿Quién sabe? Quizá tenga necesidad de salir por una puerta de atrás.

-Pensáis en todo.

-Y vos, vos olvidáis una cosa.

-¿Cuál?

-Preguntarme si necesito dinero.

-Tenéis razón, ¿cuánto queréis?

-Todo el oro que tengáis.

-Tengo aproximadamente quinientas pistolas.

-Yo tengo otro tanto; con mil pistolas se hace frente a todo; vaciad vuestros bolsillos.

-Aquí están, condesa.

-Bien, mi querido conde. ¿Cuándo partís?

-Dentro de una hora: el tiempo de tomar un bocado, durante el cual enviaré a buscar un caballo de posta.

-¡De maravilla! ¡Adiós, caballero!

-Adiós, condesa.

-Recomendadme al cardenal - dijo Milady.

-Recomendadme a Satán - replicó Rochefort.

Milady y Rochefort cambiaron una sonrisa y se separaron.

Una hora después, Rochefort partió a galope tendido en su caballo; cinco horas más tarde pasaba por Arras. Nuestros lectores ya saben cómo había sido reconocido por D'Artagnan, y cómo este reconocimiento, inspirando temores a los cuatro mosqueteros, habían dado nueva actividad a su viaje.

Gota de agua

Apenas había salido Rochefort, volvió a entrar la señora Bonacieux. Encontró a Milady con el rostro risueño.

-Y bien - dijo la joven - lo que vos temíais ha llegado, por tanto; esta noche o mañana el cardenal os envía a recoger.

-¿Quién os ha dicho eso, niña mía? - preguntó Milady.

-Lo he oído de la boca misma del mensajero.

-Venid a sentaros aquí a mi lado - dijo Milady.

-Ya estoy aquí.

-Esperad que me asegure de si alguien nos escucha.

-¿Por qué todas estas precauciones?

-Ahora vais a saberlo. Milady se levantó y fue a la puerta la abrió, miró en el corredor y volvió a sentarse junto a la señora Bonacieux.

-Entonces - dijo ella-, ha interpretado bien su papel.

-¿Quién?

-El que se ha presentado a la abadesa como enviado del cardenal.

-Era entonces un papel que representaba?

-Sí, niña mía.

-Ese hombre no es entonces...

-Ese hombre - dijo Milady bajando la voz - es mi hermano.

-¡Vuestro hermano! - exclamó la señora Bonacieux.

-Pues sí, sólo vos sabéis este secreto, niña mía; si lo confiáis a alguien, sea el que sea, estaré perdida, y quizá vos también.

-¡Oh, Dios mío!

-Escuchad, lo que pasa es esto: mi hermano, que venía en mi ayuda para sacarme de aquí a la fuerza si era preciso, se ha encontrado con el emisario del cardenal que venía a buscarme; lo ha seguido. Al llegar a un lugar del camino solitario y apartado, ha sacado la espada conminando al mensajero a entregarle los papeles de que era portador; el mensajero ha querido defenderse, mi hermano lo ha matado.

-¡Oh! - exclamó la señora Bonacieux temblando.

-Era el único medio, pensad en ello. Entonces mi hermano ha resuelto sustituir la fuerza por la astucia: ha cogido los papeles y se ha presentado aquí como el emisario mismo del cardenal, y dentro de una hora o dos, un coche debe venir a recogerme de parte de Su Eminencia.

-Comprendo; ese coche es vuestro hermano quien os lo envía.

-Exacto; pero eso no es todo: esa carta que habéis recibido y que creéis de la señora de Chevreuse...

-¿Qué?

-Es falsa.

-¿Cómo?

-Sí, falsa: es una trampa para que no hagáis resistencia cuando vengan a buscaros.

-Pero si vendrá D'Artagnan.

-Desengañaos, D'Artagnan y sus amigos están retenidos en al asedio de La Rochelle.

-¿Cómo sabéis eso?

-Mi hermano ha encontrado a los emisarios del cardenal con traje de mosqueteros. Os habrían llamado a la puerta, vos habríais creído que se trataba de amigos os raptaban y os llevaban a París.

-¡Oh, Dios mío! Mi cabeza se pierde en medio de este caos de iniquidades. Siento que si esto durase - continuó la señora Bonacieux llevando sus manos a su frente - me volvería loca.

-Esperad.

-¿Qué?

-Oigo el paso de un caballo, es el de mi hermano que se marcha; quiero decirle el último adiós, venid.

Milady abrió la ventana a hizo señas a la señora Bonacieux de reunirse con ella. La joven fue allí.

Rochefort pasaba al galope.

-¡Adiós, hermano! - exclamó Milady.

El caballero alzó la cabeza, vio a las dos jóvenes y, mientras seguía corriendo, hizo a Milady una seña amistosa con la mano.

-¡Este buen Georges! - dijo ella volviendo a cerrar la ventana con una expresión de rostro llena de afecto y melancolía.

Y volvió a sentarse en su sitio, como si se sumiera en reflexiones completamente personales.

-Querida señora - dijo la señora Bonacieux-, perdón por interrumpiros, pero ¿qué me aconsejáis hacer? ¡Dios mío! Vos tenéis más experiencia que yo; hablad, os escucho.

-En primer lugar - dijo Milady-, puede que yo me equivoque y que D'Artagnan y sus amigos vengan realmente en vuestra ayuda.

-¡Oh, hubiera sido demasiado hermoso! - exclamó la señora Bonacieux-. Y tanta felicidad no está hecha para mí.

-Entonces, atended; será simplemente una cuestión de tiempo, una especie de carrera para saber quién llegará primero. Si son vuestros amigos los que los aventajan en rapidez, estaréis salvada; si son los satélites del cardenal, estaréis perdida.

-¡Oh sí, perdida sin remisión! ¿Qué hacer entonces? ¿Qué hacer?

-Habría un medio muy simple, muy natural...

-¿Cuál? Decid.

-Sería esperar oculta en los alrededores y aseguraros de quiénes son los hombres que vienen a buscaros.

-Pero ¿dónde esperar?

-¡Oh, eso sí que no es un problema! Yo misma me detendré y me ocultaré a algunas leguas de aquí, a la espera de que mi hermano venga a reunirse conmigo; pues bien, os llevo conmigo, nos escondemos y esperamos juntas.

-Pero no me dejarán partir, aquí estoy casi prisionera.

-Como creen que yo me marcho por orden del cardenal, no creerán que estéis deseosa de seguirme.

-¿Y?

-Pues lo siguiente: el coche está en la puerta, vos me despedís, subís al estribo para estrecharme en vuestros brazos por última vez; el criado de mi hermano que viene a recogerme está avisado, hace una señal al postillón y partimos al galope.

-Pero D'Artagnan, D'Artagnan, ¿si viene?

-¿No hemos de saberlo?

-¿Cómo?

-Nada más fácil. Hacemos regresar a Béthune a ese criado de mi hermano, del cual, ya os lo he dicho, podemos fiarnos; se disfraza y se aloja frente al convento; si son los emisarios del cardenal los que vienen, no se mueve; si es el señor D'Artagnan y sus amigos, los lleva adonde estamos nosotras.

-Entonces, ¿los conoce?

-Claro, ha visto al señor D'Artagnan en mi casa.

-¡Oh, sí, sí, tenéis razón! De esta forma todo va de la mejor manera posible; pero no nos alejemos de aquí.

-A siete a ocho leguas todo lo más, nos situamos junto a la frontera, por ejemplo, y a la primera alerta, salimos de Francia.

-Y hasta entonces, ¿qué hacer?

-Esperar.

-Pero ¿y si llegan?

-El coche de mi hermano llegará antes que ellos.

-¿Si estoy lejos de vos cuando vengan a recogernos, comiendo o cenando, por ejemplo?

-Haced una cosa.

-¿Cuál?

-Decid a vuestra buena superiora que para dejarnos lo menos posible le pedís permiso de compartir mi comida.

-¿Lo permitirá?

-¿Qué inconveniente hay en eso?

-¡Oh, muy bien de esta forma no nos dejaremos un instante!

-Pues bien, bajad a su cuarto para hacerle saber vuestra petición; siento mi cabeza pesada, voy a dar una vuelta por el jardín.

-Id, pero ¿dónde os volveré a encontrar?

-Aquí, dentro de una hora.

-Aquí, dentro de una hora. ¡Oh, cuán buena sois! Os lo agradezco. Cómo no interesarme de vos? Aunque no fuerais hermosa y encantadora, ¿no sois la amiga de uno de mis mejores amigos?

-Querido D'Artagnan. ¡Oh, cómo os lo agradecerá!

-Eso espero. Vamos, todo está convenido, bajemos.

-¿Vais al jardín?

-Sí.

-Seguid este corredor, una escalerita os conduce allí.

-¡De maravilla! ¡Gracias!

Y las dos mujeres se separaron cambiando una encantadora sonrisa. Milady había dicho la verdad, tenía la cabeza pesada porque sus proyectos mal clasificados entrechocaban como en un caos. Necesitaba estar sola para poner un poco de orden en sus pensamientos. Veía vagamente en el futuro; pero le hacía falta un poco de silencio y de quietud para dar a todas sus ideas, aún confusas, una forma nítida, un plan fijo.

Lo más acuciante era raptar a la señora Bonacieux, ponerla en lugar seguro y allí, llegado el caso, hacer de ella un rehén. Milady comenzaba a temer el resultado de aquel duelo terrible en que sus enemigos ponían tanta perseverancia como ella encarnizamiento.

Por otra parte, sentía, como se siente venir una tormenta, que aquel resultado estaba cercano y no podía dejar de ser terrible.

Lo principal para ella, como hemos dicho, era por tanto tener en sus manos a la señora Bonacieux. La señora Bonacieux era la vida de D'Artagnan; era más que su vida, era la de la mujer que él amaba; era, en caso de mala suerte, un medio de tratar y obtener con toda seguridad buenas condiciones.

Ahora bien, este punto estaba fijado: la señora Bonacieux, sin desconfianza, la seguía; una vez oculta con ella en Armentières, era fácil hacerle creer que D'Artagnan no había venido a Béthune. Dentro de quince días como máximo, Rochefort estaría de vuelta; durante esos quince días, por otra parte, pensaría sobre lo que tenía que hacer para vengarse de los cuatro amigos. No se aburriría, gracias a Dios, porque tendría el pasatiempo más dulce que los sucesos pueden conceder a una mujer de su carácter: una buena venganza que perfeccionar.

Al tiempo que pensaba, ponía los ojos a su alrededor y clasificaba en su cabeza la topografía del jardín. Milady era como un general que prevé juntas la victoria y la derrota, y que está preparado, según las alternativas de la batalla, para ir hacia adelante o batirse en retirada.

Al cabo de una hora oyó una voz dulce que la llamaba: era la señora Bonacieux. La buena abadesa había consentido naturalmente en todo y, para empezar, iban a cenar juntas.

-Al llegar al patio, oyeron el ruido de un coche que se detenía en la puerta.

-¿Oís? - dijo ella.

-Sí, el rodar de un coche.

-Es el que mi hermano nos envía.

-¡Oh, Dios mío!

-¡Vamos, valor!

Llamaron a la puerta del convento, Milady no se había engañado.

-Subid a vuestra habitación - le dijo a la señora Bonacieux-, tendréis algunas joyas que desearéis llevaros.

-Tengo sus cartas - dijo ella.

-Pues bien, id a buscarlas y venid a reuniros conmigo a mi cuarto, cenaremos de prisa; quizá viajemos una parte de la noche, hay que tomar fuerzas.

-¡Gran Dios! - dijo la señora Bonacieux llevándose la mano al pecho-. El corazón me ahoga, no puedo caminar.

-¡Valor, vamos, valor! Pensad que dentro de un cuarto de hora estaréis salvada, y pensad que lo que vais a hacer, lo hacéis por él.

-¡Oh sí, todo por él! Me habéis devuelto mi valor con una sola palabra; id, yo me reuniré con vos.

Milady subió rápidamente a su cuarto, encontró allí al lacayo de Rochefort y le dio sus instrucciones.

Debía esperar a la puerta; si por casualidad aparecían los mosqueteros, el coche partía al galope, daba la vuelta al convento a iba a esperar a Milady a una pequeña aldea situada al otro lado del bosque. En este caso, Milady cruzaba el jardín y ganaba la aldea a pie; ya lo había dicho, Milady conocía de maravilla esta parte de Francia.

Si los mosqueteros no aparecían, las cosas marcharían como estaba convenido: la señora Bonacieux subía al coche so pretexto de decirle adiós y Milady raptaba a la señora Bonacieux.

La señora Bonacieux entró y, para quitarle cualquier sospecha, si es que la tenía, Milady repitió ante ella al lacayo toda la última parte de sus instrucciones.

Milady hizo algunas preguntas sobre el coche: era una silla tirada por tres caballos, guiada por un postillón; el lacayo de Rochefort debía precederla como correo.

Era un error de Milady su temor a que la señora Bonacieux tuviera sospechas: la pobre joven era demasiado pura para sospechar en otra mujer semejante perfidia; además, el nombre de la condesa de Winter, que había oído pronunciar a la abadesa, le era completamente desconocido, a ignoraba incluso que una mujer hubiera tenido parte tan grande y tan fatal en las desgracias de su vida.

-Ya lo veis - dijo Milady cuando el lacayo hubo salido-, todo está dispuesto. La abadesa no sospecha nada y cree que viene a buscarme de parte del cardenal. Ese hombre va a dar las últimas órdenes: tomad algo, bebed una gota de vino y partamos.

-Sí - dijo maquinalmente la señora Bonacieux-, sí, partamos.

Milady le hizo señas de sentarse ante ella, le puso un vasito de vino español y le sirvió una pechuga.

-Ved - le dijo-, todo nos ayuda: la oscuridad llega; al alba habremos llegado a nuestro refugio y nadie podrá sospechar dónde estamos. Vamos, valor, tomad algo.

La señora Bonacieux comió maquinalmente algunos bocados y templó sus labios en el vaso.

-Vamos, vamos - dijo Milady llevando el suyo a sus labios-, haced como yo.

Pero en el momento en que lo acercaba a su boca, su mano quedó suspendida: acababa de oír en la ruta como el rodar lejano de un galope que se iba aproximando; luego, casi al mismo tiempo, le pareció oír relinchos de caballos.

Aquel ruido la sacó de su alegría como un ruido de tormenta despierta en medio de un hermoso sueño; palideció y corrió a la ventana mientras la señora Bonacieux, levantándose toda temblorosa, se apoyaba sobre su silla para no caer.

No se veía nada aún, sólo se oía el galope que continuaba acercándose.

-¡Oh, Dios mío! - dijo la señora Bonacieux-. ¿Qué es ese ruido?

-El de nuestros amigos o de nuestros enemigos - dijo Milady con su terrible sangre fría ; quedaos donde estáis; voy a decíroslo.

La señora Bonacieux permaneció de pie, muda, inmóvil y pálida como una estatua.

El ruido se hacía más fuerte, los caballos no debían estar a más de ciento cincuenta pasos; si no se los divisaba todavía, es porque la ruta formaba un codo. Sin embargo, el ruido se hacía tan nítido que se hubieran podido contar los caballos por el ruido irregular de sus herraduras.

Milady miraba con toda la potencia de su atención. Necesitó poco tiempo para poder reconocer a los que llegaban.

De pronto, en el recodo del camino, vio relucir los sombreros galonados y flotar las plumas; contó dos, después cinco, luego ocho caballeros; uno de ellos precedía a todos los demás en dos cuerpos de caballo.

Milady lanzó un rugido ahogado. En el que venía a la cabeza reconoció a D'Artagnan.

-¡Oh, Dios mío, Dios mío! - exclamó la señora Bonacieux-. ¿Qué pasa?

-Es el uniforme de los guardias del señor cardenal; no hay un momento que perder - exclamó Milady-. ¡Huyamos, huyamos! -Sí, sí, huyamos - repitió la señora Bonacieux, pero sin poder dar un paso, clavada como estaba en su sitio por el terror.

Se oyó a los caballeros que pasaban bajo la ventana.

-¡Venid, pero venid! - exclamaba Milady tratando de arrastrar a la joven por el brazo-. Gracias al jardín, aún podemos huir, tengo la llave; pero démonos prisa, dentro de cinco minutos será demasiado tarde.

La señora Bonacieux trató de caminar, dio dos pasos y cayó de rodillas.

Milady trató de levantarla y de llevársela, pero no pudo conseguirlo.

En aquel momento se oyó el rodar de un coche, que, a la vista de los mosqueteros partió al galope. Luego, tres o cuatro disparos sonaron.

-Por última vez, ¿queréis venir? - exclamó Milady.

-¡Oh, Dios mío, Dios mío! veis que las fuerzas me faltan, veis que no puedo caminar: huid sola.

-¡Huir sola! ¡Dejaros aquí No, no nunca - exclamó Milady.

De pronto, un destello lívido brotó de sus ojos; de un salto, como loca, corrió a la mesa, echó en el vaso de la señora Bonacieux el contenido de un engaste de anillo que abrió con una presteza singular.

Era un grano rojizo que se fundió al punto.

Luego, cogiendo el vaso con una mano firme:

-Bebed - dijo-, este vino os dará fuerzas, bebed.

-¡Constance, Constance! - respondió el joven-. ¿Dónde estáis? ¡Dios mío! En el mismo momento, la puerta de la celda cedió al choque más que se abrió; varios hombres se precipitaron en la habitación; la señora Bonacleux había caído en un sillón sin poder hacer un movimiento.

D'Artagnan arrojó una pistola aún humeante que tenía en la mano y cayó de rodillas ante su dueña, Athos volvió a poner la suya en su cintura; Porthos y Aramis, que tenían desnudas sus espadas, las envainaron.

-¡Oh, D'Artagnan! ¡Mi bien amado D'Artagnan! ¡Vienes por fin, no me habían engañado, eres tú!

-¡Sí, sí, Constance! ¡Juntos!

-¡Oh! Por más que ella decía que no vendrías yo esperaba en secreto; no he querido huir. ¡Ay, qué bien he hecho, qué feliz soy!

A la palabra de ella, Athos, que estaba sentado tranquilamente, se levantó de un salto.

-¡Ella! ¿Quién es ella? - preguntó D'Artagnan.

-Mi compañera; la que, por amistad hacia mí, quería sustraerme a mis perseguidores; la que tomándoos por guardias del cardenal acaba de huir.

-Vuestra compañera - exclamó D'Artagnan volviéndose más pálido que el velo blanco de su amante-. ¿A qué compañera os referís? -A aquella cuyo coche estaba a la puerta, a una mujer que se dice vuestra amiga, D'Artagnan; a una mujer a quien vos habéis contado todo.

-¡Su nombre, su nombre! - exclamó D'Artagnan-. ¡Dios mío! ¿No sabéis vos su nombre?

-Sí, lo han pronunciado delante de mí; esperad..., pero es extranjero... ¡Oh, Dios mío! Mi cabeza se turba, ya no veo.

-¡Ayudadme, amigos ayudadme! Sus manos están heladas - exclamó D'Artagnan-. Se encuentra mal. ¡Gran Dios! ¡Pierde el conocimiento!

Mientras Porthos pedía ayuda con toda la potencia de su voz, Aramis corrió a la mesa para coger un vaso de agua; pero se detuvo al ver la horrible alteración del rostro de Athos que, de pie ante la mesa, con los pelos erizados, los ojos helados de estupor, miraba uno de los vasos y parecía presa de la duda más horrible.

-¡Oh! - decía Athos-. ¡Oh, no, es imposible! ¡Dios no permitiría semejante crimen!

-¡Agua, agua! - gritaba D'Artagnan-. ¡Agua!

-¡Oh, pobre mujer, pobre mujer! - murmuraba Athos con la voz quebrada.

La señora Bonacieux volvió a abrir los ojos bajo los besos de D'Artagnan.

Y acercó el vaso a los labios de la joven, que bebió maquinalmente.

-¡Ah! No es así como quería vengarme - dijo Milady dejando con una sonrisa infernal el vaso encima de la mesa-, pero a fe que se hace lo que se puede.

Y se precipitó fuera de la habitación.

La señora Bonacieux la vio huir, sin poder seguirla; estaba como esas gentes que sueñan que las persiguen y que tratan en vano de caminar.

Transcurrieron algunos minutos, un ruido horrible resonaba en la puerta; a cada instante la señora Bonacieux esperaba ver reaparecer a Milady, que no reaparecía.

Varias veces, de terror sin duda, el sudor frío subió a su frente ardiente.

Por fin, oyó el rechinar de las verjas que se abrían, el ruido de las botas y de las espuelas resonó por las escaleras: había un gran murmullo de voces que iban acercándose, en medio de las cuales le parecía oír pronunciar su nombre.

De pronto lanzó un gran grito de alegría y se lanzó hacia la puerta, había reconocido la voz de D Artagnan.

-¡D'Artagnan! ¡D'Artagnan! - exclamó ella-. ¿Sois vos? Por aquí, por aquí.

-¡Vuelve en sí! - exclamó el joven-. ¡Oh, Dios mío, Dios mío, gracias!

-Señora - dijo Athos-, señora, en nombre del cielo, ¿de quién es este vaso vacío? -Mío, señor... - respondió la joven - con voz moribunda.

-Pero ¿quién os ha echado el vino que estaba en ese vaso? -Ella.

-Pero ¿quién es ella?

-¡Ah, ya me acuerdo! - dijo la señora Bonacieux-. La condesa de Winter...

Los cuatro amigos lanzaron un solo y mismo grito, pero el de Athos dominó todos los demás.

En aquel momento, el rostro de la señora Bonacieux se volvió lívido, un dolor sordo la abatió y cayó jadeante en los brazos de Porthos y de Aramis.

D'Artagnan cogió las manos de Athos con una angustia difícil de describir.

-¿Y qué? - dijo-. Tú crees...

Su voz se extinguió en un sollozo.

-Lo creo todo - dijo Athos mordiéndose los labios hasta hacerse sangre.

-¡D'Artagnan! ¡D'Artagnan! - exclamó la señora Bonacieux-. ¿Dónde estás? No me dejes, ya ves que voy a morir.

D'Artagnan soltó las manos de Athos, que tenía aún entre sus manos crispadas, y corrió hacia ella.

Su rostro tan hermoso estaba todo trastornado, sus ojos vidriosos no teman ya mirada, un estremecimiento convulsivo agitaba su cuerpo, el sudor corría por su frente.

-¡En nombre del cielo! ¡Corred a llamar! Porthos, Aramis, ¡pedid ayuda!

-Inútil - dijo Athos-, inútil, para el veneno que ella echa no hay contraveneno.

-¡Sí, sí, socorro, socorro! - murmuró la señora Bonacieux-. ¡Socorro!

Luego, reuniendo todas su fuerzas, cogió la cabeza del joven entre sus dos manos, lo miró un instante como si toda su alma hubiera pasado a su mirada y, con un grito sollozante, apoyó sus labios sobre los de él.

-¡Constance! ¡Constance! - exclamó D'Artagnan.

Un suspiro escapó de la boca de la señora Bonacieux rozando la de D'Artagnan; aquel suspiro era aquella alma tan casta y tan amante que subía al cielo.

D'Artagnan no estrechaba más que un cadáver entre sus brazos.

El joven lanzó un grito y cayó junto a su amante, tan pálido y helado como ella.

Porthos lloró, Aramis mostró el puño al cielo, Athos hizo el signo de la cruz.

En aquel momento un hombre apareció en la puerta, casi tan pálido como los que estaban en la habitación, miró todo en torno suyo, vio a la señora Bonacieux muerta y a D'Artagnan desvanecido.

Apareció justo en ese instante de estupor que sigue a las grandes catástrofes.

-No me había equivocado - dijo-, he ahí al señor D'Artagnan y sus tres amigos, los señores Athos, Porthos y Aramis.

Estos cuyos nombres acababan de ser pronunciados miraban al extranjero con asombro, y a los tres les parecía reconocerlo.

-Señores - prosiguió el recién llegado-, vos estáis como yo a la búsqueda de una mujer que - añadió con una sonrisa terrible - ha debido pasar por aquí, ¡porque veo un cadáver!

Los tres amigos permanecieron mudos; sólo que tanto la voz como el rostro les recordaba a un hombre que ya habían visto; sin embargo, no podían acordarse de en qué circunstancias.

-Señores - continuó el extranjero-, puesto que no queréis reconocer a un hombre que probablemente os debe la vida dos veces, tendré que dar mi nombre: soy lord de Winter, el cuñado de esa mujer.

Los tres amigos lanzaron un grito de sorpresa.

Athos se levantó y le tendió la mano.

-Sed bienvenido, milord - dijo-, sois de los nuestros.

-Salí de Portsmouth cinco horas después que ella - dijo lord de Winter-, llegué a Boulogne tres horas después que ella, no la alcancé por veinte minutos en Saint Omer; finalmente, en Lillers perdí su rastro. Iba al azar, informándome con todo el mundo, cuando os he visto pasar al galope; he reconocido al señor D'Artagnan. Os he llamado, no me habéis respondido; he querido seguiros, pero mi caballo estaba demasiado cansado para ir a la misma velocidad que los vuestros. Y, sin embargo, parece que pese a la diligencia que habéis puesto, ¡habéis llegado demasiado tarde!

-Ya lo veis - dijo Athos señalando a lord de Winter a la señora Bonacieux muerta y a D'Artagnan, al que Porthos y Aramis trataban de que recobrara el conocimiento.

-¿Están muertos los dos? - preguntó fríamente lord de Winter.

-Afortunadamente no - respondió Athos ; el señor D'Artagnan sólo está desvanecido.

-¡Ah, tanto mejor! - dijo lord de Winter.

En efecto, en aquel momento D'Artagnan volvió a abrir los ojos.

Se arrancó de los brazos de Porthos y de Aramis y se precipitó como un insensato sobre el cuerpo de su amante.

Athos se levantó, se dirigió hacia su amigo con paso lento y solemne, lo abrazó tiernamente y, como él estallaba en sollozos, le dijo con su voz tan notable y tan persuasiva:

-Amigo, sé hombre: las mujeres lloran los muertos; los hombres los vengan.

-¡Oh, sí! - dijo D'Artagnan-. Sí; si es para vengarla estoy dispuesto a seguirte.

Athos aprovechó aquel momento de fuerza que la esperanza de la venganza daba a su desdichado amigo para hacer señas a Porthos y Aramis de que fueran a buscar a la superiora.

Los dos amigos la encontraron en el corredor, completamente impresionada aún y extraviada por tantos acontecimientos; llamó a algunas religiosas que, contra todos los hábitos monásticos, se encontraron en presencia de cinco hombres.

-Señora - dijo Athos pasando el brazo de D'Artagnan bajo el suyo-, abandonamos a vuestros piadosos cuidados el cuerpo de esta desgraciada mujer. Fue un ángel sobre la tierra antes de ser un ángel en el cielo. Tratadla como a una de vuestras hermanas; nosotros volveremos un día a rezar sobre su tumba.

D'Artagnan ocultó su rostro en el pecho de Athos y estalló en sollozos.

-¡Llora - dijo Athos-. Llora, corazón lleno de amor, de juventud y de vida! ¡Ay, de buena gana quisiera poder llorar como tú! Y se llevó a su amigo afectuoso como un padre, consolador como un cura, grande como hombre que ha sufrido mucho.

Los cinco, seguidos de sus criados, que llevaban sus caballos de la brida, avanzaron hacia la villa de Béthune, cuyo arrabal se divisaba, y se detuvieron ante el primer albergue que encontraron.

-Pero ¿no seguimos a esa mujer? - dijo D'Artagnan.

-Más tarde - dijo Athos-, tengo que tomar medidas.

-Se nos escapará - replicó el joven-, se nos escapará, Athos, y será por tu culpa.

-Respondo de ella - dijo Athos.

D'Artagnan tenía tal confianza en la palabra de su amigo, que bajó la cabeza y entró en el albergue sin responder nada.

Pothos y Aramis se miraban sin comprender nada de la seguridad de Athos.

Lord de Winter creía que hablaba así para adormecer el dolor de D'Artagnan.

-Ahora, señores - dijo Athos cuando estuvo seguro de que había cinco habitaciones libres en el hotel-, nos retiraremos cada uno a su cuarto; D'Artagnan necesita estar solo para llorar y vos para dormir. Yo me encargo de todo, estad tranquilos.

-Sin embargo, me parece - dijo lord de Winter - que si hay alguna medida que tomar contra la condesa, eso me afecta: es mi cuñada.

-Y a mí también - dijo Athos : es mi mujer.

D'Artagnan se estremeció porque comprendió que Athos estaba seguro de la venganza, puesto que revelaba semejante secreto; Porthos y Aramis se miraron palideciendo. Lord de Winter pensó que Athos estaba loco.

-Retiraos, pues - dijo Athos-, y dejadme hacer. Veis de sobra que en mi calidad de marido me corresponde a mí. Sólo que, D'Artagnan si no lo habéis perdido, entregadme ese papel que se escapó del sombrero de aquel hombre y sobre el que está escrito el nombre de la villa...

-¡Ah! - dijo D'Artagnan-. Comprendo, ese nombre escrito por su puño...

-¡Ya ves - dijo Athos - que hay un Dios en el cielo!

El hombre de la capa roja

La desesperación de Athos había dejado sitio a un dolor concentrado que hacía más lúcidas aún las brillantes facultades de espíritu de aquel hombre.

Concentrado por entero en un solo pensamiento, el de la promesa que había hecho y de la responsabilidad que había tomado, se retiró el último a su habitación, pidió al hostelero que le procurase un mapa de la provincia, se inclinó encima, interrogó a las líneas trazadas, advirtió que cuatro caminos diferentes se dirigían de Béthune a Armentières, a hizo llamar a los criados.

Planchet, Grimaud, Mosquetón y Bazin se presentaron y recibieron las órdenes claras, puntuales y graves de Athos.

Debían partir al alba al día siguiente, y dirigirse a Armentières, cada uno por una ruta diferente. Planchet, el más inteligente de los cuatro, debía seguir aquella por la que había desaparecido el coche contra el que los cuatro amigos habían disparado y que, como se rocordará, iba acompañado por el doméstico de Rochefort.

Athos puso en campaña primero a los criados porque desde que estos hombres estaban a su servicio y al de sus amigos había advertido en cada uno de ellos cualidades diferentes y esenciales.

En segundo lugar, criados que preguntan inspiran a los transeúntes menos desconfianza que sus amos, y hallan más simpatía en aquellos a quienes se dirigen.

Por último, Milady conocía a los amos, mientras que no conocía a los criados; y, por el contrario, los criados conocían perfectamente a Milady.

Los cuatro debían hallarse al día siguiente, a las once, en el lugar indicado; si habían descubierto el refugio de Milady, tres permanecerían custodiándola, el cuarto regresaría a Béthune para avisar a Athos y servir de guía a los cuatro amigos.

Tomadas estas disposiciones, los criados se retiraron a su vez.

Athos se levantó entonces de su silla, se ciñó la espada, se envolvió en su capa y salió de la hostería; eran las diez aproximadamente. A las diez de la noche, como se sabe, en provincias las calles están poco frecuentadas. Athos, sin embargo, buscaba visiblemente a alguien a quien pudiera dirigir una pregunta. Por fin encontró un transeúnte rezagado, se acercó a él, le dijo algunas palabras; el hombre al que se dirigía retrocedió con terror, sin embargo respondió a las palabras del mosquetero con una indicación. Athos ofreció a aquel hombre media pistola por acompañarlo, pero el hombre rehusó.

Athos se metió en la calle que el indicador había designado con el dedo; pero, llegado a la encrucijada, se detuvo de nuevo visiblemente apurado. No obstante, como más que cualquier otro lugar la encrucijada le ofrecía la posibilidad de encontrar a alguien, se detuvo. En efecto, al cabo de un instante, pasó un vigilante nocturno. Athos le repitió la misma pregunta que ya había hecho a la primera persona que había encontrado; el vigilante nocturno dejó percibir el mismo tenor, rehusó también acompañar a Athos y le mostró con la mano el camino que debía seguir.

Athos caminó en la dirección indicada y alcanzó el arrabal situado en el extremo opuesto de la villa, aquel por el que él y sus compañeros habían entrado. Allí pareció de nuevo inquieto y embarazado, y se detuvo por tercera vez.

Afortunadamente pasó un mendigo que se acercó a Athos para pedirle limosna. Athos le ofreció un escudo por acompañarlo donde iba. El mendigo dudó un instante pero, a la vista de la moneda de plata que brillaba en la oscuridad, se decidió y caminó delante de Athos.

Llegado a la esquina de una calle, le mostró de lejos una casita aislada, solitaria, triste; Athos se acercó mientras el mendigo, que había recibido su salario, se alejaba a todo correr.

Athos dio una vuelta a la casa antes de distinguir la puerta en medio del color rojizo con que aquella casa estaba pintada; ninguna luz se colaba por las cortaduras de las contraventanas, ningún ruido dejaba suponer que estuviese habitada, era sombría y muda como una tumba.

Tres veces llamó Athos sin que le contestasen. A la tercera llamada, sin embargo, pasos interiores se acercaron; finalmente, la puerta se entreabrió, y un hombre de talla alta, tez pálida, pelo y barba negros, apareció.

Athos y él cambiaron algunas palabras en voz baja, luego el hombre de talla alta hizo señas al mosquetero de que podía entrar. Athos aprovechó al momento el permiso y la puerta se cerró tras él.

El hombre al que Athos había venido a buscar tan lejos y al que había encontrado con tanto esfuerzo, lo hizo entrar en su laboratorio, donde estaba ocupado en sujetar con alambres ruidosos huesos de un esqueleto. Todo el cuerpo estaba ya ajustado: sólo la cabeza estaba puesta sobre un mesa.

El resto del moblaje indicaba que aquél en cuya casa se hallaba se ocupaba en ciencias naturales: había tarros llenos de serpientes, etiquetados según las especies; lagartos disecados relucían como esmeraldas talladas en grandes marcos de madera negra; en fin, botes de hierbas silvestres, odoríferas y sin duda dotadas de virtudes desconocidas al vulgo, estaban pegadas al techo y bajaban por las esquinas del cuarto.

Athos lanzó una ojeada fría a indiferente sobre todos estos objetos que acabamos de describir y, a invitación de aquel al que venía a buscar, se sentó a su lado.

Entonces le explicó la causa de su visita y el servicio que reclamaba de el; mas apenas hubo expuesto su demanda, el desconocido, que estaba de pie ante el mosquetero, retrocedió con terror y rehusó. Entonces Athos sacó de su bolsillo un breve papel sobre el que había escritas dos líneas acompañadas de una firma y un sello, y lo presentó a aquel que daba demasiado prematuramente aquellas señales de repugnancia. El hombre de alta estatura, apenas hubo leído aquellas dos líneas, visto la firma y reconocido el sello, se inclinó en señal de que no tenía ya ninguna objeción que hacer, y que estaba dispuesto a obedecer.

Athos no pidió más; se levantó, saludó, salió, tomó al irse el mismo camino que había seguido para venir, volvió a entrar en la hostería y se encerró en su cuarto.

Al alba, D'Artagnan entró en su habitación y preguntó qué iba a hacer.

-Esperar - respondió Athos.

Algunos instantes después, la superiora del convento hizo avisar a los mosqueteros de que el entierro de la víctima de Milady tendría lugar a mediodía. En cuanto a la envenenadora, no había habido noticias; sólo que debía haber huido por el jardín, en cuya arena habían reconocido la huella de sus pasos, y cuya puerta habían encontrado cerrada; en cuanto a la llave, había desaparecido.

A la hora indicada, lord de Winter y los cuatro amigos se dirigieron al convento; las campanas tocaban a duelo, la capilla estaba abierta, la verja del coro estaba cerrada. En medio del coro estaba puesto el cuerpo de la víctima, revestida de sus hábitos de novicia. A cada lado del coro, y tras las verjas que se abrían sobre el convento, estaba toda la comunidad de Carmelitas, que escuchaba desde allí el servicio divino y mezclaba su canto al canto de los sacerdotes, sin ver a los profanos ni ser vista por ellos.

A la puerta de la capilla, D'Artagnan sintió que su valor huía nuevamente; se volvió en busca de Athos, pero Athos había desaparecido.

Fiel a su misión de venganza, Athos se había hecho conducir al jardín; y allí, sobre la arena, siguiendo los pasos ligeros de aquella mujer que había dejado un rastro ensangrentado por donde había pasado, avanzó hasta la puerta que daba al bosque, se la hizo abrir y se metió en el bosque.

Entonces todas sus dudas se confirmaron: el camino por el que el coche había desaparecido contorneaba el bosque. Athos siguió el camino algún tiempo con los ojos fijos en el suelo; ligeras manchas de sangre, que provenían de una herida hecha o al hombre que acompañaba el coche como correo o a uno de los caballos, salpicaban el camino. Al cabo de tres cuartos de legua aproximadamente, a cincuenta pasos de Festubert, aparecía una mancha de sagre más amplia; el suelo estaba pisoteado por los caballos. Entre el bosque y aquel lugar desnudo, un poco antes de la tierra lastimada, se encontraba la misma huella de breves pasos que en el jardín; el coche se había detenido.

En aquel lugar, Milady había salido del bosque y había montado en el coche.

Satisfecho por este descubrimiento que confirmaba todas sus sospechas, Athos volvió a la hostería y encontró a Planchet que lo esperaba con impaciencia.

Todo era como Athos había previsto.

Planchet había seguido la ruta, había observado, como Athos, las manchas de sangre, como Athos había reconocido el lugar en que los caballos se habían detenido; pero había ido más lejos de Athos, de suerte que en la aldea de Festubert, mientras bebía en un albergue, sin haber tenido necesidad de preguntar, había sabido que la víspera, a las ocho y media de la noche, un hombre herido, que acompañaba a una dama que viajaba en una silla de posta, se había visto obligado a detenerse, sin poder seguir delante. El accidente habría sido cargado en la cuenta de ladrones que habían detenido la silla en el bosque. El hombre había quedado en la aldea, la mujer había hecho el relevo y continuado su camino.

Planchet se puso a buscar al postillón que había conducido la silla, y lo encontró. Había conducido a la señora hasta Fromelles, y de Fromelles ella había partido hacia Armentières. Planchet tomó la trocha, y a las siete de la mañana estaba en Armentières.

No había más que una hostería, la de la posta. Planchet fue a presentarse allí como lacayo sin trabajo que buscaba una plaza. No había hablado diez minutos con las gentes del albergue cuando ya sabía que una mujer sola había llegado a las once de la noche, había alquilado una habitación, había hecho venir al dueño de la hostería y le había dicho que deseaba permanecer algún tiempo por aquellos alrededores.

Planchet no tenía necesidad de saber más. Corrió al lugar de la cita, encontró a los tres lacayos puntuales en su puesto, los colocó como centinelas en todas las salidas de la hostería y volvió en busca de Athos, que acababa de recibir los informes de Planchet cuando sus amigos regresaron.

Todos los rostros estaban sombríos y crispados, incluso el dulce rostro de Aramis.

-¿Qué hay que hacer? - preguntó D'Artagnan.

-Esperar - respondió Athos.

Cada uno se retiró a su habitación.

A las ocho de la noche, Athos dio la orden de ensillar los caballos e hizo avisar a lord de Winter y a sus amigos de que se preparasen para la expedición.

En un instante todos estuvieron preparados. Cada uno inspeccionó las armas y las puso a punto. Athos bajó el primero y encontró a D'Artagnan ya a caballo a impacientándose.

-Paciencia - dijo Athos-, nos falta todavía uno.

Los cuatro caballeros miraron en torno suyo con sorpresa, porque buscaban inútilmente en su mente quién era aquel que podía faltarles.

En aquel momento Planchet trajo el caballo de Athos; el mosquetero saltó con ligereza a la silla.

-Esperadme - dijo-, vuelvo.

Y partió a galope.

Un cuarto de hora después volvió, efectivamente, acompañado de un hombre enmascarado y envuelto en una gran capa roja.

Lord de Winter y los tres mosqueteros se interrogaron con la mirada. Ninguno de ellos pudo informar a los otros, porque todos ignoraban quién era aquel hombre. Sin embargo, pensaron que aquello debía ser así, puesto que se hacía por orden de Athos.

Era triste al aspecto de aquellos seis hombres corriendo en silencio, sumidos cada cual en su pensamiento, taciturnos como la desesperación, sombríos como el castigo.

El juicio

Era una noche tormentosa y lúgubre, gruesas nubes corrían por el cielo velando la claridad de las estrellas; la luna no debía aparecer hasta medianoche.

A veces, a la luz de un relámpago que brillaba en el horizonte, se vislumbraba la ruta que se desarrollaba blanca y solitaria; luego, apagado el relámpago, todo volvía a la oscuridad.

A cada momento Athos invitaba a D'Artagnan, siempre a la cabeza de la pequeña tropa, a ocupar su puesto, que al cabo de un instante abandonaba de nuevo; no tenía más que un pensamiento: ir hacia adelante, e iba.

Cruzaron en silencio la aldea de Festubert, donde se había quedado el doméstico herido, luego bordearon el bosque de Richebourg; llegados a Herlies, Planchet, que seguía dirigiendo la columna, torció a la izquierda.

Varias veces, lord de Winter, Porthos o Aramis, habían tratado de dirigir la palabra al hombre de la capa roja; pero a cada pregunta que le había sido hecha, él se había inclinado sin responder. Los viajeros habían comprendido entonces que había una razón para que el desconocido guardase silencio, y habían dejado de dirigirle la palabra.

Además, la tormenta crecía, los relámpagos se sucedían rápidamente, el trueno comenzaba a gruñir, y el viento, precursor del huracán, silbaba en la llanura, agitando las plumas de los caballeros.

La cabalgada se lanzó a galope tendido.

Un poco más allá de Fromelles, la tormenta estalló; desplegaron las capas; quedaban aún tres leguas por hacer: las hicieron bajo torrentes de lluvia.

D'Artagnan se había quitado su sombrero de fieltro y no se había puesto la capa; sentía placer en dejar correr el agua sobre su frente ardiente y sobre su cuerpo agitado por escalofríos febriles.

En el momento que la pequeña tropa hubo pasado Goskal a iba a llegar a la posta, un hombre, refugiado bajo un árbol, se separó del tronco con el que había permanecido confundido en la oscuridad, y avanzó hasta el medio de la ruta, poniendo sus dedos sobre sus labios.

Athos reconoció a Grimaud.

-¿Qué pasa? - exclamó D'Artagnan-. ¿Habrá dejado Armentières?

Grimaud hizo con la cabeza un signo afirmativo. D'Artagnan rechinó los dientes.

-¡Silencio D'Artagnan! - dijo Athos-. Soy yo quien me he encargado de todo, a mí me toca interrogar a Grimaud.

-¿Dónde está? - preguntó Athos.

Grimaud tendió la mano en dirección del Lys.

-¿Lejos de aquí? - preguntó Athos.

Grimaud hizo señal de que sí.

-Señores - dijo Athos-, está solo a media legua de aquí, en dirección al río.

-Está bien - dijo D'Artagnan ; llévanos, Grimaud.

Grimaud tomó campo a través y sirvió de guía a la cabalgada.

Al cabo de quinientos pasos aproximadamente, se encontraron un riachuelo que vadearon.

A la luz de un relámpapo divisaron la aldea de Erquinghem.

-¿Es ahí? - preguntó D Artagnan.

Grimaud movió la cabeza en señal de negación.

-¡Silencio, pues - dijo Athos.

Y la tropa continuó su camino.

Otro relámpago brilló; Grimaud extendió el brazo, y a la luz azulada de la serpiente de fuego se distinguió una casita aislada, a orillas del río, a cien pasos de una barcaza. Una ventana estaba iluminada.

-Hemos llegado - dijo Atlios.

En aquel momento, un hombre tumbado en el foso se levantó. Era Mosquetón, quien señaló con el dedo la ventana iluminada.

-Está ahí - dijo.

-¿Y Bazin? -preguntó Athos.

-Mientras que yo vigilaba la ventana, él vigilaba la puerta.

-Bien - dijo Athos-, todos sois fieles servidores.

Athos saltó de su caballo, cuya brida puso en manos de Grimaud, y avanzó hacia la ventana tras haber hecho señas al resto de la tropa de virar hacia el lado de la puerta.

La casita estaba rodeada por un seto vivo, de dos o tres pies de alto. Athos franqueó el seto, llegó hasta la ventana privada de contraventanas, pero cuyas semicortinas estaban completamente echadas.

Se subió sobre el reborde de piedra, a fin de que su mirada pudiera sobrepasar la altura de las cortinas.

A la luz de una lámpara vio a una mujer envuelta en un manto de color oscuro sentada en un escabel, junto a un fuego moribundo: sus codos estaban apoyados sobre una mala mesa, y apoyaba su cabeza en sus dos manos blancas como el marfil.

No se podía distinguir su rostro, pero una sonrisa siniestra pasó por los labios de Athos: no podía equivocarse, era la que buscaba.

En aquel momento un caballo relinchó. Milady alzó la cabeza, vio, pegado al cristal, el rostro pálido de Athos y lanzó un grito.

Athos comprendió que lo había reconocido, empujó la ventana con la rodilla y con la mano, la ventana cedió, los cristales se rompieron.

Y Athos, como el espectro de la venganza, saltó a la habitación.

Milady corrió a la puerta y la abrió; más pálido y más amenazador aún que Athos, D'Artagnan estaba en el umbral.

Milady retrocedió lanzando un grito. D'Artagnan, creyendo que tenía algún medio de huir y temiendo que se le escapase, sacó una pistola de su cintura; pero Athos alzó la mano.

-Devuelve esa arma a su sitio, D'Artagnan - dijo-. Importa que esta mujer sea juzgada y no asesinada. Espera aún un momento, D'Artagnan, y quedarás satisfecho. Entrad, señores.

D'Artagnan obedeció, porque Athos tenía la voz solemne y el gesto poderoso de un juez enviado por el Señor mismo. Luego, detrás de D'Artagnan entraron Porthos, Aramis, lord de Winter y el hombre de la capa roja.

Los cuatro criados guardaban la puerta y la ventana.

Milady estaba caída sobre su silla con las manos extendidas como para conjurar aquella horrible aparición; al ver a su cuñado, lanzó un grito terrible.

-¿Qué queréis? - exclamó Milady.

-Queremos - dijo Athos - a Charlotte Backson, que se llamó primero condesa de La Fère, y luego lady Winter, baronesa de Sheffield.

-¡Yo soy, yo soy! - murmuró ella en el colmo del terror-. ¿Qué me queréis?

-Queremos juzgaros por vuestros crímenes - dijo Athos ; seréis libre de defenderos, justificaos si podéis. El señor D'Artagnan os va a acusar el primero.

D'Artagnan se adelantó.

-Ante Dios y ante los hombres - dijo-, acuso a esta mujer de haber envenenado a Constance Bonacieux, muerta ayer tarde.

Se volvió hacia Porthos y hacia Aramis.

-Nosotros somos testigos - dijeron con un solo movimiento los dos mosqueteros.

D'Artagnan continuó:

-Ante Dios y ante los hombres, acuso a esta mujer de haber querido envenenarme a mí mismo, con vino que había enviado de Villeroy, con una falsa carta como si el vino fuera de mis amigos; Dios me salvó, pero un hombre, que se llamaba Brisemont, murió en mi lugar.

-Nosotros somos testigos - dijeron con la misma voz Porthos y Aramis.

-Ante Dios y ante los hombres, acuso a esta mujer de haberme empujado a asesinar al barón de Wardes; y como nadie estuvo allí para atestiguar la verdad de esta acusación, lo atestiguo yo mismo. He dicho.

Y D'Artagnan pasó al otro lado de la habitación con Porthos y Aramis.

-¡Os toca a vos, milord! - dijo Athos.

El barón se acercó a su vez.

-Ante Dios y ante los hombres - dijo-, acuso a esta mujer de haber hecho asesinar al duque de Buckingham.

-¿El duque de Buckingham asesinado? - exclamaron a un solo grito todos los asistentes.

-Sí - dijo el barón-. ¡Asesinado! Ante la carta de aviso que me escribisteis, hice detener a esta mujer, y la di para guardarla a un leal servidor; ella corrompió a aquel hombre, ella le puso el puñal en la mano, ella le obligó a matar al duque, y quizá en este momento Felton pague con su cabeza el crimen de esta furia.

Un estremecimiento corrió entre los jueces ante la revelación de estos crímenes aún desconocidos.

-Eso no es todo - prosiguió lord de Winter ; mi hermano, que os había hecho su heredero, murió en tres horas de una extraña enfermedad que deja manchas lívidas en todo el cuerpo. Hermana mía, ¿cómo murió vuestro marido?

-¡Horror! - exclamaron Porthos y Aramis.

-Asesina de Buckingham, asesina de Felton, asesina de mi hermano, pido justicia contra vos, y declaro que, si no me la hacen, me la haré yo.

Y lord de Winter fue a colocarse junto a D'Artagnan dejando el puesto libre a otro acusador.

Milady dejó caer su frente en sus dos manos y trató de recordar sus ideas confundidas por un vértigo mortal.

-Me toca a mí - dijo Athos, temblando como el león tiembla a la vista de la serpiente-, me toca a mí. Yo desposé a esta mujer cuando era joven la desposé a pesar de toda mi familia; yo le di mis bienes, le di mi nombre; un día me di cuenta de que esta mujer estaba marcada; esta mujer estaba marcada con una flor de lis en el hombro izquierdo.

-¡Oh! - dijo Milady levantándose-. Desafío a que al quien encuentre el tribunal que pronunció sobre mí esa sentencia infame. Desafío a que alguien encuentre a quien la ejecutó.

-Silencio - dijo una voz-. A esta me toca a mí responder.

Y el hombre de la capa roja se aproximó a su vez.

-¿Quién es este hombre, quién es este hombre? - exclamó Milady sofocada por el terror y cuyos cabellos se soltaron y se erizaron sobre su lívida cabeza como si hubieran estado vivos.

Todos los ojos se volvieron hacia aquel hombre, porque para todos, excepto para Athos, era desconocido.

Incluso Athos lo miraba con tanta estupefacción como los otros, porque ignoraba cómo podía estar él mezclado en algo en el horrible drama que se desarrollaba en aquel momento.

Tras haberse acercado a Milady con paso lento y solemne, de modo que sólo la mesa lo separaba de ella, el desconocido se quitó la máscara.

Milady miró algún tiempo con un terror creciente aquel rostro pálido enmarcado entre cabellos y patillas negras, cuya única expresión era una impasibilidad helada. Luego, de pronto:

-¡Oh, no, no! - dijo ella levantándose y retrocediendo hasta la pared-. No, no, ¡es una aparición infernal! ¡No, es él!

¡Auxilio! ¡Auxilio! - exclamó con una voz ronca y volviéndose hacía el muro, como si hubiera podido abrirse un paso con sus manos.

-Pero ¿quién sois vos? - exclamaron todos los testigos de aquella escena.

-Preguntádselo a esa mujer - dijo el hombre de la capa roja-, porque ya habéis visto que me ha reconocido.

-¡El verdugo de Lille, el verdugo de Lille! - exclamó Milady presa de un terror insensato y aferrándose con las manos al muro para no caer.

Todo el mundo se apartó, y el hombre de la capa roja permaneció solo de pie en medio de la sala.

-¡Oh, gracia, gracia! ¡Perdón! - exclamó la miserable cayendo de rodillas.

El desconocido dejó que se hiciera el silencio de nuevo.

-¡Ya os decía yo que me había reconocido! - prosiguió-. Sí, yo soy el verdugo de la ciudad de Lille, y ésta es mi historia.

Todos los ojos estaban fijos en aquel hombre cuyas palabras esperaban con una ávida ansiedad.

-Esta joven era en otro tiempo una muchacha tan bella como bella es hoy. Era religiosa en el convento de las Benedictinas de Templemar. Un joven cura, de corazón sencillo y creyente, servía la iglesia de aquel convento; ella emprendió la tarea de seducirlo y triunfó, sedujo a un santo. Los votos de los dos eran sagrados, irrevocables; su relación no podía durar mucho tiempo sin perderlos a los dos. Consiguió de él que se marcharan ambos de la región; pero para marcharse de la región, para huir juntos, para alcanzar otra parte de Francia donde pudieran vivir tranquilos porque serían desconocidos, hacía falta dinero; ni el uno ni la otra lo tenían. El cura robó los vasos sagrados, los vendió; pero, cuando se aprestaban a huir juntos, los dos fueron detenidos. Ocho días después, ella había seducido al hijo del carcelero y se había escapado. El joven sacerdote fue condenado a diez años de grilletes y a la marca. Yo era el verdugo de la ciudad de Lille, como dijo esta mujer. Fui obligado a marcar al culpable, y el culpable, señores, ¡era mi hermano! Juré entonces que esta mujer que lo había perdido, que era más que su cómplice, puesto que lo había empujado al crimen, compartiría por lo menos el castigo. Sospeché el lugar en que estaba oculta, la perseguí, la alcancé, la agarroté y le imprimí la misma marca que había impreso en mi hermano. Al día siguiente de mi regreso a Lille, mi hermano consiguió escaparse, se me acusó de complicidad y se me condenó a permanecer en prisión en su puesto mientras no se constituyera él prisionero. Mi pobre hermano ignoraba aquel juicio; se había reunido con esta mujer, habían huido juntos al Berry; y allí, él había obtenido un pequeño curato. Esta mujer pasaba por hermana suya. El señor de la tierra en que estaba situada la iglesia del curato vio aquella pretendida hermana y se enamoró de ella, enamorándose hasta el punto de que le propuso desposarla. Entonces ella dejó al que había perdido por aquel al que iba a perder, y se convirtió en condesa de La Fère...

Todos los ojos se volvieron hacia Athos, cuyo verdadero nombre era aquél, y que hizo señal con la cabeza de que cuanto había dicho el verdugo era cierto.

-Entonces - prosiguió aquél-, loco, desesperado, decidido a quitarse su existencia, a quien ella había quitado todo, honor y felicidad, mi hermano regresó a Lille, y, enterándose del juicio que me había condenado en su lugar, se constituyó prisionero y se colgó la misma noche del tragaluz de su calabozo. Por lo demás, debo hacerles justicia, quienes me condenaron mantuvieron su palabra. Apenas fue comprobada la identidad del cadáver me devolvieron mi libertad. Ese es el crimen de que la acuso, era la causa por la que la marqué. Señor D'Artagnan - dijo Athos-, ¿cuál es la pena que exigís contra esta mujer?

-La pena de muerte - respondió D'Artagnan.

-Milord de Winter - continuo Athos-, ¿cuál es la pena que exigís contra esta mujer?

-La pena de muerte - contestó lord de Winter.

-Señores Porthos y Aramis - continuó Athos-, vosotros que sois sus jueces, ¿cuál es la pena a que condenáis a esta mujer?

-La pena de muerte - respondieron con voz sorda los dos mosqueteros.

Milady lanzó un aullido horroroso y dio algunos pasos hacia sus jueces arrastrándose de rodillas.

Athos extendió las manos hacia ella.

-Anne de Breuil, condesa de La Fère, milady de Winter - dijo-, vuestros crímenes han cansado a los hombres en la tierra y a Dios en el cielo. Si sabéis alguna oración, decidla, porque estáis condenada y vais a morir.

A estas palabras que no dejaban ninguna esperanza, Milady se alzó en toda su estatura y quiso hablar, pero las fuerzas le faltaron; sintió que una mano potente a implacable la cogía por los pelos y la arrastraba tan irrevocablemente como la fatalidad arrastra al hombre: no trató siquiera de hacer resistencia y salió de la cabaña.

Lord de Winter, D'Artagnan, Athos, Porthos y Aramis salieron detrás de ella. Los criados siguieron a sus amos y la habitación quedó solitaria con su ventana rota, su puerta abierta y su lámpara humeante que ardía tristemente sobre la mesa.

La ejecución

Era medianoche aproximadamente; la luna, escoltada por su menguante y ensangrentada por las últimas huellas de la tormenta, se alzaba tras la pequeña aldea de Armentières, que destacaba sobre su claridad macilenta la silueta sombría de sus casas y el esqueleto de su alto campanario recortado a la luz. Enfrente, el Lys hacía rodar sus aguas semejantes a un río de estaño fundido, mientras que en la otra orilla se veía la masa negra de los árboles perfilarse sobre un cielo tormentoso invadido por gruesas nubes de cobre que hacían una especie de crepúsculo en medio de la noche. A la izquierda se alzaba un viejo molino abandonado, de aspas inmóviles, en cuyas ruinas una lechuza dejaba oír su grito agudo, periódico y monótono. Aquí y allá, en la llanura, a izquierda y derecha del camino que seguía el lúgubre cortejo, aparecían algunos árboles bajos y achaparrados que parecían enanos disformes acuclillados para acechar a los hombres en aquella hora siniestra.

De vez en cuando un largo relámpago abría el horizonte en toda su amplitud, serpenteaba por encima de la masa negra de árboles y venía como una espantosa cimitarra a cortar el cielo y el agua en dos partes. Ni un soplo de viento pasaba por la pesada atmósfera. Un silencio de muerte aplastaba toda la naturaleza; el suelo estaba húmedo y resbaladizo por la lluvia que acababa de caer, y las hierbas reanimadas despedían su olor con más energía.

Dos criados arrastraban a Milady, teniéndola cada uno por un brazo; el verdugo caminaba detrás, y lord de Winter, D'Artagnan, Athos, Porthos y Aramis caminaban detrás del verdugo.

Planchet y Bazin venían los últimos.

Los dos criados conducían a Milady por la orilla del río. Su boca estaba muda; pero sus ojos hablaban con una elocuencia inexpresable, suplicando ya a uno ya a otro de los que ella miraba.

Cuando se encontraba a algunos pasos por delante, dijo a los criados:

-Mil pistolas a cada uno de vosotros si protegéis mi fuga; pero si me entregáis a vuestros amigos, tengo aquí cerca vengadores que os harán pagar cara mi muerte.

Grimaud dudaba. Mosquetón temblaba con todos sus miembros.

Athos, que había oído la voz de Milady, se acercó rápidamente; lord de Winter hizo otro tanto.

-Que se vuelvan estos criados - dijo-, les ha hablado, no son ya seguros.

Llamaron a Planchet y Bazin, que ocuparon el sitio de Grimaud y Mosquetón.

Llegados a la orilla del agua, el verdugo se acercó a Milady y le ató los pies y las manos.

Entonces ella rompió el silencio para exclamar:

-Sois unos cobardes, sois unos miserables asesinos, os hacen falta diez para degollar a una mujer; tened cuidado, si no soy socorrida, seré vengada.

-Vois no sois una mujer - dijo fríamente Athos-, no pertenecéis a la especie humana, sois un demonio escapado del infierno y vamos a devolveros a él.

-¡Ay, señores virtuosos! - dijo Milady-. Tened cuidado, aquel que toque un pelo de mi cabeza es a su vez un asesino.

-El verdugo puede matar sin ser por ello un asesino, señora - dijo el hombre de la capa roja golpeando sobre su larga espada ; él es el último juez, eso es todo: Nachrichter, como dicen nuestros vecinos alemanes.

Y cuando la ataba diciendo estas palabras, Milady lanzó dos o tres gritos salvajes que causaron un efecto sombrío y extraño volando en la noche y perdiéndose en las profundidades del bosque.

-Pero si soy culpable, si he cometido los crímenes de los que me acusáis - aullaba Milady-, llevadme ante un tribunal; no sois jueces, no lo sois para condenarme.

-Os propuse Tyburn - dijo lord de Winter-. ¿Por qué no quisisteis?

-¡Porque no quiero morir! - exclamó Milady debatiéndose-. Porque soy demasiado joven para morir.

-La mujer que envenenasteis en Béthune era más joven aún que vos, señora, y, sin embargo, está muerta - dijo D'Artagnan.

-Entraré en un claustro, me haré religiosa - dijo Milady.

-Estabais en un claustro - dijo el verdugo - y salisteis de él para perder a mi hermano.

Milady lanzó un grito de terror y cayó de rodillas.

El verdugo la alzó y quiso llevarla hacia la barca.

-¡Oh, Dios mío! - exclamó-. ¡Dios mío! ¿Vais a ahogarme?

Aquellos gritos tenían algo tan desgarrador que D'Artagnan, que al principio era el más encarnizado en la persecución de Milady, se dejó deslizar sobre un tronco a inclinó la cabeza, tapándose las orejas con las palmas de sus manos; sin embargo, pese a todo, todavía oía amenazar y gritar.

D'Artagnan era el más joven de todos aquellos hombres y el corazón le falló.

-¡Oh, no puedo ver este horrible espectáculo! ¡No puedo consentir que esta mujer muera así!

Milady había oído algunas palabras y se había recuperado a la luz de la esperanza.

-¡D'Artagnan! ¡D'Artagnan! - gritó-. ¡Acuérdate de que te he amado!

El joven se levantó y dio un paso hacia ella.

Pero Athos, bruscamente, sacó su espada y se interpuso en su camino.

-Si dais un paso más, D'Artagnan - dijo-, cruzaremos las espadas.

D'Artagnan cayó de rodillas y rezó.

-Vamos - continuó Athos-, verdugo, cumple tu deber.

-De buena gana, monseñor - dijo el verdugo-, porque, tan cierto como que soy católico, creo firmemente que soy justo al cumplir mi función en esta mujer.

-Está bien.

Athos dio un paso hacia Milady.

-Yo os perdono - dijo - el mal que me habéis hecho; os perdono mi futuro roto, mi honor perdido, mi honor mancillado y mi salvación eterna comprometida por la desesperación a que me habéis arrojado. Morid en paz.

Lord de Winter se adelantó a su vez.

-Yo os perdono - dijo - el envenenamiento de mi hermano, el asesinato de Su Gracia lord de Buckingham, yo os perdono la muerte del pobre Felton, yo os perdono las tentativas contra mi persona. Morid en paz.

-Y a mí - dijo D'Artagnan - perdonadme, señora, haber provocado vuestra cólera con un engaño indigno de un gentilhombre; y a cambio, yo os perdono el asesinato de mi pobre amiga y vuestras venganzas crueles contra mí, yo os perdono y lloro por vos. Morid en paz:

-I am lost! - murmuró Milady en inglés-. I must die.

Entonces se levantó por sí misma y lanzó en torno suyo una de esas miradas claras que parecían brotar de unos ojos de llama.

No vio nada.

No escuchó ni oyó nada.

En torno suyo no tenía más que enemigos.

-¿Dónde voy a morir? - dijo.

-En la otra orilla - respondió el verdugo.

Entonces la hizo subir a la barca, y cuando iba a poner él el pie en ella, Athos le entregó una suma de dinero.

-Toma - dijo-, ése es el precio de la ejecución; que se vea bien que actuamos como jueces.

-Está bien - dijo el verdugo ; y ahora, a su vez, que esta mujer sepa que no cumplo con mi oficio, sino con mi deber.

Y arrojó el dinero al río.

La barca se alejó hacia la orilla izquierda del Lys, llevando a la culpable y al ejecutor; todos los demás permanecieron en la orilla derecha, donde habían caído de rodillas.

La barca se deslizaba lentamente a lo largo de la cuerda de la barcaza, bajo el reflejo de una nube pálida que estaba suspendida sobre el agua en aquel momento.

Se la vio llegar a la otra orilla; los personajes se dibujaban en negro sobre el horizonte rojizo.

Milady, durante el trayecto, había conseguido soltar la cuerda que ataba sus pies; al llegar a la orilla, saltó con ligereza a tierra y tomó la huida.

Pero el suelo estaba húmedo; al llegar a lo alto del talud, resbaló y cayó de rodillas.

Una idea supersticiosa la hirió indudablemente; comprendió que el cielo le negaba su ayuda y permaneció en la actitud en que se encontraba, con la cabeza inclinada y las manos juntas.

Entonces, desde la otra orilla, se vio al verdugo alzar lentamente sus dos brazos; un rayo de luna se reflejó sobre la hoja de su larga espada; los dos brazos cayeron y se oyó el silbido de la cimitarra y el grito de la víctima. Luego, una masa truncada se abatió bajo el golpe.

Entonces el verdugo se quitó su capa roja, la extendió en tierra, depositó allí el cuerpo, arrojó allí la cabeza, la ató por las cuatro esquinas, se la echó al hombro y volvió a subir a la barca.

Llegado al centro del Lys, detuvo la barca, y, suspendido su fardo sobre el río:

-¡Dejad pasar la justicia de Dios! - gritó en voz alta.

Y dejó caer el cadáver a lo más profundo del agua, que se cerró sobre él.

Tres días después, los cuatro mosqueteros entraban en París; estaban dentro de los límites de su permiso, y la misma noche fueron a hacer su visita acostumbrada al señor de Tréville.

-Y bien, señores - les preguntó el bravo capitán-, ¿os habéis divertido en vuestra excursión? -Prodigiosamente - respondió Athos con los dientes apretados.

Conclusión

El 6 del mes siguiente, el rey, cumpliendo la promesa que había hecho al cardenal de dejar París para volver a La Rochelle, salió de su capital todo aturdido aún por la nueva que acababa de esparcirse de que Buckingham acababa de ser asesinado.

Aunque prevenida de que el hombre al que tanto había amado corría un peligro, la reina, cuando se le anunció esta muerte, no quiso creerla; ocurrió incluso que exclamó imprudentemente:

-¡Es falso! Acaba de escribirme.

Pero al día siguiente tuvo que creer en aquella fatal noticia: La Porte, retenido como todo el mundo en Inglaterra por las órdenes del rey Carlos I, llegó portador del último y fúnebre presente que Buckingham enviaba a la reina.

La alegría del rey había sido muy viva ; no se molestó siquiera en disimularla a incluso la hizo estallar con afectación ante la reina. A Luis XIII, como a todos los corazones débiles, le faltaba generosidad.

Mas pronto el rey se volvió sombrío y con mala salud; su frente no era de aquellas que se aclaran durante mucho tiempo; sentía que al volver al campamento iba a recuperar su esclavitud, y, sin embargo, volvía allí.

El cardenal era para él la serpiente fascinadora; y él, él era el pájaro que revolotea de rama en rama sin poder escapar.

En torno suyo no tenía más que enemigos.

Por eso el regreso hacia La Rochelle era profundamente triste. Nuestros cuatro amigos causaban el asombro de sus camaradas; viajaban juntos, codo con codo, la mirada sombría, la cabeza baja. Athos alzaba de vez en cuando sólo su amplia frente: un destello brillaba en sus ojos, una sonrisa amarga pasaba por sus labios; luego, semejante a sus camaradas, se dejaba ir de nuevo en sus ensoñaciones.

Tan pronto como llegaba la escolta a una villa, cuando habían conducido al rey a su alojamiento, los cuatro amigos se retiraban o a la habitación de uno de ellos o a alguna taberna apartada, donde ni jugaban ni bebían; sólo hablaban en voz baja mirando con cuidado si alguien los escuchaba.

Un día en que el rey había hecho un alto en la ruta para cazar la picaza y en que los cuatro amigos, según su costumbre, en vez de seguir la caza, se habían detenido en una taberna sobre la carretera, un hombre que venía de La Rochelle a galope tendido se detuvo a la puerta para beber un vaso de vino y hundió su mirada en el interior de la habitación donde estaban sentados a la mesa los cuatro mosqueteros.

-¡Hola! ¡El señor D'Artagnan! - dijo-. ¿No sois vos quien veo ahí?

D'Artagnan alzó la cabeza y soltó un grito de alegría. Aquel hombre que él llamaba su fantasma era su desconocido de Meung, de la calle des Fossoyeurs y de Arras.

-¡Ah, señor! - dijo el joven-. Por fin os encuentro; esta vez no escaparéis.

-No es esa mi intención tampoco, señor, porque esta vez os buscaba; en nombre del rey os detengo, y digo que tenéis que entregarme vuestra espada, señor, y sin resistencia; os va en ello la cabeza, os lo advierto.

-¿Quién sois vos? - preguntó D'Artagnan bajando su espada, pero sin entregarla aún.

-Soy el caballero de Rochefort - respondió el desconocido-, el escudero del señor cardenal de Richelieu, y tengo orden de llevaros junto a Su Eminencia.

-Volvemos junto a Su Eminencia, señor caballero - dijo Athos adelantándose - y aceptaréis la palabra del señor D'Artagnan, que va a dirigirse en línea recta a La Rochelle.

-Debo ponerlo en manos de los guardias, que lo llevarán al campamento.

-Nosotros lo llevaremos, señor, por nuestra palabra de gentileshombres; pero por nuestra palabra de gentileshombres también - añadió Athos, frunciendo el ceño-, el señor D'Artagnan no nos abandonará.

El caballero de Rochefort lanzó una ojeada hacia atrás y vio que Porthos y Aramis se habían situado entre él y la puerta; comprendió que estaba completamente a merced de aquellos cuatro hombres.

-Señores - dijo-, si el señor D'Artagnan quiere entregarme su espada y unir su palabra a la vuestra, me contentaré con vuestra promesa de conducir al señor D'Artagnan al campamento del señor cardenal.

-Tenéis mi palabra, señor - dijo D'Artagnan-, y aquí está mi espada.

-Eso está mejor - añadió Rochefort-, porque es preciso que continúe mi viaje.

-Si es para reuniros con Milady - dijo fríamente Athos-, es inútil, no la encontraréis.

-¿Qué le ha pasado entonces? - preguntó vivamente Rochefort.

-Volved al campamento y lo sabréis.

Rochefort se quedó un instante pensativo, luego, como no estaba más que a una jornada de Surgères, hasta donde el cardenal debía ir ante el rey, resolvió seguir el consejo de Athos y volver con ellos.

Además, aquel retraso le ofrecía una ventaja: vigilar por sí mismo a su prisionero.

Volvieron a ponerse en ruta.

Al día siguiente, a las tres de la tarde, llegaron a Surgères. El cardenal esperaba allí a Luis XIII. El ministro y el rey intercambiaron muchas caricias, se felicitaron por el venturoso azar que desembarazaba a Francia del encarnizado enemigo que amotinaba a Europa contra ella. Tras lo cual, el cardenal, que había sido avisado por Rochefort de que D'Artagnan estaba detenido, y que tenía prisa por verlo, se despidió del rey invitándolo a ver al día siguiente los trabajos del dique que estaban acabados.

Al volver aquella noche a su acampada del puente de La Pierre, el cardenal encontró de pie, ante la puerta de la casa que habitaba, a D'Artagnan sin espada y a los tres mosqueteros armados.

Aquella vez, como él era más fuerte, los miró con severidad y, con los ojos y con la mano, hizo a D'Artagnan una seña de que lo siguiera.

D'Artagnan obedeció.

-Te esperaremos, D'Artagnan - dijo Athos lo suficientemente alto para que el cardenal lo oyese.

Su Eminencia frunció el ceño, se detuvo un instante, luego continuó su camino sin pronunciar una sola palabra.

D'Artagnan entró detrás del cardenal, y Rochefort detrás de D'Artagnan; la puerta fue vigilada.

Su Eminencia se dirigió a la habitación que le servía de gabinete e hizo señas a Rochefort de introducir al joven mosquetero.

Rochefort obedeció y se retiró.

D'Artagnan permaneció solo frente al cardenal; era su segunda entrevista con Richelieu, y él confesó después que estaba convencido de que sería la última.

Richelieu permaneció de pie, apoyado contra la chimenea, con una mesa entre él y D'Artagnan.

-Señor - dijo el cardenal-, habéis sido detenido por orden mía.

-Eso me han dicho, monseñor.

-¿Sabéis por qué?

-No, monseñor; porque la única cosa por la que podría ser detenido es aún desconocida de Su Eminencia.

Richelieu miró fijamente al joven.

-¡Oh! ¡Oh! - dijo-. ¿Qué quiere decir eso?

-Si monseñor quiere decirme primero los crímenes que se me imputan, yo le diré luego los hechos que he realizado.

-¡Se os imputan crímenes que han hecho caer cabezas más altas que la vuestra, señor! - dijo el cardenal.

-¿Cuáles, monseñor? - preguntó D'Artagnan con una calma que asombró al propio cardenal.

-Se os imputa haber mantenido correspondencia con los enemigos del reino, se os imputa haber sorprendido los secretos de Estado, se os imputa haber tratado de hacer abortar los planes de vuestro general.

-¿Y quién me imputa eso, monseñor? - dijo D'Artagnan, que sospechaba que la acusación venía de Milady-. Una mujer marcada por la justicia del país, una mujer que ha desposado a un hombre en Francia y a otro en Inglaterra, una mujer que ha envenenado a su segundo marido y que ha intentado envenenarme a mí mismo.

-¿Qué decís, señor? - exclamó el cardenal asombrado-. ¿Y de qué mujer habláis de ese modo?

-De Milady de Winter - respondió D'Artagnan ; sí, de Milady de Winter, de la que sin duda Vuestra Eminencia ignoraba todos los crímenes cuando la ha honrado con su confianza.

-Señor - dijo el cardenal-, si Milady de Winter ha cometido todos los crímenes que decís, será castigada.

-Ya lo está, monseñor.

-Y ¿quién la ha castigado?

-Nosotros.

-¿Está en prisión?

-Está muerta.

-¿Muerta? - repitió el cardenal, que no podía creer lo que oía-. ¡Muerta! ¿Habéis dicho que está muerta?

-Tres veces trató de matarme, y la perdoné; pero mató a la mujer que yo amaba. Entonces, mis amigos y yo la hemos cogido, juzgado y condenado.

D'Artagnan contó entonces el envenenamiento de la señora Bonacieux en el convento de las Carmelitas de Béthune, el juicio de la casa aislada y la ejecución a orillas del Lys.

Un temblor corrió por todo el cuerpo del cardenal, que, sin embargo, no temblaba fácilmente.

Pero, de pronto como sufriendo la influencia de un pensamiento mudo, la fisonomía del cardenal, sombrío hasta entonces, se aclaró poco a poco y llegó a la más perfecta serenidad.

-Así - dijo con una voz cuya dulzura contrastaba con la severidad de sus palabras-, así que os habéis constituido en jueces, sin pensar que quienes no tienen la misión de castigar y castigan son asesinos.

-Monseñor, os juro que ni por un instante he tenido la intención de defender mi cabeza contra vos. Sufriré el castigo que Vuestra Eminencia quiera infligirme. No amo tanto la vida como para temer la muerte.

-Sí, lo sé, sois un hombre de corazón, señor - dijo el cardenal con una voz casi afectuosa ; puedo deciros, pues, de antemano que seréis juzgado, condenado incluso.

-Cualquier otro podría responder a Vuestra Eminencia que tiene su perdón en el bolsillo; yo me contentaré con deciros: Ordenad, monseñor, estoy dispuesto.

-¿Vuestro perdón? - dijo Richelieu sorprendido.

-Sí, monseñor - dijo D'Artagnan.

-¿Y firmado por quién? ¿Por el rey?

Y el cardenal pronunció estas palabras con una singular expresión de desprecio.

-No, por Vuestra Eminencia.

-¿Por mí? Estáis loco, señor.

-Monseñor reconocerá sin duda su escritura.

Y D'Artagnan presentó al cardenal el preciso papel que Athos había arrancado a Milady, y que había dado a D'Artagnan para que le sirviera de salvaguardia.

Su Eminencia cogió el papel y leyó con voz lenta apoyándose en cada sílaba:

«El portador de la presente ha "hecho lo que ha hecho" por orden mía y para bien del Estado.

En el campamento de La Rochelle, a 5 de agosto de 1628.

Richelieu.»

El cardenal, tras haber leído estas dos líneas, cayó en una meditación profunda, pero no devolvió el papel a D'Artagnan.

«Medita con qué clase de suplicio me hará morir - se dijo en voz baja D'Artagnan ; pues a fe que verá cómo muere un gentilhombre.»

El joven mosquetero estaba en excelente disposición de morir heroicamente.

Richelieu seguía pensando, enrollaba y desenrollaba el papel en sus manos. Finalmente, alzó la cabeza, fijó su mirada de águila sobre aquella fisonomía leal, abierta, inteligente, leyó en aquel rostro surcado por las lágrimas todos los sufrimientos que había enjugado desde hacía un mes, y pensó por tercera o cuarta vez cuánto futuro tenía aquel muchacho de veintiún años, y qué recursos podría ofrecer a un buen amo su actividad, su valor y su ingenio.

Por otro lado, los crímenes, el poder, el genio infernal de Milady le habían espantado más de una vez. Sentía como una alegría secreta haberse liberado para siempre de aquella cómplice peligrosa.

Desgarró lentamente el papel que D'Artagnan tan generosamente le había entregado.

«Estoy perdido», dijo para sí mismo D'Artagnan.

Y se inclinó profundamente ante el cardenal como hombre que dice: «¡Señor, que se haga vuestra voluntad!»

El cardenal se acercó a la mesa y, sin sentarse, escribió algunas líneas sobre un pergamino cuyos dos tercios ertaban ya cubiertos y puso su sello.

«Esa es mi condena - dijo D'Artagnan; me ahorra el aburrimiento de la Bastilla y la lentitud de un juicio. Encima es demasiado amable.

» -Tomad, señor - dijo el cardenal al joven-, os he cogido un salvoconducto y os devuelvo otro. El nombre falta en ese despacho: escribidlo vos mismo.

D'Artagnan cogió el papel dudando y puso los ojos encima.

Era un tenientazgo en los mosqueteros.

D'Artagnan cayó a los pies del cardenal.

-Monseñor - dijo-, mi vida es vuestra; disponed de ella en adelante; pero este favor que me otorgáis no lo merezco; tengo tres amigos que son más merecedores y más dignos...

-Sois un muchacho valiente, D'Artagnan - interrumpió el cardenal palmeándolo familiarmente en el hombro, encantado por haber vencido a aquella naturaleza rebelde-. Haced de ese despacho lo que os plazca. Sólo que recordad que, aunque el nombre esté en blanco, os lo he dado a vos.

-No lo olvidaré jamás - respondió D'Artagnan-. Vuestra Eminencia puede estar segura de ello.

El cardenal se volvió y dijo en voz alta:

-¡Rochefort!

El caballero, que sin duda estaba detrás de la puerta, entró al punto.

-Rochefort - dijo el cardenal-, ahí veis al señor D'Artagnan; lo recibo entre mis amigos; así pues, que se le abrace y que si alguien quiere conservar su cabeza sea prudente.

Rochefort y D'Artagnan se besaron con la punta de los labios; pero el cardenal estaba allí, observándolos con su ojo vigilante.

Salieron de la habitación al mismo tiempo.

-Nos encontraremos, ¿no es cierto, señor?

-Cuando os plazca - contestó D'Artagnan.

-Ya llegará la ocasión - respondió Rochefort.

-¿Qué? - dijo Richelieu abriendo la puerta.

Los dos hombres sonrieron, se estrecharon la mano y saludaron a Su Eminencia.

-Empezábamos a impacientarnos - dijo Athos.

-¡Ya estoy aquí, amigos míos! - respondió D'Artagnan-. No solamente libre, sino favorecido.

-¿Nos contaréis eso?

-Esta noche.

En efecto, aquella misma noche D'Artagnan se dirigió al alojamiento de Athos, a quien encontró a punto de vaciar su botella de vino español, ocupación que realizaba religiosamente todas las noches.

Le contó lo que había pasado entre el cardenal y él, y sacando el despacho de su bolso:

-Tomad, mi querido Athos - dijo-, a vos os corresponde, naturalmente.

Athos sonrió con su dulce y encantadora sonrisa.

-Amigo - dijo-, para Athos es demasiado; para el conde de La Fère es demasiado poco. Guardad ese despacho, os corresponde. ¡Ay, Dios mío, qué caro lo habréis comprado!

D'Artagnan salió de la habitación de Athos y entró en la de Porthos.

Lo encontró vestido con un magnífico traje, cubierto de espléndidos brocados y mirándose a un espejo.

-¡Ah, ah! - dijo Porthos-. ¡Sois vos, querido amigo! ¿Qué tal me va este traje?

-De maravilla - dijo D'Artagnan-, pero vengo a proponeros un traje que aún os iría mejor.

-¿Cuál? - preguntó Porthos.

-El de teniente de mosqueteros.

D'Artagnan contó a Porthos su entrevista con el cardenal, y sacando el despacho de su bolso:

-Tomad, querido - dijo-, escribid vuestro nombre ahí, y sed buen jefe para mí.

Porthos puso los ojos en el despacho y se lo devolvió a D'Artagnan, con gran sorpresa del joven.

-Sí - dijo-, me halagaría mucho, pero no tendría tiempo para gozar de ese favor. Durante nuestra expedición a Béthune, el marido de mi duquesa ha muerto; de suerte que, querido amigo, dado que el cofre del difunto me tiende los brazos, me caso con la viuda. Mirad, me estoy probando mi traje de boda; guardad el tenientazgo, querido, guardadlo.

Y entregó el despacho a D'Artagnan.

El joven entró en la habitación de Aramis.

Lo encontró arrodillado en un reclinatorio, con la frente apoyada contra su libro de horas abierto.

Le contó su entrevista con el cardenal, y sacando por tercera vez el despacho de su bolso:

-Vos, nuestro amigo, nuestra luz, nuestro protector invisible - dijo-, aceptad este despacho; lo habéis merecido más que nadie, por vuestra sabiduría y vuestros consejos siempre seguidos con tan felices resultados.

-¡Ay, querido amigo! - dijo Aramis-. Nuestras últimas aventuras me han hecho tomar un disgusto total por la vida del hombre de espada. Esta vez mi decisión está irrevocablemente tomada: tras el asedio, entraré en los Lazaristas. Guardad ese despacho, D'Artagnan: el oficio de las armas os va bien, y seréis un valiente y afortunado capitán.

D'Artagnan, con los ojos húmedos de gratitud y resplandecientes de alegría, volvió a Athos, a quien encontró aún en la mesa y mirando su último vaso de málaga a la luz de la lámpara.

-¡Y bien! - dijo-. También ellos han rehusado.

-Es que nadie, querido amigo, era más digno de él que vos.

Cogió una pluma, escribió en el despacho el nombre de D'Artagnan y se lo entregó.

-Ya no tendré más amigos - dijo el joven-, ¡ay!, ni nada más que amargos recuerdos.

Y dejó caer su cabeza entre sus dos manos, mientras dos lágrimas corrían a lo largo de sus mejillas.

-Sois joven - respondió Athos-, y vuestros amargos recuerdos tienen tiempo de cambiarse en dulces recuerdos.

Epílogo

La Rochelle, privada del socorro de la flota inglesa y de la división prometida por Buckingham, se rindió tras el asedio de un año. El 28 de octubre de 1628 se firmó la capitulación.

El rey hizo su entrada en París el 23 de diciembre del mismo año. Se le acogió en triunfo como si volviese de vencer al enemigo y no a franceses. Entró por el barrio Saint Jacques bajo arcos cubiertos de vegetación.

D'Artagnan tomó posesión de su grado. Porthos abandonó el servicio y desposó, durante el año siguiente, a la señora Coquenard; el cofre tan ambicionado contenía ochocientas mil libras.

Mosquetón tuvo una librea magnífica y además la satisfacción, que había ambicionado toda su vida, de subir detrás de una carroza dorada.

Aramis, tras un viaje a Lorraine, desapareció de pronto y dejó de escribir a sus amigos. Más tarde se supo, por la señora Chevreuse, que lo dijo a dos o tres de sus amantes, que había tomado el hábito en un convento de Nancy.

Bazin se convirtió en hermano lego.

Athos siguió siendo mosquetero a las órdenes de D'Artagnan, hasta 1663, época en la que, tras un viaje que hizo a Touraine, dejó también el servicio so pretexto de que acababa de recoger una pequeña herencia en el Rousillon.

Grimaud siguió a Athos.

D'Artagnan se batió tres veces con Rochefort y lo hirió tres veces.

-Os mataré probablemente a la cuarta - le dijo tendiéndole la mano para levantarlo.

-Mejor sería, para vos y para mí, que nos quedásemos por aquí - respondió el herido-. ¡Diantre! Soy más amigo vuestro que lo que pensáis, porque desde el primer encuentro habría podido, diciendo una palabra al cardenal, haceros cortar la cabeza.

Aquella vez se abrazaron, pero de buen corazón y sin segundas intenciones.

Planchet obtuvo de Rochefort el grado de sargento en los guardias. El señor Bonacieux vivía muy tranquilo, ignorando completamente lo que había sido de su mujer y no inquietándose apenas. Un día tuvo la imprudencia de acordarse del cardenal; el cardenal le hizo responder que iba a encargarse de que no le faltara nada en adelante.

En efecto, al día siguiente, habiendo salido el señor Bonacieux a las siete de la noche de su casa para dirigirse al Louvre, no volvió a aparecer más en la calle des Fossoyeurs; la opinión de quienes parecían mejor informados fue que era alimentado y alojado en algún castillo real a expensas de su generosa Eminencia.